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Date: 19990625

Dossier: 97-225-IT-G

ENTRE :

OSFC HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

LE JUGE BOWIE, C.C.I.

[1] Les appels dont il s'agit ont été interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations d'impôt sur le revenu établies à l'égard de l'appelante (la « OSFC » ) pour ses années d'imposition 1993 et 1994. Ils tiennent au fait que le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé à l'appelante la déduction d'une perte autre qu'en capital de 12 572 274 $ dans le calcul de son revenu pour 1993[1]. Ce montant représente, ou on prétend qu'il représente, la part de l'appelante dans une perte de 52 384 474 $ subie par la SRMP Realty and Mortgage Partnership (la « SRMP » ) dans son exercice se terminant le 30 septembre 1993. Sur cette perte, un montant de 52 147 632 $ résulte de la participation de 99 p. 100 qu'avait la SRMP dans une société de personnes appelée STIL Partnership II (la « STIL II » ). Les appels soulèvent des questions relatives au droit en matière de sociétés de personnes ainsi que des questions relatives à l'application de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), tel que cet article a été réadopté en 1988[2].

Faits

[2] La Compagnie Standard Trust (la « Standard » ) exploitait une entreprise consistant notamment à accorder des prêts garantis par des hypothèques sur des immeubles. Pour un certain nombre de raisons, dont la conjoncture économique de l'époque, elle est devenue insolvable et, le 2 mai 1991, le juge Houlden, qui siégeait comme juge de la Cour de justice de l'Ontario (Division générale)[3], a ordonné qu'elle soit liquidée, conformément à la Loi sur les liquidations[4]. Le liquidateur qui a été nommé était Ernst & Young Inc. ( « E & Y » ou le « liquidateur » ). La tâche du liquidateur était d'obtenir la meilleure réalisation possible des actifs de la Standard et, à cette fin, le liquidateur était habilité, à la fois par la Loi sur les liquidations et par l'ordonnance du juge Houlden, à exploiter l'entreprise de la Standard dans la mesure nécessaire pour une liquidation avantageuse de la compagnie. Les mentions de la Standard faites ci-après désignent la Compagnie Standard Trust en liquidation, dont l'âme dirigeante était durant toute la période pertinente le liquidateur, soit plus particulièrement M. Bradeen et M. Drake pour ce qui est des points en litige dans la présente espèce.

[3] Le liquidateur a vite constaté que, sur l'ensemble du portefeuille de prêts hypothécaires, d'un montant de quelque 1,6 milliard de dollars, environ la moitié étaient des prêts-problèmes, soit des prêts à l'égard desquels les paiements au titre du principal et des intérêts étaient en souffrance depuis 90 jours ou plus. La liquidation de ce portefeuille de prêts-problèmes était un défi de taille pour E & Y. La Standard, qui à l'origine avait eu des droits sur les biens en cause comme créancier hypothécaire simplement, était maintenant en possession d'un grand nombre de ces biens en vertu des droits que lui conféraient les hypothèques, et il était probable qu'elle réaliserait la garantie que représentaient ces hypothèques seulement en exerçant ses droits comme créancier hypothécaire en possession ou son pouvoir de vente ou des deux façons. Le marché immobilier était faible, et les créances n'étaient pas très bonnes. De l'avis du liquidateur, les acheteurs potentiels prévoyaient ou du moins espéraient que le liquidateur serait obligé de disposer au rabais des prêts-problèmes de la Standard ou des biens donnés en garantie de ces prêts. Cette option ne séduisait pas E & Y.

[4] Ces prêts-problèmes incluaient 17 prêts relatifs à 9 biens[5], collectivement appelés dans la preuve le portefeuille de STIL II. Le coût historique de ces prêts pour la Standard totalisait 85 368 872 $. Pour liquider le plus avantageusement possible ce groupe de prêts ainsi qu'un groupe de prêts semblable (le portefeuille de STIL I), le liquidateur a, avec l'aide de ses avocats, formulé un plan conçu pour vendre les biens à des investisseurs de manière que ces derniers puissent se prévaloir, aux fins de l'impôt, des pertes importantes que la Standard avait subies par suite de la baisse radicale de valeur des portefeuilles hypothécaires occasionnée par une chute récente, subite et spectaculaire, des valeurs immobilières. Les éléments clés du plan étaient les suivants. La Standard constituerait une filiale en propriété exclusive et les deux formeraient ensuite une société de personnes dans laquelle la Standard détiendrait une participation de 99 p. 100, tandis que la filiale détiendrait une participation de 1 p. 100. La Standard transférerait des hypothèques-problèmes à la société de personnes comme apport au capital de cette dernière et prêterait à la filiale suffisamment d'argent pour que celle-ci puisse faire son apport de capital. En raison du paragraphe 18(13) de la Loi[6], les hypothèques seraient acquises par la société de personnes, aux fins de l'impôt sur le revenu, à leur coût pour la Standard, malgré le fait que leur valeur était à l'époque beaucoup moindre. Le liquidateur vendrait ensuite la participation de 99 p. 100 de la Standard dans la société de personnes à un acheteur sans lien de dépendance, à qui, à la fin du premier exercice de la société de personnes, les pertes fiscales seraient attribuées dans une proportion de 99 p. 100.

[5] Pour exécuter ce plan, E & Y a demandé au tribunal, et a obtenu, l'autorisation de constituer une filiale en propriété exclusive de la Standard et de créer deux sociétés en nom collectif, STIL I et STIL II, qui acquerraient les deux portefeuilles, la Standard et sa filiale devant détenir dans chaque société des participations respectives de 99 p. 100 et de 1 p. 100. Conformément à cette autorisation, E & Y a ensuite effectué la série d'opérations suivante. Le 16 octobre 1992, la 1004568 Ontario Inc. (la « 1004568 » ) a été constituée comme filiale en propriété exclusive de la Standard. Le 23 octobre 1992, deux contrats de société ont été conclus entre la Standard et la 1004568 pour la création des sociétés STIL I et STIL II. Le même jour, la 1004568 a emprunté 730 220 $ à la Standard et a utilisé cet argent pour faire son apport de capital pour sa participation de 1 p. 100 dans chaque société de personnes. La Standard a alors donné un portefeuille hypothécaire à STIL I et un autre à STIL II, ce qui représentait son apport de capital à chaque société de personnes. L'apport du portefeuille de STIL II à la société de personnes STIL II par la Standard était régi par les modalités d'un document appelé le contrat d'apport d'actifs ( « Asset Contribution Agreement » ). Ce contrat stipulait que le prix d'achat du portefeuille devant être payé par STIL II était de 41 314 434 $, soit la valeur comptable nette du portefeuille de STIL II indiquée dans les comptes de la Standard à cette époque. Il stipulait également que le prix d'achat serait acquitté en créditant de ce montant le compte de capital de la Standard dans la société de personnes. La 1004568 a fait son apport au capital de la société de personnes en effectuant un paiement au comptant de 417 318 $, montant établi en divisant 41 314 434 $ par 99. Les parties conviennent que les hypothèques constituant le portefeuille de STIL II avaient à cette époque une juste valeur marchande globale de 33 262 000 $. Leur coût total pour la Standard était de 85 368 872 $.

[6] Le contrat de société conclu entre la Standard et la 1004568 est un document d'une quinzaine de pages. Il renferme toutes les dispositions que l'on s'attendrait à trouver dans un contrat de société commerciale. L'objet de la société de personnes est énoncé comme suit :

[TRADUCTION]

ARTICLE 3

OBJET DE LA SOCIÉTÉ DE PERSONNES

À partir de la date d'apport d'actifs, les associés exploiteront, par l'intermédiaire de la société de personnes, une entreprise consistant à administrer le portefeuille hypothécaire, à réaliser les garanties hypothécaires pour ce qui est des hypothèques faisant partie du portefeuille hypothécaire et à exercer d'autres droits de la société de personnes en tant que créancier hypothécaire, selon ce qui pourra être approprié de temps à autre, en vendant certains ou l'ensemble des biens immeubles sous-jacents ou certaines ou l'ensemble des hypothèques faisant partie du portefeuille hypothécaire, tout cela en vue d'optimaliser la valeur et le caractère commercialisable du portefeuille hypothécaire.

Les associés reconnaissent que la Standard est en voie de liquidation conformément aux dispositions de la Loi sur les liquidations (du Canada) et conformément à des ordonnances de l'honorable juge Houlden, de la Cour de justice de l'Ontario (Division générale), rendues respectivement le 2 mai et le 19 juillet 1991. Les associés reconnaissent également que, dans la mesure où des actions de la société de personnes concernant le portefeuille hypothécaire auraient exigé l'approbation de la Cour si elles avaient été faites par la Standard si cette dernière avait continué de détenir le portefeuille hypothécaire, de telles actions continueront d'être assujetties à l'approbation de la Cour.

