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Dossier : 2001-1245(IT)G

ENTRE :

656203 ONTARIO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_________________________________________________________________

 

 

Appel entendu le 16 octobre 2002, à Ottawa (Ontario)

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Emilio Binavince

Me Marc Binavince

 

Avocat de l’intimée :

Me Daniel Bourgeois

__________________________________________________________________

 

 

JUGEMENT

 

         L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est rejeté avec dépens.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'avril 2003.

 

 

 

 

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2003.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

 

 

Référence : 2003CCI264

Date : 20030414

Dossier : 2001-1245(IT)G

ENTRE :

656203 ONTARIO INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Lamarre, C.C.I.

 

[1]     Il s’agit d’un appel à l’encontre d’une cotisation effectuée par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (« Loi ») pour l’année d’imposition 1997 de l’appelante.

 

[2]     En calculant son revenu pour cette année, l’appelante a déclaré un montant de 3 698 935 $ (3 248 935 $ à titre de produit de disposition et 450 000 $ pour une perte d’exploitation) qu’elle a reçu en 1997 de la Simcoe & Erie General Insurance Company, de la Gan Canada Insurance Company et de la New Rotterdam Insurance Company (les « compagnies d’assurance »). Ce montant a été attribué à l’appelante par un jugement de Madame la juge Bell de la Cour de l’Ontario (Division générale) à la suite d’une poursuite intentée par l’appelante contre les compagnies d’assurance concernant la perte de sa scierie causée par un incendie en janvier 1991. Toutefois, l’appelante n’a pas déclaré un montant supplémentaire de 1 500 000 $ qu’elle avait reçu des compagnies la même année, en 1997, à la suite d'un règlement amiable de l’ensemble des actions intentées contre les compagnies par l’appelante. (Voir la déclaration de revenus de 1997, pièce R-1, onglet 1, et les états financiers de l’appelante au 30 avril 1997, pièce R-1, onglet 4.)

 

[3]     Dans la nouvelle cotisation de l’appelante pour l’année d’imposition 1997, le ministre a accepté l’inclusion du montant attribué par la juge Bell que l’appelante a mis dans sa déclaration de revenus. Toutefois, comme il est indiqué au paragraphe 14 de la réponse à l’avis d’appel, le ministre a considéré comme produit de disposition de biens le montant supplémentaire de 1 500 000 $ reçu par l’appelante et a inclus 75 pour cent de ce montant dans le revenu de l’appelante conformément à l’alinéa 38a) et au paragraphe 14(1) de la Loi. Le ministre a réparti ces produits de disposition entre des biens corporels et incorporels ainsi :

 

Biens

Produits de disposition

Inclusion

 

 

 

Immeubles

$    517 011

$    387 758

Pertes de revenu

$    982 989

$    737 242

Total

$ 1 500 000

$ 1 125 000

 

[4]     Dans son avis d’appel, l’appelante conteste non seulement l’inclusion dans son revenu de 75 pour cent de 1 500 000 $, mais aussi l'inclusion d'une partie importante du montant que la juge Bell lui a attribué. Lors de l’audience, l'avocat de l'appelante a plaidé que seul le montant de 450 000 $, reçu à titre d'indemnité pour une perte d'exploitation, devait être inclus dans le revenu. Selon l’avocat, le solde du montant versé par les compagnies d’assurance en 1997 ne représente pas un revenu provenant d’une source applicable et l'appelante n’aurait pas dû le déclarer comme un gain en capital imposable (ce qu’elle a fait initialement  dans sa déclaration de revenus de 1997). Il a soutenu que le montant en litige versé correspondait plutôt « à la valeur des biens détruits de l’appelante ou des dommages qu’elle a subis. Subsidiairement, ces rentrées de fonds sont des gains fortuits non imposables ». (Voir le paragraphe (E)1 de l’avis d’appel.)

 

Les faits

 

[5]     Les faits pertinents à l’origine de la nouvelle cotisation reposent sur l’acquisition par l’appelante de la scierie Harcourt ( la« scierie ») à Barry's Bay, Ontario, et la destruction subséquente par le feu d’une grande partie de cette scierie.

 

[6]     L’appelante avait créé une société en vertu des lois de la province de l’Ontario, propriété de M. Frank P. Yantha, qui a témoigné à l’audience, et de M. Don Foley.

 

[7]     Dans les motifs du jugement (pièce A-1, onglet 6, aux pages 5-7), la juge Bell a fait un exposé des faits qui ont conduit à l’achat de la scierie par l’appelante (que les parties n’ont pas contesté devant moi). Je reproduirai ci-après le résumé de ces faits. La scierie faisait partie d’un groupe de scieries dont G.W. Martin Limited était le propriétaire-exploitant avant qu’elle ne ferme ses portes en 1989, après quoi elle a été reprise par un administrateur judiciaire. M. Yantha et M. Foley se seraient réunis la même année et auraient constitué en société la compagnie appelante dans le but d’acquérir et d’exploiter la scierie. L’appelante a d’abord offert d’acheter la scierie de l’administrateur judiciaire en 1989 pour 1 190 000 $. Cette offre comprenait les droits de coupe de la Couronne jusque-là en la possession de la G.W. Martin Limited. Cela n’a rien donné parce que l’administrateur judiciaire a reçu une meilleure offre d’une autre compagnie, la Commonwealth Papers Products (« Commonwealth »). Toutefois, l’opération avec la Commonwealth n’a pas pu se faire, alors M. Yantha a préparé une seconde offre au prix de 725 000 $ pour l’achat de la scierie. Cette seconde offre ne comprenait pas les droits de coupe de la Couronne ni certains bâtiments et équipements visés par la première offre. L’administrateur judiciaire a finalement accepté cette offre et on a conclu l’opération le 5 octobre 1990.

 

[8]     Dans son avis d’appel déposé auprès de cette cour, l’appelante a déclaré que le prix payé pour la scierie était beaucoup moindre que sa juste valeur marchande de l’époque. En effet, M. Yantha et M. Foley avaient reçu de la S. Rayner & Associates Ltd. une évaluation du coût de remplacement de la scierie à la date du 4 octobre 1990  qui établit sa valeur optimale à 11 507 185 $ et sa valeur minimale à 1 850 000 $ (pièce A-3).

 

[9]     Selon le rapport d’évaluation, à la date du 4 octobre 1990,  le bien assuré était à sa valeur minimale.

