Date: 19990212
Dossier: 89-658-IT-O
ENTRE :
PAUL KOROL,
appelant,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
intimé.
Motifs du jugement
Le juge O'Connor, C.C.I.
[1] Les appels dont il s'agit ont été entendus à Saskatoon (Saskatchewan) le 21 janvier 1999.
Point en litige
[2] La question, commune aux appels considérés en l'espèce et aux appels du Dr Richard H. D. Sykes (90-340(IT)O), du Dr Kris Rao (90-842(IT)O) et du Dr Dextor Ator (90-2810(IT)O), est de savoir si le ministre a à bon droit attribué certains revenus en dividendes à l'appelant en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour les années 1984, 1985 et 1986. En ce qui a trait à cette question, les parties ont procédé principalement sur la foi d'un exposé conjoint des faits, qui se lit comme suit :
[TRADUCTION]
EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS
L'appelant et l'intimé conviennent par les présentes de la véracité et de l'exactitude des faits et énoncés suivants :
1. L'appelant, soit le Dr Paul Korol (dont le numéro d'assurance sociale est le 613 006 659), est un particulier qui habite à Saskatoon (Saskatchewan).
2. L'appelant est actionnaire de la Korol Investments Ltd. (la “ compagnie ”), soit une personne morale constituée en vertu de la Business Corporations Act (loi sur les sociétés par actions) de la Saskatchewan.
3. Les statuts constitutifs autorisaient la compagnie à émettre les actions suivantes en 1984, en 1985 et en 1986 (les “ années d'imposition pertinentes ”) :
nombre illimité d'actions ordinaires avec droit de vote de catégorie “ A ”;
nombre illimité d'actions ordinaires avec droit de vote de catégorie “B”;
nombre illimité d'actions ordinaires sans droit de vote de catégorie “ C ”;
nombre illimité d'actions privilégiées avec droit de vote de catégorie “ A ”;
nombre illimité d'actions privilégiées de catégorie “ B ”.
L'annexe “ 1 ” des présentes est une copie conforme du certificat de constitution et des statuts constitutifs de la compagnie, le certificat de constitution et les statuts de modification étant applicables pendant les années d'imposition pertinentes.
4. Les statuts constitutifs de la compagnie (dans leur forme modifiée) prévoyaient ce qui suit concernant les droits à des dividendes en 1984, en 1985 et en 1986 :
3. Les administrateurs peuvent de temps à autre déclarer et payer des dividendes aux porteurs d'une catégorie d'actions ordinaires avec droit de vote à l'exclusion des porteurs de toute autre catégorie d'actions ordinaires avec droit de vote.
5. Les porteurs d'actions privilégiées avec droit de vote de catégorie “ A ” et les porteurs d'actions privilégiées de catégorie “ B ” seront en droit de toucher des dividendes sur le surplus ou bénéfice net de la compagnie lorsque les dividendes seront déclarés par les administrateurs et selon les dividendes qui seront déclarés par les administrateurs. Les administrateurs peuvent déclarer et payer des dividendes aux porteurs d'une catégorie d'actions privilégiées à l'exclusion des porteurs de l'autre catégorie d'actions privilégiées.
6. Aucun dividende ne sera payé pour un exercice de la compagnie à l'égard des actions ordinaires avec droit de vote de catégorie “ A ”, des actions ordinaires avec droit de vote de catégorie “ B ” et des actions ordinaires sans droit de vote de catégorie “ C ” tant que des dividendes pour l'exercice ou la période n'auront pas été déclarés et payés à l'égard des actions privilégiées avec droit de vote de catégorie “ A ” et des actions privilégiées de catégorie “ B ”.