[7] Il est indubitable — et ceci n'est d'ailleurs pas contesté par l'appelante — qu'un élément important du plan d'E & Y visant à optimaliser la réalisation des deux portefeuilles était de faire en sorte que les personnes qui finiraient par acheter les parts de 99 p. 100 dans les sociétés de personnes puissent se prévaloir des baisses considérables de la valeur des portefeuilles comme pertes aux fins de l'impôt sur le revenu. Si les hypothèques avaient simplement été vendues par le liquidateur à un acquéreur sans lien de dépendance, les pertes auraient été réalisées par la Standard au moment de la vente. Il ne semblait pas, à l'automne 1992, que la Standard serait en mesure d'utiliser ces pertes. Il était donc essentiel pour le plan de réalisation que la Standard ne vende pas les hypothèques directement à un tiers, qu'elle vende plutôt sa part de 99 p. 100 dans la société de personnes et qu'elle le fasse avant la fin du premier exercice de cette société, auquel moment la société serait tenue en vertu de l'article 10 de la Loi de ramener leur valeur des actifs de portefeuille à leur valeur marchande.

[8] La sélection des hypothèques constituant les portefeuilles de STIL I et de STIL II a été structurée par E & Y de manière à faire en sorte que la participation de 99 p. 100 de la Standard dans les sociétés de personnes soit facilement commercialisable. Les faibles risques environnementaux liés aux propriétés, les baisses considérables de valeur, un bénéfice d'exploitation net positif et les possibilités d'appréciation des actifs sont tous des facteurs que le liquidateur a pris en compte. Les portefeuilles comprenaient des hypothèques qui, pour diverses raisons, se révéleraient difficiles à vendre individuellement.

[9] Peu après le 23 octobre 1992, E & Y a commencé une campagne intensive en vue de la vente de sa participation de 99 p. 100 dans les sociétés de personnes. Une liste d'acheteurs potentiels a été dressée, et des contacts initiaux avec un certain nombre de ces acheteurs potentiels ont été pris. En fait, il semble que des discussions avec des acheteurs potentiels étaient en cours cet été-là.

[10] L'appelante est une société privée appartenant à M. Peter Thomas. Elle se spécialise dans l'achat et l'amélioration de biens immeubles saisis. Les négociations entre E & Y et l'appelante ont commencé en janvier 1993, E & Y offrant alors à l'appelante la possibilité d'acheter, en bloc, les hypothèques constituant le portefeuille de STIL II, avec les pertes fiscales potentielles de l'ordre de 50 millions de dollars. On n'a pas offert à l'appelante la possibilité d'acheter ces hypothèques autrement qu'en bloc, par l'acquisition de la participation de 99 p. 100 de la Standard dans la société de personnes STIL II.

[11] Une preuve abondante a été présentée pour montrer comment exactement se sont déroulées les négociations entre l'appelante et E & Y qui ont conduit à la vente de la participation de la Standard dans la société de personnes. Il est indubitable que les négociations ont été difficiles. À mesure qu'elles progressaient, l'appelante en est venue à croire que le liquidateur avait manqué de franchise quant à l'état de certains des biens constituant le portefeuille. Pour sa part, E & Y était d'avis que l'appelante n'était pas disposée à payer un prix raisonnable et qu'elle était déloyale en ce qu'elle introduisait à la dernière minute de nouvelles questions dans les négociations. Une question particulièrement difficile concernait les modalités du contrat de société en vertu duquel la réhabilitation et la vente des biens seraient effectuées. Il était important pour l'appelante qu'elle ait un certain contrôle sur la gestion des opérations, car elle avait confiance en sa propre expertise et reconnaissait qu'E & Y avait peu ou point d'expérience dans le domaine de la promotion immobilière, notamment en ce qui concerne les biens saisis. Ce qui n'était toutefois pas contesté, c'était le montant devant être payé pour les pertes fiscales potentielles. Dès le début et tout au long du processus, les deux parties convenaient que le prix final du portefeuille inclurait un montant de 5 millions de dollars pour ces pertes, soit environ 10 ¢ par dollar.

[12] Ces négociations ont abouti à la signature d'une convention d'achat-vente entre la Standard et l'appelante, laquelle prenait effet le 31 mai 1993[7]. L'appelante a acheté la participation de 99 p. 100 de la Standard dans la société de personnes STIL II pour une contrepartie composée de trois éléments :

1. un montant de 17 500 000 $, dont 14 500 000 $ sous la forme d'un billet, et le reste payable comptant à la date de conclusion de l'opération;

2. un montant supplémentaire, décrit comme étant la contrepartie conditionnelle, qui devait être déterminé par une formule selon laquelle l'appelante et la Standard partageraient tout produit de disposition du portefeuille de STIL II en sus de 17 500 000 $, la part proportionnelle de l'appelante devant augmenter selon l'augmentation du produit de disposition;

3. un montant, à concurrence de 5 000 000 $, pour les pertes fiscales devant être générées dans la société de personnes par le portefeuille, sous réserve que les associés réussissent à les déduire de leurs revenus tirés d'autres sources.

[13] Un des éléments les plus litigieux dans les négociations concernait l'insistance de l'appelante sur le fait que, s'il fallait qu'elle achète une part de 99 p. 100 dans STIL II, elle devait avoir au moins voix égale au chapitre en ce qui concerne la gestion des activités de la société de personnes. D'autres questions relatives aux modalités du contrat de société initial se sont également posées, de sorte que la convention d'achat-vente comportait en annexe un contrat de société modifié et mis à jour qui devait être signé par les associés initiaux avant la date de conclusion. Cela a été fait le 22 juin 1993.

[14] Une des modalités que la OSFC a tenu à faire ajouter au contrat de société lui permettait de céder sa part dans la société de personnes à une société en nom collectif, sous réserve qu'elle conserve au moins une participation de 20 p. 100 dans cette société. L'appelante a de fait, immédiatement après la conclusion de l'opération, tiré profit de cette disposition pour « consortialiser » sa participation dans STIL II par l'intermédiaire d'une société en nom collectif, la SRMP. Des participations dans la SRMP ont été achetées par plusieurs membres d'un cabinet d'avocats fiscalistes. C'est la part de l'appelante dans les pertes, attribuée à l'appelante par l'intermédiaire de la SRMP, qui donne lieu aux appels en l'espèce.

Points en litige

[15] Il y a deux fondements différents aux cotisations que l'intimée a établies à l'égard de l'appelante. Le premier est que, en droit, STIL II n'était pas une société de personnes ou, si elle l'était en octobre 1992, elle ne l'était plus lorsque l'appelante a acheté sa participation en 1993. Le second est que les opérations en cause sont des opérations d'évitement au sens de l'article 245[8] de la Loi (qu'on appelle parfois la disposition générale anti-évitement ou DGAE) et qu'elles ne sont pas soustraites à l'application de cet article par le paragraphe 245(4).

[16] Ces points litigieux exigent que je réponde aux questions suivantes :

1. Une société de personnes valable a-t-elle vu le jour avec la signature du contrat de société de STIL II en octobre 1992?

2. Dans l'affirmative, cette société de personnes a-t-elle cessé d'exister par suite des modifications apportées au contrat de société en juin 1993?

3. Si la société de personnes STIL II a été valablement créée et si elle a survécu aux modifications de 1993 de sorte que l'appelante pouvait acheter la participation de 99 p. 100 de la Standard, est-ce que la DGAE s'applique?

La question de la société de personnes

[17] L'intimée conteste l'existence d'une société de personnes pour plusieurs raisons. Celles-ci peuvent être résumées comme suit.

1 . La STIL II n'existait pas comme société de personnes dès le début, c'est-à-dire dès octobre 1992, car la Standard et la 1004568 n'entendaient pas exploiter ensemble une entreprise dans le but d'en tirer un profit.

2.                     La STIL II n'existait pas entre octobre 1992 et juin 1993, car la Standard et la 1004568 ne se présentaient pas comme étant des associés au cours de cette période.

3. La STIL II n'existait pas entre octobre 1992 et juin 1993, car la Standard et la 1004568 n'avaient aucune attente raisonnable de tirer des profits de l'exploitation de l'entreprise durant cette période.

4. Si une société de personnes existait entre octobre 1992 et juin 1993, elle a cessé d'exister avant la vente de la participation de la Standard à l'appelante. L'effet du contrat de société modifié et mis à jour en date du 23 juin 1993, soutient l'appelante, n'a pas été simplement de modifier le contrat existant. Les changements ainsi apportés étaient majeurs au point d'équivaloir à la formation d'une société de personnes complètement nouvelle à ce moment, les associés étant l'appelante et la 1004568.

Analyse

[18] Les exigences relatives à la création d'une société de personnes ont récemment été examinées par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Continental Bank[9]. Le juge Bastarache, avec qui tous les autres membres de la Cour étaient d'accord sur ce point, a énoncé comme suit l'approche qu'il convient d'adopter pour déterminer si une société de personnes a été créée[10] :

21 Une fois qu'il est jugé que la théorie du trompe-l'oeil ne s'applique pas, il est nécessaire d'examiner les documents qui constatent l'opération pour déterminer si les parties ont satisfait aux conditions de création de l'entité juridique qu'elles entendaient créer. La démarche appropriée est énoncée dans l'arrêt Orion Finance Ltd. c. Crown Financial Management Ltd., [1996] 2 B.C.L.C. 78 (C.A.), à la p. 84 :

[TRADUCTION] La première étape consiste à déterminer si les documents constituent un trompe-l'oeil destiné à masquer l'accord véritablement intervenu entre les parties. Si oui, le tribunal doit faire abstraction du langage trompeur employé par les parties pour tenter de dissimuler la véritable nature de l'opération qu'elles ont conclue et il doit tenter, à l'aide de preuves extrinsèques, de découvrir quelle était la véritable opération. On ne prétend pas, en l'espèce, que l'un ou l'autre des documents constituait un trompe-l'oeil. On ne soutient pas non plus que les parties se sont écartées de ce qu'elles avaient convenu dans les documents, de telle sorte qu'elles devraient être considérées comme ayant, de par leur comportement, convenu de quelque nouvel accord.