 

[10]   Une fois que l’appelante eut conclu l’accord d’achat de la scierie, M. Yantha s’est adressé aux compagnies d’assurance et, à ce qu’il paraît, a demandé que la couverture d’assurance se limite au remboursement des hypothèques. Les compagnies d’assurance ont laissé entendre que, dans ce cas, le bien ne serait pas suffisamment assuré compte-tenu de l’évaluation faite par la S. Rayner & Associates Ltd. Également, M. Yantha n’ignorait pas que la G.W. Martin Limited avait fait faire une évaluation de la « valeur d’usage » du bien en janvier 1987 en vertu de laquelle la valeur du bien se situait entre 5 950 000 $ et 6 710 00 $. Les compagnies d’assurance et M. Yantha en sont finalement venus au chiffre de 4 500 000 $ pour la couverture. (Voir les motifs du jugement de la juge Bell, pièce A-1, onglet 6, aux pages 11 et 12 de ses motifs.) Le 7 janvier 1991, on a augmenté la couverture de 4,5 millions de dollars à 5 750 000 $. (Voir : pièce A-1, onglet 5.)

 

[11]   Le 7 janvier 1991, le premier jour d’exploitation, un incendie a détruit la scierie. Les compagnies d’assurance ont refusé de verser l’indemnité. L’appelante a donc intenté une action en justice contre les compagnies d’assurance devant la Cour de l’Ontario (Division générale) (« la première poursuite »). C’est la juge Bell qui a entendu ce recours.

 

[12]   Dans sa déclaration lors de cette première poursuite (qui figure dans la pièce A‑1, onglet 6, pages 82‑85 en crayon-feutre noir), l’appelante a fait une réclamation pour le bâtiment et son contenu à la valeur de remplacement ainsi que pour sa perte d’exploitation, totalisant 5 750 000 $, répartis ainsi :

 

Pertes

Coût de remplacement

Valeur marchande

Montant réclamé

Bâtiment

1 119 709 $

     932,839 $

1 119 709 $

Contenu

3 592 271 $

 2 271 612 $

3 592 271 $

Perte d’exploitation

N/A

__________

 1 117 247 $

___________

1 117 247 $

__________

Total

4 701 980 $

 4 321 698 $

5 750 000 $

 

L’appelante a aussi fait une réclamation en dommages-intérêts de 500 000 $.

 

[13]   Dans le cadre de la première poursuite, la juge Bell a rendu une décision en faveur de l’appelante (motifs du jugement signé le 5 septembre 1995; motifs supplémentaires du jugement signé le 25 octobre 1995 et jugement signé le 13 février 1996. L’appelante s’est vu accorder le coût de remplacement du bâtiment et de son contenu, c’est-à-dire, 711 384 $ pour le bâtiment et 2 271,612 $ pour son contenu pour un total de 2 982 986 $, ainsi que 450 000 $ pour la perte d’exploitation, plus les intérêts avant jugement à 6,5 pour cent par an à compter du 16 juillet 1991 jusqu'à la date du jugement. La juge Bell a aussi conclu qu’en exécutant les modalités de l’avenant des polices d’assurance relatives au coût de remplacement (signifiant que, lorsque l’appelante remplace le bien détruit à ses propres frais) ce dernier aurait le droit de recevoir des compagnies d’assurance une somme supplémentaire de 2 017 004 $ (qui est la différence entre le coût de remplacement et la valeur marchande du bâtiment ainsi que de son contenu jusqu’à concurrence du montant fixé dans la police d’assurance). (Voir : jugement de la juge Bell et les motifs de son jugement, pièce A-1, onglet 6 à la page 77.) Les compagnies d’assurance ont interjeté appel de ce jugement auprès de la Cour d'appel de l'Ontario et l’audition était apparemment prévue pour les 16 et 17 décembre 1996.

 

[14]   Le 17 juillet 1996, l’appelante a intenté une deuxième poursuite ( la « deuxième poursuite ») auprès de la Cour de l’Ontario (Division générale) contre les compagnies d’assurance. C’était une action en dommages-intérêts contre les compagnies d’assurance qui n’ont pas versé en temps utile ou dans un délai raisonnable l’indemnité qu’elles devaient à l’appelante. (Voir : lettre de l’avocat de l’appelante à l’époque, Me Paull N. Leamen, datée du 2 avril 1997, pièce A-1, onglet 11.) Les réclamations s’élevaient à 10 000 000 $ pour les coûts de reconstruction et pertes de revenu, et à 1 000 000 $ en dommages-intérêts punitifs (pièce A-1, onglet R). Selon la lettre de Me Leamen, l'appelante demandait des dommages-intérêts pour perte de personnel, pour la détérioration (et démolition ultérieure) des dépendances et pour la perte de parts du marché.

 

[15]   Les compagnies d’assurance n’ont pas présenté leur défense lors de la deuxième poursuite, ce qui a conduit à un jugement par défaut du juge Mercier de la Cour de l’Ontario (Division générale) rendu le 29 novembre 1996, accordant des dommages-intérêts à l’appelante. Ce juge a ordonné aux compagnies d’assurance de verser à l’appelante : a) des dommages-intérêts s’élevant à 483 188,30 $, plus la taxe sur les produits et services (« TPS »); b) 450 000 $ par an pour des pertes de revenu de 1992 à 1997 inclusivement, plus les intérêts avant jugement au taux de 5 pour cent par an (pièce A-1, onglet 13).

 

[16]   Une fois ce jugement rendu par défaut dans le cadre de la deuxième poursuite, les compagnies d’assurance ont présenté une requête en annulation de ce jugement. Les compagnies d’assurance ont principalement soutenu dans leur requête que les réclamations de la première poursuite se retrouvent, en réalité, dans la deuxième poursuite, nonobstant le fait que les allégations déjà faites ont été ou auraient du être introduites dans la première poursuite. Les compagnies d’assurance ont également maintenu dans leur requête que, si elles gagnaient leur recours en appel contre le jugement rendu par la juge Bell lors de la première poursuite, le fondement de la deuxième poursuite de l’appelante disparaîtrait complètement. Selon les compagnies d’assurance, la deuxième poursuite de l’appelante est liée à leur refus de reconnaître qu'il y avait couverture en application des polices d’assurance faisant l’objet du litige lors de la première poursuite. (Voir : affidavit de David Sherriff-Scott annexé à l’avis de requête, pièce A-1, onglet 10,  paragraphes 4 à 7.)

