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Date: 19990318

Dossier: 97-2301-IT-G

ENTRE :

ARGUS HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appelante a été constituée en société au mois de février 1980 pour exploiter un club de racquetball à Langley (C.-B.). Elle a acheté à la Banque fédérale de développement un terrain avec bâtiment, et elle a converti celui-ci en courts de racquetball — neuf au total. Le club a ouvert ses portes le 1er novembre 1980. Quand le racquetball est devenu moins populaire, l'appelante s'est tournée vers d'autres activités de conditionnement physique; elle exploite aujourd'hui un club de conditionnement physique à trois endroits dans la région de Vancouver, sous le nom de “ Fitness Unlimited Athletic Club ”.

[2] Depuis le début, l'appelante exige des frais d'adhésion ou d'inscription uniques pour devenir membre du club et avoir accès à ses installations. Il s'agit de déterminer si l'appelante a inclus le montant total des frais d'adhésion payés par un membre donné dans le calcul de son revenu pour l'année de réception et si elle en a ensuite déduit une portion dans le calcul du revenu pour l'année en question. Il est cependant établi que l'appelante a inclus un dixième des frais d'adhésion dans son revenu net de l'année de la réception et de chacune des neuf années subséquentes.

[3] Le ministre du Revenu national a fait valoir que le montant total des frais d'adhésion devait être inclus dans le calcul du revenu de l'année de la réception. Dans des avis de nouvelles cotisations, le ministre a ajouté les quatre montants suivants à titre de “ revenu supplémentaire en frais d'adhésion ” dans le calcul du revenu déclaré de l'appelante pour chacune des quatre années d'imposition suivantes :

Année d'impositionMontant

31 décembre 1992 696 860 $

31 décembre 1993 335 003 $

18 février 1994 71 736 $

31 octobre 1994 132 693 $

Le montant de 696 860 $ qui figure dans le tableau ci-dessus a été calculé de la façon suivante :

Frais d'adhésion reçus en 1992 357 210 $

Plus frais d'adhésion différés 441 154 $

Total partiel 798 364 $

Moins frais d'adhésion déclarés dans le revenu

net de 1992 101 504 $

Revenu supplémentaire en frais d'adhésion 696 860 $

[4] Au paragraphe 5 de son avis d'appel modifié, l'appelante soutient que, si elle ne permet pas l'utilisation continue des installations du club à un membre donné pendant dix ans à compter de la date de l'inscription, elle doit rembourser au prorata les frais d'adhésion qui se rapportent à la portion de la période de dix ans au cours de laquelle les installations ne sont pas fournies au membre en question. Par conséquent, aux dires de l'appelante (paragraphe 13 de son avis d'appel modifié), il s'agit de déterminer dans l'appel en l'instance si les frais d'adhésion ont été à bon droit amortis et inclus dans le revenu sur une période de dix ans en raison de l'obligation de l'appelante de rembourser une partie proportionnelle des frais d'adhésion couvrant cette période.

[5] Dans son avis d'appel modifié, l'appelante a fait valoir qu'aucun des quatre montants ajoutés à son revenu déclaré de chacune des années d'imposition figurant au paragraphe 3 ci-dessus ne devait être inclus dans son revenu. Au début de l'audition, l'avocat de l'appelante a déclaré que sa cliente abandonnait son appel pour les années d'imposition se terminant le 31 décembre 1993, le 18 février 1994 et le 31 octobre 1994, et que son appel pour l'année 1992 ne portait que sur le montant de 441 154 $, qui représente les “ frais d'adhésion différés ”. En résumé, l'appelante soutient aujourd'hui que, puisque, dans le calcul de son revenu des années antérieures à 1992, elle n'a déduit aucune provision au titre des frais d'adhésion différés, le ministre n'a pas le droit de reporter quelque montant (c'est-à-dire 441 154 $) sur l'année 1992 relativement aux frais d'adhésion différés. C'est là l'unique question qui reste à trancher dans l'appel en l'instance.

