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Dossier : 2003-2663(GST)G

ENTRE :

DAN MILLER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 22 juin 2005 à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocats de l’intimée :

Me Michael Ezri et Me Richard Gobeil

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation de taxe établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 23 décembre 2002 et porte le numéro 02323070412370003, est rejeté, sans dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2005.

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2006.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2005CCI419

Date : 20050630

Dossier : 2003-2663(GST)G

ENTRE :

DAN MILLER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     Pour la période du 1er mai 2002 au 11 septembre 2002, un montant de taxe sur les produits et services (TPS) de 1,25 $ a été facturé à l’appelant, M. Dan Miller, sur la partie « redevance de liquidation de la dette » (RLD), de 17,87 $, de sa facture d’électricité de la société Toronto Hydro. M. Miller soutient que la TPS ne s’applique pas à la RLD. Il a demandé le remboursement du montant de 1,25 $, que le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé. M. Miller a interjeté appel de cette décision dans le cadre de la procédure générale, étant d’avis que, même si le montant qu’il réclame est petit, les conséquences pour la province pourraient être considérables, et que cette décision devrait donc établir un précédent. Je juge que la TPS s’applique en fait à la RLD.

 

[2]     Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits et un cahier conjoint des preuves documentaires. Aucune autre preuve n’a été présentée. Les faits sont les suivants.

 

[3]     Avant le 1er avril 1999, Ontario Hydro, une société d’État provinciale, détenait le monopole de la fourniture d’électricité en Ontario. Ontario Hydro possédait la majeure partie de la capacité de production d’électricité de l’Ontario ainsi que le réseau de transport de haute tension qui acheminait l’électricité des centrales électriques aux municipalités. Les installations de basse tension pour la distribution de l’électricité dans les municipalités et les régions rurales appartenaient en partie à Ontario Hydro, mais surtout aux compagnies de services publics locales. Ainsi, Ontario Hydro vendait de l’électricité à une compagnie de services publics locale et l’acheminait au réseau de distribution de cette compagnie. De là, la compagnie de services publics vendait, livrait et facturait l’électricité au client.

 

[4]     Ontario Hydro a contracté des dettes considérables dans le cadre de l’exploitation de son entreprise. Au 1er avril 1999, la dette totale d’Ontario Hydro se chiffrait à environ 38,1 milliards de dollars.

 

[5]     En 1996 et en 1997, le gouvernement de l’Ontario a commandé une série de rapports et de livres blancs. Les recommandations fondamentales de ces documents stratégiques étaient les suivantes :

 

a)       le marché de l’électricité en Ontario devrait être déréglementé de manière à ce que d’autres fournisseurs puissent fournir de l’électricité;

 

b)      Ontario Hydro devrait être scindée en deux entreprises : une entreprise de production et une entreprise de transport;

 

c)       il a été reconnu que la dette d’Ontario Hydro était trop grande pour être transférée, en entier, à ses sociétés remplaçantes; par conséquent, seulement la partie de la dette que chaque société remplaçante pouvait raisonnablement prendre à charge en ce qui concerne les actifs et la capitalisation boursière de la société remplaçante serait transférée à cette société; le reste de la « dette insurmontable » serait détenu par une société de financement qui serait une société d’État provinciale mise sur pied dans le but de vendre les actifs d’Ontario Hydro et de gérer la dette insurmontable;

 

d)      la responsabilité du paiement de la dette d’Ontario Hydro serait assumée par les consommateurs d’électricité;

 

e)       chaque société remplaçante s’acquitterait du service de la dette héritée d’Ontario Hydro; chaque société remplaçante verserait également un montant au lieu de l’impôt provincial sur le revenu et de l’impôt foncier à la société de financement, qui s’en servirait pour s’acquitter d’une partie du service de la dette insurmontable;

 

f)       il était prévu que les recettes des sociétés remplaçantes ne seraient pas suffisantes pour assurer le service de l’ensemble de la dette insurmontable de l’ancienne société Ontario Hydro; par conséquent, un droit spécial devait être imposé et faire partie du prix de l’électricité.

 

[6]     Le 1er avril 1999, Ontario Hydro a été réorganisée selon ce qui avait été envisagé par le gouvernement provincial. Ontario Hydro a été maintenue sous le nom de Société financière Ontario Hydro, qui a ensuite été remplacé par celui de Société financière de l’industrie de l’électricité de l’Ontario (SFIEO). La SFIEO était en tout temps un mandataire du gouvernement de l’Ontario.