 

[17]   Le 5 décembre 1996, le juge Cunningham de la Cour de l’Ontario (Division générale) a annulé par ordonnance le jugement par défaut en date du 29 novembre 1996 (pièce A-2). Au même moment, les compagnies d’assurance avaient entamé de sérieuses discussions pour arriver à un règlement avec l’appelante. Dans sa lettre envoyée à l’appelante le 2 avril 1997 (pièce A-1, onglet 11), M. Leamen a résumé le progrès des négociations ainsi :

 

 

[TRADUCTION]

. . Bien qu’auparavant les compagnies d’assurance aient offert de verser une indemnité égale à la valeur marchande réelle, ce qui correspondait à la décision du juge de première instance [la juge Bell], on n’était pas arrivé à un accord sur la clause garantissant le coût de remplacement de 2 000 000,00 $ environ à l’égard de la demanderesse si elle reconstruisait la scierie à un coût dépassant la valeur marchande réelle.

 

Pour la première fois, au cours de la semaine du 9 décembre 1996, les compagnies d’assurance ont renoncé à la condition de la police exigeant que la scierie soit reconstruite avant le versement de l’indemnité couvrant le coût de remplacement. Cela augmentait de beaucoup leur offre de payer, le montant de l'offre s'établissant alors à 1 500 000,00 $, offre qui avait été faite et acceptée le 13 décembre 1996. En échange de l’accord avec les compagnies d’assurance de verser ce 1,5 million de dollars, la demanderesse était tenue de renoncer à sa réclamation visée par l’action en justice numéro 101303/96. [deuxième poursuite]

 

En conséquence, le règlement portait sur les points suivants :

 

a)    Pour la partie du jugement portant sur la valeur marchande réelle, le paiement de la somme de 3 698 935,04 $ au 15 décembre 1996 plus 759,77 $ d’intérêts par jour, de cette date jusqu’à la date du paiement, ce chiffre comprend le montant accordé de 450 000,00 $ pour la garantie de perte d’exploitation pour l’année civile de 1991, et un crédit de 750 000,00 $ pour les deux hypothèques du vendeur. Ces hypothèques ont été transférées aux compagnies d’assurance défenderesses qui ont par la suite accordé la mainlevée des hypothèques grevant ainsi la scierie Harcourt;

 

b)   Frais judiciaires s’élevant à 500 000,00 $;

 

c)    Pour renoncer à la demande en dommages-intérêts, la somme de 1 500 000,00 $;

 

[18]     Lors du procès devant moi, M. Yantha a témoigné qu’en décembre 1996, il savait qu’on n’allait pas reconstruire la scierie détruite. Il a déclaré qu’au jour du règlement conclu avec les compagnies d’assurance, lui et M. Foley ont précisé à leur avocat qu’ils n’accepteraient rien en deçà de 1,5 million de dollars à titre de dommages-intérêts, en plus du montant déjà accordé par la juge Bell. Il a qualifié le 1,5 million de dollars comme étant des dommages-intérêts punitifs car ils n’ont pas été indemnisés pour le coût de remplacement de la nouvelle scierie. Il a aussi dit que leur comptable les avait informés que les dommages-intérêts punitifs n’étaient pas imposables. Toutefois, il n’existe pas de document indiquant comment les compagnies d’assurance et l’appelante qualifiaient vraiment  le paiement de 1,5 million de dollars stipulé dans le règlement.

 

[19]     Le 20 décembre 1996, les compagnies d’assurance ont finalement signé une quittance de règlement total et définitif par laquelle elles acceptaient de verser à l’appelante un montant de 5 208 052 $ plus 500 000 $ pour les frais et la mainlevée des hypothèques (pièce A-1, onglet 1. En contrepartie de ce paiement, elles déchargeaient [Traduction] « [l’appelante], Don Foley et Frank Yantha de toutes actions en justice et réclamations pour les dommages ou préjudices, peu importe leurs origines, qu’ils ont subis jusqu’ici ou peuvent subir à l’avenir par suite de l’incendie de la scierie Harcourt et de sa démolition ultérieure le 7 janvier 1991, numéros de police d’assurance RSL3091 et RSL3092 et numéros des actions en justice 56202/91 [la première poursuite] et 101,303/96 [la deuxième poursuite], y compris l'ordonnance d'adjudication des dépens rendue le 5 décembre 1996 par le juge Cunningham, ainsi que pour les dommages et préjudices inconnus ou imprévisibles présents ou futurs et pour leurs conséquences ». (pièce A-1, onglet 1).

 

[20]     Dans la quittance de règlement total et définitif,  le montant de 5 208 052 $ n'a pas été réparti. Toutefois, au paragraphe 16 de l’avis d’appel, on trouve ce qui suit :

 

          


[TRADUCTION]

 

16.   Les compagnies d’assurance et l’appelante ont conclu un règlement et ont signé les quittances. Les clauses principales du règlement sont les suivantes :

 

        A.      Jugement en première instance 56202/91 [première poursuite]:

 

(i)       Une indemnité, correspondant à la valeur marchande réelle, de 3 698 935,04 $ au 15 décembre 1996, plus par la suite des intérêts de 759,77 $ jusqu’à la date du paiement;

 

(ii)      le chiffre comprend le montant accordé de 450 000,00 $ pour l'indemnité de perte d’exploitation pour l’année civile 1991;

 

(iii)     un crédit de 750 000,00 $ pour les deux hypothèques du vendeur transférées aux compagnies d’assurance.

 

B.      Action en justice 101303/96 [deuxième poursuite]: abandon de la demande en dommages-intérêts par la suite du versement de la somme de 1 500 000,00 $;

 

C.      Frais judiciaires pour les deux actions s’élevant à 500 000 $.

 

[21]   Au paragraphe 10 de la réponse à l’avis d’appel, l’intimée a reconnu cette répartition, sauf pour le montant de 3 698 935 $ mentionné à l’alinéa 16(A)(i) cité ci-dessus de l’avis d’appel, ce montant, selon l’intimée, faisant partie du montant de 3, 432 996 $ accordé par la juge Bell (qui est le total de 711,384 $ accordé pour le bâtiment, 2 271 612 $ pour son contenu et 450 000 $ pour la perte d’exploitation) et les intérêts courus.

 

[22]   L’appelante a reçu, au cours de son année d’imposition 1997, les montants auxquels elle avait droit conformément au règlement. L’appelante a déclaré un montant de 3 698 935 $ en revenu imposable pour 1997 (450 000 $ comme revenu tiré d’une entreprise et le solde provenant du produit de disposition de biens en immobilisation qui est à la source d’un gain en capital imposable) mais ne comprend pas le montant de 1 500 000 $ apparemment reçu à titre de dommages-intérêts non imposables  aux termes du règlement de la deuxième poursuite et figurant dans ses états financiers comme un poste extraordinaire de revenu.

