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Date: 19970929

Dossier: 96-1454-IT-G

ENTRE :

DALE BOSTON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]                            De 1967 à 1988, l'appelant résidait au Canada et travaillait pour la Compagnie pétrolière impériale Ltée. En septembre 1988, il s'est installé en Malaisie pour occuper un nouveau poste au sein du groupe de compagnies Imperial Oil-Exxon. Pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991 et 1992, le ministre du Revenu national (le "ministre") a établi des cotisations à l'égard de l'appelant en présumant que celui-ci résidait au Canada. L'appelant a interjeté appel contre ces cotisations pour le motif qu'à ce moment-là, il ne résidait pas au Canada. Il s'agit uniquement de savoir si, pendant l'une quelconque de ces années-là, l'appelant résidait au Canada.

[2]            Au début de l'audience, l'avocat de l'intimée a reconnu que l'avis de cotisation se rapportant à l'année 1989 avait été délivré après le délai de prescription prévu au paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la "Loi"). Par conséquent, l'intimée admet que l'appel se rapportant à l'année 1989 doit être admis parce que le ministre n'allègue pas qu'une faute lourde a été commise ou qu'il y a eu présentation erronée des faits à l'égard de cette année d'imposition.

[3]                            L'appelant est né en Angleterre en février 1939. Il a fait ses études en Angleterre et a obtenu un diplôme en génie mécanique de l'université de Cambridge. Lorsqu'il était étudiant, il travaillait pour Rolls Royce pendant l'été chez qui il a fait un stage au sein de la division des moteurs d'avion. Pendant les années 1965 à 1967, l'appelant a travaillé, au Royaume-Uni, pour une corporation connue sous le nom de Foster Wheeler; il élaborait des projets pour l'industrie pétrochimique.

[4]                            En 1962, l'appelant s'est marié et sa femme ("Dawning") et lui ont eu trois fils, qui sont nés en 1964, en 1966 et en 1969. En 1967, l'appelant et sa femme ont décidé de s'installer au Canada parce que ce pays avait plus à offrir à leurs enfants et à l'appelant lui-même en sa qualité d'ingénieur. Avant 1967, l'appelant n'était jamais venu au Canada, mais il a immédiatement trouvé un emploi auprès de la Compagnie pétrolière impériale, à Sarnia (Ontario), à cause de son expérience dans le domaine de l'élaboration de projets pour l'industrie pétrochimique au Royaume-Uni. Ce fut le début d'une longue carrière auprès de la Compagnie impériale pétrolière ou de la compagnie mère, Exxon Corporation. Dans le cours de cet emploi, l'appelant a déménagé un certain nombre de fois. L'appelant et sa famille ont vécu à Sarnia pendant environ six ans, de 1967 à 1973; ils ont vécu à Calgary de 1973 à 1975 et à Toronto, de 1975 à 1978. En 1978, l'appelant s'est vu offrir le poste de directeur adjoint à la raffinerie Strathcona, à Edmonton (Alberta). Il a accepté ce poste et a habité à Edmonton pendant une dizaine d'années.

[5]                            De 1967 à 1988, l'appelant avait uniquement travaillé pour la Compagnie impériale pétrolière Ltée, au Canada. Il a donné la brève description suivante de l'organisation Imperial Oil-Exxon. Exxon Corporation est la compagnie mère située aux États-Unis d'Amérique. La Compagnie impériale pétrolière Ltée est une filiale canadienne possédée en propriété exclusive par Exxon Corporation, qui exploite toutes les installations d'Exxon au Canada. Exxon Corporation International est une autre filiale d'Exxon Corporation; elle exploite toutes les installations en dehors de l'Amérique du Nord. En 1988, l'appelant s'est vu offrir un poste de directeur adjoint de la raffinerie Exxon à Port Dickson, en Malaisie. Il s'est senti obligé d'accepter ce poste parce que, selon la politique d'Exxon et de la Compagnie impériale pétrolière, les cadres supérieurs étaient mutés tous les cinq ou six ans; l'appelant travaillait à Edmonton depuis une dizaine d'années. Par conséquent, il savait qu'il serait obligé de se réinstaller parce qu'en 1988, il n'avait que 49 ans et qu'il lui restait bien des années avant de prendre sa retraite. Il croyait qu'il devrait probablement s'installer à Toronto (Ontario) ou à Fort McMurray (Alberta); or, ni l'un ni l'autre de ces endroits ne l'attiraient. Il a donc accepté l'affectation en Malaisie même s'il n'était jamais allé dans ce pays et même s'il savait qu'il devrait rester à cet endroit pendant au moins trois ans. L'emploi en Malaisie intéressait l'appelant parce que le directeur, à Port Dickson, devait prendre sa retraite à un moment donné, dans les trois années suivantes et l'appelant croyait bien que, si son rendement était satisfaisant dans l'intervalle, on lui offrirait le poste de directeur de la raffinerie de Port Dickson. Il avait toujours voulu être chef d'une grosse raffinerie d'Exxon.

