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Date: 19990216

Dossier: 97-2481-GST-I

ENTRE :

LADY ELLE INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] L’appelante en appelle de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) pour la période du 1er novembre 1991 au 31 juillet 1995, en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi » ).

[2] Les faits sur lesquels s’est fondé le Ministre sont décrits au paragraphe 2 de la Réponse à l’avis d’appel (la « Réponse » ) comme suit :

a) l'appelante est un fournisseur inscrit aux fins de l'application de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, c. E-15 tel que modifié (LTA);

b) l'appelante opérait un commerce de vente de lingerie féminine pendant la période en litige;

c) l'appelante a fait défaut d'enregistrer dans sa caisse enregistreuse et de déclarer dans ses registres toutes les ventes effectuées pendant la période en litige;

d) l'appelante a fait défaut de percevoir et de remettre la TPS sur les ventes non déclarées ainsi que de remettre la TPS perçue à l'égard de certaines ventes;

e) une enquête fiscale a révélé que les biens acquis pour fins de vente étaient revendus à un prix excédent en moyenne de 78,07 % le coût d'acquisition;

f) en majorant de 78,07 % le coût des biens acquis par l'appelante pour fins de revente du 1er novembre 1991 au 30 avril 1994, le vérificateur a estimé que la TPS non déclarée à l'égard des ventes de la requérante totalisait 6 057,28 $;

g) pour les périodes du 1er mai 1994 au 31 janvier 1995 et du 1er mai 1995 au 31 juillet 1995, aucun état financier n'était disponible et le vérificateur a établi par une extrapolation de données des années précédentes relatives à la TPS non déclarée, que la TPS non déclarée pour ces périodes totalisait 5 773,12 $;

h) pour la période se terminant le 30 avril 1995, l'appelante a déclaré erronément une somme de 13 257,83 $ à titre de TPS percevable alors qu'une somme de 933,86 $ était inscrite dans ses livres comptables, et cette somme déclarée était diminuée par un crédit de taxe sur intrants de 12 195,38 $ qui fut réévalué à 1 449,44 $ suite à la vérification;

i) l'appelante a également fait défaut de remettre la TPS perçue lors de certaines fournitures taxables qu'elle a effectuées et qui n'ont pas été déclarées;

j) la taxe nette que devait déclarer et remettre l'appelante pour la période en litige était de 7 082,79 $;

k) l'appelante ayant déclaré des soldes créditeurs de taxe nette totalisant 4 609,31 $ pendant la période en litige, l'intimé par la cotisation en litige a réclamé une somme de 11 692,10 $ à titre de taxe nette non remise, avec intérêts et pénalités;

le tout, tel qu'il le sera plus amplement démontré lors de l'audition avec les feuilles de travail annexées au rapport de vérification;

[3] Monsieur Paul Thomas, le principal actionnaire de l'appelante, a témoigné à la demande du représentant de l’appelante. Le représentant de l'appelante, monsieur Robert Lescouflair, est le comptable qui a préparé les états financiers de l'appelante. Madame Lacroix et monsieur Benoît Denis ont témoigné à la demande de l’avocate de l’intimée.

[4] Madame Lucie Lacroix, au moment de son enquête en 1996, avait fait de la vérification fiscale pour Revenu Québec, depuis novembre 1990.

[5] Madame Lacroix a expliqué, que tel que mentionné à l’alinéa 2 h) de la Réponse, une demande de remboursement de la taxe au montant de 5 790,97 $ a été faite par l’appelante pour la période du 1er février 1995 au 30 avril 1995 (pièce I-2). Sur réception de cette demande qui dépassait de beaucoup les réclamations habituelles de l'appelante ainsi qu'en fait foi la pièce I-3, il y a eu une vérification fiscale de l’appelante.

[6] La pièce I-3 est un document de travail montrant un tableau de la taxe sur les produits et services perçue par l’appelante ainsi que les crédits sur intrants réclamés par l’appelante. On y voit que du 31 janvier 1992 jusqu’au 30 avril 1995, la balance de la taxe nette est toujours négative de sommes moyennes de 300 $ à 500 $. C’est au moment où il y a eu une réclamation de taxe nette de 5 790,97 $ qu’il y a eu vérification de ce commerce.