Une fois qu'il est accepté que les documents reflètent véritablement l'opération intervenue entre les parties, on dégage la qualification juridique appropriée de celle-ci en interprétant les documents. Il ne s'ensuit pas que les termes retenus par les parties sont nécessairement déterminants. La substance de l'accord dont ont convenu les parties doit être dégagée du libellé employé, mais la qualification d'un document est déterminée par l'effet juridique qu'il est censé avoir; lorsque, suivant une interprétation appropriée, l'effet du document dans son ensemble est incompatible avec la terminologie employée par les parties, le libellé inapproprié doit céder le pas à la substance.

22 À l'article 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif, le terme société en nom collectif est défini comme étant « la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice » . Ce libellé, commun à la plupart des lois sur les sociétés en nom collectif dans les ressorts de common law, comporte trois éléments essentiels: (1) une entreprise, (2) exploitée en commun (3) en vue de réaliser un bénéfice. Je vais examiner chacun de ces éléments à tour de rôle.

23 L'existence d'une société en nom collectif est tributaire des faits et circonstances propres à chaque espèce. Elle est également fonction de l'intention véritable des parties. Comme il est indiqué dans Lindley & Banks on Partnership (17e éd. 1995), à la p. 73: [TRADUCTION] « pour déterminer l'existence d'une société en nom collectif [...] il faut tenir compte du contrat et de l'intention véritables des parties ressortant de l'ensemble des faits de l'affaire » .

24 La Loi sur les sociétés en nom collectif ne précise pas les critères qui permettent de déterminer si une telle société existe. Cependant, comme la plupart des décisions des tribunaux en matière de société en nom collectif résultent de litiges dans lesquels une des parties prétend qu'une telle société n'existe pas, un certain nombre de critères indiquant l'existence d'une société en nom collectif ont été reconnus par les tribunaux. Parmi ces indices, mentionnons les suivants: apport des parties à l'entreprise commune sous forme de numéraire, biens, travail, connaissances, habiletés ou autres éléments; droit de propriété conjointe dans l'objet de l'entreprise; partage des profits et des pertes; droit mutuel de contrôle ou de gestion de l'entreprise; production de déclarations de revenus à titre de société en nom collectif et comptes bancaires conjoints. (Voir A. R. Manzer, A Practical Guide to Canadian Partnership Law (1994 (édition à feuilles mobiles)), aux pp. 2-4 et suiv., et la jurisprudence qui y est citée.)

25 Dans les cas comme celui qui nous occupe, où les parties ont conclu un accord écrit formel régissant leurs rapports et se présentent comme des associés, les tribunaux doivent se demander si l'accord renferme le genre de dispositions figurant habituellement dans les contrats de société, si on a appliqué le contrat et si, dans les faits, il a régi les affaires des parties (Mahon c. Ministre du Revenu national, 91 D.T.C. 878 (C.C.I.)). À la lecture des accords conclus par les parties, j'arrive à la conclusion que ces dernières ont créé une société en nom collectif valide au sens de l'art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif. Je conclus également que les parties ont appliqué les accords et que ceux-ci ont régi leurs affaires.

[19] Dans la présente espèce, un contrat de société a été signé au nom de la Standard et de sa filiale en octobre 1992. Ce contrat renfermait toutes les dispositions habituelles dont traite le juge Bastarache. Il renfermait notamment des clauses régissant la formation de la société de personnes, son existence continue pour une période de cinq ans, l'objet pour lequel elle avait été créée, les apports des associés à son capital, la gestion de l'entreprise de la société de personnes, le mode de tenue de ses comptes et la répartition des profits et des pertes entre les associés.

[20] Dans l'arrêt Continental Bank, il est dit au paragraphe 26 :

[...] La principale source de différend entre les parties est la question de savoir si Leasing entendait exploiter une entreprise en commun avec les filiales de Central en vue de réaliser un bénéfice.

[21] La même question est au coeur du premier point en litige dans la présente espèce. Elle peut être formulée comme suit : est-ce que la Standard, lorsque le contrat de société initial a été signé en octobre 1992, entendait exploiter une entreprise en commun avec la 1004568 en vue de réaliser un bénéfice?

[22] Comme le juge Bastarache le fait remarquer dans le passage que j'ai cité précédemment, on ne peut répondre à cette question qu'en examinant l'ensemble des faits et des circonstances de l'affaire dont il s'agit. En l'espèce, ces faits et circonstances sont les suivants :

1. La Standard était insolvable et en liquidation et elle était propriétaire des actifs constituant le portefeuille de STIL II, entre autres.

2. Ces actifs avaient une valeur historique, indiquée dans les livres de la Standard, qui était bien supérieure à leur valeur de réalisation actuelle lorsque la liquidation de la Standard a été ordonnée. En octobre 1992, la valeur comptable nette du portefeuille pour la Standard était de 41 314 434 $, et sa juste valeur marchande était d'environ 33 000 000 $.

3. Comme liquidateur, E & Y était chargée d'obtenir la meilleure réalisation possible des actifs.

4.                     Il ressort bien clairement des pièces R-3, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 et 14 et du témoignage de M. Bradeen que le liquidateur — ainsi que la Standard par conséquent — avait l'intention de vendre une participation dans une société de personnes à des investisseurs avant que ne soit présentée au juge Houlden la demande d'autorisation de créer la société de personnes. Le prix qui, selon ce que prévoyait le liquidateur, serait payé lors de la vente de cette participation incluait un montant basé sur les pertes, aux fins du calcul du revenu en vertu de la Loi, qui seraient générées dans la société de personnes durant son premier exercice et mises à la disposition des investisseurs à la fin du premier exercice, pour que ces derniers puissent déduire ces pertes de leurs revenus provenant d'autres sources.

5. E & Y comprenait bien, tout au long du processus, que la commercialisation des pertes exigeait que celles-ci soient réalisées par la société de personnes et non par la Standard et qu'il fallait pour cela que la participation de la Standard dans la société de personnes soit vendue dans les 13 mois suivant la création de la société de personnes.

6. La seule activité commerciale pouvant être exercée par le liquidateur consistait à réaliser les actifs de la Standard. Telle était donc la seule entreprise pouvant être exploitée par la société de personnes STIL II.

7.                     Dès le départ, c'est-à-dire dès octobre 1992, la STIL II avait un plan d'entreprise concernant la gestion et la vente des biens et, avant la conclusion de la vente de la participation de 99 p. 100 de la Standard, elle a vendu un des biens. L'intention de la Standard en concluant le contrat de société était d'améliorer les biens composant le portefeuille, de les louer, de toucher des loyers et, enfin, de vendre ces biens à des prix qui seraient plus élevés du fait des améliorations apportées aux biens et du fait de l'amélioration des conditions du marché.

8. La société de personnes a réalisé des profits importants entre octobre 1992 et la date du procès.

[23] Il est établi par l'arrêt Continental Bank qu'une société de personnes peut être valablement créée même si sa durée prévue est de seulement trois jours et que son principal objet consiste à effectuer une vente d'actifs de façon à minimaliser l'incidence de l'impôt, pourvu qu'elle ait accessoirement pour objet de faire des affaires et de réaliser un certain profit.

[24] L'avocat de l'intimée soutenait que E & Y, comme liquidateur, avait uniquement pour tâche de liquider l'entreprise de la Standard, qu'elle n'était donc pas habilitée à se lancer dans de nouvelles entreprises commerciales en son nom et qu'elle ne pouvait par conséquent participer à une société de personnes dans l'intention d'exploiter une entreprise à profit. Cet argument ne tient pas compte du fait que, à l'époque où elle est devenue insolvable, la Standard avait une entreprise en exploitation qui consistait notamment à accorder des prêts garantis par des hypothèques. Cela comportait nécessairement le fait de s'occuper de ces prêts hypothécaires et, en cas de défaillance, de s'occuper des biens hypothéqués aussi. C'est cette entreprise qui devait être poursuivie, pendant plusieurs semaines ou mois au moins, par la STIL II après sa création en octobre 1992.

[25] L'argument de l'intimée selon lequel la STIL II ne se présentait pas comme étant une société de personnes entre octobre 1992 et juin 1993 n'est pas étayé par les faits. La STIL II avait déposé des documents d'inscription dans quatre provinces, avait ouvert des comptes bancaires et avait envoyé de la correspondance à des acheteurs éventuels, ainsi qu'aux tierces personnes de qui l'appelante avait besoin de recevoir de l'information dans le cadre de l'exercice de sa diligence raisonnable. Dans toutes ces communications, les associés se présentaient comme exploitant une entreprise dans le cadre d'une société de personnes.

