Date: 19990122
Dossier: 96-506-IT-G
ENTRE :
JEAN-YVES DESCORMIERS,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Appel entendu les 17 et 18 novembre 1998 à Trois-Rivières (Québec) et le 30 novembre à Québec (Québec) par l’honorable juge Alain Tardif
Motifs du jugement
Le juge Tardif, C.C.I.
[1] Il s'agit d'un appel découlant d'une cotisation s'appuyant sur les paragraphes 152(8), 251(1) et sur l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “Loi”) L.R.C. (1985) ch. 1 (5e Suppl.), dans sa version applicable au litige.
[2] La question en litige consiste à déterminer s'il existait un lien de dépendance entre l'appelant et Jacques Lafond au moment de la vente d'un immeuble le 27 mai 1993. Dans l'affirmative, le Tribunal devra décider quel était, à ce moment, la juste valeur marchande de l'immeuble en question.
[3] Bien que les faits décrits à la Réponse à l'avis d'appel n'aient fait l'objet d'aucune admission, il m'apparaît utile de les reproduire.
4. En établissant la nouvelle cotisation en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu pour un montant de 80 000 $, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis, notamment, les faits suivants :
a) Le ou vers le 27 mai 1993, Jacques Lafond vendait à l'appelant un immeuble, soit un terrain avec bâtisse, situé au 200 rue St-Georges à Trois-Rivières pour la somme de 125 000 $ dont 100 000 $ payé comptant.
b) L'immeuble était évalué pour fins de taxation municipale à 242 600 $ et sa juste valeur marchande au 27 mai 1993 était d'au moins 205 000 $.
c) La valeur de 242 600 $ inscrite au rôle municipal déposé en novembre 1994 pour l'année 1995 n'a pas été contestée par l'appelant.
d) Au moment de ladite vente, Jacques Lafond était endetté envers le ministre du Revenu national pour ses années d'imposition 1993 et précédentes.
e) L'appelant s'est décrit dans une demande écrite de prêt hypothécaire présentée à la Caisse Populaire de Notre-Dame-de-Trois-Rivières comme copropriétaire avec Jacques Lafond du Restaurant “Les Ailes Piquantes Buffalo” du Cap-de-la-Madeleine.
f) L'appelant n'était, au moment de cette démarche d'emprunt, que marginalement solvable. Il avait déclaré des revenus de 10 640 $ en 1990, 6 800 $ en 1991 et 3 964 $ en 1992 dans ses déclarations annuelles de revenu. Aucune évaluation de l'immeuble n'a été fournie à la Caisse.
g) Le Restaurant “Les Ailes Piquantes Buffalo” était la raison sociale utilisée dans le district de Trois-Rivières par 2868-8521 Québec Inc., une corporation fondée par Jacques Lafond et dont les administrateurs étaient Jean Lafond, Sophie Lafond et Estelle Simon, soit le fils, la fille et la concubine de Jacques Lafond respectivement.
h) Jean Lafond était, au moment de l'enregistrement de la susdite raison sociale ainsi que lors des achats d'actifs, destinés à l'opération d'un restaurant à Trois-Rivières en janvier 1992 président de ladite compagnie.
i) L'appelant s'est décrit dans sa déclaration T-1 1992 comme un employé du Restaurant “Les Ailes Piquantes Buffalo”.
j) L'appelant et Jacques Lafond présentaient le 30 novembre 1992 à la Caisse Populaire une demande conjointe d'emprunt d'un montant de 25 000 $ en vue d'ouvrir un nouveau restaurant au Cap-de-la-Madeleine et 19 000 $ d'épargnes de Jean Lafond furent données en garantie et l'appelant s'est porté caution.
k) Un second prêt englobant le premier, relativement à l'exploitation au Cap-de-la-Madeleine du Restaurant “Les Ailes Piquantes Buffalo”, fut consenti le 26 juillet 1993 par la même Caisse Populaire pour un montant de 30 000 $ à 2868-6772 Québec Inc. L'appelant et Jacques Lafond ont tous deux agi comme caution à l'égard de ce prêt.
l) C'est essentiellement le fait que Jacques Lafond consentait à se porter caution qui a motivé la Caisse Populaire à accepter de prêter à l'appelant.
m) 2868-6772 Québec Inc. avait été incorporée le 8 novembre 1991, l'appelant en étant actionnaire et administrateur alors que Jean Lafond, Sophie Lafond et Estelle Simon étaient les autres administrateurs.
n) Jacques Lafond avait, au 31 décembre 1989, des actifs d'une valeur nette de 273 000 $ mais a prétendu en 1993 avoir été contraint de liquider ceux-ci pour ses “besoins de vie” et n'avoir qu'un emploi à temps partiel précisément au Restaurant “Les Ailes Piquantes Buffalo”.
o) Durant la période précédant la vente de l'immeuble, aucun mandat ne fut donné à un courtier en immeubles, et aucune publicité ne fut faite, ce qui aurait permis au vendeur d'informer et d'intéresser un plus grand nombre d'acheteurs potentiels et ainsi obtenir le meilleur prix possible.
p) Les impôts sur le revenu dus par Jacques Lafond pour les années 1986 à 1989 s'élevaient à plus de 133 039,28 $ au moment de la vente. Des avis de cotisation à cet effet ont été émis le 4 novembre 1992 et aucun avis d'opposition n'a été signifié par Jacques Lafond.
q) Lors des négociations et de la conclusion de la vente de l'immeuble en question, l'appelant et Jacques Lafond avaient un lien de dépendance et le prix convenu de 125 000 $ était inférieur à la juste valeur marchande de l'immeuble par une marge d'au moins 80 000 $.
r) Au cours des discussions entourant l'émission de l'avis de cotisation, l'appelant a refusé de donné accès à l'intérieur de la bâtisse à l'agent du ministère du Revenu chargé d'en faire l'évaluation.
[4] Jacques Lafond a longuement témoigné. Bien qu'il ait été l'initiateur de la transaction, il n'a pas fourni beaucoup d'explications sur les raisons de la vente. Il a essentiellement indiqué que l'immeuble, objet de la transaction au centre du présent litige, lui avait été légué par sa mère.