[6]                            Une fois l'affectation acceptée, il fallait que l'appelant et sa femme décident s'ils allaient tous les deux s'installer en Malaisie ou si l'appelant allait s'y rendre seul pendant que sa femme restait à Edmonton. La femme de l'appelant travaillait pour la ville d'Edmonton comme directrice d'un service pour les personnes âgées et elle gagnait environ 25 000 $ l'an. L'appelant a déclaré qu'en 1988, sa femme et lui avaient des problèmes conjugaux. S'il ne s'était vu offrir qu'une affectation au Canada, l'appelant se serait contenté de vivre seul dans un appartement dans une ville éloignée comme Toronto ou Fort McMurray pendant que sa femme restait à Edmonton, à cause des problèmes conjugaux. C'est pour cette raison qu'il était prêt à se rendre seul en Malaisie. L'appelant a déclaré que sa femme et lui avaient convenu que c'était peut-être la meilleure solution, du moins à court terme.

[7]                            Une fois la décision prise, l'appelant a pris toutes les mesures auxquelles on s'attendrait d'une personne qui s'installe à l'autre bout du monde pour trois ans. Exxon a obtenu un permis de travail pour l'appelant en Malaisie. L'appelant a vendu sa voiture en Alberta. Son assurance-maladie de l'Alberta a été annulée et Exxon a souscrit une police d'assurance-maladie privée pour son compte. L'appelant a fermé tous les comptes qu'il avait à la Banque Royale et il a ouvert un compte d'épargne à la Banque de Nouvelle-Écosse parce que cette banque avait une succursale à Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie. Il a cessé d'être membre de l'Edmonton Petroleum Club. L'un de ses passe-temps consistait à faire voler des modèles d'avions téléguidés et il a cessé d'être membre du Model Guided Plane Association. Sa femme a continué à habiter la maison familiale, située au 29, chemin Marlborough à Edmonton; à ce moment-là, leur fils cadet vivait encore à la maison.

[8]                            Des dispositions spéciales avaient été prises au sein de l'organisation Exxon-Imperial Oil à l'égard de la rémunération de l'appelant. Conformément à la politique d'Exxon, l'appelant est demeuré sur la liste de paie de la Compagnie impériale pétrolière. Son salaire pour le nouveau poste qu'il occupait en Malaisie était payé par la Compagnie impériale pétrolière comme s'il était resté au Canada à titre d'employé régulier. De plus, les avantages supplémentaires comme la pension ont continué à faire partie de la rémunération que l'appelant touchait à la Compagnie impériale pétrolière. Toutes ces cotisations patronales étaient versées directement à l'appelant par la Compagnie impériale pétrolière, mais cette dernière les imputait à Exxon Corporation International à titre d'employeur de l'appelant à Port Dickson, en Malaisie. Selon cette entente, la Compagnie impériale pétrolière déposait le salaire de l'appelant dans le compte bancaire de celui-ci, à Edmonton, mais l'appelant devait retirer environ 5 000 $ par mois, cette somme lui étant versée en espèces en Malaisie pour lui permettre de payer ses frais ordinaires de subsistance.

