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Date: 19980904

Dossier: 98-174-UI

ENTRE :

PAULA MacKINNON,

requérante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs de l’ordonnance

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] La Cour est saisie des requêtes de Mme Paula MacKinnon (la requérante) et du ministre du Revenu national (le ministre).

[2] La requérante sollicite notamment :

a) une ordonnance, fondée sur les articles 12 et 13 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et/ou l'article 27 des Règles de procédure de la Cour canadienne de l’impôt à l’égard de la Loi sur l’assurance-emploi (Règles de la Cour canadienne de l’impôt (A.-E.)), prorogeant le délai applicable au dépôt de l’avis d’appel;

b) une ordonnance exigeant que l’avis d’appel en date du 24 octobre 1997 déposé pour le compte de la requérante et/ou l’avis d’appel en date du 17 février 1998, déposé pour le compte de la requérante, soient considérés comme introduisant des appels valides aux fins du paragraphe 70(1.1) de la Loi sur l’assurance-chômage et/ou du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi.

[3] Le ministre sollicite :

a) une ordonnance rejetant l’appel de la requérante au motif qu’il a été déposé à la Cour canadienne de l’impôt au-delà de la période de 90 jours précisée à l’article 70 de la Loi sur l’assurance-chômage;

b) subsidiairement, une ordonnance rejetant la requête de la requérante en prorogation du délai applicable à l'introduction de son appel au motif que l'avis d'appel a été déposé à la Cour canadienne de l’impôt au-delà de la période de 90 jours précisée au paragraphe 5(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (A.-E.);

c) en dernier ressort, une ordonnance prorogeant le délai applicable au dépôt de la réponse à l’avis d’appel.

[4] Les requêtes ont été entendues sur le fondement des affidavits soumis par la requérante, son avocate Me Theresa Marie Forgeron (Me Forgeron) et Patrick LaRusic, fonctionnaire au ministère du Revenu national.

[5] Les faits ne sont pratiquement pas contestés. La requérante avait demandé le règlement d'une question concernant le caractère assurable, aux fins de l’assurance-chômage, de son emploi chez Island Inn Limited entre le 25 septembre 1994 et le 22 septembre 1995, et également entre le 21 octobre 1995 et le 18 octobre 1996. À la suite d’une décision initiale défavorable de Revenu Canada, la requérante en a appelé. Le chef des appels de Revenu Canada a confirmé la décision par lettre en date du 7 octobre 1997. Des détails sur la façon d’interjeter appel ont été fournis à la requérante au moyen de la formule, jointe à cette lettre, intitulée “ Appels à la Cour canadienne de l’impôt ”.

[6] Le 23 octobre 1997, la requérante a dit à son avocate d’interjeter appel contre la décision. Un avis d’appel a été rédigé le 24 octobre 1997 et, le 29 octobre 1997, Me Forgeron a demandé à un membre de son personnel de remettre personnellement le document au bureau local de Développement des ressources humaines Canada (DRH). Par lettre adressée à DRH en date du 22 janvier 1998, Me Forgeron s’est informée de l’état de l’appel. Elle ajoute que le 11 février 1998 ou vers cette date, elle a constaté qu’elle avait par erreur déposé l’avis d’appel au bureau local de DRH et non à la Cour canadienne de l’impôt. Le 17 février 1998, Me Forgeron a adressé à la Cour canadienne de l’impôt un autre avis d’appel[1] ainsi qu’une lettre explicative [TRADUCTION] “ afin de réparer ” ce qu’elle décrit comme étant [TRADUCTION] “ une erreur d’inattention ”.

Dispositions législatives

[7] La Loi sur l’assurance-chômage prévoit ce qui suit :

70 (1) La Commission ou une personne que concerne le règlement d’une question par le ministre ou une décision sur appel au ministre, en vertu de l’article 61, peut, dans les quatre-vingt-dix jours de la communication du règlement ou de la décision ou dans le délai supplémentaire que peut accorder la Cour canadienne de l’impôt sur demande à elle présentée dans ces quatre-vingt-dix jours, interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt de la manière prescrite.

Les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (A.-E.) concernant la façon d’interjeter appel prévoient ce qui suit :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent aux présentes règles.

“ greffe ” Le bureau principal de la Cour au 200, rue Kent, 2e étage, Ottawa (Ontario) K1A 0M1 (téléphone : (613) 992-0901, télécopieur : (613) 957-9034) et tout autre bureau de la Cour situé à

MONTRÉAL TORONTO VANCOUVER

[...] [...] [...]

3. Les présentes règles doivent recevoir une interprétation libérale afin d’assurer le règlement équitable sur le fond de chaque appel, de la façon la moins onéreuse et la plus expéditive.