[5] Lorsqu'il a hérité de l'immeuble de deux étages en 1988, l'un des deux logements était loué. Le deuxième logement fut loué au même locataire qui l'a, par la suite, sous-loué à son tour jusqu'à la fin du bail au mois de mars 1993.
[6] Lors de la transaction de mai 1993, les deux locaux étaient vacants dont l'un que depuis le mois de mars de la même année.
[7] Selon M. Lafond, le dernier occupant de l'immeuble aurait laissé les lieux dans un état lamentable, ce qui fera l'objet d'une analyse ultérieurement.
[8] Les dommages très importants auraient été à l'origine du prix de vente de l'immeuble fixé à 125 000 $; l'évaluation municipale était beaucoup supérieure soit 200 000 $.
[9] M. Lafond a expliqué que le locataire principal l'avait toujours bien payé et ce, d'une façon continue; il n'a donc pas jugé à propos de visiter les lieux avant de signer une quittance, se déclarant satisfait de l'état des lieux à la fin du bail.
[10] M. Lafond a aussi indiqué qu'il connaissait très bien le domaine de la construction; il avait lui-même reconstruit l'immeuble à la suite d'un incendie à la fin des années 1970.
[11] Il a soutenu que les inconvénients et ennuis générés par la location de l'immeuble avaient été à l'origine de son projet de vente.
[12] Le prix de vente de l'immeuble étant l'un des éléments fondamentaux du litige, il aurait été intéressant et surtout pertinent d'expliquer pourquoi l'immeuble n'a pas été réparé et pourquoi il n'y a pas eu de tentative de trouver d'autres locataires; deux points pouvant avoir un impact majeur sur la valeur marchande de l'immeuble puisqu'un immeuble commercial dont les lieux sont occupés n'a pas la même valeur qu'un immeuble inoccupé.
[13] En effet, l'immeuble aurait pu être retapé pour devenir plus alléchant, tant pour un éventuel acquéreur que pour de possibles locataires; d'un autre côté, dans l'hypothèse de coûts prohibitifs, ce qui n'a pu être établi puisqu'aucune évaluation n'a été préparée, des démarches auraient pu être initiées pour décrocher un ou des locataires qui se seraient chargés eux-mêmes d'aménager et/ou réparer les lieux en fonction de leurs besoins.
[14] Rien de tel n'a été fait; M. Lafond a simplement soutenu qu'il avait exprimé son désir de vendre son immeuble dans son propre réseau de connaissances, ajoutant que le bouche à oreilles était la façon la plus rapide, la plus efficace et la plus économique de vendre un immeuble à Trois-Rivières.
[15] Pour ce qui est du prix, il a indiqué avoir demandé ce que ça valait, rien de plus, rien de moins. La preuve a démontré qu'il n'avait pas fait évaluer l'immeuble par des experts et qu'il n'avait pas consulté de courtiers immobiliers aux fins d'en connaître la valeur.
[16] Il a déterminé le prix essentiellement selon ses propres connaissances du marché, du fait que l'immeuble était inoccupé et dans un état, suivant ses dires, lamentable.
[17] Selon M. Lafond, absolument tout était à refaire; il a témoigné à l'effet que les murs, plafonds, escaliers et divisions devaient être reconstruits et que l'électricité, la plomberie et le système de chauffage étaient à ce point endommagés qu'ils devaient être refaits à neuf. Le coût des réparations s'évaluait à plusieurs dizaines de milliers de dollars.
[18] Devant l'ampleur des dommages décrits, qui feront l'objet de commentaires ultérieurs, le Tribunal a exprimé son scepticisme sur les explications fournies pour justifier l'absence totale d'initiatives visant à obtenir des locataires une compensation pour la remise en état des lieux.
[19] M. Lafond a indiqué qu'il faisait totalement confiance au locataire principal et que de ce fait, il avait aveuglement signé une quittance l'empêchant de réclamer judiciairement le montant des dommages; or les lieux, à la fin du bail, étaient occupés par un sous-locataire, ce qui aurait dû soulever certaines inquiétudes.
[20] D'autre part, devant l'ampleur et l'importance des dommages décrits, il eut été approprié de ne pas lancer la serviette aussi facilement.
[21] Je ne crois pas utile de poursuivre sur cette question puisque l'ensemble de la preuve présentée fournit un éclairage qui permet de mieux comprendre certains comportements.
[22] Ce sont là les différentes considérations qui ont conduit M. Lafond à fixer le prix de son immeuble à 125 000 $.
[23] Comment M. Lafond a-t-il procédé pour dénicher un ou des intéressés? Il n'a strictement rien fait si ce n'est exprimer son intention de vendre à son entourage de façon à ce que le bouche à oreilles fasse son oeuvre. Il n'a pas retenu les services d'un agent ou courtier immobilier; il n'a payé aucune publicité et n'a pas placé de panneau signalant que son immeuble était à vendre.
[24] L'appelant en fit l'acquisition pour un montant de 125 000 $. Pourquoi a-t-il fait l'acquisition de l'immeuble? Lors de son témoignage, il a expliqué, d'une façon vague et ambiguë, qu'il en avait fait l'acquisition dans un but spéculatif. Il a indiqué qu'il connaissait le propriétaire des franchises du restaurant McDonald, dans la région de Trois-Rivières, et qu'il avait espéré pouvoir lui revendre l'immeuble pour l'aménagement d'un restaurant. Bien que la surface du terrain ne fut pas suffisante pour réaliser un tel projet, l'appelant n'a entrepris aucune démarche dans le but de présenter une proposition alléchante au promoteur du projet. D'ailleurs le Tribunal doute que l'appelant ait même offert son immeuble.
[25] En effet, l'appelant a été très peu explicite sur son projet qui n'a sans doute pas franchi l'étape de l'imagination. Peu fortuné et disposant de revenus très modestes, il était totalement déraisonnable et irréaliste que l'appelant se soit aventuré dans un projet aussi peu articulé et dont les chances de succès étaient à toutes fins pratiques nulles.
