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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

2002‑1052(IT)I

ENTRE :

RICHARD GORDON PYNE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

Appel entendu le 7 août 2002 à Toronto (Ontario)

par l’honorable juge A. A. Sarchuk

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :                                 L’appelant lui‑même

 

Avocat de l’intimée :                           Me A'Amer Ather

 

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1999 est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que dans le calcul de son revenu, l’appelant a le droit de déduire la somme de 10 300 $ à titre de paiements de pension alimentaire.

 

 

 

 

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d’octobre 2002.

 

 

 

« A. A. Sarchuk »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d’avril 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice

 


 

 

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

 

Date : 20021004

Dossier : 2002‑1052(IT)I

 

ENTRE :

 

RICHARD GORDON PYNE,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Sarchuk

 

[1]     Il s’agit d’un appel interjeté par Richard Gordon Pyne à l’encontre d’une cotisation d’impôt qu’a établie le ministre du Revenu national pour son année d’imposition 1999. Dans le calcul de son revenu pour cette année, l’appelant a déduit, entre autres, la somme de 10 300 $ à titre de paiements de pension alimentaire. En établissant cette cotisation à l’égard de l’appelant, le ministre a refusé la déduction pour les motifs suivants :

 

a)       il s’agissait d’une somme qu’a versée l’appelant à son ex‑épouse, Susan Mary Hilton (Mme Hilton), en remplacement de paiements de pension alimentaire en vue de se libérer de son obligation de verser une pension alimentaire;

b)      le paiement forfaitaire de 10 300 $ qu’il a déduit ne consistait pas en un montant que l’appelant a versé à Mme Hilton en vertu d’une ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit à titre de paiements périodiques de pension alimentaire;

c)       le paiement forfaitaire de 10 300 $ qu’a déduit l’appelant n’était pas un paiement d’arriérés au titre de la pension alimentaire pour enfants et de la pension alimentaire versée à un époux que devait l’appelant à Mme Hilton en vertu du jugement.

 

Faits

 

[2]     L’appelant était le conjoint de fait de Mme Hilton. Les parties se sont séparées en 1992, et la relation maritale s’est terminée en vertu d’un jugement qu’a prononcé le juge O'Connell de la Cour de l’Ontario (Division générale) daté du 22 juin 1993[1]. Le paragraphe 5 de ce jugement stipule ce qui suit :

 

[traduction]       

 

LA COUR STATUE qu’en vertu de la Loi sur le droit de la famille et du paragraphe 3 du procès‑verbal de transaction, le défendeur doit verser à la demanderesse la somme de 5 100 $ par mois au titre de pension alimentaire pour le conjoint et pour les enfants à compter du 1er jour du mois suivant la date à la quelle la demanderesse quittera la résidence située au 47 Thicket Road.

 

Le jugement stipule également ce qui suit au paragraphe 6 :

 

          [traduction]

 

            LA COUR STATUE EN OUTRE qu’en vertu de la Loi sur le droit de la famille et du paragraphe 3 du procès‑verbal de transaction que le montant de la pension alimentaire pour le conjoint et pour les enfants soit révisé dans deux ans.

 

[3]     À la fin de la période de deux ans, l’appelant a tenté de faire réviser le montant, mais Mme Hilton a refusé de collaborer. En raison de son intransigeance, il a intenté une action contre elle en 1995 et, en vue d’accélérer le règlement du litige, il a unilatéralement réduit les paiements requis de pension alimentaire pour le conjoint et pour les enfants. Néanmoins, selon l’appelant, les choses ont progressé lentement et ce n’est qu’au début de 1997 que son avocat a finalement été en mesure de présenter l’affaire en audience préparatoire tout à fait par hasard devant le juge O'Connell. Au cours de la comparution, de nombreux points ont été débattus, notamment les arriérés et le versement continu de la pension alimentaire pour le conjoint et pour les enfants, et à la fin de l’audience préparatoire, les parties sont parvenues à une entente. L’avocat a rédigé un long résumé du procès‑verbal de transaction que chacune des parties a signé. L’avocat et les parties avaient convenu que ce procès‑verbal serait dactylographié et souscrit de nouveau. À la fin du mois de mai 1997, l’appelant a signé le procès‑verbal puis le document a été expédié à l’avocat de Mme Hilton qui a attendu jusqu’au 28 avril 1998 avant de le signer. Pendant ce temps, l’appelant a exécuté les modalités de l’accord, conformément à ses obligations prévues audit accord.

