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Date: 19990118

Dossier: 97-1965-UI

ENTRE :

PHILIPPE BRULÉ,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 28 octobre 1998 à Rivière-du-Loup (Québec), par l’honorable juge Alain Tardif

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel d'une décision en date du 9 octobre 1997. En vertu de cette décision, l'intimé avisait l'appelant que le travail exécuté au cours de la période du 5 juin au 12 août 1995 pour le compte et bénéfice de la compagnie “Centre Horticole du Témiscouata Inc.” (le “payeur”) ne rencontrait pas les exigences pour être qualifié de contrat de louage de services au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la “Loi”).

[2] L'appelant a longuement témoigné. Bien qu'il se soit très bien exprimé connaissant manifestement très bien la langue française et ses nuances, il a été très difficile voire même pénible de connaître les modalités d'exécution de son travail. Utilisant constamment le vocabulaire base horaire, commission, consultation, plan, devis, cumul, honoraire professionnel, il n'a pourtant jamais expliqué de façon claire, nette et précise en quoi le travail exécuté rencontrait les exigences d'un véritable contrat de louage de services.

[3] Il ne cumulait pas les heures travaillées mais les contrats. Il recevait des commissions n'ayant rien à voir avec le volume des ventes; le montant des commissions était toujours le même.

[4] Eu égard à la capacité et facilité d'expression de l'appelant, il lui eût été très facile de formuler ses réponses en expliquant clairement la nature du travail exécuté pour le compte et bénéfice de la compagnie “Centre Horticole du Témiscouata Inc.”, en retour duquel il recevait une rémunération à titre de salarié. Non seulement l'appelant n'a pas fourni une description adéquate des modalités d'exécution de son travail, il a plutôt sciemment favorisé la confusion par des réponses où l'ambivalence était la règle : il recevait deux genres de rémunération; l'une, selon ses prétentions, comme travailleur autonome et une autre, à titre de salarié.

[5] En l'espèce, l'appelant a délibérément donné des réponses sur lesquelles il avait une parfaite maîtrise dans le but évident de créer une sorte de confusion pouvant être interprétée de deux façons.

[6] Je crois qu'il est possible pour une même personne de faire un travail à titre de salarié au niveau de certaines activités et d'entrepreneur au niveau de d'autres fonctions. Cette réalité a d'ailleurs été reconnue par le Tribunal du travail dans l'affaire Notrel Inc. vs C.S.D. Syndicat démocratique des distributeurs.

[7] Dans cette cause, le Tribunal du travail a conclu que les laitiers étaient soumis, dans l'exécution de leurs fonctions, à deux régimes différents. Lors des livraisons aux clients commerciaux, ils étaient dans un état de subordination par rapport à Notrel et leur rémunération était essentiellement sur base de commissions; le Tribunal concluait qu'ils étaient de simples vendeurs à commissions et donc des salariés. Pour la livraison du lait auprès des clients résidentiels, les laitiers disposaient d'une très grande autonomie et leur rémunération était constituée du profit réalisé par la revente du lait. Pour le Tribunal du travail, autonomie et profit étaient incompatibles avec un statut de salarié d'où il fut décidé que les laitiers, pour cette partie de leur travail, étaient non pas des salariés mais des entrepreneurs.

[8] Je crois important de rappeler que le fardeau de la preuve incombait à l'appelant exclusivement. Le défaut de relever le fardeau de preuve requis a pour effet d'obliger le Tribunal à confirmer le bien-fondé de la détermination. Je souscris à cette obligation. Par contre, la personne dont le travail peut être ainsi partagé en deux sortes de contrats, doit démontrer une nette démarcation dans la façon d'exécuter l'un et l'autre; il devient alors essentiel de démontrer très clairement la ou les distinctions caractérisant l'exécution du travail dans le cadre du contrat de louage de services versus le travail effectué ès-qualité d'entrepreneur.

[9] Au soutien de son appel, seul l'appelant a témoigné et ce, bien qu'il eût été nécessaire de compléter une preuve déficiente et confuse quant aux éléments essentiels dont notamment la question de rémunération et le lien de subordination.

[10] Le payeur a témoigné, non pas à la demande de l'appelant mais à la demande de la partie intimée. Le Tribunal n'a guère obtenu plus d'informations sur les modalités de l'entente ayant existé lors de la période en litige.

