Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990226

Dossiers : 96-1489-IT-G; 96-1491-IT-G; 96-1484-IT-G; 96-1486-IT-G; 96-1487-IT-G; 96-1488-IT-G; 96-1483-IT-G; 96-1490-IT-G; 96-1492-IT-G; 96-1474-IT-G; 96-1875-IT-G; 96-1878-IT-G; 96-1879-IT-G; 96-1868-IT-G; 96-1877-IT-G; 96-1871-IT-G; 96-2281-IT-G; 96-1870-IT-G; 97-2477-IT-G; 96-1425-IT-G; 96-1880-IT-G; 96-2282-IT-G; 96-2284-IT-G; 96-2279-IT-G; 95-2718-IT-G; 96-1881-IT-G; 95-2722-IT-G

ENTRE :

MICHAEL ALEMU (96-1489-IT-G), CARMEN CHEVALIER (96-1491-IT-G), WILFRED EAGLESON (96-1484-IT-G), LANCELOT LEACH (96-1486-IT-G), MURRAY MacKENZIE (96-1487-IT-G), HERBERT ROBBINS (96-1488-IT-G), MARY ROBERTS (96-1483-IT-G), DOUGLAS SEWELL (96-1490-IT-G), GARY WEBER (96-1492-IT-G), MICHAEL CONDRAN (96-1474-IT-G), NOEL A. CHURCHMAN (96-1875-IT-G), SHARON DAM (96-1878-IT-G), ROBERT B. GRIMES (96-1879-IT-G), KATHERINE S. LOVEYS (96-1868-IT-G), ED SIDER (96-1877-IT-G), LEE MITCHELL (96-1871-IT-G), M. WAYNE MICHALSKI (96-2281-IT-G), DONOVAN E. JANZEN (96-1870-IT-G), (97-2477-IT-G), ARTHUR H. RASMUSSON (96-1425-IT-G), LE RÉVÉREND J. ALLAN SHANTZ (96-1880-IT-G), MARTHA MARR (96-2282-IT-G), IRENE MOORE (96-2284-IT-G), ELISABETH NOWAK (96-2279-IT-G), ANITA STEIGINGA (95-2718-IT-G), (96-1881-IT-G) et BARRY CRAWFORD (95-2722-IT-G),

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Le groupe de causes en question en l'espèce fait partie d'une série de causes qui ont été entendues au printemps, à l'été et à l'automne de 1998 et qui portent sur des déductions faites en vertu de l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La principale question en litige en l'espèce est de savoir si l'organisme Christian Horizons est un “ ordre religieux ” au sens de la disposition en question et, dans l'affirmative, si les appelants en sont membres.

[2] Dans le cas du Révérend Churchman et du Révérend Shantz, se pose également la question de savoir s'ils ont la charge d'une congrégation — étant admis qu'ils sont des membres du clergé. En ce qui concerne le Révérend Churchman, il est admis également qu'il s'occupe à plein temps du service administratif. Par conséquent, s'il est déterminé qu'il a été nommé par un ordre religieux pour assurer ce service, il n'est pas nécessaire de se pencher sur la question de savoir s'il a la charge d'une congrégation.

[3] Parmi le reste des appelants, il est admis que Murray MacKenzie, Donovan E. Janzen et Ed Sider s'occupaient exclusivement et à plein temps du service administratif. Les fonctions des autres appelants restent en cause, bien qu'il soit admis que [TRADUCTION] “ chaque appelant travaillant pour Christian Horizons devait notamment assumer des fonctions de nature administrative; il n'est pas admis cependant qu'ils exécutaient exclusivement des tâches administratives ”.

[4] Je me pencherai d'abord sur la question commune à tous les appels, celle de savoir si Christian Horizons est un ordre religieux.

[5] Christian Horizons a été constituée en personne morale en 1965 sous le nom de Ontario Christian Association for Exceptional Children comme société à but non lucratif sans capital-actions, sous le régime de la Corporations Act de l'Ontario; pendant toutes les périodes pertinentes, elle était un organisme de bienfaisance enregistré en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle a par la suite adopté le nom de Christian Horizons. Les objets de la société sont les suivants :