[26] L'avocat de l'intimée soutenait également que la STIL II n'était pas une société de personnes dès sa création en octobre 1992, car elle n'avait alors aucune attente raisonnable de profit, et, le portefeuille de STIL II lui ayant été vendu à la valeur comptable nette de 41 314 434 $, alors qu'il avait une juste valeur marchande d'environ 33 000 000 $, elle ne pouvait certainement pas réaliser un profit, du moins pas avant la vente de la participation de la Standard. En ce qui a trait à ce dernier point, M. Bradeen a témoigné que, lorsque le liquidateur a transféré les actifs de portefeuille à la STIL II, la valeur comptable nette a été utilisée comme prix de vente simplement par souci de commodité, et que cela n'était pas considéré comme ayant de l'importance. Ce qui importait, c'était que, aux fins de l'impôt sur le revenu, le paragraphe 18(13) de la Loi régisse la valeur des actifs entre les mains de la société de personnes. Toutefois, il ressort clairement du témoignage de M. Bradeen, ainsi que d'une série de plans d'entreprise qui avaient été produits et modifiés entre l'été 1992 et le mois de mars 1993, que l'intention du liquidateur — et donc de la Standard et de la 1004568 aussi — était que, durant la période où la Standard resterait associée, quelle que soit cette période, les actifs de portefeuille soient gérés de manière à générer un revenu, dans la mesure du possible, tout en augmentant de valeur, en vue de leur vente au meilleur prix possible. À mon avis, les documents, ainsi que les actions du liquidateur et de l'appelante, établissent que la réalisation de profits et le partage de profits sont des facteurs ayant motivé l'arrangement commercial en question. Comme le juge Bastarache l'a dit dans l'arrêt Continental Bank[11] :

[...] Cela suffit pour respecter la définition de l'art. 2 de la Loi sur les sociétés en nom collectif dans les circonstances de l'espèce.

[27] Dans cette affaire-là, la Cour suprême a beaucoup insisté sur les modalités du contrat de société, notamment sur les modalités relatives aux profits de la société de personnes. Dans la présente espèce, des dispositions semblables figuraient dans le contrat de société, aussi bien avant qu'après les modifications apportées en 1993.

[28] Les résultats financiers effectifs sont également importants. Pour l'exercice se terminant le 31 octobre 1993, la STIL II a enregistré une perte nette, aux fins de l'impôt sur le revenu, de 52 674 376 $ résultant d'une part de la vente de trois des biens et d'autre part de la réduction de valeur, en fin d'exercice, des biens restants. Cette perte aux fins de l'impôt ne correspond toutefois pas à la réalité commerciale. L'état des résultats d'exploitation de la STIL II pour la période de douze mois se terminant le 31 octobre 1993 indique un revenu net tiré de l'exploitation de 1 051 459 $, soit 568 539 $ de plus que ce qui avait été prévu au budget. Dans l'ensemble, la STIL II a subi une perte nette de 8 242 113 $ pour ces douze mois en raison de frais non liés à l'exploitation totalisant 8 725 033 $ qui n'avaient pas été prévus au budget[12]. Les résultats pour les quatre exercices suivants indiquaient les profits nets suivants :

01-10-93 au 30-09-94 2 607 762 $ (pièce R-54)

01-10-94 au 30-09-95 681 636 $ (pièce R-54)

01-10-95 au 31-12-95 157 695 $ (pièce R-55)

01-01-96 au 31-12-96 835 697 $ (pièce R-56)

L'appelante a calculé le bénéfice net d'exploitation de STIL II comme étant de 5 912 297 $ pour la période allant de 1993 à 1997 (pièce A-168). Elle a calculé la part des profits nets et des rentrées d'argent provenant de la vente de biens entre 1993 et 1998 qui revenait à SRMP comme étant de 6 317 192 $, soit un taux de rendement annuel de 32,82 p. 100 sur les 3 850 000 $ comptant qu'elle avait investis pour acheter sa participation de 99 p. 100. Bien que le calcul du pourcentage de profit sur la partie comptant seulement du prix d'achat puisse avoir pour effet de gonfler le taux de rendement, comme le soutenait l'avocat de l'intimée, ces résultats démontrent que l'entreprise de la société de personnes avait assurément un potentiel de profitabilité dès le départ.

[29] L'avocat de l'intimée faisait également valoir avec force que la STIL II ne pouvait être une société de personnes parce que l'ordonnance du juge Houlden et les dispositions de la Loi sur les liquidations l'empêchaient d'exercer de nouvelles activités commerciales. Cet argument ne tient pas non plus à la lumière de l'arrêt Continental Bank. La Cour suprême a dit dans cette affaire-là qu'il avait été satisfait à l'exigence voulant que les associés exploitent une entreprise en commun, même si les associés n'avaient fait que poursuivre une entreprise existante durant une période de trois jours, sans conclure aucune nouvelle opération et sans prendre de décision en matière d'exploitation. La STIL II, aussi bien avant qu'après la vente de la participation de 99 p. 100 de la Standard, exploitait une entreprise beaucoup plus activement que cela.

[30] L'avocat de l'intimée a présenté deux arguments à l'encontre de l'existence continue de la STIL II comme société de personnes après les modifications apportées au contrat de société en juin 1992. Tout d'abord, il a soutenu que les modifications avaient été négociées et signées par la Standard comme mandataire de l'appelante, car, tout au long des négociations, l'intention était que l'appelante et non la Standard détiendrait la participation de 99 p. 100 en vertu du contrat modifié. Le résultat était donc, a-t-il dit, non pas la modification des modalités d'une société de personnes et la vente d'une participation dans cette société, mais plutôt le transfert, de la société de personnes à l'appelante, d'une participation de 99 p. 100 dans les actifs de portefeuille. L'avocat a fait valoir subsidiairement que les modifications apportées aux modalités du contrat de société étaient de portée si large qu'elles ont eu pour effet de créer une société de personnes nouvelle et différente à partir de ce moment-là, de sorte que la société de personnes initiale STIL II était, du point de vue juridique, dissoute. Il a été soutenu que le résultat, aux fins de la Loi, était que les actifs de portefeuille avaient été soit distribués aux associés à la dissolution de la STIL II soit transférés à une société de personnes nouvelle et différente. Dans l'un ou l'autre cas, le transfert des actifs ne permettrait pas de bénéficier de l'application du paragraphe 18(13) de la Loi,et le transfert serait donc effectué à la valeur marchande de l'époque, les pertes étant réalisées dans l'ancienne société de personnes à sa dissolution le 31 mai 1993 et attribuées à la Standard et à la 1004568 à cette même date du fait de l'article 96 de la Loi.

[31] À mon avis, ces arguments ne peuvent être acceptés. Il est indubitable que, lorsque le liquidateur et l'appelante ont négocié les modifications du contrat de société, qui ont été incorporées au contrat de société modifié et mis à jour, il était envisagé par les deux que ce serait l'appelante ou son cessionnaire qui détiendrait la participation de 99 p. 100. Néanmoins, l'intention des deux parties était que ce qui serait transféré, ce serait une participation dans une société de personnes et non pas simplement une participation dans les actifs de portefeuille. Il est clair que, du début à la fin, les négociations se sont déroulées sur cette base, et le document qui a fini par être signé par les parties reflète cette intention. Le critère à appliquer dans ces circonstances est celui qui est énoncé dans les trois paragraphes suivants tirés du jugement de lord juge Millett dans l'affaire Orion Finance[13] et qui a été adopté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Continental Bank[14].

[TRADUCTION]

L'approche appropriée que le tribunal adopte pour déterminer la catégorie juridique dans laquelle entre une opération est bien établie. La décision la plus récente sur cette question est Welsh Development Agency v. Export Finance Co. Ltd., [1992] BCLC 148. La première étape consiste à déterminer si les documents constituent un trompe-l'oeil destiné à masquer l'accord véritablement intervenu entre les parties. Si oui, le tribunal doit faire abstraction du langage trompeur employé par les parties pour tenter de dissimuler la véritable nature de l'opération qu'elles ont conclue et il doit tenter, à l'aide de preuves extrinsèques, de découvrir quelle était la véritable opération. On ne prétend pas, en l'espèce, que l'un ou l'autre des documents constituait un trompe-l'oeil. On ne soutient pas non plus que les parties se sont écartées de ce qu'elles avaient convenu dans les documents, de telle sorte qu'elles devraient être considérées comme ayant, de par leur comportement, convenu de quelque nouvel accord.

Une fois qu'il est accepté que les documents reflètent véritablement l'opération intervenue entre les parties, on dégage la qualification juridique appropriée de celle-ci en interprétant les documents. Il ne s'ensuit pas que les termes retenus par les parties sont nécessairement déterminants. La substance de l'accord dont ont convenu les parties doit être dégagée du libellé employé, mais la qualification d'un document est déterminée par l'effet juridique qu'il est censé avoir; lorsque, suivant une interprétation appropriée, l'effet du document dans son ensemble est incompatible avec la terminologie employée par les parties, le libellé inapproprié doit céder le pas à la substance.

[...]

