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Date: 19980831

Dossier: 96-2537-IT-G

ENTRE :

RON MANKE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] L'appelant, Ron Manke, interjette appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993.

[2] Les faits essentiels sont les suivants. L'appelant était un employé de Corporate Computer Inc., une société exploitant une entreprise à Edmonton (Alberta). Au cours des années d'imposition 1990, 1991 et 1992, il était vendeur à commission de matériel et de logiciels informatiques et il avait aussi sa propre “ entreprise ” secondaire de conseil en informatique.

[3] Dans les cotisations établies à l'égard de l'appelant, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé une partie des dépenses dont l'appelant a demandé la déduction pour les années d'imposition 1990 et 1991 pour le motif que l'appelant était un employé de Corporate Computers Inc. et non pas un entrepreneur autonome. Par conséquent, seuls les montants déduits relativement aux dépenses d'emploi étaient admissibles, et toutes les dépenses autres que celles dont la déduction a été admise étaient déraisonnables dans les circonstances. Ces questions ont été réglées et feront partie de l'ordonnance de la Cour.

[4] Le ministre a également refusé les crédits demandés par l'appelant au titre des retenues à la source qui auraient été faites sur son salaire au cours des années d'imposition 1992 et 1993, mais dont le montant n'aurait pas été remis à la Couronne. Le ministre soutient que l'appelant est devenu entrepreneur autonome auprès de son employeur au cours de la période pertinente et que, par conséquent, il n'a pas droit aux crédits relatifs aux déductions à la source. Subsidiairement, le ministre fait valoir que l'appelant touchait un salaire brut et qu'aucun montant n'a été retenu sur son salaire. L'appelant soutient qu'il touchait un salaire mensuel net de 3 500 $, son salaire mensuel brut étant de 5 000 $. Sur les feuillets T4 remis à l'appelant pour ces années, rien n'indiquait que des montants équivalant aux déductions faites par l'appelant avaient été retenus; l'appelant soutient cependant que le montant de l'impôt effectivement déduit et retenu à la source est sous-évalué. Le ministre conteste ces prétentions.

[5] Les questions en litige relativement aux années d'imposition 1990 et 1991 ont été retirées. L'intimée a déposé un document intitulé “ Règlement d'une question en litige ” dans lequel les parties se sont entendues sur les questions en litige concernant l'année d'imposition 1990. L'appelant a également reconnu dans une “ Reconnaissance de règlement ” que la Cour n'avait pas été saisie régulièrement de l'appel portant sur l'année d'imposition 1991, comme le requiert la Loi. Les questions qui restent à trancher sont les suivantes :

- La Cour de l'impôt est-elle compétente pour accorder à l'appelant la mesure de réparation demandée?

- L'appelant a-t-il droit à des crédits d'impôt de 6 000 $ pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993?

[6] Pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

- l'appelant était, pendant toutes les périodes pertinentes, un employé de Corporate Computers Inc. (l'“ employeur ”);

- pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant a travaillé comme vendeur à commission pour l'employeur;

- en plus d'être vendeur à commission pour l'employeur, du mois de septembre 1992 au mois d'avril 1993 inclusivement, l'appelant était un employé, un actionnaire minoritaire et le président de DiscMore Productions Inc. ( la “ société ”);

- tous les chèques de paie remis à l'appelant pour le travail effectué tant pour l'employeur que pour la société provenaient de l'employeur;

- l'appelant a prétendu qu'il devait toucher 5 000 $ par mois pour le travail qu'il effectuait pour la société; or, du mois de septembre 1992 au mois d'avril 1993 inclusivement, les chèques de paie pour ce travail indiquaient que l'appelant gagnait 3 500 $ par mois;

- l'appelant n'a pas fourni au ministre la documentation requise pour montrer qu'il devait toucher le salaire mensuel brut de 5 000 $ pour le travail effectué pour la société du mois de septembre 1992 au mois d'avril 1993 inclusivement;

- sur le feuillet T4 délivré à l'appelant par l'employeur pour l'année 1992 figurent, dans la case “ Revenu d'emploi ”, le montant de 52 000,27 $ et, dans la case “ Impôt sur le revenu retenu ”, le montant de 14 221,25 $;

