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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

1999-3797(IT)G

 

ENTRE :

 

BRUCE AGNEW,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appels entendus avec les appels de Clayton Watters (1999-3798(IT)G)

le 6 mai 2002, et par la suite, à London (Ontario), par

l’honorable juge Terrence O’Connor

 

Comparutions

 

Avocats de l’appelant :    Me Arthur M. Barat et Me Avril A. Farlam

 

Avocats de l’intimée :      Me Roger LeClaire et Me Boyd Aitken

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1994 et 1995 sont admis, avec dépens, et les affaires sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en conformité avec les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d’octobre 2002.

 

 

« T. O’Connor »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour d'août 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

1999-3798(IT)G

 

ENTRE :

 

CLAYTON WATTERS,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

 

Appels entendus avec les appels de Bruce Agnew (1999-3797(IT)G)

le 6 mai 2002, et par la suite, à London (Ontario), par

l’honorable juge Terrence O’Connor

 

Comparutions

 

Avocats de l’appelant :    Me Arthur M. Barat et Me Avril A. Farlam

 

Avocats de l’intimée :      Me Roger LeClaire et Me Boyd Aitken

 

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994 sont admis, avec dépens, et les affaires sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en conformité avec les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d’octobre 2002.

 

 

« T. O’Connor »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour d'août 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur


 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20021015

Dossier: 1999-3797(IT)G

 

ENTRE :

 

BRUCE AGNEW,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée,

 

ET ENTRE :

 

1999-3798(IT)G

 

CLAYTON WATTERS,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge O’Connor, C.C.I.

 

[1]     Les avocats des appelants et les avocats de l’intimée ont choisi les présents appels en tant qu’affaires représentatives d’environ 138 affaires de placement essentiellement identiques. L’issue des présents appels pourrait régir l’ensemble de ces affaires.

 

[2]     Les appels ont été entendus principalement sur preuve commune. Toutefois, certains faits étaient propres à chaque particulier. À cet égard, il est à noter que les efforts de vérification diligente dans l’investigation relative au placement ont été considérables dans le cas de M. Watters et beaucoup moins grands dans le cas de M. Agnew. De plus, tout comme de nombreux autres investisseurs mais contrairement à M. Agnew, M. Watters a fini par mettre dans son REER le placement (correspondant alors à une action de société de capitaux). En outre, les années en cause sont 1994 et 1995 dans le cas de M. Agnew et 1992, 1993 et 1994 dans le cas de M. Watters. Qui plus est, le placement de M. Watters a été fait dans la société en commandite Bovine I, tandis que le placement de M. Agnew a été fait dans la société en commandite Bovine VI, mais ce n’est pas une différence importante, car toutes les sociétés en commandite portant le nom « Bovine » avaient essentiellement la même structure.

 

[3]     Les appelants et les autres investisseurs se sont intéressés à un projet incluant les intervenants et les faits suivants :

 

a)       Au début de 1992, un avocat très en vue de London (Ontario), William Kennedy (« M. Kennedy »), a conçu ou appris l’idée d’implanter des embryons bovins congelés dans des vaches porteuses pour créer des veaux ayant les mêmes qualités que les bovins dont les embryons étaient utilisés. De plus amples renseignements sur le processus sont donnés ci‑après. Le projet a été mis en place par Deno DeLellis — un vendeur très persuasif. M. DeLellis a joué un rôle clé dans l’établissement du mémorandum d’exploitation (« ME »), qui décrivait le fonctionnement du plan. Le ME traitait des diverses mesures à prendre, ainsi que des accords‑cadres à signer. M. DeLellis, qui avait travaillé pour AIC Investment Planning Ltd., s’est joint par la suite à AIC Berkshire Group (« AIC »), soit une organisation financière d’envergure nationale qui était un courtier en valeurs mobilières inscrit. Les placements dans les sociétés en commandite « Bovine » ont été faits par l’intermédiaire d’AIC.

 

b)      Une famille du nom de Coles, à savoir un groupe bien connu d’agriculteurs de la région de London (Ontario), devait s’occuper physiquement des opérations au Canada par l’intermédiaire d’une société de capitaux appelée Asil Inc. Le cabinet de vérification comptable d’envergure nationale Ernst & Young a fourni des projections de trésorerie, a soigneusement examiné le ME et s’est occupé de la comptabilité et d’une partie de la vérification. En outre, on a tenu des réunions publiques, au cours desquelles le conseiller financier bien connu Brian Costello a discuté du plan et en a fait la promotion.

 

c)       Si un investisseur souhaitait emprunter l’argent pour le placement (de 20 000 $ ou 22 000 $ selon le cas), la Compagnie Trust National était disposée à prêter la somme désirée, moyennant une certaine garantie. Bon nombre des ventes du placement ont été faites grâce au rôle clé joué par M. DeLellis.

 

d)      D’autres détails sur les placements sont donnés ci‑après.

 

[4]     L’idée conçue par M. Kennedy en 1992 était d’importer d’Italie des embryons congelés d’une race bovine très spéciale appelée la race piémontaise. La caractéristique particulière de ces bovins est que leur viande contient seulement la moitié du gras ou du cholestérol que contient habituellement la viande de bœuf, et l’on estimait que cette race intéresserait les consommateurs canadiens soucieux de leur santé. Six sociétés en commandite « Bovine » ont été créées, chacune étant limitée à 25 commanditaires. Il en a été ainsi parce que la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario prévoit qu’il n’est pas nécessaire de déposer un prospectus dans des situations comme celle‑ci où le nombre d’investisseurs est limité à 25. Dans ces cas‑là, seul un ME est requis.

 

[5]     Les sociétés en commandite étaient appelées respectivement Bovine I, Bovine II, Bovine III, Bovine IV, Bovine V et Bovine VI. Il n’y avait pas une grande différence concernant la structure de chacune des sociétés en commandite, si ce n’est que, dans le cas des cinq premières, le placement était de 20 000 $ et que dans le cas de Bovine VI le placement était de 22 000 $. Si les placements relatifs aux six sociétés en commandite « Bovine » avaient été entièrement souscrits, il y aurait eu 150 investisseurs (6 x 25), mais les placements relatifs à Bovine VI n’ont pas été entièrement souscrits, de sorte que le nombre total d’investisseurs n’a été que de 138.

 

[6]     Les membres de la famille Coles étaient chargés de fournir tous les services d’ordre agricole. Ils devaient s’arranger pour avoir au Canada des vaches porteuses. Ils devaient s’arranger pour faire implanter les embryons congelés. Ils devaient s’arranger pour que les vétérinaires effectuent des visites et que l’on prenne soin des animaux lors de la mise bas et pour que, d’une manière générale, on prenne soin des animaux jusqu’à la vente des veaux produits par les embryons congelés. Les vaches porteuses étaient fournies principalement par les Coles, en vertu d’un contrat de location.

 

[7]     Lorsqu’un investisseur faisait un chèque de 20 000 $ ou 22 000 $, celui‑ci était envoyé par l’intermédiaire d’AIC.

 

[8]     Le ME prévoit les objets suivants, c'est‑à‑dire qu’il stipule qu’il s’agit d’une offre en vue de ce qui suit :

 

a)       exploiter une entreprise consistant à fournir des embryons congelés, à les prélever, à les importer d’Italie et à les faire transférer dans les vaches porteuses, puis à élever, répertorier, montrer et vendre des bovins de race piémontaise pure;

 

b)      fournir une occasion de gagner un revenu.

 

[9]     Il s’agit de savoir : premièrement, si les investisseurs sont en droit de déduire des pertes agricoles restreintes; deuxièmement, si un placement peut finir par être mis dans le REER d’un investisseur; troisièmement, si un investisseur peut déduire les frais d’intérêts sur l’argent qu’il a emprunté à la Compagnie Trust National pour faire le placement de 20 000 $ ou 22 000 $.

 

[10]    On estimait au début que le principal facteur sous‑jacent à l’ensemble des points litigieux tenait à la question de savoir si une entreprise était exploitée avec une attente raisonnable de profit. Autrement dit, y avait‑il une source de revenu? La décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’affaire Stewart c. Canada, [2002] A.C.S. n° 46, examinée plus loin, a quelque peu modifié cette approche.

 

[11]    Le plan global indiqué dans le ME ne prévoyait pas un profit pour les commanditaires. Il prévoyait que, lorsqu’un troupeau serait prêt à être vendu, la société en commandite concernée devrait transférer ce troupeau — ainsi que les autres actifs, les embryons, etc. — à une société de capitaux en échange d’une action de celle‑ci pour chaque investisseur. La vente devait être effectuée à la juste valeur marchande, et il était prévu que, s’il devait y avoir une cotisation à un REER, cette cotisation correspondrait à l’action de société de capitaux détenue par un investisseur.

 

[12]    Les extraits suivants des pages 009 à 045 du ME relatif à Bovine I décrivent le plan d’une manière plus complète :

 

[TRADUCTION]

 

Paiement à la clôture de l’offre :

20 000 $ en espèces ou par chèque certifié

 

 

Commandité :

Middlesex Perth Bovine I Management Inc.

 

 

Promoteur :

Piemontese London Ltd.

 

 

Gestionnaire du troupeau :

Middlesex Perth Bovine I Management Inc.

 

 

Mandataire :

Piemontese London Ltd.

 

 

Dépositaire légal :

Jeffery Associates

 

 

Production des flux de trésorerie et du revenu :

Les flux de trésorerie et le revenu de la société en commandite seront générés par la vente du troupeau.

 

 

Fonds distribuables :

Les fonds distribuables de la société en commandite seront répartis comme suit pour chaque exercice :

 

 

1.      Jusqu’à ce que les commanditaires reçoivent des fonds distribuables représentant cumulativement 100 p. 100 de leurs investissements en capital nets, soit 20 000 $, 100 p. 100 des fonds distribuables seront répartis entre les commanditaires;

 

 

2.      Par la suite, 75 p. 100 des fonds distribuables seront répartis entre les commanditaires et 25 p. 100 seront attribués au commandité.

 

 

Transfert des actifs et dissolution de la société en commandite :

Le 15 janvier 1994 ou vers cette date, la société en commandite transférera l’ensemble du troupeau et des autres actifs (le « transfert des actifs ») à Middlesex Perth Bovine I Inc. (la « société de capitaux »), en échange de quoi la société de capitaux émettra des actions en faveur de la société en commandite et prendra en charge l’ensemble du passif de cette dernière. Dans les soixante (60) jours suivant le transfert des actifs, la société en commandite sera dissoute, et les actions de la société de capitaux seront attribuées aux associés conformément aux dispositions concernant la répartition des fonds distribuables.

 

 

Admissibilité pour fins de REER :

On s’attend que les actions de la société de capitaux soient des placements admissibles pour fins de REER. [...]

 

 

 

La société de capitaux :

La société de capitaux entend liquider son actif au cours du premier exercice suivant l’achèvement du transfert des actifs, puis payer des dividendes aux actionnaires et, avec le produit net de la liquidation, racheter les actions pour fins d’annulation.