[9]                            L'appelant a quitté le Canada pour s'installer en Malaisie à la fin du mois de septembre 1988. Il a logé dans un hôtel pendant quelques semaines, puis il s'est installé dans une maison d'Exxon qui était réservée au directeur de la raffinerie. Apparemment, le directeur de la raffinerie de Port Dickson de l'époque venait de la Malaisie et il préférait vivre chez lui même si Exxon possédait cette maison depuis longtemps et même si elle l'avait expressément acquise pour que le directeur de la raffinerie y réside. L'appelant a donc immédiatement eu la maison d'Exxon à sa disposition même s'il n'était alors que directeur adjoint. L'employeur exigeait un loyer d'environ 1 000 $ par mois, qu'il déduisait du salaire de l'appelant.

[10]                          La pièce A-8 est un connaissement se rapportant au transport des effets personnels de l'appelant d'Edmonton en Malaisie. Cette pièce montre que l'appelant a probablement apporté avec lui tous ses vêtements et effets personnels, plus un avion téléguidé en pièces et une télécommande qu'il utilisait dans ses heures de loisir. L'appelant a déclaré qu'une fois arrivé en Malaisie, il était trop occupé pour s'adonner à ce qui avait été son principal passe-temps à Edmonton. Il a acheté une voiture et il a obtenu un permis de conduire malais, dont une copie a été produite sous la cote A-11. Il est devenu membre du club de navigation de plaisance de Port Dickson qui, comme il l'a expliqué, n'était pas réellement un club de navigation de plaisance, mais principalement un club social où il y avait un certain nombre d'installations récréatives. Port Dickson est situé sur la côte ouest de la Malaisie, à environ 90 kilomètres au sud-ouest de Kuala Lumpur, dans le Détroit de Malacca. Pour l'année d'imposition 1988, l'appelant a produit une déclaration de revenu canadienne en se fondant sur le fait qu'il avait uniquement résidé au Canada du mois de janvier au mois de septembre 1988.

[11]                          Comme l'appelant l'a lui-même dit, il était entièrement satisfait de son affectation en Malaisie. La raffinerie de Port Dickson avait à peu près 25 ans et elle était plus petite que la raffinerie Strathcona, à Edmonton. En 1988, sa capacité était de 50 000 barils par jour, mais elle ne produisait en fait que 45 000 barils. Juste avant que l'appelant s'installe en Malaisie, Exxon avait décidé de moderniser la raffinerie de Port Dickson. L'une des principales responsabilités de l'appelant consistait à superviser les travaux d'amélioration de cette raffinerie. Lorsque l'appelant a pris sa retraite en 1995, la capacité de la raffinerie de Port Dickson était de 80 000 barils par jour, et on y raffinait des produits pétroliers d'une qualité fort supérieure par rapport au moment où l'appelant était arrivé à cet endroit, en 1988. Lorsque l'appelant était directeur adjoint de la raffinerie Strathcona, à Edmonton, il avait peu de responsabilités en dehors de la compagnie, mais en Malaisie, il collaborait étroitement avec les autorités gouvernementales à tous les paliers. L'appelant a déclaré que dans un pays du tiers monde comme la Malaisie, les hauts fonctionnaires voulaient collaborer avec les cadres supérieurs des grosses corporations étrangères qui se livraient à d'importantes activités dans le pays. C'est en cette qualité que l'appelant traitait avec les hauts fonctionnaires du gouvernement malais, tant à Port Dickson qu'à Kuala Lumpur. L'appelant devait se rendre à Kulala Lumpur au moins une fois par semaine.

[12]                          L'appelant a adhéré au Petroleum Club, à Kuala Lumpur. Il a ouvert un compte à la Banque de Nouvelle-Écosse, à Kuala Lumpur; il avait également un compte à la Standard Chartered Bank, à Port Dickson. Il s'agissait dans les deux cas de comptes de chèques. De plus, l'appelant a obtenu deux cartes de crédit malaises. Il y avait à Port Dickson une clinique médicale dans laquelle travaillaient trois médecins de famille et l'appelant a déclaré qu'il voyait ces médecins. De plus, il se rendait régulièrement chez un dentiste à Port Dickson. Pendant sa troisième année en Malaisie, l'appelant a adhéré au club de golf de Port Dickson, en 1991.