[6] Gregory Andron a été le principal témoin de l'appelante. Il est administrateur, président et actionnaire majoritaire de l'appelante. En 1979-1980, il était un joueur de racquetball actif, et c'est lui qui a eu l'idée de créer l'appelante et son entreprise. Le premier club était situé à Langley (C.-B.). Lorsqu'il a ouvert ses portes le 1er novembre 1980, toutes les places ont été vendues, et il y avait une liste d'attente de 150 personnes. Avant l'ouverture, les frais d'adhésion étaient les suivants : 99 $ par personne, 149 $ pour un couple et 199 $ pour une famille. Après l'ouverture, les frais d'adhésion ont été augmentés de 100 $, de sorte que, pour une personne, ils s'élevaient à 199 $, pour un couple, à 249 $ et, pour une famille, à 299 $. Les frais d'adhésion n'ont jamais été augmentés depuis; en fait, à mesure que d'autres centres de conditionnement physique ont ouvert leurs portes et que la concurrence s'est fait plus vive, les frais d'adhésion ont été réduits. En mars 1999, les frais d'adhésion pour une personne étaient de 29 $.

[7] Au début, lorsque l'entreprise de l'appelante était nouvelle et que les frais d'adhésion étaient élevés, certains membres potentiels ont demandé ce qu'il adviendrait des frais d'adhésion uniques qu'ils devaient payer si l'appelante fermait ses portes au bout de quelque temps parce que son entreprise était un échec. M. Andron a promis à ces membres que, si l'appelante ne fournissait pas les installations de racquetball et de conditionnement physique à un nouveau membre pendant dix ans, elle rembourserait à ce dernier, au prorata, la partie des frais d'adhésion égale à la portion des dix premières années au cours de laquelle les installations n'avaient pas été fournies.

[8] Depuis sa création, l'appelante est prospère. Elle a aujourd'hui trois clubs. Comme il n'y a aucune preuve qu'elle a dû à un moment ou un autre fermer un club ou en suspendre les activités, je conclus qu'elle n'a jamais remboursé quelque portion que ce soit des frais d'adhésion. M. Andron a déclaré dans le cadre de son témoignage qu'il avait fait une promesse de remboursement à un grand nombre de membres potentiels et que l'appelante aurait eu l'obligation morale (et peut-être légale) de rembourser une partie des frais d'adhésion à certains membres (peut-être tous) si elle avait été contrainte de fermer ses portes ou de suspendre ses activités. J'utilise le terme “ peut-être ” parce que la nature exacte de cette prétendue obligation de rembourser n'a pas été discutée en preuve. La promesse de remboursement n'a pas été faite à tous les membres, mais uniquement à ceux qui avaient posé des questions.

[9] Dans sa réponse modifiée, l'intimée allègue que, pour établir une nouvelle cotisation d'impôt à l'égard de l'appelante, le ministre s'est fondé sur les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

6 b) Toute personne qui désire devenir membre du Club doit payer des frais d'adhésion uniques non remboursables (les “ frais d'adhésion ”) et, par la suite, des frais mensuels ou annuels couvrant le coût d'utilisation des services et des installations du Club;

6 d) les frais d'adhésion reçus dans une année d'imposition sont gagnés dans l'année d'imposition en question et sont reçus au titre des services rendus avant la fin de l'année d'imposition en question;

6 f) l'appelante peut utiliser sans restriction les frais d'adhésion dans l'année d'imposition où ils ont été reçus.

En réponse à ces hypothèses de fait, l'appelante avait la charge de prouver qu'elle avait l'obligation légale de rembourser au prorata une portion des frais d'adhésion dans certaines circonstances si elle entendait faire valoir la prétention alléguée au paragraphe 5 de l'avis d'appel modifié :

[TRADUCTION]

Si elle fait défaut de permettre l'utilisation continue des installations à un membre ou à des membres donnés sur une période de dix ans à compter de la date du paiement initial, l'appelante doit rembourser au prorata la partie des frais d'adhésion qui se rapporte à la portion de la période de dix ans au cours de laquelle les installations ne sont pas fournies au membre.

[10] Aucun contrat d'adhésion au club n'a été produit en preuve, et M. Andron a indiqué dans son témoignage que le contrat d'adhésion type ne contenait aucune clause obligeant l'appelante à rembourser une partie des frais d'adhésion dans quelque circonstance que ce soit. Il ne reste que le témoignage de M. Andron, qui a soutenu avoir fait une promesse de remboursement à certains membres potentiels ayant posé des questions dans les circonstances décrites précédemment. Si l'appelante avait été contrainte de suspendre ses activités, j'ignore comment elle aurait pu faire la distinction entre les membres à qui une promesse de remboursement avait été faite et ceux qui n'avaient posé aucune question lorsqu'ils avaient adhéré au Club. En l'absence d'une modalité explicite dans le contrat d'adhésion, il aurait peut-être été difficile pour un membre de prouver qu'une promesse de remboursement lui avait été faite.