 

 

Aspects de l’offre relatifs à l’impôt fédéral canadien sur le revenu :

La société en commandite utilisera la méthode de la comptabilité de caisse pour calculer le revenu aux fins de l’impôt sur le revenu et elle prévoit que des pertes pourront être déduites par les détenteurs de participations pour 1992 et 1993. Les frais d’intérêts sur de l’argent emprunté pour acquérir une participation sont généralement déductibles aux fins de l’impôt sur le revenu et doivent être pris en compte dans le calcul du revenu ou de la perte d’un contribuable provenant de la société en commandite. Dans certaines circonstances, la Loi de l’impôt limite la part des pertes provenant d’une entreprise agricole qu’un contribuable peut déduire d’autres sources de revenu.

 

 

 

On s’attend que tout gain en capital sur la disposition d’actions de la société de capitaux en faveur d’un REER soit admissible à l’exonération enrichie des gains en capital de 500 000 $ concernant des actions d’une « société exploitant une petite entreprise » admissible. Le compte d’un commanditaire relatif à la perte nette cumulative sur placements aura une incidence sur l’exonération des gains en capital pouvant être demandée par le commanditaire.

 

 

 

Les principales conséquences de l’impôt fédéral canadien sur le revenu pour les éventuels commanditaires qui détiendront des participations et en disposeront conformément à la présente notice d’offre sont énoncées dans « Aspects du placement relatifs à l’impôt sur le revenu », soit un document établi par Ernst & Young, comptables agréés.

 

 

Clôture :

Le commandité clôturera d’abord la présente offre le 30 juin 1992, [...] offre à laquelle il sera définitivement mis un terme à la réception de vingt (20) souscriptions et de vingt‑cinq (25) souscriptions respectivement, pourvu que les vingt‑cinq (25) souscriptions soient reçues au plus tard le 31 décembre 1992.

 

 

Convention de gestion :

Le commandité agira comme gestionnaire du troupeau. Il engagera les conseillers professionnels et les experts qu’il jugera nécessaire d’engager pour se faire aider dans l’exécution de ses fonctions de gestion et dans l’exécution de ses fonctions consistant à louer les vaches porteuses et à assurer la prise en pension du troupeau.

 

LE PLACEMENT

 

Les objectifs du placement faisant l’objet de la présente offre sont de fournir à des investisseurs l’avantage d’une responsabilité limitée tout en leur fournissant une occasion de gagner un revenu grâce à la vente du troupeau.

 

LA SOCIÉTÉ EN COMMANDITE

 

La société en commandite a été créée sous le nom de « Middlesex Perth Bovine I Limited Partnership » conformément à un contrat de société en commandite conclu entre Middlesex Perth Bovine I Management Inc. et le commanditaire initial. Elle a été enregistrée en vertu de la Loi sur les sociétés en commandite de l’Ontario (la « Loi »), le 25 février 1992.

 

LE TROUPEAU

 

La société en commandite achètera deux cents (200) embryons bovins congelés de race piémontaise pure à implanter dans des vaches porteuses en vue de produire un troupeau de bovins de race piémontaise pure qui seront élevés avec les vaches porteuses jusqu’à ce qu’ils aient l’âge de sevrage d’environ deux cents (200) jours. Pour ce qui est de la période de cent quatre‑vingts (180) jours suivant le sevrage, le troupeau sera élevé, répertorié, montré et vendu à la date ou aux dates considérées par le commandité comme servant le mieux les intérêts de la société en commandite. Le commandité entend vendre tout le troupeau dans les cent quatre‑vingts (180) jours suivant le sevrage. Les embryons congelés seront achetés, par l’intermédiaire du commandité, à divers éleveurs de bovins de race piémontaise d’Italie, du Canada et / ou des États‑Unis. Les embryons congelés seront implantés par une ou des personnes choisies par le commandité comme ayant de l’expérience dans le domaine de la transplantation d’embryons. Le taux de réussite en matière d’implantation d’embryons bovins varie grandement. Le taux moyen de réussite est d’environ cinquante‑cinq pour cent (55 %), mais, avec de bons soins et une bonne gestion, il est possible d’atteindre des taux élevés de réussite se situant entre soixante‑quinze pour cent (75 %) et quatre‑vingts pour cent (80 %). Pour les fins de la présente offre, un taux de réussite de soixante‑dix pour cent (70 %) a été utilisé.

 

Au moment de la souscription, chaque investisseur sera tenu de signer une convention de souscription et de la livrer à Jeffrey Associates, qui agira comme dépositaire légal, au nom de la société en commandite, relativement à chaque participation acquise.

 

Au plus tard à la date de clôture de l’offre, le prix de souscription de vingt mille dollars (20 000 $) sera payé en espèces ou par chèque certifié fait à l’ordre de Jeffery Associates, en fiducie, en tant que dépositaire légal.

 

À la date de clôture, le dépositaire légal livrera au commandité toutes les conventions de souscription, tout l’argent liquide et tous les chèques certifiés.

 

On s’attend que le produit de vente des participations d’un montant total de 500 000 $ soit appliqué comme suit :

 

a)         une somme de 80 000 $ sera utilisée par la société en commandite pour l’acquisition et l’implantation des embryons congelés;

 

b)         une somme de 210 000 $ sera utilisée pour payer d’avance la location des vaches porteuses, et ce, pour la période allant du transfert des embryons jusqu’au sevrage;

 

c)         une somme de 31 500 $ sera utilisée pour payer d’avance la prise en pension du troupeau, et ce, pour la période allant du sevrage jusqu’à la vente;

 

d)         une somme de 35 000 $ sera utilisée pour payer d’avance la gestion de la société en commandite, ainsi que le service consistant à faire rapport aux commanditaires, et ce, pour la période allant du transfert des embryons jusqu’à la vente;

 

e)         une somme de 80 000 $ sera payée au titre des honoraires et coûts liés à la présente offre;

 

f)          une somme de 63 500 $ sera déposée dans un compte productif d’intérêts aux fins du fonds de roulement, y compris entre autres pour les enregistrements, pour la détermination de groupes sanguins et pour les assurances.

 

 

Montant

Par participation

 

 

 

Embryons congelés (y compris les frais d’implantation)

           80 000 $

             3 200 $

 

 

 

 

Location prépayée de vaches porteuses

         210 000 $

             8 400 $

 

 

 

Prise en pension prépayée

           31 500 $

             1 260 $

 

 

 

Frais de gestion

           35 000 $

             1 400 $

 

 

 

Frais de délivrance et honoraires connexes

Résumé

 

 

Frais de délivrance

           30 000 $

             1 200 $

Commissions (2)

           50 000 $

             2 000 $

 

 

 

Fonds de roulement

           63 500 $

             2 540 $

 

   ___________

     __________

 

 

 

COÛT TOTAL

         500 000 $

           20 000 $

 

La société en commandite a été créée le 26 février 1992 et sera maintenue jusqu’au 31 décembre 2001, à moins d’avoir été antérieurement dissoute conformément aux dispositions du contrat de société en commandite. Elle pourra être renouvelée par le vote de détenteurs d’au moins deux tiers des participations en circulation, pour un ou des termes pouvant être ainsi spécifiés.

 

L’exercice de la société en commandite se terminera le 30 décembre de chaque année. Le vérificateur de la société en commandite sera le cabinet d’experts‑comptables Ernst & Young ou un autre vérificateur qualifié, selon ce que le commandité déterminera.

 

On s’attend que les actions de la société de capitaux soient, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi de l’impôt »), des placements admissibles aux fins de régimes enregistrés d’épargne‑retraite.

 

La société de capitaux entend liquider son actif au cours du premier exercice suivant l’achèvement du transfert des actifs, puis payer des dividendes aux actionnaires et, avec le produit de liquidation net, racheter les actions pour les annuler.

 

Les investisseurs acquérant une ou plusieurs participations deviendront des commanditaires de la société en commandite et seront tenus d’inclure dans le calcul de leur revenu leur part du revenu ou de la perte de la société en commandite pour l’exercice de celle‑ci se terminant dans l’année d’imposition du commanditaire.

 

Le commandité a demandé à Revenu Canada un numéro d’inscription d’abri fiscal concernant la présente offre et il fournira des renseignements aux commanditaires au sujet de ce numéro dès qu’il l’aura reçu.

 

FRAIS D’INTÉRÊTS SUR L’ARGENT EMPRUNTÉ POUR ACQUÉRIR UNE PARTICIPATION

 

Généralement, les frais d’intérêts sur de l’argent emprunté pour acquérir une participation sont déductibles aux fins de l’impôt sur le revenu. Toutefois, les frais d’intérêts d’un associé sur de l’argent emprunté pour acheter une participation dans une société de personnes doivent être pris en compte dans le calcul du revenu ou de la perte de l’associé provenant de la société de personnes. Par conséquent, les frais d’intérêts engagés personnellement par un associé commanditaire relativement à l’acquisition d’une participation ayant pour effet d’augmenter ou de créer une perte agricole pour le commanditaire peuvent ne pas être déductibles à titre courant, la partie non déductible devenant alors une partie de la perte agricole restreinte du commanditaire. Les règles en matière de perte agricole restreinte sont expliquées ci‑après, sous la rubrique intitulée « Pertes d’un commanditaire ».

 

En général, dans le calcul de son revenu imposable, un associé peut déduire de toutes les sources de revenu sa part de la perte d’une société de personnes. Toutefois, la Loi de l’impôt renferme des règles spéciales ayant pour effet de limiter la déductibilité de pertes agricoles dans le cas d’une personne dont le revenu ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source. Dans de tels cas, le montant maximum de pertes agricoles pouvant être déduit d’autres sources de revenu est limité à la moins élevée des sommes suivantes :

 

a)         les pertes agricoles pour l’année;

 

b)         2 500 $ plus la moins élevée des sommes suivantes :

 

(i)         la moitié de l’excédent des pertes agricoles sur 2 500 $,

 

(ii)        6 250 $.

 

Dans un bulletin d’interprétation qu’il a publié, Revenu Canada dit que, lorsqu’une société de personnes exploite une entreprise agricole, il considère que ces restrictions s’appliquent séparément à chaque associé dans la société de personnes. Le montant de telles pertes qui n’est pas déductible d’autres revenus dans l’année peut être reporté sur trois années antérieures et sur dix années postérieures au titre de pertes agricoles restreintes. Des pertes agricoles restreintes ne sont déductibles que dans la mesure du revenu d’agriculture gagné par un contribuable dans une année. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les commanditaires dont le revenu ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source peuvent être limités quant à la déduction de leur part des pertes agricoles — s’il en est — provenant de la société en commandite.

 

Aux fins de l’impôt, tout revenu ou perte de la société de capitaux est un revenu ou une perte de la société de capitaux et ne peut être attribué aux actionnaires. Un revenu [...] sera gagné par les actionnaires sous la forme de dividendes provenant de la société de capitaux.

 

Aux fins de l’impôt sur le revenu, lors du rachat des actions pour annulation, la société de capitaux est réputée avoir payé — et les actionnaires avoir reçu — un dividende égal au montant qu’elle paie en sus du capital versé relatif aux actions. Le capital versé à l’égard d’une action reçue lors du transfert des actifs avec report d’impôt mentionné précédemment est égal au total des montants convenus, moins le montant des passifs pris en charge et des contreparties versées par la société de capitaux sous une forme autre que des actions.

