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Dossier : 2015-4349(EI)

ENTRE :

9232-7113 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

NICK KARAMITSOS,

intervenant.

 

Appel entendu le 6 juillet 2016 et continué le 25 octobre 2016 à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge Réal Favreau


Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Hubert Martin Cap-Dorcelly

Avocate de l'intimé :

Me Amélia Fink

Pour l'intervenant:

L'intervenant lui-même

 

JUGEMENT

        L’appel à l’encontre de la décision du ministre du Revenu national à l’effet que monsieur Karamitsos occupait un emploi assurable auprès de l’appelante en vertu d’un contrat de louage de services au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi et que monsieur Karamitsos avait accumulé 808 heures exercées dans le cadre d’un emploi assurable au sens de l’article 9.1 du Règlement sur l’assurance-emploi pendant la période du 15 septembre 2013 au 20 février 2014, est accueilli sur la base que monsieur Karamitsos n’occupait pas un emploi assurable auprès de l’appelante pendant ladite période.

Signé à Québec, Québec, ce 28e jour de mars 2017.

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 


Référence : 2017 CCI 49

Date : 20170328

Dossier : 2015-4349(EI)

ENTRE :

9232-7113 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

NICK KARAMITSOS,

intervenant.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Favreau

[1]             Il s’agit ici d’un appel à l’encontre d’une décision du ministre du Revenu national à l’effet que monsieur Karamitsos occupait un emploi assurable auprès de l’appelante en vertu d’un contrat de louage de services au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « Loi ») et que monsieur Karamitsos avait accumulé 808 heures exercées dans le cadre d’un emploi assurable au sens de l’article 9.1 du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332 (le « Règlement ») pendant la période du 15 septembre 2013 au 20 février 2014 (« la période en litige »). Bien que la Réponse à l’avis d’appel indique que la période en litige soit du 16 septembre 2013 au 20 février 2014, les parties aux présentes ont reconnu et accepté que la période en litige aux fins des présentes soit du 15 septembre 2013 au 20 février 2014.

Historique du dossier d’assurance-emploi et du dossier de la plainte auprès de la Commission des normes du travail

[2]             Suite à une demande de prestations d’assurance-emploi présentée par Nick Karamitsos (« M. Karatmitsos »), Service Canada a demandé à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») de rendre une décision sur la question de savoir si le travailleur avait exercé un emploi assurable auprès de l’appelante, et, dans l’affirmatif, quel était le nombre d’heures exercées dans le cadre de l’emploi durant la période en litige.

[3]             Par lettres en date du 24 avril 2015, l’ARC a avisé Service Canada, M. Karamitsos et l’appelante de sa décision, selon laquelle M. Karamitsos n’avait pas de contrat de travail avec l’appelante et, par conséquent, il n’occupait pas un emploi assurable durant la période en litige.

[4]             Par lettre en date du 4 mai 2015, M. Karamitsos a porté la décision de Service Canada en appel devant l’intimé.

[5]             Par lettres en date du 16 juin 2015, l’intimé a avisé Service Canada, M. Karamitsos et l’appelante de sa décision, selon laquelle l’emploi de M. Karamitsos chez l’appelante était assurable puisque les exigences d’un contrat de louage de services avaient été respectées et M. Karamitsos avait accumulé 808 heures exercées dans le cadre d’un emploi assurable pendant la période en litige.

[6]             En plus de sa demande de prestations d’assurance-emploi, M. Karamitsos a déposé, le 18 mars 2014, une plainte pour réclamation pécuniaire auprès de la Commission des normes du travail. En vertu de cette plainte, M. Karamitsos réclamait à l’appelante la somme totale de 5 296,61 $, soit (i) 3 824 $ pour salaire impayé au taux de 16 $ l’heure pour 36 heures par semaine pendant 20 semaines, plus les 6 heures travaillées le 15 septembre 2013, plus les 32 heures travaillées les semaines du 30 septembre 2013 et du 13 octobre 2013 et plus les 24 heures travaillées la semaine du 17 février 2014 (soit 808 heures travaillées au total); (ii) 351,36 $ pour les jours fériés, chômés et payés; (iii) 576 $ pour le défaut de préavis de fin d’emploi; et (iv) 545,25 $ pour les congés annuels et vacances (4%). Il y a lieu de préciser ici que le montant total de la rémunération des heures travaillées s’élevait à 13 024 $ mais que seulement 9 200 $ ont été payés, d’où la différence de 3 824 $ réclamés.

