Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19991214

Dossier: 98-2605-IT-I

ENTRE :

CHARLES DAVID NIXON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

LES QUESTIONS EN LITIGE:

[1] Les points en litige consistent à savoir

1. si l'appelant a le droit, en vertu du paragraphe 118(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( la “ Loi ”), de déduire la somme de 5 380 $ de son impôt payable pour chacune de ses années d'imposition 1995, 1996 et 1997[1];

2. si les nouvelles cotisations violent un des droits que le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la “ Charte ”) reconnaît à l'appelant.

[2] Comme le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) n'a pas encore pris position[2] en ce qui concerne l'année d'imposition 1997 et parce que l'appelant a déposé un avis d'appel avant l'expiration du délai de 90 jours qui suivent la signification de l'avis d'opposition,[3] cet avis d'appel n'est pas valable. Toutefois, Revenu Canada a écrit une lettre datée du 9 novembre 1998 à l'appelant, dans laquelle le ministère déclare entre autres :

[TRADUCTION]

Toutefois, comme les faits et les questions en litige sont identiques pour toutes les années, le paragraphe 225.1(5) de la Loi nous permet de garder l'avis d'opposition pour l'année 1997 en suspens et d'attendre que la Cour rende jugement pour les années 1995 et 1996. Quelle que soit la décision rendue par la Cour pour les années 1995 et 1996, elle sera appliquée à l'année 1997.

LES FAITS :

[3] L'appelant s'est marié le 19 mai 1979. Deux enfants sont nés du mariage, le premier le 13 octobre 1980 et le second le 29 avril 1984. L'appelant et son épouse se sont séparés le 28 février 1993 et divorcés le 12 mai 1994.

[4] Depuis qu'ils se sont séparés, l'appelant et son épouse se partagent la garde des enfants. L'appelant était tenu de verser 500 $ par mois par enfant à son ex-épouse en vertu de l'accord de séparation et il a effectivement versé cette somme. Il a dit qu'ils avaient retenu ce montant pour faire en sorte que lui et son ex-épouse aient des revenus équivalents. Selon le témoignage de l'appelant, l'avocat médiateur qui, semble-t-il, les a représentés tous les deux a informé l'appelant que les facteurs relatifs à l'impôt sur le revenu avaient été pris en compte pour déterminer ce montant.

[5] Dans le calcul de son revenu pour chacune des années d'imposition en question, l'appelant a déduit en conformité avec l'article 60 de la Loi la somme de 12 000 $ versée à titre de pension alimentaire. L'appelant était aussi tenu de verser une pension à son ex-épouse pour subvenir à ses besoins.

[6] Durant chacune des ces années d'imposition, l'ex-épouse de l'appelant a déclaré la somme de 12 000 $ susmentionnée comme revenu de pension et elle s'est également prévalue du crédit d'impôt “ équivalent à celui de personne mariée ” prévu au paragraphe 118(1). L'appelant cherchait à obtenir une déduction similaire au montant de 5 380 $ de l'impôt payable pour chacune des années 1995, 1996 et 1997.

[7] Le ministre a établi une nouvelle cotisation et n'a pas admis la déduction demandée par l'appelant à l'égard de chacune de ces années.

ANALYSE ET CONCLUSION :

[8] Le paragraphe 118(5) de la Loi prévoyait ce qui suit en ce qui concerne les années d'imposition 1995 et 1996 :

Dans le cas où un particulier a droit à une déduction prévue à l'alinéa 60b), c) ou c.1) dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition au titre d'un paiement effectué pour subvenir aux besoins de son conjoint ou de son enfant, le conjoint ou l'enfant sont réputés, pour l'application du présent article [...] ne pas être le conjoint ou l'enfant du particulier.

[9] Les dispositions de ce paragraphe sont non seulement claires mais dans l'affaire Peeck v. R., 98 DTC 3426, une affaire où elle se trouvait devant des faits analogues, la juge Lamarre-Proulx de la présente cour a tiré la même conclusion et dit :

En conclusion, il est clairement ressorti de la preuve qu'une pension alimentaire a été payée à l'ancienne épouse de l'appelant pour subvenir aux besoins des enfant de l'appelant. Par conséquent, l'appelant avait droit à une déduction conformément à l'alinéa 60b) de la Loi, de sorte que, conformément au paragraphe 118(5) de la Loi, les enfants de l'appelant sont réputés ne pas être les enfants de ce dernier aux fins de l'article 118 de la Loi. En conséquence, l'appelant n'a pas droit au crédit d'impôt prévue à l'alinéa 118(1)b) de la Loi.

