Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980116

Dossier: 97-443-IT-I

ENTRE :

STEPHEN D. ROGERS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] L'appelant a perdu son emploi en 1994. Il s'est rendu compte que la meilleure façon d'obtenir un emploi était de suivre un cours pour accroître ses compétences; il s'est donc inscrit à un cours offert par Memorex Telex Inc. (Memorex), dans le but de devenir un technicien agréé, spécialiste du logiciel de réseau de Novell. Auparavant, toutefois, il a demandé conseil à Kim Knox, conseillère en emploi au Centre d'emploi du Canada, qui fait partie de Développement des ressources humaines Canada (DRHC). Il lui a demandé conseil pour deux raisons. D'une part, il souhaitait que DRHC assume une partie des frais du cours qu'il voulait suivre et, d'autre part, il voulait s'assurer que la part des frais qu'il assumerait lui donnerait droit aux crédits prévus aux articles 118.5 et 118.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). La conseillère a convenu que DRHC paierait la moitié des frais et elle a assuré l'appelant que la partie des frais qu'il assumerait lui donnerait droit aux crédits prévus à la Loi. Au moment opportun, l'appelant a produit sa déclaration pour 1994, dans laquelle il a demandé les deux crédits. Il a depuis fait l'objet d'une nouvelle cotisation dans laquelle on lui a refusé les crédits demandés, et il interjette aujourd'hui appel de cette nouvelle cotisation.

[2] Les parties pertinentes des articles 118.5 et 118.6 sont libellées comme suit :

118.5(1) Les montants suivants sont déductibles dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition :

a) si le particulier est inscrit au cours de l'année à l'un des établissements d'enseignement suivants situés au Canada :

(i) établissement d'enseignement — université, collège ou autre — offrant des cours de niveau postsecondaire,

(ii) établissement d'enseignement reconnu par le ministre de l'Emploi et de l'Immigration comme offrant des cours — sauf les cours permettant d'obtenir des crédits universitaires — qui visent à donner ou à augmenter la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle,

le produit de la multiplication du taux de base pour l'année par les frais de scolarité payés à l'établissement pour l'année si le total de ces frais dépasse 100 $, à l'exception des frais :

[...]

118.6(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente sous-section.

“ établissement d'enseignement agréé ”

a) Un des établissements d'enseignement suivants situés au Canada :

[...]

(ii) établissement d'enseignement reconnu par le ministre de l'Emploi et de l'Immigration comme offrant des cours — sauf les cours permettant d'obtenir des crédits universitaires — qui visent à donner ou augmenter la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle;

[...]

(2) Le produit de [...] par [...] est déductible dans le calcul de l'impôt payable par le particulier en vertu de la présente partie pour l'année, à condition que cette inscription soit attestée par un certificat délivré par cet établissement — sur formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits — et présenté au ministre et à condition que, s'il s'agit d'un établissement d'enseignement agréé visé au sous-alinéa a)(ii) de la définition de cette expression, au paragraphe (1), le particulier soit inscrit au programme en vue d'acquérir ou d'améliorer sa compétence à exercer une activité professionnelle.

[3] Les faits ne sont pas contestés. Le ministre convient que l'appelant s'est inscrit au cours dans le but d'accroître ses compétences, qu'il a payé des frais de 3 328,51 $ en sus de la partie payée par DRHC, et qu'il a suivi le cours au complet entre le 5 septembre 1994 et le 27 janvier 1995. Il n'est pas contesté non plus que Mme Knox lui a donné le conseil dont j'ai fait mention précédemment, et que c'est sur la foi de ce conseil qu'il a décidé de s'inscrire au cours offert par Memorex.

[4] Le ministre a refusé les crédits pour deux raisons. Premièrement, pour le motif que Memorex n'est pas un établissement d'enseignement reconnu par le ministre du Développement des ressources humaines.

[5] La deuxième raison est formulée dans la seule hypothèse alléguée dans la réponse à l'avis d'appel de l'intimée :

[TRADUCTION]

6 a) pour l'année d'imposition 1994, l'appelant n'a pas présenté de reçu d'impôt officiel ni de formulaire T2202A délivré par l'établissement d'enseignement attestant du montant des frais de scolarité payés.

[6] Il ne fait aucun doute que Memorex permet à ses étudiants d'acquérir les compétences nécessaires à l'exercice d'un emploi. Le fait que l'appelant a réussi à obtenir un très bon poste de technicien du réseau de Novell à la fin du cours en est la preuve. La pièce A-1 produite au procès contient un reçu, délivré par Memorex, correspondant au montant demandé par l'appelant, mais ce montant ne figure pas sur le formulaire T2202A du ministre pour la simple raison que Memorex n'avait pas les formulaires en question. Les dates auxquelles l'appelant a fréquenté le cours sont indiquées dans une lettre de Mme Knox.