[7]             La Commission des normes du travail a fait enquête et a entamé une poursuite judiciaire contre l’appelante lui réclamant la somme de 5 296,91 $.

[8]             Un règlement hors cour est intervenu le 23 octobre 2014 et l’appelante a versé à la Commission des normes du travail la somme totale de 1 500 $, au moyen de deux chèques d’un montant de 750 $ chacun, respectivement datés du 1er et du 15 novembre 2014. Dans les attendus de la transaction reçu-quittance conclue dans le cadre du règlement hors cour, l’appelante a nié devoir quelque montant que ce soit à M. Karamitsos et a nié que ce dernier ait été un de ses employés.

[9]             La Commission des normes du travail et l’appelante se sont données quittance et M. Karamitsos et l’appelante ont fait de même à l’égard des faits mentionnés dans le dossier de la Cour du Québec opposant la Commission des normes du travail à l’appelante.

Les présomptions de fait

[10]        Pour rendre sa décision, l’intimé s’est appuyé sur les présomptions de fait suivantes énoncées au paragraphe 6 de la Réponse à l’avis d’appel :

(a)   l’appelante est une identité incorporée qui opère un restaurant qui offre des services de mets à emporter (le « restaurant »);

(b)   le restaurant opère sous le nom « Village Santé Gourmet »;

(c)   Mr. Karamitsos a été engagé par l’appelante sous un contrat verbal conclu dans la province du Québec;

(d)   Mr. Karamitsos a offert ses services à l’appelante à partir du 15 septembre 2013;

(e)   Mr. Karamitsos a travaillé chez l’appelante à titre de cuisinier;

(f)   Mr. Karamitsos a accompli des tâches chez l’appelante qui incluaient :

(i) faire les menus;

(ii) préparer les soupes et sandwich;

(iii) faire des commandes d’ingrédients ou de nourriture;

(iv) faire des suggestions concernant la façon d’opérer le restaurant.

(g)   durant la période en litige, Mr. Karamitsos a offert ses services dans le restaurant de l’appelante pour le nombre d’heures hebdomadaires et total suivant :

Semaine se terminant le

Nombre d’heures

 

Semaine se terminant le

Nombre d’heures

22 septembre 2013

36

 

15 décembre 2013

36

29 septembre 2013

36

 

22 décembre 2013

36

06 octobre 2013

32

 

29 décembre 2013

36

13 octobre 2013

32

 

05 janvier 2014

36

20 octobre 2013

36

 

12 janvier 2014

36

27 octobre 2013

36

 

19 janvier 2014

36

03 novembre 2013

36

 

26 janvier 2014

36

10 novembre 2013

36

 

02 février 2014

36

17 novembre 2013

36

 

09 février 2014

36

24 novembre 2013

36

 

16 février 2014

36

01 décembre 2013

36

 

*23 février 2014

24

08 décembre 2013

36

 

Total

808 heures

* le dernier jour de travail étant le 20 février

(h)   l’appelante a rémunéré Mr. Karamitsos pour les services rendus sur une base horaire;

(a)      en générale, l’appelante a payé en espèces Mr. Karamitsos pour les services rendus;

(b)      l’appelante a autorisé Mr. Karamitsos à accéder au restaurant;

(c)      l’appelante a déterminé les tâches à accomplir par Mr. Karamitsos;

(d)     l’appelante a déterminé le montant de rémunération de Mr. Karamitsos;

(e)      l’appelante a déterminé les ingrédients parmi lesquels Mr. Karamitsos pouvait utiliser pour préparer les mets; et,

(f)       l’appelante a déterminé les fournisseurs parmi lesquels Mr. Karamitsos pouvait commander des ingrédients ou de la nourriture.

