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Date: 19980407

Dossier: 96-1136-IT-G

ENTRE :

EDWARD MULLIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel interjeté à l’égard de cotisations relatives aux années d'imposition 1991, 1992 et 1993 de l'appelant.

[2] L'appelant a fait l'objet d'une cotisation de 14 000 $ en 1991, de 23 000 $ en 1992 et de 16 000 $ en 1993, par suite du bénéfice réalisé en vendant des maisons.

[3] Il s'agit de savoir si la construction et la vente de maisons par l'appelant est un projet comportant un risque de caractère commercial et, dans l'affirmative, quel était le bénéfice réalisé par celui-ci.

[4] Il est uniquement possible de répondre à cette question si les faits sont examinés et s'il est tenu compte de toutes les circonstances.

[5] L'appelant et sa femme Lisa ont témoigné ainsi que M. Blanchard, qui a témoigné à titre d'expert. L'appelant travaille depuis plus de dix ans à titre d'opérateur de machinerie lourde pour une société familiale de promotion immobilière. Lisa est coiffeuse et exploite sa propre entreprise.

[6] Entre 1990 et 1994, l'appelant a construit cinq maisons. Chacune des trois maisons ici en cause lui a appartenu pendant moins d'un an.

[7] La première maison

À l'automne 1990, l'appelant a construit sur le lot 89-26, à Hampton (Nouveau-Brunswick), en se faisant aider, une habitation unifamiliale (la “ première maison ”) que sa femme et lui ont habitée pendant environ six mois avant de la vendre en juin 1991 moyennant un bénéfice de 14 000 $. C'était la première maison de Lisa Mullin et la maison lui plaisait à tous les égards sauf en ce qui concerne son emplacement. En effet, la maison était située à une trentaine de kilomètres du nouveau lieu de travail de l'appelant, à Fairvale; étant donné que la vue de l'appelant baissait et compte tenu d'autres circonstances, les conjoints ont décidé de s'installer plus près du lieu de travail de l'appelant. Le lieu de travail de l'appelant changeait souvent. En plus de conduire du matériel de terrassement, lorsqu'on avait besoin de ses services, l'appelant conduisait un chasse-neige.

[8] La deuxième maison

En juillet 1991, l'appelant a acheté le lot 18-D (la “ deuxième maison ”) à Fairvale-Quispamsis, où il a construit une maison que sa femme et lui ont habitée tant qu'ils ne l'ont pas vendue en octobre 1992 pour la somme de 115 000 $ en réalisant un bénéfice de 23 000 $. L'appelant a vendu cette maison parce qu'il travaillait de nouveau à Hampton, où il a acheté le lot 89-29.

[9] La troisième maison

L'appelant a acheté le lot 89-29 (la “ troisième maison ”) en novembre 1992. Sur ce lot, il y avait une maison inachevée, située près de la première maison, dans la même rue. Une fois les travaux achevés, l'appelant et sa femme se sont installés dans la maison jusqu'à ce que l'appelant construise une maison sur le lot 89-30 (la “ quatrième maison ”). Lisa Mullin, en particulier, n'aimait pas les dimensions et la disposition des pièces de la troisième maison et se plaignait de ses défauts. L'appelant a vendu la troisième maison en mai 1993 pour construire une maison qui convenait mieux à leurs besoins.

[10] Les quatrième et cinquième maisons n'ont pas fait l'objet de cotisations.

[11] La quatrième maison

En avril 1993, l'appelant a acheté le lot 89-30 et a construit une maison dans laquelle sa famille et lui se sont installés. L'appelant a vendu la quatrième maison en mars 1994 parce qu'elle ne leur convenait pas.

[12] La cinquième maison

En mars 1994, l'appelant a acheté le lot 87-1 sur lequel il a construit une maison où il vit avec sa famille à l'heure actuelle.

[13] L'emploi que l'appelant exerçait chez son père était surtout saisonnier. L'avocat de l'intimée a démontré que, pendant la période pertinente, l'appelant, lorsqu'il était mis à pied, touchait habituellement des prestations d'assurance-chômage (les “ prestations ”), construisait une maison, était réinscrit dans le livre de paie, était mis à pied, touchait de nouveau des prestations, construisait une maison, cessait de toucher des prestations et vendait la maison. Ce processus recommençait ensuite.

[14] Il n'existe aucun document, qu'il s'agisse de factures ou de chèques oblitérés, parce qu'aucun document n'a été établi ou que tout document existant a été détruit dans un incendie.