[11] En ce qui concerne l'alinéa 6 d) de la réponse de l'intimée (reproduit précédemment) et l'absence totale, dans la preuve, de documents montrant que l'appelante était disposée à rembourser une partie des frais d'adhésion ou qu'elle était obligée de le faire, je conclus qu'elle n'était tenue à aucune obligation de cette nature. À mon avis, les frais d'adhésion reçus par l'appelante dans une année donnée étaient gagnés par l'appelante dans l'année de leur réception, et l'appelante n'avait aucune obligation accessoire de rembourser une partie quelconque de ces frais. Essentiellement, je crois que l'appelante a admis cette conclusion en abandonnant les appels pour toutes les années d'imposition sauf l'année 1992, et en limitant le montant en litige pour 1992 à 441 154 $.

[12] La pièce A-1 contient la résolution suivante, adoptée par les administrateurs de l'appelante le 31 janvier 1982 :

[TRADUCTION]

La compagnie reconnaît son obligation de fournir à ses membres des installations et des services satisfaisants, de façon continue, moyennant des frais d'adhésion. Si elle ne peut plus fournir ces services et ces installations, la compagnie remboursera les frais d'adhésion de la façon suivante :

120 mois moins le nombre de mois pendant

Frais d'adhésion X lesquels les services ont été fournis 120 mois

[13] Monique Rivard a été le deuxième témoin appelé par l'appelante. Elle a indiqué qu'elle était le contrôleur de l'appelante et qu'elle était chargée de la tenue de livres et de la comptabilité au quotidien. Elle a déclaré que l'appelante tenait un “ bureau des membres ” où un commis consignait tous les paiements faits par chaque membre. Outre les frais d'adhésion décrits précédemment, les membres devaient payer des frais mensuels ou annuels pour conserver leurs privilèges. Le commis inscrivait le montant des frais d'adhésion dans un compte portant ce nom. Mme Rivard ne relevait ce paiement qu'à la fin du mois lorsqu'elle faisait l'écriture de journal suivante en fonction des frais d'adhésion nets reçus au cours du mois précédent :

Débit : Compte bancaire (compte d'actif)

Crédit : Frais d'adhésion différés (compte de passif)

Simultanément, elle faisait l'écriture de journal suivante :

Débit : Frais d'adhésion différés (1/120 du solde du compte de passif)

Crédit : Revenu en frais d'adhésion (la même proportion de 1/120)

[14] Le dénominateur 120 dans l'écriture de journal reproduite ci-dessus représente le nombre de mois compris dans une période de dix ans. C'est au moyen de cette deuxième écriture de journal que le total des frais d'adhésion était inclus dans le revenu de l'appelante sur une période de dix ans, un mois à la fois. Il y avait 12 écritures de journal dans chaque année civile. Pour être précis, les frais d'adhésion payés par un membre après le premier mois d'un exercice financier complet étaient répartis sur une période de 11 ans, moins de 1/10 de ces frais étant inclus dans le revenu de l'appelante pour la première et la dernière année, mais exactement 1/10 des frais étant inclus dans le revenu de l'appelante pour chacune des neuf années comprises dans l'intervalle.

[15] Robert Schultz, c.a., a été le troisième témoin appelé par l'appelante. Il est le comptable agréé qui prépare les états financiers de l'appelante et ses déclarations de revenus depuis qu'elle a ouvert ses portes. Lorsqu'il a rencontré M. Andron pour la première fois à l'automne de 1980, il a été informé que d'autres clubs semblables reportaient une partie de leurs frais d'adhésion. M. Schultz craignait également qu'en déclarant tous les frais d'adhésion à titre de revenu dans l'année de réception le revenu se trouve surestimé, ce qui était contraire aux principes de la comptabilité prudente. Il a été incapable de se rappeler qui avait élaboré la formule de report des frais d'adhésion énoncée dans la résolution adoptée par les administrateurs et produite sous la cote A-1.

