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Dossier : 2001-3820(IT)I

ENTRE :

WILLIAM A. MULLEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 27 février 2002, à Edmonton (Alberta)

 

Devant : L’honorable juge M.A. Mogan

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

 

Avocate de l’intimée :

Me Margaret McCabe

____________________________________________________________________

JUGEMENT

 

          Les appels à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998 et 1999 sont admis avec frais, le cas échéant, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l’appelant a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu, une pension alimentaire de 8 000 $ pour l’année 1998 et de 1 440 $ pour l’année 1999.


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour d’avril 2003.

 

 

« M.A. Mogan »

J.C.C.I.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de février 2004.

Ginette Côté, trad. a.


 

 

 

Référence : 2003CCI195

Date : 20030401

Dossier : 2001-3820(IT)I

ENTRE :

WILLIAM A. MULLEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Mogan

 

[1]     La question à trancher dans les appels en l’instance est de savoir si l’appelant peut déduire, dans le calcul de son revenu, les montants versés pour subvenir aux besoins d’un enfant. Les faits ne sont pas contestés. En 1984‑1985, l’appelant a eu une relation avec une femme, que j’appellerai « F ». Il n’a jamais été l’époux ou le conjoint de fait de « F ». Après qu’ils eurent mis fin à leur relation, F a donné naissance à un enfant (« J ») en décembre 1985. En février 1986, l’appelant et F ont signé un « accord de paternité » en vertu de certaines lois de la province de l’Alberta, par lequel l’appelant s’engageait à verser 120 $ par mois pour subvenir aux besoins de J.

 

[2]     En 1992, l’appelant et son épouse Barbara ont divorcé et l’appelant a été obligé de verser à Barbara une pension alimentaire pour leurs deux filles nées en 1976 et 1978. Le paiement de cette pension alimentaire a pris fin en 1998, quand l’appelant a versé un montant global de 6 560 $ pour les deux filles. Dans chacune des années 1998 et 1999, l’appelant a payé un montant total de 1 440 $ (12 x 120 $) pour subvenir aux besoins de J. Dans le calcul de son revenu, l’appelant a demandé la déduction, à titre de pension alimentaire, d’un montant de 8 000 $ (6 560 $ plus 1 440 $) pour l’année 1998 et de 1 440 $ pour l’année 1999. Au moyen d’avis de nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national a refusé la déduction du montant de 8 000 $ pour 1998 et du montant de 1 440 $ pour 1999. L’appelant a interjeté appel de ces cotisations sous le régime de la procédure informelle. Seules les années 1998 et 1999 sont visées par l’appel.

 

[3]     Dans le cadre de son argumentation, l’avocat de l’intimée a admis que, pour l’année 1998, le montant de 6 560 $ est déductible à titre de pension alimentaire payée à Barbara pour subvenir aux besoins des deux filles. Par conséquent, la seule question à trancher dans chaque année est le montant de 1 440 $ (12 x 120 $) payé par l’appelant pour subvenir aux besoins de J. La disposition fondamentale de la Loi de l’impôt sur le revenu qui permet la déduction des pensions alimentaires est le paragraphe 60b) :

 

60        Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

 

a)         […]

 

b)                  le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

A – (B + C)

 

où :

 

A         représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée après 1996 et avant la fin de l’année à une personne donnée dont il vivait séparé au moment du paiement,

 

B          le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants qui est devenue payable par le contribuable à la personne donnée aux termes d’un accord ou d’une ordonnance à la date d’exécution ou postérieurement et avant la fin de l’année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement.

 

C         le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée à la personne donnée après 1996 et qui est déductible dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition antérieure;

 

Dans la formule énoncée précédemment, c’est le facteur « A » qui est le plus important parce que, si un contribuable particulier ne réussit pas à prouver qu’un montant satisfait à la définition de « A », il ne peut absolument rien déduire en vertu du paragraphe 60b). Le facteur « A » représente essentiellement le total des montants représentant chacun une « pension alimentaire ». Le paragraphe 60.1(4) incorpore la définition énoncée au paragraphe 56.1(4) dans les articles 60 et 60.1. La pension alimentaire est définie comme suit au paragraphe 56.1(4) :