Position de l'appelant

[15] L'appelant soutient qu'il n'avait pas une intention primaire ou secondaire de se lancer dans un projet comportant un risque de caractère commercial. Les trois maisons en question étaient destinées à lui servir de résidence principale et elles étaient donc exonérées d'impôt lors de la disposition.

[16] L'avocat de l'appelant a référé la Cour à plusieurs jugements, et entre autres :

a) aux critères énoncés dans le jugement M.N.R. v. Taylor, 56 DTC 1125 (C. de l'É.)

b) aux six critères mentionnés dans le jugement Happy Valley Farms Ltd. v. The Queen, 86 DTC 6421 (C.F. 1re inst.).

[17] L'avocat a soutenu que plusieurs facteurs montrent que, lorsqu'il a construit et vendu les maisons, l'appelant n'avait pas l'intention de se lancer dans un projet comportant un risque de caractère commercial. L'appelant a décidé de vendre les maisons notamment à cause de problèmes de santé liés au diabète dont il était atteint et du long trajet qu'il devait effectuer pour se rendre à son lieu de travail et en revenir.

[18] Subsidiairement, si la Cour conclut que l'appelant participait à un projet comportant un risque de caractère commercial, l'avocat a demandé avec instance à la Cour de tenir compte des coûts estimatifs de construction (tels qu'ils avaient été calculés par le témoin expert, M. Blanchard) et de conclure que la vente des trois maisons avait rapporté des bénéfices d'environ 4 560 $, 1 000 $ et 5 560 $.

Position de l'intimée

[19] Deux questions se posent en l'espèce : à savoir si la construction et la vente des maisons constituaient un projet comportant un risque de caractère commercial et, dans l'affirmative, quel était le montant du bénéfice réalisé par suite de ces ventes.

[20] L'avocat de l'intimée a cité plusieurs décisions et notamment les décisions suivantes :

a) Happy Valley Farms Ltd. v. The Queen, 86 DTC 6421, à la page 6423, (C.F. 1re inst.), qui énumère les critères utilisés pour déterminer si un bénéfice est imputable au revenu ou au capital :

“ 1. La nature du bien qui est vendu. [...]

2. La durée de la possession. [...]

3. La fréquence ou le nombre d'opérations similaires effectuées par le contribuable. [...]

4. Les améliorations faites sur le bien converti en espèces ou se rapportant à pareil bien. [...]

5. Les circonstances qui ont entraîné la vente du bien. [...]

6. Le motif.

b) Litvinchuk v. The Queen, 96 DTC 1315, à la page 1319 (C.C.I.), dans lequel le principe suivant est établi :

Les déductions faites à partir des circonstances, de même que la conduite et les actions du contribuable sont plus révélatrices de son intention que les affirmations et la preuve directe des témoins. La remarque suivante est faite à la page 1321 :

Pour reprendre les mots du juge Bowman, “[t]out cela se ramène au fond, j'imagine, à une question de bon sens et d'examen de toutes les circonstances [...]”.

c) Pierce Investment Corp. v. M.N.R., 74 DTC 6608, à la page 6612, (C.R.I.) :

[TRADUCTION]

Je partage l'avis exprimé dans d'autres affaires, selon lequel le témoignage peut nous aider à connaître les intentions des témoins, mais que nous en avons une idée beaucoup plus juste par leur conduite véritable et les mesures qu'ils ont prises pour les mettre à exécution. Sans vouloir mettre en doute la crédibilité des témoins dans l'affaire présente, il est néanmoins évident que dans tous les cas où l'on doit faire une distinction entre une opération qui constitue un projet comportant un risque de caractère commercial et une autre qui produit un gain en capital, on doit s'attendre à ce que les témoins affirment que leur intention était uniquement de faire un placement et que l'idée de revendre la propriété avec profit ne les a jamais effleurés, même comme intention secondaire, lorsqu'ils ont fait leur placement en premier lieu, mais qu'ils y furent contraints ultérieurement par quelque événement indépendant de leur volonté. S'ils n'étaient pas en mesure de témoigner en ce sens, ils n'auraient que peu ou pas de motifs pour en appeler de la cotisation.

d) M.N.R. v. Taylor, 56 DTC 1125, à la page 1137 (C. de l'É.) :

[TRADUCTION]