[26] Bien plus, l'appelant ne connaissait pas ce qui, dans les circonstances, était très important : la superficie du terrain. D'autre part, il s'agissait là d'un actif plus qu'important pour une personne dont les revenus étaient aussi marginaux. Malgré cette réalité et l'obligation de rencontrer mensuellement des paiements imposants, il ne visita à peu près pas l'immeuble avant d'en faire l'acquisition. Il n'essaya pas de négocier un prix moindre; il accepta sans condition aucune l'état des lieux et le prix demandé par le vendeur.
[27] Après l'acquisition, il n'entreprit aucuns travaux et n'initia aucune démarche concrète dans le but de minimiser le coût des obligations à rencontrer. Il ne fit strictement rien pour tenter de louer ne fusse que le montant lui permettant de faire ses remboursements hypothécaires. En dépit de toutes ces réalités, l'appelant n'avait aucune solution de rechange dans l'hypothèse où il ne pourrait pas vendre son immeuble pour l'aménagement d'un restaurant.
[28] Pourquoi a-t-il accepté de payer 125 000 $ pour l'acquisition de l'immeuble? Il ne l'a jamais vraiment expliqué. Malgré son but incertain, ses projets plus ou moins réalistes, l'état apparent tout à fait lamentable selon ses dires, sa faible capacité de payer, ses faibles revenus et la non disponibilité de comptant, il n'a eu recours à aucun consultant pour connaître l'étendue véritable des dommages, l'état de l'immeuble et sa valeur relative réelle.
[29] Il accepta de payer un montant substantiel eu égard à sa capacité de payer et cela, sans négocier et sans visiter sérieusement l'immeuble pour s'enquérir de la gravité des dommages.
[30] Le récit des circonstances décrites par les parties à la transaction ayant entouré la vente et l'achat de l'immeuble n'a aucune logique et n'est absolument ni raisonnable, ni rationnel dans la réalité d'une transaction commerciale entre deux personnes sérieuses.
[31] L'écart très marqué entre l'évaluation municipale et le prix de vente soulevait une certaine suspicion; bien que l'évaluation municipale ne soit pas une référence de premier ordre, mais essentiellement une indication intéressante, il devenait alors impératif d'étoffer le bien-fondé de la considération fixée à 125 000 $.
[32] L'appelant et son vendeur ont justifié la faible valeur par la dépréciation majeure au moment de l'acquisition et par des dommages importants affectant l'immeuble; de plus aucun des logements n'était loué.
[33] Il s'agissait là certes d'éléments et de faits objectifs réels ayant un impact direct sur la valeur marchande de l'immeuble. Par contre, chacune des composantes de cette moins-value alléguée devait faire l'objet d'une analyse en profondeur aux fins d'en apprécier la pertinence et ses impacts réels sur la valeur de l'immeuble.
Dommages
[34] La question des dommages et de la dépréciation de l'immeuble a fait l'objet d'une partie importante de la preuve. Le huissier, Stéphane Carpentier a visité l'immeuble et a témoigné sur ce sujet; il a produit une série de photos descriptives des lieux, à l'appui de son intervention.
[35] Quant aux experts respectifs des parties, ils en sont arrivés à des conclusions forts différentes; une différence appréciable de 83 500 $ sépare les deux évaluations. Cette différence est particulièrement considérable eu égard à la valeur de l'immeuble.
[36] Quant à l'importance accordée aux dommages, le Tribunal a très attentivement analysé les photos réalisées par le huissier Carpentier.
[37] Ces photos démontrent clairement que les dommages affectaient principalement les meubles meublants et les effets mobiliers. Les dommages aux meubles devenus immeubles par destination étaient marginaux et n'avaient peu ou pas d'impact sur la valeur de l'immeuble. Les photos prises par le huissier ne démontrent aucunement de lourds dommages et dégâts à l'immeuble décrit par M. Lafond et l'appelant.
[38] Cette appréciation est d'ailleurs confirmée par la description des dommages réclamés par la compagnie Pub Place du Marché Inc., locataire principal de l'immeuble litigieux à Alain Brindle, Gaétan Brindle et Bar Le Garage Enr. sous-locataires d'une partie des lieux.
[39] Les dommages sont décrits dans une action introduite à la Cour du Québec, district de Trois-Rivières, portant les numéros de dossiers 400-02-000480937 et libellée comme suit aux paragraphes 4 et 5 :
4. En date du 2 avril 1993, la Demanderesse a fait constater cette situation par ministère d'un huissier dont le procès-verbal est produit au soutien des présentes, sous la cote P-2;
5. Les frais de reprise de possession des lieux loués, les coûts de réparation ou de remplacement des biens manquants ou abîmés de même que le coût de réparation des dommages occasionnés aux lieux loués totalisent la somme de $9,869.91 et se détaillent comme suit, à savoir :
A) FRAIS DE REPRISE DE POSSESSION DES LIEUX LOUÉS
-frais de reprogrammation du système d'alarme $ 66.77
-frais de serrurier 60.00
SOUS-TOTAL $ 126.77
B) COÛT DE REMPLACEMENT DES BIENS MANQUANTS
-table ronde en “arborite” $ 60.00
-neuf (9) bouchons électroniques 150.00
-chaudière, essoreuse et siège de toilette 257.12
-un (1) extincteur 5 lbs 40.50
-tabourets (4), chaises (3), plafonniers (2), réfrigérateur
(répar.), compresseur (répar.), machine à glace (répar.) $2,833.87
SOUS-TOTAL $3,342.29
C) COÛT DE RÉPARATION (REMPLACEMENT) DES
BIENS ABÎMÉS
-amplificateur FISHER $ 12.87
-téléviseur ZENITH 26" 228.00
-téléviseur ZÉNITH 26" 106.00
-téléviseur QUASAR 20" 150.00
-deux (2) cablo-sélecteurs 418.00
-stores 236.77
-tuiles acoustiques 193.63
-table en acajou 200.00
-“standing bar” en acajou 175.00
SOUS-TOTAL $1,720.27
D) DOMMAGES AUX LIEUX LOUÉS
-piste de danse $ 876.54
-porte coulissante et miroir 3,538.83
SOUS-TOTAL $4,415.37
E) FRAIS DIVERS
-constat par huissier $ 185.00
-frais d'estimation 44.51
-frais de photocopie (photos couleurs) 35.70
SOUS-TOTAL $ 265.21
GRAND TOTAL $9,869.91
[40] Le huissier a reconnu que la description des dommages énumérés à l'action correspondait à ce qu'il avait lui-même indiqué à son procès-verbal. La compagnie Pub Place du Marché Inc. étant responsable de tous les dommages causés aux lieux loués vis-à-vis le propriétaire Lafond, il eut été plus que surprenant qu'elle ne réclame pas aux sous-locataires Brindle la totalité des dommages causés aux lieux loués.