 

56.1(4)             « pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui‑ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

 

a)         le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex‑époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui‑ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

 

b)         le payeur ou le père naturel ou la mère naturelle d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

 

[4]     En ce qui concerne la définition de « pension alimentaire », l’appelant ne peut pas demander la déduction de quelque montant en vertu de l’alinéa a) parce qu’il est un fait non contesté que F n’a jamais été son épouse ou sa conjointe de fait. À première vue, l’appelant ne peut pas non plus établir que les montants en question sont visés par l’alinéa b) parce qu’ils étaient payables en vertu d’un « accord de paternité » et non pas aux termes de  «l’ordonnance d’un tribunal compétent en conformité avec les lois d’une province ». Je dis à première vue, parce que l’avocate de l’intimée a attiré mon attention, en toute justice, sur certaines dispositions de la Parentage and Maintenance Act et de la Maintenance Enforcement Act (deux lois de l’Alberta), qui semblent jouer en faveur de l’appelant. Par souci de commodité, j’entends utiliser le sigle « PMA » pour désigner la Parentage and Maintenance Act et le sigle « MEA » pour désigner la Maintenance Enforcement Act.

 

[5]     À mon sens, les dispositions pertinentes de la PMA sont les suivantes :

 

          [TRADUCTION]

 

1          Aux fins de la présente loi

 

a)         « accord » s’entend d’un accord conclu en vertu de l’article 6 et englobe toute modification de celui‑ci;

 

b)         « enfant » s’entend d’un enfant né de parents qui ne sont pas mariés l’un à l’autre;

 

c)         « tribunal » s’entend de la Cour du Banc de la Reine;

 

k)         « ordonnance » s’entend d’une ordonnance rendue en vertu de la présente loi, et englobe toute modification de celle-ci;

 

l)          « parent » s’entend de la mère ou du père.

 

6(1)      Un parent peut consentir à payer une partie ou l’ensemble des frais visés au paragraphe (2) en concluant un accord, en la forme prévue par règlement, avec

 

a)         le Directeur,

 

b)         l’autre parent,

 

c)         toute autre personne ayant la garde et la surveillance de l’enfant du parent.

 

 

6(2)      Un accord peut porter sur une partie ou l’ensemble des éléments suivants :

 

a)         le paiement de frais raisonnables pour subvenir aux besoins de la mère

 

(i)         […]

 

b)         le paiement de frais raisonnables pour subvenir aux besoins de l’enfant avant la date de l’accord;

 

c)         le versement d’une allocation mensuelle ou périodique pour subvenir aux besoins  de l’enfant jusqu’à ce que celui‑ci atteigne l’âge de 18 ans;

 

d)         […]

 

7(1)      Sous réserve du paragraphe (5), une demande peut être adressée au tribunal en vue d’obtenir une ordonnance :

 

a)         déclarant que l’intimé est un parent pour l’application de la présente loi;

 

b)         ordonnant le paiement de la totalité ou d’une partie des frais mentionnés au paragraphe 16(2).

 

7(2)      La demande prévue au paragraphe (1) peut être faite par :

 

a)         l’un des parents,

 

b)         un enfant,

 

c)         une personne qui assure la garde et la surveillance d’un enfant;

 

d)         le Directeur, pour le compte du gouvernement, lorsque celui‑ci est subrogé dans les droits en vertu de l’article  14 de la Social Development Act.

 

Les dispositions de la PMA que je viens de reproduire sont à l’origine de l’accord de paternité signé en février 1986, qui a été produit sous la cote R‑1. Il existe un lien entre la PMA et la MEA. À mon point de vue, les dispositions pertinentes de la MEA sont les suivantes :

 

          [TRADUCTION]

 

1(1)      Aux fins de la présente loi,

 

d)         « pension alimentaire » s’entend d’une pension alimentaire ou d’une allocation d’entretien et comprend :

 

(i)         un montant payable à titre d’allocation périodique, annuellement ou autrement, pour une période indéterminée ou déterminée, ou jusqu’à ce que survienne un événement particulier,

 

(ii)        […]

 

e)         « ordonnance alimentaire » s’entend d’une ordonnance ou d’une ordonnance provisoire d’un tribunal de l’Alberta ou d’une ordonnance de protection de la Cour du Banc de la Reine rendue en vertu de la Protection Against Family Violence Act  ou d’une ordonnance — autre qu’une ordonnance conditionnelle non confirmée —, enregistrée en vertu de la Reciprocal Enforcement of Maintenance Orders Act, qui renferme une disposition exigeant le versement d’une pension alimentaire.