 

Les points en litige

 

[23]   Les points en litige à trancher dans le présent appel sont décrits ainsi à la section (D) de l’avis d’appel :

 

[TRADUCTION]

 

1.         Quelle partie, le cas échéant, de la somme de 3 698 935,04 $ versée par les compagnies d’assurance conformément au jugement en première instance No 56202/91 [Première poursuite] représente un gain en capital et, à ce titre, peut être inclus comme revenu conformément à l’article 3 de la Loi de l’impôt sur le revenu?

 

2.         Quelle partie, le cas échéant, du versement effectué en application du règlement de 1 500 000 $ dans l’action en justice No 101303/96 [deuxième poursuite] représente un revenu tiré d’une entreprise et, à ce titre, peut être inclus comme revenu conformément à l’article 3 de la Loi de l’impôt sur le revenu?

 

 [24]  Au paragraphe 17 de la réponse modifiée à l’avis d’appel, l’intimée présente ainsi les points en litige :

 

[TRADUCTION]

 

a)         à savoir si les montants reçus par l’appelante dans le cadre du règlement conclu à la suite de ses actions en justice ont été correctement traités comme le produit de disposition de biens en immobilisation et se soldent par :

 

i)        un gain en capital imposable conformément à l’alinéa 38a), 39(1)a) et 40(1)a) de la Loi;

 

          et,

 

ii)       un revenu tiré d’une entreprise qu’il faut inclure conformément au paragraphe 14(1) de la Loi ou, subsidiairement, l'inclure conformément à l’article 9 de la Loi.

 

Observations de l’appelante

 

[25]   L’avocat de l'appelante a divisé le versement reçu par l’appelante en 1997 en deux éléments :

 

(1)      tous les paiements versés conformément au jugement de la juge Bell représentaient des paiements effectués en application de la police d’assurance et, par conséquent, l’indemnité reçue en application de cette police d’assurance, à l'exception de celle se rapportant à la perte d’exploitation de 450 000 $, n’est pas, selon lui, un gain en capital, mais plutôt un gain fortuit et il convient de considérer le montant de 450 000 $ comme un revenu tiré d’une entreprise;

 

(2)      le paiement de 1 500 000 $ a été effectué en vertu du règlement conclu dans le cadre de la deuxième poursuite et représentait des dommages-intérêts punitifs et, en conséquence, n’est pas imposable; subsidiairement, s'il ne représente pas des dommages-intérêts punitifs, il est un gain fortuit non imposable et n'est donc pas un revenu tiré d’une entreprise.

 

Observations de l’intimée

 

[26]   Concernant les paiements reçus conformément au jugement de la juge Bell, l’avocat de l'intimée accepte qu’ils soient des montants reçus à titre d’indemnité en application de la police d’assurance. Il était toutefois d’avis que, sauf pour les 450 000 $ que l’appelante a reconnus comme étant un revenu, ces montants représentaient le produit de disposition de biens en immobilisation qui se soldent par un gain en capital imposable.

 

[27]   Concernant le montant de 1,5 million de dollars, l’avocat de l'intimée a d’abord suggéré qu’on a versé ce montant à l’appelante conformément au jugement de la juge Bell à titre de coût de remplacement du bien détruit et qu’il faut donc le qualifier comme le produit de disposition du bien détruit qui, par conséquent, se solde par un gain en capital. L’intimée a de plus soutenu que, même si cette cour devait conclure que ce versement n’avait pas été fait en application des polices d’assurance, le paiement en litige n'est pas pour autant un gain fortuit. Il serait, à son avis, un dédommagement pour des pertes de revenu futures, car l’entreprise de l’appelante était paralysée. L’appelante serait donc réputée comme ayant eu un bien incorporel et c’est pourquoi le montant qu’il faut inclure dans le revenu tombe sous le coup du paragraphe 14(1) de la Loi et doit être imposé au même taux qu’un gain en capital (c’est-à-dire, en 1997, sur 75 pour cent du montant reçu). Quoi qu'il en soit, les paiements ne représentent pas un gain fortuit non imposable sous la forme de dommages-intérêts punitifs.

 


Analyse

 

I.       Traitement fiscal du montant de 3 698 935 $ accordé par la juge Bell.

 

[28]   Le montant de 3 698 935 $ représente le total d’un montant de 450 000 $ accordé pour perte d’exploitation et d’un montant de 2 982 986 $ accordé pour la valeur marchande du bâtiment et de son contenu, plus les intérêts.

 

[29]   L’appelante reconnaît que les 450 000 $ reçus pour la perte d’exploitation devraient être considérés comme un revenu tiré d’une entreprise.

 

[30]   Toutefois, l’appelante n’était pas d’accord sur le fait d’inclure dans le revenu le solde du montant accordé par la juge Bell. Bien que l’avocat de l'appelante ait reconnu que tous les paiements faits conformément au jugement de la juge Bell étaient des paiements versés conformément à la police d’assurance, il a affirmé que le produit de disposition de la police d’assurance ne se solde pas par un gain en capital. Cette argumentation se fondait sur le fait que la juste valeur marchande de la scierie était plus élevée que le montant reçu par l’appelante en règlement de ses réclamations. On a constaté précédemment que l’appelante avait acheté la scierie à un prix bien en dessous de sa juste valeur marchande. En effet, le prix d’achat était de 725 000 $ tandis que le rapport d’évaluation estimait le bien à 1 850 000 $ au minimum au jour de l’acquisition. En outre, les compagnies d’assurance avaient accepté d’assurer le bien amélioré pour 5 750 000 $.

 

[31]   L’avocat de l'appelante pensait que cette évaluation a joué un rôle-clé pour déterminer le gain. Il a défini un gain comme [TRADUCTION] « un accroissement de richesses généré par des circonstances économiques » (voir les transcriptions à la page 131.) Au paragraphe 14 de ses observations écrites, l’avocat de l’appelante déclare que [TRADUCTION] « l’affaire traite d’une acquisition d’un actif en dessous de la valeur marchande où la différence entre la juste valeur marchande et la contrepartie représente un gain fortuit, et il n’y a pas de 'gain', étant donné qu’il n’y a pas d’augmentation réelle de l'avoir. »

 

[32]   Cette argumentation ne tient pas devant la loi. De la façon dont la Loi est structurée, sauf indication contraire, ce n’est pas l’évaluation du bien qui détermine l’existence d’un gain en capital possible, mais plutôt l’excédent éventuel du produit de disposition du bien sur le prix de base rajusté du bien. Le calcul d’un gain ou d’une perte en capital se trouve au sous-alinéa 40(1)a)(i) de la Loi, qui se lit ainsi :

 

ARTICLE 40:  Règles générales.