- dans sa déclaration de revenus générale T1 de 1992, l'appelant a déclaré à la ligne 437 que l'“ Impôt total retenu (selon tous les feuillets de renseignements) ” était de 20 221,25 $, soit la somme de 6 000 $ et du montant de 14 221,25 $ mentionné au paragraphe précédent;

- le feuillet T4-RSP délivré à l'appelant par la Banque Hongkong du Canada pour l'année 1993 indique dans la case “ Impôt sur le revenu retenu ” le montant de 67,57 $ ;

- dans sa déclaration de revenus générale T1 de 1993, l'appelant a déclaré à la ligne 437 que l'“ Impôt total retenu (selon tous les feuillets de renseignements) ” était de 6 067,57 $, soit la somme de 6 000 $ et du montant de 67,57 $ mentionné au paragraphe précédent;

- par suite des avis d'opposition déposés par l'appelant, une vérification des feuilles de paie a été effectuée le 23 janvier 1996 chez l'employeur afin de déterminer les renseignements exacts devant figurer sur les feuillets T4;

- par suite de la vérification des feuilles de paie, il a été déterminé que l'appelant était non pas un entrepreneur autonome, mais un employé de l'employeur relativement au travail effectué pour la société, même si les livres de l'employeur indiquaient que l'appelant était un “ conseiller ” de la société du mois de septembre 1992 au mois d'avril 1993 inclusivement;

- les livres de l'employeur n'indiquaient pas que l'employeur avait retenu un montant additionnel de 6 000 $ au titre de l'impôt sur le revenu, comme le soutient l'appelant;

- à part le montant de 14 221,25 $ pour l'année d'imposition 1992, et le montant de 67,57 $ pour l'année d'imposition 1993, aucun montant n'a été déduit ou retenu à la source et remis au receveur général par l'employeur au titre de l'impôt sur le revenu payable par l'appelant.

Analyse

[7] L'intimée soutient, pour ce qui est de la question de la compétence, que même si l'appelant peut étayer ses prétentions, la Cour n'a pas la compétence pour ordonner au ministre d'accorder un crédit à l'appelant.

[8] Sur ce point, deux théories se dégagent de la jurisprudence. Selon la première théorie, le cas du contribuable qui allègue que des retenues à la source ont été faites sur son salaire, mais qu'elles n'ont pas été remises à la Couronne par l'employeur soulève une question de recouvrement que la Cour de l'impôt n'est pas habilitée à trancher. Il ne s'agit pas d'un appel d'une cotisation d'impôt interjeté sous le régime de la Loi puisque le contribuable demande un jugement déclaratoire et non l'annulation ou la modification d'une cotisation. Par conséquent, le contribuable doit payer l'impôt dû, que son employeur ait ou non effectué les retenues à la source sans en remettre le montant à la Couronne.

[9] Dans l'affaire Brooks v. Canada [1995] 1 C.T.C. 2880 (C.C.I.), le juge Sobier, de la Cour canadienne de l'impôt, a déterminé que la Cour n'avait pas le pouvoir de déclarer qu'un contribuable n'est pas tenu de payer le montant de l'impôt qui a été retenu à la source, mais qui n'a pas été remis à la Couronne. À la page 2883, il s'est exprimé ainsi :

Je crois réellement que M. Brooks est fondé à exercer un recours soit contre Revenu Canada pour avoir refusé de confirmer que des montants avaient été retenus, soit contre son ancien employeur, soit pour avoir omis de faire les retenues, ou les ayant faites omis de les remettre. Toutefois, il s'agit d'une affaire qui ne relève pas de la compétence de la Cour canadienne de l'impôt. Il faudrait intenter soit une action contre la Couronne devant la Section de première instance de la Cour fédérale, soit une action devant la Cour supérieure de la province d'Ontario touchant une reddition de comptes ou autre question.

[10] À mon avis, les faits dans cette affaire et dans les autres affaires qui ont été citées par l'intimée[1] sont très différents de ceux de l'affaire en l'espèce, et n'ont donc aucun caractère convaincant.

[11] Suivant la deuxième théorie[2] sur cette question, lorsqu'un employeur a effectué les retenues sur le salaire d'un contribuable, mais qu'une cotisation est établie à l'égard de celui-ci en tenant compte du fait que le montant de ces retenues n'a jamais été remis à la Couronne, le contribuable interjette appel à juste titre sous le régime de la Loi, et la Cour est compétente pour entendre l'appel et accorder une mesure de redressement.