 

[7]     Les éléments d’actif de production d’Ontario Hydro ont été transférés à la société Ontario Power Generation Inc. (OPG), une nouvelle société d’État, en retour de quoi la société OPG a pris en charge une part de 8,5 milliards de dollars de la dette d’Ontario Hydro.

 

[8]     Les éléments d’actif de transport et de distribution d’Ontario Hydro ont été transférés à la société Hydro One Inc (Hydro One). Celle-ci a pris en charge des dettes totalisant 4,8 milliards de dollars qui appartenaient auparavant à Ontario Hydro.

 

[9]     Une fois les éléments d’actif de production et de distribution d’Ontario Hydro et les dettes connexes transférés de la façon décrite ci-dessus, il restait toujours à la SFIEO une dette d’Ontario Hydro de 20,9 milliards de dollars qui ne pouvait être prise en charge par les sociétés OPG ou Hydro One si celles-ci devaient exploiter des entreprises rentables. Ce montant de 20,9 milliards de dollars constitue la « dette insurmontable » d’Ontario Hydro. Les sociétés OPG et Hydro One effectuent des paiements à la SFIEO au lieu d’impôts fonciers et d’impôts sur le revenu, mais ces sources de revenus n’assurent le service que de 13,1 milliards de dollars de la dette insurmontable. Le service des 7,8 milliards de dollars restants de la dette insurmontable (reliquat de la dette insurmontable) est assuré au moyen d’un droit spécial imposé aux consommateurs d’électricité.

 

[10]    Le droit spécial imposé aux consommateurs d’électricité est la RLD. La RLD est imposée en vertu du paragraphe 85(4) de la Loi sur l’électricité[1], qui dispose que :

 

Les usagers paient à la Société financière, à l’égard de la quantité d’électricité consommée en Ontario, une redevance de liquidation de la dette calculée selon le ou les taux prescrits.

 

[11]    La RLD est imposée au taux de 0,7 cent le kilowatt-heure. Le taux est fixé en vertu du règlement dit Debt Retirement Charge Regulation.

 

[12]    La RLD devait être affectée au service du reliquat de la dette insurmontable détenu par la SFIEO. En annonçant la RLD en 2000, le gouvernement provincial a souligné qu’il ne s’agissait pas d’un nouveau droit. Il a notamment affirmé ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Il ne s’agit pas d’un nouveau droit. Jusqu’à 40 % de chaque facture d’électricité aujourd’hui est affecté au service de la dette. […][2]

 

[13]    Aux termes de la Loi sur l’électricité, le ministre provincial des Finances peut établir une cotisation à l’égard des percepteurs et consommateurs au titre de la RLD, imposer des intérêts et des pénalités relativement à l’omission de payer ou de percevoir la RLD, recouvrer les montants impayés pour le compte de la SFIEO, exiger que les percepteurs produisent des déclarations et établir des cotisations à l’égard des administrateurs des sociétés tenues d’agir à titre de percepteurs de la RLD; la Loi sur l’électricité incorpore par renvoi les dispositions que renferme la Loi sur la taxe de vente au détail[3] de l’Ontario relativement aux oppositions et aux appels concernant les cotisations, ainsi que les mécanismes de perception qu’elle contient; enfin, la Loi sur l’électricité crée des infractions qui sont punissables d’amende ou de peine d’emprisonnement.

 

[14]    Initialement, la province d’Ontario ne consignait pas dans ses états financiers les recettes générées par la RLD et ne traitait pas la dette insurmontable de la SFIEO comme une dette provinciale. Cependant, en 2003, il a redressé ses états financiers pour toutes les années antérieures à partir de 1999-2000 pour inclure les recettes, les dépenses et la dette de la SFIEO dans les états financiers consolidés de la province. Ce redressement a été fait après avoir été recommandé par le Conseil sur la comptabilité dans le secteur public (CCSP) de l’Institut Canadien des Comptables Agréés.

 

[15]    La société Toronto Hydro, une compagnie de services publics locale, a fourni et facturé de l’électricité à l’appelant. La société Toronto Hydro a quant à elle acquis de l’électricité et des services de distribution des sociétés OPG et Hydro One.