[TRADUCTION]

recueillir et fournir des renseignements permettant de comprendre et d'aider l'enfant en difficulté; aider l'enfant en difficulté à trouver une place satisfaisante et utile dans la société; favoriser le bien-être physique, social, intellectuel et spirituel de l'enfant en difficulté; constituer une association chrétienne pour les parents et ceux et celles qui s'intéressent au bien-être de l'enfant en difficulté; encourager et aider les églises intéressées à mettre sur pied un programme spécial d'éducation chrétienne pour l'enfant en difficulté; promouvoir la création d'un programme d'établissements adaptés — cliniques, camps, écoles, refuges et foyers — aux fins de favoriser l'épanouissement de l'enfant en difficulté et de préparer ce dernier à mener une vie heureuse, fructueuse et utile;

sous réserve de la The Charitable Gifts Act et de la Mortmain and Charitable Uses Act, recueillir des souscriptions et des dons afin d'accomplir le travail de la société.

[6] Dans ces lettres patentes, l'“ enfant en difficulté ” s'entend de l'enfant handicapé mentalement ou, pour reprendre un terme moins offensant et plus acceptable aujourd'hui utilisé par nombre des témoins, de l'enfant ayant un retard de développement.

[7] Christian Horizons se décrit comme [TRADUCTION] “ un ministère évangélique non confessionnel au service de ceux et celles qui ont des besoins particuliers ”. Par “ non confessionnel ”, on entend un organisme qui n'est affilié à aucune confession, par opposition à l'organisme “ multiconfessionnel ”, qui est affilié à un certain nombre de confessions.

[8] L'énoncé de mission de Christian Horizons, qui figure dans la brochure intitulée [TRADUCTION] “ Qu'est-ce que Christian Horizons? ”, est le suivant :

[TRADUCTION]

ÉNONCÉ DE MISSION

En tant que chrétiens souscrivant à l'énoncé doctrinal de Christian Horizons, nous nous efforçons d'atteindre nos objectifs, tels qu'ils ont été énoncés lors de la constitution en société :

En mobilisant la communauté chrétienne évangélique afin de répondre aux besoins des personnes qui, en raison de leur développement unique, nécessitent un soutien et des soins exceptionnels.

En satisfaisant aux besoins des personnes (dont la communauté ne s'occupe pas ou qui sont adressées par les établissements centralisés) qui demandent notre aide d'elles-mêmes ou par l'intermédiaire d'un représentant.

En offrant aux personnes handicapées mentalement des services et des soins d'une manière qui honore Jésus-Christ en témoignant de Son secours et de Son intégrité.

[9] Ses objectifs seraient les suivants :

[TRADUCTION]

OBJECTIFS

Constituer une association chrétienne pour les parents et ceux et celles qui s'intéressent au développement et au bien-être des personnes en difficulté.

Recueillir et fournir des renseignements pertinents permettant d'aider les personnes handicapées mentalement.

Aider les gens à trouver une place satisfaisante et utile dans la société.

Favoriser l'épanouissement physique, social, mental et spirituel de tous.

Aider les églises à élaborer des programmes éducatifs spéciaux.

Mettre sur pied des programmes dans des établissements spécialisés, des foyers de groupe, des camps et des écoles pour aider chaque personne à mener une vie utile heureuse.

[10] La brochure invite également les parents, les particuliers et les églises à devenir membres de Christian Horizons en remplissant une demande d'adhésion et en payant des frais d'adhésion.

[11] Les personnes qui souhaitent devenir membres doivent souscrire à l'énoncé doctrinal suivant :

[TRADUCTION]

ÉNONCÉ DOCTRINAL

En tant que chrétiens croyant en Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, nous souhaitons promouvoir les objectifs de Christian Horizons dans un véritable esprit d'Amour et de compassion soucieux des besoins de ceux et celles que nous nous efforcerons de servir, dans la gloire de Dieu. Les membres de Christian Horizons souscrivent à l'énoncé doctrinal suivant :

Les Saintes Écritures originellement remises par Dieu sont d'inspiration divine, infaillibles et totalement dignes de foi et constituent l'unique autorité suprême sur toute question de foi et de conduite.

Un Dieu éternel dans trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Notre Seigneur Jésus-Christ, Dieu fait chair — Sa naissance sans souillure, Sa vie terrestre pure, la résurrection de Son corps, Ses miracles divins, Son ascension, Sa médiation et Son retour au pouvoir et à la gloire.

Le salut de l'homme égaré et pécheur par Notre Seigneur Jésus-Christ qui a répandu son sang pour lui et sa régénération par le Saint-Esprit par la foi, sans les oeuvres.