Résumé des témoignages

Jamaal Mial Tariq

[11]        Le premier témoin était monsieur Jamaal Mial Tariq, le conjoint de la propriétaire de l’appelante et le chef-cuisinier du restaurant Village Santé Gourmet situé aux Galeries Laval (le « restaurant »).

[12]        Il a expliqué que le restaurant était le troisième restaurant pour lequel il agissait à titre de chef-cuisinier, lequel a débuté ses opérations le 2 avril 2013 après une période de rénovations non-précisée.

[13]        Le restaurant était situé dans un centre d’achat et avait une capacité de 30 à 40 places assises. Le restaurant était une pizzeria offrant, en plus de la pizza, des pâtes, des salades et des hamburgers.

[14]        Le témoin connaissait M. Karamitsos depuis plusieurs années alors que ce dernier possédait lui-même un restaurant. Il considérait M. Karamitsos comme un ami qui avait de l’expérience dans la restauration. Durant les rénovations du restaurant, M. Karamitsos venait souvent prendre un café avec lui. M. Karamitsos lui faisait des suggestions pour le menu et lui rendait parfois de petits services comme servir des plats aux clients.

[15]        Monsieur Tariq a témoigné que M. Karamitsos n’avait jamais travaillé au restaurant, qu’il n’était pas un employé du restaurant et qu’il n’avait pas été payé pour ses services. Il a de plus affirmé qu’il n’avait jamais rien acheté de M. Karamitsos dont la carte d’affaires indiquait qu’il était un représentant aux ventes pour Les Aliments Moukas Foods Inc.

[16]        Le témoin a également affirmé que M. Karamitsos, comme les autres employés du restaurant, n’a jamais eu les clés du restaurant et qu’il n’a jamais ouvert, ni fermé, le restaurant.

Rajkumar Sivaloganathan (« Raj »)

[17]        Raj a commencé à travailler au restaurant en tant qu’employé à temps partiel vers la fin du mois d’avril 2013. Il savait comment préparer la pizza. Il travaillait sur demande de 10:00 à 14:00 les jours de semaine seulement. Il travaillait normalement environ 14 à 16 heures toutes les deux semaines. Il gagnait 10 $ l’heure et était payé en argent comptant. Aucun talon de paye ne lui a été remis.

[18]        Raj a affirmé avoir vu M. Karamitsos prendre un café au restaurant une fois toutes les deux semaines et il a précisé que M. Karamitsos portait habituellement un habit. Il a de plus affirmé que M. Karamitsos ne l’a jamais aidé à faire quoi que ce soit et qu’il ne l’a jamais vu préparer des plats au restaurant.

Jessica Capobianco (« Jessica »)

[19]        Jessica a commencé à travailler au restaurant le 23 décembre 2013 en tant qu’hôtesse et caissière à temps partiel. Elle travaillait sur demande et n’avait pas d’horaire fixe. Normalement, elle travaillait de 14:00 à 16:00 ou 17:00 surtout les jeudis et les vendredis.

[20]        Selon elle, le conjoint de la propriétaire de l’appelante et Raj étaient les cuisiniers du restaurant. Alors qu’elle était au restaurant, elle a vu à deux ou trois reprises M. Karamitsos prendre un café au restaurant en compagnie du conjoint de la propriétaire de l’appelante mais elle a affirmé n’avoir jamais vu M. Karamitsos préparer des mets ou livrer de la marchandise pour le compte du restaurant. Elle le percevait comme un ami du conjoint de la propriétaire de l’appelante.

[21]        Selon elle, c’est le conjoint de la propriétaire de l’appelante qui ouvrait le restaurant le matin. Il était toujours sur place alors que Raj travaillait à temps partiel. Elle n’a jamais eu en sa possession les clés du restaurant.

[22]        Elle était payée en argent comptant et ne recevait pas de talon de paye mais un relevé T-4 lui était remis.