[7] Il semble n'exister aucune liste publiée des établissements d'enseignement qui sont reconnus par le ministre du Développement des ressources humaines. En l'absence d'une telle liste, l'appelant a fait la chose sensée : il a consulté une représentante du ministre concerné, et il s'est fié au conseil reçu. En l'occurrence, il s'y est fié à son détriment.

[8] Étant donné les circonstances, la Couronne ne peut nier que Memorex est un établissement reconnu. Il est bien établi que la préclusion (“ estoppel ”) ne peut déroger au droit, et que le ministre n'est pas tenu d'appliquer incorrectement la loi simplement parce que des fonctionnaires ont donné des avis erronés[1]. Cependant, dans les cas y donnant ouverture, la préclusion du fait du comportement s'est toujours appliquée contre la Couronne[2]. L'énoncé classique des conditions requises pour invoquer la doctrine de la préclusion du fait du comportement est formulé dans la décision de la Chambre des lords Greenwood v. Martins Bank[3], et il a été adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canadian Superior Oil v. Hambly[4]. Il doit y avoir une déclaration portant sur un fait qui a pour but d'inciter la personne qui fait valoir la préclusion à adopter une certaine ligne de conduite, et cette partie doit avoir agi sur la foi de cette déclaration et subir un préjudice en conséquence. Dans l'affaire qui nous occupe, un ministre de la Couronne, par l'intermédiaire de la conseillère en emploi, a déclaré que l'établissement concerné faisait partie des établissements pour lesquels les crédits prévus à la Loi seraient accordés. L'appelant devait agir sur la foi de cette déclaration, et c'est ce qu'il a fait. Il s'agit d'une déclaration portant sur un fait puisque tout ce qui devait être éclairci lorsque l'appelant s'est informé auprès de Mme Knox du traitement fiscal de la partie des frais qu'il assumerait était la question de savoir si Memorex était un établissement qui avait été reconnu. Le conseil donné par Mme Knox équivalait à une déclaration que son ministre avait reconnu Memorex comme étant un établissement du genre de celui qui est décrit aux sous-alinéas 118.5(1)a)(ii) et 118.6(1)a)(ii) de la Loi. Aussi essentielle qu'elle soit à l'application de la loi, la reconnaissance en soi est une question de fait et non de droit. N'eût été la déclaration en question, l'appelant aurait choisi un autre établissement qui était reconnu. Il subit un préjudice du fait, bien sûr, de la nouvelle cotisation à l'encontre de laquelle l'appel en l'instance est interjeté.

[9] La nouvelle cotisation établie par le ministre et sa confirmation étaient basées sur la prétention du ministre suivant laquelle Memorex n'était pas un établissement d'enseignement reconnu. Devant la Cour, on a plutôt mis l'accent sur l'absence d'un reçu en la forme prescrite[5]. L'appelant a témoigné qu'il avait été incapable d'obtenir le reçu en question, et il a fourni le seul reçu que l'établissement lui avait remis. Je sais que la Cour d'appel fédérale a récemment statué que l'omission de produire un formulaire prescrit était une omission fatale[6]. Dans cette affaire, le formulaire prescrit visait à consigner un choix fait par le contribuable en vertu du paragraphe 26(7) des Règles d'application de l'impôt sur le revenu. Dans la présente affaire, le formulaire visait uniquement à prouver des questions qui ne sont pas en litige. Étant donné qu'en l'espèce, l'appelant a tenté sans succès d'obtenir le reçu prescrit, l'absence de celui-ci ne peut éteindre son droit par ailleurs incontesté au crédit.

[10] L'appel est admis, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a droit aux crédits prévus aux articles 118.5 et 118.6 de la Loi qu'il a demandés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de janvier 1998.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de mai 1998.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               M.N.R. v. Inland Industries, [1972] C.T.C. 27, page 31.

[2]               Robertson v. Minister of Pensions, [1949] 1 K.B. 227; Queen Victoria Niagara Falls Park Commissioners v. International Railways Co., (1928) 63 O.L.A. 49, le juge Grant, page 68.

[3]               [1933] A.C. 51.

[4]               [1970] R.C.S. 932, pages 939 et 940.

[5]               La forme prescrite du reçu est mentionnée à l'article 118.6, mais pas à l'article 118.5.

[6]               Adelman c. La Reine, décision non encore publiée datée du 5 novembre 1997 (dossier no A-517-93).

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