Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19990624

Dossier: 97-2140-IT-G

ENTRE :

LAMONT MANAGEMENT LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur l’année d’imposition 1993 de l’appelante. La question consiste à savoir si le “ revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971 ” [income earned or realized by any corporation after 1971] mentionné au paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”), est limité au revenu décrit aux alinéas 55(5)b), c) et d) de la Loi.

[2] Ces dispositions de la Loi se lisent comme suit :

55(2) Lorsqu’une corporation résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l’égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d’une opération ou d’un événement ou d’une série d’opérations ou d’événements (sauf comme partie d’une série d’opérations ou d’événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980) dont l’un des objets (ou, dans le cas d’un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l’un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qui pourrait raisonnablement être considérée comme étant attribuable à quoi que ce soit qui n’est pas du revenu gagné ou réalisé par une corporation après 1971 et avant l’opération ou l’événement ou le début de la série d’opérations ou d’événements visés à l’alinéa (3)a), nonobstant tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l’exclusion de la partie de celui-ci, si partie il y a, qui est assujettie à l’impôt en vertu de la Partie IV qui n’est pas remboursé en raison du paiement d’un dividende à une corporation lorsqu’un tel paiement fait partie d’une série d’opérations ou d’événements)

[Je souligne.]

a) est réputé ne pas être un dividende reçu par la corporation;

b)                   lorsqu’une corporation a disposé de l’action, est réputé être le produit de disposition de l’action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit; et

c) lorsqu’une corporation n’a pas disposé de l’action, est réputé être un gain de la corporation pour l’année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d’un bien en immobilisation.

(5) Aux fins du présent article,

a) la fraction de tout gain en capital attribuable au revenu que l’on prévoit qu’une corporation peut gagner ou réaliser après la date de réception du dividende visé au paragraphe (2) est, pour plus de précision, réputé être une partie du gain en capital attribuable à quoi que ce soit, sauf un revenu;

b) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour toute une période au cours de laquelle elle était un résident du Canada et n’était pas une corporation privée est réputé être le total de

[...]

c) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour toute une période au cours de laquelle elle était une corporation privée est réputé être son revenu pour la période déterminée par ailleurs en supposant qu’aucun montant n’a été déductible par la corporation en vertu de l’alinéa 20(1)gg) ou de l’article 37.1;

d) le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour une période se terminant à une date où elle était une corporation étrangère affiliée d’une autre corporation est réputé être le total de la somme éventuelle qui aurait été déductible à cette date par cette autre corporation en vertu de l’alinéa 113(1)a) et la somme éventuelle qui aurait été déductible à cette date par cette autre corporation en vertu de l’alinéa 113(1)b) si celle-ci

(i) était propriétaire de toutes les actions du capital-actions de la corporation étrangère affiliée immédiatement avant cette date,

(ii) avait disposé à cette date de toutes les actions visées au sous-alinéa (i) en contrepartie d’un produit de disposition égal à leur juste valeur marchande à cette date, et

(iii) avait fait un choix en vertu du paragraphe 93(1) relativement au montant global du produit de disposition visé au sous-alinéa (ii);

[Je souligne.]

[3] Un exposé conjoint des faits a été déposé. J’en reproduis la majeure partie :

[traduction]

1. L’appelante a été constituée sous le régime des lois de la province du Manitoba sous le nom de 2940796 Manitoba Ltd. (“ 2940796 ”) par un certificat daté du 6 novembre 1992. Le 14 décembre 1992, 2940796 a déposé des statuts modificatifs et pris le nom de Lamont Management Ltd.

2. Pendant toute la période pertinente, David Kaufman (“ M. Kaufman ”) était un homme d’affaires résidant au Canada.

3. Le 12 février 1986 ou vers cette date, M. Kaufman a reçu 250 actions ordinaires (les “ actions de M. Kaufman ”) du capital-actions de CANPAC Enterprises Ltd. (“ Canpac ”) pour un prix de souscription total de 25 $. Canpac était, pendant toute la période pertinente, une corporation privée et une corporation canadienne imposable au sens du paragraphe 89(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supplément) et de ses modifications (la “ Loi ”) (un tableau indiquant les biens de toutes les entités pertinentes est annexé aux présentes comme pièce A).