Rajaa Chkirate (« Rajaa »)

[23]        Rajaa est la propriétaire de l’appelante. Elle a confirmé que M. Karamitsos était considéré comme un ami et un conseiller et qu’il venait prendre un café au restaurant chaque fois qu’il venait jouer aux courses chez Kenzo. Il venait plus souvent pendant les rénovations du restaurant et il a soumis une proposition d’achat du restaurant de la part d’un acheteur potentiel.

[24]        Elle a expliqué que, lorsque la santé de son frère s’est aggravée au début de 2014, elle a engagé Jessica pour la remplacer au restaurant pour lui permettre d’aller visiter son frère à l’hôpital et pour s’occuper de ses enfants.

[25]        Elle a catégoriquement affirmé que M. Karamitsos n’a jamais travaillé au restaurant, qu’elle n’avait tout simplement pas les moyens de lui payer 16 $ l’heure comme il le prétend et qu’il n’y a jamais eu d’entente quant à son emploi au restaurant.

[26]        Elle a expliqué que l’ouverture du restaurant était toujours effectuée par son conjoint vers 9 heures du matin et qu’il demeurait sur place jusqu’à la fermeture du restaurant. De septembre 2013 à février 2014, les personnes qui travaillaient au restaurant, en plus d’elle-même et de son conjoint, étaient Raj, Perinda Parminder qui a formé Raj à la cuisine, Jessica et de certaines autres personnes qui travaillaient à temps partiel sur demande.

[27]        Malgré certaines contradictions avec les informations qu’elle a fournies à l’enquêteur de Service Canada que nous verrons plus loin, je considère le témoignage de Rajaa comme étant très crédible et conforme à ce qu’elle a prétendu tout au long du processus de révision du statut de M. Karamitsos.

Antonio Milo (« M. Milo »)

[28]        M. Milo est un gérant de la société « Les Beaux Gâteaux » qui fournissait des pâtisseries au restaurant.

[29]        Il a expliqué que les commandes téléphoniques des clients étaient prises par trois préposées et que les appels provenant du restaurant étaient généralement effectués par Rajaa ou son conjoint mais qu’il était possible que les commandes puissent avoir été aussi été effetuées par une tierce personne dont il ne connaissait pas le nom.

[30]        Un relevé des commandes passées par l’appelante et un relevé des montants facturés à l’appelante et payés par elle pour la période du 27 novembre 2013 au 17 février 2015 ont été mis en preuve.

[31]        M. Milo a expliqué qu’il était venu visiter le restaurant avant que le restaurant ait placé sa première commande de pâtisseries, soit le 27 novembre 2013.

[32]        Le témoin n’a pu identifier M. Karamitsos dans la salle d’audience malgré le fait que ce dernier prétendait connaître M. Milo depuis plus de 15 ans.

Robert Camplani (« M. Camplani »)

[33]        M. Camplani est un inspecteur-enquêteur à la Commission des normes du travail et il s’est occupé de la plainte de M. Karamitsos. Il a expliqué le calcul des montants réclamés à l’appelante et le travail qu’il a effectué dans le dossier.

[34]        Il a expliqué que les montants réclamés avaient été établis uniquement sur la base des informations verbales fournies par M. Karamitsos. Selon M. Karamitsos, il était payé 16 $ l’heure pour ses services, soit 13 $ versés en argent comptant et 3 $ étaient retenus pour les impôts.

[35]        Il a notamment rencontré M. Karamitsos, Rajaa et son conjoint, le comptable de l’entreprise et M. Milo.

[36]        Après qu’il ait constaté des contradictions évidentes entre la version de la propriétaire de l’appelante et la version du comptable de l’appelante, il a mis fin à son enquête et a référé le dossier à un juge de la Cour du Québec pour qu’il rende une décision. Par la suite, il y a eu médiation et le dossier a été réglé à l’amiable.

M. Stéphane Nadeau

[37]        L’intimé a fait témoigner M. Stéphane Nadeau, enquêteur de Service Canada, qui a été saisi du dossier de l’appelante et qui l’a référé à l’ARC.

[38]        Dans le cadre de son enquête, il a eu des conversations téléphoniques avec la propriétaire de l’appelante et avec M. Karamitsos et il a effectué une entrevue au restaurant avec la propriétaire de l’appelante qui a très bien collaboré.