[12] Dans l'affaire Ashby v. The Queen, [1996] 1 C.T.C. 2464 (C.C.I.), le contribuable a déclaré un revenu et effectué des déductions pour l'année d'imposition 1990; cependant, le ministre a établi une cotisation à l'égard du contribuable en tenant compte du fait qu'aucune retenue à la source n'avait été faite ou que le montant de celles-ci n'avait pas été remis par l'employeur du contribuable. Par conséquent, le ministre a refusé les déductions faites au titre des cotisations au RPC et à l'assurance-chômage et de l'impôt sur le revenu payé. Le juge Sarchuk, de la C.C.I., a statué que les retenues avaient été faites sur le salaire du contribuable et que le fait que ce revenu n'avait pas été remis par l'employeur ne compromettait pas la validité des déductions demandées par le contribuable. Le juge Sarchuk s'est exprimé dans les termes suivants à la page 2468 :

Cette Cour a compétence exclusive pour connaître des appels ayant trait à des questions soulevées en vertu de la Loi (et d'autres lois). Je suis convaincu que la question dont je suis saisi constitue un appel d'une cotisation d'impôt au sens des dispositions du paragraphe 171(1) de la Loi. Je ne suis pas enclin à suivre la décision rendue dans l'affaire Brooks, précitée, et ce, pour deux raisons. Premièrement, selon la demande de redressement contenue dans l'avis d'appel de M. Brooks, celui-ci cherchait à obtenir une ordonnance déclaratoire de la part de cette cour. De toute évidence, un tel redressement n'est pas prévu au paragraphe 171(1) de la Loi. Deuxièmement, et ce point n'a pas été plaidé dans l'affaire Brooks, l'article 118.7 de la Loi prévoit que, aux fins du calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la partie I de la Loi pour une année d'imposition, est déductible tout montant que le particulier doit payer pour l'année à titre de cotisation ouvrière en application de la Loi sur l'assurance-chômage, 1971 et de cotisation d'employé en application du Régime de pensions du Canada. Il s'agit de déductions prévues par la loi dont peut se prévaloir un contribuable. L'appelant prétend que les retenues donnant droit à ces déductions ont été effectuées, mais que ces dernières lui ont été refusées. Il n'existe aucun argument que l'intimée peut raisonnablement invoquer pour faire valoir que cette cour n'a pas le droit de trancher la question de savoir si les retenues ont, en fait, été effectuées et, si elles l'ont été, de donner instruction au ministre d'établir en conséquence une nouvelle cotisation. Un contribuable peut se prévaloir de toute exemption et déduction prévues par la Loi, qui s'appliquent dans son cas. Je ne vois aucune différence entre le droit qu'a un contribuable de déduire les cotisations en application de l'article 118.7 de la Loi et son droit de déduire des dépenses admissibles en vertu de l'article 18 de la Loi. Le rejet d'une déduction par le ministre fondé sur des hypothèses de fait inexactes constitue une erreur réversible. En outre, alors qu'on pourrait soutenir que, dans la Loi, l'impôt sur le revenu retenu à la source est traité différemment des cotisations d'A.-C. et des cotisations au titre du RPC, il ne me semble pas fondé, si je devais conclure que First Choice a effectué les retenues obligatoires sur le salaire de l'appelant, d'accorder un redressement à l'égard du RPC et de l'A.-C. et de ne pas le faire dans le cas d'une retenue à la source de l'impôt. Selon moi, le calcul de l'impôt à payer fait partie intégrante de toute cotisation établie par le ministre. Si le calcul du ministre est erroné, l'appelant a droit à un redressement. Il n'est pas justifié de rejeter son appel en invoquant l'“incompétence” de la Cour dans ces circonstances.

[13] La question dont la Cour est saisie n'est pas une “ question de recouvrement ” qui ne relève pas de sa compétence.