 

Voici une liste des contrats pertinents relatifs à la société en commandite qui ont été conclus ou seront conclus au plus tard à la date de clôture :

 

a)         le contrat de mandat;

 

b)         le contrat de dépôt entre les mains d’un tiers;

 

c)         le contrat de société en commandite;

 

d)         la convention de prise en pension;

 

e)         la convention de vente de bovins de race piémontaise;

 

f)          la convention de gestion;

 

g)         la convention de transfert des actifs;

 

h)         la convention de souscription.

 

[13]    Les six sociétés de capitaux ont fini par fusionner pour former une société de capitaux appelée Aosta Piedmontese Ltd.

 

[14]    Avec le temps, les choses semblaient progresser, mais certaines personnes, soit principalement M. Kennedy, M. DeLellis et les Coles, ont commencé à détourner des fonds à leur profit ou au profit de parents. Une somme totale d’environ 1 million de dollars a été détournée.

 

[15]    La question des détournements de fonds a été portée à l’attention d’AIC. AIC a fait intervenir un gestionnaire externe, à savoir un cabinet du nom de Promiteer, qui a remplacé M. Kennedy et les Coles et a commencé à gérer le troupeau. Promiteer a fait intervenir Roy Hains, qui était comptable agréé et qui avait déjà été un associé dans Price Waterhouse. M. Hains a produit un rapport décrivant comment les détournements de fonds avaient été effectués et combien d’argent a été rapatrié (environ 500 000 $). De plus, à ce stade, on a changé le plan pour adopter une approche à long terme et accroître le troupeau. Toutefois, en février 2000, à cause des détournements de fonds et d’autres malheurs, on a été obligé d’arrêter définitivement l’exploitation.

 

OBSERVATIONS DES APPELANTS

 

[16]    La position fondamentale des investisseurs est qu’ils ont fait un placement légitime, en se fiant à des parties bien connues comme :

 

M. Kennedy, un célèbre avocat de London issu d’une famille fortunée;

 

Brian Costello;

 

Les membres de la famille Coles, qui étaient de grands éleveurs locaux bien connus;

 

Ernst & Young, un fameux cabinet d’expertise comptable d’envergure nationale;

 

La Compagnie Trust National, qui fournissait des services financiers;

 

AIC, un courtier en valeurs mobilières bien connu;

 

M. DeLellis, un courtier en valeurs mobilières à revenu élevé exerçant un emploi pour AIC.

 

Dans une certaine mesure, ils ont eux-mêmes fait une vérification diligente et, quoiqu’ils aient bel et bien structuré les choses de manière à réaliser des économies d’impôt — ce qu’ils étaient en droit de faire —, il y avait une attente de profit, et l’entreprise était exploitée. Bien qu’au début des pertes aient été envisagées, le plan était un plan à long terme, et des dividendes futurs étaient prévus.

 

[17]    Les appelants et les autres investisseurs soutiennent également que, n’eussent été les détournements de fonds importants, il était réaliste de leur part de s’attendre à réaliser des profits au bout du compte.

 

[18]    Les appelants et les autres investisseurs soutiennent en outre que, comme il n’y avait aucun élément personnel comme dans le cas de nombreux plans axés sur des considérations fiscales et se rapportant par exemple à l’exploitation de fermes d’élevage de chevaux et à la location de villas, ainsi qu’à d’autres affaires de cette nature, il s’ensuit qu’il devait y avoir une sorte d’entreprise qui était exploitée. Voir ce qui est dit plus loin au sujet de l’arrêt Stewart.

 

[19]    Les appelants croyaient que le concept était bon : grâce aux avantages diététiques de ce type particulier de bœuf à faible teneur en gras d’origine piémontaise, il y aurait un marché fort et rentable au Canada pour ce produit.

 

[20]    Les appelants font référence aux objets de l’offre qui sont énoncés dans le ME, à savoir :

 

a)       exploiter une entreprise consistant à acquérir des embryons congelés, à produire, par le transfert de ces embryons, des bovins de race piémontaise pure et à élever, répertorier, montrer et vendre ces bovins;

 

b)      fournir une occasion de gagner un revenu.

 

[21]    Les appelants font également référence au plan de dépenses détaillé concernant les prestations, avis fiscaux et services d’Ernst & Young qui sont tous énoncés dans le ME, ainsi qu’à la complexité générale et à l’exhaustivité du ME, que complétaient les huit contrats pertinents qui ont été mentionnés précédemment.

 

[22]    L’avocat des appelants ajoute que la structure était une série d’opérations homogène organisée de façon à assurer une efficacité sur le plan fiscal. Toutes les mesures nécessaires — du début à la fin — étaient prévues et planifiées dans le ME et ont été prises sous la supervision d’Ernst & Young et de divers avocats de tierces parties dont les rapports sur les opérations en franchise d’impôt ont été déposés au procès. Le cabinet Ernst & Young a dûment rempli et déposé au nom de chaque contribuable les formulaires se rapportant aux dispositions de roulement de l’article 85 et indiquant des valeurs ayant fait l’objet de choix conformément aux critères de l’article 85.

 

[23]    L’avocat ajoute également ce qui suit :

 

Le cabinet Ernst & Young a agi comme vérificateur pour Bovine I et Bovine II au cours de la première année et comme comptable par la suite. Les états financiers suivants ont été examinés au procès :

 

1)       état financier vérifié pour Bovine I au 31 décembre 1992. Pour ce qui est de l’activité commerciale, le cabinet Ernst & Young fait rapport sur les éléments suivants :

 

a)       argent en banque;

 

b)      comptes clients;

 

c)       stock d’embryons;

 

d)      frais payés d’avance;

 

e)       comptes fournisseurs;

 

f)       charges à payer.

 

La société en commandite a été dûment enregistrée auprès de Revenu Canada, a obtenu le numéro d’inscription d’abri fiscal TS05323499 et a été exploitée conformément aux lignes directrices en matière d’abri fiscal. Le cabinet Ernst & Young a certifié une perte agricole nette aux fins de l’impôt de 15 000 $ par unité, que chaque associé pouvait utiliser sous réserve des restrictions de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

Considérés ensemble, les rapports d’activité d’Ernst & Young contenus dans les divers états financiers vérifiés et non vérifiés montrent qu’il existait une entreprise et, en fait, ils font état de l’entreprise prévue dans le ME, ainsi que des projections. Des embryons ont été achetés et payés. Des embryons ont été implantés. Des frais administratifs ont été engagés. Des veaux sont nés et ont été vendus, et les activités bancaires habituelles ont été exercées. Des états financiers et des déclarations de revenu, ainsi que des choix, ont été établis et produits.

 

[24]    L’avocat des appelants fait remarquer qu’au procès, on a, avec Suzanne Walker, qui a témoigné pour l’Agence des douanes et du revenu du Canada (« ADRC »), soigneusement examiné le ME, qui énumère et décrit les huit contrats pertinents. On a en outre examiné avec elle chacun des huit contrats pertinents, et elle a confirmé que chacun de ces contrats était correctement présenté dans les brèves descriptions contenues dans le ME et que chaque contrat pertinent réalisait les objectifs indiqués dans les brèves descriptions contenues dans les ME. Un contribuable se donnant la peine de lire seulement les huit contrats pertinents aurait obtenu confirmation que les contrats devant exister existaient bel et bien.

 

[25]    Au sujet de la vérification diligente, l’avocat attire l’attention sur la réponse faite à Mme Walker et à l’ADRC par l’appelant M. Watters. Voir la pièce A‑1, section 2. En réponse à la question de savoir ce qu’il avait fait pour comprendre l’offre, M. Watters a dit que, après avoir lu et surligné le long ME, il avait demandé des renseignements supplémentaires aux entités et personnes suivantes :

 

1.       La Société canadienne d’enregistrement des animaux Ottawa;

 

2.       La Canadian Association of Piedmontese Yorkton (Saskatchewan);

 

3.       La Western Ontario Breeders Inc. Woodstock;

 

4.       Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation St. Thomas;

 

5.       Des propriétaires et gestionnaires locaux de bétail du comté d’Elgin, dans lequel M. Watters habitait.

 

[26]    En réponse à la proposition selon laquelle un abri fiscal devrait se justifier en tant que placement sans tenir compte d’économies d’impôt, M. Watters a dit que son calcul était basé sur un prix de vente qui, avait‑il appris, était de 5 000 $ dans le cas des mâles et de 6 500 $ dans le cas des femelles, ce qui donnait un rendement de 32 200 $ (et peut‑être plus) pour son placement initial de 20 000 $.

 

[27]    Malgré les réponses et rapports reçus des 25 investisseurs — y compris les observations des comptables et des avocats des investisseurs — et malgré le fait que la vente s’appuyait sur des titres, l’ADRC a continué à faire valoir qu’en tant que particulier M. Watters aurait dû se renseigner mieux ou davantage. Au procès, le Dr Betteridge (« M. Betteridge »), qui est le seul expert que l’ADRC ait appelé à témoigner, a reconnu que toutes les sources que M. Watters avait consultées pour obtenir des renseignements étaient des sources appropriées. M. Betteridge a déclaré que, si on l’avait interrogé sur le taux de 70 p. 100 envisagé par Bovine I ou sur le taux de 50 p. 100 envisagé par Bovine VI, il aurait probablement dit que sa meilleure estimation était de 60 p. 100 et qu’il n’y avait toutefois aucune garantie. Il est argué que, si M. Watters avait contacté M. Betteridge pour avoir son avis, la conclusion n’aurait pas été différente.

 

[28]    La Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (« CVMO ») a été saisie de l’affaire relative aux détournements de fonds et, le 9 avril 1997, elle a — ce qui souligne la gravité de ces détournements de fonds — rendu une décision par laquelle elle a déterminé qu’il y avait eu une conduite irrégulière quant à la vente concernant les sociétés en commandite « Bovine », que de fausses déclarations avaient été faites et que des commissions illicites avaient été reçues. La CVMO a statué qu’il serait pour toujours interdit à M. DeLellis et à M. Kennedy d’avoir un permis relatif à des valeurs mobilières.

 

[29]    Pour chaque année, les vérificateurs ont certifié que les conditions d’admissibilité aux fins de REER continuaient. Voir par exemple la section 13 de la pièce A‑1, soit la lettre type d’Ernst & Young à AIC concernant l’admissibilité aux fins de REER. Le plan prévoyait que les investisseurs transféreraient dans leurs REER les actions qu’ils détenaient dans une société de capitaux « Bovine », selon des valeurs que le cabinet Ernst & Young avait déterminées en se fondant sur les résultats effectifs des vérifications qu’il avait effectuées. Le cabinet Ernst & Young a établi un certain nombre de projections détaillées, y compris par exemple une projection à l’intention d’AIC et de M. DeLellis qui figure à la section 5 de la pièce A‑1 et qui est datée du 18 janvier 1993. Le schéma chronologique fait état du transfert en franchise d’impôt en faveur d’une société de capitaux; il fait également état de la dissolution des sociétés de capitaux et indique des flux de trésorerie selon divers scénarios, y compris, dans un cas, une distribution de fonds de 23 351 $ par unité et un rendement net pour l’investisseur après impôt de 7 767 $ en 1993 et de 15 835 $ en 1994.

