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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3468(IT)I

ENTRE :

HECTOR MacKINNON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 28 juin 2001 à Sydney (Nouvelle-Écosse) par

l'honorable juge T. E. Margeson

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Hugh R. McLeod

Avocats de l'intimée :                           Me Christa MacKinnon et

                                                          Me John Bodurtha

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de septembre 2001.

« T. E. Margeson »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010918

Dossier: 2000-3468(IT)I

ENTRE :

HECTOR MacKINNON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Margeson, C.C.I.

[1]      Au départ, l'affaire devait être entendue à Sydney (Nouvelle-Écosse) le 28 juin 2001. Ce jour-là, l'avocat de l'appelant a soulevé une objection préliminaire au motif que la Couronne avait l'intention de produire en preuve, lors du procès, le témoignage que l'appelant, Hector MacKinnon, avait donné dans le cadre du procès mettant en cause Sa Majesté la Reine et Ronald James MacKinnon et Theresa Darlene MacKinnon, relativement à l'application des alinéas 39(1)(a) et (b) de la Revenue Act de la Nouvelle-Écosse.

[2]      Lors de ce procès, l'appelant, Hector MacKinnon, avait été assigné à comparaître et contraint de témoigner. Une copie de la décision de la Cour a été présentée avant l'ouverture du procès en l'espèce, avec le consentement des parties. Lors du procès dans l'affaire précitée, l'appelant Hector MacKinnon avait revendiqué la possession de tabac de contrebande. En l'espèce, ce témoignage devait être produit en vue d'établir que l'accusé a omis de déclarer un revenu gagné dans les années 1995, 1996 et 1997. C'est sur le fondement de cette omission que l'on a établi à l'égard de l'appelant une nouvelle cotisation dans laquelle des montants ont été ajoutés à son revenu à titre de revenus d'entreprise nets tirés de la vente illégale de produits du tabac. Des pénalités ont également été imposées à l'appelant en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3]      L'avocat de l'appelant a fait valoir qu'admettre cette preuve contreviendrait à l'article 7 de la Charte des droits, dont voici le libellé :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Il a soutenu également que cela contreviendrait à l'alinéa 11c) de la Charte des droits, reproduit ci-après :

Tout inculpé a le droit :

c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche;

En outre, l'article 13 de la Charte des droits prévoit ceci :

Témoignage incriminant

Chacun a droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer dans d'autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires.

[4]      Les parties ont convenu que, si les arguments de l'appelant sont retenus, l'appel doit être admis, mais que, si les arguments de l'appelant sont écartés et que ceux de l'intimée sont acceptés, l'appel doit être rejeté sans qu'il faille produire d'autre preuve.

[5]      L'avocat de l'appelant ayant exprimé le désir de faire des observations écrites, la Cour lui a ordonné de déposer celles-ci le 16 juillet et d'en remettre une copie à l'avocate de l'intimée. La Cour a ordonné à l'intimée de déposer une réponse à ces arguments, le cas échéant, au plus tard le 31 juillet, et d'en remettre une copie à l'avocat de l'appelant. Les parties ont respecté leurs obligations à cet égard.

[6]      L'avocate de l'intimée a contesté le mémoire que l'avocat de l'appelant a déposé, soutenant que certaines des allégations factuelles qui y étaient faites n'avaient pas été prouvées devant la Cour. Ces allégations concernaient la question de savoir si le tabac auquel se rapporte la cotisation incluait le tabac saisi qui était en cause lors du procès de Ronald MacKinnon, et si le juge de première instance dans cette affaire avait cru le témoignage de ce dernier.

[7]      L'avocate de l'intimée soutient que, si la Cour souhaite fonder sa décision sur cette preuve, l'intimée doit avoir le droit de produire une preuve visant à montrer que le tabac saisi n'a pas été pris en compte dans les cotisations établies à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997.

[8]      Cet argument de l'avocate de l'intimée est fondé. Ces questions ne devaient pas être traitées dans les observations présentées à la Cour. Les observations en l'espèce ont été limitées à la question de savoir si un témoignage antérieur de l'appelant pouvait être admis en preuve ou si cela contrevenait aux dispositions de la Charte reproduites précédemment.

[9]      La Cour est convaincue que, compte tenu de l'entente intervenue entre les parties à l'audience, la question qu'elle doit trancher en l'espèce se résume à savoir si les cotisations établies à l'égard de l'appelant pour les années 1995, 1996 et 1997 -    dans lesquelles le revenu de l'appelant était majoré des montants tirés de la vente illégale de tabac au cours de ces années, à quoi s'ajoutent les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi - sont les « conséquences pénales réelles » dont il est question dans l'affaire Russel Thomas Taylor c. Sa Majesté la Reine, 93-238(IT)G (95 DTC 591), sans oublier les autres affaires qui ont été mentionnées par les avocats des deux parties. S'inspirant des propos de la juge Wilson dans l'affaire R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541 (45 D.L.R. (4th) 235), à la page 561 (D.L.R. : page 252), l'avocate de l'intimée a fait valoir que ce n'était pas le cas et que l'intention et l'objet qui sous-tendaient ces cotisations n'étaient pas de réparer le tort causé à la société, mais de maintenir la discipline à l'intérieur du régime d'autocotisation, qui est au coeur de nos lois fiscales.