Le tribunal n'aborde donc pas la classification juridique d'une opération en faisant abstraction du contexte. La question n'est pas de savoir en quoi consiste l'opération, mais plutôt si elle correspond véritablement à ce qu'elle est censée être. À moins que les documents considérés dans leur ensemble ne commandent une autre conclusion, l'opération qu'ils constatent devrait être qualifiée conformément à l'intention qu'y ont exprimée les parties.

Appliquant ce critère, je conclus que la création de la STIL II et la vente subséquente, à l'appelante, de la participation de la Standard dans la STIL II avaient l'effet juridique d'accomplir ce que les parties entendaient faire.

[32] Je trouve sans fondement l'argument selon lequel les modifications apportées aux modalités du contrat de société étaient majeures au point d'équivaloir à la création d'une nouvelle société de personnes et à la dissolution de l'ancienne. L'avocat de l'intimée a énuméré, sur trois pages de son argumentation écrite, 13 modifications apportées au contrat de société, qui, disait-il, faisaient du contrat de société modifié et mis à jour non pas simplement un contrat modifié, mais plutôt un contrat nouveau et différent. Aucun texte faisant autorité n'a été cité à l'appui de cette proposition. Une société de personnes traduit la relation entre des personnes qui exploitent une entreprise ensemble en vue de réaliser un bénéfice; son essence est l'entreprise elle-même. Dans la présente espèce, il est clair que la même entreprise devait être exploitée après la vente à l'appelante qu'avant. Je conclus que la société de personnes a survécu à la modification du contrat de société et à la vente de la participation de la Standard.

[33] Je donne donc raison à l'appelante sur la question de la société de personnes.

[34] Je tiens toutefois à formuler deux observations avant de passer à un autre aspect de la cause. Premièrement, l'intimée n'a pas soulevé la question du trompe-l'oeil en l'espèce, et je ne vois rien dans la preuve qui eût pu justifier qu'elle le fasse. Deuxièmement, on n'a pas soutenu pour l'intimée que le fait pour la Standard de se retirer de la société de personnes STIL II et le fait pour l'appelante de se joindre à cette société — par opposition aux modifications apportées au contrat de société — avaient pour effet, en droit, de mettre un terme à la société de personnes initiale et d'en créer une nouvelle. Autant que je sache, ce point n'a pas été soulevé dans l'affaire Continental Bank. On pourrait se demander comment une société de personnes, qui, après tout, est simplement une relation entre des personnes[15], peut survivre au retrait d'une de ces personnes ou à l'introduction d'une autre. Toutefois, ce point n'ayant pas été soulevé, je n'en ai pas tenu compte en arrivant à ma conclusion sur la question de la société de personnes.

La question de la DGAE

[35] En ce qui a trait à l'application de la DGAE[16], l'intimée fait valoir ce qui suit dans la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

6. y) les opérations suivantes étaient des opérations d'évitement (les « opérations d'évitement » ) :

i)                      la constitution de la 1004568;

ii) la création de la STIL II par la STC et la 1004568;

iii) la vente, par la STC à la OSFC, de la participation de 99 p. 100 que la STC avait dans la STIL II;

iv) le reclassement des hypothèques, par la STIL II, comme stocks d'exploitation;

v) la réduction de la valeur de ces hypothèques, qui a été ramenée à la juste valeur marchande estimée;

vi) la création de la SRMP et l'achat de participations dans la SRMP par les divers investisseurs, y compris l'appelante;

z) aucune des opérations d'évitement n'a été principalement effectuée, ni ne faisait partie d'une série d'opérations principalement effectuées, pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

aa) en déduisant sa part (12 572 274 $) des pertes de la SRMP, l'appelante a reçu par suite des opérations d'évitement un avantage fiscal qui constituait un avantage direct pour elle;

bb) il est raisonnable de considérer que les opérations d'évitement ont entraîné, directement ou indirectement, un abus dans l'application du paragraphe 18(13) de la Loi ainsi qu'un abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble;

cc) la déduction de la part de l'appelante dans la perte de la SRMP pour 1993 ayant été refusée, l'appelante n'avait aucun montant à déduire comme perte autre qu'en capital pour 1994.

Les opérations

[36] Les trois premières des opérations au sujet desquelles l'intimée allègue qu'il s'agit d'opérations d'évitement font assurément partie d'une série de mesures déterminées d'avance que le liquidateur a prises dans le cadre d'un plan délibéré. Les quatrième et cinquième sont des opérations de comptabilité, et la conclusion quant à leur caractère approprié dépend de la façon dont on voit les faits et de l'application de principes juridiques à ces faits. Je suis d'accord avec l'avocat de l'appelante, qui faisait valoir dans sa plaidoirie que, si les opérations précédentes ne sont pas des opérations d'évitement, le fait que la sixième puisse être considérée comme une opération d'évitement n'a pas de conséquences pour l'appelante. Considérer comme viciées la création de la SRMP et la vente de parts dans celle-ci aux autres investisseurs ferait simplement que, si les opérations précédentes tenaient, toutes les pertes se retrouveraient entre les mains de l'appelante, et cette dernière aurait donc droit à la déduction des montants qu'elle a déduits pour les années en cause.

[37] Je dois répondre aux questions suivantes se rapportant à l'application de la DGAE :

1. Sans l'application de l'article 245, est-ce que la constitution de la 1004568, la formation de la STIL II et la vente, par la Standard à l'appelante, de la participation de la Standard dans la STIL II ou l'une quelconque de ces opérations auraient donné lieu à un avantage fiscal?

2. Si la réponse à la première question est affirmative, est-il raisonnable de considérer que la ou les opérations ont principalement été effectuées pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable?

3. Si la réponse à la première question est affirmative et que la réponse à la deuxième question est négative, est-ce que la ou les opérations ont entraîné, directement ou indirectement, un abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble?

4. S'il est répondu affirmativement à la première question, négativement à la deuxième question et affirmativement à la troisième, lequel des redressements prévus au paragraphe 245(5) est approprié?

Question 1— y a-t-il eu un avantage fiscal?

[38] Cela est indubitable; en fait, l'avocat de l'appelante n'a pas soutenu le contraire. Le paragraphe (2) est soigneusement formulé de manière à indiquer clairement qu'il n'est pas nécessaire que le bénéficiaire de l'avantage fiscal soit la personne qui conclut ou orchestre l'opération ou la série d'opérations. La constitution de la 1004568, la formation de la STIL II et la vente de la participation de 99 p. 100 de la Standard dans la STIL II à un acheteur sans lien de dépendance faisaient toutes partie d'une série d'opérations qui ont donné lieu à la déduction d'une perte par l'appelante. La réponse à la première question est affirmative.

Question 2 — objet principal

[39] Dans son témoignage, M. Bradeen ne prétendait pas que cette déduction de perte n'était pas un des résultats visés; il a simplement soutenu que le revenu devant être obtenu par le liquidateur grâce au transfert de la perte fiscale subie par la Standard à un acheteur de la participation dans la société de personnes n'était pas le principal objet sous-jacent à la série d'opérations, mais plutôt un objet secondaire. La question de savoir s'il s'agissait de l'objet principal doit toutefois être décidée selon une norme objective. Dans l'arrêt The Queen v. Wu[17], le juge d'appel Strayer disait, dans le contexte du paragraphe 15(1.1) de la Loi :

À cet égard, il convient de rappeler la décision S.M. c. Placer Dome Inc. qu'a rendue notre Cour quelque temps après le jugement en première instance de l'espèce. La disposition en jeu dans l'affaire susmentionnée, savoir le paragraphe 55(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ne s'applique que si « l'un des objets » a été de diminuer sensiblement le gain en capital. On n'y voit pas les termes « il est raisonnable de considérer » . Dans sa décision, la Cour a présumé sans se prononcer là-dessus, que le critère était subjectif. Cependant il a été jugé que pour réfuter la présomption adoptée par le ministre que c'était là l'un des objets de l'opération,

... le contribuable (ou ses conseillers) doivent offrir une explication qui révèle les objets que sous-tend l'opération. Cette explication ne doit être ni invraisemblable ni déraisonnable... le contribuable doit présenter une explication convaincante qui démontre qu'aucun des objets visés n'était de diminuer sensiblement le gain en capital.

À notre avis, vu la présence au paragraphe 15(1.1) des termes additionnels qui en permettent l'application lorsqu'il « est raisonnable de considérer qu'un des motifs » du versement consiste à modifier la valeur de la participation d'un actionnaire, la charge est encore plus lourde qui incombe au contribuable de produire l'explication objectivement raisonnable que l'opération n'a nullement pour objet de modifier la valeur de la participation d'un actionnaire.

[40] Dans le présent contexte, donc, il incombe à l'appelante de fournir une explication objectivement raisonnable selon laquelle le principal objet de la série d'opérations n'était pas l'obtention de l'avantage fiscal. Et il me faut à cet égard examiner le témoignage subjectif de M. Bradeen à la fois par rapport à la preuve plus objective que constituent les documents provenant des dossiers du liquidateur et au regard du bon sens.

[41] L'échange suivant a eu lieu entre M. Bradeen et l'avocat de l'appelante :

[TRADUCTION]

Q. [...] Tous les événements dont nous discutons, la formation de la société de personnes, le transfert d'hypothèques et l'introduction de la OSFC au comité de gestion, toutes les opérations dont nous parlons, est-ce que tout cela n'était qu'une affaire fiscale du point de vue de la Standard Trust ou de votre point de vue?