5. Les actions suivantes de la compagnie étaient émises et en circulation durant les années d'imposition pertinentes :
Nom |
Catégorie d'actions |
1984 |
1985 |
1986 |
Paul Korol |
Actions ordinaires avec droit de vote de catégorie “ A ” |
72 994 |
72 994 |
72 994 |
Paul Korol |
Actions privilégiées avec droit de vote de catégorie “ A ” |
314 248 |
314 248 |
314 248 |
Stella Korol |
Actions ordinaires sans droit de vote de catégorie “ C ” |
1 000 |
1 000 |
1 000 |
Stephen Korol |
Actions ordinaires avec droit de vote de catégorie “ B ” |
500 |
500 |
500 |
Stephen Korol |
Actions privilégiées de catégorie “ B ” |
500 |
500 |
500 |
Anthony Korol |
Actions ordinaires avec droit de vote de catégorie “ B ” |
500 |
500 |
500 |
Anthony Korol |
Actions privilégiées de catégorie “ B ” |
500 |
500 |
500 |
6. Les dividendes suivants ont été déclarés et payés durant les années d'imposition pertinentes :
Nom |
Catégorie d'actions |
1984 |
1985 |
1986 |
Anthony Korol |
Actions privilégiées de catégorie “ B ” |
*13 500 $ |
7 100 $ |
5 470 $ |
Stephen Korol |
Actions privilégiées de catégorie “ B ” |
*13 500 $ |
7 100 $ |
5 470 $ |
Stella Korol |
Actions ordinaires avec droit de vote de catégorie “ C ” |
35 800 $ |
18 800 $ |
14 500 $ |
(*Ces dividendes reflètent les modifications apportées en 1987 aux résolutions des administrateurs de 1984 en ce qui concerne le paiement de dividendes à l'égard des actions privilégiées de catégorie “ B ”, voir ci-dessous)
L'annexe “ 2 ” des présentes est une copie conforme des résolutions des administrateurs provenant du registre des procès-verbaux de la compagnie et indiquant que des dividendes ont été déclarés et payés suivant ce qui a été indiqué ci-dessus, soit des documents en date du 22 août 1984, du 20 août 1985 et du 22 septembre 1986. Est également jointe une copie des résolutions des administrateurs en date du 28 septembre 1987 par lesquelles le procès-verbal des administrateurs du 22 août 1984 a été modifié de façon à indiquer qu'un dividende de 27 $ l'action a été payé aux porteurs d'actions privilégiées de catégorie “ B ” plutôt qu'aux porteurs d'actions ordinaires avec droit de vote de catégorie “ B ”.
7. Le 11 juillet 1988 ou vers cette date, l'intimé a établi à l'égard de l'appelant de nouvelles cotisations (les “ nouvelles cotisations ”) pour chacune des années d'imposition pertinentes et a inclus dans le revenu de l'appelant, en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (du Canada), les revenus en dividendes suivants qui avaient été payés par la compagnie conformément au paragraphe 6 ci-devant :
Année d'imposition |
Montant du revenu en dividendes attribué à l'appelant (avant majoration) |
1984 |
62 310 $ |
1985 |
32 743 $ |
1986 |
25 242 $ |
8. Des avis d'opposition aux nouvelles cotisations ont été rédigés et présentés à l'intimé en la forme prescrite et en temps opportun. L'intimé a ratifié les nouvelles cotisations et l'appelant a fait appel de la décision de l'intimé à la Cour.
À l'audience, l'avocat du ministre a reconnu que les dividendes payés pendant toutes les années à l'égard des actions privilégiées de catégorie “ B ” n'étaient plus en litige.
[3] Outre l'exposé conjoint des faits qui a été présenté, l'appelant a déclaré ce qui suit dans son témoignage : il était médecin spécialiste en radiologie diagnostique et exerçait sa profession avec des associés à Saskatoon (Saskatchewan); il détenait la grande majorité des actions de la Korol Investments Ltd. (la “ compagnie ”), soit une société de portefeuille constituée en 1979; il avait un avocat, soit un dénommé Muzyka, et un comptable, soit un dénommé Birney, et il s'était fondé sur le conseil de M. Birney quant au paiement de dividendes par la compagnie; la création de la compagnie et le paiement de dividendes faisaient partie d'un plan fiscal visant à attribuer le plus de revenus en dividendes possibles à l'épouse et aux fils de l'appelant. À cet égard, l'appelant a suivi le conseil de son comptable. Il a également dit que la compagnie, si le comptable le lui avait conseillé, aurait déclaré des dividendes minimums, disons de 1 $, à l'égard des actions donnant droit en priorité à des dividendes selon les statuts constitutifs (les “ statuts ”), de façon à se conformer aux statuts.
Arguments de l'appelant
[4] L'avocat de l'appelant soutient que, comme l'a déterminé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Neuman c. M.R.N., [1998] 1 R.C.S. 770, et dans l'arrêt McClurg c. Canada,[1990] 1 R.C.S. 1020, un revenu en dividendes ne peut généralement être l'objet d'une attribution selon le paragraphe 56(2) de la Loi. Dans l'arrêt Neuman, la Cour suprême du Canada disait ce qui suit à la page 782 :
Le paragraphe 56(2) énonce dans son libellé même les quatre conditions préalables à son application:
(1) le paiement doit être fait à une autre personne que le contribuable à l'égard duquel une nouvelle cotisation est établie;
(2) la répartition doit être faite suivant les instructions ou avec l'accord du contribuable à l'égard duquel une nouvelle cotisation est établie;
(3) le paiement doit être fait au profit du contribuable à l'égard duquel une nouvelle cotisation est établie ou à une autre personne à titre d'avantage que ce contribuable souhaitait voir accorder à cette autre personne;
(4) le paiement aurait été inclus dans le revenu du contribuable à l'égard duquel une nouvelle cotisation est établie si ce dernier l'avait reçu lui-même.