 

4403

 

(1) Sauf indication contraire expresse de la présente partie :

 

a) le gain d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, de la disposition d'un bien est l'excédent éventuel :

(i) en cas de disposition du bien au cours de l'année, de l'excédent éventuel du produit de disposition sur le total du prix de base rajusté du bien, pour le contribuable, calculé immédiatement avant la disposition, et des dépenses dans la mesure où celles-ci ont été engagées ou effectuées par lui en vue de réaliser la disposition, [...]

 

[33]   Une disposition de biens est définie ainsi à l’article 54, qui s’applique pour l’année d’imposition en litige :

 

« disposition de biens » – « disposition de biens » Sont compris dans la disposition de biens, sauf dispositions contraires expresses :

 

a) toute opération ou tout événement donnant droit au contribuable au produit de disposition de biens;

 

[34]   Un montant payable en application d’une police d’assurance, en ce qui concerne la perte ou la destruction de biens, est un « produit de disposition » conformément à la définition de cette expression donnée à l’article 54.

 

« produits de disposition  » – « produits de disposition  » Sont compris dans le produit de disposition d'un bien :

 

[...]

 

c) toute indemnité afférente à la destruction de biens, et toute somme payable en vertu d'une police d'assurance du fait de la perte ou de la destruction de biens;

 


[35]     Le prix de base rajusté est aussi défini à l’article 54 :

 

« prix de base rajusté » – « prix de base rajusté » S'agissant du prix de base d'un bien quelconque pour un contribuable à un moment donné s'entend, sauf dispositions contraires :

 

a) lorsque le bien entre dans la catégorie des biens amortissables du contribuable, du coût en capital du bien, supporté par lui, à ce moment;

 

b) dans les autres cas, du coût du bien, pour le contribuable, rajusté à ce moment, conformément à l'article 53;

 

       [...]

 

d) le prix de base rajusté d'un bien pour le contribuable à un moment donné ne peut, en aucun cas, être inférieur à zéro.

 

[36]     Sauf disposition contraire de la Loi dans le cas d'opérations particulières, la juste valeur marchande ne joue aucun rôle dans le calcul d’un gain ou d’une perte en capital. Comme l’avocat de l'intimée l’avait remarqué, il n’existe pas « une majoration automatique » du prix de base rajusté du bien acheté à un prix avantageux par rapport à sa juste valeur marchande. La juste valeur marchande s’applique seulement si, par exemple, un contribuable acquiert un bien par donation, legs ou succession. Dans un tel cas, le contribuable est réputé avoir acquis le bien à sa juste valeur marchande conformément à l’alinéa 69(1)c) de la Loi.

 

[37]     Dans la présente affaire, l’appelante n’avait pas acquis la scierie pour rien, c’est-à-dire par donation, legs ou succession. L’appelante, après des négociations avec l'administrateur judiciaire, a pu acheter le bien à un certain prix. En conséquence, il n’existe pas de disposition déterminative qui s’applique ici pour majorer le prix d’acquisition à la juste valeur marchande du bien au moment de son acquisition. En conséquence, le gain doit être calculé selon la règle générale prévue à l’alinéa 40(1)a) de la Loi, cité ci-dessus.

 

[38]     Dans la présente affaire, la cotisation de l’appelante a été établie dès que celle-ci a produit sa déclaration de revenu, et on a calculé le gain en capital d’après les divers produits de disposition et chiffres des prix de base rajustés donnés par l’appelante. Aucun de ces chiffres n’a été rajusté et l’appelante ne les a pas contestés lors de l’audience.

 

[39]     En conséquence, la cotisation sera maintenue en ce qui concerne le montant accordé par la juge Bell.

 

II.       Le montant de 1,5 million de dollars qui a été convenu entre les compagnies d’assurance et l’appelante dans le règlement des actions en justice.

 

[40]     La question qui se pose dans cette affaire est : « Qu’est-ce que le paiement effectué par les compagnies d’assurance est censé dédommager? »

 

[41]     L’avocat de l'intimée a d’abord suggéré qu’on a versé ce montant à l’appelante conformément au jugement de la juge Bell à titre de coût de remplacement du bien détruit et qu’il faut donc le qualifier comme le produit de disposition du bien détruit se soldant par un gain en capital. En effet, à la page trois de son jugement, la juge Bell précisait [TRADUCTION] « qu’en exécutant les modalités de l’avenant des polices d’assurance relatives au coût de remplacement [. . .], [l’appelante] aura alors droit de recevoir des compagnies d’assurance une somme supplémentaire de 2 017 004,00 $ ». (Pièce A-1, onglet 6).

 

[42]     Selon l’avocat, le paiement de 1,5 million de dollars correspond au dédommagement effectué par les compagnies d’assurance.

 

[43]     L’avocat de l'intimée a invoqué la lettre (pièce A-1, onglet 11) signée par Me Leamen (avocat de l’appelante à l’époque) dans laquelle ce dernier fait mention que, pendant la semaine du 9 décembre 1996, les compagnies d’assurance ont renoncé à la condition de la police exigeant que la scierie soit reconstruite avant le versement de l’indemnité couvrant le coût de remplacement. Cela a été apparemment suivi d’une offre plus importante – de 1,5 million de dollars – que les compagnies d’assurance étaient prêtes à verser.

 

[44]     M. Leamen a toutefois poursuivi en affirmant qu’« en contrepartie de l’accord par les compagnies d’assurance de verser ce 1,5 million de dollars,  [l’appelante] devait renoncer à sa réclamation en ce qui concerne [la deuxième poursuite] ».

 

[45]     Cela nous amène à l’argumentation de l’appelante qui prétend que 1,5 million de dollars n'a pas été versé conformément à la police d’assurance, mais que cette somme correspondait à des dommages-intérêts pour des actes illicites des compagnies d’assurance, c’est-à-dire pour refuser de verser les paiements en application des polices d’assurance et pour les retards dans les versements. D’après l’avocat de l’appelante, ce montant de 1,5 million de dollar a été versé à titre de dommages-intérêts punitifs et il n’était pas imposable. L’appelante a de plus prétendu que ce montant a été versé comme un moyen pour les compagnies d’assurance de se débarrasser d’une dette éventuelle embarrassante et qui pourrait s’avérer très coûteuse. L’avocat a invoqué la décision de la Cour fédérale, Section de première instance, dans Mohawk Oil Co. c. Canada, C.F., 1re inst., no T-1935-88, 11 juillet 1990 ([1990] F.C.J. No. 617 (Q.L.)), en soutenant qu’un tel paiement n’est pas imposable. Avant d’aller plus loin, il est important de souligner ici que cette décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale qui a statué, dans un jugement figurant dans [1992] 2 C.F. 485 (C.A.), qu’on ne peut pas considérer le montant versé en vertu du règlement comme étant « comparable à un gain fortuit » simplement parce que le bénéficiaire du paiement a dit que le payeur s’était exécuté seulement pour se débarrasser de la réclamation.

