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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

2002-46(IT)I

ENTRE :

SARAH HALLETT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appel entendu le 23 octobre 2002 à Regina (Saskatchewan), par

l’honorable juge E. A. Bowie

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :                      L’appelante elle-même

 

Avocate de l’intimée :                Me Anne Jinnouchi

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 1999 est rejeté.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de novembre 2002.

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de novembre 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 


 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20021105

Dossier: 2002-46(IT)I

 

ENTRE :

SARAH HALLETT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie, C.C.I.

 

[1]     À une certaine époque, l’appelante était mariée à Rodney Hallett, que je nommerai Rodney. Ils se sont séparés en juillet 1994 et, en septembre 1995, l’appelante a obtenu une ordonnance de la Cour obligeant Rodney à lui verser une pension alimentaire de 200 $ par mois pour leurs deux enfants dont elle avait la garde. Elle a conservé la possession de la maison mobile dans laquelle ils vivaient, et dont ils étaient copropriétaires. Rodney ne s’est pas acquitté de ses obligations de pension alimentaire et, en février 1999, les arriérés qu’il devait s’élevaient à 5 592,70 $. À cette époque, il avait un emploi et était en mesure d’effectuer les paiements mensuels. Toutefois, Rodney avait comme habitude d’éviter le paiement des arriérés, et il avait quitté des emplois antérieurs dès que son salaire était assujetti au paiement des arriérés. Par conséquent, l’appelante lui a proposé qu’il lui transfère sa part dans la maison mobile, et qu’elle renoncerait alors aux arriérés. Ainsi, il n’aurait qu’à effectuer les paiements mensuels au fur et à mesure de leur échéance. Pour sa part, l’appelante bénéficierait de la pleine propriété de la maison pour elle-même et ses enfants, et recevait de façon régulière les paiements de pension alimentaire mensuels. Il a accepté cette proposition et la transaction a eu lieu en novembre 1999.

 

[2]     Ils ont signé une entente selon laquelle Rodney vendait sa part de la maison mobile à l’appelante pour une somme de 6 200 $. L’appelante avait évalué que la valeur de sa part était de 6 000 $ et, à la suite de négociations, ils ont convenu du montant exact de 6 200 $. Il a insisté pour que ce montant figure sur l’entente écrite, puisque environ neuf mois s’étaient écoulés depuis le 28 février 1999, date à laquelle l’appelante avait avisé le bureau chargé de l'application de la loi sur l'obligation alimentaire (le Family Maintenance Enforcement Office) de leur entente et celui-ci avait annulé les arriérés alors dus. L’appelante a témoigné que, malgré cela, aucune somme d’argent n'était passée de l'une à l'autre partie en novembre. Ainsi, la contrepartie réelle était le montant exact des arriérés auxquels elle a renoncé en février. Dans sa déclaration de revenu pour cette année, l’appelante n’a pas inclus le montant de 5 592,70 $ dans son revenu. Le ministre a adopté la position que l’appelante aurait dû inclure ce montant dans son revenu et, par conséquent, il a établi une nouvelle cotisation à son égard. Elle interjette maintenant appel à l’encontre de cette nouvelle cotisation.

 

[3]     Il n’y a eu aucun changement au montant de l’allocation auquel l’appelante avait droit depuis l’ordonnance initiale rendue en 1995. Par conséquent, il n’est pas contesté que l’appelante doive inclure dans son revenu le montant des paiements de pension alimentaire qu’elle reçoit. La seule question en litige entre les parties est de savoir si le montant comprend la valeur de la moitié de la maison mobile que Rodney a transférée à l’appelante. La loi est complexe; toutefois, aux fins des présentes, il est seulement nécessaire d’établir si la part dans la maison mobile est visée par l’expression « pension alimentaire », telle qu’elle est définie à l’alinéa 56(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cet alinéa définit le montant qu’un bénéficiaire de pension alimentaire doit inclure dans son revenu selon une formule complexe. Selon cette formule, la totalité des versements de pension alimentaire reçus doit être incluse dans le calcul. L’expression est définie au paragraphe 56.1(4) :

 

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

 

a)         le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

 

b)         le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

 

L’appelante a soutenu que la part de la maison mobile qu’elle a reçue n’était pas visée par cette définition pour les trois raisons suivantes : il ne s’agit pas d’un « montant »; il n’était pas versé de façon périodique; et elle ne pouvait l’utiliser à sa discrétion.

 

[4]     Le premier de ces trois arguments exige un examen de la définition du mot « montant », lequel est défini au paragraphe 248(1) de la Loi :

 

« montant » Argent, droit ou chose exprimés sous forme d’un montant d’argent, ou valeur du droit ou de la chose exprimée en argent. Toutefois :

 

a)         [...]

 

Il ne fait aucun doute que la part de la maison mobile qui a été transférée à l’appelante est une « chose » ou un « droit » et la valeur de celui-ci est déterminée par la transaction entre l’appelante et Rodney. L’appelante a elle-même estimé la valeur à 6 000 $, et la transaction intervenue entre eux était certainement entre parties sans lien de dépendance. Le juge Bonner[1] et le juge O’Connor[2] sont également arrivés à la même conclusion. Si la valeur des paiements en nature n’était pas un paiement aux fins de la Loi, les profits tirés d’un grand nombre d’opérations commerciales seraient exempts d’impôt; c’est pour cette raison que le Parlement a défini le terme « montant » comme il l’a fait. Le premier argument de l’appelante est rejeté.