[39]        Selon le rapport d’entrevue daté du 5 mars 2015 préparé par le témoin, M.  Karamitsos n’a fourni aucune preuve à l’effet qu’il a travaillé au restaurant. Il n’a jamais reçu de talon de paye. Il a dit qu’il était payé en argent comptant à 13 $ l’heure plutôt que les 16 $ convenus et qu’il signait un reçu pour le comptable de l’entreprise pour prouver qu’il avait été payé. M. Karamitsos lui a dit qu’il ne se souvenait pas du nom du comptable et qu’il n’a jamais déposé son salaire dans son compte de banque. M. Karamitsos travaillait comme cuisinier mais il n’a pu nommer ou identifier les personnes avec qui il travaillait, sauf une Jessica et un Jessy, ni aucun client du restaurant. Il n’a pas conservé ses feuilles de temps et il n’a pas reçu de relevés pour préparer ses impôts.

[40]        Dans un autre rapport d’entrevue avec M. Karamitsos, cette fois datée du 25 mars 2015. M. Nadeau a relaté le fait que M. Karamitsos lui a révélé qu’il était sans le sou, qu’il n’avait pas d’argent pour payer son loyer, son électricité et sa nourriture, qu’il était malade et devait prendre des médicaments et qu’il n’avait pu obtenir d’autre emploi suite à son congédiement du restaurant. Après que M. Nadeau lui a suggéré d’obtenir de l’aide sociale, ce dernier lui a indiqué qu’il n’avait plus de raison de vivre et qu’il songeait à se suicider.

[41]        Dans son rapport d’entrevue avec la propriétaire de l’appelante réalisée le 24 mars 2015, M. Nadeau a noté qu’elle lui a expliqué qu’il n’y a jamais vraiment eu d’entente sur le travail de M. Karamitsos. C’était un ami de son conjoint qui se présentait au restaurant pour prendre un café avec son conjoint et les encourager. Ils discutaient de leurs façons de faire, que ce soit des recettes ou de la présentation du restaurant. Selon elle, M. Karamitsos n’a jamais été formellement embauché. Elle a d’abord nié qu’il ait travaillé dans son restaurant mais elle a, par la suite, dit qu’il a travaillé comme travailleur autonome apparemment sur la recommandation de son avocat et de l’inspecteur de la Commission des normes du travail. Elle n’avait pas le contrôle de ses heures et il venait quand bon lui semblait. Il n’avait aucun horaire fixe et elle n’avait aucun contrôle de ses heures. Elle ne connaissait pas le nombre d’heures que M. Karamitsos travaillait par semaine.

[42]        Lors de la même entrevue, la propriétaire de l’appelante a expliqué qu’elle a conclu une entente à l’amiable avec la Commission des normes du travail pour clore le dossier. L’agent des normes du travail lui aurait indiqué qu’il avait le mandat de défendre les intérêts des employés potentiellement lésés et que comme elle a accepté que M. Karamitsos soit présent sur le lieu de son restaurant, soit dans la cuisine pour montrer comment préparer la nourriture, la Commission sur les normes du travail a considéré qu’il avait travaillé pour elle.

[43]        Finalement, la propriétaire de l’appelante a indiqué qu’elle n’avait pas les moyens de verser un salaire de 16 $ l’heure à M. Karamitsos.

M. Stephen Thibault

[44]        M. Thibault, un agent des cas complexes et une personne ressource de l’ARC, a témoigné à l’audience pour déposer en preuve les données extraites des déclarations de revenu de M. Karamitsos et des relevés T-4 et T-4A produits par l’appelante.

[45]        Pour l’année d’imposition 2013, M. Karamitsos a déclaré un revenu net de zéro et pour l’année d’imposition 2014, il a déclaré un revenu total d’un dollar.