[41] D'autre part, le mandat spécifique confié au huissier visait et concernait tous les bris et dommages causés lors de l'occupation des lieux; ce dernier avait donc instructions de procéder à un examen minutieux des lieux pour y faire une liste détaillée et exhaustive de tout ce qui nécessitait des réparations.
[42] Dans un tel contexte, si des dommages de la nature de ceux décrits par le vendeur et l'acheteur avaient été réels et si graves, il n'y a aucun doute qu'ils auraient fait l'objet d'une description détaillée et complète.
[43] Je conclus donc que les dommages et détériorations affectant l'immeuble n'avaient pas la gravité soutenue par l'appelant; je suis, de plus, convaincu que les réparations ne nécessitaient pas des déboursés aussi importants que ceux mentionnés. Par contre, les photos ont démontré que les locaux de l'immeuble n'étaient ni attrayants ni accueillants.
[44] Lafond et Descormiers ont tous deux mentionné avoir les aptitudes et talents pour apporter les correctifs à un immeuble. De ce fait, il est assez étonnant qu'ils n'aient pas entrepris de faire un bon ménage et procéder à certaines réparations pour remettre l'immeuble en état de location; ils auraient ainsi bonifié la valeur de leur actif aux périodes où ils en avaient été propriétaires.
[45] Pour louer un local commercial, je crois qu'il est utile, voire nécessaire que les lieux soient aménagés de manière à être sympathiques et prometteurs pour toute personne pouvant s'y intéresser. Pourquoi les lieux n'ont-ils pas fait l'objet d'une remise en état?
[46] La preuve a tenté d'établir que le coût aurait été prohibitif. À cet égard, la preuve n'est absolument pas convaincante et cela ressort tout particulièrement de l'absence totale d'évaluation indépendante. La preuve, découlant du procès-verbal et étoffée par les photos réalisées par le huissier, démontre d'ailleurs le contraire pour les motifs précédemment décrits.
[47] Pourquoi les travaux requis n'ont-ils pas été exécutés? La preuve ne permet pas de répondre vraiment à la question qui soulève toutefois d'autres interrogations.
[48] En effet, le vendeur, et par la suite l'appelant acquéreur, possède un immeuble déprécié en apparence. Malgré cette réalité susceptible de faire fuir tout locataire ou d'éventuels acquéreurs, ils n'initient strictement rien qui soit de nature à en améliorer l'état. L'apparence d'un immeuble et l'occupation ou non des loyers ont des incidences directs sur sa valeur. Malgré cela, pourquoi ni Lafond, ni l'appelant n'ont-ils pas entrepris des démarches pour améliorer l'état des lieux ou pour intéresser d'éventuels locataires?
[49] De part et d'autre, ils n'ont strictement rien fait pour trouver des locataires; les lieux disponibles n'ont fait l'objet d'aucune publicité. L'appelant a même soutenu qu'il ne savait pas quand, comment et pourquoi la municipalité avait coupé l'eau. Il dit avoir appris le fait par quelqu'un qui voulait entreposer certaines marchandises. Est-ce possible de manifester une telle indifférence et désinvolture face à un immeuble qui constitue une composante plus qu'importante de son patrimoine et qui, au surplus, commande le remboursement de paiements mensuels à ce point considérables que la totalité de ses revenus ne lui permettent pas de les rencontrer. Une telle attitude discrédite totalement les explications fournies par l'appelant.
[50] L'immeuble fut laissé dans un état d'abandon total alors que la transaction commandait des paiements mensuels de plus de 900 $ et qu'une balance de prix de vente au montant de 25 000 $ était toujours due par l'appelant.
[51] J'ouvre d'ailleurs une parenthèse au sujet de la balance du prix de vente au montant de 25 000 $. La preuve n'a jamais permis de savoir si le montant avait été remboursé en partie ou totalement. Il n'a jamais été possible de savoir précisément la nature et l'importance des montants payés; il a été fait mention d'un litige à cause de problèmes d'infiltration d'eau par la couverture. La preuve, à cet égard, a été incomplète et n'a pas permis de savoir si le problème avait ou non entraîné une réduction du prix.
[52] Si l'appelant avait démontré avoir eu un projet concret, sérieux, vraisemblable et réaliste avec un échéancier raisonnable portant essentiellement sur la superficie du terrain, avec une certaine chance de succès, il eut été plus compréhensible qu'il ait agi comme il l'a fait. Cela était d'autant plus important que ses revenus ne lui permettaient pas d'assumer la balance du prix de vente et des mensualités aussi importantes que 900 $ sur une période pouvant s'échelonner sur plusieurs années.
[53] Outre ces faits déterminants et significatifs quant à son absence totale d'intérêt pour l'immeuble, pourquoi l'appelant n'a-t-il pas contesté le montant de l'évaluation municipale dans le but de réduire au moins le montant des taxes, très élevé eu égard à sa capacité de payer? Une diminution de l'évaluation municipale n'aurait en rien préjudicié à son projet et aurait eu l'avantage de réduire le montant des taxes. Encore là, la preuve n'a pas fourni d'explication vraisemblable.
[54] La seule et unique explication des faits et circonstances entourant la transaction est que l'appelant exécutait essentiellement la volonté du vendeur. Il n'avait rien à craindre ni à perdre dans l'aventure. Il n'avait rien payé comptant et l'emprunt bancaire était endossé par le vendeur.