 

[4]     La partie pertinente du procès‑verbal de transaction[2] au présent appel est énoncée aux paragraphes 10 et 16 du procès‑verbal qui sont ainsi formulés : 

 

[traduction]

 

10.       a)         Le requérant, Richard Gordon Pyne, doit verser à l’intimée, Susan Mary Hilton, en règlement intégral et définitif de tous les arriérés des paiements de pension alimentaire qu’elle réclame en vertu du paragraphe 5 du jugement, toutes les réclamations en vertu ou aux termes du paragraphe 8 du jugement et, pour couvrir les coûts liés à la présente demande et à la demande contraire, la somme de QUARANTE‑CINQ MILLE DOLLARS (45 000 $). 

 

            b)         Ladite somme de 45 000 $ doit être versée en deux (2) versements égaux de VINGT‑DEUX MILLE CINQ CENTS DOLLARS (22 500 $) le premier jour de juillet de chacune des années 1998 et 1999 ou avant cette date.

 

            c)         De chacun de ces versements de 22 500 $ susmentionnés, la somme de DIX MILLE TROIS CENTS DOLLARS (10 300 $) doit être portée au crédit de chacune des parties et attribuée à celles‑ci au titre d’arriérés de pension alimentaire dus aux termes du paragraphe 5 du jugement, la somme de DIX MILLE DOLLARS (10 000 $) doit être portée au crédit de chacune des parties et attribuée à celles‑ci au titre d’arriérés de pension alimentaire dus aux termes du paragraphe 8 du jugement et le solde de DEUX MILLE DEUX CENTS DOLLARS (2 200 $) doit être porté au crédit des parties et celles-ci doivent attribuer cette somme au titre des réclamations de l’intimée pour couvrir les coûts liés à la présente demande et à la demande contraire. De même, tout paiement partiel au titre de versements échelonnés doit être porté au crédit des parties et être attribué à celles-ci selon cette même proportion.

 

16.       L’intimée, Susan Mary Hilton, reconnaît et convient que le paiement qui lui sera versé au montant de 20 600 $, dont il est fait mention au point c) du paragraphe 10 ci‑dessus (somme qui sera versée en deux (2) versements de 10 300 $ chacun), le sera en règlement intégral et définitif de tous les arriérés des paiements périodiques de pension alimentaire qui lui sont dus en vertu du paragraphe 5 du jugement et que les dispositions prévues au paragraphe 7 du jugement s’appliqueront audit paiement[3].

 

Position de l’appelant

 

[5]     Les paiements de 10 300 $ versés pour chacune des années 1998 et 1999, comme l’exigeait le point c) du paragraphe 10 du procès‑verbal de transaction, représentaient les arriérés dus au titre de pension alimentaire pour le conjoint et pour les enfants en vertu du paragraphe 5 du jugement que l’appelant avait retenus pendant la période de 1995 à 1997. Il ne conteste pas qu’en versant uniquement le paiement forfaitaire de 110 000 $ à Mme Hilton, il n’était plus tenu de verser d’autres « paiements de pension alimentaire »[4]. Cependant, il soutient que cette décharge de ses obligations n’a aucun lien ou rapport avec le paiement de la somme de 10 300 $ qui était [traduction] « purement et totalement attribuable aux arriérés » et qu’elle ne consiste pas en une décharge de ses obligations éventuelles à verser des paiements de « pension alimentaire », comme l’a présumé l’intimée. S’appuyant sur les affaires La Reine c. Sills[5] et Soldera v. M.N.R.[6], l’appelant fait valoir que le paiement en question ne change pas de nature pour la seule raison qu’il n’a pas été effectué à temps et affirme que de toute évidence, les faits dans l’affaire en l’espèce se distinguent de ceux dans l’affaire M.N.R. v. Armstrong[7], une décision sur laquelle s’est appuyé l’avocat de l’intimée.