[...]
Étant donné ma conclusion que le par. 56(2) ne s'applique pas à un revenu de dividendes parce que, de par sa nature même, le revenu de dividendes ne satisfait pas à la quatrième condition préalable en l'absence d'un trompe-l'oeil ou d'un autre subterfuge, il n'est pas nécessaire d'analyser les trois autres conditions d'application du par. 56(2).
[...]
[...] Premièrement, le par. 56(2) vise à empêcher l'évitement fiscal au moyen du fractionnement du revenu; il s'agit cependant d'une disposition particulière relative à l'évitement fiscal, et non d'une disposition générale interdisant le fractionnement du revenu. En fait, dans la LIR, [TRADUCTION] “aucun mécanisme général n'empêche le fractionnement du revenu” [...]. Le paragraphe 56(2) ne peut s'appliquer pour empêcher le fractionnement du revenu que lorsque les quatre conditions préalables à son application sont précisément remplies.
[...]
[...] il importe de se rappeler que notre Cour a statué à l'unanimité dans l'arrêt Stubart [...] qu'une opération ne devait pas être écartée sur le plan fiscal parce qu'elle ne vise aucun but commercial distinct ou véritable [...]. Ainsi, les contribuables peuvent organiser leurs affaires d'une façon particulière dans le seul but de se prévaloir délibérément des mécanismes de réduction de l'impôt prévus dans la LIR.
[5] De plus, l'avocat argue que, le montant des dividendes devant être déclarés à l'égard des actions prioritaires n'étant pas fixe, un montant quelconque comme 1 $ ou un autre montant symbolique aurait pu être versé à cet égard, et il y aurait ainsi conformité aux statuts. C'est ce que l'appelant a déclaré dans son témoignage, soit un témoignage non contredit, de sorte que, si le paragraphe 56(2) était applicable, le montant de toute attribution ne devrait être que de 1 $ ou un autre montant symbolique.
[6] L'avocat soutient également que, de toute façon, le fait de ne pas avoir suivi la priorité en matière de dividendes qui est stipulée dans les statuts ne donne pas lieu à une attribution, à l'appelant, du montant du dividende (soit 99,22 p. 100 en l'espèce). Il dit qu'il n'y a aucun fondement à l'attribution déterminée par le ministre, laquelle se fonde sur le pourcentage de l'ensemble des actions de la compagnie détenu par l'appelant.
[7] Il attire en outre l'attention sur la Business Corporations Act de la Saskatchewan (la “ B.C.A.S. ”), qui dit ceci :
[TRADUCTION]
15(1) Une compagnie a la capacité d'un particulier et a, sous réserve de la présente loi, les droits, pouvoirs et privilèges d'un particulier.
16(3) Nul acte d'une compagnie, y compris le transfert de biens à une compagnie ou par une compagnie, n'est nul pour le seul motif que cet acte ou ce transfert est contraire aux statuts de la compagnie ou à la présente loi.
Il fait également référence aux dispositions en matière d'abus prévues dans ladite B.C.A.S., soit :
[TRADUCTION]
234(1) Un plaignant peut demander une ordonnance à un tribunal en vertu du présent article.
(2) Sur demande présentée en vertu du paragraphe (1), le tribunal peut rendre une ordonnance pour redresser la situation faisant l'objet de la plainte s'il est convaincu que, concernant une compagnie ou l'une de ses compagnies affiliées, l'un quelconque des éléments suivants est abusif, porte préjudice aux intérêts d'un porteur de titres, d'un créancier, d'un administrateur ou d'un dirigeant ou n'en tient pas compte au point de constituer une injustice :
a) le résultat d'un acte ou d'une omission de la compagnie ou de l'une de ses compagnies affiliées;
b) la manière dont l'entreprise ou les affaires de la compagnie ou de l'une de ses compagnies affiliées sont ou ont été menées;
c) la manière dont les pouvoirs des administrateurs de la compagnie ou de l'une de ses compagnies affiliées sont ou ont été exercés.