[55] Quel intérêt, quel avantage, quel profit l'appelant pouvait-il espérer de la transaction? Cela est à ce point nébuleux qu'il est plus vraisemblable de conclure que le but de l'appelant était sans doute essentiellement de venir en aide à son ami Lafond, sinon à un associé empressé et hautement collaborateur qui l'avait embauché à certains moments et cautionné à quelques reprises.
[56] La preuve a largement démontré que M. Lafond avait un ascendant sur l'appelant; à quelques reprises, l'appelant a profité de la complaisance et de l'aide de Lafond. La prépondérance de la preuve est à l'effet que Messieurs Descormiers et Lafond entretenaient des relations privilégiées d'affaires entre eux. Il ne s'agissait carrément pas de personnes traitant entre eux comme des étrangers où à distance. Ils faisaient des affaires ensemble et oeuvraient dans le même domaine d'activité économique soit la restauration.
[57] Bien que l'anonymat des compagnies à numéro ait été utilisé pour brouiller la qualité des relations d'affaires existant entre Lafond et l'appelant, l'intervention de M. Lafond, à titre de caution de l'appelant, a eu pour effet d'effacer les efforts de cacher la qualité de la relation existant entre eux.
[58] Le vendeur et l'acquéreur étaient non seulement des amis mais aussi des associés dans le cours de leurs activités professionnelles courantes. Ils se connaissaient depuis très longtemps et avaient partagé les mêmes intérêts dans certaines opérations commerciales. La preuve a aussi démontré que l'appelant avait travaillé pour Lafond.
[59] M. Jean-Jacques Lafond et l'appelant ont bien essayé de minimiser la qualité de leurs relations professionnelles allant jusqu'à cacher délibérément certaines réalités incontournables, dont le fait d'être parties à une même transaction. Utilisant le prétexte de l'anonymat des compagnies à numéro, l'appelant a tenté de prétendre ignorer l'intérêt de M. Jean-Jacques Lafond à certaine transaction.
[60] La preuve a aussi révélé une autre réalité discréditant totalement la thèse soutenue par Lafond et l'appelant. Pourquoi la Caisse Populaire a-t-elle accepté de prêter 100 000 $ sans visiter l'immeuble, en l'espace de quelques heures, sans garantie personnelle de l'acquéreur, sachant en outre que l'emprunteur principal n'avait carrément pas la capacité financière de faire face aux mensualités que commandait l'emprunt.
[61] En surcroît, le directeur général de la Caisse Populaire a signalé que le dossier faisait état de plusieurs dizaines d'appels pour obtenir paiement des mensualités, lesquels avaient été très majoritairement dirigés au vendeur Lafond et non à l'acquéreur. Selon le directeur de la Caisse, Jean-Jacques Lafond a fait la majorité des paiements sur l'emprunt consenti à l'appelant.
[62] Pourquoi ne réclamait-il pas à l'appelant les paiements effectués? Pourquoi n'a-t-il pas initié des procédures pour reprendre possession de l'immeuble? Aucune preuve n'a été présentée sur ces questions pourtant importantes.
[63] Trois critères sont utilisés pour déterminer si les parties à une transaction ont entre elles un lien de dépendance; il s'agit :
a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,
b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et
c) le contrôle “de facto” (réel).
[64] La prépondérance de la preuve a établi clairement que Lafond avait un tel ascendant sur l'appelant qu'il avait seul dirigé les négociations précédant la transaction; le vendeur et l'acheteur avaient agi de concert pour le seul intérêt de Lafond qui avait manifestement toujours été en contrôle de la situation. D'ailleurs, la preuve a démontré que l'appelant avait été plus un exécutant qu'une véritable partie contractante lors de la transaction de mai 1993.
[65] Pour toutes ces raisons, je suis d'avis que l'appelant avait, au moment de la transaction au mois de mai 1993, bel et bien un lien de dépendance de facto avec son vendeur Lafond.
[66] Ceci étant, il y a lieu de procéder à l'analyse de la considération de la transaction. Correspondait-elle à la juste valeur marchande? L'appelant a-t-il payé la valeur réelle pour l'immeuble? Quelle était la valeur réelle de l'immeuble au moment de la transaction?
[67] La façon d'établir la juste valeur marchande d'un immeuble a toujours soulevé beaucoup de discussions et de théories. Le traité, Droit public et administratif en Droit fiscal, publié par les éditions Yvon Blais Inc. à la page 71 apporte un éclairage intéressant dans les termes suivants :
Juste valeur marchande
Cette expression n'est définie ni dans la loi ni dans les règlements. La détermination de la valeur marchande est essentiellement une question de faits et d'opinion du ressort des experts en évaluation et qu'il faudra cependant prouver à la satisfaction des tribunaux si le ministère et le contribuable ne réussissent pas à s'entendre. On estime généralement que cette notion doit être appréciée de façon objective sur la base d'une transaction normale à laquelle les parties ont librement consenti en toute connaissance de cause et indépendamment des relations spéciales qui peuvent exister entre elles et qui seraient de nature à créer un “lien de dépendance”.
[68] Pour déterminer la valeur réelle de l'immeuble qui a fait l'objet de la transaction, le Tribunal a eu droit à la présentation de deux expertises préparées par des experts.
EXPERT DE L'APPELANT
[69] L'expert de l'appelant, M. Louis-Georges Baril, a visité l'immeuble à la demande de ce dernier; il a préparé son expertise au moyen des procédés habituels en insistant sur le fait que la seule véritable formule d'évaluation était la formule dite “comparables”.
[70] Il a donc inventorié trois comparables qu'il a ensuite ajustées et pondérées de manière à ce que lesdites comparables deviennent des références. À cet effet, il a expliqué tout son travail et décrit le cheminement suivi lui permettant de conclure comme il l'a fait. Il a établi la valeur de l'immeuble au moment de la transaction à 115 000 $.