 

[5]     En ce qui a trait à l’argument que le « paiement » n’est pas périodique, les tribunaux ont conclu à maintes reprises que, lorsque des versements périodiques de pension alimentaire deviennent des arriérés et qu’ils sont payés plus tard sous forme de montant forfaitaire, ce montant forfaitaire respecte l’exigence que les paiements doivent être périodiques afin d’être admissibles à titre de déduction et d’être assujettis à l’inclusion. Cet argument ne peut être retenu non plus.

 

[6]     L’appelante soutient qu’elle n’avait pas de discrétion à l’égard de l’utilisation du « montant » en l’espèce, car il ne s’agissait pas d’une somme au comptant et, par conséquent, elle ne pouvait la dépenser. Cet argument ne peut être retenu pour deux raisons : premièrement, la question de savoir si le bénéficiaire a la discrétion à l’égard de l’utilisation du paiement est une question qui doit être déterminée à la lumière des termes de l’ordonnance ou de l’entente en vertu de laquelle le paiement doit être effectué. La question est de savoir si le juge, en ordonnant le paiement, a affecté celui-ci à une utilisation particulière, comme les frais de scolarité, les versements hypothécaires ou d’autres paiements analogues. Dans la négative, le bénéficiaire a alors la discrétion à l’égard de son utilisation. Quoi qu’il en soit, l’appelante avait la discrétion au sens juridique, bien qu’au sens pratique, elle ne l’avait peut-être pas. Aucun obstacle juridique ne l’empêchait de vendre la maison mobile et d’utiliser les produits de la vente à toute autre fin. Je comprends qu’elle ne pensait pas pouvoir faire une telle chose car elle et ses enfants avaient besoin d’un endroit où habiter. Toutefois, elle aurait pu utiliser les produits de la vente pour acheter ou louer une autre maison. Bien qu’elle pensait ne pas avoir d’autres choix, il serait plus exact d’affirmer qu’elle n’avait pas de meilleure solution.

 

[7]     L’appelante s’est appuyée sur la décision du juge Mogan dans le jugement Fisher c. La Reine[3]. Bien que cette affaire soit en apparence similaire à l’espèce, il est nécessaire d’établir une distinction. Dans l’affaire Fisher, l’appelant devait une somme de 12 000 $ à son ex-épouse à titre de paiement compensateur après le partage du patrimoine familial, car elle avait conservé la maison dont ils étaient copropriétaires, alors que l’ex-époux lui devait une somme de 7 558 $ de versements de pension alimentaire devenus des arriérés. Lorsque le jugement final de divorce a été prononcé, la Cour a ordonné la compensation de cette dette avec une autre, et a également diminué les versements de pension alimentaire devant être effectués par l’ex-époux pendant une certaine période en déduction du solde du paiement compensateur. Il existe une différence importante entre un montant ayant fait l’objet de compensation dans le cadre d’une ordonnance de la Cour, et la conclusion par les parties d’une transaction d’achat et de vente. Le juge dans l’affaire Fisher exerçait les pouvoirs qui lui étaient conférés par la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario en vertu desquels il pouvait annuler les arriérés accumulés pendant l’ordonnance intérimaire et fixer par ordonnance un montant de pension alimentaire moins élevé qu’il aurait autrement fixé étant donné le déséquilibre du partage du patrimoine familial. En l’espèce, il n’y a pas d’ordonnance similaire et, comme il a été souligné à maintes reprises par la Cour d’appel fédérale et par la Cour suprême du Canada, je dois rendre une décision fondée sur les faits qui se sont effectivement produits, et non sur des faits qui auraient pu se produire si les parties avaient agi autrement. Je ne peux rendre une décision, en l’espèce, fondée sur une ordonnance qui n’a jamais été rendue.

 

[8]     Je reconnais que l’appelante a connu de dures épreuves pendant plusieurs années en raison du refus de son ex-époux d’effectuer les versements de pension alimentaire au fur et à mesure de leur échéance. Elle s’est également trouvée dans une situation financière difficile en acceptant un bien autre qu’en espèces en paiement des arriérés qui lui étaient dus. Elle doit non seulement payer l’impôt sur le revenu, mais l’augmentation de son revenu découlant de la nouvelle cotisation a donné lieu à une diminution de son admissibilité à la prestation fiscale pour enfants en vertu de la Loi et à la prime familiale à laquelle elle avait droit en vertu de la loi de la Colombie-Britannique. Elle doit maintenant rembourser ces versements excédentaires, en plus de payer l’impôt sur le revenu additionnel. Toutefois, elle aurait eu le même montant d’impôt sur le revenu à payer et les mêmes avantages moins élevés si les arriérés lui avaient été versés en espèces. Entre-temps, elle a bénéficié de la pleine propriété de la maison mobile, soit l’équivalent du montant en espèces qu’elle aurait reçu. La loi n’a pas été plus injuste à son égard que si elle avait reçu de l’argent comptant; elle a tout simplement moins de liquidités pour subvenir à ses besoins, car elle a acheté la moitié de la maison mobile au moment où elle fréquentait le collège et elle a eu, par conséquent, de la difficulté à joindre les deux bouts.

 

[9]     L’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de novembre 2002.

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de novembre 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

 



[1]           Armstrong v. M.N.R., 88 DTC 1015.

[2]           Gibson c. La Reine, (C.C.I.), no 94-478(IT)I, 13 juin 1994 (95 DTC 749).

[3]           (C.C.I.), no 1999-5009 (IT)I, 5 juin 2000 (2000 DTC 3612).

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