 

[16]    Le 1er mai 2002, le nouveau régime de liquidation de la dette est entré en vigueur. La société Toronto Hydro devait facturer à l’appelant la RLD de 0,7 cent le kilowatt-heure d’électricité consommée. L’appelant a reçu une facture provisoire datée du 10 juillet 2002 et visant la période du 16 avril au 18 juin. Cette facture contenait deux éléments, tous deux appelés [TRADUCTION] « surtaxe d’énergie en gros ». La première de ces surtaxes était un droit qu’imposait la société Toronto Hydro depuis environ un an et ne faisait pas partie de la RLD. La TPS prélevée sur cette surtaxe, bien que contestée à l’origine par l’appelant, n’est plus en litige. La deuxième de ces surtaxes, la RLD, était calculée au taux de 0,7 cent le kilowatt-heure d’électricité consommée après le 1er mai. La facture suivante de l’appelant, datée du 11 septembre 2002, désignait correctement ce droit comme « redevance de liquidation de la dette ».

 

[17]    Le 12 novembre 2002, l’appelant a présenté au ministre une demande de remboursement de la TPS de 4,12 $. Voici une ventilation de ce moment :

 

DROIT

MONTANT

TPS

Droit d’énergie en gros jusqu’au 30 avril 2002

41,04 $

2,87 $ (non contesté)

RLD à compter du 1er mai 2002

17,87 $

1,25 $ (contesté)

TOTAL

58,91 $

4,12 $

 

Dispositions législatives

 

[18]    Les dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d’accise se trouvent à l’article 123 et aux paragraphes 154(1) et (2) et sont reproduites ci-dessous :

 

123(1)  Les définitions qui suivent s’appliquent à l’article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

 

            […]

 

              « contrepartie » Est assimilé à une contrepartie tout montant qui, par effet de la loi, est payable pour une fourniture.

 

[…]

 

154. (1)  Au présent article, « prélèvement provincial » s’entend des frais, droits ou taxes imposés en application d’une loi provinciale relativement à la fourniture, à la consommation ou à l’utilisation d’un bien ou d’un service.

 

       (2)  Pour l’application de la présente partie, les éléments suivants sont compris dans la contrepartie de la fourniture d’un bien ou d’un service :

 

a)         les frais, droits ou taxes imposés en application d’une loi fédérale (sauf la taxe imposée en vertu de la présente partie qui est payable par l’acquéreur) qui sont payables par l’acquéreur, ou payables ou percevables par le fournisseur, relativement à cette fourniture ou relativement à la production, à l’importation, à la consommation ou à l’utilisation du bien ou du service;

 

b)         tout prélèvement provincial (sauf celui visé par règlement qui est payable par l’acquéreur) qui est payable par l’acquéreur, ou payable ou percevable par le fournisseur, relativement à cette fourniture ou relativement à la consommation ou à l’utilisation du bien ou du service;

 

c)         tout autre montant percevable par le fournisseur en application d’une loi provinciale qui est égal à un prélèvement provincial, ou qui est percevable à son titre, sauf si le montant est payable par l’acquéreur et que le prélèvement provincial soit visé par règlement.


123(1)  In section 121, this Part and Schedules V to X,

 

            …

 

               "consideration" includes any amount that is payable for a supply by operation of law;

 

 

154. (1)  In this section, "provincial levy" means a tax, duty or fee imposed under an Act of the legislature of a province in respect of the supply, consumption or use of property or a service.

 

       (2)  For the purposes of this Part, the consideration for a supply of property or a service includes

 

(a)        any tax, duty or fee imposed under an Act of Parliament that is payable by the recipient, or payable or collectible by the supplier, in respect of that supply or in respect of the production, importation, consumption or use of the property or service, other than tax under this Part that is payable by the recipient;

 

(b)        any provincial levy that is payable by the recipient, or payable or collectible by the supplier, in respect of that supply or in respect of the consumption or use of the property or service, other than a prescribed provincial levy that is payable by the recipient; and

 

 (c)        any other amount that is collectible by the supplier under an Act of the legislature of a province and that is equal to, or is collectible on account of or in lieu of, a provincial levy, except where the amount is payable by the recipient and the provincial levy is a prescribed provincial levy.

 

Questions

 

[19]    Les parties ont convenu que la RLD n’est pas un prélèvement provincial visé par règlement. Par conséquent, il y a deux questions. D’abord, la RLD est-elle un prélèvement provincial visé par l’article 154 de la Loi? Ensuite, sinon, est-elle simplement visée par la définition de « contrepartie » donnée à l’article 123 de la Loi?