[7] Madame Lacroix a téléphoné à l’appelante pour lui demander de voir le journal des ventes et tous les carnets de factures. Une personne a répondu pour l'appelante, il s'agissait de Madame Gagliardi, épouse de monsieur Thomas. L'agent du Ministre dit que selon les propos qu'elle a eus avec cette dernière, elle l'a considérée comme la gérante du commerce. Celle-ci lui a dit que ce n’était pas possible qu’elle vienne au local commercial parce que c’était trop petit mais de venir au bureau d'un monsieur David Haimovitch où tous les livres comptables étaient gardés. La vérificatrice a cru que monsieur Haimovitch serait le comptable et qu’il serait en mesure de répondre à ses questions. Il n’était pas le comptable et ne fut donc pas capable de répondre à aucune question.

[8] Ni madame Gagliardi ni monsieur Thomas n’étaient présents lors de la visite de la vérificatrice chez monsieur Haimovitch. Celle-ci s’est rendue quelques jours après au magasin de l’appelante, cette fois-ci sans l’avoir prévenue. Il y avait une cliente qui se faisait servir et madame Lacroix a attendu quelques dix minutes en regardant la marchandise. La vente avec la cliente s’est faite en espèces liquides et n’a pas été enregistrée sur la caisse enregistreuse. Madame Lacroix s’est présentée et a demandé à madame Gagliardi s’il lui arrivait souvent de ne pas enregistrer les ventes et cette dernière lui aurait répondu que oui. Madame Lacroix a relaté que monsieur Thomas a fait la même affirmation en expliquant que le total des ventes de l’appelante avait un effet sur le prix du loyer. Lors de son témoignage, monsieur Thomas a dit avec indignation que ces propos n'avaient sûrement pas été tenus parce qu'ils n'avaient aucun sens.

[9] Madame Lacroix a dit que la majorité des rubans de caisse n’étaient pas lisibles et vu qu’elle avait vu une transaction qui n’avait pas été enregistrée, elle a décidé qu’il était inutile et, de toute façon, impossible d’utiliser les rubans de caisse pour sa vérification. Elle a donc procédé par une estimation.

[10] Elle a eu à sa disposition quelquesfactures d’achat et quelques factures de vente correspondantes. À l'égard de ces factures, à partir du coût d'achat et du prix de vente, elle a calculé un taux de majoration de 78,07 pour-cent. Elle a fait le même travail entre le prix des produits achetés et les prix constatés sur les étiquettes lors de sa visite du 6 juillet 1995. Dans ce cas, elle est arrivée à un taux de majoration de 100,44 pour-cent. Elle a fait le même exercice entre le prix d’achat de quelques produits et leur prix suggéré par les fabricants pour en arriver à un taux de majoration de 89,08 pour-cent. Comme le taux de majoration était inférieur dans le cas des produits dont la vente était constatée dans une facture, c’est ce taux de majoration qu’elle a adopté pour les fins de sa cotisation. Ce rapport a été produit comme pièce I-4.

[11] Madame Lacroix s'est ensuite fondée sur le coût d'achat des produits vendus ou « coût des ventes » tel qu'il paraît aux états financiers pour établir sa cotisation. Elle a appliqué le taux de majoration au coût des produits vendus tel qu’il était mentionné dans les états financiers de l’appelante pour les premières années en cause. Les états financiers pour les années 1991-1992, 1992-1993 et 1993-1994, se terminant le 30 avril de chacune de ces années ont été déposés comme pièce I-1. Tel que mentionné à l’alinéa 2 g) de la Réponse, les états financiers postérieurs n’étaient pas disponibles. La vérificatrice a établi une extrapolation des données des années précédentes.

[12] La pièce I-5 est la partie du rapport de la vérificatrice concernant le montant

de taxe à percevoir sur les ventes estimées.

[13] Monsieur Thomas a expliqué que c'était lui qui était venu témoigner pour l'appelante et non pas son épouse, madame Gagliardi, parce qu'il était le propriétaire de l'appelante et que c'était lui qui connaissait les aspects financiers de l'entreprise. Il a commencé sa déposition en produisant les états financiers non vérifiés de l’appelante pour les années se terminant le 30 avril 1995 et le 30 avril 1996.

[14] Si l'on prend l'état financier qui se termine l'année financière du 30 avril 1995, on voit que les ventes brutes totalisent 75 434,82 $ et que le coût des ventes est de 57 235,59 $. Ce qui signifie un taux de majoration d'environ 30 pour-cent, un ratio de coût des ventes de plus de 80 pour-cent et un ratio de profit brut d'environ 20 pour-cent. C'est dans cette même proportion que dans les divers états financiers, le coût des ventes et le montant des ventes brutes ont été présentés.