(3) Relativement à une demande présentée en vertu du présent article, le tribunal peut rendre l'ordonnance provisoire ou définitive qu'il juge appropriée, y compris, sans limiter la portée générale de ce qui précède :
a) une ordonnance interdisant la conduite faisant l'objet de la plainte;
b) une ordonnance nommant un séquestre ou un séquestre-gérant;
c) une ordonnance réglementant les affaires d'une compagnie par la modification des statuts ou du règlement ou par la création ou la modification d'une convention unanime des actionnaires;
d) une ordonnance exigeant une émission ou un échange de titres;
e) une ordonnance nommant des administrateurs à la place ou en sus de l'ensemble ou d'une partie des administrateurs en poste;
f) une ordonnance obligeant une compagnie, sous réserve du paragraphe (6), ou toute autre personne à acheter les titres d'un porteur de titres;
g) une ordonnance obligeant une compagnie, sous réserve du paragraphe (6), ou toute autre personne à payer à un porteur de titres une part quelconque des sommes payées par ce dernier pour les titres;
h) une ordonnance modifiant ou annulant une opération ou un contrat auquel une compagnie est partie et indemnisant la compagnie ou toute autre partie à l'opération ou au contrat;
i) une ordonnance exigeant qu'une compagnie, dans un délai spécifié par le tribunal, présente au tribunal ou à une personne intéressée des états financiers en la forme requise par l'article 149 ou un compte rendu en la forme pouvant être déterminée par le tribunal;
j) une ordonnance indemnisant une partie lésée;
k) une ordonnance exigeant la rectification des registres ou autres livres d'une compagnie en vertu de l'article 236;
l) une ordonnance exigeant la liquidation et la dissolution de la compagnie;
m) une ordonnance exigeant la tenue d'une enquête en vertu de la section XVII;
n) une ordonnance exigeant la tenue d'un procès sur un point quelconque en litige.
(4) Si une ordonnance rendue en vertu du présent article exige la modification des statuts ou du règlement d'une compagnie :
a) les administrateurs doivent immédiatement se conformer au paragraphe (4) de l'article 185;
b) aucune autre modification des statuts ou du règlement ne doit être apportée sans le consentement du tribunal, et ce, tant qu'un tribunal n'en a pas décidé autrement par voie d'ordonnance.
(5) Un actionnaire n'a pas droit à la dissidence en vertu de l'article 184 si une modification des statuts est apportée en vertu du présent article.
(6) Une compagnie ne doit faire aucun paiement à un actionnaire en vertu de l'alinéa f) ou de l'alinéa g) du paragraphe (3) s'il existe des motifs raisonnables de croire que :
a) soit la compagnie est ou serait après ce paiement incapable d'honorer ses dettes à mesure qu'elles deviennent exigibles;
b) soit la valeur de réalisation des actifs de la compagnie serait alors inférieure au total des passifs de la compagnie.
(7) Une personne qui présente une demande en vertu du présent article peut subsidiairement demander une ordonnance en vertu de l'article 207.
L'avocat a conclu que ces dispositions en matière d'abus prévoient le redressement à accorder à un actionnaire lésé — soit, par exemple, à un actionnaire qui n'a pas reçu des dividendes selon la priorité établie par les statuts. Si l'actionnaire lésé renonce à ce redressement, les dividendes déclarés ne devraient pas être invalidés.
[8] L'avocat fait également référence à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Continental Bank Leasing c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, dans laquelle une banque avait contrevenu à l'article 174 de la Loi sur les banques, qui interdisait à la banque de détenir une participation dans une société de personnes. La banque détenait des actions d'une filiale qui était un associé dans une société de personnes. Il était donc argué que la société de personnes était frappée de nullité, de sorte que le transfert d'actifs à la société de personnes, en franchise d'impôt, en vertu du paragraphe 97(2) de la Loi était également frappé de nullité. La majorité des juges de la Cour en a décidé autrement. Ainsi, le traitement fiscal souhaité a été admis, malgré le fait que la banque avait contrevenu à un élément de sa charte.