5 (1) Un appelant peut en appeler de la décision rendue par le ministre dans le délai prévu par le paragraphe 103(1) de la Loi, soit dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle la décision lui est communiquée, ou dans le délai supplémentaire que la Cour peut accorder sur demande qui lui est faite dans les 90 jours.

5 (5) Pour interjeter un appel, l’appelant doit déposer au greffe ou y expédier par la poste l’original de l’avis d’appel écrit visé au paragraphe (1).

26 (1) Sauf dispositions contraires des présentes règles, la signification d’un document aux termes des présentes règles se fait par signification à personne, par courrier ou par télécopie, adressé

a) dans le cas de la Cour ou du greffier, à un greffe;

b) dans le cas du ministre, au sous-ministre du Revenu national, Ottawa (Ontario) K1A 0L5;

[. . .]

27 (1) L’inobservation des présentes règles n’annule aucune procédure, à moins que la Cour ne l’ordonne expressément. Toutefois, cette procédure peut être rejetée en tout ou en partie comme irrégulière et être modifiée ou traitée autrement, de la manière et aux conditions que la Cour estime nécessaires dans les circonstances.

27 (3) Lorsqu’elle estime que cela peut être nécessaire dans l’intérêt de la justice, la Cour peut dispenser de l’application de toute règle.

La Loi sur la Cour canadienne de l’impôt prévoit ce qui suit :

18.15 (1) Sous réserve de la loi habilitante, l’appel visé à l’article 18 est interjeté par écrit et contient l’exposé sommaire des faits et moyens; la présentation de la plaidoirie n’est assujettie à aucune condition de forme.

18.15 (3) L’appel visé à l’article 18 est interjeté par le dépôt au greffe de la Cour du document écrit mentionné au paragraphe (1), ce dépôt pouvant toutefois se faire par l’envoi, par la poste, du document au greffe.

18.29 (1) Les articles 18.14 et 18.15, le paragraphe 18.18(1), l’article 18.19, le paragraphe 18.22(3) ainsi que les articles 18.23 et 18.24 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, aux appels interjetés sous le régime des dispositions suivantes :

[. . .]

b) les parties IV et VII de la Loi sur l’assurance-emploi;

[. . .]

La position de la requérante

[8] La requérante ne conteste pas que les dispositions législatives applicables, soit celles du paragraphe 70(1) de la Loi sur l'assurance-chômage, exigent qu’un appel à la Cour canadienne de l’impôt soit interjeté de la manière prescrite dans les 90 jours de la communication du règlement de la question à la personne concernée; elle ne conteste pas non plus qu’il ressort du paragraphe 5(5) et de l'alinéa 26(1)a) des Règles, pris ensemble, que la manière prescrite d’interjeter appel consiste à déposer au greffe ou à y expédier par la poste la formule d’avis d’appel figurant à l’annexe V. La requérante admet que cela n’a été fait qu'après l’expiration du délai de 90 jours; elle prétend toutefois qu’un avis d’appel avait été antérieurement déposé auprès du ministère gouvernemental concerné, soit DRH, bien avant expiration du délai de 90 jours.

[9] La requérante affirme qu’en vertu du paragraphe 27(3) des Règles, notre cour a compétence pour dispenser de l’application de toute autre règle, en l’occurrence celle énoncée au paragraphe 5(5), lorsque cela peut être nécessaire dans l’intérêt de la justice. L’avocat de la requérante s’appuie expressément sur deux décisions de notre cour qui ont, en vertu de l'article 9 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) – article que l’avocat soutient être l’équivalent du paragraphe 27(3) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (A.-E.) –, dispensé de l’observation de la règle qui exigeait le paiement de droits de dépôt pour interjeter appel conformément aux Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale)[2].

[10] L’avocat de la requérante soutient en outre que celle-ci a clairement manifesté son intention continue d’interjeter appel en en appelant de la décision initiale du 10 mars 1997 au chef des appels et en disant à son avocate, dans les deux semaines suivant la réception de la décision du chef des appels, d’interjeter un autre appel. Par inadvertance, son avis d'appel a été déposé au mauvais endroit et personne n’en a prévenu la requérante ou son avocate. L’avocat de la requérante prétend que si cette demande est rejetée, la requérante sera vraisemblablement privée de la possibilité de soumettre sa cause à notre cour, ce qui ne servirait guère l’intérêt de la justice.

La position de l’intimé

[11] L’intimé soutient que la manière prescrite pour le dépôt d’un avis d’appel n’est pas simplement une question d’observation des Règles mais qu'il s'agit également de se conformer aux dispositions de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt. Plus particulièrement, l’avocat de l’intimé s'est référé au paragraphe 18.15(3) et a fait valoir que, même si la Cour est autorisée par les Règles a dispenser de l’observation d’une des exigences de celles-ci, il ne lui est pas permis de dispenser de l’observation d’une exigence imposée par une loi. L’article 70 de la Loi sur l’assurance-chômage dit que l’appel doit être interjeté “ de la manière prescrite ”, et le paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt établit justement cette manière.