4. M. Kaufman est marié à Nora Kaufman, la soeur d’Evelyn Rady. Evelyn Rady est mariée à Ernest Rady (“ M. Rady ”). Par conséquent, M. Kaufman et M. Rady sont unis par leurs mariages respectifs, conformément aux alinéas 251(2)a) et 251(6)b) de la Loi, et sont donc liés entre eux aux fins de la Loi.

5. Le 12 février 1986 ou vers cette date, la Ernest Rady Trust a reçu 250 actions ordinaires du capital-actions de Canpac pour un prix de souscription total de 25 $.

[...]

7. M. Kaufman de même que les membres de sa famille qui étaient également propriétaires d’actions de Canpac désiraient vendre à la famille Rady leur participation dans American Assets Inc. (“ AAI ”), Western Thrift Financial Corporation (“ Westcorp ”) et Western Insurance Holdings Inc. (“ Western Insurance ”), qu’ils détenaient par le biais de leurs actions de Canpac.

8. Westcorp est une corporation californienne qui, aux fins de l’impôt canadien, n’est une corporation ni privée ni publique et qui, par l’entremise directe de ses filiales possédées en propriété exclusive, fait des opérations bancaires en Californie.

9. Western Insurance est une corporation californienne qui, aux fins de l’impôt canadien, n’est une corporation ni privée ni publique et qui, par l’entremise directe ou indirecte de ses filiales possédées en propriété exclusive, fait des opérations d’assurance.

10. AAI est la corporation remplaçante, issue d’une fusion (la “ fusion ”) qui a eu lieu le 31 décembre 1991 entre Sorb Holdings Inc. (“ SORB ”) et American Assets Inc. (l’“ ancienne AAI ”) (collectivement les “ corporations remplacées ”). À partir de la date de la fusion jusqu’au 15 décembre 1992, Canpac avait un intérêt de 17,8 p. 100 dans AAI.

11. SORB était, au sens du paragraphe 95(1) de la Loi, une corporation étrangère affiliée de Canpac pendant toute la période pertinente avant la fusion, et AAI était une corporation étrangère affiliée de Canpac pendant toute la période pertinente après la fusion.

12. En conséquence de la fusion, AAI a acquis toutes les actions de Westcorp et de Western Insurance, lesquelles actions appartenaient antérieurement aux corporations remplacées; AAI s’est donc retrouvée avec 55 p. 100 des titres de participation dans Westcorp et 92 p. 100 des titres de participation dans Western Insurance.

13. Ayant été propriétaire des actions des corporations remplacées avant la fusion et propriétaire des actions de AAI après la fusion, Canpac détenait, aux fins limitées du paragraphe 55(2) de la Loi, un titre de participation indirecte (“ participation indirecte ”) dans Westcorp pendant toute la période pertinente durant la période de détention (la “ période de détention ”) des actions de M. Kaufman, à partir de la date de leur émission, soit le 12 février 1986, jusqu’à leur achat à des fins d’annulation le 15 décembre 1992, laquelle participation indirecte était inférieure à 10 p. 100 mais supérieure à 9 p. 100.

14. Ayant été propriétaire des actions des corporations remplacées avant la fusion et propriétaire des actions de AAI après la fusion, Canpac détenait un titre de participation indirecte (“ participation indirecte ”) dans Western Insurance pendant toute la période pertinente durant la période de détention (la “ période de détention ”) des actions de M. Kaufman, à partir de la date de leur émission, soit le 12 février 1986, jusqu’à leur achat à des fins d’annulation le 15 décembre 1992, laquelle participation indirecte était de 16,38 p. 100.