 

[30]    Ces projections ont été remises à AIC et à M. DeLellis pour être utilisées dans le processus de commercialisation, et les investisseurs se sont basés sur ces projections pour prendre leur décision quant au placement.

 

[31]    Il importe de souligner que ces unités ont été commercialisées par l’intermédiaire d’une maison de courtage bien connue, et ce, avec l’appui d’Ernst & Young. La position des contribuables sera que les obligations en matière de vérification diligente incombaient principalement à AIC / Berkshire et qu’il n’incombait pas à chaque investisseur de devenir un expert en matière de bétail italien.

 

[32]    Les promoteurs ont toujours fait valoir que le projet serait rentable en raison des qualités intrinsèques du bœuf piémontais et en raison du marché potentiel au Canada pour ce produit, et le modèle d’entreprise n’incluait pas d’incitations à l’achat comme des voyages gratuits, l’utilisation gratuite de résidences de vacances ou même de la viande gratuite. Ce n’était pas une de ces affaires dans lesquelles une perte devient inévitable parce que, par exemple, le contribuable utilise une villa pendant la pleine saison et la loue à quelqu’un pendant le reste de l’année pour une somme d’argent qui ne va pas couvrir les intérêts hypothécaires, d’où le caractère inévitable d’une perte. Les projets relatifs aux sociétés en commandite « Bovine » étaient commercialisés seulement comme une occasion d’investir dans une nouvelle entreprise canadienne qui fournirait un nouveau produit bon pour la santé et qui générerait un revenu.

 

[33]    Une fois devenus au courant des détournements de fonds, les investisseurs se sont fait conseiller par des spécialistes du domaine de l’agriculture, y compris George Earley, dont le rapport a été déposé et qui a présenté un témoignage d’expert en l’espèce. M. Earley a fait un rapport positif sur la qualité du produit d’un point de vue génétique et a émis l’opinion que, sans la fraude massive liée au vol d’actifs des entreprises, le modèle d’entreprise pouvait être considéré comme bon et viable.

 

[34]    M. Earley a également émis l’opinion que, d’après ses connaissances d’expert en matière de transplantation d’embryons au Canada, le taux de réussite de 70 p. 100 prévu dans le ME relatif à Bovine I était atteignable. M. Earley a présenté des calculs détaillés — s’appuyant sur des relevés de ventes effectives de vaches piémontaises réalisées au Canada et aux États‑Unis à l’époque où les animaux devaient être disponibles pour fins de vente — qui indiquaient d’une manière concluante qu’il y aurait eu un profit, n’eût été la destruction des entreprises causée par le détournement d’un million de dollars. M. Earley a démontré que le coussin d’exploitation de chacune des sociétés en commandite « Bovine » était amplement suffisant pour les fins légitimes de chacune, mais ne permettait pas de faire face à un vol massif. M. Earley a témoigné que le concept relatif aux bovins de race piémontaise est en train de devenir un concept bien établi au Canada et que la transplantation d’embryons bovins est courante.

 

[35]    Après que les contribuables ont pris le contrôle de leur entreprise, ils ont obtenu l’aide de Wilmeth Ranch et ont entrepris un processus de constitution de troupeau à long terme. Ce processus est décrit dans le plan d’entreprise révisé de Middlesex Perth pour 1996 voir le rapport Hains, section 1; M. Hains s’était arrangé pour que certains des auteurs du méfait paient 283 000 $, soit ce qui est appelé l’« argent rapatrié ». Le processus consistait à utiliser des embryons en stock et des femelles pour constituer un troupeau de 150 animaux. À ce stade, les veaux produits annuellement pourraient être vendus, ce qui générerait un revenu suffisant pour que les actionnaires commencent à tirer un revenu de leur placement.

 

[36]    Au nom des investisseurs, M. Hains a négocié avec M. Kennedy en vue d’obtenir un paiement, mais M. Kennedy a fait faillite. M. Hains a également négocié avec le cabinet Ernst & Young, qui a refusé tout paiement. M. Hains a en outre négocié avec AIC, qui a fait un paiement sous forme de prêt sans intérêt de 250 000 $ sur son fonds commun de placement et qui a créé un fonds de prévoyance concernant les frais juridiques de 75 000 $.

 

[37]    On a fini par transférer le troupeau à Wilmeth Ranch, au Texas. Après cela, des représentants du conseil d’administration sont allés au Texas un certain nombre de fois et ont établi un certain nombre de comptes rendus de ces visites indiquant aux actionnaires l’état du troupeau. On a perdu le troupeau à cause des effets combinés des facteurs suivants :

 

a)       sécheresse;

 

b)      foudre;

 

c)       empoisonnement dû à une sorte d’astragale;

 

d)      perte de valeur du dollar canadien.

 

L’entreprise a cessé définitivement d’être exploitée en février 2000.

 

[38]    Un aspect fondamental de l’offre était qu’aucun emprunt ne serait requis. Le ME prévoyait à la page 16 que les sociétés en commandite n’emprunteraient pas d’argent à des banques et qu’il n’y aurait pas de financement de la part du vendeur. Dans chaque cas, l’investisseur fournissait une somme — libérée d’impôt — de 20 000 $. Ayant payé les 20 000 $, l’investisseur était dans une position où il s’attendait à récolter plus que 20 000 $, de manière à réaliser un profit.

 

[39]    Le ME stipule à la page 16 :

 

[TRADUCTION]

Il n’est pas envisagé que la société en commandite conclue directement des arrangements pour emprunter de l’argent à une banque ou à un autre établissement de prêt, l’intention actuelle du commandité étant de gérer les actifs se rapportant au troupeau de la société en commandite de manière à générer des recettes suffisantes pour répondre aux besoins relatifs au fonds de roulement de la société en commandite.

 

[40]    Le ME prévoyait en outre une assurance‑décès concernant le troupeau de la société en commandite. Il s’agit d’un facteur dont M. Earley a fait état au cours de son témoignage.

 

[41]    Avec M. Betteridge, on a passé en revue les parties du ME qui décrivent le troupeau et le produit piémontais, et M. Betteridge a reconnu que le document était exact d’un point de vue scientifique et était correct et factuellement juste à tous les égards.

 

[42]    Par l’intermédiaire de M. Hains, les contribuables ont présenté une preuve abondante, y compris la décision de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, qui met l’accent sur la mise au jour d’activités des divers auteurs du méfait qui a été commis. La Couronne argue que cette preuve n’est pas pertinente relativement à la question de l’attente raisonnable de profit et que la décision quant à savoir s’il y a une attente raisonnable de profit doit être prise lorsque les placements sont effectués et que les chèques sont faits. Cela s’est évidemment étalé sur une certaine période concernant les diverses sociétés en commandite « Bovine ».

 

[43]    L’objet de cette preuve était de démontrer que la cause de l’effondrement de l’entreprise était les détournements de fonds, mais les contribuables n’ont pas la charge d’établir cette cause, car ils n’ont qu’à prouver qu’avant le placement ils avaient non pas une garantie de profit, mais simplement une attente raisonnable de profit. Les contribuables sont allés jusqu’à prouver la cause de l’anéantissement de l’entreprise, en établissant que cette dernière était par ailleurs viable. En fait, M. Betteridge a reconnu que, les consommateurs étant de plus en plus soucieux de leur santé, il y avait un véritable potentiel de croissance relativement à ce produit au Canada.

 

[44]    Il est difficile de s’imaginer ce qu’il aurait été raisonnable de s’attendre qu’un contribuable ordinaire envisageant d’investir 20 000 $ — par l’intermédiaire d’un courtier en valeurs inscrit et conformément à un ME mis au point par Ernst & Young — fasse de plus que M. Watters ou M. Agnew en matière de vérification diligente. Comparativement à ce qu’il en était dans le cas d’affaires déjà tranchées, les recherches et demandes de renseignements de MM. Watters et Agnew étaient extrêmement approfondies. Étant donné qu’en vertu de la législation relative aux valeurs mobilières le contribuable n’était pas lié à M. Kennedy avant de faire son placement, il était en droit de se fier à AIC, avec qui il traitait.

 

[45]    Chacun des contribuables fait valoir ce qui suit :

 

1.       Il s’agissait d’un placement comptant, sans aucun financement de la part du vendeur.

 

2.       La seule motivation était de tirer un rendement du capital investi. Il n’y a pas d’élément personnel au sens de la jurisprudence.

 

3.       Dans les circonstances, chaque investisseur a fait une vérification diligente appropriée.

 

4.       Chaque investisseur était en droit de compter sur une vérification diligente de la part d’AIC et d’Ernst & Young.

 

5.       N’eussent été les détournements de fonds imprévus faits par le gestionnaire et ses collaborateurs, l’entreprise aurait été viable.

 

6.       Ces détournements de fonds n’étaient pas prévisibles et étaient hors du contrôle des contribuables.

 

7.       N’eussent été les détournements de fonds, l’entreprise aurait réalisé un profit. Voir la preuve présentée par M. Earley. Mme Walker a admis que, sans la somme de 1 million de dollars, les entreprises ne pouvaient réussir et que, après les détournements de fonds, l’échec était devenu inévitable.

 

8.       Les sommes qui ont été empruntées l’ont été en vue de réaliser un profit. À cet égard, l’avocat fait référence à la lettre de M. Watters à l’ADRC, ainsi qu’à la preuve présentée par M. Watters et par M. Agnew. Dans le cadre de l’opération, il n’était pas exigé que le contribuable emprunte de l’argent. L’ADRC allègue que le fait qu’il y avait 100 p. 100 de financement était inhérent à l’opération, mais le concept de financement à 100 p. 100 dans ces cas‑là s’applique à du financement accordé par le vendeur et non à une situation dans laquelle un contribuable emprunte en hypothéquant sa maison pour financer l’investissement. Mme Walker, de l’ADRC, a admis que, vu le travail qu’elle fait en matière d’évitement fiscal, elle connaît bien le cas habituel dans lequel le financement est fourni par le vendeur et dans lequel le remboursement dépend du succès de l’entreprise, peut faire l’objet d’une remise de dette dans certaines circonstances ou est en fait garanti par le promoteur. Les investisseurs dans les sociétés en commandite « Bovine » ont payé d’avance 100 p. 100 du montant en espèces, même dans les cas où ils ont emprunté cet argent à des tiers en donnant en garantie des actifs existants.

 

9.       Dans chaque cas, le placement était admissible aux fins des REER.

 

10.     Une entreprise existait et était exploitée, comme le montrent les états financiers, les documents relatifs aux flux de trésorerie et d’autres documents établis par Ernst & Young.

 

11.     Les transactions effectuées au niveau de l’investisseur, au niveau de la société en commandite et au niveau de la société de capitaux — ainsi qu’après le transfert dans un REER — représentaient une opération unique prévue par le ME et ne devraient pas être artificiellement subdivisées selon les diverses étapes qui avaient été planifiées.