 

[46]     Pour finir, l’intimée a soutenu que, si cette cour devait conclure que le paiement en litige n’a pas été fait en vertu des polices d’assurance, ce paiement néanmoins n'est pas un gain fortuit. Le paiement devrait recevoir le même traitement fiscal qu’on aurait donné pour l’opération pour laquelle l’appelante a été indemnisée. L’avocat de l'intimée a invoqué un passage dans La Reine c. Manley, [1985] 2 C.F. 208 (C.A.) (85 DTC 5150), dans lequel la Cour d’appel fédérale applique en droit canadien la règle de la substitution exprimée par le juge Diplock dans London et Thames Haven Oil Wharves, Ltd. v. Attwooll, [1967] 2 All E.R. 124, à la page 134 FF. Je cite ce passage tiré de Manley, ci‑dessus, aux pages 218-19 :

 

            Dans cette affaire, le contribuable avait reçu, en règlement d'une action en dommages-intérêts pour négligence, la somme de 21 404 £ pour la perte de l'usage d'un bien générateur de revenus pour la durée de sa réparation. Le litige dont la Cour était saisie portait sur l'imposition de cette somme. La règle elle-même est énoncée à la deuxième phrase du deuxième paragraphe du passage cité ci-dessous. Je crois toutefois souhaitable de citer assez longuement l'opinion exprimée par le lord juge Diplock [aux pages 134 et 135], car le contexte dans lequel la règle est énoncée constitue, à mon avis, un argument convainquant de son bien-fondé.

[...][TRADUCTION] La question de savoir si la somme d'argent qu'a reçu un commerçant doit être prise en compte dans le calcul des bénéfices qu'il a tirés de son commerce dans une année donnée est une question qui devrait pouvoir être réglée en appliquant un critère rationnel. À mon avis, c'est tout à fait possible. Je ne crois pas que la jurisprudence soit figée au point de nous empêcher de faire appel à la logique pour régler cette question de droit, et ce, même s'il s'agit d'une question de droit fiscal. Voilà précisément, non sans une certaine témérité, ce que je vais tenter de faire.

Je commence par formuler ce que je crois être la règle applicable. Chaque fois qu'un commerçant reçoit, en vertu d'un droit, de quelqu'un d'autre, une indemnité au lieu d'une somme d'argent qui aurait été comptabilisée dans les profits réalisés au cours d'une année, dans le commerce qu'il exploitait à l'époque où il a reçu l'indemnité, il y a lieu de traiter cette indemnité pour fin d'impôt de la même manière que la somme d'argent l'aurait été si l'indemnité ne l'avait pas remplacée. La règle s'applique quelle que soit l'origine du droit du commerçant de recevoir l'indemnité. Elle peut résulter d'une obligation directe en vertu du contrat, comme dans un contrat d'assurance; d'une obligation incidente à cause de l'inexécution d'un contrat, comme le droit à des dommages-intérêts liquidés comme dans la clause de surestarie dans une charte-partie, ou de dommages non liquidés; d'une obligation d'indemniser pour délit ou, comme en l'espèce; d'une obligation légale ou encore de toute autre façon dont l'obligation peut naître.

L'origine d'un droit se rapporte toutefois à la première question que soulève l'application de la règle à un cas particulier, c'est-à-dire la détermination de l'objet de l'indemnité. Si l'on conclut que l'indemnité a été payée au commerçant parce qu'il n'a pas reçu une certaine somme d'argent, la deuxième question qui se pose est de savoir si cette somme, eut-elle été versée au commerçant, aurait été comptabilisée dans les profits réalisés, au cours d'une année, dans le commerce qu'il exploitait au moment du versement, c'est-à-dire, pour être bref, aurait-elle constitué ce que j'appellerais un produit de ce commerce. L'origine du droit à l'indemnité n'est pas pertinente à la solution du deuxième problème. La méthode utilisée pour établir l'indemnité dans ce cas particulier n'indique pas ce qu'elle a servi à payer; ce n'est rien de plus qu'un facteur qui aide à la solution d'un problème d'identification.

 

[47]     Pour déterminer le traitement fiscal de la somme de 1,5 million de dollars établie dans le règlement, il faut considérer la nature véritable du paiement. Cela vaut la peine de reproduire le passage suivant rédigé par Lord Fraser dans Raja's Commercial College v. Gian Singh & Co Ltd., [1976] STC 282 (P.C.) aux pages 284-85, cité par la Cour d’appel fédérale dans l'arrêt Mohawk Oil, précité, à la page 499 :

 

           [TRADUCTION]

La question de savoir si les sommes accordées par les tribunaux constituent un revenu, assujetti ou non à l'impôt sur le revenu, s'est soulevée dans plusieurs causes publiées. Ces sommes ont connu différentes appellations: les mots « dommages-intérêts », « intérêt » et « indemnité » ont tous été utilisés, mais, refusant de se laisser enchaîner par la terminologie utilisée, les tribunaux ont toujours essayé d'aller au-delà et « de résoudre la question de fond » pour employer les termes du juge Rowlatt dans l'arrêt Simpson v. Bonner Maurice's Executors ((1929) 14 Tax Cas 580,  p. 592) relativement à la nature véritable de cette somme. [C'est moi qui souligne.]

 

[48]     Dans la déclaration qu'elle a déposée lors de la deuxième poursuite, l'appelante a fait une réclamation en dommages-intérêts compensatoires, comprenant les frais de reconstruction et la perte de revenu, de l'ordre de 10 millions de dollars et en dommages-intérêts punitifs de l'ordre de 1 million de dollars. Dans sa réclamation, l’appelante renvoie au fait que les compagnies d'assurance étaient tenues, en vertu du jugement du juge Bell rendu dans le cadre de la première poursuite, d'indemniser l’appelante en application des polices d’assurance. Les allégations faites à l’appui de la réclamation de l’appelante lors de la deuxième poursuite font d’abord allusion à la négligence des compagnies d’assurance en s’acquittant de la démolition du bâtiment de la scierie détruit par l’incendie. L’appelante prétendait dans sa réclamation que cette négligence avait provoqué des dommages à deux bâtiments contigus, engendrant un coût de remplacement de 500 000 $ environ, pour lequel l’appelante tient les compagnies d’assurance responsables.