[46]        Pour l’année d’imposition 2013, l’appelante a produit deux relevés d’emploi (T-4) montrant qu’elle a versé des revenus d’emploi de 10 799 $ au total.  Pour l’année d’imposition 2014, elle a produit cinq relevés d’emploi (T-4) montrant qu’elle a versé un montant total de 17 400 $. Les noms des employés à qui ces relevés d’emploi ont été émis pour les années d’imposition 2013 et 2014 ont été mis en preuve et le nom de M. Karamitsos n’y apparaît pas. Pour les années d’imposition 2013 et 2014, l’appelante n’a émis aucun relevé d’emploi T‑4A pour les travailleurs autonomes.     

[47]        Selon M. Thibault, M. Karamitsos n’a pas déclaré le revenu de 1 500 $ que la Commission des normes du travail lui a versé par un chèque daté du 18 décembre 2014.

M. Nick Karamitsos

[48]        M. Karamitsos a témoigné à l’audience. Il a expliqué qu’il travaillait en tant que cuisinier au restaurant et que, lorsqu’il était présent au restaurant, il gérait seul la cuisine parce que le conjoint de la propriétaire de l’appelante n’était jamais présent au restaurant durant le jour.

[49]        Il a précisé que le conjoint de la propriétaire de l’appelante achetait les aliments alors qu’il passait les commandes de pâtisseries auprès du fournisseur Les Beaux Gâteaux.

[50]        Concernant ses heures de travail, il a dit qu’il travaillait sept heures par jour mais qu’il était payé pour seulement six heures par jour. Il a prétendu avoir travaillé de 9 heures à 16 heures pendant six semaines et sept jours par semaine pendant 17 semaines malgré ses problèmes de santé. Il a affirmé qu’il était le seul employé à travailler à plein temps alors que tous les autres employés travaillaient à temps partiel.

[51]        M. Karamitsos a affirmé que le conjoint de la propriétaire de l’appelante a accepté de lui verser 16 $ l’heure et que ce dernier lui remettait 400 $ par semaine en paiement partiel chaque samedi. Le témoin a indiqué qu’il n’a pas rapporté, dans ses déclarations de revenu pour les années d’imposition 2013 et 2014, les semaines payées par l’appelante parce qu’il n’a pas reçu de relevés T-4.

Les points en litige

[52]        Il s’agit ici de déterminer si M. Karamitsos a effectivement travaillé au restaurant en tant qu’employé et, dans l’affirmative, de déterminer le nombre d’heures exécutées dans le cadre d’un emploi assurable pendant la période en litige.

Analyse

[53]        La détermination des points en litige repose essentiellement sur l’analyse des faits et sur la crédibilité des témoins.

[54]        Selon la preuve déposée au dossier, rien ne prouve que M. Karamitsos a effectivement occupé un emploi au restaurant pendant la période en litige.

[55]        Aucun des deux employés qui travaillaient à temps partiel ne l’ont vu travailler dans la cuisine du restaurant. Le représentant du fournisseur de pâtisseries au restaurant n’a pas été en mesure d’identifier M. Karamitsos dans la salle d’audience et de confirmer que M. Karamitsos passait des commandes pour le compte du restaurant alors que M. Karamitsos prétendait le connaître depuis 15 ans. M. Karamitsos n’a pu fournir les noms des employés qui ont travaillé au restaurant en même temps que lui.

[56]        Les allégations de M. Karamitsos reposent sur son seul témoignage, lequel n’est pas crédible. M. Karamitsos n’a mis en preuve aucun registre des heures qu’il a travaillées au restaurant ni aucun document concernant les sommes qu’il aurait reçues de l’appelante en paiement partiel des heures travaillées. Il n’a reçu aucun relevé T-4 alors qu’il était de pratique courante pour l’appelante de remettre de tels relevés à ses autres employés, également payés en argent comptant. De plus, la propriétaire de l’appelante a constamment affirmé lors des enquêtes effectuées par Service Canada et par la Commission des normes du travail qu’elle n’était pas en mesure de verser un salaire de 16 $ l’heure à un employé du restaurant. Tous les autres employés du restaurant étaient payés au salaire minimum ou à 10 $ l’heure.