15. Par conséquent, durant la période de détention, Western Insurance était une corporation étrangère affiliée des corporations remplacées, et par la suite de Canpac, alors qu'à aucun moment durant la période de détention, Westcorp n’a été une corporation étrangère affiliée de Canpac ni de ses corporations remplacées.

16. Environ 12 622 469 $ (CDN) du gain inhérent à la disposition des actions de AAI détenues par Canpac étaient attribuables au revenu gagné par Westcorp et à ses bénéfices non répartis durant la période de détention.

17. Environ 15 966 735 $ (CDN) du gain inhérent à la disposition des actions de AAI détenues par Canpac étaient attribuables au revenu gagné par Canpac, AAI, Western Insurance et d’autres corporations étrangères affiliées de Canpac et à leurs bénéfices non répartis durant la période de détention.

18. La participation de 36,23 p. 100 de M. Kaufman dans le revenu de Westcorp et de Western Insurance était de 4 573 121 $ (CDN) (“ revenu de Westcorp ”) et de 5 784 749 $ (CDN) (“ revenu de Western Insurance ”), respectivement. La somme de 209 560 $ a été soustraite du revenu de Western Insurance pour tenir compte de la part de M. Kaufman dans le déficit de Canpac, ce qui donne un total de 5 575 189 $.

[...]

21. Le 14 décembre 1992, soit avant que ses actions soient achetées à des fins d’annulation, M. Kaufman en a disposé, dans le cadre d’un transfert avec report d’impôt aux termes du paragraphe 85(1) de la Loi, en faveur de l’appelante en contrepartie d’actions du capital-actions de celle-ci.

22. Le 15 décembre 1992, Canpac a acheté les actions de M. Kaufman à des fins d’annulation pour un prix total d’achat de 7 282 926 $. À ce moment, 690 actions de Canpac avaient été émises : 250 étaient la propriété de l’appelante, 250 étaient la propriété directe ou indirecte de M. Rady et les 190 restantes appartenaient à d’autres personnes ou entités.

23. L’un des résultats de l’achat par Canpac, à des fins d’annulation, des actions de M. Kaufman a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende réputé aux termes du paragraphe 84(3) de la Loi, aurait été réalisée lors de la disposition des actions de M. Kaufman à leur juste valeur marchande.

[...]

25. Le gain inhérent à la disposition des actions de M. Kaufman immédiatement avant leur achat à des fins d’annulation ne peut raisonnablement être attribué à quoi que ce soit d’autre que :

a) le revenu de Western Insurance, dont le ministre a reconnu, aux fins du paragraphe 55(2) de la Loi, que le montant faisait partie du revenu sauf de Canpac, auquel le gain inhérent est attribuable;

b) le revenu de Westcorp.

26. L’appelante a reporté, à titre de dividende imposable, la totalité du montant reçu lors de l’achat, à des fins d’annulation, des actions de M. Kaufman.

[...]

28. Par un avis de nouvelle cotisation daté du 17 octobre 1996, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 1993 de l’appelante concernant l’achat, à des fins d’annulation, des actions de M. Kaufman.

29. En établissant ainsi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante, le ministre a refusé d’inclure le revenu de Westcorp dans le calcul du revenu sauf de l’appelante; par contre, il a appliqué le paragraphe 55(2) de la Loi à la fraction du prix d’achat des actions de M. Kaufman qui dépassait le revenu de Western Insurance. Le ministre a considéré l’excédent de 1 707 737 $ comme un gain en capital et non comme un dividende imposable qui, autrement, serait inclus dans le revenu en vertu du paragraphe 84(3) et de l’alinéa 12(1)j) de la Loi et déduit du revenu imposable en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Le revenu de l’appelante a donc été augmenté de 1 280 803 $.