[13]                          De 1989 à 1992, l'appelant n'a fait que deux séjours de 14 jours à Edmonton, du 18 septembre au 2 octobre 1990, et du 20 octobre au 2 novembre 1992. Pendant qu'il était au Canada, l'appelant restait dans la maison familiale, sur le chemin Marlborough, à Edmonton. Pendant les années civiles 1989 et 1991, l'appelant n'est pas du tout venu au Canada. Sa femme se rendait en Malaisie plus souvent. Elle s'y est rendue à huit reprises entre 1989 et 1992, comme le montre le tableau ci-dessous :

                                                                Dates                                                                                       Nombre de jours

                                15 décembre 1988 - 15 janvier 1989                                                     32

                                2 mai 1989 - 23 mai 1989                                                                        22

                                8 octobre 1989 - 29 octobre 1989                                                        22

                                16 décembre 1989 - 10 janvier 1990                                                     26

                                12 juin 1990 - 30 juin 1990                                                                    19

                                24 décembre 1990 - 14 janvier 1991                                                     22

                                4 septembre 1991 - 19 septembre 1991                                               16

                                15 décembre 1991 - 6 janvier 1992                                                       23

                               

Pendant ses séjours en Malaisie, la femme de l'appelant restait chez celui-ci.

[14]                          Lorsqu'il est venu au Canada à la fin de 1992, l'appelant croyait que sa femme et lui devraient se séparer ou divorcer. En 1991, sa femme s'était cassée la cheville; la fracture guérissait bien, mais les terminaisons nerveuses ne se fusionnaient pas. Le pied réagissait mal à la chaleur et au froid et le climat chaud de la Malaisie était plus facile à endurer que les hivers froids d'Edmonton. Étant donné que sa femme avait été longuement en convalescence à la suite de la fracture qu'elle avait subie à la cheville en 1991, l'appelant n'a pas insisté pour se séparer ou divorcer en 1992. Il n'y a donc pas eu de séparation officielle et l'appelant et sa femme sont encore mariés.

[15]                          Exxon avait pour politique d'accorder chaque année aux personnes qui travaillaient dans un pays étranger un montant en espèces égal au plein tarif de la classe économique, depuis l'endroit où cette personne était affectée à l'étranger (en Malaisie) jusqu'à son lieu d'origine (à Edmonton). Ce montant était versé en espèces. L'appelant ne se servait presque jamais de cet argent pour revenir en avion au Canada, mais sa femme s'en servait habituellement pour se rendre en Malaisie.

[16]                          L'appelant gagnait environ 160 000 $ par année, soit environ 13 000 $ par mois. Ce salaire était payé par la Compagnie impériale pétrolière, à Edmonton, et imputé à Exxon Corporation International (Malaisie) comme il en a ci-dessus été fait mention, mais aucune somme n'était retenue à la source au titre de l'impôt sur le revenu parce que l'employeur savait que l'appelant travaillait à plein temps en dehors du Canada. Par conséquent, sur une base mensuelle, l'appelant retirait environ 5 000 $ en espèces en Malaisie; la somme de 3 000 $ était versée dans un régime d'épargne des employés; et une somme d'environ 5 000 $ était versée dans le compte bancaire personnel de l'appelant à Edmonton. Pendant que l'appelant était en Malaisie, la Compagnie pétrolière impériale a maintenu sa police d'assurance-vie en tant que partie intégrante du salaire et des avantages sociaux, mais le coût de cette assurance a été imputé à Exxon Corporation International ainsi que le salaire brut et tout autre avantage social. L'appelant payait l'impôt sur le revenu en Malaisie.

[17]                          Pendant qu'il travaillait en Malaisie, l'appelant a conservé certains de ses placements au Canada. Il a déclaré que, dans ses heures de loisir, sa femme s'occupait de visiter des maisons pendant les jours "portes ouvertes" sur le marché résidentiel. Pendant l'automne 1989, elle a trouvé, à Edmonton, une "maison-témoin" qui, croyait-elle, constituerait un bon investissement. Après en avoir parlé entre eux, ils ont décidé d'acheter la maison conjointement à titre de placement. L'opération a été conclue pendant l'hiver 1989-1990, et la femme de l'appelant a pris des dispositions pour louer la maison à un tiers. Le seul immeuble que l'appelant possédait au Canada était la maison familiale dont sa femme et lui étaient propriétaires moitié-moitié, sur le chemin Marlborough, et la maison-témoin qu'ils avaient achetée pendant l'hiver 1989-1990. L'appelant n'a pas effectué de placements immobiliers en Malaisie parce qu'il avait à sa disposition la maison de l'employeur, qui était destinée à servir de résidence au directeur de la raffinerie et pour laquelle il versait un loyer mensuel d'environ 1 000 $ comme il a ci-dessus été fait mention. L'appelant a conservé son régime enregistré d'épargne-retraite (le "REER) au Canada et a continué à participer au régime d'épargne de la compagnie; il détenait en outre quelques actions personnelles dans certaines compagnies canadiennes cotées à la Bourse. Il était membre de la Société canadienne de génie mécanique ainsi que de l'Association of Professional Engineers and Geologists of Alberta. Pendant qu'il vivait en Malaisie, il a continué à être membre de ces associations et il n'a pas adhéré à des associations professionnelles similaires en Malaisie.