Le Saint-Esprit par la grâce duquel le croyant peut mener une vie sainte et ainsi rendre témoignage au Seigneur Jésus-Christ et réaliser Ses oeuvres.

La résurrection du pécheur délivré et du pécheur égaré; délivré dans la résurrection de la vie et égaré dans la résurrection de la damnation.

L'unité d'esprit de tous les vrais croyants, l'Église, le Corps du Christ.

[12] Je mentionne ces membres “ collectifs ”, qui sont au nombre de 850 environ, parce que la question de savoir qui est membre de Christian Horizons se pose. Les appelants soutiennent qu'en tant qu'employés de Christian Horizons ils sont “ membres ” d'un ordre religieux au sens de l'alinéa 8(1)c). Aucun des membres collectifs ne demande la déduction sous le régime de l'alinéa 8(1)c) en tant que membre d'un ordre religieux, à savoir Christian Horizons. La question sera traitée plus loin.

[13] À l'heure actuelle, Christian Horizons exploite à travers la province d'Ontario environ 115 foyers de groupe (“ foyers de Horizons ”) où l'on répond aux besoins de 850 adultes et enfants environ ayant un retard de développement. L'organisme offre également soutien et assistance aux personnes pouvant vivre de façon autonome dans un appartement avec l'aide de personnel auxiliaire. Il fournit également des services professionnels en matière d'habitation et exploite un camp d'été dans le sud de l'Ontario pour les enfants ayant un retard de développement.

[14] L'exploitation des foyers de Horizons paraît être l'aspect le plus important des activités de l'organisme. Son budget actuel s'élève à environ 36 000 000 $, dont 1 000 000 $ proviennent des dons et des frais d'adhésion versés par les particuliers, les églises et les organismes qui appuient Christian Horizons et le reste, du ministère des Services sociaux et communautaires de l'Ontario. Dans certains cas, des frais sont déduits de l'allocation familiale versée à la famille du particulier.

[15] Christian Horizons compte environ 1 500 employés, dont la plupart dispensent des soins et ne s'occupent pas des services administratifs.

[16] Tous les membres du personnel doivent souscrire à l'énoncé doctrinal reproduit ci-dessus. En outre, dans le cadre du contrat de travail signé par Christian Horizons, en tant qu'employeur, et l'employé, ce dernier doit accepter d'adhérer aux principes moraux et religieux ainsi qu'aux principes de vie suivants :

[TRADUCTION]

ANNEXE D

DU CONTRAT DE TRAVAIL DE

CHRISTIAN HORIZONS

PRINCIPES DE VIE ET DE MORALITÉ À RESPECTER

Les membres du personnel doivent respecter les politiques de Christian Horizons en ce qui a trait à leur conduite, faire leur l'engagement chrétien des membres et être un modèle positif pour les personnes que nous servons. Chaque membre du personnel se doit de prêcher par l'exemple; par conséquent, il ne doit pas consommer de tabac ou de boisson alcoolisée, ni paraître en cautionner la consommation, devant nos clients. De plus, cette conduite est vivement déconseillée aux membres du personnel pour des raisons de santé et de bien-être. De même, nous considérons que la vie est sacrée et que le modèle familial sanctionné par Jésus est un modèle fondamental.

Si elle ne limite pas les exemples de conduites inacceptables jugées contraires aux enseignements de Jésus et de Ses fidèles tels qu'ils sont rapportés dans le Nouveau Testament, Christian Horizons réprouve les conduites suivantes :

les relations sexuelles extra conjugales (adultère);

les relations sexuelles prénuptiales (fornication);

la lecture ou la visualisation de documents pornographiques;

les relations homosexuelles;

le vol, la fraude;

les agressions physiques;

les comportements abusifs;

les agressions sexuelles et le harcèlement sexuel;

le mensonge et la tromperie;

l'utilisation de drogues illicites

parce qu'elles sont incompatibles avec les normes, les valeurs et les idéaux chrétiens qui sous-tendent les services de counselling.

[17] On peut faire remarquer qu'il s'agit en grande partie (mais pas totalement) de préceptes auxquels souscriraient des personnes de diverses convictions religieuses (et, en fait, nombre de personnes n'ayant aucune conviction religieuse). Croire en une vie vertueuse, exemplaire et même puritaine et vivre sa vie de cette façon n'est pas l'apanage des chrétiens évangéliques. Ce qui est inhabituel, c'est que la promesse de respecter de telles normes et la signature d'un énoncé doctrinal évangélique fassent partie d'un contrat de travail.