[4] Les faits admis qui sont pertinents à la question posée dans le cadre du présent appel sont les suivants : a) une partie du gain en capital (qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition, à la juste valeur marchande, des actions qui ont été rachetées à des fins d’annulation) pourrait être attribuable au revenu gagné ou réalisé par Western Thrift Financial Corporation (“ Westcorp ”); et b) Westcorp n’était ni une corporation privée ni une corporation publique ni une corporation étrangère affiliée au sens de la Loi.

[5] La thèse de l’appelante est que le revenu sauf qui a été gagné par la corporation non résidante Westcorp pour une période au cours de laquelle elle n’était pas une corporation étrangère affiliée pourrait être compris dans le libellé général du paragraphe 55(2) : “ revenu gagné ou réalisé par une [any] corporation après 1971 ”. [Je souligne.]

[6] La thèse de l’intimée est que le seul revenu qui peut être considéré comme un “ revenu gagné ou réalisé par une [any] corporation après 1971 ” aux fins du paragraphe 55(2) de la Loi est le revenu gagné ou réalisé uniquement par les corporations décrites aux alinéas 55(5)b), c) et d) de la Loi.

[7] Le “ revenu gagné ou réalisé par une [any] corporation après 1971 ” sera, ci-après, quelquefois appelé “ revenu sauf ”, comme on le désigne couramment.

[8] L’appelante prétend que les mots “ une [any] corporation ” qui figurent au paragraphe 55(2) de la Loi sont des mots englobants, clairs et non ambigus et qu’ils n’empêchent pas une corporation particulière de consolider le revenu sauf d’une autre corporation dont elle est actionnaire.

[9] L’appelante a cité une décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ville de Montréal c. ILGWU Center et al., [1974] R.C.S. 59, à la page 66, où le juge en chef Fauteux déclare : “ Le Législateur est présumé vouloir dire ce qu’il exprime. Et il n’y a pas lieu de recourir à l’interprétation lorsqu’un texte est clair, [...] ”.

[10] À l’audience, l’avocat de l’appelante a remis des notes écrites à la Cour; j’en tire les extraits suivants :

[traduction]

B. Sens ordinaire du mot any :

24. L’expression “ revenu gagné ou réalisé par une [any] corporation ” qui figure au paragraphe 55(2) vise tous les types de corporations, car le mot any est un mot englobant. Cela est très bien illustré dans l’affaire Linder (M.) v. Rutland Moving & Storage Ltd. [1991], 1 C.T.C. 517 (C.A. C.-B.), à la page 521 (onglet 12), où la Cour a cité la décision Epp School District v. Rural Municipality of Park [1936] 2 W.W.R. 331 (C.A. Sask.), dans laquelle le juge Gordon avait fait la déclaration suivante à la page 335:

[TRADUCTION]

Une consultation des dictionnaires juridiques montre que le mot any a un sens englobant. Il s’agit d’un mot dont le sens naturel exclut toute limite ou condition.

25. Dans un article intitulé The Taxation of Corporate Reorganizations, qui a été publié dans le volume 4 de l’édition 1997 de la Revue fiscale canadienne (onglet 13), l’auteur Mark Brender du cabinet d’avocats Goodman, Phillips & Vineberg, à Montréal, Québec, s’est prononcé précisément sur le sens du mot any qui figure au paragraphe 55(2) de la Loi; il s’est exprimé de la façon suivante à la page 807 de l’article :

[TRADUCTION]

[...] aucune disposition législative ne permet de limiter la consolidation du revenu sauf aux corporations qui sont contrôlées ou qui font l’objet d’un contrôle notable; ainsi, le revenu sauf d’une corporation devrait être inclus dans le calcul du revenu sauf de la corporation mère, si minime que soit la participation de cette dernière.