[18]                          La personne qui agissait comme directeur de la raffinerie de Port Dickson en 1988 a de fait pris sa retraite en 1991 et l'appelant a été promu au poste de directeur. Il a donc réalisé son ambition professionnelle de devenir chef d'une grosse raffinerie. En 1990, Exxon a mis en oeuvre un régime de retraite anticipée pour ses cadres supérieurs. En 1991, l'appelant a accepté l'offre; il devait prendre sa retraite à la fin de 1994. En fin de compte, il n'a pris sa retraite que pendant l'été 1995, et son emploi chez Exxon a alors pris fin. L'appelant est alors retourné à Edmonton et s'est de nouveau installé avec sa femme dans la maison familiale au 29, chemin Marlborough.

[19]                          L'appelant a déclaré que lorsqu'il est retourné à Edmonton à la mi-septembre 1995, sa femme et lui ont essayé de se réconcilier. À la fin de 1995, l'appelant a envoyé des curriculum vitae à des gens en Malaisie, en espérant trouver un nouvel emploi. En janvier et en février 1996, l'appelant et sa femme se sont rendus en Malaisie pour que l'appelant essaie de trouver un nouvel emploi, dans l'espoir de vivre peut-être tous les deux dans ce pays. La femme de l'appelant est revenue au Canada en février 1996 et l'appelant est allé chercher du travail en Thaïlande. L'appelant a de fait trouvé en Thaïlande un emploi qui a duré exactement 12 mois, du mois d'août 1996 au mois de juillet 1997, mais lorsque cet emploi a pris fin, il est revenu au Canada. Sa femme et lui envisagent maintenant de se séparer.

[20]                          Lorsqu'on tente de déterminer le droit en ce qui concerne la résidence d'un particulier aux fins de l'impôt sur le revenu, l'arrêt Thomson v. Minister of National Revenue, [1946] S.C.C. 209, de la Cour suprême du Canada est celui qui fait autorité. Dans cette décision, le juge Rand a dit ceci, aux pages 224-225 :

[TRADUCTION]

                Pour l'application de la législation fiscale, il faut présumer qu'un particulier a toujours une résidence. Il n'est pas nécessaire qu'il ait une maison ou un logement particuliers ou même un abri. Il peut coucher à la belle étoile. Il faut uniquement déterminer les limites géographiques dans lesquelles il passe sa vie ou auxquelles sa vie ordinaire ou quotidienne est liée. [...]

                Cependant, dans le cas d'une soi-disant "résidence permanente", d'une "résidence temporaire", d'une "résidence ordinaire", d'une "résidence principale" et ainsi de suite, il n'en va pas de même et les attributs n'influent pas sur le fait qu'il existe dans tous les cas une résidence; il s'agit principalement de savoir jusqu'à quel point, en théorie et en fait, un particulier établit, maintient ou axe son mode ordinaire de vie, avec les éléments qui s'y rattachent, au point de vue des relations sociales, des intérêts et des commodités, à l'endroit en question. Cela peut dès le départ être pour une période déterminée, pour une période indéterminée, ou pour une durée indéfinie. Au minimum, il faut faire une distinction entre les expressions dans lesquelles la notion de résidence est en cause comme elles le sont, à mon avis, dans le langage courant, et la notion de "séjour" ou de "visite".

