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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20021104

Dossier: 2001-4479(IT)I

 

 

ENTRE :

DWIGHT LEWIS DARLING,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

 

Pour l’appelant :  L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée : Me Tony Chambers

____________________________________________________________________

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l’audience

le 20 septembre 2002 à Kingston (Ontario).)

 

Le juge McArthur

 

[1]     Dans cet appel, la question est de savoir si l’appelant peut déduire une somme de 10 737 $ du calcul de son revenu pour 1999 en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui se lit comme suit :

 

18(1)    Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

a)   les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien;

 

À la suite d’un jugement, un avis de saisie-arrêt se rapportant à un montant de 265 000 $ a été délivré par la Cour de l’Ontario (Division générale) en juin 1998. Par la suite, une ordonnance de saisie a été envoyée à Century 21 Townsend Limited à l’égard de l’appelant. Le montant de 10 737 $ a été payé relativement à l'ordonnance de saisie. L’appelant était son seul témoin et Robert Meihan, l’agent des appels qui a procédé à la vérification pour Revenu Canada, a été entendu pour le compte de l’intimée.

 

[2]     Dans l’ensemble, les faits ne sont pas contestés. L’appelant est un courtier et un agent d’immeubles dans la région de Brockville. Au cours de la période pertinente, du moins en 1990 et 1991, il travaillait pour Dwight L. Darling Real Estate Limited. Il soutient que les dommages-intérêts qu’il a payés en 1999 étaient en vue de tirer un revenu d’une société de personnes qui fut dissoute en 1991.

 

[3]     L’argument principal de l’intimée est que l’appelant n’avait aucune source de revenus de laquelle il aurait pu déduire les paiements qu’il avait effectués relativement au jugement.

 

[4]     L’appelant, son frère, David Darling, et Anthony Leeder (ci-après les « gestionnaires ») ont participé avec 19 associés à un placement immobilier. Selon un contrat daté du 14 février 1990, 30 commanditaires auraient investi chacun une somme de 15 000 $, et ces fonds auraient été utilisés pour acheter une parcelle de terrain de 41,8 acres située à Brockville. Ils prévoyaient tirer des revenus de la location d’une maison de trois chambres située sur le terrain, de l’aménagement du reste du terrain en plantation d’arbres de Noël et d’un aménagement immobilier éventuel. D’après les associés, à l’exception des trois gestionnaires, le terrain ne serait acheté que lorsque les 30 parts dans la société auraient été vendues, et que les fonds avancés seraient détenus dans un compte de banque portant intérêt à 10 % jusqu’à ce que toutes les parts soient vendues.

 

[5]     Si les 30 parts n’étaient pas vendues, l’investissement de 15 000 $ serait alors remis à chaque associé, en plus de l’intérêt accumulé. À cet égard, je renvoie au contrat de société et au jugement de monsieur le juge Cosgrove de la Cour de l’Ontario (Division générale). Par contre, les gestionnaires ont acheté le terrain alors que seulement 19 parts avaient été vendues, et une hypothèque de 250 000 $ a été accordée au vendeur. Les hypothèses de fait énoncées dans la réponse à l’avis d’appel indiquent une hypothèque de 295 000 $, comme le fait la décision du juge Cosgrove. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un fait pertinent, mais les documents produits indiquent une hypothèque enregistrée au montant de 250 000 $, à l’instar de l’affidavit concernant les droits de cession immobilière joint à la cession immobilière. Je réitère toutefois que cette divergence n’est pas pertinente. Les fonds provenant de la vente des parts ont été utilisés pour rembourser le prêt hypothécaire, mais le vendeur titulaire d'une créance hypothécaire a repris possession du terrain environ un an plus tard.

 

[6]     Une des dispositions pertinentes du contrat de société est le paragraphe 3 qui prévoit ce qui suit : [traduction] « il devra y avoir 30 commanditaires ». Je souligne que l’appelant n’a pas investi les 15 000 $, contrairement aux 19 associés. Le paragraphe 8 énonce que [traduction] « le revenu prévu de la société est présenté à l’annexe C », lequel indique un revenu prévu d’environ 60 000 $ après 10 ans, montant qui devait être partagé entre les 30 commanditaires. Le paragraphe 13 prévoit que [traduction] « les gestionnaires recevront une participation de 10 % dans la propriété ainsi que dans toute entreprise commerciale qui découlera de la présente entreprise ». Enfin, le paragraphe 20 prévoit que [traduction] « à la fin de chaque exercice, les profits nets ou les pertes nettes de la société pour l’exercice seront répartis entre les associés proportionnellement au nombre de parts dans la société détenues par chaque associé ».