 

1(2)      Une entente conclue en vertu de l’article 6 de la Parentage and Maintenance Act ou de l’article 51 de la Income Support Recovery Act  est réputée être une ordonnance alimentaire en vertu de la présente loi.

 

12(1)    Le Directeur ou un créancier peut déposer auprès de la Cour du Banc de la Reine une ordonnance alimentaire qui n’a pas autrement été déposée auprès de la Cour et les dispositions de cette ordonnance se rapportant à la pension alimentaire sont dès lors réputées constituer un jugement de la Cour du Banc de la Reine.

 

[6]     Bien que l’article 7 de la PMA autorise l’un ou l’autre des parents à adresser une demande à la Cour du Banc de la Reine (Alberta) en vue d’obtenir une ordonnance déclarant qu’un particulier nommé est un parent et prescrivant le paiement de certains frais, aucune demande du genre n’a été adressée à la Cour dans l’affaire qui nous occupe. L’enfant J est né en décembre 1985 et c’est en février 1986 que l’appelant et F ont signé l’accord de paternité (pièce R‑1) en vertu de l’article 6 de la PMA. Conformément au paragraphe 1(2) de la MEA, l’accord de paternité est réputé être une « ordonnance alimentaire » en vertu de la MEA. Il est donc logique de se demander si la disposition déterminative du paragraphe 1(2) de la MEA attribue à l’accord de paternité (pièce R‑1) valeur d’ « [...]ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province » au sens de l’alinéa b) de la définition de « pension alimentaire » énoncée au paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu. À ce propos, voir le paragraphe 3 qui précède. La Cour s’est déjà penchée sur cette question dans des affaires antérieures. J’entends examiner ces affaires en respectant l’ordre chronologique.

 

[7]     Dans l’affaire Fantini c. La Reine (dossier de la Cour no 96-3863I, 5 décembre 1997), la contribuable était la mère d’une petite fille (T) née en janvier 1993. Mme Fantini et SW ont signé une entente alimentaire en juillet 1993 en vertu de la Parentage and Maintenance Act de l’Alberta. SW a reconnu qu’il était le père de T, bien qu’il n’ait jamais été l’époux ou le conjoint de fait de Mme Fantini. En vertu de cet accord, SW était tenu de payer 300 $ par mois à Mme Fantini pour subvenir aux besoins de T. Revenu Canada (ainsi qu’il était désigné à l’époque) a inclus ces montants dans le revenu de Mme Fantini pour les années 1993 et 1994. Celle‑ci a interjeté appel sous le régime de la procédure informelle au motif que la pension alimentaire n’aurait pas dû être incluse dans le calcul de son revenu imposable. En accueillant l’appel de Mme Fantini, le juge Bowman a fait observer ce qui suit :

 

13                Aucune ordonnance de tribunal obligeant le père à effecteur les paiements en question n’avait en fait été rendue. Le fait que, en vertu d’une loi provinciale, une entente alimentaire soit réputée être une ordonnance de tribunal (manifestement aux fins du Maintenance Enforcement Act) ne fait pas de cette entente une ordonnance aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale. Il ne s’agit pas d’une question constitutionnelle de compétence législative. C’est une simple question d’interprétation législative. Comme le lord juge James disait dans l’affaire Ex parte Walton; In re Levy, 17 Ch. D. 746, à la page 756 :

 

  [TRADUCTION]

 

 

Lorsqu’une loi dispose que quelque chose qui n’a pas réellement été fait est réputé avoir été fait, la Cour peut et doit déterminer à quelles fins et entre quelles personnes la fiction législative doit s’appliquer.