 

[49]     Les autres allégations faites dans la déclaration lors de la deuxième poursuite se rapportent principalement au fait que les compagnies d’assurance n’ont pas exécuté leurs obligations d’indemniser. Ce défaut a empêché l’appelante de reprendre ses activités commerciales la première année après l’incendie – c’est-à-dire, dans les douze mois se terminant le 7 janvier 1992 – et les années suivantes. Il vaut la peine de reproduire ces allégations, qui figurent aux paragraphes 11 à 17 de la déclaration lors de la deuxième poursuite (pièce A-1, onglet 12):

 

           [TRADUCTION]

 

11.     Les polices d’assurance, citées au paragraphe 3 de ce document, stipulaient que la demanderesse serait dédommagée pour des pertes d’exploitation pour une période maximale d’un an qui prenait fin le 7 janvier 1992 ou avant. La demanderesse s’attendait, selon les modalités des polices d’assurance qui lui donnaient droit à une indemnité dans le cas d’un incendie, à recevoir des fonds suffisants pour reconstruire la scierie endommagée et reprendre ses activités commerciales. Une fois que la demanderesse aurait reconstruit le bâtiment détruit de la scierie et remplacé le contenu détruit, la demanderesse aurait droit aux prestations d'assurance selon la valeur de remplacement au terme des polices d’assurance.

 

12.     Selon les modalités des polices d’assurance, la valeur marchande réelle du bâtiment détruit et de son contenu ainsi que les pertes d’exploitation encourues par la demanderesse auraient dû être versées par les défenderesses avant le 1er juillet 1991. C’est à cause du défaut des défenderesses d'exécuter leurs obligations relatives aux indemnités envers la demanderesse que cette dernière n’a pas pu reprendre ses activités commerciales au cours de la première année qui a suivi l’incendie, se terminant le 7 janvier 1992. Les défenderesses continuent à ne pas exécuter leurs obligations relatives aux indemnités et, jusqu’à ce jour, la demanderesse n’a donc pas pu reconstruire la scierie ou reprendre ses activités à compter de cette date et pour un avenir prévisible.

 

13.     En plus, les défenderesses ont refusé de collaborer avec la demanderesse pour l’aider à reprendre ses activités commerciales :

 

a) les défenderesses n’ont pas accepté de reporter la perception des paiements hypothécaires pour permettre à la demanderesse d'obtenir un financement à cette fin;

 

b)   les défenderesses n’ont pas accepté de reporter la perception des paiements hypothécaires ou de signer une garantie de jouissance paisible pour permettre à la demanderesse de louer son séchoir à bois à une partie intéressée; et

 

c)    les défenderesses, au printemps 1996, n’ont pas fourni l’aide nécessaire à la demanderesse pour prévenir la démolition de deux autres constructions mentionnées aux paragraphes 7 et 8 de ce document, malgré qu’elles avaient la possibilité de le faire.

 

14.     La demanderesse souligne qu’en plus d’empêcher la demanderesse de reprendre son activité de sciage du bois dans un climat économique qui lui aurait permis de faire un bénéfice important, et de payer les dépenses courantes, y compris les taxes municipales de la scierie, la conduite des défenderesses a été capricieuse et irresponsable et les défenderesses ont fait preuve de mauvaise foi et d'un mépris total des droits de la demanderesse et de leur obligation fiduciaire à l’égard de la demanderesse.

 

15.     La demanderesse précise que, pour chaque année débutant le 7 janvier 1992 jusqu’à la date où la scierie doit être reconstruite, elle aurait pu faire face aux frais d’exploitation, y compris les taxes municipales et les coûts normaux d’entretien  de la scierie et recueillir des bénéfices de plus de 500 000,00 $.

 

16.     Étant donné que les défenderesses ont empêché la demanderesse de reprendre son activité de sciage du bois, cette dernière a subi l’empiétement par d’autres scieries sur son approvisionnement en billots et sur sa clientèle, ce qui réduira les revenus et bénéfices de la demanderesse une fois que sa scierie reprendra ses activités.

 

17.     En raison du défaut des défenderesses d’exécuter en temps utile leurs obligations relatives aux indemnités envers la demanderesse, cette dernière a subi et continuera à subir des préjudices.

 

[50]     Il est clair, selon moi, que la deuxième poursuite a été intentée par l’appelante pour obtenir des dommages-intérêts en raison du défaut par les compagnies d’assurance d’exécuter leurs obligations en application des polices d’assurance ou en vertu du jugement de la juge Bell. Il est aussi clair que le montant prévu dans le règlement a été obtenu par négociation entre les parties concernées et qu’il y avait un accord exprès entre les parties de se décharger mutuellement de tous recours relatifs à l’incendie (pièce A-1, onglet 1).

 

[51]     Bien que la juge Bell a accordé dans son jugement un montant de 2 017 004 $ pour les frais de reconstruction du bâtiment, et quoique je reconnaisse que cela était vraiment important dans les négociations entre l’appelante et les compagnies d’assurance, je ne suis pas convaincue que le montant de 1,5 million de dollars prévu dans le règlement a été versé pour se conformer au jugement. En effet, le jugement exigeait que le bâtiment soit reconstruit, ce qui n’a jamais été réalisé, et M. Yantha a témoigné que, le jour où les compagnies d’assurance ont conclu le règlement en décembre 1996, elles savaient que jamais la reconstruction n'aurait lieu.

 

[52]     La question reste donc de savoir si, dans la nouvelle cotisation faisant l’objet de l’appel, ce montant supplémentaire de 1,5 million de dollars considéré comme un produit de disposition, ajouté au revenu dans une proportion de 75 pour cent, a été traité comme il se doit. Dans la nouvelle cotisation, 517 011 $ de cette somme est attribuable au produit de disposition des bâtiments et 982 989 $ à une perte de revenu. On a traité ce dernier montant comme le produit de disposition de biens incorporels, soit une indemnisation pour la totalité du fonds commercial de l’entreprise.

 

[53]     L’appelante a fait valoir que la totalité du montant de 1,5 million de dollars a été versée à titre de dommages-intérêts punitifs et donc n’est pas imposable (voir Bellingham c. Canada (C.A.), [1996] 1 C.F. 613 (96 DTC 6075)). Cette argumentation ne tient pas. Premièrement, le montant réclamé à titre de dommages-intérêts punitifs s’élevait à 1 million de dollars et non à 1,5 million de dollars. Deuxièmement, les dommages-intérêts punitifs sont accordés par une cour dans des cas exceptionnels lorsque la mauvaise conduite est si « malveillante, opprimante et abusive qu'elle choque le sens de dignité de la cour » (voir Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130  au paragraphe 196). Dans l'arrêt Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, aux pages 1105-06, le juge McIntyre a écrit ce qui suit :

 

Quand peut-on accorder des dommages-intérêts punitifs? Il ne faut jamais oublier que lorsqu'elle est imposée par un juge ou un jury, une punition est infligée à une personne par un tribunal en vertu du processus judiciaire. [...] L'imposition d'une telle peine ne peut se justifier par la conclusion qu'il y a eu méfait donnant ouverture à un droit d'action et qui a causé le préjudice allégué par le demandeur.