 

12.     Les transactions étaient entièrement documentées d’avance, par le ME et les contrats pertinents.

 

13.     Il s’agissait de véritables pertes agricoles.

 

LE DROIT

 

[46]    Il s’agit avant tout de déterminer si, quand ils ont investi dans les projets relatifs aux sociétés en commandite « Bovine », les contribuables avaient une attente raisonnable de profit.

 

[47]    Dans l’analyse de la question de l’attente raisonnable de profit, il faut commencer par examiner le contexte factuel quant aux facteurs relatifs au présent investissement, lesquels facteurs doivent être comparés à ce qu’il en était dans le cas d’investissements considérés dans des affaires qui ont déjà été tranchées et qui s’inscrivent dans l’évolution de la jurisprudence.

 

[48]    Les principaux facteurs dans le cas du présent investissement sont les suivants :

 

a)       Les investisseurs, qui viennent du comté de Middlesex et d’agglomérations rurales avoisinantes, ont placé de l’argent dans un projet d’ordre agricole devant être réalisé dans leur région dans le cadre d’une nouvelle entreprise commerciale canadienne.

 

b)      Chaque investisseur payait au départ 20 000 $ ou 22 000 $ comptant. Il n’y avait pas de solde impayé garanti par du financement du vendeur. En fait, le ME stipule qu’aucun emprunt ne sera fait par l’entreprise.

 

c)       Il n’y a pas de remise éventuelle de dette en matière de solde impayé.

 

d)      Les budgets et états de trésorerie ont été soigneusement établis à grands frais par Ernst & Young  (voir l’opinion de M. Hains aux sections 4, 8, 9, 10 et 14).

 

e)       Les budgets prévoyaient des réserves pour éventualités qui étaient suffisantes pour couvrir quelle que soit l’éventualité les frais d’enregistrement, les frais de détermination de groupes sanguins et les frais d’assurance‑décès.

 

f)       L’auteur du projet était un avocat local et un politicien municipal bien connu et il faisait partie d’une illustre famille haut placée.

 

g)       Le contribuable pouvait obtenir 100 p. 100 du financement auprès d’un tiers, la Compagnie Trust National, s’il donnait en garantie sa maison ou d’autres actifs.

 

h)       Dans cinq des six cas, le responsable de la commercialisation était AIC / Berkshire, soit une entreprise de placements bien connue et très estimée.

 

i)        L’offre s’appuyait sur un avis fiscal d’Ernst & Young.

 

j)        Le cabinet Ernst & Young devait s’occuper et s’est bel et bien occupé des aspects concernant les diverses étapes juridiques du transfert en franchise d’impôt selon l’article 85, la production de la perte agricole restreinte, la vérification quant au caractère approprié des REER et l’évaluation relative aux REER (voir l’opinion de M. Hains à la section 13).

 

k)       L’effort de promotion des ventes a commencé par de la publicité dans le journal The London Free Press, ce qui a mené à la réunion publique qui s’est tenue au centre des congrès ou à l’école secondaire de London et à laquelle participait un personnage connu à l'échelle nationale dans la communauté financière, Brian Costello.

 

l)        Le vendeur, M. DeLellis, était un conseiller financier apparemment prospère.

 

m)      La technologie relative au processus de transplantation d’embryons était bien établie. En fait, M. Earley avait antérieurement réalisé le même processus avec des embryons congelés de la race bovine de la Moyenne et Haute Belgique. M. Betteridge a confirmé qu’il s’agit d’un processus vieux de 30 ans et il a parlé d’environ 22 000 transferts par année.

 

n)       La race piémontaise était connue dans le monde agricole, et le fait que les Canadiens se soucient de plus en plus de leur santé semblait un facteur militant en faveur de l’introduction et de la distribution de ce produit.

 

o)      Les membres de la famille Coles, soit des agriculteurs bien connus, devaient s’occuper des aspects d’ordre agricole.

 

p)      Dans chaque cas, en achetant par l’intermédiaire d’AIC une part dans une société en commandite, le contribuable était en droit de présumer et présumait bel et bien qu’AIC et son personnel avaient fait la vérification diligente nécessaire avant de procéder à l’offre. Le règlement de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario dispose que l’investisseur doit traiter directement avec AIC.

 

q)      Dans chaque cas, le contribuable, en achetant une part dans une société en commandite, était en droit de présumer et présumait bel et bien qu’Ernst & Young et son personnel avaient fait la vérification diligente nécessaire dans le processus relatif aux projections et que, en agissant comme vérificateurs, ils avaient bien examiné les résultats de l’exploitation des entreprises (voir l’opinion de M. Hains à la section 11).

 

r)       Comme le montrent ses facturations, le cabinet Ernst & Young a participé ouvertement à la commercialisation des parts dans les sociétés en commandite (voir l’opinion de M. Hains à la section 3).

 

s)       Le cabinet Ernst & Young a émis un avis positif sur la question de l’attente raisonnable de profit (voir l’opinion de M. Hains à la section 6) et a ainsi appuyé après coup l’avis qui avait été émis aux étapes de la planification du projet et selon lequel il y aurait une attente raisonnable de profit en l’absence de circonstances imprévues.

 

t)       Il n’y avait absolument aucun élément personnel en l’espèce : il n’y avait pas de viande gratuite ni d’appartements condominiaux gratuits.

 

[49]    Notre cour a examiné un certain nombre de causes dans lesquelles l’ADRC a allégué que le contribuable n’avait pas d’attente raisonnable de profit.

 

[50]    Dans l’affaire Dr Clare B. Baker c. Le ministre du Revenu national, C.C.I., no 84‑1870(IT), 8 septembre 1987 (87 DTC 566), M. Baker avait acheté une maison jumelée en Floride comme investissement productif de revenu. L’agent immobilier lui avait assuré qu’il pourrait louer le bien, et son comptable lui avait dit qu’il lui faudrait louer pendant 30 semaines par année pour faire de l’argent. Il y a eu des pertes, ainsi qu’un problème relatif au titre de propriété qui a occasionné des frais de 15 000 $. Le ministre n’a pas admis les pertes locatives. La Cour a conclu que le contribuable avait une attente raisonnable de profit et qu’il avait des raisons de croire que son investissement était viable. Un minimum de 30 semaines de location par année n’était pas excessif, et le fait que les locations ne s’étaient pas concrétisées ne pouvait être imputé à M. Baker.

 

[51]    Il est à noter que M. Baker s’était fié aux conseils de l’agent immobilier lui vendant la maison et qu’il avait parlé à son comptable avant d’investir 80 000 $.

 

[52]    Cet aspect est encore plus marqué dans le cas présent en ce sens que les associés dans les sociétés en commandite « Bovine » se fiaient :

 

a)       aux obligations fiduciaires importantes qu’avait AIC en matière de vérification diligente;

 

b)      aux projections d’Ernst & Young quant au ME.

 

[53]    Dans l’affaire Baker, en examinant l’arrêt Moldowan c. Sa Majesté la Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, la Cour a dit au sujet de l’attente raisonnable de profit, aux pages 5 et 6 (DTC : à la page 568) :

 

À mon avis, cela signifie qu’une expectative raisonnable de profit existe lorsque, compte tenu de tous les faits reliés à une entreprise, celle-ci peut, dans une période de temps réaliste [...] devenir rentable, sauf en des circonstances inhabituelles. En d’autres termes, l’entreprise peut-elle de la façon dont elle est structurée et si elle est exploitée de façon normale, être rentable?

 

[54]    Dans le cas de M. Baker, des circonstances inhabituelles auraient été qu’un ouragan détruise sa maison. Dans le cas des investisseurs dans les sociétés en commandite « Bovine », les circonstances inhabituelles tiennent à une fraude complexe que M. Kennedy, M. DeLellis et les Coles ont commise et que Roy Hains a mise au jour des années plus tard. Aucun de ces deux événements ne permettrait de douter de l’existence d’une attente raisonnable de profit.

 

[55]    Dans l’affaire Tonn c. Canada (C.A.), [1996] 2 C.F. 73 ([1996] 1 C.T.C. 205), la Cour d'appel fédérale a traité de cette question. Dans cette affaire, les contribuables avaient acheté un bien résidentiel à Scarborough dans l’intention de réaliser un profit. Ils ont subi des pertes pendant trois ans, pertes qu’ils ont déduites et que le ministre n’a pas admises. La Cour canadienne de l’impôt avait rendu une conclusion en faveur du ministre, et la Cour d'appel fédérale a infirmé la décision de la Cour canadienne de l’impôt.

 

[56]    Comme l’indique l’arrêt Tonn, il y a deux types d'affaires :

 

1.       les affaires où l’activité reprochée se caractérise en grande partie par un élément personnel;

 

2.       les affaires où le contribuable ne poursuit pas l’activité en question pour en tirer des avantages personnels.

 

[57]    Lorsque les circonstances ne donnent pas à penser qu’une motivation personnelle ou non commerciale existait relativement à la perte, le critère objectif de l’arrêt Moldowan doit être appliqué avec modération et avec une latitude favorisant le contribuable. L’application du critère de l’arrêt Moldowan comme critère objectif vise principalement à empêcher les réductions d’impôt illégitimes et ne doit pas servir d’instrument permettant de faire des conjectures sur l’appréciation commerciale des contribuables. Dans l’affaire Tonn, comme l’activité locative n’était pas un passe‑temps et qu’il ne s’agissait pas non plus d’une activité à caractère personnel, l’attente du contribuable quoique trop optimiste n’était pas déraisonnable.

 

[58]    Dans l’affaire Tonn, aux pages 83 à 89 inclusivement (CTC : aux pages 209 à 214), la Cour pose les principes juridiques se rapportant à la déductibilité prévue dans la Loi. Voir par exemple aux pages 84 et 85 (CTC : à la page 210) l’analyse de base relative au paragraphe 9(1), qui définit le revenu provenant d’une entreprise ou d’un bien comme étant le bénéfice provenant de l’entreprise ou du bien. Ainsi, le revenu correspond à un concept net, car le bénéfice désigne l’excédent des revenus sur les dépenses. Un bénéfice ne peut être réalisé qu’une fois les dépenses déduites.

 

[59]    Dans l’arrêt Tonn, il est dit aux pages 95 et 96 (CTC : à la page 219) :

 

Cependant, le respect des objets de la Loi exige-t-il que les déductions de pertes provenant d’entreprises exploitées de bonne foi soient refusées pour la simple raison que le contribuable a fait preuve de mauvais jugement? Je ne le crois pas. Si l’examen de la bonne foi du contribuable est nettement justifié dans certains cas, le régime fiscal ne devrait pas décourager ou pénaliser les contribuables qui ont pris des décisions honnêtes, mais erronées. Le régime d’imposition n’est pas fondé sur l’examen du sens des affaires de façon à accorder les déductions aux contribuables perspicaces et à les refuser à ceux qui ont manqué de jugement. [...]