R. Non, nous essayions d'optimaliser pour le patrimoine le produit de la vente des actifs sous-jacents. Et l'aspect fiscal, du point de vue de la Standard, était un plus, si vous voulez, mais cela représentait une assez petite partie de l'affaire sur le plan de la réalisation du produit de la vente; nous nous préoccupions davantage de trouver un moyen efficace de réaliser les actifs sous-jacents, les biens immeubles.

(Transcription, vol. I, pages 190 et 191)

Ni la question ni la réponse n'étaient très précises, mais la réponse visait assurément à donner l'impression que la création de la société de personnes avec lien de dépendance, ainsi que la vente subséquente d'une participation de 99 p. 100 dans cette société avant la fin de son premier exercice, n'était pas principalement motivée par l'avantage fiscal potentiel pour lequel un acheteur paierait peut-être un prix élevé. Un examen attentif du témoignage donné par M. Bradeen en contre-interrogatoire et aussi des documents m'amène à conclure que cette réponse n'était pas très franche.

[42] Les pièces R-6 et R-7 sont deux ébauches faites par ou pour le liquidateur les 24 et 28 juillet 1992 respectivement. Ce sont des ébauches d'analyses de la proposition d'utiliser la société de personnes avec lien de dépendance pour disposer des biens ultérieurement désignés comme composant les portefeuilles de STIL I et de STIL II. La pièce R-14 est un document semblable, apparemment dressé le 11 septembre 1992. Les avantages fiscaux de la proposition sont énoncés bien clairement dans tous ces documents, qui ne mentionnent par contre aucune autre motivation de l'utilisation de cette structure. Les pièces R-9 et R-10 sont des tableaux de flux de trésorerie apparemment établis pour montrer l'avantage fiscal qui pourrait être obtenu en utilisant la structure qui a finalement été utilisée pour transférer à un acheteur qui pourrait s'en servir les pertes que commençait à enregistrer la Standard à l'égard des actifs de portefeuille.

[43] Les pièces R-11 et R-13 sont apparemment des comptes rendus de discussions qui ont eu lieu entre le personnel du liquidateur et des acheteurs potentiels et au cours desquelles les aspects fiscaux de l'affaire avaient été un point important. La deuxième page de la pièce R-13 est un schéma de flux de trésorerie qui montre aussi l'avantage fiscal devant être obtenu. Dans aucun de ces documents on ne mentionne les facteurs que sont le fait d'obtenir l'aide d'experts immobiliers, le fait de maintenir de la souplesse pour ce qui est de la manière d'agir à l'égard des actifs ou la protection des actifs faisant partie du patrimoine, facteurs qui ont été avancés par le liquidateur comme représentant la principale motivation de la décision d'utiliser la structure plutôt inusitée d'une société de personnes dans laquelle le liquidateur et sa filiale en propriété exclusive, constituée expressément à cette fin, détiendraient des participations de 99 p. 100 et de 1 p. 100 respectivement. La pièce R-15 est une lettre en date du 14 septembre 1992 adressée au liquidateur par le président de CanWest Global Communications Corp. et dans laquelle ce dernier se disait intéressé à acheter la participation de la Standard dans une société de personnes avec lien de dépendance plus ou moins identique à celles qui ont ultérieurement été formées, soit la STIL I et la STIL II. La lettre porte en grande partie sur les pertes fiscales qui iraient à la CanWest Global, et il est clair que la lettre avait été précédée de certaines discussions concernant la conclusion d'une telle affaire. Rien dans la lettre n'indique que la CanWest Global pouvait apporter à la société de personnes une expertise quelconque en matière de commercialisation d'immeubles.

[44] Une bonne partie de cette preuve est résumée dans l'échange suivant entre M. Bradeen et l'avocat de l'intimée :

[TRADUCTION]

Q. Donc, il est assez clair, monsieur Bradeen, vous en conviendriez, n'est-ce pas, que tout au long du printemps et de l'été [1992], Ernst & Young cherchait un moyen de transférer les pertes de la Compagnie Standard Trust à des personnes étrangères afin d'en obtenir plus pour les hypothèques?

R. Oui.

(Transcription, vol. I, page 244)

[45] Le 21 octobre 1992, le liquidateur a demandé au juge Houlden l'ordonnance devant lui permettre de constituer la 1004568, de créer les sociétés de personnes STIL et de céder à celles-ci les actifs de portefeuille. Bien que la réalisation d'un produit de l'ordre de 10 000 000 $ par suite de la vente des pertes fiscales totalisant environ 99 000 000 $ ait été envisagée par M. Bradeen et ses collègues et conseillers depuis un certain nombre de semaines et qu'il en soit largement question dans la lettre de la CanWest Global envoyée cinq semaines auparavant, il n'en est pas fait mention dans le rapport no 13 du liquidateur, soit le document soumis au juge Houlden au soutien de la demande visant à obtenir que le tribunal approuve les opérations. Fait important, dans une précédente ébauche du rapport no 13 du liquidateur, pièce R-46, on avait bel et bien parlé de la possibilité de vendre les pertes fiscales :

[TRADUCTION]

PARTIE III — ÉVALUATION DE LA PROPOSITION

Le liquidateur considère que la proposition sera profitable à Standard Trust et à la Compagnie de Prêts Standard aux égards suivants :

[...]

iii) le liquidateur croit que le prix de vente pouvant être obtenu si les hypothèques sont vendues selon la proposition dépassera de 10 à 20 millions de dollars la valeur marchande actuelle des hypothèques, en partie du fait des avantages fiscaux pouvant être obtenus par les acheteurs grâce à la réalisation des pertes potentielles liées aux hypothèques.

[46] La version finale du rapport no 13 du liquidateur[18], qui a été déposée auprès du tribunal et sur la foi de laquelle le liquidateur a obtenu l'autorisation de constituer la 1004568 et de former les sociétés de personnes STIL, disait seulement ceci au sujet de la motivation de ces opérations :

[TRADUCTION]

PARTIE III — OBJECTIFS STRATÉGIQUES

Les objectifs suivants du liquidateur peuvent être atteints au moyen du transfert des hypothèques à la société de personnes :

a) Meilleures possibilités de commercialisation

Le projet de transfert d'hypothèques aux sociétés de personnes est susceptible d'accroître la valeur des hypothèques ainsi que des immeubles sous-jacents et d'améliorer les possibilités de les commercialiser et pourrait également en faire autant pour les actifs de Standard Trust en général.

Dans une certaine mesure, le simple fait de séparer les hypothèques et les immeubles sous-jacents des autres actifs de Standard Trust pourrait améliorer les possibilités de commercialiser les hypothèques. Le liquidateur entend disposer des actifs de Standard Trust d'une manière méthodique et est prêt à attendre, s'il y a lieu, que le marché s'améliore. Bien que cette approche ait été clairement communiquée aux acheteurs potentiels des actifs de Standard Trust, sur le marché on a encore l'impression que les biens pourraient être acquis au rabais. En vertu des arrangements proposés par le liquidateur, les sociétés de personnes seront responsables de la réalisation des hypothèques et des immeubles sous-jacents, ce qui pourrait souligner au marché la nature du processus de réalisation envisagé et donner lieu à de meilleurs recouvrements.

b) Souplesse accrue pour le liquidateur

L'opération projetée assurera en outre au liquidateur plus de souplesse dans le processus de réalisation des actifs de Standard Trust en général. Outre qu'il pourrait vendre des actifs hypothécaires ou des biens immeubles directement, le liquidateur aurait la possibilité de vendre une partie ou l'ensemble de la participation de Standard Trust dans les sociétés de personnes. Ainsi, la gamme de moyens de réalisation à la disposition du liquidateur et les possibilités d'optimaliser la valeur globale des actifs de Standard Trust seraient élargies en vertu de l'opération proposée.

Si le liquidateur désirait vendre une part quelconque de la participation de Standard Trust dans les sociétés de personnes, une telle vente serait assujettie à l'approbation du tribunal. De plus, comme l'objectif du liquidateur est d'améliorer les possibilités de commercialiser les actifs de Standard Trust et non de les soustraire au contrôle du tribunal, le liquidateur fera en sorte que les sociétés de personnes fassent approuver par le tribunal tout projet d'opération concernant les hypothèques ou les immeubles sous-jacents dans toutes les circonstances où une telle approbation aurait été requise si les hypothèques n'avaient pas été transférées aux sociétés de personnes.

c) Protection du patrimoine de Standard Trust

Le liquidateur, grâce au fait que la filiale appartient à Standard Trust, fera en sorte que les sociétés de personnes poursuivent le processus consistant à tirer des hypothèques la valeur maximale. À cette fin, les sociétés de personnes pourront vendre des hypothèques ou procéder à la forclusion, engager des procédures pour l'exercice du pouvoir de vente ou obtenir de débiteurs hypothécaires des renonciations à l'égard des immeubles sous-jacents, d'une manière jugée appropriée par la filiale. Tous les modes de réalisation précités sont évidemment à la disposition du liquidateur à l'heure actuelle. Aucune souplesse dans le processus de réalisation ne sera sacrifiée en raison du transfert des hypothèques aux sociétés de personnes.