[15] Monsieur Thomas a produit comme pièce A-2, le bail de l’appelante avec le Centre commercial Côte St-Luc Ltée pour le local qu’elle utilisait pour son commerce de lingerie fine. Il est en date du 26 avril 1991. La date d’expiration était le 30 avril 1996. Il a attiré l’attention de la Cour sur la clause 17.2 du bail concernant les conséquences du défaut du locataire. Il a expliqué que vu ces clauses qui ne permettaient pas de terminer le bail avant la fin de son terme, il a dû continuer le commerce même si celui-ci n'était pas profitable.

[16] Dans le même ordre d'idée, l’appelante a produit comme pièce A-5 une demande de réduction de loyer faite au locateur en date du 28 octobre 1992, demande qui a été refusée.

[17] Un livret de factures a été produit comme pièce A-8 et quelques factures d’achat ont été déposées comme pièce A-9. Le représentant de l’appelante a demandé à madame Lacroix comment elle avait pu faire la corrélation entre les produits achetés et les produits vendus à partir de ces factures parce que les factures identifient de façon très sommaire les produits vendus. Cette dernière a répondu qu’elle n’avait établi la corrélation que dans les cas où elle était certaine.

[18] Cinq livres de l’entreprise ont été déposés comme pièce A-10 qui ont pour but de noter les achats et les ventes.

[19] Il a déposé comme pièce A-11 un résumé manuscrit des sources de revenu autres que celles du magasin parce qu’il semblait à monsieur Thomas que c’était là le point principal des agents du Ministre : ceux-ci lui ayant dit qu'il ne pouvait pas vivre sur plusieurs années d'affilée avec un commerce dont les pertes étaient substantielles.

[20] À quelques reprises, la Cour a demandé à monsieur Thomas quel était le taux de majoration utilisé par son entreprise dans la vente des produits. Ce dernier n'a jamais voulu répondre. Il a répondu qu'il n'était pas comptable. Toutefois à d'autres occasions, il a dit qu'il était un bon administrateur.

[21] Monsieur Thomas a produit comme pièce A-7 un document préparé par son comptable monsieur Robert Lescouflair qui agissait également comme le représentant de l'appelante à l'audience. Ce document a comme sujet la réponse au rapport préliminaire du vérificateur de Revenu Québec. On y lit ce qui suit à la page huit de ce document :

Par mesure de précaution, après une visite et une vérification auprès de Statistiques Canada (Complexe Guy Favreau à Montréal), nous avons trouvé que le taux moyen du coût des ventes aux ventes brutes des commerces de détails pour vêtements de femmes se situaient aux alentours de 59 % au Canada entre 1991 et 1994. Si ce taux est de 59 %, alors celui du profit brut par rapport aux ventes brutes est de 41 % par déduction, et sera encore plus bas par rapport aux ventes nettes (ventes brutes, escomptes).

[22] Cette affirmation qui contredit les propres chiffres du comptable tel que présenté aux états financiers confirme la position du Ministre. Selon la vérificatrice, le ratio de coût des ventes est de 56,16 pour-cent, ce dernier selon Statistiques Canada est de 59 pour-cent. Or, selon les états financiers, il est de 80,76 pour-cent. Le ratio de profit brut selon la vérificatrice est de 43,82 pour-cent. Selon Statistiques Canada, il est de 41 pour-cent. Or, selon les états financiers, il serait de 19,24 pour-cent.

[23] Je suis d'avis que la vérificatrice, en prenant le coût des ventes mentionné aux états financiers, montant qui n'a pas été contesté par l'appelante, et en le majorant par le taux de majoration de 78 pour-cent, taux qui est en accord avec le ratio de coût des ventes et le ratio de profit brut établis par Statistiques Canada, a correctement établi le montant des ventes brutes et en conséquence le montant de la taxe. Le taux de majoration de 30 pour-cent, auquel arrivent les états financiers sur une période de plus de cinq ans ne me paraît n'avoir aucun fondement commercial possible car il faut penser que c'est cette marge qui doit servir à payer toutes les dépenses d'exploitation de l'entreprise et permettre le profit.

[24] Il est difficile de croire que monsieur Thomas, qui se dit un bon administrateur, n'ait pas eu une idée sur le taux de majoration utilisé dans le commerce de l'appelante dont il était le seul actionnaire et président. Dans un commerce au détail, il me semble qu'il s'agit là d'une notion élémentaire. Je suis portée à être d'avis qu'en refusant de répondre à cette question, sous prétexte qu'il n'était pas comptable, il n'a pas répondu avec franchise.

[25] Comme la position du Ministre est celle qui est la plus conforme à la réalité des choses, qu'elle est fondée à partir d'éléments objectifs, tel le taux de majoration et le coût des ventes établis selon les documents mêmes de l'appelante, et qu'aucune explication raisonnable n'ait été présentée par l'appelante, l'appel doit être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de février, 1999.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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