[18] Les employés de Christian Horizons sont libres de quitter leur emploi et ils peuvent être congédiés si leur travail, leur style de vie ou leur conduite ne conviennent pas.

[19] L'échelle salariale pour les employés de Christian Horizons tient compte de l'expérience, des responsabilités et de l'ancienneté des employés. Elle a été établie en comparaison avec l'échelle salariale d'organismes laïcs semblables effectuant le même type de travail. Aux plus bas échelons de rémunération, l'échelle se compare à peu près à celle d'autres organismes semblables. Aux plus hauts niveaux administratifs, les salaires sont moindres que ceux qui sont versés pour un emploi semblable dans des organismes laïcs semblables, l'écart pouvant atteindre 30 p. 100 dans certains cas. On a fait valoir qu'en versant au personnel des salaires moins élevés, l'organisme avait plus d'argent à consacrer aux personnes handicapées et pouvait peut-être aider un plus grand nombre de personnes.

[20] À l'évidence, l'organisme tout entier est imprégné de la doctrine chrétienne évangélique. Que Christian Horizons soit ou non un “ ordre ”, il est sans conteste un organisme religieux. Entre autre exemple, qui s'ajoute aux passages cités précédemment, il y a la lettre de bienvenue adressée par le directeur exécutif Noel A. Churchman aux nouveaux employés et qui est reproduite ci-dessous :

[TRADUCTION]

Bienvenue chez Christian Horizons! J'espère que vous serez animé par le souffle du Saint-Esprit pour faire fructifier les talents que Dieu vous a confiés.

Christian Horizons est un regroupement de chrétiens qui vénèrent Dieu en vivant et en travaillant de manière à glorifier Son nom. Nous avons tous déclaré que nous acceptions les écritures comme étant l'autorité suprême pour toute question concernant notre foi et notre conduite personnelle, et que notre unique chance de salut réside en Jésus-Christ.

Avant toute chose, je tiens à donner quelques précisions importantes :

Les voies de Dieu sont innombrables. Il doit parfois exécuter son oeuvre de perfection dans l'adversité (Jacques 1). Puisse Dieu nous accorder l'ouverture d'esprit nécessaire pour bien réagir dans les situations stressantes et pour comprendre les défis que doivent relever nos collègues et les personnes que nous servons.

Travailler pour Christian Horizons ne signifie pas fuir ses problèmes. Étonnamment, il s'agit souvent juste d'une autre étape du cheminement d'un disciple du Christ, lequel nous a dit que nous pourrions être appelés à porter une croix. (Une croix est toujours injuste.)

Il est impératif que nous assistions tous au culte dans une église locale avec le peuple de Dieu. Vous et moi aurons besoin d'enseignement, d'accompagnement et d'encouragement pour demeurer efficaces. Si nous ne nous portons pas bien spirituellement, notre travail devient une corvée et le pouvoir de Dieu de transformer la vie ne se manifeste pas, aussi juste que soit notre méthodologie.

Nous faisons oeuvre utile ensemble quels que soient nos antécédents, notre niveau de maturité spirituelle, et les défis personnels que nous devons relever dans notre vie familiale. Puisse Dieu nous accorder la grâce d'être sensibles aux besoins d'autrui de façon que nous puissions nous soutenir les uns les autres sans espérer aboutir à des reproductions fidèles de nous-mêmes, que ce soit avec nos collègues ou avec les gens que nous sommes appelés à servir.

Ensemble au Service de Dieu

Le Directeur exécutif,

Noel Churchman

[21] J'en viens maintenant à la première question, qui est la suivante : est-ce que Christian Horizons est un “ ordre ”? Avant de tenter de répondre à cette question, il faut d'abord déterminer quel est l'organisme qui prétend être un ordre. Christian Horizons, l'entité juridique, est une société, et c'est cette société qui emploie les personnes qui soutiennent être membres d'un ordre. Je ne crois pas que la société, en soi, puisse être un ordre. Un ordre, peu importe ce qu'il peut être par ailleurs, est un organisme ou un groupe de personnes ayant certaines caractéristiques. La société établit la structure ou le cadre dans lequel l'“ ordre ”, si c'est ce dont il s'agit, fonctionne. L'ordre est le groupe de personnes qui partagent ces caractéristiques et objectifs. Christian Horizons est également le nom que l'on donne à juste titre à ce groupe.

