Date: 19991110
Dossier: 98-266-IT-I
ENTRE :
RUSSELL WHITEHOUSE,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Motifs du jugement
Le juge Lamarre, C.C.I.
[1] L'appel en l'instance, interjeté sous le régime de la procédure informelle, est à l'encontre d'une cotisation établie à l'égard de l'appelant en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour l'année d'imposition 1995. Les faits sont admis par les parties et peuvent être résumés de la façon suivante :
[TRADUCTION]
a. l'appelant a travaillé pour la compagnie NLK Celpap Canada (Montréal) Inc. (la “ compagnie ”) du mois de novembre 1989 au 15 août 1991;
b. l'appelant avait une police collective d'assurance invalidité;
c. en 1991, à la suite d'une maladie, l'appelant a présenté une demande de prestations d'invalidité à La Great-West;
d. La Great-West ayant refusé la demande de l'appelant, celui-ci a intenté une poursuite contre elle;
e. l'appelant demandait que lui soit versée une prestation mensuelle à compter du mois de juin 1991 jusqu'au mois de juin 2004 — le mois de son 65e anniversaire — en conformité avec la police collective d'assurance invalidité;
f. une entente a plutôt été conclue avec La Great-West pour un montant de 138 000 $ conformément à un document intitulé “ Transaction et quittance générale et finale ” (pièce A-1). Les clauses essentielles de ce document sont reproduites ci-après :
TRANSACTION ET QUITTANCE GÉNÉRALE ET FINALE
En contrepartie du paiement, par le défendeur/demandeur reconventionnel La Great-West, Compagnie d'Assurance-Vie (ci-après appelée “ LA GREAT-WEST ”), de la somme de CENT TRENTE-HUIT MILLE DOLLARS (138 000 $), capital et intérêt compris, que le demandeur/défendeur reconventionnel Russell E. Whitehouse (ci-après appelé (“ M. WHITEHOUSE ”) reconnaît par les présentes avoir reçu, M. WHITEHOUSE libère à tout jamais LA GREAT-WEST, ses représentants, employés, agents, mandataires, administrateurs, dirigeants, ayants droit et assureurs de toutes réclamations, actions, causes d'action et actions en dommages-intérêts passées, présentes ou futures contre La GREAT-WEST, de M. WHITEHOUSE, à titre de bénéficiaire d'une police d'assurance collective souscrite auprès de LA GREAT-WEST par l'ancien employeur de M. WHITEHOUSE, Nystrom Lee Kobayashi & Associates (NLK CONSULTANTS INC.) et portant le numéro 134308GHA (ci-après appelée la “ police ”);
Sans préjudice de la portée générale de ce qui précède, M. WHITEHOUSE libère en outre LA GREAT-WEST, ses représentants, employés, agents, mandataires, administrateurs, dirigeants, ayants droit et assureurs de toute action en dommages-intérêts, connus ou non à la date des présentes, et de toute réclamation passée, présente et future découlant directement ou indirectement de l'un des faits allégués dans les actes de procédure ou les pièces versées au dossier de la Cour portant le numéro 500-05-007438-938 ou découlant directement ou indirectement de toute représentation, verbale ou écrite, action ou décision de la GREAT-WEST au cours du processus d'enquête, d'administration et de décision concernant la demande de prestations d'invalidité de M. WHITEHOUSE;
[...]
M. WHITEHOUSE reconnaît que, par suite du versement des sommes mentionnées précédemment, il renonce à se prévaloir de tout droit pouvant lui revenir directement ou indirectement aux termes de ladite police, et qu'à toutes fins utiles il n'est désormais plus couvert par ladite police;
[...] Par ailleurs, M. WHITEHOUSE renonce à demander l'annulation de la présente transaction et quittance générale et finale pour toute raison que ce soit, y compris toute erreur de droit ou de fait, et reconnaît par les présentes que les paiements mentionnés précédemment englobent tous les recours en dommages-intérêts connus ou inconnus à la date des présentes contre LA GREAT-WEST, ses représentants, employés, agents, mandataires, administrateurs, dirigeants, ayants droit et assureurs, y compris toute possibilité de complication ou aggravation ultérieure;
M. WHITEHOUSE reconnaît par les présentes que les paiements susmentionnés effectués par LA GREAT-WEST ne constituent pas une admission de responsabilité et qu'ils n'ont été faits que pour régler l'affaire à l'amiable. En outre, M. WHITEHOUSE reconnaît que la présente transaction et quittance générale et finale constitue une transaction aux termes des articles 2631 et suivants du Code civil du Québec;
g. l'appelant a reçu un montant de 69 000 $ au cours de chacune des années d'imposition 1995 et 1996 (c'est-à-dire, 50 % de 138 000 $ chacune de ces deux années).
[2] La seule question à trancher est celle de savoir si le montant de 69 000 $ reçu par l'appelant au cours de l'année d'imposition 1995 doit être inclus dans son revenu en application des alinéas 6(1)a) ou f) de la Loi.