 

 

14        Cette observation avait été formulée dans le contexte de l’interprétation d’une loi. Elle s’applique à fortiori dans l’affaire en l’instance. En l’espèce, le ministre du Revenu national cherche à transposer dans une loi fédérale une fiction législative provinciale, ce qui ne peut se faire. Évidemment, le Parlement pourrait, par une formulation appropriée dans une loi fédérale, adopter aux fins de cette loi une fiction législative provinciale. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est produit ici. Cela semble aller de soi.

 

15        Je ne suis pas inattentif à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Hillis v. The Queen, 83 DTC 5365, dans lequel l’effet d’une disposition déterminative d’une loi de la Saskatchewan avait été considéré par rapport à la question de savoir quand un domaine devenait indéfectiblement dévolu. C’est, je pense, une illustration du principe énoncé dans le jugement Dale v. The Queen, 97 DTC 5252, à savoir que le ministre doit considérer les rapports juridiques entre des personnes tels qu’ils sont et que ces rapports sont dans la plupart des cas régis par le droit provincial. Il ne découle pas de ce jugement que, lorsqu’une chose est, aux fins d’une loi provinciale, réputée être quelque chose qu’elle n’est pas, cette signification factice peut s’appliquer aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[8]     Dans l’affaire Dale c. Canada, no A‑15‑94, 21 avril 1997 (C.A.F.) (97 DTC 5252), à laquelle renvoie le juge Bowman, un père et son fils avaient décidé de transférer des biens à une société en vertu de l’article 85 de la Loi de l’impôt sur le revenu en contrepartie de la prise en charge de l’hypothèque et de l’émission de certaines actions de la société. Le transfert a été effectué en 1985, mais, en 1988, on a découvert que la charte de la société n’avait pas été modifiée pour permettre l’émission des actions. En 1992, la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse a rendu une ordonnance confirmant l’émission des actions en cause avec effet rétroactif. Revenu Canada a établi une cotisation relativement à la cession du bien en tenant pour acquis que le transfert effectué en vertu de l’article 85 n’était pas valide parce que les actions n’avaient pas été valablement émises en 1985. Par une décision majoritaire, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel des contribuables. Le juge Robertson, s’exprimant pour la majorité, fait observer ce qui suit aux pages 9 et 10 (DTC : au paragraphe 18) :

 

D’après les faits de l’espèce, la Cour de la Nouvelle‑Écosse a accordé le 25 juin 1992 une ordonnance fondée sur l’article 44 de la Companies Act de la Nouvelle‑Écosse. À mon avis, toute objection alléguant que la Cour n’avait pas compétence pour délivrer cette ordonnance est sans aucun fondement. Si la législature d’une province autorise ses tribunaux à déclarer que des événements passés sont réputés s’être produits à une date antérieure, alors le ministre n’a pas le pouvoir de saper l’autorité de la loi en refusant de reconnaître l’effet manifeste de cet événement réputé. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas disposé à admettre que l’article 44 a l’effet révisionniste que lui prête le ministre. Il ne s’agit pas d’un cas où une ordonnance judiciaire déclare que des actions sont réputées avoir été émises alors qu’en fait elles ne l’ont pas été. Il s’agit plutôt d’un cas où les actions ont été émises, mais pas d’une façon valable tant que les lettres patentes supplémentaires n’ont pas été obtenues de l’Île‑du‑Prince‑Édouard ou que la Cour de Nouvelle‑Écosse n’a pas rendu l’ordonnance du 25 juin 1992. Après tout, personne n’a fait valoir que l’émission des actions était nulle et, bien entendu, cet argument n’aurait pu être soutenu.

                                                                                          (C’est moi qui souligne.)

 

[9]     Dans l’affaire Hollands c. La Reine, C.C.I. no 2001‑1203(IT)I ([2001] 4 C.T.C. 2755), le juge Teskey faisait face à une situation de fait semblable dans la province de l’Alberta. M. Hollands avait signé un accord de paternité avec MM, par lequel il reconnaissait être le père de son enfant et convenait de payer un montant fixe chaque mois pour subvenir à ses besoins. M. Hollands a déduit la pension alimentaire dans le calcul de son revenu pour les années 1998 et 1999, mais Revenu Canada a refusé la déduction. En accueillant l’appel de M. Hollands, le juge Teskey a dit ceci :

 