[16] Les documents de travail de M. Schultz ont été produits sous la cote A-2. M. Schultz a démontré, à partir de la première page de la pièce A-2, la façon dont le montant de 60 469,62 $ (le total de la colonne 5) avait été inclus dans le calcul du revenu de l'appelante en 1992. Pour une année donnée, comme 1989, les frais d'adhésion nets reçus dans l'année étaient de 87 704,69 $ (colonne 3). Le total inclus dans le revenu en 1989, 1990 et 1991 était de 26 311,41 $, c'est-à-dire 3/10 du montant en question (colonne 4). La part de un dixième ajoutée au revenu de 1992 était de 8 770,47 $ (colonne 5). Le total, à la colonne 6 (35 081,88 $), représentait le total des montants figurant aux colonnes 4 et 5 et, également, le total des montants inclus dans le revenu des années 1989 à 1992 inclusivement. Enfin, le “ solde reporté ”, à la colonne 7, est la différence entre le montant de la colonne 3 et celui de la colonne 6. Les documents de travail de M. Schultz paraissent être conformes aux écritures de journal décrites par Mme Rivard.

[17] La pièce A-3 est la déclaration de revenus de l'appelante pour 1992 et la pièce A-4, celle pour 1991. Les états financiers de l'appelante sont joints à ses déclarations de revenus pour les années respectives. L'annexe 1 des états financiers de 1992 fait état de ventes et de frais directs. D'après M. Schultz, les revenus de 1 248 398 $ tirés du club de conditionnement physique et de racquetball incluent le montant de 60 649,62 $, décrit à la première page de ses documents de travail (pièce A-2) comme étant les frais d'adhésion de l'année en cours (1992) inclus dans le revenu.

[18] Les états financiers de 1991 font partie de la pièce A-4. La note 5 des états financiers de 1991 décrit le passif à long terme et inclut les frais d'adhésion différés de 441 154 $, lequel est le seul montant en litige. M. Schultz a confirmé que l'annexe T2S(1), qui est un état de rapprochement du revenu net aux fins de l'impôt sur le revenu joint à chaque déclaration de revenus, ne contenait aucun rajustement au titre des frais d'adhésion différés. Plus précisément, aucun montant n'était inscrit au titre des provisions pour années antérieures non incluses dans les états ou des provisions pour année en cours non déduites dans les états.

[19] M. Schultz a déclaré que rien dans les écritures de journal de Mme Rivard n'indiquait que les frais d'adhésion différés étaient des provisions. Lui-même ne les avait pas considérées comme telles parce que (i) dans les faits, l'appelante portait le total des frais d'adhésion au crédit d'un compte de passif, pour n'inclure dans le revenu que le 1/120 du solde de ce compte chaque mois, et (ii) à titre de comptable, il estime qu'une provision est une affectation de bénéfices non répartis, et il n'y avait aucune affectation de cette nature dans les états financiers de l'appelante. M. Schultz a peut-être raison en tant que comptable de profession mais, dans la présente affaire, il n'y a aucune preuve d'expert portant sur les principes comptables généralement reconnus (PCGR). Par conséquent, je ne peux que me fonder sur les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu qui s'appliquent au montant en litige.

[20] D'après la réponse modifiée de l'intimée déposée environ deux semaines avant l'audition, l'intimée invoque les dispositions suivantes de la Loi : les alinéas 12(1)a), 12(1)e), 18(1)e) et 20(1)m), dont les parties pertinentes sont reproduites ci-après :

12 (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

les sommes reçues au cours de l'année par le contribuable dans le cours des activités d'une entreprise :

soit qui sont au titre de services non rendus ou de marchandises non livrées avant la fin de l'année ou qui, pour toute autre raison, peuvent être considérées comme n'ayant pas été gagnées durant cette année ou une année antérieure,

[...]

[...]

les sommes qui ont été dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise par le contribuable pour l'année précédente :

soit déduites en vertu de l'alinéa 20(1)m) (y compris celles substituées, en vertu du paragraphe 20b), à de telles sommes) ou m.1) ou du paragraphe 20(7),

soit déduites en vertu de l'alinéa 20(1)n);

18 (1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

[...]

un montant au titre d'une provision, d'une éventualité ou d'un fonds d'amortissement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

20 (1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

sous réserve du paragraphe (6), lorsque des sommes visées à l'alinéa 12(1)a) ont été incluses dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour l'année ou une année antérieure, une somme raisonnable à titre de provision dans le cas :

de marchandises qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être livrées après la fin de l'année,

de services qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être rendus après la fin de l'année,

[...]