26. Se penchant sur le sens du mot any au paragraphe 55(2), M. Brender a déclaré à la page 816 :

[TRADUCTION]

L’expression “ par une [any] corporation ” est expansive, et il n'y a pas de jurisprudence limitant la consolidation du revenu sauf aux corporations qui sont contrôlées ou aux filiales directes ou indirectes qui subissent une influence notable de la part de la corporation mère. Cette expression expansive suggère plutôt que le calcul du revenu sauf consiste plus en une “ totalisation ” qu’en une “ consolidation ” du revenu sauf, et ce calcul devrait comprendre le revenu gagné ou réalisé par une [any] corporation, et non seulement celui des corporations qui sont contrôlées ou qui subissent une influence notable. Comme aucune disposition ne limite la totalisation du revenu sauf aux corporations qui sont contrôlées ou qui subissent un contrôle notable, le revenu sauf d’une [any] corporation devrait être inclus dans la totalisation du revenu sauf de la corporation actionnaire, si insignifiante que soit la participation de l’actionnaire.

27. L’appelante soutient en outre que son argument sur le sens ordinaire du mot any qui figure au paragraphe 55(2) de la Loi est conforme aux politiques publiques énoncées par Revenu Canada, lesquelles incluent les politiques exprimées par Michael Hiltz. En réalité, dans l’affaire Brelco, précitée (onglet 4), la Couronne s’est grandement appuyée sur les écrits et l'expertise de Michael Hiltz en ce qui concerne la politique de Revenu Canada relative à l’application du paragraphe 55(2).

28. En 1984, dans un exposé présenté à la Corporate Management Tax Conference et intitulé “ Section 55: An Update ” (onglet 14), Michael Hiltz a parlé de la politique de Revenu Canada et a affirmé que la consolidation du revenu sauf conformément au paragraphe 55(2) de la Loi ne devrait pas, dans certaines circonstances, être limité à un groupe de corporations. Expliquant la position de Revenu Canada, M. Hiltz a déclaré :

[TRADUCTION]

Le Ministère est prêt à faire une exception dans les cas où une corporation n’exerce pas une influence notable, s’il peut être clairement démontré que le revenu de l’autre corporation a contribué au gain non réalisé sur la disposition des actions.

29. Dans sa correspondance no RCT 5-7012, datée du 15 avril 1985 (onglet 15), Revenu Canada a fait la déclaration suivante :

L’approche du Ministère à l’égard du paragraphe 55(2) de la Loi est exprimée par M. J. R. Robertson dans son exposé présenté en 1981 à la conférence annuelle de l’Association canadienne d’études fiscales, sous réserve de la mise à jour présentée par M. A. Hiltz en 1984, à la Corporate Management Tax Conference.

30. Revenu Canada a de nouveau fait référence à l'expertise de M. Hiltz en ce qui a trait au paragraphe 55(2), dans sa correspondance no 267, datée du mois d’août 1990 (onglet 16), en déclarant :

[TRADUCTION]

Le point de vue du Ministère sur l’application du paragraphe 55(2) de la Loi a été exprimé par M. J. Robertson en 1981, dans le cadre de son exposé présenté à la conférence annuelle de l’Association canadienne d’études fiscales. Par la suite, ce point de vue a été mis à jour par M. M. A. Hiltz en 1984, à la Corporate Management Tax Conference , de même que par M. R. J. L. Read et M. Hiltz, respectivement, aux conférences annuelles de 1988 et de 1989 de l’Association canadienne d’études fiscales.

31. Finalement, Revenu Canada a cité M. Hiltz's dans son interprétation technique 9802105 du 29 juin 1998 (onglet 17).

32. Comme nous l’avons dit plus haut, la politique de Revenu Canada en ce qui a trait au paragraphe 55(2) de la Loi démontre clairement que le sens des mots “ une [any] corporation ” qui figurent au paragraphe 55(2) de la Loi ne limite pas la consolidation du revenu sauf à un groupe de corporations, s’il peut être clairement démontré que le revenu de l’autre corporation a contribué au gain non réalisé sur la vente des actions. [...]