Les recouvrements relatifs aux hypothèques continueront à être versés à Standard Trust et à ses créanciers grâce à des distributions provenant des sociétés de personnes et à des dividendes provenant de la filiale, et ces deux types de versements seront sous le contrôle de Standard Trust. Toutefois, pour s'assurer que toute réclamation relative aux hypothèques est assujettie à la supervision du tribunal dans la même mesure qu'actuellement, le liquidateur demande que l'ordonnance du tribunal en date du 19 juillet 1991 exigeant l'autorisation du tribunal dans toute procédure contre Standard Trust ou le liquidateur soit modifiée de sorte que cette autorisation soit également exigée, selon les mêmes modalités, tant que Standard Trust conservera sa participation dans les sociétés de personnes, pour toute procédure contre les sociétés de personnes.

Dans l'éventualité où il déterminerait ultérieurement que les possibilités de commercialisation des hypothèques et des immeubles sous-jacents ne sont pas améliorées par la séparation de ces actifs des autres actifs de Standard Trust, le liquidateur pourrait faire en sorte que les sociétés de personnes soient dissoutes et que les hypothèques reviennent à Standard Trust sans frais (mis à part les coûts du transfert lui-même). Donc, mis à part les coûts afférents à l'opération, Standard Trust ne mettrait pas de fonds en péril en s'engageant dans l'opération proposée et elle aurait la possibilité d'annuler l'opération au complet si nous déterminions ultérieurement que cela serait approprié. Le liquidateur ne prévoit pas que le fait de s'engager dans l'opération proposée entraînerait une augmentation des frais globaux.

[47] M. Bradeen n'a pu que présenter une preuve par ouï-dire selon laquelle il croyait que certaines révélations quant à la motivation fiscale avaient été faites verbalement au juge Houlden lors de l'audition de la requête du liquidateur.

[48] Je ne trouve pas convaincante la position de M. Bradeen telle qu'elle est exprimée dans le rapport no 13 du liquidateur ou telle qu'elle a été exprimée au procès. M. Bradeen n'a pas expliqué l'assertion selon laquelle, en créant une société de personnes avec lien de dépendance qui devait détenir les actifs de portefeuille, le liquidateur arriverait à indiquer au marché qu'il n'était pas prêt à vendre ces actifs au rabais. Tout acheteur potentiel s'y connaissant le moindrement se rendrait compte que l'âme dirigeante était restée la même lorsque le liquidateur avait créé la société de personnes devant prendre le contrôle des actifs. M. Bradeen n'a pas expliqué non plus de manière convaincante comment le fait de passer par une société de personnes assurerait une plus grande souplesse dans la façon d'agir à l'égard des actifs de la Standard. Sans l'entremise de la STIL II, le liquidateur aurait pu vendre des participations dans certains ou l'ensemble des actifs à un ou à plusieurs acheteurs ou aurait pu vendre une partie ou l'ensemble directement. La conclusion logique est que la souplesse n'a pas été augmentée et peut même avoir été réduite par l'introduction de la STIL II. Une lecture attentive des paragraphes du rapport no 13 du liquidateur qui suivent la rubrique « Protection du patrimoine de Standard Trust » ne révèle rien qui puisse être décrit comme un résultat positif de la création de la STIL II. En mettant les choses au mieux, cette partie du rapport dit simplement que le recours proposé à une société de personnes ne sera pas préjudiciable au processus de réalisation.

[49] Il me semble peu probable que le fait que le rapport no 13 du liquidateur ne fasse aucune mention directe de la possibilité que les pertes qu'avait commencé à enregistrer la Standard puissent être vendues à un investisseur qui pourrait en tirer parti ait été un oubli. Cette possibilité était nettement un élément important de la réflexion faite par le liquidateur au cours des semaines et des mois précédents. Il en était question dans une ébauche antérieure. Allusion y est faite peut-être dans l'énoncé selon lequel le projet de vente des actifs aux sociétés de personnes proposées

[...] est susceptible d'accroître la valeur des hypothèques ainsi que des immeubles sous-jacents et d'améliorer les possibilités de les commercialiser et pourrait également en faire autant pour les actifs de Standard Trust en général.

[50] Il est beaucoup plus probable que M. Bradeen et son supérieur chez E & Y, M. Drake, qui étaient après tout des comptables qui recevaient des conseils d'avocats, ont délibérément omis du rapport toute mention de la possibilité de tirer parti des pertes, car ils ne voulaient pas créer un élément de preuve indiquant que la mise en oeuvre de l'arrangement comportant la constitution d'une société de personnes était motivée par la possibilité d'en tirer un avantage fiscal. L'explication fournie n'est pas, à mon avis, objectivement raisonnable. Je conclus que la série d'opérations consistant dans la constitution de la 1004568, dans la création de la STIL II et dans le transfert du portefeuille à cette dernière par le liquidateur a été menée par E & Y principalement dans le but d'obtenir l'avantage fiscal. La réponse à la deuxième question est négative.

Question 3 — abus

[51] Le paragraphe (4) de l'article 245 soustrait à l'application du paragraphe (2) les opérations qui n'entraînent pas « [...] d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble [...] » . L'avocat de l'appelante insistait beaucoup sur cette disposition. Ses arguments à cet égard étaient en résumé les suivants :

1. Les opérations contestées par le ministre avaient été expressément approuvées par les tribunaux.

2. L'objet des opérations était d'optimaliser la réalisation des actifs de portefeuille.

3. L'appelante n'était pas partie aux opérations d'évitement ou n'a joué aucun rôle dans ces opérations. Elle avait simplement acheté une participation dans une société de personnes selon des modalités qu'elle considérait comme commercialement avantageuses et qui se sont révélées l'être.

4. Ces opérations ne représentent pas d'abus dans l'application du paragraphe 18(13), qui commande exactement le résultat que conteste maintenant le ministre.

5. Il n'y a eu aucun abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.

[52] Les deux premiers de ces arguments peuvent être examinés ensemble, car ni l'un ni l'autre n'est pertinent dans la cause dont je suis saisi. La question de l'application de la Loi et notamment de la DGAE n'avait pas été soumise au juge Houlden lorsque, le 21 octobre 1992, il a rendu son ordonnance autorisant les opérations. Il ne semble même pas, d'après le dossier, que le juge Houlden ait été mis au courant de l'objet d'évitement fiscal que visait la série d'opérations proposée, bien qu'il soit possible que l'on lui en ait fait mention. Quoi qu'il en soit, le juge Houlden n'avait pas compétence pour statuer sur les questions dont je me trouve maintenant saisi et, évidemment, il ne prétendait pas le faire. Arguer que l'objet des opérations était d'optimaliser la réalisation des actifs de portefeuille n'aide pas l'appelante non plus. La question de l'objet principal se pose dans le contexte du paragraphe (2); dans le contexte du paragraphe (4), l'examen ne porte que sur les résultats.

[53] Le fait que les opérations antérieures à la vente de la participation de la Standard à l'appelante aient eu lieu sans la complicité de l'appelante n'est pas pertinent non plus. Comme je l'ai déjà dit, le paragraphe 245(3) est soigneusement formulé de manière à ce qu'il ne s'applique pas seulement aux situations dans lesquelles c'est l'auteur des opérations qui bénéficie de l'avantage fiscal. Il est vrai que la constitution de la filiale, la création de la STIL II et le transfert à cette dernière des actifs de portefeuille sont des opérations qui ont toutes été effectuées avant l'entrée en scène de l'appelante. Cependant, l'appelante était bien consciente des origines de l'affaire à laquelle elle participait et de la manière dont elle espérait obtenir un avantage fiscal. Tout ce qui est pertinent pour l'application du paragraphe 245(4), c'est la question de savoir si l'affaire entraînerait, sans l'article 245, un abus dans l'application du paragraphe 18(13) ou des dispositions de la Loi lue dans son ensemble.

[54] D'après l'avocat de l'appelante, il n'y a pas d'abus dans l'application du paragraphe 18(13) dans la présente espèce, car le résultat qui selon lui a été obtenu est le résultat même que commande ce paragraphe dans les circonstances. Mais il en sera toujours ainsi lorsqu'un article de la Loi est utilisé d'une manière non voulue par le législateur pour effectuer une opération d'évitement ou une série d'opérations d'évitement. Cette application non voulue de l'article de la Loi est le mal même que vise à empêcher la DGAE. Le paragraphe 18(13) a été adopté comme disposition visant à empêcher des contribuables qui exploitent une entreprise consistant à prêter de l'argent de réaliser artificiellement des pertes sur des actifs dont la valeur marchande a baissé, en les transférant à une personne avec qui ils ont un lien de dépendance, tout en gardant le contrôle des actifs grâce au lien de dépendance existant dans leur relation avec le bénéficiaire du transfert. L'utilisation de cette disposition de manière à ce que des pertes non réalisées soient transférées d'un contribuable n'ayant aucun revenu duquel déduire ces pertes à un contribuable ayant un tel revenu est nettement un abus.