[21] Les sous-alinéas 12(1)a)(i) et 20(1)m)(ii) font respectivement référence à des “ services non rendus [...] avant la fin de l'année [...] ” et à des “ services qui [...] devront être rendus après la fin de l'année ”. M. Andron a indiqué clairement dans son témoignage qu'il avait fait une promesse de remboursement à des membres potentiels qui avaient posé des questions parce qu'il estimait raisonnable qu'une nouvelle inscription soit valable pour une période de dix ans et parce que des clubs semblables faisaient le même genre de promesse. Dans son esprit, l'appelante ne pouvait gagner les frais d'adhésion que si elle permettait l'utilisation continue de ses installations sur une période de dix ans. Étant donné que les frais sont payés d'avance au moment de l'inscription, le point de vue de M. Andron selon lequel ces frais étaient gagnés sur une période de 10 ans se rapproche beaucoup du service “ qui devr[a] être rendu[] après la fin de l'année ” au cours de laquelle les frais sont reçus, pour reprendre les termes du sous-alinéa 20(1)m)(ii).

[22] J'ai déjà conclu au paragraphe 11 que l'appelante n'avait aucune obligation de rembourser quelque partie que ce soit des frais d'adhésion, mais je ne m'intéresse pas ici à la question de savoir si l'appelante avait une obligation légale ou morale ni à la question de savoir si elle avait ou non une obligation. Je ne m'intéresse qu'à la façon dont M. Andron concevait sa promesse de remboursement, car c'est ce qui a façonné la tenue de livres et la comptabilité de l'appelante. Si M. Andron croyait, à tort ou à raison, que les frais d'adhésion étaient gagnés sur une période de 10 ans, c'est ce point de vue qui a influé sur la résolution des administrateurs et la formule de remboursement qui figurent à la pièce A-1.

[23] J'ai demandé à M. Schultz, à la fin de son témoignage, s'il considérait les frais d'adhésion comme un revenu par opposition à un gain en capital ou à autre chose. M. Schultz a déclaré qu'il considérait les frais d'adhésion comme un revenu. J'accepte son opinion sans hésitation. Elle est compatible avec les deux écritures de journal que Mme Rivard faisait simultanément à la fin de chaque mois et qui sont décrites précédemment, au paragraphe 13.

[24] L'appelante soutient qu'en fait elle n'a pas déduit de provision en vertu de l'alinéa 20(1)m), ni estimé qu'elle avait déduit une telle provision. Cet argument repose sur les écritures de journal effectivement faites dans les livres et registres de l'appelante. D'après ces écritures, décrites au paragraphe 13 ci-dessus, les frais d'adhésion étaient d'abord portés au crédit d'un compte de passif (frais d'adhésion différés) puis inclus chaque mois dans le revenu de l'appelante selon une formule fondée sur les 120 mois que comprend une période de dix ans. Les documents de travail de M. Schultz (pièce A-2) paraissent être compatibles avec ces écritures de journal. Bien qu'il n'y ait aucune preuve d'expert en comptabilité dans la présente affaire, et que M. Schultz n'ait décrit aucune autre méthode de consignation des frais d'adhésion, je suppose que l'appelante aurait pu, dans un premier temps, porter ces frais directement au crédit du revenu en frais d'adhésion et, dans un deuxième temps, déduire, à la fin de l'exercice, une provision équivalant à la portion qu'elle considérait être la partie non gagnée de ces frais, au moyen d'une écriture de journal qui aurait (i) débité le revenu tiré en frais d'adhésion, et (ii) crédité les frais d'adhésion différés. Ce ne sont là que des conjectures puisque la preuve ne porte que sur ce que l'appelante a effectivement fait.

[25] Si je tiens compte de l'effet de la tenue de livres et de la comptabilité de l'appelante, il n'y a pas de doute que le total des frais d'adhésion n'était pas inclus dans le revenu dans l'année de réception en dépit de l'opinion de M. Schultz selon laquelle ces frais étaient un revenu. Seule une petite partie (pas plus de 1/10) des frais d'adhésion payés par un membre était incluse dans le revenu d'une année donnée. Il est établi que les 9/10 environ des frais d'adhésion n'étaient pas déclarés dans le revenu dans l'année de réception et qu'ils étaient reportés sur des années ultérieures. Si l'on accepte le point de vue erroné de M. Andron selon lequel les frais d'adhésion étaient gagnés sur une période de 10 ans, et l'opinion de M. Schultz que tous les frais d'adhésion sont des revenus, la tenue de livres et la comptabilité de l'appelante ne respectent pas le sous-alinéa 12(1)a)(i), aux termes duquel le contribuable doit inclure dans le calcul de son revenu toute somme reçue dans l'année au titre de services non rendus avant la fin de l'année, ou qui peut être considérée comme n'ayant pas été gagnée dans l'année.