[3] Les alinéas 6(1)a) et f) sont ainsi libellés :
Article 6 : Éléments à inclure à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi.
(1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :
a) Valeur des avantages — la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu'il a reçus ou dont il a joui au cours de l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi, à l'exception des avantages suivants :
(i) ceux qui résultent des cotisations de son employeur à un régime de pension agréé, un régime d'assurance collective contre la maladie ou les accidents, un régime privé d'assurance-maladie, un régime de prestations supplémentaires de chômage, un régime de participation différée aux bénéfices ou une police collective d'assurance temporaire sur la vie,
(ii) ceux qui découlent d'une convention de retraite, d'un régime de prestations aux employés ou d'une fiducie d'employés,
(iii) ceux qui étaient des avantages relatifs à l'usage d'une automobile;
(iv) ceux qui découlent de la prestation de services d'aide concernant :
(A) soit la santé physique ou mentale du contribuable ou d'un particulier qui lui est lié, à l'exclusion d'un avantage imputable à une dépense à laquelle l'alinéa 18(1)l) s'applique,
(B) soit le réemploi ou la retraite du contribuable;
(v) ceux qui sont prévus par une entente d'échelonnement du traitement, sauf dans la mesure où l'avantage est visé au présent alinéa par l'effet du paragraphe (11);
f) Prestations d'assurance contre la maladie, etc. — le total des sommes qu'il a reçues au cours de l'année, à titre d'indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l'un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué :
(i) un régime d'assurance contre la maladie ou les accidents,
(ii) un régime d'assurance invalidité,
(iii) un régime d'assurance de sécurité du revenu;
le total ne peut toutefois dépasser l'excédent éventuel du total visé au sous-alinéa (iv) sur le total visé au sous-alinéa (v) :
(iv) le total des sommes qu'il a ainsi reçues avant la fin de l'année et :
(A) lorsqu'une de ces sommes a été, en vertu du présent alinéa, incluse dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition antérieure se terminant après 1971, après cette année,
(B) sinon, après 1971,
(v) le total des cotisations versées par le contribuable dans le cadre du régime avant la fin de l'année et :
(A) lorsqu'il y a eu une année d'imposition antérieure, visée à la division (iv)(A), après cette année,
(B) sinon, après 1967;
[...]
[4] Dans l'affaire en l'instance, il est clair que l'alinéa 6(1)f) ne s'applique pas. Les montants que l'appelant a reçus ne lui étaient pas payables périodiquement et n'étaient donc pas assujettis à cette disposition (voir les décisions de notre cour dans les affaires Peel v. M.N.R., 87 DTC 268; Cook v. The Queen, 95 DTC 853; Landry v. The Queen, 98 DTC 1416). En outre, rien dans l'entente de règlement (pièce A-1) n'indique ou ne permet de supposer que le montant total de 138 000 $ représentait simplement le total des paiements périodiques que l'appelant aurait pu recevoir sa vie durant, comme c'était le cas dans l'affaire Marchand v. M.N.R., 87 DTC 630 (C.C.I.).
[5] Si le montant forfaitaire reçu par l'appelant n'est pas imposable aux termes de l'alinéa 6(1)f), a aussi soutenu l'avocat de l'intimée, il est toutefois imposable aux termes de l'alinéa 6(1)a). Quoique le juge Taylor, de notre cour, s'appuyant sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire The Queen v. Savage, 83 DTC 5409, ait fait sien ce point de vue dans l'affaire Cook, le juge Bowman de notre cour en a décidé autrement dans l'affaire Landry.
[6] Je conviens avec le juge Bowman que l'alinéa 6(1)a) est une disposition générale qui n'a pas pour objet de combler les vides laissés par l'alinéa 6(1)f). Cette interprétation est conforme à l'approche adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254. Dans cette affaire, le ministre a soutenu que, même si un montant forfaitaire reçu par le contribuable ne pouvait pas être qualifié d'allocation de retraite et n'était donc pas imposable aux termes du sous-alinéa 56(1)a)(ii) de la Loi, il n'en constituait pas moins un revenu découlant d'une source non recensée de revenu et était imposable aux termes de la disposition générale du paragraphe 3a) de la Loi.
[7] Le juge La Forest, s'exprimant pour la majorité, a rejeté cet argument dans les termes suivants aux pages 293 et 294 :
[...] En l'espèce, faire droit à l'argument de l'État reviendrait à accorder la préséance à une disposition générale par rapport aux dispositions détaillées adoptées par le législateur pour régir les paiements semblables à celui touché par M. Schwartz dans le cadre du règlement.
