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Date: 19990928

Dossier: 97-3108-IT-G

ENTRE :

CHRISTINE J. HESELMANN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus à l’audience à Toronto (Ontario))

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu conformément à la procédure générale à Toronto (Ontario) les 20 et 21 septembre 1999. L’appelante a témoigné. Son avocat a cité M. Richard Purdue, avocat, et M. Stephen Clifford, métreur, qui ont donné des témoignages d’experts. L’avocat de l’intimée a cité le vérificateur, M. Vijay Nayyar.

[2] En 1995, l’appelante, qui est avocate depuis 1988, a déclaré une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise à l’égard de ses actions de la société JMP Land Development Limited (“ JMP ”). La perte a été déclarée au motif qu’elle avait eu lieu en 1991 lorsque JMP est devenue insolvable. Elle a aussi estimé à 140 000 $ le coût de l’acquisition de ses actions. Elle possédait 40 des 100 actions émises de JMP.

[3] À l’ouverture de l’audience, l’avocat de l’intimée a déclaré que l’appel portait désormais sur deux questions :

1. L’appelante était-elle propriétaire des actions en question?

2. Quel était le coût de ses actions?

[4] Le père de l’appelante, Julius, était un ivrogne qui battait son épouse et l’appelante. En 1971, ses parents se sont séparés. Ils avaient deux filles, l’appelante, née en 1958 et sa soeur, née en 1968. En 1973, l’appelante s’est installée avec son père dans un appartement sur le chemin Oriole. M. Heselmann était un petit promoteur immobilier et constructeur à Toronto, et l’appartement susmentionné était situé dans un immeuble qu’il avait acheté pour le vendre ou l’exploiter en temps et lieu.

[5] L’appelante travaillait pour son père : pendant tout le temps où elle habitait avec lui, elle faisait visiter les chambres aux locataires éventuels, mettait en état les locaux, plaçait des annonces et faisait la location. Elle ne recevait aucun salaire. Elle a terminé ses études secondaires. Au cours des étés 1977 et 1978, elle a travaillé sans être rémunérée dans une charcuterie gérée par son père dans un immeuble dont il était propriétaire, à l’angle des rues Yonge et Dundas.

[6] L’appelante a déclaré dans le cadre de son témoignage que son père avait toujours promis qu’il paierait ses frais d’université, et que c’était la raison pour laquelle il ne lui versait pas de salaire. En 1976, elle a débuté ses études de baccalauréat ès lettres à l’Université Yale aux États-Unis. Elle a obtenu son diplôme en 1981. Elle est retournée à Toronto, où elle a vécu avec son père et travaillé pour lui pendant les étés 1976 à 1979. Pendant l’été 1978 et en 1979, l’appelante a fréquenté la Sorbonne en France, à l’insistance de son père. Elle est rentrée en novembre 1978 pendant un mois et demi pour travailler dans la charcuterie. Pendant deux mois, à partir de juin 1979, elle a de nouveau travaillé pour son père. Cet automne-là, elle s’est séparée de son père et est retournée à Yale.

[7] Le père de l’appelante avait payé sa scolarité à Yale au cours de sa première année et demie. Il a ensuite refusé de payer. À l’automne de 1979, il a déclaré qu’il voulait qu’elle travaille pour lui. L’appelante a emprunté la somme totale de 30 000 $ en dollars canadiens en s’adressant à l’Université Yale et aussi à sa mère, qui a garanti un prêt de la Banque Royale du Canada. Grâce à cette rentrée d’argent et à un emploi lorsqu’elle fréquentait l’université, elle a terminé son baccalauréat et obtenu son diplôme de Yale. Elle a remboursé ces prêts en 1991 ou 1992.

[8] Le père de l’appelante a assisté à la remise du diplôme de sa fille en 1981; il l’a persuadée de rentrer à Toronto et de travailler pour lui, ce qu’elle a fait. Elle recevait une rémunération mensuelle de 1 000 $ après avoir quitté Yale. Au début, elle a vécu dans un des appartements de son père sur la rue Carleton. En 1982, elle est allée habiter avec lui sur la promenade South à Rosedale, où elle est restée jusqu’en 1984. Son père l’a de nouveau maltraitée.

[9] À l’automne de 1983, l’appelante est entrée à la faculté de droit de l’Université de Toronto. Au début de l’année 1984, l’appelante et son père ont eu quelques conversations au cours desquelles ils ont discuté du défaut du père de l’appelante de payer ses frais d’université. Dans le cadre d’une de ces conversations, il lui a promis les “ actions de JMP ” dans le but de la rembourser. En juin 1984, le père de l’appelante l’a battue, après quoi elle a quitté Toronto pour Montréal, où elle a vécu chez des amis. Elle a terminé son cours de droit à l’Université McGill, à Montréal.