Conclusion

[12] La requérante demande à notre cour d’exercer le pouvoir que lui confère le paragraphe 27(3) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (A. E.) de façon à la dispenser de l’observation du paragraphe 5(5) et d'accepter le dépôt d’un avis d’appel auprès de DRH comme étant une manière valable d’interjeter son appel. Cependant, le paragraphe 5(5) n’existe pas isolément. Elle reflète (reprend, si vous préférez) plutôt les exigences de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, plus précisément celles du paragraphe 18.15(3), qui prévoit que l’appel “ est interjeté par le dépôt au greffe de la Cour du document écrit [...] ce dépôt pouvant toutefois se faire par l'envoi, par la poste, du document au greffe ”. De plus, le paragraphe 18.29(1) de cette loi prévoit notamment que l’article 18.15 s’applique aux appels interjetés auprès de notre cour sous le régime de la Loi sur l’assurance-chômage.

[13] L’avocat de la requérante a soutenu que le paragraphe 18.15(3) ne s’applique pas en l’espèce. Il a renvoyé au paragraphe 18.29(2) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, qui est rédigé comme suit :

18.29 (2) Lors d’un appel interjeté sous le régime d’une loi mentionnée au paragraphe (1), les dispositions de cette loi l’emportent sur les dispositions incompatibles de la présente loi mentionnées à ce paragraphe.

Et il a prétendu que :

[TRADUCTION]

[...] ce qui est d’une importance capitale en l’espèce, c’est le paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage et le paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi, et par conséquent l’exigence légale dont parle mon confrère ne s’applique pas vraiment en l’espèce. Cela nous ramène donc simplement aux arguments que j’ai fait valoir initialement, Monsieur le juge, c’est-à-dire que, au fond, tout se ramène aux articles en question de la Loi sur l'assurance-chômage et à la façon dont ils interagissent avec les règles prescrites pour ce genre d’appels. [...]

En toute déférence, je ne vois pas le bien-fondé de cet argument.

[14] Je partage l’opinion de l’intimé selon laquelle la Cour ne peut accorder à la requérante la mesure de redressement demandée. Bien que le paragraphe 27(3) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (A. E.) autorise notre cour, dans l’intérêt de la justice, à dispenser n’importe quand de l’application de toute règle, elle ne peut dispenser de l’observation du paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt car il s’agit là d’une disposition législative. Dans l’affaire Pervais v. The Queen[3], la Cour fédérale était saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre relativement au caractère assurable d'un emploi en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage. Le juge Strayer, qui s’exprimait pour la dite cour, a dit ce qui suit :

Bien que la règle 27 des Règles de la Cour de l’impôt à l’égard des appels en matière d’assurance-chômage, établies en vertu de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, autorise la présente Cour à dispenser qui que ce soit de l’application de n’importe quelle règle, elle ne lui donne manifestement pas le droit de modifier les conditions applicables aux appels prévues au paragraphe 70(1) de la Loi sur l’assurance-chômage.

En l’absence d’une disposition législative claire, notre cour n’a pas compétence pour dispenser de l’application des dispositions précises du paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

[15] Les décisions du juge Bell dans les affaires Moss et Reid invoquées par la requérante concernaient chacune un contribuable qui avait demandé une ordonnance in forma pauperis le dispensant de l’obligation de payer les frais judiciaires relatifs au dépôt d’un avis d'appel. La disposition créant l’obligation de payer des frais judiciaires se trouve dans les Règles de la Cour canadienne de l’impôt et elle n’est pas une disposition légale. Ainsi, comme l’a fait remarquer le juge Bell en concluant qu’il était dans l’intérêt de la justice d’accueillir les demandes, la Cour exerçait simplement sa compétence pour dispenser de l’application de la règle exigeant le paiement de droits de dépôt.

[16] Pour ces motifs, la requête de la requérante est rejetée, la requête de l’intimé est accueillie et le prétendu appel de la requérante est annulé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de septembre 1998.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour d'avril 1999.

Erich Klein, réviseur



[1] Cet avis d’appel est différent quant à sa forme et à son contenu, et Me Forgeron le désigne comme étant un avis d’appel [TRADUCTION] “ modifié ”.

[2] Moss v. The Queen, 97 DTC 1493; Reid v. The Queen, [1995] 2 C.T.C. 2926 (C.C.I.).

[3] [1996] A.C.F. no 77. Voir aussi Dawe v. M.N.R., 174 N.R. 1, à la page 4, par. 18; MacDonell et al v. M.N.R., 84 DTC 1258; MacIsaac v. The Queen, 83 DTC 5259.

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