[10] Une modification apportée au paragraphe 118(5) qui s'applique à l'année d'imposition 1997 et aux années d'imposition suivantes n'a aucune incidence sur le traitement fiscal prescrit pour les années antérieures.

[11] En ce qui concerne l'argument de l'appelant selon lequel il est victime de discrimination au sens du paragraphe 15(1) de la Charte, la présente cour a tout particulièrement traité de cette question dans l'affaire Nelson v. R. 99 DTC 3513. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[12] Dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, le juge McIntyre a dit à la page 174 :

J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société.

Le juge La Forest ajoute à la page 194 :

[J]e suis convaincu qu'en adoptant l'art. 15 on n'a jamais voulu qu'il serve à assujettir systématiquement à l'examen judiciaire des choix législatifs disparates qui ne portent aucunement atteinte aux valeurs fondamentales d'une société libre et démocratique. À l'instar de mon collègue, je ne suis pas prêt à accepter que toutes les classifications législatives doivent être rationnellement défendables devant les tribunaux. Une bonne partie de la formulation des politiques en matière socio-économique ne relève tout simplement pas de la compétence institutionnelle des tribunaux : leur rôle est d'assurer une protection contre les empiétements sur des valeurs fondamentales et non de vérifier des décisions de principe.

[13] Dans l'arrêt Schachtschneider v. Her Majesty the Queen, 93 DTC 5298, la Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit en ce qui concerne l'alinéa 118(1)b) :

Par conséquent, tout compte fait, si j'examine l'article dans son intégralité, je ne puis dire que ses effets sont discriminatoires envers les personnes mariées. Ces distinctions sont simplement des distinctions que le législateur est autorisé à établir de manière à pouvoir appliquer un régime fiscal efficace, fondé sur un système d'autodéclaration, qui n'oblige pas à s'ingérer indûment dans la vie privée des gens. Il peut arriver à l'occasion qu'un groupe particulier bénéficie d'un léger avantage; il peut arriver aussi qu'il subisse un léger désavantage. C'est ainsi que le système fiscal fonctionne, et on ne peut s'attendre à ce qu'il soit parfait. À moins qu'il n'y ait une preuve évidente qu'une disposition particulière exerce de la discrimination à l'égard d'un groupe favorisé pour des motifs énumérés à l'article 15, il s'agit d'une situation que doivent tolérer les Canadiens sur lesquels cette dernière a un effet préjudiciable, et ce jusqu'au jour où le législateur jugera bon d'y remédier.

[14] Dans l'arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933 (C.S.C.), le juge en chef Lamer a dit à la page 992 :

La cour doit d'abord déterminer si le plaignant a démontré que l'un des quatre droits fondamentaux à l'égalité a été violé (i.e. l'égalité devant la loi, l'égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d'autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une “ discrimination ”. Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d'imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres. De plus, pour déterminer s'il y a eu atteinte aux droits que le par. 15 reconnaît au plaignant, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s'assurer que la plainte correspond à l'objectif général de l'art. 15, c'est-à-dire corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.

[15] Dans l'affaire Nelson (précitée), où il se trouvait devant des faits analogues, le juge Brulé de la présente cour a tenu compte de ces principes pour conclure qu'il n'y avait pas de discrimination. Aucun des droits fondamentaux à l'égalité de l'appelant énumérés au paragraphe 15(1) n'a été violé, et son appel ne peut être admis.

[16] Par conséquent, les appels interjetés contre les nouvelles cotisations établies pour les années d'imposition 1995 et 1996 sont rejetés. Le soi-disant appel interjeté contre la nouvelle cotisation établie pour l'année d'imposition 1997 est annulé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 1999.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour d'août 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Communément appelé crédit d’impôt “ équivalent à celui de personne mariée ”.

[2]               C'est-à-dire qu’il n’a pas avisé l'appelant du fait qu’il avait ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation à la suite de son avis d’opposition à l’égard de l'année d'imposition 1997.

[3]               Paragraphe 169(1) de la Loi.

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