[21]                          Si j'applique le principe susmentionné à la situation à laquelle faisait face l'appelant de 1989 à 1992, il est facile de conclure qu'il résidait en Malaisie. Il travaillait dans ce pays à titre de cadre supérieur, ce qui exigeait qu'il soit présent à plein temps tous les jours. Il avait à cet endroit un logement dans lequel il dormait régulièrement, prenait ses repas et conservait ses effets personnels. Il a adhéré à un club local de navigation de plaisance qu'il a décrit comme étant principalement un club social et récréatif; il a ouvert des comptes de banque et il a obtenu des cartes de crédit locales. Il a également acheté une voiture et a obtenu un permis de conduire malais. L'appelant entretenait des liens étroits avec le Canada parce que sa femme continuait à habiter dans la maison familiale, à Edmonton, et qu'il avait trois fils adultes qui vivaient au Canada, mais en fait il n'est pas revenu au Canada en 1989 ou en 1991 et il n'y est revenu que pendant 14 jours dans chacune des années 1990 et 1992. Si j'applique au cas de l'appelant les remarques précises que le juge Rand a faites dans l'arrêt Thomson, je conclus qu'après 1988, l'appelant avait établi, maintenu ou axé son mode ordinaire de vie en Malaisie avec tous les éléments qui s'y rattachent au point de vue des relations sociales, des intérêts et des commodités.

[22]                          L'intimée a soutenu que le critère de common law s'appliquant à la résidence ne devrait pas s'appliquer à l'appelant parce que son statut de résident de la Malaisie devrait être déterminé selon le droit malais. Si je devais déterminer le statut de l'appelant pour l'application du droit malais, cette thèse serait dans une certaine mesure valable. Cependant, je n'applique pas le droit malais, mais uniquement le droit canadien, pour déterminer en premier lieu si, pendant les années pertinentes, l'appelant résidait en dehors du Canada. Je rejette l'argument de l'intimée selon lequel je ne peux pas d'abord appliquer le critère de common law s'appliquant à la résidence pour déterminer si l'appelant résidait en dehors du Canada pendant les années pertinentes, afin de pouvoir ensuite tirer une conclusion au sujet de la question de savoir si, à la même époque, l'appelant résidait peut-être au Canada.

[23]                          Dans le passage précité, le juge Rand a dit qu'"[...] il faut présumer qu'un particulier a toujours une résidence". Pendant la période pertinente, l'appelant devait résider au Canada ou en Malaisie ou peut-être dans les deux pays. J'ai décidé de déterminer d'abord s'il résidait en Malaisie parce que, compte tenu de la preuve dont je dispose, il passait à ce moment-là presque tout son temps en Malaisie. Puisque j'ai conclu que l'appelant résidait en Malaisie, je suis libre de déterminer s'il résidait en même temps au Canada.

[24]                          Dans le jugement The Queen v. Reeder, 75 DTC 5160, la Section de première instance de la Cour fédérale a statué que le contribuable résidait au Canada en 1972. Cependant, il ne s'était absenté du Canada que pendant une période de 246 jours du 29 mars au 1er décembre 1972. L'avocat de l'intimée s'est fondé sur la décision Reeder parce que le juge Mahoney, qui avait présidé l'audience, avait fait la remarque suivante à la page 5163 :

[...] Ses attaches, quelles qu'elles soient, n'ont cessé un seul moment d'être au Canada, sauf les liens contractés pendant son absence et qui devaient permettre à lui et à sa famille de jouir en France d'un mode de vie acceptable, auquel il s'attendait. Son absence était temporaire quoique, strictement parlant, de durée indéterminée. Ses liens avec la France étaient temporaires et ont disparu à son retour au Canada.

L'avocat de l'intimée a soutenu que ce passage constitue une description exacte de la résidence de l'appelant au Canada et de ses liens temporaires avec la Malaisie. À mon avis, il est facile de faire une distinction entre les faits de l'espèce et les faits de l'affaire Reeder. La principale distinction est le fait que l'appelant s'est longuement absenté du Canada. Au 31 décembre 1992, l'appelant avait été absent pendant quatre ans et trois mois et il est resté en Malaisie pendant une période additionnelle de deux ans et demi après le 31 décembre 1992.