 


Analyse

 

[20]    En ce qui concerne l’article 154, l’appelant soutient, d’abord, que la RLD ne constitue pas des frais, une taxe ou un droit et, ensuite, qu’elle n’est pas imposée relativement à la fourniture, à la consommation ou à l’utilisation d’un bien ou d’un service.

 

[21]    L’argument de M. Miller sur le premier point est que la RLD n’est pas une taxe parce qu’elle est expressément exclue, selon l’article 62 de la Loi sur l’électricité, du Trésor de la province. L’article 62 de la Loi sur l’électricité est libellé comme suit :

 

62.       Malgré la Loi sur l’administration financière, les produits de la Société financière ne font pas partie du Trésor et celle-ci les affecte à la réalisation de ses objets.

 

[22]    M. Miller laisse entendre que la raison d'être de l’article 62 est de soustraire expressément la RLD à la catégorisation comme taxe; il s’agit simplement du remboursement d’une dette, rien de plus. Il appuie son opinion sur le fait que la RLD n’est nulle part désignée comme une taxe et que même les factures doivent la désigner comme un paiement au titre de la dette. De plus, en raison d’une modification de 1982 apportée à la Loi constitutionnelle de 1982[4], c’est-à-dire le paragraphe 92A(4), la province aurait facilement pu imposer une taxe sur l’électricité, mais elle a choisi de ne pas le faire. Elle a aussi choisi que la RLD ne fasse pas partie du prix; la RLD a été indiquée à part à titre de remboursement de dette.

 

[23]    L’argument de M. Miller quant au deuxième point est que, même si la RLD était considérée comme des frais, une taxe ou un droit, elle n’a pas été imposée relativement à la consommation ou à l’utilisation d’un bien ou d’un service. Il a tenté de faire la distinction entre le libellé du paragraphe 85(4) de la Loi sur l’électricité, que voici :

 

85(4)    Les usagers paient à la Société financière, à l’égard de la quantité d’électricité consommée en Ontario, une redevance de liquidation de la dette calculée selon le ou les taux prescrits.

 

85(4)    Every user shall pay to the Financial Corporation a debt retirement charge in respect of the amount of electricity consumed in Ontario, to be calculated at the prescribed rate or rates.

 

et celui de l’article 154 de la Loi sur la taxe d’accise. Je ne saisis pas cette distinction; les deux dispositions « se rapportent à » [version anglaise : « in respect of »] la consommation. Dans l’arrêt Nowegijick v. R.[5], la Cour suprême du Canada a jugé que « parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression « quant à »  [version anglaise : « in respect of »] qui est la plus large ». Si la RLD constitue des frais, une taxe ou un droit, je juge que c’est clairement un montant exigé « quant à » [« in respect of »] la consommation d’électricité, puisque la RLD s’applique à un taux de 0,7 cent le kilowatt-heure.

 

[24]    Le point concernant l’article 154 se résume donc à une seule question, soit celle de savoir si la RLD constitue des frais, une taxe ou un droit. L’intimée se réfère aux arrêts Lawson c. British Columbia (Interior Tree Fruit & Vegetable Committee of Direction[6] et Succession Eurig c. Ontario (P.G.) [7] de la Cour suprême du Canada pour établir les critères d’une taxe. Elle énumère les éléments essentiels d’une taxe comme suit :

 

          -        elle est susceptible d’exécution forcée en vertu de la loi;

          -        elle est imposée en vertu de l’autorité d’une législature;

-                  elle est obligatoire et le consentement d'un particulier n'est pas nécessaire;

          -        elle est imposée par un organisme public;

          -        elle est établie à une fin d’intérêt public.

 

L’intimée soutient que la RLD satisfait à tous ces critères. Je suis d’accord.

 

[25]    La RLD est exécutoire en droit. Comme il est indiqué dans les faits, la Loi sur l’électricité incorpore par renvoi les dispositions que renferme la Loi sur la taxe de vente au détail de l’Ontario relativement aux oppositions et aux appels concernant les cotisations, ainsi que les mécanismes de perception qu’elle contient. Le prélèvement est également imposé sous l’autorité de la législature de l’Ontario, en particulier en vertu du paragraphe 85(4) de la Loi sur l’électricité. La RLD est certainement exécutoire sans le consentement du consommateur. Elle est versée à la SFIEO, une société désignée par la Loi sur l’électricité à titre de mandataire de la Couronne.