[22] La deuxième étape de l'analyse est la suivante : les employés qui prétendent être membres d'un ordre sont en fait liés à la société par des contrats de travail. Cela est-il incompatible :

avec le fait qu'ils sont des membres de la collectivité, qui est distincte de la société;

avec le fait que cette collectivité est un ordre?

[23] Je ne vois aucune incompatibilité. Il n'existe aucune raison en principe pour qu'une personne appartenant à une collectivité de personnes partageant les mêmes croyances, normes et objectifs ne puisse en même temps détenir une charge ou un emploi dans la société dans laquelle la collectivité fonctionne. En effet, l'alinéa 8(1)c) repose sur le fait que les membres d'un ordre occupent une charge ou un emploi dont ils tirent un revenu.

[24] Il reste donc seulement la question de savoir si Christian Horizons, en tant que collectivité, est un ordre. Dans les affaires McGorman et Miller, j'ai énuméré un certain nombre de caractéristiques qui, à mon avis, indiquent l'existence d'un ordre religieux. Je ne visais pas à en faire des critères rigides, mais ils étaient à mon avis compatibles avec la preuve que j'ai entendue et avec les divers documents et dictionnaires religieux auxquels on m'a reporté. Il n'est pas nécessaire à mon avis que l'on prononce des voeux de pauvreté perpétuelle, de chasteté et d'obéissance, comme on le fait dans un grand nombre d'ordres catholiques romains bien connus comme la Société de Jésus ou l'ordre des Franciscains. On a fait valoir que, si un membre devait, pour appartenir à un ordre religieux, prononcer des voeux de pauvreté perpétuelle (ce qui implique l'obligation pour le membre de remettre son revenu à l'ordre), l'alinéa 8(1)c) ne s'appliquerait pas à ce membre car un montant égal à ce revenu (au sens du paragraphe 6(3)) serait de toute façon déductible en vertu du paragraphe 110(2). Dans le groupe de causes de Koop et al., les avocats de toutes les parties ont fait valoir de nombreux arguments sur ce point, en particulier sur le rapport entre l'alinéa 8 (1)c) et le paragraphe 110(2). Il est inutile, pour trancher les appels en l'instance, de traiter en profondeur de l'interaction de ces deux dispositions et de la façon, le cas échéant, dont une disposition peut influer sur l'interprétation de l'autre. Il y a lieu de faire remarquer cependant que si, comme l'intimée le soutient, l'expression “ ordre religieux ” à l'alinéa 8(1)c) renfermait implicitement la notion de voeux de pauvreté perpétuelle, les termes “ a, à ce titre, prononcé des voeux de pauvreté perpétuelle ” au paragraphe 110(2) seraient superflus. Puisque l'on doit présumer que le législateur n'a pas voulu faire une tautologie (Hill v. William Hill (Park Lane) Ltd., [1949] A.C. 530, aux pages 546 et 547 (C.L.); Driedger on the Construction of Statutes, 3e édition (Sullivan) 159-160), on doit certainement inférer de la présence des termes additionnels au paragraphe 110(2) et de leur absence à l'alinéa 8(1)c) qu'ils ne devraient pas être ajoutés, par voie d'interprétation, à l'alinéa 8(1)c), et que les termes “ ordre religieux ” en eux-mêmes ne supposent ni ne requièrent de voeux de pauvreté perpétuelle. Je ne mentionne cela qu'à titre accessoire. J'ai tiré la conclusion selon laquelle de tels voeux ne sont pas essentiels pour que l'on soit en présence d'un ordre religieux sans tenir compte du paragraphe 110(2), et j'ai traité de cette disposition uniquement parce que les avocats des appelants et ceux de l'intimée ont fait porter leurs arguments sur ce point.

[25] Les caractéristiques d'un ordre religieux, que j'ai énoncées dans l'affaire McGorman et Miller sont les suivantes :

[46] Je n'entends pas que ces critères soient inflexibles, mais je pense que les caractéristiques qui suivent indiquent l'existence d'un ordre religieux au sens de l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu :

L'organisation doit avoir un but principalement religieux. Je n'entends pas par là que, dans le contexte général de ce but religieux, elle ne peut avoir d'autres objets comme l'éducation, la lutte contre la pauvreté ou la lutte contre les maux de la société et la souffrance dans le monde. De fait, exclure des organisations religieuses de la définition d'“ ordre religieux ” pour le motif qu'elles avaient des objets qui allaient au-delà du simple fait de prêcher l'Évangile, de prier et de méditer et qui englobaient des oeuvres bénéfiques à l'humanité comme le fait de diriger des hôpitaux ou d'aider les pauvres et les sans-abri est historiquement incorrect, est erroné du point de vue des Écritures, du moins dans le contexte d'ordres religieux chrétiens (voir Jacques 2, 20-26), et est concrètement déraisonnable et irréalisable. La propagation de l'Évangile s'est traditionnellement faite par l'exemple, par les bonnes oeuvres et par les activités consistant à répondre aux besoins des gens et non pas simplement à prêcher.