12        L’intimée a renvoyé la Cour à la décision rendue dans l’affaire Fantini c. La Reine, C.C.I., no 96‑3863(IT)I, 5 décembre 1997 ([1998] 2 C.T.C. 2256). Les faits de cette affaire sont presque identiques à ceux de la présente affaire. Dans cette affaire, mon collègue le juge Bowman (titre qu’il portait alors) a statué que la loi de l’Alberta en vertu de laquelle un accord en matière de pension alimentaire était réputé être une ordonnance d’un tribunal ne faisait pas de cet accord une ordonnance d’un tribunal aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. Dans ses motifs du jugement, le juge Bowman disait :

 

 

[...] En l’espèce, le ministre du Revenu national cherche à transposer dans une loi fédérale une fiction législative provinciale, ce qui ne peut se faire. Évidemment, le Parlement pourrait, par une formulation appropriée dans une loi fédérale, adopter aux fins de cette loi une fiction législative provinciale. Ce n’est toutefois pas ce qui s’est produit ici. [...]

 

 

13        Sauf le respect que je lui dois, je ne suis pas d’accord avec lui là‑dessus. En utilisant les mots «ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province », à l’alinéa 56.1(4)b) de la Loi, le législateur a décidé de transposer dans une loi fédérale les lois d’une province concernant des ordonnances. Si les lois d’une province s’appliquent de manière à créer une fiction législative, le ministre ne peut en décider autrement. L’accord est donc une ordonnance d’un tribunal.

 

[10]    Les décisions les plus récentes sur cet aspect du droit sont celles qui ont été rendues par le juge Bowie dans les affaires Fraser c. La Reine et Hewko c. La Reine, lesquelles portaient sur des faits semblables dans la province de l’Alberta. Le juge Bowie a entendu les affaires séparément, mais il a rendu ses jugements en même temps, ayant rouvert l’audition de chaque affaire pour entendre les arguments des parties sur une question constitutionnelle. On trouve un résumé de ses décisions à 2002 DTC 3905 et 3924‑3925. Le juge Bowie a demandé aux parties de lui présenter des arguments sur la question constitutionnelle seulement parce qu’il avait donné tort aux contribuables au sujet de l’interprétation de la Maintenance Enforcement Act (« MEA »). Dans ses décisions rendues le 2 juillet 2002, le juge Bowie a déclaré ce qui suit :

 

5          L’avocate de l’intimée m’a renvoyé à deux décisions antérieures de la Cour dans lesquelles une question en tous points semblables[sic] a été tranchée. Dans l’affaire Fantini c. Canada, le juge Bowman (tel était alors son titre) a statué que la loi de l’Alberta ne pouvait pas avoir un tel effet. […]

 

6          Le juge Teskey a été appelé à se pencher sur la même question dans l’affaire Hollands c. La Reine. Il a adopté un point de vue différent de celui du juge Bowman. […]

 

7          En ce qui concerne les sphères de compétence qui sont attribuées aux provinces en vertu de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, l’assemblée législative d’une province peut considérer qu’une chose est réputée être ce qu’elle n’est pas en réalité. À la condition qu’il n’y ait pas d’intrusion apparente dans la sphère législative attribuée au Parlement, cette façon de faire peut être justifiée à toutes fins utiles, si c’est le but visé par l’assemblée législative. Dans un cas de ce genre, le statut juridique de la chose réputée est établi par la loi provinciale, pour l’application des lois tant fédérales que provinciales. Cependant, ainsi que le juge Bowman de la Cour l’a fait observer dans l’affaire Fantini, la mesure dans laquelle le présomption s’applique doit être déterminée par interprétation de la loi provinciale. Il est très clair, selon moi, à l’examen du contexte et du libellé du paragraphe 1(2) de la MEA, que l’application est limitée à cette loi. En premier lieu, la présomption est mentionnée dans une disposition renfermant des définitions. Cela indique que son application est limitée à la loi dans laquelle elle se trouve. En deuxième lieu, l’entente est réputée être un ordonnance alimentaire « en vertu de la présente loi ». Cela aussi indique que l’application de la disposition déterminative est limitée à la réalisation des objets de la MEA. Elle vise à faire en sorte qu’une entente au sens de l’expression « ordonnance alimentaire », définie au paragraphe précédent, s’entende d’un certain nombre de types d’ordonnances mentionnées dans la disposition, y compris les ordonnances rendues par des tribunaux situés à l’extérieur de la province qui ont été enregistrées en vertu de la Reciprocal Enforcement of Maintenance Orders Act. La MEA crée un bureau du Directeur de l’application des ordonnances alimentaires. Son unique but est de voir à l’application de certains types d’ordonnances par le directeur, au profit des enfants, des conjoints et des ex‑conjoints qui sont les bénéficiaires de ces ordonnances. À cette fin, le directeur jouit de certains pouvoirs, et c’est uniquement à cette fin que l’entente en cause en l’espèce, de même que les ententes conclues en vertu de la Income Support Recovery Act et de la Child Welfare Act, sont réputées être comprises dans la définition d’« ordonnance alimentaire » pour l’application de la MEA.