[26] En d'autres termes, si j'accepte le point de vue erroné de M. Andron selon lequel les frais d'adhésion étaient gagnés sur une période de 10 ans, et l'opinion juste de M. Schultz que ces frais étaient des revenus, les frais d'adhésion devaient être inclus dans le calcul du revenu aux termes du sous-alinéa 12(1)a)(i). Si l'appelante avait respecté le sous-alinéa 12(1)a)(i) comme elle était tenue de le faire, la seule façon dont elle aurait pu soustraire une partie des frais d'adhésion du revenu aurait été de déduire une provision aux termes de l'alinéa 20(1)m).

[27] À mon avis, l'effet de la tenue de livres et de la comptabilité de l'appelante est plus important que l'ordre dans lequel certaines écritures de journal ont été faites ou que le nom qu'on leur a donné. L'appelante tenait un compte de passif intitulé “ Frais d'adhésion différés ”. C'est dans ce compte qu'elle conservait une partie des frais d'adhésion déjà reçus mais non encore inclus dans le revenu parce que cette portion était mise de côté jusqu'à ce qu'elle soit incluse dans le revenu des années ultérieures. Ce compte constituait donc une provision aux sens de l'alinéa 20(1)m) parce qu'il reportait sur une année ultérieure un revenu déjà reçu. La tenue de livres et la comptabilité de l'appelante avaient pour effet de créer une “ provision ”, qu'elle soit appelée ainsi ou non.

[28] J'ai mentionné, au paragraphe précédent, le compte de passif de l'appelante appelé “ Frais d'adhésion différés ”. Ce compte figure dans le “ passif à long terme ” du bilan de l'appelante faisant partie de ses états financiers de 1991 et de 1992. À la pièce A-4 (déclaration de revenus de 1991 de l'appelante), la note 5 jointe aux états financiers au 31 décembre 1991 énumère les nombreux éléments du passif à long terme, où figure un poste appelé “ Frais d'adhésion différés 441 154 $ ”, c'est-à-dire précisément le montant en litige. De même, à la pièce A-3 (la déclaration de revenus de 1992 de l'appelante), la note 6 jointe aux états financiers au 31 décembre 1992 énumère les mêmes éléments du passif à long terme, y compris des frais d'adhésion différés de 696 860 $, qui est le montant analysé en détail au paragraphe 3. À la note 6, pour 1992, le montant comparable qui figure pour 1991 est 441 154 $.

[29] Puisque j'ai conclu au paragraphe 11 que l'appelante n'avait aucune obligation de rembourser quelque partie que ce soit des frais d'adhésion, je n'ai aucune hésitation à conclure que le montant appelé “ Frais d'adhésion différés ” dans les notes jointes aux états financiers de l'appelante n'était pas du tout un élément du passif, que ce soit à long terme, à court terme ou à quelque autre titre que ce soit. Il s'agissait d'une provision au titre des frais différés même s'il s'agissait d'une provision pour éventualités et que, par conséquent, elle était interdite aux termes de l'alinéa 18(1)e) de la Loi. Si ce montant avait été retiré du “ passif à long terme ” et porté au crédit d'un compte de provision distinct pour frais d'adhésion différés, le bilan aurait quand même été équilibré. En outre, si les frais d'adhésion avaient tous été inclus dans le calcul du revenu pour l'année de réception sans aucun report, comme ils auraient dû l'être, ils auraient fait partie des bénéfices non répartis (moins tout impôt s'y rapportant) et le bilan aurait quand même été équilibré.