[11] Monsieur Comète, représentant la compagnie payeure, a certes reconnu avoir payé à l'appelant les montants correspondants à ceux apparaissant au relevé d'emploi. Il a été beaucoup moins précis sur la justification et ventilation du montant. Il a fait référence à une partie payée à titre de commission, laquelle lui était payée de façon uniforme, lors de chaque période de paye, pour permettre à l'appelant de déduire certaines dépenses effectuées dans le cadre de son emploi. La compagnie payeure versait l’autre partie selon un salaire horaire de 9,00 $. Le nombre d’heures travaillées ne faisait l’objet d'aucune comptabilité; le travail exécuté par l'appelant ne faisait l'objet d'aucun contrôle. Toute la relation de travail reposait essentiellement sur une sorte de lien de confiance.

[12] Le témoignage de Comète a démontré de façon non équivoque l'absence totale d’un quelconque lien de subordination. En effet, il est clairement ressorti de ce témoignage que la compagnie payeure avait accepté l'offre ou la proposition de l'appelant. Comme l'entreprise avait déjà offert à sa clientèle un service semblable, abandonné à la suite du décès de celui qui exécutait le travail, elle a donc accepté l'offre de l'appelant.

[13] Trouvant le projet de l’appelant intéressant, l’entreprise payeure a vu là une possibilité d’augmenter ses revenus. La compagnie payeure a donc accepté, à titre expérimental, la suggestion de l'appelant avec toutes les conditions qui l'accompagnaient, de manière à évaluer le potentiel de cet ajout de services.

[14] Comète a également clairement indiqué avoir pris la décision de ne pas reconduire l'entente; il n’avait pas apprécié l’expérience jugée plutôt négative. Il a reconnu ne pas avoir eu de contrôle serré ou même continu sur la qualité du travail exécuté par l'appelant; il a insisté pour répéter qu’il s’agissait d’une affaire de confiance basée sur l’intérêt réciproque. Il a même soutenu avoir accepté l'offre de l'appelant parce que son risque financier n’était pas très élevé.

[15] La preuve de l'intimé a été complétée par le témoignage de Monsieur Paul Dessurault et de Madame Sylvie Côté. L'un, en sa qualité d'enquêteur pour le bureau des Ressources Humaines d'Emploi et Immigration, et l'autre, en sa qualité d'agent des appels à Revenu Canada. Je crois important de rappeler que les parties ont indiqué au Tribunal que les deux témoignages valaient pour le présent dossier mais aussi pour le dossier No. 97-1966(UI) de cette Cour.

[16] Ces deux témoins ont exprimé de façon claire, nette et non-équivoque que l'appelant avait tenté à plusieurs reprises de noyer le poisson par toutes sortes de pirouettes verbales. Obtenant l'information au compte-gouttes, ils ont dû investir temps et énergie pour découvrir que l'appelant exploitait, dans les faits, sa propre entreprise sous différentes formules ou structures avec l'objectif évident de se qualifier aux prestations d'assurance-chômage.

[17] Lors de l'enquête réalisée par Paul Dessurault, il lui a été impossible d'obtenir copie de la preuve documentaire pourtant très pertinente. Les personnes détenant les documents se renvoyaient la balle l'un à l'autre et, jamais, les factures ou les pièces ne lui ont été soumises.

[18] De plus le témoignage de Monsieur Dessurault a établi que l'appelant était associé à plusieurs structures ou organisations. Il détenait seul une raison sociale, une participation majoritaire dans le capital-actions d'une compagnie et une participation minoritaire dans une autre compagnie; des relevés d'emploi avaient été émis aux actionnaires minoritaires de chacune des compagnies dont l'appelant. La preuve a aussi permis d'apprendre que les deux compagnies en question avaient sensiblement la même vocation. Le témoignage de Madame Côté a essentiellement étoffé, confirmé et corroboré le témoignage de Monsieur Dessurault.

[19] Madame Côté et Monsieur Dessurault ont établi d'une manière nettement prépondérante que l'appelant avait tout mis en oeuvre pour bénéficier des prestations d'assurance-chômage. Les tribunaux ont souvent reconnu le droit des contribuables à planifier, structurer et orchestrer leurs affaires aux fins qu’ils bénéficient des avantages prévus par la Loi.