[10] JMP a été constituée par un avocat nommé Perdue le 9 juillet 1979 (pièce 32). En avril 1984, l’appelante, son père et un ami de la famille, Dick Perdue, étaient présents dans l’étude de Me Whittaker, à Toronto, où l’appelante, M. Dick Perdue et M. Darragh Elliott ont lancé JMP en qualité de société exploitée activement. Ils ont signé divers documents relatifs à JMP. L’appelante a signé une convention d’actionnaires aux termes de laquelle elle promettait les services de son père à JMP gratuitement en contrepartie de 40 actions émises à son nom. Ces services ont en large mesure été fournis par le père de l’appelante au cours des années suivantes. Les deux autres actionnaires, MM. Dick Perdue et Darragh Elliott, devaient fournir les fonds à JMP. Cette société était censée acquérir et mettre en valeur un immeuble situé au 121, rue Parliament ainsi que des immeubles adjacents de part et d’autre, à Toronto.

[11] Le 6 juillet 1984, l’appelante et son père ont eu une autre rencontre dans un endroit public, au cours de laquelle il a été question des promesses de Julius de payer les frais de sa fille. Ce dernier a renouvelé ses promesses. Elle lui a souligné qu’il ne s’était pas encore exécuté. Il lui a dit de rédiger quelque chose et qu’il le signerait. Elle l’a fait sur-le-champ et il a signé. Le document était libellé comme suit :

[TRADUCTION]

Je dois à Christine Heselmann 140 000 $ pour ses pertes à l’égard de la ferme et des propriétés situées au 300, rue Wellesley et au 2, chemin Oriole, y compris les frais de justice estimatifs qu’elle aura à subir en raison des litiges engendrés par ces projets.

“ J.H. ”

Julius Heselmann

Le 6 juillet 1984

Au cours de la même rencontre, l’appelante a rédigé et signé la pièce A-3, libellée comme suit :

[TRADUCTION]

DESTINATAIRE : JULIUS HESELMANN

En contrepartie de 40 % des actions de JMP qui m’ont été données et de la prestation de votre part de tous les services requis par JMP et sans compensation de cette dernière, tel qu’il est précisé dans la convention d’actionnaires de JMP en date du 20 avril 1984, je vous remets votre dette de 140 000 $ à mon égard pour les pertes que j’ai subies relativement aux projets associés à la ferme (Georgina), et aux propriétés situées au 300, rue Wellesley (Toronto) et au 2, chemin Oriole (Toronto), et pour les frais de justice estimatifs que j’aurai à subir en raison des litiges engendrés par l’échec de ces projets.

Je confirme que je vous verserai une somme égale à toute récupération nette que je pourrai recevoir suite aux litiges susmentionnés sur les recettes nettes que pourront me procurer le 40% des actions de JMP.

6/7/84

Christine Heselmann

[12] La somme de 140 000 $ se compose des trois éléments suivants :

1. Les frais d’université jusqu’à juillet 1984. 30 000 $

2. Les sommes déboursées dans le cadre des projets

relatifs aux biens situés rue Wellesley et chemin Oriole

et à la ferme 100 000 $

3. Les frais de justice associés aux projets relatifs aux

biens situés rue Wellesley et chemin Oriole et à la ferme. 10 000 $

L’appelante a témoigné en détail à l’égard de ces sommes, et sa déposition a convaincu la Cour que son père les lui devait. La Cour a étudié les faits essentiels relatifs aux frais universitaires, et elle conclut que Julius devait effectivement 30 000 $ à cet égard au terme des études de l’appelante.

[13] L’historique des éléments constitutifs de la somme de 100 000 $ relative à la ferme et aux immeubles chemin Oriole et rue Wellesley souligne les rapports presque pathologiques existant entre l’appelante et son père. L’appelante a avancé les premiers 24 000 $ pour permettre à son père de rénover le 2, chemin Oriole pour en permettre la vente au docteur Zaputovich. Cette affaire ne s’est pas faite, et la compagnie hypothécaire a vendu l’immeuble dans l’exercice de son pouvoir de vente. Les autres sommes de 10 000 $ et 30 000 $ représentaient des fonds que l’appelante a empruntés à des parents en Allemagne et qu’elle a prêtés à son père. Les premiers 10 000 $ lui ont été prêtés en juin 1982 pour l’aider à acheter une ferme au nom de l’appelante, laquelle a été ensuite perdue par exercice d’un pouvoir de vente. Les 30 000 $, une autre somme de 10 000 $ que l’appelante a empruntée aux Eilers, de l’argent emprunté grâce à une ligne de crédit, ainsi que des revenus appartenant à des tiers ont été investis par l’appelante dans deux contrats de modernisation. Le père de l’appelante a exécuté ces contrats, sous le nom de sa fille, sur les propriétés situées au 300, rue Wellesley et au 2, rue Oriole (propriété que M. Julius Heselmann avait perdue à la suite de l’exercice du pouvoir de vente de la compagnie hypothécaire) pour les acheteurs subséquents. Christine avait convenu avec son père qu’il rembourserait les prêts qu’elle lui avait consentis pour les projets, et qu’il emploierait une partie des profits découlant des projets en cause pour rembourser ses frais de scolarité. Les deux projets ont échoué. Les derniers 10 000 $ représentaient leur évaluation commune des frais de justice qu’il lui paierait. Ces projets n’étaient pas inscrits au nom de Julius en raison des litiges constants qui l’opposaient à des fournisseurs et à des créanciers.