[55] Je suis également d'avis que les opérations en cause dans la présente espèce entraîneraient, sans l'article 245, un abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble. Dans sa soigneuse argumentation écrite, l'avocat de l'appelante prétend que, pour que la Cour conclue qu'il y a eu abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, deux éléments doivent exister :

1. un régime législatif dont l'objet peut être facilement déterminé;

2. une conclusion selon laquelle il y a eu abus dans l'application des dispositions de la Loi et non pas simplement une conclusion subjective que l'avantage fiscal obtenu est économiquement inapproprié. (C'est l'avocat qui souligne.)

[56] Dans l'affaire McNichol et al. v. The Queen, le juge Bonner de notre cour disait dans le contexte d'un plan de dépouillement des surplus[19] :

[...] L'opération en question qui était destinée à assurer la distribution du surplus de Bec, à tous les égards sauf en ce qui concerne la forme, donne lieu à un abus des articles 38 et 110.6 ainsi que des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, celle-ci prévoyant que la distribution de biens de la compagnie aux actionnaires doit être considérée comme un revenu entre les mains de ces derniers. Il ressort de l'article 245 dans son ensemble, et en particulier de l'alinéa 245(5)c), que la disposition vise entre autres à contrecarrer les opérations qui violent la Loi en tirant parti de la différence qui existe entre l'effet de l'opération, considéré d'une façon réaliste, et son effet apparent, compte tenu uniquement de sa forme juridique. Pour l'application de l'article 245, on ne saurait qualifier une opération en se fondant uniquement sur sa forme. Je dois donc conclure que l'article 245 de la Loi s'applique à la présente opération.

[57] Dans l'affaire RMM Canadian Enterprises Inc. et al. v. The Queen[20], le juge Bowman a exprimé son adhésion complète au passage précité, puis il poursuivait en disant[21] :

Je me contenterais d'ajouter que la Loi, considérée dans son ensemble, prévoit que la répartition du surplus d'entreprise entre les actionnaires doit être imposée à titre de paiement de dividendes. Une opération qui est par ailleurs dépourvue de tout objectif commercial, et dont le but réel est de dépouiller le surplus de l'entreprise et d'éviter les conséquences ordinaires de pareille répartition, constitue un abus de la Loi dans son ensemble.

[58] À mon avis, le même principe s'applique à la présente espèce. Ce que nous avons ici, c'est un arrangement, à peine déguisé, visant à faire en sorte que les pertes que commençait à enregistrer la Standard soient un bien commercialisable pour lequel le liquidateur devait recevoir 10 ¢ par dollar. Le fait que cela est contraire au régime établi par la Loi est exprimé clairement dans le passage suivant tiré des motifs du jugement du juge d'appel Linden qui, dans l'affaire Duha Printers[22], après avoir reproduit les dispositions des paragraphes 87(2.1), 111(1) et (5), 251(2) et 256(7) de la Loi, a dit :

Ces articles font partie d'un réseau confus de dispositions qui énoncent les diverses circonstances dans lesquelles des pertes peuvent être utilisées par certaines sociétés. Les dispositions ci-dessus visent précisément les sociétés qui ont dans un passé récent été réorganisées. Elles débutent par la proposition générale, au paragraphe 111(1), selon laquelle une corporation peut déduire de son revenu imposable pour une année donnée les pertes, autres que les pertes en capital, qui ont été subies durant l'une quelconque des années indiquées. Puis le paragraphe 87(2.1) ajoute que, lorsque deux ou plusieurs corporations fusionnent, la nouvelle corporation est réputée, aux fins d'établir la déductibilité des pertes, être la même corporation que chacune des corporations remplacées. La combinaison de ces deux dispositions fait que des corporations récemment fusionnées peuvent se partager des pertes.

Cependant, le paragraphe 87(2.1) ajoute aussi que les paragraphes 111(3) à (5.4) peuvent avoir pour effet de restreindre la déductibilité des pertes. Le paragraphe 111(5), disposition qui intéresse la présente affaire, prévoit que, dans une fusion où le contrôle change de mains, les pertes ne peuvent être partagées que dans la mesure où l'entreprise de la corporation non rentable est exploitée par la nouvelle corporation en tant qu'entreprise viable. Pour comprendre ce que l'on entend par « contrôle » et comment le contrôle peut changer de mains, il faut d'abord se référer au sous-alinéa 251(2) c)(i). Ce sous-alinéa prévoit que deux corporations sont liées si elles sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de personnes. Le sous-alinéa 256(7) a)(i) précise ensuite que le contrôle d'une corporation sera réputé ne pas avoir été acquis dans une acquisition d'actions lorsque les corporations concernées étaient liées « immédiatement avant » l'acquisition. La notion de « contrôle » est donc essentielle dans l'application du paragraphe 111(5).

Si confuses que puissent paraître ces dispositions, l'objectif qu'elles visent est l'application de certains principes fondamentaux régissant le calcul du revenu. Ces principes sont à la base du régime fiscal établi par la Loi. Brièvement décrit, ce régime vise à l'imposition des accroissements nets globaux du revenu d'un contribuable. Pour le calcul de ce revenu, la Loi permet la répartition des pertes entre sources de revenu, pour autant que ces sources puissent se rapporter à un seul contribuable. C'est la notion du revenu net. Ce qui n'est pas autorisé cependant, c'est le partage d'un revenu ou d'une perte entre contribuables. S'il en est ainsi, c'est parce que la Loi répartit le fardeau fiscal différemment selon le niveau de revenu. Certaines mesures gouvernementales sont ainsi mises en oeuvre, mesures qui seraient contrariées par un partage des revenus ou des pertes entre contribuables.

Dans ce régime, les corporations ou sociétés par actions posent un problème particulier. Les corporations sont juridiquement des personnes et, en tant que telles, elles sont soumises à l'impôt. Mais elles sont aussi des fictions du législateur, dont le revenu est éventuellement distribué aux actionnaires à qui elles appartiennent. Elles sont par ailleurs très mobiles et elles peuvent être facilement constituées, négociées, achetées et vendues. C'est pourquoi il existe, pour les corporations, des règles particulières d'imposition dont l'objet est d'harmoniser l'imposition du revenu des sociétés et des actionnaires et d'empêcher le partage des pertes auquel pourraient donner lieu des subterfuges contestables. À titre d'exemple, citons les dispositions de l'article 111, qui enferment les pertes à l'intérieur des corporations qui les ont produites. Le paragraphe 111(5) prévoit cependant une exception : des corporations liées peuvent sans restriction se partager leurs pertes. Les corporations de ce genre sont dans cette optique considérées par la Loi comme un seule unité imposable, et elles peuvent être revendiquées comme telles par la corporation contribuable.

[59] L'intention principale du liquidateur dans la présente espèce était de contrecarrer le régime législatif conçu par le Parlement. L'appelante le savait bien et était disposée à participer, sous réserve des dispositions des articles 1 et 2 de la convention d'achat-vente, qui prévoient que le paiement supplémentaire, soit le paiement pour les pertes fiscales, sera effectué si l'appelante et quiconque achète par la suite à l'appelante réussissent à déduire les pertes dans le calcul de leur revenu. Le paragraphe 245(4) n'a aucune application ici.

Question 4 — le redressement

[60] Le dernier aspect de l'article 245 concerne le choix d'un redressement approprié. D'après ce que j'ai pu comprendre, l'avocat de l'appelante ne conteste pas le fait que le redressement appliqué par le ministre, qui consistait à refuser de permettre à l'appelante de déduire de ses autres revenus sa part des pertes de la société de personnes SRMP, serait approprié dans l'éventualité d'une conclusion défavorable à l'appelante sur les questions de fond.

[61] En conséquence, les appels sont rejetés, avec frais.

Signé à Ottawa, ce 25e jour de juin 1999.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de février 2000.

Erich Klein, réviseur

ANNEXE « A »

[Omise]



[1] L'appel pour 1994 concerne un report prospectif d'une partie de ce montant.

[2] L.C. 1988, ch. 55, art. 185.

[3] Maintenant appelée la Cour supérieure de justice.

[4] L.R., ch. W-11.

[5] Plusieurs des biens étaient l'objet de plus d'un prêt.

[6] Voir l'annexe « A » .

[7] La convention a en fait été signée un peu plus tard.

[8] Voir l'annexe « A » .

[9] Continental Bank Leasing c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298.

[10] Ibid., par. 21 à 25.

[11] Précité, par. 43.

[12] Cet élément représente une perte de 1 582 314 $ sur la vente de biens et une provision hypothécaire de 7 142 719 $.

[13] Orion Finance Ltd. v. Crown Financial Management Ltd., [1996] 2 BCLC 78 (C. A. Angleterre), aux pp. 84 et 85.

[14] Précité, aux par. 21 et 44.

[15] Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1990, ch. P-5, art. 2.

[16] L'article 245 est reproduit en annexe aux présents motifs.

[17] 98 DTC 6005.

[18] Pièces A-1 et R-16.

[19] 97 DTC 111, aux pages 121 et 122.

[20] 97 DTC 302.

[21] À la page 313.

[22] The Queen v. Duha Printers (Western) Limited, 96 DTC 6323, à la p. 6325 (C.A.F.); inf. pour d'autres raisons, 98 DTC 6334.

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