 

8          Est‑ce que l’article 12, en vertu duquel une ordonnance alimentaire déposée auprès de la Cour du Banc de la Reine est réputée être un jugement de ce tribunal s’applique à d’autres lois que la MEA? Je ne le crois pas. Hors contexte, on pourrait penser qu’il s’applique, mais il doit être lu en conjugaison avec l’article 1. Si l’entente est réputée être une ordonnance alimentaire aux seules fins de la MEA, dès lors, l’application de l’article 12 à cette ordonnance doit également être limitée. J’en arrive donc à la conclusion que l’entente en vertu de laquelle l’appelant a versé la pension alimentaire n’est pas une « ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province » pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[11]    Il m’apparaît évident que l’objet de la Maintenance Enforcement Act (« MEA »), comme son titre l’indique, est de reconnaître certaines obligations de subvenir aux besoins du père, de la mère ou d’un enfant et de faciliter le respect de ces obligations. La définition d’ « ordonnance alimentaire » énoncée dans la MEA englobe trois types d’ordonnances, l’une étant une ordonnance « enregistrée en vertu de la Reciprocal Enforcement of Maintenance Orders Act  [...], exigeant le versement d’une pension alimentaire ». La plupart des provinces se sont dotées de lois prévoyant l’exécution réciproque des ordonnances alimentaires afin qu’une ordonnance alimentaire rendue dans une province puisse être exécutée dans une autre sans trop de difficultés. Pour ce qui est des obligations financières prévues en droit familial, une loi provinciale comme la MEA établit une politique sociale on ne peut plus réelle et souhaitable.

 

[12]    Au niveau fédéral, la Loi de l’impôt sur le revenu vise à encourager le respect de certaines obligations financières prévues en droit familial en permettant au payeur de déduire le montant payé dans le calcul de son revenu et en obligeant le bénéficiaire à inclure ce montant dans son revenu au motif que le revenu du payeur est généralement plus élevé que celui du bénéficiaire. Les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu qui s’appliquent à cet égard visent un objectif semblable à celui d’une loi provinciale comme la MEA. J’entends donc interpréter les dispositions pertinentes des lois fédérale et provinciales en tenant compte de ce qu’on peut généralement considérer comme un objectif commun.

 

[13]    À mon sens, les mots qui nécessitent interprétation sont ceux que l’on retrouve à l’alinéa b) de la définition de « pension alimentaire » au paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, c’est‑à‑dire « l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province ». À ce propos, voir le paragraphe 3 qui précède. En vertu de l’alinéa b), le montant doit être à recevoir en vertu d’une telle ordonnance pour être qualifié de « pension alimentaire ». En vertu de l’alinéa a) de la même définition, le montant peut être à recevoir « aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit ».

 

[14]    Si les parents naturels d’un enfant n’ont jamais été mariés ou n’ont jamais vécu en union de fait, un montant doit être versé en vertu d’une « ordonnance » pour être qualifié de « pension alimentaire ». Un montant versé en vertu d’un accord écrit ne sera pas accepté. Il existe une différence fondamentale entre une ordonnance et un accord écrit, en droit familial surtout. Une ordonnance offre l’avantage de pouvoir être exécutée dans n’importe quelle province, ce qui n’est pas le cas d’un accord indépendant.