33. Par conséquent, l’appelante soutient que non seulement le sens ordinaire du mot any est clair et non ambigu, mais qu’il est conforme aux politiques de Revenu Canada. L’appelante affirme donc que sa quote-part du revenu sauf de Westcorp doit être incluse dans le calcul de son propre revenu sauf.

[...]

C. Application possible du mot any à la lumière du paragraphe 55(5) :

36. Selon la Couronne, étant donné que Westcorp n’était pas une corporation étrangère affiliée de Canpac, aucun montant de son revenu ne peut être inclus dans le calcul du revenu sauf de l’appelante. L’alinéa 55(5)d) prévoit la façon de calculer le revenu d’une corporation étrangère affiliée aux fins de l’application de l’article 55 de la Loi. Il est soutenu que cet alinéa ne fait qu’établir une distinction entre la méthode de calcul du revenu des corporations étrangères affiliées aux fins de l’article 55 et la méthode de calcul du revenu des corporations étrangères affiliées aux fins du paragraphe 95(2) de la Loi; ce dernier paragraphe énonce les règles générales qui s’appliquent au calcul du revenu des corporations étrangères affiliées. Par conséquent, il est allégué que même si l’alinéa 55(5)d) de la Loi favorise l’appelante en ce qui concerne le revenu sauf de Western Insurance, il ne s’applique d’aucune façon au traitement du revenu sauf de Westcorp, car, contrairement à Western Insurance, à aucun moment pendant la période pertinente Westcorp n’a été une corporation étrangère affiliée de Canpac.

37. Les alinéas 55(5)b), c) et d) de la Loi contiennent des règles pour déterminer, aux fins de l’application du paragraphe 55(2), le revenu gagné ou réalisé par certains types de corporations. Ces règles modifient les règles générales prévues par la Loi concernant la détermination du revenu d’une corporation. Aucune de ces règles ne s’applique à Westcorp, car, à aucun moment durant la période de détention, elle n’a été une corporation visée par un de ces alinéas. En conséquence, et parce qu’il n’existe pas de définition exhaustive de l’expression “ revenu gagné ou réalisé par une [any] corporation ” aux fins de l’application du paragraphe 55(2), son revenu aux fins de ce paragraphe devrait être son revenu en vertu de la partie 1 de la Loi. Il est donc allégué que si le législateur avait voulu que des règles précises s’appliquent à la méthode de calcul du revenu de ces corporations, ces règles seraient clairement énoncées dans l’article.

D. Objet et esprit

38. Comme nous l’avons expliqué plus haut, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’objet et l’esprit de la loi ne devraient pas être examinés lorsque le texte de la loi est clair et non ambigu. L’appelante affirme que le sens du mot any est clair et non ambigu. Toutefois, si la Cour n’accepte pas l’argument de l’appelante et croit qu’il est nécessaire d’examiner l’objet et l’esprit de la Loi, l’appelante soutient que cet objet et cet esprit appuient sa thèse selon laquelle le revenu sauf de Westcorp devrait être consolidé avec le sien.

39. Les paragraphes 2 à 5 du présent document résument l’objet et l’esprit du paragraphe 55(2) en expliquant que celui-ci ne s’applique pas lorsque le gain qui a été diminué peut être attribué au revenu gagné ou réalisé par une [any] corporation après 1971 et avant les opérations ou les événements dont le résultat a été une disposition de biens. Cela est justifié par le fait que le revenu sauf est à l’abri de l’application du paragraphe 55(2), étant donné qu’il a déjà fait l’objet de l’impôt sur le revenu des corporations et il est donc permis de le verser en franchise d’impôt à d’autres corporations.

[11] L’avocat de l’intimée a cité la décision de la présente Cour, Trico Industries Limited v. M.N.R., 94 DTC 1740, et, plus particulièrement, le passage suivant qui se trouve à la page 1744 :

À la conférence annuelle de 1988 de l’Association canadienne d’études fiscales, M. Robert J. L. Read, CA, directeur général de la Direction des décisions – spécialités de Revenu Canada, dans son exposé intitulé “ Section 55 A Review of Current Issues ” (L’article 55 – Un examen des problèmes courants), a déclaré, à la rubrique “ The Historical Background of Subsections 55(2) and (3) ” (L’historique des paragraphes 55(2) et (3)) :

[...]