[14] La compétence de la Cour naît dès qu'un contribuable interjette appel d'une cotisation d'impôt conformément à l'article 169 de la Loi. La Cour de l'impôt peut seulement accorder la mesure de redressement prévue au paragraphe 171(1) de la Loi : elle peut rejeter l'appel d'une cotisation d'impôt ou l'admettre en annulant la cotisation, en modifiant la cotisation ou en la déférant au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. Il est bien établi que la Cour de l'impôt ne peut prononcer de jugement déclaratoire. Sa compétence est limitée à celle que le législateur lui confère expressément et à celle qui découle implicitement de ce qui lui est expressément conféré : Lamash Estate v. The Queen, [1990] 2 C.T.C. 2534, 91 DTC 9 (C.C.I.), les motifs du juge en chef adjoint Christie.

[15] La question de compétence posée par l'intimée soulève deux questions que la Cour doit trancher. La première est de savoir si l'appelant a interjeté appel d'une cotisation d'impôt. Dans l'affirmative, l'appel est régulièrement soumis à la Cour et la compétence de la Cour pour entendre l'appel ne soulève aucun doute. Il est indubitable que l'appelant a suivi la procédure requise sous le régime de la Loi en interjetant appel des cotisations d'impôt à la Cour. La deuxième question est de savoir si l'appelant demande à la Cour de rendre un jugement déclaratoire ou s'il demande que la cotisation soit annulée, modifiée ou déférée pour nouvel examen. S'il demande un jugement déclaratoire, il est clair que la loi ne confère pas à la Cour le pouvoir d'accorder à l'appelant la mesure de redressement qu'il demande.

[16] Dans l'affaire Aallcann Wood Suppliers Inc. v. The Queen, 94 DTC 1475 (C.C.I.), le juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, a dit ceci à la page 1476 :

En contestant la cotisation portant sur une année pour laquelle de l'impôt est payable au motif que le ministre a incorrectement calculé le montant d'une perte relative à une année antérieure ou subséquente qui peut être déduite en vertu de l'article 111 dans le calcul du revenu imposable du contribuable pour l'année en question dans l'appel, le contribuable demande à la Cour de faire précisément ce que prévoient les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu en matière d'appel : déterminer l'exactitude d'une cotisation d'impôt en examinant la justesse d'un ou de plusieurs de ses éléments constituants, soit en l'espèce le montant d'une perte d'une autre année pouvant être déduite.

[17] Cette logique devrait s'appliquer en l'espèce. La question fondamentale dont la Cour est saisie est de savoir si la cotisation d'impôt établie par le ministre est juste. L'un des éléments constituants de la cotisation est le montant des crédits auxquels le contribuable a droit. L'appelant a interjeté appel de la cotisation d'impôt à la Cour pour le motif que le ministre n'a pas régulièrement tenu compte des crédits auxquels il avait droit. La Cour est autorisée à rendre une décision sur cette question de façon à déterminer si la cotisation d'impôt établie par le ministre était juste. La Cour ne rend pas une ordonnance déclaratoire selon laquelle le ministre doit accorder à l'appelant un crédit d'impôt; elle défère plutôt l'affaire à l'intimée pour qu'une nouvelle cotisation soit établie à l'égard de l'appelant selon les motifs, comme le prévoit l'article 169 de la Loi.

[18] La question de savoir si l'employeur de l'appelant a effectué les retenues sur son salaire est une question de fait. Si l'on tient pour acquis à cette étape-ci que les retenues ont été faites sur le salaire de l'appelant mais qu'elles n'ont pas été remises à la Couronne, la question est alors de savoir si l'appelant a droit à un crédit relativement à ces retenues dès qu'elles sont effectuées ou seulement au moment où les montants en question sont remis à la Couronne. Si un contribuable n'a droit à un crédit au titre des retenues faites que lorsque le ministre en a effectivement reçu le montant, l'appelant ne peut obtenir gain de cause dans l'appel.