 

[54]     Dans les présentes, l'appelante n'a pas reçu de dommages-intérêts punitifs. En effet, dans le jugement par défaut qui a été annulé plus tard, la Cour accordait à l'appelante 483 188 $ plus TPS à titre de dommages-intérêts et 2 700 000 $ pour des pertes de revenu au cours de six années (1992-1997), plus les intérêts avant jugement. Après l’annulation du jugement par défaut, les parties ont finalement réglé l’affaire, en se mettant d’accord sur le paiement d’un montant supplémentaire de 1,5 million de dollars que les compagnies d’assurance devaient verser en plus de ce que la juge Bell avait déjà accordé. Dans la nouvelle cotisation de l’appelante, le ministre a attribué un montant de 517 011 $ pour les bâtiments, basé sur les dommages-intérêts accordés dans le jugement par défaut (483 188 $ + 7% TPS = 517 011$). En réalité, cela correspond au montant d’environ 500 000 $ mentionné par l’appelante dans sa déclaration de la deuxième poursuite à titre de coût de remplacement pour les deux bâtiments démolis. Le ministre a attribué le solde pour les pertes de revenu, comme on l’a fait dans le jugement par défaut.

 

[55]     L’appelante a précisé que le jugement par défaut a été annulé et qu’il n’y a pas de fondement pour l’attribution faite le ministre. Cela pourrait être le cas, mais l’appelante avait le fardeau de prouver que cette attribution n’était pas raisonnable dans les circonstances. La quittance de règlement total et définitif correspond au montant total accepté par les parties à la suite du règlement relatif à l’ensemble des actions en justice, mais n’affecte pas un montant à une réclamation particulière. M. Yantha a témoigné que la totalité du montant de 1,5 million de dollars était attribuable aux dommages-intérêts punitifs. Aucun représentant des compagnies d’assurance n’a été appelé à témoigner.

 

[56]     De mon point de vue, le témoignage de M. Yantha n’est pas pertinent à cet égard. Il a témoigné que le montant versé en vertu du règlement de 1,5 million de dollars  devrait être qualifié seulement de dommages-intérêts punitifs parce que son comptable lui a dit que les dommages-intérêts punitifs n’étaient pas imposables. C’est une preuve intéressée sur laquelle je ne puis m'appuyer. Considérant que les dommages-intérêts punitifs sont normalement accordés par une cour pour mauvaise conduite malveillante et opprimante, il serait surprenant que les compagnies d’assurance accepteraient volontairement de verser des dommages-intérêts à l’appelante pour ces motifs.

 

[57]     De plus, d’après la déclaration de la deuxième poursuite, il est raisonnable de penser que les 1,5 million de dollars étaient une indemnisation pour les bâtiments détruits et pour les pertes de revenus. En réalité, on peut déduire du jugement de la juge Bell et des plaidoiries de la deuxième poursuite que, bien que les compagnies d’assurance n’accepteraient pas cela, l’appelante recherchait dès le début, et sans doute pendant les négociations menées en vue d'en arriver à un règlement, à obtenir restitution intégrale. Cela comprenait l’indemnisation pour les pertes de revenus et pour les biens détruits. Comme il a été dit dans l'arrêt Mohawk Oil, précité, une telle indemnisation n’est pas comparable à un gain fortuit 

 

[58]     La situation présente doit être distinguée de celle dans l'arrêt Bellingham, précité, auquel l’avocat de l'appelante a fait référence. En décidant que l’allocation de dommages-intérêts punitifs constituait un gain fortuit, le juge Robertson a statué que « [l]e facteur essentiel est que les dommages-intérêts punitifs qui ont été octroyés ne découlent ni de l'exécution d'une opération commerciale, ni du manquement à une telle opération (page 635) ». Dans l'arrêt Bellingham, l’allocation de dommages-intérêts punitifs émanait de la Expropriation Act de l’Alberta, qui impose comme une question d’ordre public que les autorités expropriantes doivent payer une amende pénale lorsque leur comportement ne respecte pas une norme établie. En conséquence, « [l]e paiement en question ne [découlait] pas d'une entente expresse ou implicite entre les parties. Il n'y [avait] pas d'élément d'échange ou de compromis. Il n'y [avait] pas de contrepartie. Il n'y [avait] pas de contre-prestation de la part du contribuable. Le paiement [était] simplement un gain fortuit et, par conséquent, ne peut constituer un revenu au sens de l'alinéa 3a) de la Loi ». (Voir l'arrêt Bellingham, précité, page 636 (DTC : 6082)).

 

[59]     Dans la présente affaire, rien de ce qu’on a mentionné plus haut n'est vrai. Il n’y a pas de preuve justifiant la thèse que le montant versé en vertu du règlement constitue des dommages-intérêts punitifs. À mon avis, la preuve corrobore l’attribution faite par le ministre. Le ministre a considéré le montant attribué pour les pertes de revenu comme produit de disposition de biens incorporels. Par conséquent, 75 pour cent du montant versé en vertu du règlement est inclus dans le revenu. D’après ce que j’ai compris, le ministre a adopté le point de vue selon lequel l’entreprise de l’appelante était matériellement paralysée après qu’elle eut attendu si longtemps pour recevoir une indemnisation, assez pour arriver à un montant égal à la perte totale du fonds commercial. Cela a conduit l’intimée à conclure que l’appelante avait disposé d’un bien incorporel. Cette situation tourne à l’avantage de l’appelante, qui n’a pas été imposée sur le montant reçu, mais seulement sur 75 pour cent de ce montant.

 

[60]     L’appelante a fondé toute son argumentation sur le fait qu’aucun montant versé en vertu du règlement n’était imposable. Étant donné ma conclusion, il n’est pas nécessaire que je décide si le ministre avait raison de traiter le montant versé en vertu du règlement comme le produit de disposition de biens incorporels plutôt que comme un revenu. En effet, il ne revient pas à cette cour le pouvoir d’augmenter l'impôt fédéral à payer.

 

[61]     Dans les circonstances, je conclus que l’appelante n’a pas démontré, selon la  prépondérance des probabilités, que le ministre s’était trompé en établissant sa nouvelle cotisation.

 


[62]     Pour ces motifs, je rejette l'appel avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'avril 2003.

 

 

«Lucie Lamarre»

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d'octobre 2003.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

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