L’expression “ revenu gagné ou réalisé par une corporation ” est définie aux alinéas 55(5)b), c) et d) aux fins de l’application du paragraphe 55(2). Le “ revenu gagné ou réalisé ” ou le “ revenu sauf ” à l’égard d’une action d’une corporation s’entend du revenu gagné par une corporation pendant qu’elle détient une action particulière d’une corporation, qui peut raisonnablement être considéré comme étant attribuable à cette action dans les circonstances particulières. Le “ revenu sauf en main ” à un moment particulier à l’égard d’une action d’une corporation détenue par un actionnaire particulier s’entend de la partie du revenu gagné ou réalisé par une corporation (revenu sauf) au cours de la période applicable, qui peut raisonnablement être considéré comme contribuant au gain en capital qui serait réalisé sur la disposition de l’action à sa juste valeur marchande à ce moment-là. Un “ dividende sauf ” s’entend d’un dividende versé à l’égard d’une action, qui n’excède pas le revenu sauf en main relativement à cette action.

À notre avis, l’expression “ revenu gagné ou réalisé par une corporation ” envisage la consolidation du revenu sauf. [...]

[12] En renvoyant aux commentaires de M. Read, l’avocat de l’intimée a déclaré qu’on pourrait concevoir que les alinéas 55(5)b), c) et d) définissent le revenu gagné ou réalisé par une corporation aux fins du paragraphe 55(2).

[13] L’avocat de l’intimée a mis l’accent sur le fait que le paragraphe 55(5) commence par les mots “ Aux fins du présent article ”. Cette disposition détermine le calcul du revenu gagné ou réalisé par une corporation pour toute une période au cours de laquelle elle était un résident du Canada et n’était pas une corporation privée; le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour toute une période au cours de laquelle elle était une corporation privée; et le revenu gagné ou réalisé par une corporation pour une période se terminant à une date où elle était une corporation étrangère affiliée. L’intimée soumet que le revenu gagné ou réalisé par Westcorp, à une époque où elle n’était pas une corporation étrangère affiliée de l’appelante, ne peut pas être considéré dans le calcul du revenu sauf de l’appelante. Le paragraphe 55(5) ne peut pas être interprété comme ne prévoyant pas le calcul du revenu d’une corporation non résidante qui n’est pas une corporation étrangère affiliée d’une corporation résidant au Canada. Si une telle corporation n’est pas mentionnée, l’intention du législateur est que son revenu ne devrait pas être inclus.

[14] L’intimée prétend qu’il n’est pas raisonnable de conclure que le législateur, ayant pris soin de prévoir dans les alinéas 55(5)b), c) et d), aux fins du paragraphe 55(2), le calcul détaillé requis pour déterminer le revenu gagné ou réalisé par les corporations privées et non privées et les corporations étrangères affiliées, avait l’intention d’inclure, dans le calcul du revenu sauf en main aux fins du paragraphe 55(2) et d’une manière qui n’est pas précisée par la Loi, le revenu gagné ou réalisé par une corporation non résidante qui n’est pas une corporation étrangère affiliée.

[15] L’intimée soutient que l’interprétation préconisée par l’appelante aurait pour conséquence qu’un traitement préférentiel serait accordé au revenu d’une corporation non résidante qui n’était pas une corporation étrangère affiliée, au détriment du revenu d’une corporation étrangère affiliée à l’égard du montant du revenu gagné ou réalisé, de même qu’à l’égard de la période qui peut être prise en compte.