[19] L'appelant a droit aux crédits dès que les retenues sont effectuées, et cela, pour deux raisons. Premièrement, bien qu'il puisse ne pas avoir reçu le montant de l'impôt retenu, le ministre le reçoit certainement par détermination de la loi dès que les retenues sont effectuées. Aux fins de l'article 153, l'employeur doit retenir les sommes fixées selon les modalités réglementaires et remettre ces sommes au receveur général au titre de l'impôt payable par l'employé pour l'année et, comme le juge Sarchuk l'a signalé dans l'affaire Ashby, précitée, l'employeur est le mandataire de la Couronne aux fins de la remise. Deuxièmement, à mon avis, ce serait imposer une charge trop lourde aux contribuables que d'exiger qu'ils s'assurent que le montant des retenues effectuées par leur employeur est remis à la Couronne pour avoir droit à un crédit au titre de ces retenues. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le ministre formule l'hypothèse qu'aucune relation employeur-employé n'existe, il lui est loisible d'établir une cotisation à l'égard du contribuable en tenant pour acquis qu'aucune retenue n'a été effectuée. Cependant, il existe des cas où il apparaît clairement au ministre qu'il existait bel et bien une relation employeur-employé et que l'employeur a effectué les retenues sur le salaire de l'employé, mais qu'il n'en a pas remis le montant. Dans la présente affaire, le ministre ne peut s'attendre à ce que le contribuable s'assure que la remise a été faite. Il est beaucoup mieux placé que le contribuable pour exiger la remise des déductions. Aux termes des paragraphes 227(9.4) et 227(10.1), l'employeur qui ne remet pas un montant retenu conformément à la Loi doit payer ce montant à la Couronne, et le ministre peut établir une cotisation à l'égard de l'employeur pour ce montant. Par conséquent, la Loi prévoit explicitement un moyen pour le ministre de percevoir le montant en question auprès de son mandataire si celui-ci omet d'effectuer la remise[3].

[20] En conclusion, l'appelant a le droit de demander un crédit relativement aux retenues à la source si, de fait, elles ont été effectuées.

Est-ce que des retenues à la source ont été effectuées?

[21] L'intimée soutient que l'appelant n'a été un employé de Corporate Computers Inc. que jusqu'au mois d'octobre 1993 et qu'après cette date il est devenu entrepreneur autonome auprès d'une filiale de son employeur appelée DiscMore Productions Inc. Par conséquent, l'appelant n'a droit à aucun crédit au titre des retenues faites sur son revenu d'emploi. Subsidiairement, l'intimée fait valoir que, si la Cour détermine que l'appelant était un employé, celui-ci touchait un salaire mensuel brut de 3 500 $ et aucune retenue n'a été faite sur son revenu. Les deux questions sont des questions de fait.

[22] L'intimée se fonde sur une décision de la Commission de révision de l'impôt rendue dans l'affaire Jacob v. M.N.R., 80 DTC 1878, pour soutenir que le contribuable ne peut demander de crédits relativement à des retenues à la source que s'il existe une preuve concluante que celles-ci ont été effectuées[4]. L'intimée soutient qu'il n'y a aucune preuve concluante dans la présente affaire. Ainsi que le juge Sarchuk l'a signalé dans l'affaire Ashby, précitée, l'affaire Jacob est une interprétation excessivement restrictive de la décision rendue dans l'affaire Coopers & Lybrand, précitée. Aucune règle de preuve selon laquelle il est essentiel que des feuillets T4 indiquent que les retenues ont été effectuées ne lie la Cour. La seule “ règle ”, comme l'a fait remarquer le juge Sobier dans l'affaire The Queen v. Ursel Constructors Limited, 96 DTC 1496 (C.C.I.), est qu'il faut que “ des retenues aient été effectuées ” pour établir qu'il y a eu des retenues même si elles n'ont pas été remises à la Couronne. Pour déterminer si, dans un cas donné, des retenues ont été effectuées, ce qui constitue une conclusion de fait, la Cour doit prendre en considération l'ensemble de la preuve qui lui est soumise, y compris les témoignages oraux[5].

Est-ce que des retenues ont été effectuées sur le salaire de l'appelant?

[23] Je conclus que l'appelant avait, avec DiscMore Productions Inc., une relation employeur-employé et que l'employeur lui versait un salaire net et non un salaire brut. Il ne semble pas que l'employeur ait à quelque moment que ce soit effectué de véritables retenues[6]; cependant, la loi exige non pas que l'argent soit véritablement versé à quelqu'un, mais simplement que le plein salaire ne soit pas versé du fait des retenues.

[24] La preuve qui suit m'a amené à tirer cette conclusion.

[25] Le témoignage de Neil Nichols - M. Nichols a déclaré qu'il avait assisté à une réunion où étaient présentes toutes les personnes liées à DiscMore Productions Inc., et que, dans ses notes manuscrites, il avait griffonné que l'appelant devait toucher un salaire mensuel brut de 5 000 $ et donc un salaire annuel de 60 000 $. Il a déclaré également que la seule discussion relative au salaire avait porté sur le fait que Ron Manke serait le seul employé de la société. Le montant du salaire avait été convenu à une date antérieure et le salaire brut de 5 000 $ par mois a été confirmé lors de la réunion par l'appelant et par Graham Fletcher. Le témoin était crédible et j'accepte son témoignage.