 

[7]     L’appelant a déclaré dans son avis d’appel notamment ce qui suit :

 

[traduction]

 

… Les dommages-intérêts que je dois payer sont directement liés à l’échec du contrat de société. Bien que la cour d’appel ait déclaré que j’avais fait preuve d’abus de confiance, je n’ai été aucunement impliqué dans la gestion de cette entreprise et, par conséquent, je ne suis aucunement lié à son échec. Il s’agit d’une dépense directement liée à une transaction immobilière manquée. À présent, je rembourse le capital et les intérêts aux investisseurs.

 

Dans sa décision, laquelle fut confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Cosgrove conclut que l’échec de cette entreprise était le résultat d’un abus de confiance de l’appelant et de David Darling. Je suis d’accord avec cette conclusion. L’appelant avait participé antérieurement à deux autres entreprises similaires qui n’ont pas atteint leurs objectifs. Peu de temps après l’achat, l’appelant a tenté sans succès d’obtenir le morcellement du terrain afin de séparer l’acre de terrain où la maison était érigée du reste de la parcelle de 42 acres. Il avait une offre conditionnelle pour vendre la parcelle morcelée de 110 000 $, mais cette opération a évidemment échoué.

 

[8]     L’avocat de l’intimée a indiqué que l’appelant avait probablement déclaré sa part des revenus locatifs provenant de la propriété dans sa déclaration de revenus de 1991, et la preuve à cet effet se trouve à la pièce R-3. Après la reprise de possession de la propriété et la perte de leur investissement, les commanditaires ont poursuivi les gestionnaires en remboursement des sommes qu’ils avaient investies. Dans un jugement en faveur des commanditaires, le juge Cosgrove a conclu en mars 1996 que l’appelant et son frère, David, étaient responsables d’avoir frauduleusement induit en erreur les investisseurs demandeurs.

 

[9]     En 1998, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision du juge Cosgrove, mais a qualifié les agissements de l’appelant d’abus de confiance et non de frauduleusement trompeurs. Cela distingue les agissements de l’appelant de ceux du contribuable dans l’affaire Poulin c. La Reine, C.A.F., n°A-68-94, 15 juillet 1996 (96 DTC 6477), dans laquelle le contribuable, un agent immobilier, avait été condamné à payer des dommages-intérêts par suite de ses activités frauduleuses. Les circonstances de l’appelant ressemblent davantage à celles du contribuable dans l’affaire McNeil c. Canada (C.A.), [2000] 4 C.F. 132 ([2000] 2 CTC 304). Toutefois, cela n’est d’aucun secours à l’appelant s’il ne réussit pas à prouver que les paiements liés au jugement ont été effectués en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien conformément à l’alinéa 18(1)a) de la Loi.

 

[10]    Dans l’arrêt McNeil, le juge Rothstein a déclaré que, depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire 65302 B.C. Limited c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804 (99 DTC 5799), les amendes et pénalités payées en vue de tirer ou de produire un revenu constituent des dépenses déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)a), à condition toutefois que les critères prévus à cet article soient remplis. Dans l’arrêt McNeil, la Cour a conclu que les paiements en dommages-intérêts effectués par le contribuable avaient été effectués à des fins commerciales, pour garder son client. La Cour a également conclu que le droit de déduire des dommages-intérêts à titre de dépense n’existe que pour l’année au cours de laquelle les dommages-intérêts ont été accordés et non pour l’année où les événements ayant donné lieu aux dommages-intérêts se sont produits. Voici un extrait du résumé de l’affaire McNeil :

 

 

En common law, le contribuable a le droit de déduire une dépense au moment où elle est engagée, et une dépense est engagée lorsqu’un contribuable a l’obligation absolue et inconditionnelle de payer une somme d’argent déterminée. La responsabilité de l’appelant à l’égard du paiement des dommages-intérêts a été établie et s’est transformée en une obligation absolue et inconditionnelle lorsque le jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a été rendu. Le droit de déduire les dommages-intérêts en tant que dépense en vertu de l’alinéa 18(1)a) a pris naissance en 1994.

