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Date: 19990901

Dossiers: 97-237-IT-G; 97-238-IT-G

ENTRE :

CIRIL ZOVKO, MILA ZOVKO,

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]Ces deux appels portent sur des cotisations établies aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1990. Les appelants sont coentrepreneurs, avec d’autres particuliers, dans une affaire visant l’achat et la revente d’une parcelle de terrain vague du côté nord de la rue Dundas, à Oakville, en Ontario (le bien-fonds en cause). La seule question en litige dans ces appels a trait à la valeur du bien-fonds en cause au 30 novembre 1990.

[2] Le bien-fonds a été acheté le 16 octobre 1989 au montant de 6 200 000 $, dont 2 200 000 $ a été payé comptant; il y a eu prise en charge d’une hypothèque de 4 000 000 $ pour le solde du prix d’achat. Le bien-fonds est détenu par la société 871374 Ontario Limited, à titre de simple fiduciaire, pour les coentrepreneurs, notamment les appelants. Il n’est pas contesté que l’achat du bien-fonds ait constitué une entreprise risquée et que le but est de le revendre pour en tirer un profit. L’exercice financier de l’entreprise prend fin le 30 novembre et les appelants avaient droit de tirer avantage d’une réduction considérable de la valeur du bien-fonds dans le calcul de leur impôt pour l’année d’imposition 1990. L’intimée ne conteste pas leur droit à une réduction de la valeur mais seulement le montant de cette réduction. Par conséquent, la seule question en litige est la juste valeur du bien-fonds au 30 novembre 1990.

[3]L’évaluation du bien-fonds en cause au 30 novembre 1990 n’est pas une mince affaire. Il est un fait notoire que le marché immobilier, en particulier le marché des biens immeubles spéculatifs, a monté en flèche vers la fin des années 1980 dans le sud de l’Ontario, puis a connu une baisse abrupte en 1990. Le bien-fonds qui nous occupe a été vendu le 30 novembre 1988 pour 3 700 000 $. Il a ensuite été vendu à la coentreprise des appelants environ un an plus tard pour 6 200 000 $, ce qui représentait une hausse de la valeur de 68 p. 100 en un an environ. La vente a été négociée au milieu du mois d’octobre 1989 et a été conclue le 21 décembre 1989. Les parties conviennent qu’une baisse du marché s’est produite après cette date et avant le 30 novembre 1990. Ils ne s’entendent pas, cependant, sur l’ampleur de cette baisse et ses conséquences sur la valeur du bien-fonds en cause.

[4]Cette parcelle de 152 acres est située dans la partie nord-ouest de la ville d’Oakville et donne sur la rue Dundas sur environ 1 440 pieds. Elle est de forme plus ou moins rectangulaire, mais une partie triangulaire de presque neuf acres donnant sur la rue Dundas s’en trouve séparée. Elle est désignée bien-fonds agricole sur le plan officiel et son zonage est agricole. Elle se compose de quelques champs cultivés, de terres à pâturage, d’une grande terre à bois, de quelques terrains d’alluvion et de terres ravinées. Elle est située assez près de l’autoroute 403 dont la construction était prévue à l’époque en cause. Outre l’électricité, aucun service public n’était disponible dans la région immédiate.

[5]Chacune des parties a fait appel au témoignage d’un évaluateur qualifié en immobilier. M. Michael J. Mulvale est membre agréé de l’Institut canadien des évaluateurs. Il évalue des biens immeubles depuis quelque 20 ans. Dans son témoignage pour les appelants, il a déclaré que, selon lui, le bien-fonds en cause valait 3 785 000 $ au 30 novembre 1990. M. Warren Sabourin, qui est aussi membre agréé de l’Institut canadien des évaluateurs, est à l’emploi de Revenu Canada comme évaluateur en immobilier depuis plus de 20 ans. D’après son témoignage, la parcelle en cause valait 5 500 000 $ au 30 novembre 1990. Cet écart plutôt grand entre ces deux témoignages s’explique par les conditions peu communes du marché qui ont prévalu entre la date d’achat du bien-fonds par la coentreprise en novembre 1989 et la date d’évaluation, un an plus tard.

[6]Les deux évaluateurs conviennent que l’utilisation optimale du bien-fonds, à l’époque, était de nature agricole mais que les possibilités futures de développement en augmentaient sensiblement la valeur. Ni l’un ni l’autre n’était prêt à dire quand ces possibilités pouvaient se réaliser mais les deux s’entendaient pour affirmer que ce serait à long terme seulement. En outre, les deux étaient d’avis que le repli du marché de novembre 1989 à novembre 1990 s’appliquait tant aux immeubles d’habitation qu’aux terrains vagues et que les cours du marché, à l’époque, s’étaient considérablement effrités.