[30] En résumé, pour toutes les années antérieures à 1992, l'appelante a déduit dans le calcul de son revenu une provision pour éventualités pour frais d'adhésion différés, en contravention de l'alinéa 18(1)e) de la Loi. Parce que M. Andron estimait à tort que l'appelante avait l'obligation de rembourser une partie des frais d'adhésion et que ces frais seraient “ gagnés ” sur une période de 10 ans, l'appelante a cru qu'elle déduisait une provision au sens de l'alinéa 20(1)m). C'est ce qui ressort du paragraphe 7 de l'avis d'opposition de l'appelante (pièce R-1) daté du 19 août 1996. Voir également la page 6 (dernier paragraphe) de la pièce R-2, une lettre de l'avocat de l'appelante datée du 27 février 1997. Ce n'est que lorsque l'appelante a abandonné sa demande de déduction d'une provision en vertu de l'alinéa 20(1)m) qu'elle a décidé de faire valoir qu'en fait elle n'avait déduit aucune provision au titre des frais d'adhésion différés dans les années antérieures à 1992. Cet argument n'est pas fondé.

[31] Dans la présente affaire, certains montants ont été effectivement déduits à titre de provisions dans le calcul du revenu pour les années antérieures à 1992. Ces déductions ont été acceptées par le ministre même si elles n'étaient pas permises par la Loi de l'impôt sur le revenu. Il ne reste donc qu'à déterminer si les montants déduits dans les faits à titre de provisions dans les années antérieures à 1992, mais non autorisés en droit à titre de déductions aux termes de la Loi, doivent être inclus dans le calcul du revenu de 1992. La Cour d'appel fédérale a été saisie précisément de cette question dans l'arrêt The Dominion of Canada General Insurance Company v. The Queen, 86 DTC 6154, dans des circonstances quelque peu semblables. Se prononçant pour la Cour, le juge Stone a déclaré à la page 6164 :

À mon sens, ce serait donner à l'alinéa 85B.(1)e) une interprétation trop restrictive que de prétendre que son libellé n'exigeait pas l'inclusion du montant déduit en 1968 dans le revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1969. Bien que l'alinéa vise indubitablement une somme régulièrement déduite, je ne vois aucune raison d'en limiter l'application à cette seule circonstance. Au contraire, son libellé semble suffisamment large pour s'appliquer également à un “montant” qui a de fait été “déduit” au cours d'une année précédente par un contribuable qui se conformait ou prétendait se conformer aux dispositions de l'alinéa 85B.(1)c). Cela est particulièrement vrai lorsque, comme en l'espèce, la cotisation établie à l'égard du revenu a été acceptée et ne peut plus être contestée par l'appelante, mais doit être considérée valide et obligatoire. Je suis incapable de concevoir que le Parlement, en adoptant cet alinéa, entendait autre chose que d'obliger le contribuable à intégrer à son revenu dans son année d'imposition en cours ce qu'il avait déduit au cours de l'année d'imposition précédente à titre de réserve pour polices.

[32] Dans l'arrêt Sears Canada Inc. v. The Queen, 89 DTC 5039, le juge Mahoney, de la Cour d'appel fédérale, a déclaré ceci :

À notre avis, le juge de première instance n'a pas fait erreur en tranchant cette question sur le fondement de la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Dominion of Canada General Insurance v. H.M., 86 D.T.C. 6154, qui, statuant précisément sur cette question, a conclu que l'alinéa 12(1)e) exigeait qu'une réserve effectivement déduite et accordée soit rajoutée même si sa déduction n'avait pas eu lieu conformément à la loi.

[33] Dans l'affaire I.B. Pederson Limited v. The Queen, 94 DTC 1085, le juge Rip a renvoyé aux affaires Dominion of Canada et Sears, avant de déclarer ceci à la page 1091 :

[...] Une somme constituant prétendument une provision a été déduite par l'appelante en vertu de l'alinéa 20(1)m) dans le calcul de son revenu de 1987. L'alinéa 12(1)e) prévoit que toute somme ainsi déduite “à titre de provision” dans l'année d'imposition précédente doit être incluse dans le calcul du revenu de l'année. Le fait que la contribuable n'avait pas droit à la provision ne change rien, tant qu'elle avait déduit la somme à titre de provision l'année précédente.

[34] En l'espèce, dans les années antérieures à 1992, l'appelante a effectivement déduit certaines sommes à titre de provisions alors qu'elle n'était pas autorisée en droit à le faire car elle n'avait aucune obligation de rembourser quelque partie que ce soit des frais d'adhésion. Le montant de 441 154 $ doit être inclus dans le calcul du revenu de l'appelante de 1992 en vertu de l'alinéa 12(1)e) de la Loi. Les appels sont rejetés, avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de mars 1999.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de décembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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