[10]     L'avocate de l'intimée soutient que l'article 13 de la Charte n'accorde pas à l'appelant la protection à laquelle il prétend avoir droit puisque, dans la présente affaire, il ne sera « déclaré coupable » d'aucune infraction. Elle fait valoir que les procédures dont la Cour canadienne de l'impôt est saisie ne sont pas de la nature des poursuites au criminel, qu'il s'agit plutôt d'appels au civil. L'appelant a fait l'objet d'une nouvelle cotisation dans laquelle ont été inclus des montants au titre de revenus d'entreprise nets pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997. Il a été allégué que les revenus d'entreprise de l'appelant avaient été tirés de la vente illégale de produits du tabac. C'est de cette cotisation qu'il est maintenant interjeté appel à la Cour canadienne de l'impôt.

[11]     L'avocate de l'intimée a fait valoir que la protection que garantit la Charte contre l'auto-incrimination ne s'applique pas en l'espèce puisque les procédures qui se déroulent devant la Cour canadienne de l'impôt n'auront aucune conséquence pénale.

[12]     Elle a fait mention des affaires Knutson v. Saskatchewan Registered Nurses Association, [1990] S.J. no 603 (C.A.) no 681, McDonald v. Law Society of Alberta, [1993] A.J. no 985 (B.R.), et Taylor, précitée.

[13]     Dans ses observations, l'avocat de l'appelant a mentionné les affaires Wigglesworth et Taylor, précitées, et l'affaire A. Tyler c. M.R.N. (C.A.), [1991] 2 C.F. 68 ([1991] 1 C.T.C. 13 (C.A.F.)). L'avocat a indiqué qu'il n'existait aucune distinction entre les déclarations selon lesquelles, d'une part, les conséquences pénales sont celles dont l'objet est de promouvoir l'ordre public qui sous-tend la sphère d'activité publique et, d'autre part, les pénalités et les amendes prévues par certaines dispositions de la Loi ne sont pas d'ordre pénal parce qu'elles visent à régir le comportement des contribuables aux fins d'observation de la Loi. L'avocat a soutenu que, dans les deux cas, le respect des lois par la société constitue le but visé. L'avocat a invoqué également l'affaire R. v. Mannion, 25 C.R.R. 182, où la Cour a conclu que le contre-interrogatoire d'un accusé sur un témoignage non contesté rendu antérieurement dans le cadre d'un premier procès contrevient à l'article 13 de la Charte et que l'expression « dans d'autres procédures » inclut le nouveau procès de l'accusé portant sur le même acte d'accusation.

[14]     L'avocat a également invoqué l'affaire Donald v. Law Society of British Columbia, (1984) 7 C.R.R. 305, à l'appui de sa prétention selon laquelle l'expression « d'autres procédures » à l'article 13 de la Charte inclut la procédure qui consiste à établir une nouvelle cotisation à l'égard d'Hector MacKinnon. Des amendes et des pénalités lui ont été imposées. Dans les deux affaires, il a comparu devant une cour de justice. Dans les deux affaires, une preuve a été produite. La Cour provinciale et la Cour canadienne de l'impôt ne sont pas des organismes administratifs. Les juges ne sont pas des administrateurs. Les employés de Revenu Canada sont, eux, des administrateurs. L'audience tenue devant la Cour provinciale concernant Ron MacKinnon est visée par la définition de « d'autres procédures » .

Décision

[15]     Dans l'affaire Taylor, précitée, le juge Sobier, de la Cour, s'est penché longuement sur la question qui doit être tranchée dans la présente affaire. Analysant les implications de l'affaire Wigglesworth, précitée, le juge Sobier s'est rappelé un argument de l'avocat de l'appelant dans cette affaire, selon lequel l'imposition de pénalités s'élevant à près de 100 000 $ équivalait à :

[...] une amende qui par son importance semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que pour maintenir la discipline à l'intérieur d'une sphère d'activité limitée.

Le juge Sobier a cité également l'affaire Knutson, précitée, où l'on a conclu que :

[...] des amendes allant jusqu'à 10 000 $ par infraction, sans parler du risque supplémentaire de réprimande, de suspension et de radiation, auraient selon toute vraisemblance été considérées comme une véritable conséquence pénale, au sens donné à cette expression dans l'affaire Wigglesworth [...]