EXPERT DE L'INTIMÉE
[71] De son côté, l'intimée a utilisé les services d'un expert en matière d'évaluation soit M. Alain Lortie. À l'emploi de Revenu Canada depuis peu de temps, et l'immeuble litigieux ayant fait l'objet d'importantes transformations, il a dû prendre en considération certains faits dont il n'était pas personnellement au courant; il s'est référé à une série de photographies descriptives des lieux à certains moments précis. Il a cependant fait état qu'il avait investi beaucoup de temps pour l'élaboration de son expertise. Il s'est rendu à Trois-Rivières à plusieurs reprises, a rencontré des personnes ayant des connaissances des lieux et a fait l'analyse sérieuse de plusieurs transactions.
[72] Pour ce qui est de la composante photo de l'expertise, elle a fait l'objet d'une solide objection de la part de l'appelant qui a nié le droit de recourir à de telles photos; selon lui, l'expert n'était pas l'auteur et il ne connaissait pas la totalité des circonstances ayant entouré leur réalisation, lui enlevant ainsi toute possibilité de procéder à l'interrogatoire ou au contre-interrogatoire de l'auteur. Ayant pris l'objection sous réserve, j'en dispose de la manière suivante.
[73] En qualité d'expert, l'évaluateur de l'intimée avait une très grande latitude dans le cadre de son analyse, recherche et appréciation lui permettant d'établir la valeur réelle de l'immeuble au mois de mai 1993.
[74] Cette liberté n'était cependant pas étendue au point de faire reposer les assises d'une partie de son travail sur des photos dont il n'avait pas l'absolue certitude de la date et du contexte de leur exécution. Il ne pouvait utiliser des photos sans savoir et connaître le nom et l'adresse du photographe, la date, le contexte et les circonstances de leurs prises et cela pour en permettre l'accessibilité à l'appelant et à son expert.
[75] Conséquemment, j'ordonne que la reproduction desdites photos soit retranchée de l'expertise et que tout ce qui en découle soit également soustrait de l'expertise.
[76] M. Lortie a également expliqué le cheminement de son étude. Il est ressorti de son témoignage qu'il y avait consacré beaucoup de temps et d'énergie. Il a aussi répertorié beaucoup plus de transactions portant spécifiquement sur la valeur du terrain.
[77] Il a écarté la méthode dite “comparables” ayant trait à des immeubles commerciaux, en soutenant que de telles comparables n'étaient pas valables; il y avait trop de différences pour les définir comme comparables pertinentes et valables.
[78] Il a donc limité son étude des comparables à deux niveaux : celle ayant trait au terrain et une autre relative à la valeur locative des locaux dans le secteur de l'immeuble au centre du litige.
[79] Il conclut à une valeur de 198 500 $ par la moyenne obtenue de la technique du coût évaluant l'immeuble à 200 000 $ et celle du Revenu à 197 000 $.
ANALYSE
[80] L'évaluation est certes un art exigeant de grandes connaissances et une vaste expérience mais surtout la capacité d'en arriver à l'équilibre entre l'objectif et le subjectif.
[81] La plupart du temps, les experts arrivent à des conclusions qui soutiennent essentiellement la thèse de leur mandant, d'où les tribunaux tentent d'objectiver l'évaluation des parties à partir de divers éléments dégagés par la preuve.
[82] L'expertise de l'expert de l'intimée est la plus élaborée, la plus étoffée et surtout la plus vraisemblable. L'expert de l'appelant a d'ailleurs reconnu que la méthode dite des comparables pour déterminer la valeur réelle avait ses limites et ses imperfections en ce qu'il était totalement impossible de trouver des comparables qui soient absolument identiques.
[83] Il existe des éléments qui font que les comparables sont un guide, une indication mais non une formule infaillible avec une rigueur scientifique. Bien que peut-être idéal comme procédé, il sous-entend néanmoins que la quantité et la qualité des comparables demeurent toujours subjectives et imparfaites.
[84] En l'espèce, à la lumière des observations sur la qualité des comparables disponibles, je suis d'avis qu'il s'agissait là d'une méthode à ce point imparfaite, à cause de la rareté des comparables mais aussi à cause de leur peu de similitudes, qu'elle doit être écartée.
[85] Au départ, le travail exécuté par l'expert Lortie, est manifestement plus complet, plus fouillé, plus étoffé et de ce fait, plus valable. Cela est d'ailleurs ressorti clairement des témoignages des deux experts qui n'ont pas consacré la même quantité de travail pour arriver à leur conclusion respective.
[86] L'expert de l'appelant y a investi un ou deux jours; il a utilisé des données de son propre répertoire passe-partout, tout en prenant pour acquis, sans vérifier, un certain nombre de données.
[87] L'expert de l'intimée a, quant à lui, manifestement fait porter son étude et analyse sur un nombre de données plus nombreuses et a, en outre, pris la peine d'objectiver les données disponibles.
[88] Comme cela arrive très souvent en cette matière, le travail exécuté par M. Louis-Georges Baril semble avoir été guidé et quelque peu façonné par la préoccupation de l'appelant; en effet, j'ai noté certaines failles qui discréditent la qualité du travail accompli par son expert. Je fais notamment référence aux aspects suivants :
Technique du Revenu
[89] M. Baril a attribué aux locaux locatifs de l'immeuble des valeurs tout à fait arbitraires :
Rez-de-chaussée 1500/mois 6,56 $ p.c. 18 000 $
Étages 900/mois 4,00 $ p.c. 10 000 $.
L'attribution de ces montants semble découler, tout au moins en apparence, du prix des loyers des divers baux les concernant. À cet égard, je crois utile d'indiquer que la considération pour le local à l'étage, à la fin du bail, était de 3,84 $ le pied carré et cela en décembre 1990.
[90] Pour ce qui est du loyer au rez-de-chaussée, il se situait quelque part entre 5,00 $ le pied carré et 8,59 $. Il eût fallu, pour avoir une indication valable, soustraire la valeur locative de l'équipement, compris dans le montant du loyer, pour ce qui est du local au rez-de-chaussée.
[91] Outre cette faiblesse d'avoir attribué une valeur arbitraire aux loyers alors qu'il y avait des données disponibles d'une grande qualité, M. Baril, dans ses calculs, prévoit un montant de 5 000 $ à la rubrique “ENTRETIEN ET RÉSERVES POUR REMPLACEMENT”.