 

À mon avis, lorsque le Ministère désire contester le caractère raisonnable des transactions d’un contribuable, il peut tout simplement, dans la plupart des cas, invoquer l’article 67, qui énonce qu’une dépense peut être déduite uniquement dans la mesure où elle est raisonnable dans les circonstances. Il n’est pas tenu d’appliquer le critère plus rigide de l’arrêt Moldowan.

 

[60]    À la page 97 de l’arrêt Tonn (CTC : à la page 220), la Cour traite d'affaires comportant un élément personnel :

 

·        l’exploitation d’une ferme d’élevage de chevaux;

 

·        la location d’une unité condominiale à Hawaï et en Floride;

 

·        la location d’un chalet de ski;

 

·        l’affrètement d’un yacht;

 

·        l’exploitation d’un chenil.

 

[61]    Dans ces affaires‑là, le désir de réaliser un profit n’est rien de plus qu’un vœu pieux ou un rêve fantaisiste.

 

[62]    Dans le cas des sociétés en commandite « Bovine », la preuve présentée par M. Hains et les états financiers vérifiés et non vérifiés provenant du cabinet Ernst & Young et de M. Bernhart établissent qu’il y a eu une entreprise pendant un certain nombre d’années. Il y a eu par ailleurs une activité répréhensible de la part de certains dirigeants, mais il est clair qu’il y a eu une entreprise. Quoi qu’il en soit, les activités répréhensibles des auteurs du méfait sont postérieures à la décision d’investir et postérieures à l’époque où l’attente raisonnable de profit est pertinente.

 

[63]    Dans l’affaire Allen c. Canada, [2000] A.C.F. n° 1651 (C.A.), l’appelant avait investi dans des biens de location avec un très petit versement initial en espèces. L’argument du ministre était que M. Allen n’avait pas d’attente raisonnable de profit étant donné l’importance de son emprunt devant être amorti sur 25 ans. La Cour canadienne de l’impôt avait conclu :

 

Il était clairement question d’un investissement à long terme fait de bonne foi, et l’on s’attendait à ce que, en temps et lieu, des versements soient effectués sur l’emprunt, lequel finirait par être remboursé, les appelants se retrouvant avec un investissement durable.

 

[64]    Il ne s’agissait pas de l’une de ces affaires dans lesquelles l’objet de l’investissement est d’obtenir un gain en capital. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de la Couronne.

 

[65]    Dans l’arrêt Allen, il est dit au paragraphe 9 :

 

[...] il n’est pas nécessaire d’aborder la question de savoir si le critère de l’attente raisonnable de profit s’applique à la société en commandite plutôt qu’au niveau des associés [...]

 

Au paragraphe 13, il est dit :

 

[...] l’investissement de l’intimé dans cette entreprise viable et rentable était dénué d’intérêt personnel et l’entreprise était véritable.

 

[66]    Dans le cas de l’investissement dans les sociétés en commandite « Bovine », il n’y avait pas d’intérêt personnel, il y avait une entreprise et il s’agissait d’une entreprise rentable selon l’ensemble de la preuve — et notamment selon les projections d’Ernst & Young.

 

[67]    Au paragraphe 14 de l’arrêt Allen, il est dit :

 

Le point de vue de l’appelante dans la présente instance élargirait l’application du principe de l’absence d’attente raisonnable de profit aux particuliers associés pour leur participation dans une société qui, à tous les égards, exploite une entreprise rentable. Ce point de vue laisse entendre que, en raison des arrangements financiers de l’intimé, la société en commandite dans laquelle l’intimé a investi n’a pas exploité une entreprise et n’était pas une source de revenu, mais seulement pour le montant des pertes d’intérêts supérieur au revenu provenant de l’entreprise. Le juge de la Cour de l’impôt était d’avis que « [c]ela est erroné sur le plan de la logique, du droit et du bon sens ». Nous sommes du même avis. 

 

[68]    Dans la présente espèce, les appelants soutiennent qu’il s’agit d’une opération unique à phases multiples qui, considérée dans son ensemble, représente un investissement effectué en vue de réaliser un profit.

 

ARGUMENTS DE L’INTIMÉE

 

[69]    Je vais entreprendre de paraphraser et de résumer les observations de l’avocat de l’intimée formulées oralement à l’audition des présents appels.

 

[70]    L’intimée soutient qu’il n’y avait pas d’entreprise exploitée activement et ayant une attente raisonnable de profit. La société en commandite n'a pas réalisé de profits; des profits n’étaient prévus qu’à l’étape où le troupeau avait été transféré aux sociétés de capitaux en franchise d’impôt en vertu de l’article 85, et c’étaient les sociétés de capitaux qui devaient vendre le troupeau et, espérait‑on, réaliser des profits.

 

[71]    Les observations de l’avocat des appelants sont en grande partie basées sur les documents existants, à savoir le ME et les huit contrats pertinents à l’appui du ME.

 

[72]    Le problème factuel est que ces documents avaient seulement pour objet d’étayer suffisamment le projet par des écrits et que jamais on n’a eu l’intention d’agir en conformité avec ces documents.

 

[73]    Mme Walker nous a dit que, quelques jours après que le commandité avait reçu de l’argent — soit au départ 100 000 $ correspondant à cinq souscriptions —, ce n’était pas à Jeffery & Associates qu’il envoyait cet argent; il en envoyait le plus gros à Asil, la société de capitaux des Coles qui gérait le troupeau.

 

[74]    Il n’y a jamais eu 140 naissances. Le produit des souscriptions n’a jamais été utilisé comme l’indiquait le ME. Environ le tiers des fonds correspondant aux souscriptions a été détourné, et il y a eu un détournement de fonds du début à la fin.

 

[75]    Comme nous le savons, ce qui va aider la Cour, c’est beaucoup plus les activités effectives des promoteurs que ce qu’ils avaient écrit qu’ils feraient.

 

[76]    Il ne faut pas se fier au ME ni aux autres documents.

 

[77]    Le ME parle du 30 juin 1992 comme date de clôture. M. Watters, le dernier souscripteur, a acheté sa part le 31 décembre 1992.

 

[78]    L’idée d’accorder de l’importance à ce que disent les documents devrait être écartée en grande partie et devrait probablement en fait être complètement rejetée.

 

[79]    Pour ce qui est de la question de la vérification diligente, M. Watters a lu et relu le ME. M. Agnew l’a fait seulement après un certain temps, c'est‑à‑dire bien après qu’il a pris et payé la souscription dans Bovine VI. Assurément, ces deux messieurs ne sont donc pas dans la même position en ce qui a trait à l’attention portée au ME. Au départ, M. Agnew n’avait tout simplement pas examiné ce document et n’avait pas demandé à le voir. Il ne l’a vu que bien des mois plus tard, c'est‑à‑dire après qu’il est devenu évident que le projet se dirigeait vers un échec.

 

[80]    M. Watters avait d’abord déterminé qu’il n’allait pas investir dans une société en commandite « Bovine ». C’est ce qu’il a dit au cours de son témoignage. Son investigation l’avait amené à conclure qu’il ne s’agissait pas d’un bon placement. Même lui a été incapable de nous dire pourquoi il est allé de l’avant et a effectué le placement après cela.

 

[81]    Il y a une distinction importante entre la société en commandite et la société de capitaux. Pour ce qui est de la société en commandite, c’est à l’égard des commanditaires qu’une cotisation fiscale doit être établie, et nous devons reconnaître l’existence d’une entité distincte, la société de capitaux, qui produit aussi une déclaration de revenu. Toute l’opération décrite dans le ME ne saurait être considérée comme un continuum. Il y a de nettes différences entre les entités participantes. Cela est incontournable.

 

[82]    Le rôle joué par Promitere et par MM. Hains, Thiessen et Lawson n’a aucun rapport avec les questions soumises à la Cour. Ils ont joué un rôle à une époque où toute cette opération était un échec lamentable.

 

[83]    Les investisseurs n’étaient pas en mesure de se fier à la vérification diligente effectuée par d’autres. Le ME lui‑même indique que personne n’a fait de vérification diligente. Telle est l’information qu’avaient les investisseurs eux-mêmes. Vu cette claire indication du ME, comment peut‑on soutenir que les investisseurs pouvaient avoir l’assurance que l’on avait fait une vérification diligente et qu’ils pouvaient compter sur Ernst & Young ou sur AIC?

 

[84]    La section 8 de la pièce A‑1 n’est guère utile, car il s’agit évidemment des états financiers au 31 décembre 1992, qui ont évidemment été établis en 1993. La date de clôture pour les 25 souscriptions relatives à Bovine I était alors passée. Ce n’est donc pas en se fondant sur ce document que l’un quelconque des investisseurs a pris la décision d’effectuer le placement.

 

[85]    Aucune preuve n’indique que le cabinet Ernst & Young a effectué une vérification diligente.

 

[86]    La pièce R‑21 a été déposée auprès de la Cour. Il s’agit de la Déclaration (demande introductive d’instance) qui avait été déposée auprès de la Cour supérieure de justice de l’Ontario le 15 octobre 1999 et qui a été modifiée le 13 juillet 2000. Il s’agit de la Déclaration dans laquelle les demandeurs sont les divers investisseurs nommés, y compris M. Agnew et M. Watters.

 

[87]    Le paragraphe 18 de la Déclaration dit que les observations formulées par le cabinet Ernst & Young indiquent que ce dernier a été négligent, qu’il a présenté sous un faux jour la position financière des sociétés en commandite et qu’il n’a pas fait suffisamment de recherches quant au bien‑fondé des projections financières et quant au bien‑fondé de l’utilisation prévue des fonds. Des recherches appropriées auraient révélé des problèmes quant aux dépenses prévues.

 

[88]    Le cabinet Ernst & Young n’a pas fait suffisamment de recherches au sujet du caractère raisonnable de l’entreprise quand il a donné aux investisseurs des avis financiers et fiscaux. Des recherches appropriées auraient révélé des problèmes quant à l’entreprise, et les avis qui ont été donnés étaient mal fondés.

 

[89]    Malgré ce que dit le ME au sujet du taux de réussite de 70 p. 100, l’élevage des animaux quel qu’en soit le nombre devant être produits grâce au processus en cause, les risques liés à toute activité agricole, la revente de ces animaux à un moment donné et les chances de succès ne semblent tout simplement pas indiquer qu’il s’agissait d’un bon placement.

 

[90]    En ce qui a trait à ces contrats de société en commandite, malheureusement, ce qui a motivé la décision d’investir, c’est les avantages fiscaux et non une évaluation de l’exploitation de l’entreprise, ainsi que des risques commerciaux et des profits de l’entreprise. Il n’y a aucune projection relative au revenu de l’entreprise dans le ME, alors qu’il serait raisonnable que cela fasse partie d’un tel ME.

 

[91]    Il n’y a pas de doute qu’en droit la société en commandite Bovine I est une entité juridique, qu’elle a certains droits et certaines obligations et que, eu égard à la Loi, ses profits et pertes doivent être déclarés au gouvernement, et notamment à l’ADRC, par les commanditaires. Tel est le rôle de cette entité. C’est ainsi que fonctionne une société en commandite. Si l’on choisit d’investir dans une telle société, il faut accepter les règles y afférentes.