[7]Chaque évaluateur a utilisé la méthode de comparaison des ventes pour aborder la question de la valeur marchande. Ils ont tenté de repérer des ventes de bien-fonds similaires à celui qu’ils devaient évaluer et situés approximativement dans la même région, ventes qui avaient été conclues à peu près vers le 30 novembre 1990. Bien entendu, c’est ce dernier critère qui pose problème. Les ventes que M. Mulvale a comparées ont été conclues entre mai 1990 et décembre 1991. Celles de M. Sabourin ont été conclues entre avril 1989 et octobre 1991. La difficulté inhérente à leur travail consistait à tenir compte de l’évolution du marché pendant la période de douze mois à partir de l’achat du bien-fonds par la coentreprise – transaction conclue entre parties sans lien de dépendance – à la date à laquelle il devait être évalué, en gardant à l’esprit la brusque évolution du marché pendant cette période. Plus une vente était éloignée de novembre 1990, moins elle était utile pour l’analyse. Puisqu’une vente du bien-fonds en cause, conclue entre parties sans lien de dépendance en octobre 1989, a permis de lui attribuer une valeur connue, il est difficile de concevoir comment les ventes d’autres bien-fonds, en octobre 1989 ou avant, pourraient être utiles. Les ventes conclues après cette date, toutes choses étant par ailleurs comparables, peuvent offrir certaines indications. La difficulté consiste cependant à déterminer la date exacte de l’effondrement du marché et la rapidité du déclin.

[8] M. Mulvale a choisi comme ventes comparables six ventes de terres agricoles ou, du moins, y a fait référence. La première vente portait sur une parcelle de 195 acres acquise par la ville d’Oakville en prévision, semble-t-il, de la construction future d’un complexe sportif et récréatif. La vente a été enregistrée en octobre 1991 et, selon M. Mulvale, le prix aurait été négocié entre novembre 1990 et avril 1991. Le prix de vente était de 6 550 000 $, ce qui, a-t-il calculé, représentait 33 423,99 $ l’acre. M. Sabourin a également mentionné cette transaction mais il a calculé un prix légèrement plus élevé, soit 33 543,13 $ l’acre, l’écart étant attribuable à une divergence mineure entre les deux évaluateurs sur le nombre d’acres. M. Mulvale a accepté ce chiffre comme étant exact.

[9] Le deuxième bien-fonds choisi par M. Mulvale avait une superficie de 37,619 acres et avait été vendu en 1991 au prix de 1 105 600 $, soit 29 389 $ l’acre. M. Sabourin a également invoqué cette vente. Cependant, cette parcelle étant beaucoup plus petite que le bien-fonds en cause, on pouvait s’attendre à ce qu’elle se vende plus cher à l’acre. Le troisième bien-fonds que M. Mulvale a comparé était une parcelle de 95,6 acres vendue le 31 décembre 1991. Située au sud-ouest de Milton et un peu au nord du bien-fonds en cause, elle s’est vendue 2 392 325 $, soit 25 000 $ l’acre. Je pense qu’il est juste de dire que M. Mulvale s’est beaucoup appuyé sur cette vente. La quatrième parcelle qu’il a comparée avait une superficie de 69,17 acres et était située un peu loin du bien-fonds en cause, au nord de celui-ci, et à l’ouest de Brampton. Elle s’est vendue le 15 mai 1990 au prix de 2 305 666 $, soit 33 333 $ l’acre. La cinquième vente portait sur une parcelle de 150 acres. Elle est également éloignée du bien-fonds en cause, étant située au nord de Brampton, dans la partie rurale de Caledon. Elle s’est vendue le 2 octobre 1990 pour 3 610 800 $, soit 24 000 $ l’acre. La dernière vente comparable de M. Mulvale portait sur une parcelle de 96 acres, également située entre Brampton et Caledon. Elle s’est vendue le 1er novembre 1990 pour 3 460 000 $, ou 36 052 $ l’acre. Bien que cette vente se soit conclue à une date qui se rapproche de la date d’évaluation du 30 novembre 1990, M. Mulvale ne s’y est pas fié puisqu’on avait amélioré considérablement le bien-fonds en y ajoutant des serres et des granges. De fait, c’est la Pioneer Grain Company qui avait acheté ce bien-fonds pour y effectuer de la recherche agronomique ou du travail de préparation. Ni M. Mulvale ni M. Sabourin n’ont tenté d’évaluer le bien-fonds en cause en fonction de cette vente en estimant la valeur des améliorations puis en les soustrayant du prix de vente. Des six bien-fonds comparés, M. Mulvale a déclaré que les trois premiers étaient les plus comparables. Il a jugé que la valeur acceptable par acre du bien-fonds en cause au 30 novembre 1990 était de 25 000 $. Il a expliqué qu’il était parvenu à ce montant en utilisant son jugement et en tenant compte de diverses dissemblances, notamment quant au moment de la vente, au lieu, à la superficie et à la qualité du bien-fonds. Il a ajouté qu’il était parvenu à la même valeur par acre que sa troisième vente comparable par pure coïncidence. Il n’a malheureusement donné aucun indice sur la méthode qu’il avait employée pour adapter les données des ventes afin d’arrêter son opinion.