[92] Un tel montant n'est absolument pas raisonnable ou réaliste puisque tous les locataires d'immeubles doivent entretenir les lieux qu'ils louent. La seule réserve qui soit acceptable est un montant qui compense pour la dépréciation ou vétusté, qui est très loin du 20 % attribué par l'expert de l'appelant.
[93] Ces deux lacunes majeures ont pour effet de disqualifier la conclusion émanant de l'approche dite du revenu en vertu de laquelle il a déterminé la valeur à 115 000 $.
Technique de Parité
[94] L'expert a soutenu que cette approche était la plus crédible, la plus fiable et la plus appropriée. Il a cependant reconnu qu'il y avait beaucoup d'arbitraire dans le choix des comparables. Il a aussi admis que la force probante de cette technique reposait sur la qualité des comparables.
[95] Or les trois comparables retenues font état d'immeubles de 86, 67 et 63 ans respectivement. Deux des trois immeubles étaient de trois étages et le troisième a été décrit comme un et deux étages. Les transactions ont eu lieu respectivement le 30 mars 1994, le 28 avril 1994 et le 20 juillet 1995.
[96] Je ne crois pas qu'il s'agisse de comparables objectivement acceptables puisque les différences sont telles que les ajustements nécessaires étaient de nature à fausser la qualité de cette technique.
[97] Ces trois comparables ont sans l'ombre d'un seul doute été retenues à cause de leur très bas prix de vente. Il est tout aussi intéressant de rappeler que M. Baril a admis n'avoir pas analysé les contrats de vente pour chacune de ces transactions, de manière à s'assurer de la non présence de faits ou conditions particulières.
Technique du Coût
[98] En vertu de la technique du coût, l'expert en arrive à la conclusion que l'immeuble valait 133 500 $. Cette conclusion est totalement déraisonnable en ce qu'elle sous-évalue la valeur du terrain, mais surtout en ce qu'elle impute une dépréciation de 75 % à l'immeuble soit 229 592 $; il s'agit là d'une évaluation qui ne correspond absolument pas avec la description de la page 5 de son expertise où il est indiqué que l'âge apparent correspond à l'âge réel de 24 ans.
[99] Je ne crois pas qu'un immeuble de 24 ans doive être déprécié de 75 %. Si tel était le cas, la preuve a été incomplète sur les données justifiant une telle moins-value.
Expertise de l'intimée
[100] Ayant déjà reconnu que l'expertise de l'intimée était plus appliquée, je crois qu'il ne faut cependant pas faire l'erreur de tirer des conclusions hâtives du seul fait que la présentation soit plus volumineuse tout en y regroupant plusieurs documents et références.
[101] Pour ce qui est de la méthode du coût de remplacement déprécié, je suis d'avis que le cheminement suivi par M. Alain Lortie correspond plus raisonnablement à la réalité; n'ayant rien remarqué qui soit de nature à discréditer la qualité de cette approche, je retiens donc sa conclusion à l'effet que la valeur de l'immeuble suivant la technique du coût de remplacement était de 200 000 $.
[102] Pour ce qui est de la méthode dite technique du revenu, mieux présentée et enrobée que ne l'a fait l'expert de l'intimée, son utilisation a toutefois une grande faiblesse.
[103] M. Lortie a analysé plusieurs comparables et a fait l'étude des baux portants sur l'immeuble, ce qui l'honore. Je crois néanmoins qu'il a accordé une trop grande importance aux comparables répertoriées par rapport à la réalité des baux constituant de véritables données objectives dont la qualité n'était pas discutable.
[104] Il s'agissait là de données réelles dont la valeur était hautement pertinente en ce qu'il s'agissait de montants de loyer réellement payés entre des personnes n'ayant aucun lien entre elles. Il y avait donc lieu de constater que le montant des loyers avait été fixé sans contrainte de quelque nature que ce soit et guidé essentiellement par la qualité des lieux, tant au niveau de leur superficie que de leur état et surtout de leur localisation.
[105] L'expert de l'intimée a toutefois le mérite de les avoir examinés et analysés. Là où le Tribunal diverge d'opinion avec l'expert Lortie est au niveau de la valeur du pied carré attribuée aux deux surfaces locatives.
[106] M. Lortie évalue le potentiel des deux logements comme suit :
2600 p.c. x 9,00 $ = 23 490 $
2610 p.c. x 5,00 $ = 13 050 $
Grand total 36 540 $
[107] Pour arriver à ces coûts unitaires, l'expert explique ses calculs comme suit :
Le sujet à l'étude n'était pas loué au r.d.c. au moment de la transaction. En tenant compte de son potentiel et de sa localisation par rapport aux autres loyers, nous sommes d'opinion de lui attribuer un loyer unitaire de 9,00 $ le pied carré. Il s'agit du loyer minimum constaté sur le marché. Les services fournis à même ce loyer seront les taxes foncières, l'entretien structural, ... et l'administration.
Le logement à l'étage était vacant lui aussi au moment de la transaction. Le dernier bail signé nous indiquait un loyer au taux de 6,07 $ le pied carré. Les loyers que nous avons relevés et situés aux étages nous démontrent une grande variabilité étant donné les caractères différents tels que les superficies, services fournis, etc.
En jumelant les baux reliés à la même bâtisse (6 et 9), on se rend compte que le loyer à l'étage correspond à environ 60 % de celui du r.d.c. (14,49 $ vs 8,51 $). En appliquant cette norme au sujet à l'étude et ce à partir du loyer de 9,00 $, nous obtenons un loyer de 5,40 $ le pied carré que nous arrondirons à 5,00 $ pour les fins des présentes. Encore là il s'agit d'un taux plancher par rapport au marché.
[108] Or le bail du logement à l'étage, qui avait pris fin le 31 décembre 1990, prévoyait un coût unitaire de 3,84 $ le pied carré à la fin du bail. Les augmentations entre l'année 1 et l'année 5 du bail ont été en moyenne de 0,15 $ le pied carré.
[109] En extrapolant, on en arrive à un coût de plus ou moins 4,30 $ le pied carré pour l'année 1993.
[110] Quant au loyer du rez-de-chaussée, les chiffres sont plus contemporains puisque le bail avait pris fin quelques mois avant la transaction soit en mars de la même année 1993.