 

Position de l’intimée

[6]     L’avocat de l’intimée a fait valoir qu’il n’était pas pertinent de savoir si un paiement forfaitaire avait été versé en vue de remplir des obligations alimentaires actuelles ou futures, étant donné que le critère à appliquer consiste à savoir si le paiement en question a été versé en vertu d’un décret, d’une ordonnance ou d’un jugement et non pas s’il a été versé en vertu d’une obligation légale imposée ou assumée. Dans l’affaire en l’espèce, l’intimée soutient que le libellé du paragraphe 16 du procès‑verbal de transaction ne peut être interprété que comme supprimant une obligation à l’égard d’arriérés qui sont dus. Plus particulièrement, l’avocat a fait valoir que l’expression [traduction] « en règlement intégral et définitif » était nécessaire parce que le montant réel des arriérés n’était pas précisé dans le procès‑verbal de transaction. Ainsi, les dispositions expliquent les obligations vis‑à‑vis la totalité des arriérés qui sont dus et libèrent l’appelant de toute obligation future à l’égard de sommes non payées qui pourraient éventuellement être exigées à titre d’aliments pour les enfants, et ce, a soutenu l’avocat, parce que le libellé employé dans le procès‑verbal de transaction laisse sous‑entendre que hormis les sommes qu’a versées l’appelant, il existait des montants additionnels d’arriérés. En conséquence, la décharge des obligations était nécessaire afin d’éviter d’autres poursuites contre l’appelant. Pour ce motif, l’avocat de l’intimée a fait valoir que la présente affaire s’inscrit dans le cadre des décisions Armstrong et Groleau v. The Queen[8] et que, par conséquent, la position de l’appelant doit être rejetée. 

 

[7]     De plus, en s’appuyant sur la définition du terme « pension alimentaire pour enfants » prévue au paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’avocat de l’intimée a également fait valoir que la somme de 10 300 $ qu’a déduite l’appelant, si l’on considère qu’il s’agit d’un paiement de pension alimentaire, est visée par l’alinéa 60b) de la Loi. Essentiellement, selon cet argument, l’article de la Loi dont il est fait mention s’applique rétrospectivement et a une incidence sur les paiements dus et exigibles pour une certaine période avant la promulgation des articles invoqués.

 

Conclusion

 

[8]     L’appelant a témoigné que les sommes de 10 300 $ versées pour chacune des années 1998 et 1999 l’ont été afin de régler les arriérés des montants payables périodiquement en vertu du paragraphe 5 du jugement au titre de pension alimentaire pour le conjoint et pour les enfants. Il soutient également que le paiement d’arriérés au titre d’aliments, si un tel paiement représente la pension alimentaire payable périodiquement à titre d’allocation et par ailleurs déductible, est versé sous forme de paiement forfaitaire, alors le montant ainsi versé est déductible dans l’année de paiement.

 

[9]     Je suis convaincu que la position de l’appelant est fondée. Dans l’affaire en l’espèce, les sommes de 10 300 $ ont été versées en 1998 et en 1999 en vue d’exécuter les modalités de l’accord de séparation. L’allégation du ministre selon laquelle ces paiements ont été versés en règlement intégral d’arriérés plus élevés que ce que ces montants représentent n’est pas défendable. Nonobstant les mots [traduction] « en règlement intégral et définitif de tous les arriérés des paiements de pension alimentaire », je suis convaincu que lesdits paiements de 10 300 $ ne représentent rien d’autre qu’une concrétisation des sommes dues périodiquement en vertu du jugement original. De plus, ils n’ont pas pour effet de décharger l’appelant de ses éventuelles obligations de « pension alimentaire pour enfants » ou envers le conjoint, ce dernier aspect ayant été expressément traité aux termes du paiement de 110 000 $[9].

 

[10]    Je suis convaincu que la position qu’a adoptée la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sills s’applique à l’affaire en l’espèce. Dans cet arrêt, le juge Heald a fait l’observation suivante à la page 5098 :

 

[traduction]

 

[] Pourvu que l’accord prévoie que les montants d’argent sont payables périodiquement, l’exigence contenue à l’alinéa est respectée. Les paiements ne changent pas de nature pour la seule raison qu’ils ne sont pas effectués à temps. Le membre de la Commission de révision de l’impôt a, selon moi, commis la même erreur lorsqu’il a dit que les sommes devant être incluses dans le revenu « doivent avoir été reçues exactement, conformément aux dispositions de l’accord ». L’alinéa ne dit pas cela. [] (Je souligne.)