[26] Conversation enregistrée sur bande magnétique - L'appelant a enregistré une conversation qu'il a eue avec Graham Fletcher. Au cours de cette conversation, M. Fletcher a dit ceci :

[TRADUCTION]

Votre impôt est en fait calculé en fonction de, votre impôt serait en fait calculé en fonction du montant d'argent que vous, que vous gagnez, et non pas, non pas en fonction du montant brut, mais du montant net.

[27] M. Fletcher a indiqué au cours de l'interrogatoire qu'il avait simplement voulu dire que, si l'appelant touchait 3 500 $ par mois, c'est en fonction de ce montant que son impôt serait calculé. M. Fletcher avait déjà eu à traiter avec des employés et il saisissait la différence entre “ brut ” et “ net ”. Je ne puis retenir son explication.

[28] Au cours de la même conversation, l'appelant a mentionné à maintes reprises que son salaire était de 5 000 $ par mois. M. Fletcher a affirmé à quelques occasions que l'appelant ne touchait que 3 500 $ par mois, mais il n'a jamais dit que le salaire brut de l'appelant n'était pas de 5 000 $ par mois. Si l'appelant avait inventé ce chiffre de 5 000 $ par mois, M. Fletcher aurait sûrement réagi d'une façon ou d'une autre.

[29] Le revenu antérieur de l'appelant - M. Fletcher a déclaré au procès qu'il ne se souvenait pas d'avoir eu une discussion avec l'appelant concernant la rémunération. Cependant, au cours de l'interrogatoire préalable, Graham Fletcher s'est rappelé une conversation qu'il avait eue avec l'appelant et au cours de laquelle celui-ci aurait déclaré qu'il avait besoin de 3 500 $ par mois pour arriver. M. Fletcher a également déclaré au procès que l'appelant faisait un très bon salaire chez Corporate Computers Inc. Il me semble que, dans le cadre de négociations salariales, il est peu probable qu'une personne accepte un salaire beaucoup moins élevé que celui qu'elle touchait auparavant. Cela appuie la thèse de l'appelant selon laquelle, au cours de leur conversation, il a déclaré qu'il avait besoin de 60 000 $ pour payer ses dépenses.

[30] L'appel est admis avec frais, fixés à 500 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour d'août 1998.

“ C. H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 22e jour de septembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Pitre v. M.N.R., 95 DTC 676 (C.C.I.), McMillen Holdings Limited v. M.N.R., 87 DTC 585 (C.C.I.), Low v. The Queen, 93 DTC 927 (C.C.I.).

[2]               Gill v. M.N.R., 75 DTC 278 (C.R.I.), Lalonde v. M.N.R., 82 DTC 1772, Ashby v. The Queen, [1996] 1 C.T.C. 2464 (C.C.I.).

[3]               The Queen v. Coopers & Lybrand Ltd., [1980] C.T.C. 367, 80 DTC 6281.

[4]               La Commission s'est exprimée dans les termes suivants à la page 1882 :

[TRADUCTION]

Il ressort également clairement de l'affaire Coopers & Lybrand, précitée, que l'employé peut obtenir le crédit total lorsque la T4 Sommaire b) et les livres de paie a) non seulement indiquent mais prouvent de façon concluante que les retenues pertinentes ont été faites, peu importe que ces retenues aient été remises correctement au percepteur par l'employeur.

[5]               Ainsi, dans l'affaire Hromada v. M.N.R., 64 DTC 7 (C.R.I.), le commissaire St.Onge a conclu, compte tenu uniquement du témoignage oral du contribuable, que les retenues à la source avaient été faites par son employeur mais qu'elles ne figuraient pas sur le T4 remis au contribuable. Par conséquent, le contribuable avait droit à un remboursement d'impôt calculé en tenant compte de l'impôt sur le revenu retenu à la source.

[6]               Cana Construction Co. Limited v. The Queen, 95 DTC 127 (C.C.I.), conf. par 96 DTC 6370 (C.A.F.).

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