2) Les membres doivent accepter d'adhérer et effectivement adhérer à un strict régime moral et spirituel d'abnégation ainsi que de dévouement à l'égard des objectifs de l'organisation, au détriment de leur propre bien-être matériel.

3) L'engagement des membres doit être un engagement à plein temps et à long terme. Dans certains cas, il peut s'agir d'un engagement à vie, mais cela n'est pas essentiel. Il importe que ce ne soit pas un engagement à court terme, temporaire ou à temps partiel.

4) Sur le plan spirituel et moral, la discipline et le régime régissant la vie des membres doivent être notablement plus stricts que ce à quoi on s'attend des membres laïques de l'Église.

5) L'admission à l'ordre doit être conforme à de strictes normes d'aptitudes spirituelles et personnelles.

6) Il doit y avoir de façon générale un sens de la communauté.

[26] L'organisme Christian Horizons répond-il à ces critères? À mon avis, oui, bien qu'il existe certaines différences entre lui et SIM ou le Canadian Baptist Overseas Mission Board. L'une d'elles est l'échelle salariale structurée des employés de Christian Horizons. Leur rémunération, en particulier celle des dirigeants, est beaucoup moins élevée que celle versée à leurs homologues qui s'occupent depuis plusieurs années de personnes handicapées mentalement dans des établissements laïcs. Dans le cas des ordres religieux comme le CBOMB et SIM, aucune distinction de la sorte n'existe sur le plan des salaires. Peu importe leurs compétences, leurs responsabilités ou leur ancienneté, les employés sont payés juste assez pour satisfaire à leurs besoins élémentaires.

[27] Une autre différence tient au fait que les foyers pour personnes handicapées exploités par Christian Horizons sont dans une large mesure subventionnés par le gouvernement de l'Ontario. Je ne crois pas que cet élément soit déterminant. Les ordres religieux catholiques romains qui dirigent des hôpitaux et des écoles reçoivent des fonds du gouvernement sans que, pour cette seule raison, ils cessent d'être des ordres religieux.

[28] En outre, le ministère des Services sociaux et communautaires de l'Ontario effectue des vérifications de l'administration des foyers exploités par Christian Horizons et il établit les lignes directrices et les normes à respecter. Cela est indéniablement le cas également des hôpitaux exploités par d'autres ordres religieux.

[29] La réponse à la question de savoir si un organisme est un ordre religieux dépend de tous les faits. Aucun facteur ne l'emporte, et il faut accorder à chacun le poids qu'il convient dans le contexte de l'ensemble de la preuve. À mon avis, il a été satisfait aux six critères que j'ai énoncés précédemment. Bien que j'aie énuméré un certain nombre de facteurs qui distinguent Christian Horizons des organismes qui sont de façon plus évidente des ordres religieux, comme le CBOMB et SIM, je ne crois pas que ces facteurs soient suffisants pour exclure Christian Horizons de la catégorie des ordres religieux. Ce ne sont pas des facteurs qui se rapportent à l'essence de ce qu'est un ordre religieux.

[30] S'il persistait un doute à cet égard, j'appliquerais la pratique administrative qui consiste à faire pencher la balance en faveur des appelants, compte tenu de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Harel c. Sous-ministre du Revenu (Québec), [1978] 1 R.C.S. 851, à la page 859, cité dans les affaires McGorman et Miller. Depuis 1986 et au cours de toutes les années en question, le ministère du Revenu national a inscrit Christian Horizons dans la liste des ordres religieux. Il ne s'agissait pas d'une conclusion tirée par inadvertance. Je ne reproduirai pas la correspondance qu'ont échangée sur cette question M. Churchman et M. Brooks, un haut fonctionnaire du ministère du Revenu national et une personne très intelligente qui s'exprime avec aisance, dans laquelle M. Brooks a convenu que Christian Horizons était un ordre religieux. L'échange épistolaire montre avec quelle rigueur cette décision a été prise.