Le juge Sobier a cependant souligné qu'il était question non pas d'amendes imposées dans une affaire criminelle ou quasi-criminelle ou dans une procédure disciplinaire se déroulant devant la Cour canadienne de l'impôt, mais de pénalités relatives à une affaire administrative et fondées sur un revenu non déclaré. Selon le juge Sobier, il n'y avait pas d'infraction puisque les pénalités étaient appliquées en raison d'un revenu non déclaré dans le cas où un contribuable fait, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, un faux énoncé dans sa déclaration.

[16]     En outre, le juge Sobier a déclaré que le juge Sarchuk, de la Cour, avait traité de la question de la Charte et, plus particulièrement, de l'alinéa 11h), dans l'affaire Sommers c. M.R.N., 90-1254(IT) ([1991] 1 C.T.C. 2451, 91 DTC 656). En définitive, a-t-il conclu, les cotisations du ministre et les pénalités imposées par suite de ces cotisations ne tombent pas sous le coup de l'alinéa 11h); elles ne sont pas de nature criminelle ou quasi-criminelle, et les pénalités ne constituent pas non plus une « conséquence pénale réelle » .

[17]     Le juge Sobier a souligné également que la Cour d'appel de l'Ontario était arrivée à une conclusion similaire dans l'affaire The Queen v. Compton Joseph Ferreira, C.A. Ont., 88-4676, 12 juillet 1988 (non publiée). Le juge Sobier s'est dit d'accord avec les motifs du juge dans cette affaire et a conclu que les pénalités ne constituaient pas une « véritable conséquence pénale » . Le juge Sobier est également arrivé à la conclusion que l'article 7 ne prévoit aucune protection des droits économiques.

[18]     Puis, il a fait référence à l'affaire Canada v. Caseley, [1991] 1 C.T.C. 211, 90 DTC 6618 (C.S. Î.-P.-É.), où la question de la double condamnation s'est posée relativement à des pénalités imposées conformément au paragraphe 163(2) et à l'article 239 de la Loi, en raison dans ce dernier cas d'une accusation criminelle pour évasion fiscale.

[19]     Il a cité la déclaration du juge en chef MacDonald qui, aux pages 216 et 217 (DTC : à la page 6621), a abordé comme suit l'argument relatif à l'article 7 :

[TRADUCTION]

Le paragraphe 163(2) ne menace pas la vie, la liberté ou la sécurité de la personne. Seule une pénalité pécuniaire peut être établie. Dans l'affaire Whitbread v. Walley, (1988) 51 D.L.R.(4th) 509, [1988] 5 W.W.R. 313, Madame le juge McLachlin, pour la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, s'est exprimée ainsi aux pages 519 et 520 (W.W.R. : aux pages    323 et 324) :

À ce jour, l'art. 7 a été appliqué principalement à des affaires où la liberté physique du demandeur avait été violée ou était menacée de l'être. L'emprisonnement et la détention par l'État sont des exemples classiques de l'application sans équivoque de l'art.7 :[...]

En revanche, il est clair que les revendications purement économiques n'entrent pas dans le champ d'application de l'art. 7 de la Charte. Personne ne laisse entendre, par exemple, que l'imposition à une société d'une peine pécuniaire enfreindrait l'art. 7 si elle n'était pas conforme au principe de justice fondamentale.

[20]     Le juge Sobier s'est dit d'accord avec les conclusions du juge en chef MacDonald et a conclu qu'il n'avait pas été porté atteinte aux droits de l'appelant garantis par la Charte et que ce dernier n'était admissible à aucun des recours prévus par la Charte.

[21]     De façon générale, le juge de première instance a conclu que l'imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) ne constituait en aucune façon une « poursuite abusive » qui rendrait l'appelant admissible à un recours aux termes de la Charte.

[22]     Il convient de signaler que la Cour d'appel fédérale a fait mention de cette affaire dans [1997] F.C.J. No. 193 (C.A.F.) et qu'une demande d'autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été rejetée dans [1997] S.C.C.A. No. 223.

[23]     La Cour canadienne de l'impôt est convaincue que les cotisations dans lesquelles on a majoré le revenu de l'appelant des montants tirés de la vente illégale de tabac au cours des années d'imposition 1995, 1996 et 1997 et inclus les pénalités imposées conformément au paragraphe 163(2) de la Loi ne sont pas des « conséquences pénales réelles » telles qu'exposées dans l'affaire citée précédemment. Elles visent à maintenir la discipline à l'intérieur du régime d'autocotisation, qui est au coeur de nos lois fiscales.


[24]     Les appels sont rejetés et la cotisation du ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de septembre 2001.

« T. E. Margeson »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2003.

Mario Lagacé, réviseur


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