 

[15]    Pour en revenir à la définition de « pension alimentaire » au paragraphe 56.1(4), un montant pourra être déduit en vertu de l’alinéa b) seulement s’il « est à recevoir aux termes de l’ordonnance […] ». L’article 6 de la PMA prévoit la signature d’un accord de paternité semblable à celui produit sous la cote R‑1. Le paragraphe 1(2) de la MEA porte qu’un accord conclu en vertu de l’article 6 de la PMA « est réputé être une ordonnance alimentaire en vertu de la présente loi. » En outre, une « ordonnance alimentaire » s’entend notamment, pour les fins de la MEA, « d’une ordonnance […] d’un tribunal de l’Alberta ». L’assemblée législative de l’Alberta est habilitée à considérer un accord de paternité conclu en vertu de l’article 6 de la PMA comme une ordonnance alimentaire. En effet, pour l’application de la PMA et de la MEA, il est souhaitable qu’un accord de paternité soit considéré de manière irréfutable comme une ordonnance alimentaire.

 

[16]    Étant donné qu’un accord de paternité conclu en vertu de l’article 6 de la PMA est réputé être « une ordonnance […] d’un tribunal de l’Alberta » en vertu du paragraphe 1(2) de la MEA, et vu que les paiements de 1 440 $ effectués par l’appelant dans les années 1998 et 1999 ont été faits en vertu d’un tel accord, je conclus que les montants en litige dans l’affaire qui nous occupe étaient à recevoir « aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province » au sens de l’alinéa b) de la définition de « pension alimentaire » énoncée au paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Je suis conforté dans ma conclusion par la décision rendue par la Cour d’appel fédérale  dans l’affaire Dale (voir le paragraphe 8 qui précède) dont je pourrais paraphraser un passage du jugement rendu par la majorité de la manière suivante : si l’assemblée législative d’une province considère qu’un accord particulier constitue une ordonnance d’un tribunal, il n’appartient pas au ministre du Revenu national de miner l’autorité de la législation provinciale en refusant de reconnaître que l’accord constitue l’ordonnance d’un tribunal compétent.

 

[17]    Je tiens également compte d’une observation formulée par le juge Bowie dans les décisions rendues dans les affaires Fraser et Hewko le 28 octobre 2002, où il a déclaré ce qui suit au paragraphe 6 :

 

6.                  […] je me dois de faire observer qu’il existe une politique législative particulière qui amène le législateur à prévoir une déduction dans le calcul du revenu des parents qui n’ont pas la garde des enfants lorsqu’il n’y a pas de relation maritale, s’ils ne remplissent pas leurs responsabilités et qu’ils sont plus tard obligés de le faire par une ordonnance de la cour, tout en refusant la déduction à ceux qui se portent volontaires pour partager le fardeau financier de la paternité et de la maternité en concluant un accord de pension alimentaire.  C’est une personne rare étant suffisamment astucieuse ou bien renseignée qui insistera pour qu’une ordonnance sur consentement soit rendue pour mettre à exécution son obligation volontaire.

 

À mon sens, la politique législative du Parlement n’a pas pour but d’accorder une déduction au parent irresponsable qui néglige de payer une pension alimentaire et contre qui il est nécessaire d’obtenir une ordonnance de la cour et de refuser semblable déduction à celui qui respecte un accord écrit. Pour éviter qu’on aboutisse à un tel résultat, je reconnais, à toutes fins utiles, la législation de l’Alberta, qui porte qu’un accord signé en vertu de l’article 6 de la PMA est réputé être une ordonnance rendue par un tribunal en vertu de la MEA.

 

[18]    J’ai lu attentivement les décisions rendues par mes collègues Bowman (tel était alors son titre) et Bowie dans les affaires Fantini, et Fraser et Hewko, respectivement. Je regrette de ne pas partager leurs points de vue sur l’application des lois provinciales pertinentes dans une affaire qui présente de nombreux points communs avec celles sur lesquelles ils ont été appelés à statuer. Les appels sont admis avec frais (le cas échéant).

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour d’avril 2003.

 

 

 

« M.A. Mogan »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de février 2004.

Ginette Côté, trad. a.

 

 

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