[31] Je n'entends pas commenter en détail l'argument bien étoffé que l'avocat des appelants a fait valoir, soit que le ministère du Revenu national avait convenu avec le Révérend Churchman que Christian Horizons était un ordre religieux et que les membres de Christian Horizons s'étaient fiés à cette entente à leur détriment. L'existence d'une entente sur laquelle les membres de Christian Horizons se sont fiés est indéniable, et dans l'affaire Consoltex v. The Queen, 97 DTC 724, la cour a fait des remarques sur la situation peu souhaitable qu'entraîne la décision du ministère de désavouer une entente. Il est cependant inutile de soulever de nouveau cette question troublante ou celle de la préclusion (“ estoppel ”) (voir Goldstein v. The Queen, 96 DTC 1029). Il suffit de dire que, à mon avis, la pratique administrative du ministère consistant à considérer Christian Horizons comme un ordre religieux est tout à fait correcte.

[32] Je conclus par conséquent que Christian Horizons est un ordre religieux au sens de l'alinéa 8(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[33] Ayant conclu que Christian Horizons est un ordre religieux au sens de l'alinéa 8(1)c), je me pencherai maintenant sur la thèse de chacun des appelants.

[34] Il est admis que le Révérend Noel A. Churchman s'occupe exclusivement et à plein temps du service administratif en tant que directeur exécutif de Christian Horizons. La même admission est faite relativement à Murray MacKenzie, directeur des finances, Donovan A. Janzen, directeur des ressources humaines et directeur des services administratifs, et Ed Sider, directeur des services du programme.

[35] Il est admis également que le Révérend Churchman et le Révérend J. Allan Shantz sont des membres du clergé.

[36] La question concernant le Révérend Churchman et les autres appelants est donc de savoir s'ils travaillent pour Christian Horizons du fait de leur nomination par un ordre religieux. Il découle de la conclusion que j'ai tirée précédemment que leur statut d'employés de Christian Horizons n'est pas incompatible avec le fait qu'ils soient des membres de cet ordre. Il semble évident qu'ils s'occupent du service administratif du fait de leur nomination par Christian Horizons.

[37] Je suis conscient de l'argument selon lequel, en théorie, les appelants concernés travaillent pour Christian Horizons, la personne morale, et que l'on pourrait donc faire valoir que la nomination est faite par la personne morale et non par la collectivité qui constitue l'ordre. De telles distinctions sont, pour reprendre les termes que le juge Dickson (tel était alors son titre) a utilisés dans l'arrêt Nowegijick v. The Queen, 83 DTC 5041, à la page 5045, dans un contexte différent, “ bien trop subtile[s] à mon goût ”.

[38] Il n'est donc pas nécessaire de se pencher sur l'argument subsidiaire selon lequel le Révérend Churchman avait la charge d'une congrégation.

[39] En ce qui concerne MM. MacKenzie, Janzen et Sider, je conclus qu'ils sont des membres d'un ordre religieux qui s'occupent exclusivement et à plein temps du service administratif du fait de leur nomination par cet ordre religieux.

[40] En ce qui concerne le Révérend Shantz, la question est de savoir s'il a la charge d'une congrégation. De façon générale, en tant que ministre pour Christian Horizons, il devait exercer son ministère auprès des familles des résidents des foyers de Christian Horizons, des membres du personnel de Christian Horizons, des résidants des foyers et des familles des résidants éventuels. Cela incluait les dévotions quotidiennes, des services de consultation spirituelle et des prières, l'organisation et la tenue d'offices lors des réunions de personnel et des retraites. Son ministère englobait une vaste gamme d'activités pastorales, la prédication, des services de consultation et la participation aux offices dominicaux. Je dois admettre que je ne comprends pas du tout sur quoi on peut bien se fonder pour affirmer que le Révérend Shantz, dont le rôle était en gros celui d'un aumônier auprès des résidents, du personnel et des familles de Christian Horizons, n'était pas ministre d'une congrégation. Le refus de la déduction faite en vertu de l'alinéa 8(1)c) n'est même pas compatible avec les pratiques administratives publiées et établies par le ministère lui-même. Il semble que le ministère du Revenu national a considéré que la décision rendue dans l'affaire McRae lui donnait carte blanche pour faire table rase de toutes ses politiques sensées établies de longue date et rejeter même les cas les plus évidents.