 

[92]    Ce que nous savons bel et bien, c’est que, le 15 janvier 1994, la société en commandite allait transférer le troupeau à la société de capitaux, puis recevoir de celle‑ci 25 actions, distribuer ces actions aux 25 commanditaires et se dissoudre. Et jusqu’à ce moment‑là, le plan relatif à la société en commandite était que cette dernière n’allait pas faire d’argent et qu’elle allait seulement subir des pertes qui seraient prises en charge par les divers investisseurs.

 

[93]    Ainsi, de par la nature même de ce qui est énoncé dans le document majeur qu’est le ME, ce qui avait été prévu et ce qui s’est passé en fait indiquent que la société en commandite n’existait pas pour réaliser un profit. À quel point faut‑il aller davantage à l’essentiel pour pouvoir établir comme question ou conclusion de fait qu’il n’y avait pas d’attente raisonnable de profit relativement à la société en commandite? On nous dit que la société en commandite n’était là que pour obtenir les pertes et pour que les avantages correspondant aux pertes aillent aux commanditaires.

 

[94]    Sur la foi des faits, il est simple comme bonjour de conclure que la société en commandite n’avait pas d’attente raisonnable de profit. Elle n’était pas destinée à en avoir une.

 

[95]    Toutefois, l’avocat des appelants dit qu’il est satisfait au critère fiscal de l’attente raisonnable de profit quant à une entité juridique exploitant une entreprise, car le ME indiquait que la société de capitaux allait réaliser un profit après avoir disposé du troupeau et que ce profit allait de quelque manière revenir à la société en commandite.

 

[96]    Le paragraphe du ME intitulé « Pertes d’un commanditaire » dit :

 

[TRADUCTION]

En général, dans le calcul de son revenu imposable, un commanditaire peut déduire de toutes les sources de revenu sa part de la perte d’une société de personnes. [...]

 

[97]    Il est ensuite fait référence aux règles spéciales relatives à la perte agricole restreinte.

 

[98]    Par opposition à cela, examinons ce qu’indique le ME quant à savoir ce qui va arriver au sujet du traitement fiscal de pertes ou profits de la société de capitaux. À la page 39, au deuxième paragraphe complet, le ME dit :

 

[TRADUCTION]

Aux fins de l’impôt, tout revenu ou perte de la société de capitaux est un revenu ou une perte de la société de capitaux et ne peut être attribué aux actionnaires. [...]

 

[99]    Je suppose que cela fait partie des propos mal exprimés dont M. Hains parlait en disant que ça n’avait pas de sens, mais nous pouvons trouver un sens :

 

[TRADUCTION]

[...] Un revenu sera gagné par les actionnaires sous la forme de dividendes provenant de la société de capitaux.

 

[100]  D’accord. S’il y a des profits provenant de la société de capitaux, de l’impôt sera payé au niveau de cette société, et les actionnaires vont avoir leur part de ces profits sous la forme de dividendes.

 

[101]  Ce plan prévoyait la participation d’entités distinctes, à savoir une société en commandite et la société de capitaux. Le plan indiquait — et c’est exactement ce qui est arrivé — que les pertes seraient subies par la société en commandite, qu’elles seraient prises en charge par les commanditaires, que le troupeau serait transféré et que le profit, s’il y en avait un, serait distribué par la société de capitaux sous la forme de dividendes.

 

[102]  Toutefois, malgré les intentions exprimées dans le ME, la réalité est que, à l’étape du transfert en franchise d’impôt, aucun veau n’était né. À cette étape, ce que la société de capitaux recevait de la société en commandite, c’était 41 embryons, qui ont fini par donner 23 animaux vivants.

 

[103]  L’avocat de l’intimée soutenait que, vu les 23 veaux nés à un moment donné, vu les ressources de la société de capitaux, vu le manque d’expérience des préposés aux soins et à l’alimentation de ces 23 jeunes veaux et vu les fonds qui avaient été détournés, la seule conclusion à laquelle la Cour puisse parvenir est que cette entreprise n’avait pas d’attente raisonnable de profit et n’était donc pas une entreprise admissible. Il ne s’agissait pas d’une entreprise.

 

[104]  En ce qui a trait à la jurisprudence, nous avons divisé notre approche en trois parties. Nous allons d’abord traiter de la question des sociétés de personnes en général, puis de la question de l’attente raisonnable de profit et ensuite de la question des sociétés en commandite.

 

[105]  Dans l’arrêt Backman c. Canada, [2001] 1 R.C.S. 367, la Cour suprême du Canada dit au sujet de la notion d’entreprise exploitée en vue de réaliser un bénéfice :

 

Pour déterminer si une entreprise est exploitée « en vue de réaliser un bénéfice », il faut se demander quelles étaient les intentions des parties lorsqu’elles auraient formé la société de personnes.  Il importe au départ de distinguer la motivation de l’intention. 

 

[106]  Puis, à la page suivante, la Cour reconnaît qu’une motivation fiscale n’empêche pas nécessairement qu’une opération soit valable, mais la Cour poursuit en disant qu’il s’agit alors de savoir si le contribuable peut établir qu’il entendait réaliser un profit, qu’il ait été ou non motivé par des considérations fiscales.

 

[107]  Nous remarquons que le paragraphe 23 indique que le fait qu’un contribuable établisse l’existence d’un objectif accessoire visant la réalisation d’un bénéfice peut sauver la situation.

 

[108]  Au paragraphe 25, la Cour suprême dit :

 

En d’autres termes, pour statuer sur l’existence d’une société de personnes, les tribunaux doivent se demander si la preuve documentaire objective et les circonstances de l’affaire, notamment les actes concrets des parties, sont compatibles avec l’existence d’une intention subjective d’exploiter une entreprise en commun dans le but de réaliser un bénéfice. 

 

[109]  Il est allégué que, sur la foi de la preuve verbale du témoin et de la preuve documentaire et sur la foi de tous les faits pertinents, la société en commandite n’entendait pas exploiter une entreprise en vue de réaliser un bénéfice.

 

[110]  Dans l’affaire Canada c. Robinson (C.A.), [1998] 2 C.F. 569 (98 DTC 6065), au paragraphe 11, il est question d’un associé passif. La Cour dit que l’appelante s’appuie sur un courant jurisprudentiel selon lequel une personne conserve sa qualité d’associé aux fins de l’impôt même si son rôle se limite à celui d’un associé passif.

 

[111]  La Cour fait ensuite remarquer ceci :

 

Cela étant dit, ces dispositions doivent être considérées dans le contexte de l’ensemble de la Loi, et plus particulièrement de l’article 3 et des définitions de l’expression «  société en nom collectif » et du terme « personne », énoncées à l’article 1.  Ces dispositions tiennent nettement pour acquis, selon moi, que tous les associés d’une société en commandite exploitent l’entreprise de la société. 

 

[112]  Au paragraphe 17, il est dit que le fait qu’un appelant n’ait pas participé à la gestion de l’entreprise ne signifie pas que lui et les autres commanditaires n’ont pas exploité l’entreprise conjointement avec le commandité dans l’année; en fait, les commanditaires sont liés par les intentions et motivations du commandité. S’il n’y a pas d’entreprise pour le commandité, il ne peut y en avoir une pour les commanditaires, et ce n’est pas un espoir de ces derniers qui indique l’existence d’une entreprise s’il n’y a pas d’entreprise pour le commandité.

 

[113]  Et la jurisprudence nous dit que c’est la conduite du commandité qui permet de déterminer si le revenu est un revenu d’entreprise ou un gain en capital, c'est‑à‑dire si une entreprise est exploitée.

 

[114]  Dans l’affaire Nicols c. Canada, [1997] A.C.I. n° 88, le juge Rowe, de la C.C.I., cite et approuve, au paragraphe 48, les propos suivants tenus par le juge Hamlyn dans l’affaire Watson c. La Reine, C.C.I., no 92‑1207(IT)G, 20 mars 1995 ([1995] 2 C.T.C 2460) :

 

Calcul de la perte d’entreprise

 

L’article 3 de la Loi énonce les règles permettant de déterminer le revenu du contribuable.  Il est tenu compte des pertes d’entreprise en vertu de l’alinéa 3d), qui dit que la fraction calculée selon l’alinéa 3c) est réduite du "total des pertes subies par le contribuable pour l’année qui résultent [...] d’une entreprise"

 

Les dispositions de la Loi qui s’appliquent au calcul d’une perte d’entreprise sont celles qui s’appliquent au calcul du revenu d’entreprise ou, selon le libellé du paragraphe 9(2) :

 

9(2)      [...] la perte subie par un contribuable dans une année d’imposition relativement à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte, si perte il y a, subie dans cette année d’imposition relativement à cette entreprise ou à ce bien, calculée en appliquant [...] les dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien.

 

La disposition générale de la Loi, en ce qui concerne le calcul du revenu d’entreprise (et par conséquent de la perte d’entreprise), est le paragraphe 9(1), qui est ainsi libellé :

 

9(1)      [...] le revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

 

L’alinéa 18(1)a) dit que, dans le calcul de ce bénéfice (ou de la perte), les éléments suivants ne sont pas déductibles :

 

18(1)a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien;

 

Même si un débours est fait ou une dépense engagée à cette fin, ils demeurent assujettis à la restriction générale prévue à l’article 67, à savoir :

 

[...] aucune déduction ne doit être faite relativement à un débours ou à une dépense [...] sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense était raisonnable eu égard aux circonstances.

 

Pour l’année d’imposition en question, la version pertinente du paragraphe 245(1) prohibait également les déductions faites :

 

[...] à l’égard d’un débours fait ou d’une dépense faite ou engagée, relativement à une affaire ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu.

 

Sens du mot "entreprise"

 

Quoi qu’il en soit, une perte d’entreprise présuppose l’existence d’une entreprise.  Le paragraphe 248(1) donne une définition élargie du mot  "entreprise", qui comprend

 

[...] une profession, un métier, un commerce, une manufacture ou une activité de quelque genre que ce soit et [...] un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial […].

 

Toutefois, en l’espèce, c’est le sens ordinaire du mot "entreprise" qui est pertinent.  Dans l’affaire Moloney (précitée), la Cour a fait remarquer, à la p. 6570, que pour qu’une activité constitue une entreprise, elle doit produire un revenu de son propre chef et non simplement par suite de l’application de la Loi :

 

Il est un principe élémentaire du droit que les contribuables peuvent structurer leurs affaires de manière à être assujettis au minimum d’impôt; toutefois, il est tout aussi évident à notre avis que, pour les contribuables, la réduction de leurs propres impôts ne peut en soi constituer une entreprise aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu.  En d’autres termes, pour qu’une activité soit reconnue comme une "entreprise" dont les dépenses sont déductibles en vertu de l’alinéa 18(1)a), non seulement le contribuable doit-il s’y adonner avec une expectative raisonnable de profit, mais aussi faut-il s’attendre à ce que le profit en question découle de l’activité elle-même et non pas exclusivement des dispositions de la loi fiscale.