Arguments de l'intimé
[9] L'avocat de l'intimé s'est abstenu de formuler des observations quant à savoir quel devrait être le montant des dividendes que le ministre pourrait attribuer à l'appelant. Il soutenait que la forme compte dans les affaires d'impôt sur le revenu (The Queen v. Friedberg, 92 DTC 6031) et que, la compagnie n'ayant pas suivi les priorités énoncées dans les statuts en déclarant des dividendes, il doit y avoir une attribution de dividendes à l'appelant en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi. Il a également fait référence à l'affaire Champ v. The Queen, [1983] C.T.C. 1, dans laquelle la Cour fédérale a statué que, dans les cas où, en vertu des statuts de la compagnie, des dividendes ne pouvaient être payés sélectivement, le demandeur contrôlant totalement une compagnie était assujetti au paragraphe 56(2) à l'égard des dividendes payés à son épouse. L'avocat de l'intimé a également renvoyé à l'opinion dissidente du juge La Forest dans l'affaire McClurg. Il a en outre fait mention de la théorie de l'excès de pouvoir (ultra vires), concluant manifestement que l'appelant ne pouvait se fonder sur les paragraphes 15(1) et 16(3) de la B.C.A.S.
Analyse et décision
[10] À mon avis, la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Neuman représente le dernier mot sur la question en cause dans la présente espèce, et la seule distinction entre la présente espèce et l'affaire Neuman tient au fait que, dans la présente espèce, il y a eu dérogation aux statuts concernant la priorité en matière de dividendes. Je ne crois pas que cela change la situation. Le fait de ne pas avoir suivi la priorité en matière de dividendes prévue dans les statuts n'est pas à mon avis suffisant pour rendre le paragraphe 56(2) applicable.
[11] Les paragraphes 15(1) et 16(3) de la B.C.A.S. indiquent clairement que la compagnie pouvait valablement déclarer des dividendes sans se conformer à ses statuts et, même si ces dispositions législatives ne visaient qu'à protéger des tiers, les actionnaires sont des tiers. Quoi qu'il en soit, les propos suivants tenus par le juge Bastarache (dissident) dans l'affaire Continental Bank sont utiles dans l'examen de la théorie de l'excès de pouvoir :
a) L'excès de pouvoir
La théorie de l'excès de pouvoir (ou de l'ultra vires) a été élaborée par les tribunaux au milieu du 19e siècle afin de restreindre la capacité juridique des personnes morales constituées sous le régime de la Companies Act et des lois qui lui ont succédé. Selon cette théorie, la capacité juridique d'une personne morale se limitait aux seuls actes prévus par ses statuts. Tout acte non autorisé par ceux-ci était frappé de nullité pour cause d'absence de capacité juridique [...]
La théorie visait à restreindre l'étendue des activités des personnes morales afin de protéger les intérêts de ses créanciers et de ses actionnaires. On a fini par constater que cette théorie était source d'inconvénients et, à l'occasion, de préjudice pour le public, étant donné qu'on attendait de ce dernier qu'il s'informe des limitations de la capacité de la personne morale inscrites dans les documents publics. [...]
En 1974, la Loi sur les corporations commerciales canadiennes, S.C. 1974-75-76, ch. 33 (“LCCC”), a aboli la théorie de l'excès de pouvoir relativement aux corporations canadiennes en reconnaissant à celles-ci la capacité d'une personne physique. Selon le par. 15(1) de la LCCC, “une corporation a les droits, pouvoirs et privilèges d'une personne physique ayant sa pleine capacité”. Le paragraphe 16(3) de cette loi dispose également que “[n]ul acte d'une corporation, y compris le transfert de biens à une corporation ou par les soins de celle-ci, n'est nul pour le seul motif que cet acte ou ce transfert est contraire à ses statuts ou à la présente loi”.
[...] Les droits et les obligations juridiques des tiers découlant d'une opération interdite par la loi à une banque sont valides et ne sont plus susceptibles d'être troublés par l'annulation judiciaire de l'opération initiale prohibée. La banque s'expose plutôt aux peines prévues par la Loi sur les banques et probablement aussi à celles prévues par le droit en général à l'égard des actes prohibés.
Dans l'arrêt Canadian Pickles, notre Cour a statué que la théorie de l'excès de pouvoir a été abolie vis-à-vis des personnes morales constituées en vertu de la plupart des lois régissant les sociétés par actions.
[12] En outre, j'accepte l'argument de l'avocat de l'appelant quant aux effets des articles de la B.C.A.S. qui ont été cités et quant aux principes établis dans l'arrêt Continental Bank.
[13] De plus, il est clair que, le montant des dividendes à l'égard des actions prioritaires n'étant pas fixé dans les statuts, l'attribution visée au paragraphe 56(2), si elle était applicable, aurait pu simplement être de 1 $ ou un autre montant symbolique.
[14] Pour tous ces motifs, les appels sont admis, avec dépens, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en conséquence.
Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de février 1999.
“ T. P. O'Connor ”
J.C.C.I.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Traduction certifiée conforme ce 8e jour de décembre 1999.
Mario Lagacé, réviseur