 

[26]    Enfin, la RLD vise-t-elle une fin d’intérêt public? Cet élément semble être la base de l’argument de M. Miller selon lequel, étant donné que le prélèvement est destiné expressément à liquider la dette et qu’en raison de l’article 62 de la Loi sur l’électricité, il ne doit pas faire partie du Trésor comme l’exigerait habituellement la Loi sur l’administration financière, la RLD ne vise pas une fin d’intérêt public et n’est donc pas une taxe. Sauf le respect que je lui dois, je ne suis pas d’accord avec M. Miller sur ce point.

 

[27]    L’article 62 de la Loi sur l’électricité dit ce qu’il dit. Il ne dit pas, comme le pense M. Miller, que le prélèvement n’est pas une taxe. Selon Me Ezri, le but de l’article 62 est de permettre au gouvernement de soustraire ces fonds à l’examen du public, une manœuvre, souligne-t-il, qui a échoué, étant donné les exigences récentes pour qu’il soit rendu compte de ces fonds sur une base consolidée dans les documents financiers publics de la province. D’après moi, l’article 62 dit explicitement que les fonds de liquidation de la dette ne doivent être utilisés pour rien d’autre; ils ne doivent pas être combinés aux fonds du Trésor, c’est tout. Je n’accepte pas l’argument de M. Miller selon lequel l’article 62 n’est pas nécessaire pour atteindre cet objectif. Il m’a renvoyé à d’autres dispositions de la Loi sur l’électricité, mais aucune ne l’emporte expressément sur la Loi sur l’administration financière comme le fait l’article 62. La principale question découlant de cette disposition est celle de savoir si le fait que les fonds sont soustraits du Trésor signifie que le prélèvement n’a pas été payé à une fin d’intérêt public. Je n’arrive pas à cette conclusion.

 

[28]    Dans l’arrêt Lawson, la Cour suprême du Canada a traité d’un prélèvement imposé par la province de Colombie-Britannique en vertu de la Produce Marketing Act[8]. En établissant qu’un tel prélèvement constitue une taxe, la Cour a dit, au paragraphe 10 :

 

[TRADUCTION]

 

[…] Le prélèvement est également fait à une fin d’intérêt public. Lorsque de tels pouvoirs contraignants, pour ne pas dire dictatoriaux, sont conférés à un tel organisme par la législature, on peut irréfutablement présumer que les fins pour lesquelles ils sont conférés sont d’intérêt public. En réalité, si l’on tient compte du nombre de personnes touchées par les ordonnances de ce comité, et de l’étendue du territoire sur lequel il exécute ses ordonnances et directives, il devient évident que, en ce qui concerne leur effet éventuel sur la population du territoire et l’intérêt que porte la population aux activités du comité, les opérations du comité, telles qu’elles sont prévues par la loi, dépassent de beaucoup, en importance pour le public, de nombreux mécanismes municipaux, à l’égard desquels les prélèvements ne pourraient être contestés par personne, et entreraient dans la catégorie de taxe.

 

[29]    On peut de la même façon présumer irréfutablement qu’un prélèvement imposé par une administration publique sur la consommation d’électricité, une chose qui touche tous les Ontariens, est fait à une fin « d’intérêt public ». Le fait que les sommes obtenues au moyen du prélèvement ne soient pas versées dans le Trésor ne leur enlève pas leur fin d’intérêt public. Dans la décision Kempe c. Canada[9], le juge Hamlyn a adopté un raisonnement semblable. Il s’agissait d’un cas concernant la nature d’un impôt allemand destiné aux Églises. Il a écrit ce qui suit, au paragraphe 10 :

 

L'impôt destiné aux Églises, qui est susceptible d'exécution forcée, a été perçu à l'égard de l'appelant en vertu de l'autorité de la législature allemande. La loi constitutionnelle allemande approuve l'impôt, et la législature allemande (un organisme public) accorde à l'Église luthérienne le droit d'imposer un impôt à ses membres. L'approbation constitutionnelle et l'intervention du législateur sont irréfutablement présumées servir toutes les deux à des fins publiques.