 

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            [notes de bas de page omises]

 

            Plus récemment, dans l’affaire Bendall c. La Reine, (3 janvier 1995, 93-2854(IT)G), la Cour a examiné le sens du mot "entreprise".  Le juge Bonner a dit ceci, aux pages 6-7 :

 

La question en litige est de savoir si l’appelant exploitait une "entreprise" au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (la "Loi"). Il faut donner à ce terme son sens ordinaire et ce sens n’inclut pas un projet d’évitement fiscal, qui n’est rien de plus qu’une pâle imitation d’une entreprise. L’appelant ne participait pas à une activité commerciale, que ce soit directement ou par l’entremise d’Omni, son mandataire. La preuve objective concernant la manière dont le projet fonctionnait ainsi que les actes et les omissions des parties portent nettement à conclure que l’appelant et les auteurs du projet n’étaient pas intéressés à commercialiser les cours de lecture rapide et à tirer des profits de cette activité. Il est indubitable que ce qui était recherché, c’était une déduction d’impôt donnant lieu à un remboursement qui irait en partie aux auteurs du projet et en partie à l’appelant. Je ne crois pas le témoignage de l’appelant quant à son intention subjective.  Comme le dit l’arrêt Symes v. The Queen [[1993] 4 R.C.S. 695, juge Iacobucci, p. 736, [1994] 1 C.T.C. 40, p. 58,  94 D.T.C. 6001, p. 6014] :

 

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[note de bas de page omise]

 

Comme dans d’autres domaines du droit, lorsqu’il faut établir l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances.

 

À mon avis, l’alinéa 18(1)a) de la Loi empêche la déduction des éléments constitutifs des "pertes".

 

       La raison de la décision que la Cour d’appel a rendue dans l’affaire Moloney est exposée dans le passage suivant :

 

À notre avis, le jugement frappé d’appel repose sur les conclusions de fait du juge de première instance, notamment que l’appelant n’a jamais eu l’intention de s’adonner à la mise en marché du cours de lecture rapide, que ce soit personnellement ou par l’entremise d’Omni, que ni l’appelant ni Omni n’avaient les moyens ou la capacité de le faire et que le projet avait pour seul et unique but d’obtenir des remboursements d’impôt.

 

Cette décision est applicable malgré l’absence, en l’espèce, d’une preuve de la "chaîne fermée et de la simultanéité des opérations entre les compagnies liées". Les faits essentiels de l’espèce et de l’affaire Moloney sont les mêmes. En conséquence, les appels sont rejetés, avec frais.

 

Ayant passé en revue la jurisprudence, le juge Hamlyn, de la Cour canadienne de l’impôt, a poursuivi en ces termes :

 

Analyse

 

            Les appelants ont principalement acheté un stratagème de réduction d’impôt. L’assertion selon laquelle un placement de 500 $ assurerait un revenu à la retraite ou un revenu futur n’est pas confirmée par la réalité. Les appelants ont simplement signé des documents et payé des droits de permis. Ils n’ont pas fait d’enquête ou de recherches; ils n’ont pas élaboré de plan d’entreprise et, de toute évidence, ils ne se sont pas efforcés d’exploiter une entreprise

 

[115]  L’avocat de l’intimée a cité d’autres décisions qui font jurisprudence et selon lesquelles un plan d’évitement fiscal inapproprié ne marchera pas.

 

[116]  L’avocat de l’intimée soutenait en outre que, pour pouvoir déduire ses dépenses, une société en commandite doit avoir engagé les dépenses en vue de tirer un revenu de l’entreprise prétendument exploitée par elle (voir l’alinéa 18(1)a) de la Loi).

 

[117]  Le critère d’attente raisonnable de profit énoncé par la Cour suprême du Canada est un moyen qu’un tribunal peut utiliser pour examiner la déductibilité de dépenses aux fins de la Loi. Ce critère tient compte des facteurs suivants :

 


a)       les antécédents et la formation du contribuable;

 

b)      l’état des profits et pertes de l’entreprise;

 

c)       la voie sur laquelle le contribuable entendait s’engager;

 

d)      la capacité de l’entreprise de réaliser un profit après déduction pour amortissement.

 

[118]  Une société en commandite qui entendait s’engager sur une voie lui permettant de se départir de tous ses actifs générateurs de revenu avant que des revenus puissent être produits, conformément à son plan d’entreprise et à l’exploitation effective de l’entreprise, n’est certainement pas une entité ayant été créée en vue de tirer un revenu de cette entreprise.

 

[119]  La Cour canadienne de l’impôt doit prendre en compte la motivation sous‑jacente à la création de la société de personnes. S’il existe une motivation non commerciale comme la seule production d’avantages fiscaux, la Cour canadienne de l’impôt est tenue d’appliquer très strictement le critère d’attente raisonnable de profit.

 

[120]  En l’espèce, avant que des revenus puissent être générés par la liquidation prévue du troupeau, celui-ci, soit le seul actif de la société en commandite, a été transféré à une société de capitaux pour que cette dernière ait les revenus pouvant être produits. La distribution du revenu de cette société de capitaux était à l’entière discrétion du conseil d’administration de la société de capitaux.

 

[121]  De plus, à l’étape de cette vente, il y avait longtemps que les actions de cette société de capitaux n’étaient plus entre les mains de la société en commandite, celle‑ci ayant été dissoute dans les 60 jours suivant le transfert d’actifs à la société de capitaux. À ce stade, les actions étaient détenues dans les REER autogérés d’un certain nombre de contribuables.

 

[122]  Dès sa création, la société en commandite n’avait ni l’intention ni la capacité de réaliser un profit.

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[123]  À mon avis, les appels doivent être admis, avec dépens, et ce, pour les raisons principales suivantes :

 

1)       Il est clair qu’une activité commerciale était exercée. Des embryons étaient achetés, importés et implantés dans des vaches porteuses en vue de produire des veaux dont la qualité de la viande serait la même que dans le cas des donneurs des embryons. L’ensemble de la preuve indique que, n’eussent été les détournements de fonds, le plan aurait réussi.

 

2)       Il y avait une ferme en exploitation, où des activités étaient exercées. Les activités peuvent ne pas avoir été d’aussi grande envergure que ce qui était prévu dans le ME, mais il est indubitable qu’elles ont été exercées.

 

3)       Les investisseurs se sont fiés aux protagonistes du projet, à savoir M. Kennedy, qui était un avocat ayant une bonne réputation, Ernst & Young, les Coles, M. Costello, qui était un conseiller financier bien connu et par qui le plan était proposé, et AIC. Quoique le rôle de ces diverses personnes et entités puisse ne pas avoir été aussi important qu’il aurait dû l’être, il semble que les investisseurs aient été impressionnés par ces personnes et entités. Il est en outre avéré qu’au moins M. Watters a fait des recherches approfondies sur le concept et qu’il s’est renseigné auprès de divers organismes dont même M. Betteridge disait que c’était les organismes auxquels il convenait de s’adresser pour avoir des renseignements. M. Watters avait apparemment déterminé au début que le placement n’était pas intéressant pour lui, mais, par la suite, il a changé d’idée et est allé de l’avant.

 

4)       Les appelants ont payé leur placement avec leur argent. Bien qu’ils aient emprunté cet argent à la Compagnie Trust National, ils ont donné en garantie leur maison ou d’autres actifs. Ils utilisaient donc en fait leurs propres actifs / fonds pour faire le placement.

 

5)       L’opération devait être effectuée sans aucun financement de la part de la société en commandite ou de la part des sociétés de capitaux devant ultérieurement jouer un rôle.

 

6)       Le plan a été exécuté à long terme, était vaste et approfondi et incluait huit contrats importants. Il a attiré 135 investisseurs. Ce n’était pas un plan douteux.

 

7)       Il est bien établi que le désir d’obtenir un avantage fiscal ou une perte aux fins de l’impôt ne stigmatise pas automatiquement le placement et n’en fait pas simplement un plan d’évasion fiscale, bien qu’une entreprise ait été envisagée.

 

8)       Et, facteur très important, il n’y avait pas d’élément personnel quant au placement. Dans l’arrêt Stewart c. Canada, [2002] A.C.S. n° 46, soit une décision de la Cour suprême du Canada rendue après l’audition des présents appels, une analyse approfondie du concept d’attente raisonnable de profit est effectuée.

 

En bref, voici ce qui est dit au paragraphe 53 :

 

Nous soulignons que ce critère de l’existence d’une source "en vue de réaliser un profit" ne doit faire l’objet d’une analyse que dans les situations où l’activité en cause comporte un aspect personnel ou récréatif.  En toute déférence, nous estimons que les tribunaux ont commis une erreur, dans le passé, en appliquant le critère de l’ERP à des activités comme l’exercice du droit et la restauration qui ne comportent aucun aspect personnel de cette nature : voir, par exemple, Landry, précité; Sirois, précité; Engler c. La Reine, 94 D.T.C. 6280 (C.F.).  Lorsqu’une activité est clairement de nature commerciale, il n’est pas nécessaire d’analyser les décisions commerciales du contribuable.  De telles démarches comportent nécessairement la recherche d’un profit.  Il existe donc par définition une source de revenu et il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin.

 

[124]  La décision de la Cour suprême du Canada dans Stewart a également été appliquée dans l’arrêt de la Cour suprême Walls c. Canada, [2002] A.C.S. n° 47. Il est à noter que, bien que ces deux arrêts et qu’un arrêt de la Cour d'appel fédérale aient été rendus seulement après l’audition des présents appels, tout comme l’arrêt de la Cour d'appel fédérale Stanley Witkin c. Canada, 2002 CAF 174, les avocats des deux parties en l’espèce ont subséquemment formulé des observations sur ces décisions.

 

[125]  Dans l’affaire Witkin, la Cour n’a pas traité du critère d’attente raisonnable de profit, mais a statué que, comme l’existence d’une société de personnes n’avait pas été prouvée, le soi‑disant associé en cause ne pouvait déduire des pertes, et l’appel a été rejeté. Je ne pense pas que l’issue de cette affaire influe beaucoup sur l’issue des présents appels.

 

[126]  Dans la présente espèce, l’investissement a changé de forme, c'est‑à‑dire que l’on est passé des sociétés en commandite initiales, qui ont subi des pertes, à une structure dans le cadre de laquelle des sociétés de capitaux ont été créées, des actifs ont été transférés par les sociétés de personnes aux sociétés de capitaux, des actions des sociétés de capitaux ont été émises en faveur des anciens associés dans les sociétés en commandite, et ces dernières ont été dissoutes peu après. Je ne crois pas qu’un changement quant à la structure qui avait été prévue dans le ME soit suffisant pour anéantir le concept initial de source commerciale et de profit. Bien que l’opération ait été effectuée à différentes étapes par différentes entités, il s’agit d’un plan continu qui, vu l’absence d’élément personnel, représentait une source commerciale. De plus, aucun profit immédiat n’était prévu pour les commanditaires, mais il était prévu que ces derniers recevraient des dividendes en temps opportun sur les actions de société de capitaux qu’ils ont reçues en échange des actifs des sociétés de personnes.

 

[127]  En conséquence, pour tous les motifs énoncés précédemment, les appels sont admis, avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour d’octobre 2002.

 

 

« T. O’Connor »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour d'août 2004.

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

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