[10]M. Sabourin a fait référence à sept ventes différentes. La première visait un droit de 50 p. 100 sur une parcelle de 202,22 acres vendue le 14 avril 1989 pour 5 591 567 $. M. Sabourin a conclu que la valeur totale était de 55 302 $ l’acre. Sa deuxième vente s’appliquait au bien-fonds acheté par la coentreprise des appelants. Il est difficile de concevoir comment cet achat peut contribuer à l’analyse puisque je dois précisément déterminer ce qui a fait changer la valeur du bien-fonds entre le moment de son achat et la date d’évaluation. La troisième vente que M. Sabourin a mentionnée portait sur une parcelle de 86 acres du côté nord de Burnhamthorpe Road, qui a été vendue le 12 octobre 1989 pour 6 912 560 $, ou 80 000 $ l’acre. La quatrième vente a été conclue le 1er mars 1990 et il s’agissait d’une parcelle de 52 acres située du côté nord de Burnhamthorpe Road. La parcelle s’est vendue 4 160 000 $, soit 80 163 $ l’acre. La cinquième vente portait sur une parcelle de sept acres, vendue le 30 mai 1990 au prix de 1 344 962 $, soit 182 244 $ l’acre. Ces trois ventes portaient sur des parcelles nettement plus petites dont le prix à l’acre était largement plus élevé que celui du bien-fonds en cause vendu en 1989. Les prix ont dû être négociés avant la chute abrupte du marché. Ces ventes ne sont d’aucune utilité pour estimer la valeur du bien-fonds en cause en novembre 1990. La sixième vente que M. Sabourin a comparée est la deuxième vente de M. Mulvale. La dernière vente portait sur une parcelle de 195 acres qui était la première vente de M. Mulvale. Ces parcelles se sont vendues respectivement au prix de 32 000 $ et de 33 500 $ l’acre.

[11]M. Sabourin a tenté de résoudre le problème commun à toutes les ventes sur lesquelles il s’était appuyé, c’est-à-dire que la date de leur conclusion était, dans une certaine mesure, éloignée du 30 novembre 1990. Pour ce faire, il a repéré des bien-fonds qui s’étaient vendus avant le 30 novembre 1990 et qui avaient ensuite été revendus après cette date. Puis, en s’appuyant sur la différence dans les prix de vente, il a calculé le taux de diminution de la valeur des bien-fonds pendant cette période. Il a repéré quatre de ces biens-fonds, tous zonés agricoles et situés au nord de la rue Dundas. Les trois premières ventes portaient sur des logements unifamiliaux construits sur des lots d’un acre ou moins. La première a été effectuée en juin 1989, puis il y a eu revente en février 1992, soit deux ans et demi plus tard. Le deuxième immeuble a été vendu en juin 1989 et revendu en mai 1991, presque deux ans plus tard. Le troisième immeuble a été vendu en mars 1989 puis revendu en mai 1992, un peu plus de trois ans plus tard. La quatrième vente portait sur une parcelle de terrain vague qui s’est vendue en mai 1990 pour 1 344 962 $ et qui a été revendue trois ans plus tard, en mai 1993, pour 350 000 $. La valeur de cette parcelle a donc diminué de 74 p. 100 en trois ans. M. Sabourin a jugé que cela représentait un taux de diminution de 24,66 p. 100 par année et a estimé que le taux annuel de diminution de la valeur des trois immeubles d’habitation était, respectivement, de 6,63 p. 100, 9,95 p. 100 et 6,82 p. 100. Il en ensuite fait une moyenne des quatre taux de diminution et a conclu que le taux pertinent pour la période était de 12,02 p. 100 par année, ou de 1 p. 100 par mois.