[Non souligné dans l’original]

 

[30]    Mises à part les circonstances justifiant une telle présomption irréfutable, je veux revenir en arrière pour revoir ce à quoi la RLD est censée servir, soit le remboursement de la dette d’Ontario Hydro contractée pour fournir de l’électricité aux Ontariens, et je juge qu’une réponse sensée est qu’elle est en réalité perçue à une fin d’intérêt public. M. Miller ne m’a renvoyé à aucune cause donnant à penser qu’un prélèvement ne sert à des fins d’intérêt public que s’il est versé au Trésor. Je conclus que la RLD est une taxe pour l’application de l’article 154 de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[31]    Je fais remarquer que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a traité d’une question semblable dans la cause Edmonds v. Actton Super-Save Gas Stations Ltd[10]. Elle a adopté une approche un peu différente, mais a également jugé que la TPS s’appliquait à un droit imposé sur l’électricité en vertu de la Transit Act[11] de la Colombie-Britannique. La Cour a dit, au paragraphe 36 :

 

[TRADUCTION]

 

            Cependant, à mon avis, le demandeur n’a pas cerné la bonne question. À mon avis, la raison pour laquelle le gouvernement provincial a décidé d’imposer une cotisation pour le transport en commun ainsi que la façon dont les recettes générées par cette cotisation seront finalement utilisées ne sont pas pertinentes. Le libellé de l’article 154 se rapporte à la question de savoir si une taxe comme la cotisation pour le transport en commun est imposée relativement à la fourniture d’un bien ou d’un service et, à mon avis, le point faible de l’argument du demandeur est le fait qu’il a fait abstraction du mot clé « imposé ».

 

[32]    Comme j’ai conclu que la RLD est une taxe, il n’est pas nécessaire de déterminer si elle constitue des frais ou un droit. Elle est un prélèvement provincial visé par le paragraphe 154(2) de la Loi sur la taxe d’accise et n’est pas exclue de l’application de l’article 154 parce qu’elle n’est pas un prélèvement provincial visé par règlement. Par conséquent, la TPS s’applique à la RLD.

 

[33]    Il n’est pas non plus nécessaire d’examiner l’article 123 de la Loi sur la taxe d’accise, malgré le fait que, si je n’avais pas conclu que la RLD est un prélèvement provincial, je n’aurais eu aucune difficulté à juger qu’elle est visée par la définition de « contrepartie » donnée à l’article 123. La RLD est trop étroitement liée à la fourniture d’électricité pour qu’on puisse arriver à une conclusion différente. Elle doit être payée pour consommer la fourniture d’électricité.

 

[34]    Je rejette l’appel de M. Miller. Tant lui que Me Ezri ont abordé la question des dépens. M. Miller a soutenu que, comme il considérait cette cause comme une cause type, il ne conviendrait pas de rendre une ordonnance pour les dépens contre lui parce que cela dissuaderait les contribuables d’intenter des actions importantes comme celle-ci. Me Ezri n’était pas du même avis. Il ne voit pas cette cause comme une cause type, mais comme un différend sur une question de droit, comme c’est le cas pour toute autre cause. Il a cité les commentaires du juge en chef Bowman dans la décision RMM Canadian Enterprises Inc. v. R.[12], selon lesquelles les dépens doivent suivre la cause, même si l’affaire est difficile ou importante ou soulève de nouvelles questions de droit. Néanmoins, j’admire en quelque sorte M. Miller, qui a pris sur lui de soulever une question qui représentait pour lui un montant de 1,25 $ mais qui touchait tous les Ontariens. Il s’agit d’une question qui peut si facilement exaspérer les contribuables, c’est-à-dire l’affreux cumul des taxes. L’acte de procédure de M. Miller était réfléchi et bien rédigé. Il a présenté ses arguments de façon compétente, éloquente et coopérative. Il ne s’agissait absolument pas d’une affaire frivole.

 

[35]    J’exerce mon pouvoir discrétionnaire en n’adjugeant pas les dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de juin 2005.

 

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de mars 2006.

 

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste



[1]           L.O. 1998, ch. 54.

[2]           Communiqué de presse du ministre de l’Énergie de l’Ontario, 9 juin 2000, cahier conjoint des preuves documentaires, onglet 8, page 1.

[3]           L.R.O. 1990, ch. R.31.

[4]           L.R.C. 1985, ann. B, no 44.

[5]           [1983] 1 R.C.S. 29.

[6]           [1931] R.C.S. 357.

[7]           [1998] 2 R.C.S. 565.

[8]           S.B.C. 1926-1927 ch. 54. par. 10(1).

[9]           [2000] CarswellNat 2271 (C.C.I.)

[10]          [1996] G.S.T.C. 63.

[11]          R.S.B.C. 1979, ch. 421.

[12]          97 DTC 420.

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