Cependant, par “ commerce ” on n'entend pas la même chose qu'un “ projet comportant un risque de caractère commercial ” et une opération pourrait bien appartenir à la dernière catégorie sans appartenir à la première ou sans faire de la personne concernée un “ commerçant ”. Quel que soit l'effet que peut avoir le caractère unique ou isolé d'une opération, lorsqu'il s'agit de déterminer s'il s'agissait d'une opération commerciale, cela importe peu dans le cas d'un projet comportant un risque de caractère commercial. L’expression “ projet comportant un risque ” elle-même laisse entendre qu'une opération unique ou isolée a été conclue et il est erroné de considérer son caractère unique ou isolé comme indiquant qu'il ne s'agissait pas d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Lord Simonds a formulé la chose d'une façon explicite dans le jugement Edwards v. Bairstow (ci-dessus) lorsqu'il a dit ceci, à la page 54 :

Il était clairement erroné en droit de conclure qu'une opération n'était pas un projet comportant un risque de caractère commercial parce qu'il s'agissait d'une opération isolée.

À mon avis, il peut maintenant être considéré comme établi que le fait qu'une personne n'a conclu qu'une seule opération du genre ici en cause n'a rien à voir avec la question de savoir s'il s'agissait d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Il faut tenir compte de la nature de l'opération et non de son caractère unique ou isolé.

[21] En ce qui concerne les critères énumérés dans le jugement Happy Valley (précité), l'avocat a soutenu que les circonstances montrent que l'appelant participait à un projet comportant un risque de caractère commercial. L'appelant a construit cinq maisons entre 1990 et 1994. De plus, chacune des trois maisons ici en cause lui ont appartenu pendant moins d'un an.

[22] En ce qui concerne le cinquième élément énoncé dans le jugement Happy Valley (précité), indépendamment des prétentions de l'appelant, les divers lieux de travail n'ont jamais été vraiment éloignés de la maison. Pendant la période ici en cause, il fallait de 15 à 20 minutes pour se rendre en voiture de Hampton à Fairvale-Quispamsis. L'avocat a également signalé qu'il est louche que les travaux de construction de chaque maison aient commencé à un moment où l'appelant touchait des prestations ou venait de présenter une demande de prestations. En outre, en ce qui concerne la question du diabète qui a été soulevée par l'appelant à l'audience, l'avocat de l'intimée a soutenu que si ce facteur a tellement influé sur la décision de vendre chaque maison, il en aurait été fait mention dans l'avis d'appel.

[23] Les circonstances montrent également quels étaient les motifs de l'appelant dans ce cas-ci. L'appelant travaillait pour la compagnie de son père, puis il touchait des prestations d'assurance-chômage, achetait un lot, y construisait une maison pendant qu'il touchait ces prestations, vendait la maison, retournait travailler pour son père et le processus recommençait.

[24] En ce qui concerne la question du coût de construction, l'avocat de l'intimée a soutenu que l'appelant n'avait pas fourni les documents nécessaires pour réfuter les hypothèses de fait émises par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) et que les montants établis à titre de bénéfices devraient donc être maintenus.

Analyse

[25] La première maison a été construite lorsque Edward et Lisa venaient de se marier. La maison plaisait aux conjoints à tous les égards, mais ils ont convenu de la vendre pour plusieurs raisons, et principalement parce que l'appelant ne travaillait plus à Hampton, mais à Fairvale-Quispamsis, à une trentaine de kilomètres de la maison. Mme Mullin ne voulait pas que son mari conduise aussi loin pour aller à son travail et en revenir parce que sa vue se détériorait à cause de son diabète, ainsi que pour d'autres raisons. Pendant le contre-interrogatoire, l'avocat de l'intimée a soulevé certains doutes au sujet des motifs qui avaient amené l'appelant à vendre la première maison, mais je suis prêt à retenir le raisonnement de l'appelant, à savoir que cela ne devrait pas se rapporter aux trois maisons ici en cause. C'était la première maison des nouveaux mariés. Une vente privée a été conclue. Il a fallu effectuer un remboursement anticipé de l'hypothèque. La maison avait été construite compte tenu des besoins précis des conjoints. Mme Mullin s'inquiétait de la sécurité de son mari lorsqu'il se rendait en voiture au travail ou en revenait. Le fait que la vue de l'appelant se détériorait n'a pas été plaidé ou mentionné à l'interrogatoire préalable, mais les explications que Mme Mullin a données, à savoir que l'appelant fait tout pour éviter de parler de ses problèmes de santé, sont retenues.