 

Dans son résumé, le juge a fait une distinction entre l’affaire dont il était saisie et la décision Armstrong en déclarant à la page 5099 ce qui suit :

 

[traduction]

 

[] Les paiements prévus à l’ordonnance n’ont été versés qu’à l’été de 1950, lorsque l’épouse a accepté un règlement forfaitaire de 4 000 $ en règlement intégral de toutes les sommes éventuellement payables. Donc, de toute évidence, la somme de 4 000 $ n’a pas été versée en vertu du jugement de divorce mais en remplacement de celui‑ci. Cependant, dans l’affaire en l’espèce, toutes les sommes ont été versées en vue d’exécuter les modalités de l’accord de séparation. La conséquence et le résultat de ces paiements n’ont pas eu pour effet de finalement décharger l’époux de ses obligations à l’égard de son épouse et de ses enfants en vertu de l’accord de séparation, comme c’était le cas dans l’affaire Armstrong et dans l’affaire Trottier, un autre arrêt de la Cour suprême du Canada dans lequel le principe énoncé dans l’affaire Armstrong a été mis en application.

(Je souligne.)

 

Manifestement, selon le procès‑verbal de transaction, le paiement de 10 300 $ ne consistait pas en un paiement effectué en vue de régler une réclamation pour libérer l’ex‑époux d’une obligation et, par conséquent, en guise de paiement des arriérés. Les circonstances dans lesquelles le procès‑verbal de transaction a été convenu par les parties ainsi que la manière dont ces montants ont été qualifiés et les paiements versés indiquent clairement qu’ils l’ont été au titre d’arriérés. Aucune décharge d’obligations alimentaires envers les enfants n’était prévue pas plus que le paiement de ces montants ne visait à anticiper des paiements de pension alimentaire pour enfants aux fins d’un certain règlement final éventuel. Je suis convaincu, selon l’ensemble de la preuve, que le paiement de 10 300 $ ne consistait pas en un « paiement de règlement », mais qu’il représentait plutôt des arriérés cumulés au titre de paiements périodiques de pension alimentaire. Ainsi, de tels paiements qui relèvent de la catégorie d’arriérés et qui sont par la suite versés sous forme d’un paiement forfaitaire sont déductibles à l’égard du payeur.  

 

[11]    En ce qui concerne l’argument supplémentaire de l’intimée, j’adopte les commentaires du juge en chef adjoint Bowman qui, à la page 2769 dans l’arrêt Hunter c. La Reine[10], a déclaré ceci :

 

La présomption contre l’application rétroactive des lois est destinée à protéger un sujet contre la suppression rétroactive de droits acquis.

 

À mon avis, les paiements de 10 300 $ que devait verser et qu’a versés l’appelant l’ont, de toute évidence, été à titre d’arriérés et, par conséquent, le droit de déduire cette somme consistait en un droit acquis qui continuait d’exister.

 

[12]    Pour tous les motifs susmentionnés, l’appel est accueilli et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1999, l’appelant a le droit de déduire la somme de 10 300 $ à titre de paiements de pension alimentaire.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d’octobre 2002.

 

 

 

« A. A. Sarchuk »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d’avril 2004.

 

 

 

 

Nancy Bouchard, traductrice


 



[1]           Pièce A‑1.

[2]           Pièce A‑2.

[3]           Le paragraphe 7 du jugement est ainsi formulé :

[traduction]

LA COUR STATUE, en vertu de la Loi sur le droit de la famille et du paragraphe 10 du procès‑verbal de transaction, que les paiements de pension alimentaire dont il est fait mention au paragraphe 5 seront imposables à l’égard du défendeur et déductibles à l’égard de la demanderesse. De plus, le défendeur s’engage à indemniser la demanderesse dans l’éventualité où le défendeur n’est pas autorisé à déduire ces sommes pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[4]           Voir la page 9, paragraphe 3 de la pièce A‑2.

[5]           C.A.F., nA‑105‑83, 28 et 29 novembre 1984 (85 DTC 5096).

[6]           91 DTC 987.

[7]           56 DTC 1044 (C.S.C.).

[8]           [2002] 2 C.T.C. 2368.

[9]           Voir les paragraphes 3, 5 et 6 du procès‑verbal de transaction.

[10]          C.C.I., n2001‑1539(IT)I, 21 septembre 2001 ([2001] 4 C.T.C. 2762).

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