[12]Il est évident que cette méthodologie est viciée. D’abord, l’énorme écart entre les taux annuels de diminution des trois immeubles d’habitation d’une part et du terrain vague d’autre part, suppose très fortement que différents facteurs s’appliquent aux deux catégories de biens immeubles. Deuxièmement, selon la preuve relative aux permis de construction délivrés, la valeur des biens-fonds a connu une brusque baisse dans un très court laps de temps à partir du milieu de 1989. Il ne fait pas de doute que le quatrième immeuble a perdu 74 p. 100 de sa valeur entre mai 1990 et mai 1993. Rien ne porte à croire, cependant, que cette baisse s’est produite de manière linéaire, au rythme de 25 p. 100 par année. De fait, il existe de bonnes raisons de penser que cette baisse s’est produite en grande partie, et très rapidement, vers la fin de 1989 et en 1990.

[13]Je ne pense pas que l’on puisse beaucoup s’appuyer sur les méthodes analytiques utilisées par l’un ou l’autre des témoins. De plus, les deux ont dû admettre pendant leur témoignage qu’ils avaient commis un certain nombre d’erreurs révélant ainsi qu’ils avaient été négligents dans la préparation de leurs opinions. Somme toute, je n’ai pas une très grande confiance en l’une ou l’autre opinion. Cela dit, il m’incombe de rendre le meilleur jugement possible quant à la valeur du bien-fonds en cause au 30 novembre 1990, sur la foi du témoignage des deux évaluateurs. Il est probable que la valeur se situe quelque part entre celles que M. Mulvale et M. Sabourin ont avancées. La difficulté est de la situer.

[14]Les ventes numéros 1, 2 et 3, conclues en octobre 1991, en avril 1991 et en décembre 1991, sont celles sur lesquelles M. Mulvale s’est le plus appuyé. Il s’agissait, en tout cas, des dates d’enregistrement des actes. Le temps étant un facteur important en l’espèce, il importe de se rappeler que les prix ont dû fort probablement être négociés plusieurs semaines, voire des mois, avant ces dates. Dans le cas des ventes comparées par M. Sabourin, seuls les exemples 6 et 7, qui correspondaient aux ventes 2 et 1 de M. Mulvale, pouvaient aider à résoudre le problème. Les autres ventes ont toutes été conclues avant l’effondrement du marché. Les ventes se situant le plus près de l’époque qui nous occupe sont les numéros 5 et 6 de M. Mulvale, portant toutes deux sur de grandes parcelles, et conclues en octobre et en novembre 1990. La parcelle numéro 6, avec ses améliorations, qui a été vendue à des fins commerciales, avait sans aucun doute une valeur supérieure au bien-fonds des appelants. La vente numéro 5 portait sur un bien-fonds situé considérablement au nord du bien-fonds en cause et qui était probablement plus éloigné de toute zone de développement futur. La vente numéro 2 de M. Mulvale a sans doute été négociée environ trois ou quatre mois après le 30 novembre 1990. Elle est donc susceptible d’être la plus utile des autres ventes en ce qui concerne le facteur temps. Le bien-fonds était cependant de petite superficie et aurait, par conséquent, rapporté un prix à l’acre plus élevé. Par contre, son prix à l’acre a probablement quelque peu baissé entre le 30 novembre 1990 et le moment de la négociation de la vente. Les ventes numéros 1 et 3 de M. Mulvale ont été conclues vers la fin de 1991 et la valeur des biens-fonds visés a probablement aussi diminué quelque peu entre le 30 novembre 1990 et la date de leur négociation.

[15]Compte tenu de tous ces facteurs, je conclus que la valeur pertinente du bien-fonds en cause au 30 novembre 1990 était de 28 000 $ l’acre. Pendant son témoignage, M. Mulvale a accepté le calcul de M. Sabourin quant à la superficie totale du bien-fonds en cause, soit 152,060 acres. La parcelle vaut donc, au total, 4 257 680 $.

[16]Les appels sont admis et les cotisations sont renvoyées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte de ce qui précède. Les appelants ont droit à un seul mémoire de frais.

Signé à Ottawa, Canada, le 10 septembre 1999.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de juillet 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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