Comme je l'ai mentionné précédemment, le législateur a apporté une solution particulière à un problème particulier qui découlait d'un certain nombre de décisions judiciaires concernant l'assujettissement à l'impôt de versements semblables à celui touché par l'appelant. Selon ces décisions, les dommages-intérêts versés par suite d'un congédiement injustifié n'étaient imposables ni à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi au sens du par. 5(1), ni à titre d'allocation de retraite. Plusieurs choix s'offraient alors à l'État. Le Ministre aurait pu faire valoir que ces dommages-intérêts étaient imposables à titre de revenu tiré d'une source en application de la disposition générale de l'al. 3a) de la Loi. Il aurait pu également demander que la Loi soit modifiée de façon à rendre ces sommes expressément imposables à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi. Cependant, aucune de ces solutions n'a été retenue. La Loi a plutôt été modifiée à deux reprises de sorte que de tels versements devenaient imposables en application de l'art. 56 à titre de revenu tiré d'une “autre” source. Il a tout d'abord été prévu que les paiements de cessation d'une charge ou d'un emploi étaient imposables. La Loi a ensuite été modifiée de manière à rendre ces versements imposables à titre d'allocation de retraite. C'est donc en fonction de ces dispositions qu'il convient de déterminer s'il y a assujettissement à l'impôt. Procéder autrement irait à l'encontre de l'intention du législateur du fait que l'on entérinerait une méthode d'analyse incompatible avec des principes d'interprétation fondamentaux.
Notre Cour a toujours refusé d'interpréter la Loi de cette manière. Par exemple, dans La Reine c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428, la contribuable avait reçu de son employeur la somme de 300 $ à titre de récompense couronnant une oeuvre remarquable. L'alinéa 56(1)n) de la Loi prévoyait qu'une telle récompense constituait un revenu imposable si son montant excédait 500 $. La somme versée n'était donc pas visée par cette disposition. Le Ministre a toutefois prétendu que la somme constituait également un avantage général relevant de l'al. 6(1)a) de la Loi et était donc imposable à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi. Le juge Dickson, plus tard Juge en chef, a rejeté cet argument. Il dit ceci, à la p. 446:
Si une récompense inférieure à 500 $ était malgré tout imposable en vertu des art. 5 et 6, il s'ensuivrait nécessairement, selon l'argument du substitut du procureur général, qu'elle serait également imposable en vertu de l'art. 3. Cela ne peut être exact. Si c'était le cas, une récompense supérieure à 500 $ serait imposable en vertu de l'al. 56(1)n) tandis qu'une récompense de 500 $ ou moins le serait en vertu de l'art. 3. L'exclusion de 500 $ prévue à l'al. 56(1)n) ne s'appliquerait alors jamais. Il semble évident que les premiers 500 $ de revenu touchés pendant l'année visée par l'al. 56(1)n) ne sont pas imposables. Tout montant en sus de 500 $ relève de l'al. 56(1)n) et est donc imposable. Si ce n'est pas là l'effet de cette disposition, alors à quoi sert-elle?
La situation en l'espèce est analogue. Conclure que les dommages-intérêts versés à M. Schwartz sont imposables en vertu de la disposition générale de l'al. 3a) de la Loi ne tiendrait pas compte du fait que le législateur a choisi de traiter de l'assujettissement de tels versements à l'impôt dans les dispositions de la Loi relatives aux allocations de retraite.
[8] Ce dernier postulat a également été adopté par le juge Major, s'exprimant pour la minorité, dans l'arrêt Schwartz, à la page 6120 :
Dans les cas où une rentrée d'argent n'était visée ni par l'art. 3 ni par la sous-section d de la section B de la partie I de la Loi, la somme en cause n'a pas été assujettie à l'impôt. Par exemple, dans La Reine c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428, la contribuable avait reçu la somme de 300 $ à titre de récompense couronnant une oeuvre remarquable. Cette somme n'était donc pas visée par l'al. 56(1)n) qui prescrivait l'assujettissement à l'impôt des récompenses de plus de 500 $. Le Ministre a fait valoir que la somme demeurait imposable à titre d'“avantage” au sens de l'al. 6(1)a). Le juge Dickson, plus tard Juge en chef, a rejeté cet argument parce que le retenir aurait signifié que l'al. 56(1)n) n'avait aucun sens. Comme cette somme n'était pas expressément visée par la Loi, elle n'était pas imposable.
[9] Je conclus donc, à l'instar du juge Bowman dans l'affaire Landry, que l'affaire Savage n'est d'aucune aide à l'intimée et que l'appelant a reçu la somme forfaitaire de La Great-West en sa qualité d'assuré, et non pas en sa qualité d'employé. Par conséquent, ce montant n'était pas imposable aux termes de l'alinéa 6(1)a) de la Loi.
[10] L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation pour le motif que la somme de 69 000 $ ne devrait pas être incluse dans le revenu de l'appelant pour l'année d'imposition 1995. L'appelant a droit à ses frais, le cas échéant.
Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de novembre 1999.
“ Lucie Lamarre ”
J.C.C.I.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 25e jour de juillet 2000.
Mario Lagacé, réviseur