[26] En ce qui concerne les deuxième et troisième maisons, je retiens la position de l'intimée. Comme l'a dit le juge Bowman, de cette cour, dans la décision F. Dicecca v. Canada, [1994] 1 C.T.C. 2087, à la page 2088 :

Les jugements rendus dans ce genre d'affaire sont légion, et il ne servirait pas à grand chose que je fasse allusion aux nombreux critères que les cours ont énoncés au fil des ans. Tout cela se ramène au fond, j'imagine, à une question de bon sens et d'examen de toutes les circonstances en l'espèce. [...]

[27] J'ai tenu compte de toutes les circonstances et je me suis fondé sur le bon sens pour en arriver aux conclusions suivantes.

[28] L'appelant a construit cinq maisons entre 1990 et 1994. Les opérations étaient similaires. Chaque habitation, à l'exception de la cinquième, a été construite sur des lotissements appartenant à la compagnie du père de l'appelant.

[29] L'appelant connaissait l'état du marché dans les secteurs où il a construit les habitations. Il avait des compétences dans le domaine de la construction et avait des contacts précieux pour l'aider à exécuter les travaux. Sa femme et lui ont acheté des terrains non bâtis, mais en ce qui concerne la troisième maison, que l'appelant avait achetée de la compagnie de son père, il fallait exécuter de gros travaux pour l'achever.

[30] L'appelant a construit les maisons, principalement en hiver après que l'employeur l'eut mis à pied. Les raisons données pour expliquer les ventes sont peu convaincantes. Les déductions faites à partir des circonstances sont plus révélatrices de l'intention de l'appelant que les affirmations et la preuve directe de l'appelant et de sa femme (Pierce Investment Corp. (précité)).

[31] L'appelant a exécuté des travaux d'aménagement de paysage et a installé des appareils électroménagers neufs dans les maisons parce que cela facilitait leur vente. Il a installé les armoires de cuisine et les cloisons sèches, il a fait les travaux de charpente (en se faisant aider) et de menuiserie. Lorsque la troisième maison a été vendue, les conjoints se sont installés à trois maisons de là, dans la même rue. L'appelant achetait les matériaux à meilleur marché par l'entremise de la compagnie de son père, ce qui montrait ici encore qu'il exploitait une entreprise. De toute évidence, l'appelant avait la compétence nécessaire pour construire des maisons unifamiliales. Il lui incombait de prouver que la conclusion tirée par le ministre, à savoir qu'il s'agissait d'un projet comportant un risque de caractère commercial, était inexacte. Il n’y est pas arrivé. Les déductions faites à partir des circonstances favorisent de beaucoup la position que l'intimée a prise à l'égard des deuxième et troisième maisons.

[32] Il est inutile d'examiner en détail la preuve en ce qui concerne le coût des travaux de construction. M. Blanchard est sans doute compétent pour témoigner à titre d'expert à l'égard de ce qu'il en coûte pour construire des habitations unifamiliales dans la région de St. John (Nouveau-Brunswick). M. Blanchard est un ami intime de l'appelant et l'a aidé à exécuter les travaux de construction, du moins à l'égard d'une maison, apparemment sans être rémunéré. Je suis d'accord avec l'avocat de l'intimée pour dire que M. Blanchard s'est montré partial dans son témoignage. Même si je retiens ce témoignage, je ne suis pas convaincu que les calculs de l'intimée soient inexacts. L'appelant n'a soumis aucun document à l'appui de sa position. Il incombe à l'appelant de démontrer que les cotisations établies par le ministre étaient inexactes et il ne l'a pas fait.

[33] Enfin, l'appelant a soutenu, dans l'avis d'appel, que si la Cour devait conclure à l'existence d'un projet comportant un risque de caractère commercial, le bénéfice réalisé au moment de la vente des maisons devrait être attribué pour la moitié au revenu de Mme Mullin. L'avocat de l'appelant n'en a pas fait mention dans ses conclusions finales, étant donné qu'il était inféré que cette prétention n'était pas sérieuse. Il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve pour qu'il soit possible de conclure que Mme Mullin était associée à l'appelant en affaires. En réponse à la question que l'avocat de l'appelant lui avait posée au sujet de sa participation, Mme Mullin a déclaré qu'elle repérait les problèmes et qu'elle participait à la prise des décisions. Cela ne constitue pas un véritable argument en faveur du partage du revenu.

[34] En conclusion, l'appel est admis en ce qui concerne la première maison, située sur le lot 89-26. À tous les autres égards, l'appel est rejeté.

[35] Étant donné que l'intimée a en bonne partie gain de cause, les frais lui sont adjugés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour d'avril 1998.

“ C. H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de septembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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