[20] Ce droit et cette reconnaissance requièrent toutefois qu'il s'agisse de planification véritable où tous les faits et gestes sont exécutés dans le respect et en conformité avec la structure juridique retenue. Ce droit aux bénéfices ou avantages prévus par la Loi n'existe pas si les structures servent exclusivement de paravent ou trompe-l’oeil à des activités qui, en réalité, sont exercées d’une toute autre manière.

[21] En l'espèce, la prépondérance de preuve est à l'effet que l'appelant avait les compétences et qualifications lui permettant d'exécuter un travail spécialisé saisonnier.

[22] Ne travaillant qu'environ trois mois par année, il avait organisé ses affaires pour recevoir des prestations d'assurance-chômage pour le reste de l'année.

[23] Comme il s'agissait aussi d'un travail peu rémunéré, l'appelant a dû imaginer une formule lui permettant de toucher des gains plus substantiels générant des prestations d'assurance-chômage plus généreuses. Ne se contentant pas de la formule lui donnant droit à de généreuses prestations d'assurance-chômage, il a voulu exploiter le système, encore un peu plus, en soustrayant ses dépenses de ses revenus, privilège généralement octroyé aux entrepreneurs indépendants. Il a donc imaginé une sorte de formule mixte salaire-commission. Une fois sa formule articulée et définie, il l'a soumise à la compagnie “Centre Horticole du Témiscouata Inc.”. Comète n'étant préoccupé que par les coûts possibles versus les avantages y a souscrit sans condition ni contrôle.

[24] Les deux témoignages ont de plus établi qu'une rémunération uniforme avait été payée durant la période en litige. Le montant de chacun des chèques regroupait deux composantes différentes, une partie à titre de salaire horaire et une partie à titre de commission.

[25] Le contrat entre l'appelant et la compagnie dirigée par Comète n'était rien d'autre qu'un contrat intervenu entre deux entreprises indépendantes et autonomes; l'entente fut cependant présentée et maquillée de manière à ce que l'appelant soit, en apparence, un salarié de la compagnie de Comète. Pourquoi la compagnie payeure a-t-elle accepté de s'associer à pareil stratagème?

[26] Comète y a vu une possibilité de réaliser une expérience possiblement prometteuse à un coût raisonnable. De ce fait, il n'a pas questionné la formule proposée par l'appelant et, a, essentiellement, accepté aveuglement toutes les conditions se disant qu'il ne risquait pas grand chose dans l'aventure.

[27] Pour avoir gain de cause, l'appelant devait démontrer que le travail exécuté l'avait été dans le cadre d'un véritable contrat de louage de services.

[28] En l’espèce, l’appelant a délibérément choisi d’entretenir par ses réponses une confusion; sa preuve n’a jamais démontré que le travail exécuté avait été effectué comme salarié assujetti à un lien de subordination émanant du pouvoir de contrôle. La preuve a plutôt établi que le travail exécuté l'avait été à titre de travailleur autonome ou d’entrepreneur.

[29] Ayant choisi de relever, par son seul témoignage, le fardeau de la preuve qui lui incombait, il doit en assumer toutes les conséquences; le résultat est une preuve incomplète et déficience où, de plus, la crédibilité a une grande importance. Or le témoignage de l'appelant a été très peu crédible et plusieurs de ses explications furent tout simplement invraisemblables. La preuve de l'intimé a confirmé et corroboré le bien-fondé de la détermination.

[30] L’appelant a délibérément organisé, planifié et maquillé le travail exécuté à titre d’entrepreneur en travail exécuté comme contrat de louage de services. En outre, le Tribunal a constaté, à plusieurs reprises, que l'appelant connaissait parfaitement toutes les exigences d'un contrat de louage de services par rapport à celui d'un contrat d'entreprise. Il a constamment contourné les questions difficiles et évité de répondre aux questions hautement pertinentes.

[31] L'appelant n'a définitivement pas révélé le fardeau de la preuve qui lui incombait.

[32] L’appel est donc rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de janvier 1999.

“ Alain Tardif ”

J.C.C.I.

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