[57]        La preuve démontre également de nombreuses incohérences quant au nombre d’heures supposément travaillées au restaurant par M. Karamitsos. M. Karamitsos a prétendu avoir travaillé à plein temps au restaurant et avoir travaillé 7 jours par semaine pendant 17 semaines sans manquer une seule journée, et ce, malgré ses problèmes de santé et ses autres obligations familiales. Selon lui, il était présent au restaurant tous les jours à compter de 9 heures le matin même s’il n’avait pas la clé pour ouvrir le restaurant. Je ne crois pas son témoignage à l’effet qu’il était le seul employé à travailler à plein temps au restaurant et que le conjoint de la propriétaire de l’appelante n’était jamais présent au restaurant durant le jour.

[58]        Les montants réclamés par la Commission des normes du travail étaient uniquement basés sur les informations fournies par M. Karamitsos à l’enquêteur de ladite Commission quant à ses heures travaillées. Sa semaine normale de travail aurait été de 36 heures par semaine, soit six heures par jour pendant six jours. Selon M. Karamitsos, il travaillait de 9 heures à 16 heures, soit 7 heures par jour mais n’était payé que pour six heures par jour parce que l’heure du dîner n’était pas payée.

[59]        L’intimé n’accepte pas les allégations de M. Karamitsos quant à ses heures travaillées parce que ce dernier a déclaré à plusieurs occasions qu’il travaillait au restaurant de 9 heures à 15 heures. C’est notamment le cas dans une de ses réponses à un questionnaire de Service Canada et dans son avis d’appel dans lequel il a mentionné qu’il travaillait six heures par jour et non sept heures par jour.

[60]        La crédibilité de M. Karamitsos est de plus entachée par le fait qu’il n’a pas rapporté dans ses déclarations de revenu pour les années d’imposition 2013 et 2014 les sommes supposément reçues de l’appelante pour les heures travaillées au restaurant et le montant de 1 500 $ obtenu de la Commission des normes du travail en décembre 2014.

[61]        Si M. Karamitsos avait travaillé toutes les heures qu’il a indiquées à la Commission des normes du travail, je ne crois pas qu’il aurait accepté de recevoir seulement 1 500 $ sur les 5 296,61 $ réclamés.

[62]        Il y a eu certaines contradictions dans les explications que la propriétaire de l’appelante a fournies à l’enquêteur de Service Canada. À titre d’exemple, dans le rapport d’entrevue datée du 24 mars 2015, elle a indiqué que M. Karamitsos n’avait jamais été embauché formellement et que c’était pour cette raison qu’elle a d’abord nié qu’il ait travaillé dans son restaurant et que, par la suite, elle a dit qu’il a travaillé comme un travailleur indépendant. À son avis, c’était plus un conseiller pour aider le restaurant à améliorer sa situation. Malgré cette déclaration de la part de la propriétaire de l’appelant, l’enquêteur de Service Canada a tout de même conclu que M. Karamitsos n’avait pas un contrat de service avec l’appelante et que son emploi n’était pas assurable.

[63]        À mon avis, cette déclaration de la propriétaire de l’appelante semble correspondre à la position qu’elle a adoptée dans le dossier devant la Commission des normes du travail pour arriver à un règlement hors cour. La réalité se trouve plutôt dans le document intitulé « Transaction Reçu-Quittance », signé dans le cadre du règlement hors cour de la poursuite de la Commission des normes du travail dans lequel, il est, catégoriquement nié que M. Karamitsos ait été un employé de l’appelante et que l’appelante lui doive quelque montant que ce soit.

[64]        Pour toutes ces raisons, l’appel est accueilli sur la base que M. Karamitsos n’occupait pas un emploi assurable auprès de l’appelante pendant la période en litige, soit du 15 septembre 2013 au 20 février 2014.

Signé à Québec, Québec, ce 28e jour de mars 2017.

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 49

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-4349(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

9232-7113 Québec Inc. et M.R.N. et Nick Karamitsos

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 6 juillet et 25 octobre 2017

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Réal Favreau

DATE DU JUGEMENT :

le 28 mars 2017

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Hubert Martin Cap-Dorcelly

Avocate de l'intimé :

Me Amélia Fink

Pour l'intervenant:

L'intervenant lui-même

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Hubert Martin Cap-Dorcelly

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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