[14] Julius et Christine ont calculé ces montants aux fins de litiges avec des tiers avant leur rencontre du 6 juillet 1984. Au cours de cette rencontre, Julius s’est engagé par écrit envers l’appelante pour la première fois, et il a remis à Christine la pièce A-2. Celle-ci, de son côté, a remis à son père la pièce A-3. Ces pièces constituaient la confirmation écrite de la promesse de Julius à l’égard des actions de la société JMP, qu’il avait faite avant que Christine ne signe les documents relatifs à la société en avril 1984.

[15] On ne prétend pas que tout ceci était logique. Mais il faut dire que les rapports entre Julius et Christine n’étaient ni normaux, ni rationnels. La Cour a tiré ses conclusions en se fondant sur la crédibilité de Christine; elle ajoute foi à son témoignage. L’appelante a versé des larmes aussi bien au cours de son interrogatoire principal que pendant son contre-interrogatoire. Une longue réponse au cours du contre-interrogatoire a soulevé tant d’émotion que l’avocat de l’intimée a demandé un ajournement pour rassembler ses pensées.

[16] À deux reprises, au cours d’un litige énergiquement contesté, la Cour suprême de l’Ontario a conclu que Christine possédait ses actions de JMP de son propre chef (voir les pièces A-9 et A-14). Vu le témoignage de l’appelante et l’examen de la preuve, notre cour conclut que l’appelante possède ses actions de JMP de son propre chef et qu’elles n’étaient, en aucune façon, la propriété de M. Julius Heselmann.

[17] Christine a acquis ses actions de JMP en contrepartie des services de Julius. Conformément à son engagement antérieur à avril 1984, ils ont établi la valeur de ces services à 140 000 $ dans des documents écrits qu’ils ont échangés le 6 juillet 1984. Cette valeur, pas plus que celle des services financiers de MM. Perdue et Elliott, n’ont été portées au bilan de JMP. Il se peut que la contribution de ces deux derniers ne puisse être quantifiée, mais les services de Christine l’ont été par elle et son père Julius. Leur calcul représentait la valeur des services rendus par Christine à JMP en contrepartie de sa qualité d’actionnaire.

[18] Il ressort clairement de la preuve fournie par l’appelante et M. Richard Perdue que Julius ne tenait pas de livres comptables. Ses antécédents montrent qu’il ne se souciait pas d’en tenir ni d’en conserver. Il versait les salaires en espèces et plusieurs fournisseurs étaient payés comptant. La preuve montre aussi que M. Julius Heselmann ne mettait pas les choses par écrit. Il ne payait pas ses créanciers et il commettait des actes frauduleux et en encourageait la perpétration. Ces pratiques de Julius confirment le témoignage de Christine à l’égard des diverses promesses de son père de payer ses frais de scolarité, son manquement à ces engagements et à d’autres qu’il avait pris envers elle, et l’absence de tout écrit de M. Heselmann à l’appui du témoignage de l’appelante. Ces pratiques expliquent également les initiales “ J.H. ” clairement apposées à contrecoeur sur la pièce A-2.

[19] La Cour accepte le témoignage de l’appelante relativement à la valeur de 140 000 $ attribuée à ses actions. Elle a soumis des documents justificatifs. M. Clifford a confirmé que ce montant est en accord avec la valeur marchande des actions. De plus, l’explication qu’elle a donnée pour avoir réclamé une PDTPE en 1995 plutôt qu’en 1991 est accueillie pour les raisons qu’elle a données, mais particulièrement parce que c’est l’année au cours de laquelle elle a reçu pour la première fois l’avis d’un comptable au sujet de la possibilité de déclarer une PDTPE lorsque JMP est devenue insolvable. Elle croyait antérieurement qu’elle devait se départir des actions de JMP avant de déclarer une perte.

[20] Par conséquent, l’appel est entièrement admis et cette affaire est renvoyée au ministre du Revenu national en vue d’un nouvel examen et d’une nouvelle cotisation.

[21] L’avocat de l’intimée a abrégé le temps consacré au procès en limitant le différend à la propriété des actions et à leur coût à l’ouverture de l’audience. Cependant, le droit de propriété de l’appelante sur les actions de JMP a été déterminé à deux occasions différentes par des juges différents de la Cour suprême de l’Ontario, comme en font foi les pièces A-9 et A-14. De l’avis de notre cour, cette question aurait dû être tranchée par ces deux décisions avant qu’il y ait une nouvelle cotisation. L’intimée n’a pas allégué avoir découvert subséquemment l’existence d’un acte frauduleux montrant que Christine n’était pas propriétaire des actions. La question de la propriété des actions a pris la moitié de l'audience et elle a marqué ce procès depuis ses débuts. Pour ces motifs, la Cour adjuge à l’appelante des dépens fixés à 15 000 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de septembre 1999.

“ D. W. Beaubier ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 7e jour de juillet 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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