[111] Le locataire principal a sous-loué les lieux dont il était responsable pour une considération beaucoup supérieure à celle prévue au bail original. Dans un premier temps, l'expert détermine le taux unitaire en vertu du bail pour les années 4 et 5 de la location; il arrive à un loyer de 14 088 $ ou 5,40 $ le pied carré et de 14 352 $ ou 5,50 $ le pied carré pour les deux dernières années en cause. Il complète son analyse par l'évaluation découlant du bail de la sous-location pour en arriver à un taux unitaire de 22 430 $ (8,59 $ du pied carré). De là, il majore le prix à 9,00 $ le pied carré.
[112] Or, je ne crois pas que ce chiffre de 8,59 $ et encore moins de 9,00 $ soit fiable; comme la considération prévue au bail incluait tout l'équipement laissé sur place par le sous-locataire, cela fausse la conclusion retenue.
[113] Comment faire pour déterminer la valeur réelle du loyer pour le logement du rez-de-chaussée? Je ne crois pas que les comparables utilisées pas l'intimée permettaient de déterminer une telle valeur; les comparables en matière de loyer sont beaucoup moins fiables que celles portant sur le transfert de la propriété. De plus, les composantes du prix d'un loyer sont généralement plus nombreuses et plus particulières que celles à l'origine de la détermination du prix d'un immeuble.
[114] En effet, la qualité des lieux, l'accessibilité, la localisation, la surface, la rareté, l'achalandage, la facilité de stationnement etc... sont autant de facteurs qui déterminent la valeur d'un loyer, d'où l'importance pour les experts d'élaborer à partir des baux réels de l'immeuble, quand cela s'avère possible.
[115] À cet égard, je crois utile de citer un extrait du jugement de l'honorable juge Pierre Dussault, de cette Cour, dans l'affaire Les Immeubles Chal Inc. et Sa Majesté la Reine 96-1172(IT)G, 20 juillet 1998 où il s'exprimait à la page 13 comme suit :
[42] Il n'y a aucune ambiguïté concernant le loyer réel négocié et payé pour les deux premiers locaux. Puisqu'il s'agit de loyers convenus entre parties sans aucun lien de dépendance et en l'absence de preuve que les baux conclus comportent un élément artificiel ou anormal, ces loyers doivent à mon avis constituer la base de l'évaluation utilisant la technique du revenu capitalisé. (Sur cette question, on peut se référer à l'ouvrage de Jean-Guy Desjardins, Traité de l'Évaluation Foncière, Montréal, Wilson et Lafleur, 1992, page 281, no. 9.4.2.1). Dans les circonstance, il m'apparaît évident que le revenu réel constitue une unité de mesure plus adéquate pour déterminer la valeur de l'immeuble de l'appelante qu'un revenu potentiel théorique basé sur des approximations établies à partir d'une moyenne ou médiane de revenu fondées sur des données dites comparables mais qui s'avèrent souvent contestables comme c'est le cas ici.
[116] Eu égard aux montants payés par les locataires pour l'occupation des lieux de l'immeuble litigieux, je suis d'avis que l'expert de l'intimée a surévalué les montants de référence qu'il a respectivement déterminés à 5 00 $ et 9 00 $ le pied carré.
[117] D'ailleurs la méthode retenue pour en arriver à ces évaluations est discutable. À la lumière des indications objectives fournies par les baux réels, je crois que des montants respectifs de 4,25 $ et 7,65 $ le pied carré auraient été plus réalistes et surtout plus conformes.
[118] D'autre part, j'ai constaté que les experts avaient prévu un taux de rendement sur l'investissement fort différent. L'appelant a fait ses calculs à partir d'un rendement prévu de 8 % alors que l'intimée a indiqué un taux de 12 %. Le raisonnable se situe probablement entre les 2 et je le fixe à 10 %.
[119] J'ai donc refait les calculs au moyen de ces nouvelles données, en utilisant tous les autres facteurs et éléments de l'expert de l'intimée; le résultat obtenu se chiffre à 176 500 $ en vertu de l'approche dite de revenus, ce qui m'apparaît réaliste.
[120] Souscrivant à l'approche qui veut que l'évaluation d'un immeuble soit le résultat de la moyenne des techniques utilisables, je fixe la valeur de l'immeuble à 188 000 $, lequel montant découle de l'opération suivante :
Valeur établie en vertu du coût de remplacement 200 000 $
Plus - Valeur technique du revenu 176 500 $
Total = 376 500 $
Divisé par 50 % = 188 250 $
Montant arrondi = 188 000 $
[121] Il s'agit là d'une évaluation réaliste qui correspond d'ailleurs à un énoncé exprimé à quelques reprises par l'expert de l'appelant lui-même à savoir que les institutions financières prêtent généralement 60 % de la valeur d'un immeuble commercial. D'ailleurs, M. Baril reprend ce même pourcentage de 60 % dans ses calculs visant à établir la valeur suivant la technique des revenus.
[122] À cet égard, il m'apparaît important de rappeler que la Caisse Populaire a fait un prêt hypothécaire au montant de 100 000 $ sur l'immeuble en question.
[123] Le Tribunal décide donc que Jacques Lafond avait un lien de dépendance avec l'appelant, Jean-Yves Descormiers au moment de la transaction intervenue le 27 mai 1993 portant sur un immeuble situé au 200, rue St-Georges à Trois-Rivières; le Tribunal fixe également la valeur marchande dudit immeuble à 188 000 $ au moment de son transfert le 27 mai 1993.
[124] En conséquence de ce qui précède, l'appel est admis et la cotisation déférée au ministre du Revenu national pour un nouvel examen et nouvelle cotisation sur la base qu'il existait un lien de dépendance entre Jean-Yves Descormiers et Jacques Lafond lors de la vente de l'immeuble ayant une valeur de 188 000 $. Étant donné que la décision a des conséquences marginales sur le bien-fondé de la cotisation, maintenue en grande partie, le Tribunal accorde les dépens en faveur de l'intimée.
Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de janvier 1999.
“Alain Tardif”
J.C.C.I.