 

 

[11]    La question peut-être résumée comme suit : l’appelant avait-il une source de revenu à partir de laquelle il pouvait déduire les paiements de dommages-intérêts? L’appelant détenait une participation dans un bien productif de revenus de 1990 à 1991 lorsque la propriété et l’entreprise ont été reprises par le vendeur créancier en paiement de son prêt hypothécaire. Après 1991, il n’existait plus d’entreprise, de bien ni de société; tout a été perdu. L’obligation de payer des dommages-intérêts en raison de son abus de confiance est devenue absolue en mai 1998 lorsque la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel de l’appelant à l’encontre de la décision du juge Cosgrove. À cette époque, sa source de revenus provenant de la société, de l’entreprise ou de la propriété n’existait plus depuis longtemps. En 1999, il n’existait aucune source de revenus à partir de laquelle l’appelant aurait pu déduire les paiements de dommages-intérêts. Le paiement qu’il a effectué en 1999 était lié à une saisie; il n’a donc pas été fait en vue de tirer un revenu.

 

[12]    L’appelant a fait référence à une lettre datée du 15 février 2001 envoyée par son comptable au centre fiscal, laquelle se lit en partie comme suit :

 

[traduction]

 

Si je comprends bien, les dommages-intérêts accordés par un tribunal sont déductibles aux fins de l’impôt à condition que certains critères soient remplis. Je suis d’avis que les dommages-intérêts accordés remplissent ces critères. Par contre, il demeure une certaine confusion quant à l’année où cette déduction pourrait être effectuée. Le montant de 265 104,55 $ devrait-il être déduit dans l’année où l’obligation du contribuable est devenue absolue et inconditionnelle, soit en 1998, ou est-il déductible dans l’année où il a été versé? 1998, 1999 et les années ultérieures. Nous aimerions discuter davantage du moment où cette déduction peut être effectuée lorsque la question de la déductibilité des dommages-intérêts aura été tranchée.

 

Le bulletin IT-467R de l’ADRC énonce les critères de la déductibilité des dommages-intérêts du calcul du revenu. Je formulerai les commentaires suivants à l’égard des critères énumérés dans ce bulletin.

 

Dans le cas de M. Darling, les dommages-intérêts ont été accordés par suite du non-respect des dispositions d’un contrat dans le cadre d’un projet d’aménagement immobilier. À titre d’associé commandité dans cette entreprise, M. Darling, un courtier en immeubles et un représentant de commerce, a tiré ou prévoyait tirer d’importants revenus de commissions provenant de transactions immobilières. Initialement, les commanditaires prévoyaient tirer des revenus de l’exploitation d’une plantation d’arbres de Noël et plus tard de l’aménagement et de la vente de la propriété.

 

[…]

 

Le bulletin énonce que « si le montant d’un dédommagement est déterminé par un tribunal, le paiement sera considéré, aux fins de l’article 67, comme raisonnable dans les circonstances ».

 

Selon l’information fournie dans le bulletin IT-467R et le résumé de la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire McNeil, 2000 DTC 6211, je suis d’avis que ces dommages-intérêts accordés par un tribunal peuvent être déduits par mon client.

 

[13]    Je ne crois pas que l’analyse de l’auteur puisse survivre à un examen rigoureux. Bien que l’appelant soit un courtier en immeubles et un représentant commercial, il était, en 1999, employé de Century 21 Townsend Limited. Cette société lui verse apparemment un salaire. Elle n’était pas associée dans l’entreprise de 1990 et 1991 et ni elle ni la société précédente de l’appelant, Dwight Darling Real Estate Limited, n’étaient visées par le jugement accordant des dommages-intérêts.

 

[14]    Les commanditaires prévoyaient tirer des revenus de la propriété et de l’entreprise de location, mais cela n’existait pas en 1998, lorsque les dommages-intérêts ont été accordés, ni en 1999, lorsque l’appelant a été obligé de faire un paiement. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’arrêt McNeil n’est d’aucun secours pour l’appelant, car la dépense de 1999 n’a pas été payée en vue de tirer un revenu. La dépense a été engagée parce qu’un jugement a été rendu contre l’appelant pour un abus de confiance ayant eu lieu sept ans avant que le salaire ou les commissions qui lui étaient dus par une société aient été saisis.

 


[15]    Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2002.  

 

 

 

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de novembre 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

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