[41] Le groupe de causes en question en l'espèce incluait un certain nombre d'autres membres de Christian Horizons qui ont demandé une déduction en vertu de l'alinéa 8(1)c) pour le motif qu'ils s'occupaient exclusivement du service administratif du fait de leur nomination par un ordre religieux. Ils n'ont pas tous témoigné et un certain nombre d'entre eux ont quitté Christian Horizons.

[42] Michael Alemu, directeur de l'élaboration des programmes, a témoigné, et je conclus qu'il s'occupait exclusivement et à plein temps du service administratif.

[43] Robert B. Grimes et Douglas Sewell, deux gestionnaires, ont témoigné et décrit en des termes généraux leurs fonctions en tant qu'administrateurs. Je conclus qu'ils ont établi à première vue qu'ils s'occupaient exclusivement et à plein temps du service administratif. Cette preuve à première vue n'a pas été réfutée (voir Hickman Motors Limited v. The Queen, 97 DTC 5363, à la page 5376).

[44] Les membres suivants de Christian Horizons n'ont pas témoigné : Carmen Chevalier (gestionnaire régionale; Michael Condran (gestionnaire régional); Barry Crawford (gestionnaire régional); Sharon Dam (gestionnaire régionale); Wilfred Eagleson (gestionnaire régional); Lancelot Leach (gestionnaire régional); Katherine S. Loveys (directrice principale); Martha Marr (directrice principale); M. Wayne Michalski (contrôleur); Lee Mitchell (directeur des ministères — camps); Irene Moore (directrice principale); Elisabeth Nowak (directrice principale); Arthur H. Rasmusson (directeur principal); Herbert Robbins (gestionnaire de bureau); Mary Roberts (gestionnaire régionale); Anita Steiginga (gestionnaire régionale); Gary Weber (gestionnaire du centre des conférences).

[45] Trois des témoins ont décrit le travail des gestionnaires régionaux et des autres personnes qui n'ont pas témoigné. J'admets que leur travail était de nature administrative. Je reconnais qu'ils n'ont pas témoigné afin de ne pas faire durer davantage un procès déjà long et de ne pas en accroître le coût. L'avocat de l'intimée m'a invité à tirer une inférence défavorable de leur omission de témoigner. Je refuse de le faire. Je ne tirerai plutôt aucune inférence. De façon générale, on peut tirer une inférence défavorable de l'omission d'un témoin ou d'une partie de témoigner lorsque cette personne avait en sa possession une preuve qui aurait pu appuyer une certaine thèse, et l'on peut raisonnablement inférer que son omission de témoigner tient à un motif caché, par exemple, la possibilité qu'elle ait eu en sa possession des renseignements qui étaient préjudiciables à la thèse en question. Je ne vois aucune raison de tirer une telle inférence en l'espèce. Le travail des parties qui n'ont pas témoigné a été décrit par des témoins très crédibles — MM. Churchman, Alemu, Sewell, Grimes et Sider —, et leurs importantes fonctions de gestion à un niveau élevé de la hiérarchie sont énoncées dans leurs descriptions de fonctions détaillées. Il ne faut pas oublier que l'on semble avoir rejeté leurs déductions non pas parce qu'ils ne s'occupaient pas exclusivement et à plein temps du service administratif, mais parce que Christian Horizons n'était pas un ordre religieux. Il n'y a rien dans la preuve qui indique que, s'ils étaient des membres d'un ordre religieux et qu'ils avaient été nommés à leurs postes par cet ordre, ils ne s'occupaient pas de ce travail exclusivement et à plein temps. La preuve a établi à mon avis qu'ils occupaient leurs postes du fait de leur nomination par Christian Horizons.

[46] Je conclus par conséquent qu'ils étaient membres d'un ordre religieux, qu'ils ont été nommés à leur poste respectif par un ordre religieux et qu'ils s'occupaient exclusivement et à plein temps du service administratif.

[47] En conséquence, les appels de tous les membres de Christian Horizons qui sont des appelants dans le groupe de causes en l'espèce sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait qu'ils ont droit à la déduction prévue à l'alinéa 8(1)c) de la Loi.

[48] La question des dépens sera reportée dans les présentes affaires, comme ce fut le cas pour les autres groupes de causes, jusqu'à ce que j'aie reçu les observations des avocats de toutes les parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de février 1999.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de février 2000.

Benoît Charron, réviseur

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