Conclusion

[16] Je ne crois pas qu’on puisse contester que le mot any est un mot qui englobe tout et dont le sens naturel exclut les restrictions. Je crois cependant qu’il est nécessaire de déterminer quelles corporations sont visées par le mot any, vu l’existence du paragraphe 55(5) de la Loi. Comme ses mots introductifs le laissent clairement voir, il s’agit d’une disposition qui a été adoptée pour interpréter l’article 55 au complet. On devrait alors l’utiliser pour interpréter le sens des mots “ revenu gagné ou réalisé par une [any] corporation ” qui figurent au paragraphe 55(2) de la Loi.

[17] Comme elle l’a exprimé plus haut dans son argumentation écrite ci-dessus, l’appelante prétend que, puisque les parties admettent qu’une fraction du gain en capital réalisé lors du rachat des actions est attribuable au revenu gagné par Westcorp et puisque le paragraphe 55(2) de la Loi a pour objet de considérer cette fraction du gain en capital comme un dividende entre corporations, sa thèse est par conséquent en conformité avec ce paragraphe. Cette thèse semblerait sensée si ce n’était, comme je l’ai mentionné dans le paragraphe précédent des présents motifs, de l’existence des alinéas 55(5)b), c) et d) de la Loi. Ces alinéas déterminent le revenu qui peut être considéré comme un revenu gagné ou réalisé par une corporation. Aucun argument n’a été présenté en ce qui concerne le raisonnement du législateur qui a mené à l’adoption des différentes méthodes de calcul énoncées dans ces alinéas; de plus, je ne suis pas tenue d’établir ce raisonnement, mais seulement de prendre connaissance de ces dispositions interprétatives. Je me permettrai toutefois de dire que ces alinéas semblent se rapporter à la manière dont ces différentes corporations sont assujetties directement ou indirectement à l’impôt en vertu de la Loi et à l’étendue de cet assujettissement.

[18] À mon avis, la seule conclusion que je peux tirer des alinéas 55(5)b), c) et d) de la Loi est que, si une corporation n’est pas une corporation décrite dans ces alinéas, son revenu n’est pas inclus dans le calcul du revenu sauf. Cette interprétation me satisfait; une interprétation différente mènerait à un résultat absurde, à savoir qu’une corporation non résidante qui est également une corporation étrangère non affiliée serait visée par n’importe laquelle des méthodes de calcul, alors qu’une méthode de calcul précise a été établie pour une corporation étrangère affiliée, une corporation résidante qui n'est pas une corporation privée et une corporation privée. Entre une interprétation qui mène à un résultat absurde et une interprétation qui mène à un résultat sensé, il est évident que cette dernière devrait être choisie. Il est en outre intéressant de remarquer que, par son utilisation des mots “ une corporation ”, la version française du paragraphe 55(2) de la Loi semble appuyer cette dernière interprétation.

[19] Les auteurs mentionnés par l’avocat de l’appelante ne semblent pas suggérer une autre interprétation. Dans l’article rédigé par Mark D. Brender et intitulé The Taxation of Corporate Reorganizations (cité au paragraphe 25 ci-dessus dans l’argumentation écrite de l’appelante), je trouve l’extrait suivant à la page 808 : “ Le calcul du revenu sauf est déterminé par les règles législatives. ” Une note de bas de page renvoie aux alinéas 55(5)a), b), c) et d). La même déclaration est faite à la page 810. Ces auteurs ne suggèrent aucunement que le revenu des corporations autres que celles qui sont décrites aux alinéas 55(5)b),c) et d) de la Loi devrait être considéré dans le calcul du revenu gagné ou réalisé après 1971. Ces auteurs discutent du sens du mot any dans le contexte du degré de contrôle qu’une corporation exerce sur d’autres corporations, et c’est dans ce contexte que ce mot prend son sens. Ce mot a du sens lorsqu’il peut être démontré que le revenu des autres corporations a contribué au gain réalisé sur les actions. Mais le revenu lui-même doit être calculé conformément aux règles prescrites par le paragraphe 55(5) de la Loi.

[20] L’appel est rejeté avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 1999.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.