[25]                          Dans l'affaire Griffiths v. The Queen, 78 DTC 6286, M. Griffiths, qui avait longtemps résidé au Canada, avait décidé de prendre sa retraite dans les îles Vierges britanniques où il vivait à bord de son yacht, qui était immatriculé au Canada. En décidant que M. Griffiths avait cessé de résider au Canada, le juge Collier a dit ceci, à la page 6288 :

Je n'attache aucune importance et ne vois aucune incompatibilité à ce qu'on établisse sa résidence hors du Canada tout en y conservant des intérêts financiers.

Dans le jugement Ferguson v. M.N.R., 89 DTC 634, le contribuable s'était rendu en Arabie saoudite pour exécuter une série de contrats d'un an. Sa femme était restée au Canada, dans la maison familiale, pendant qu'il habitait dans une enceinte en Arabie saoudite. Pendant ses vacances, le contribuable revenait au Canada ou voyageait avec sa femme en Europe. Le juge Sarchuk a décidé que, pendant toute la période pertinente, M. Ferguson résidait au Canada parce que, en théorie ou en pratique, il n'avait pas établi ou maintenu son mode ordinaire de vie, avec les relations sociales, les intérêts et les commodités que la chose comporte, en Arabie saoudite. Je ferais une distinction entre la présente espèce et l'affaire Ferguson parce que l'appelant s'est rendu en Malaisie pour une période d'au moins trois ans; il avait d'importantes responsabilités professionnelles dans ce pays; il espérait continuer à y vivre une fois les trois années écoulées, s'il devenait directeur de la raffinerie de Port Dickson; il s'est mis à participer aux activités de la collectivité de Port Dickson.

[26]                          La jurisprudence nous enseigne depuis longtemps que la résidence et le domicile sont deux choses tout à fait différentes. Une personne peut être domiciliée dans un endroit particulier sans y être physiquement présente. Toutefois, pour résider dans un endroit particulier, il faut habituellement qu'elle y soit présente à certains moments. Pendant les quatre années ici en cause, l'appelant n'a été présent au Canada que brièvement. En fait, il n'a été présent au Canada que pendant 14 jours en 1990 et pendant une autre période de 14 jours en 1992. En 1989 ou en 1991, il n'est pas venu au Canada. Si, comme le juge Rand l'a fait remarquer dans le jugement Thomson, il faut faire une distinction entre la "résidence" d'une part et un "séjour" ou une "visite" d'autre part, je crois qu'en ce qui concerne les années 1990 et 1992, il peut être plus exact de considérer que l'appelant a visité le Canada. Je conclus que de 1989 à 1992, l'appelant ne résidait pas au Canada.

[27]                          Si je me trompais en concluant que l'appelant ne résidait pas au Canada pendant les années pertinentes, et s'il résidait tant au Canada qu'en Malaisie, sa résidence serait déterminée en vertu des règles de départage de la Convention fiscale entre le Canada et la Malaisie, dont le paragraphe 2 prévoit ceci :

2.              Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des États contractants, sa situation est réglée de la manière suivante :

a)             cette personne est considérée comme résident de l'État contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. Lorsqu'elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des États contractants, elle est considérée comme résident de l'État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (ci-après dénommé "centre des intérêts vitaux");

b)             si l'État contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou qu'elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des États contractants, elle est considérée comme résident de l'État contractant où elle séjourne de façon habituelle;

c)              si cette personne séjourne de façon habituelle dans chacun des États contractants ou qu'elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d'eux, elle est considérée comme résident de l'État contractant dont elle possède la nationalité;

d)             si cette personne possède la nationalité de chacun des États contractants ou qu'elle ne possède la nationalité d'aucun d'eux, les autorités compétentes des États contractants tranchent la question d'un common accord.

[28]                          Si j'applique l'alinéa 2a) aux règles de départage, je conclus que l'appelant avait une résidence permanente à sa disposition tant au Canada qu'en Malaisie parce qu'il avait la maison familiale, sur le chemin Marlborough, à Edmonton, et qu'il avait la résidence du directeur de la raffinerie, à Port Dickson. Cela m'amènerait à la seconde moitié de la règle du départage figurant à l'alinéa 2a), selon laquelle l'appelant est réputé résider dans l'État contractant "avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits". Compte tenu des faits de l'espèce, je conclus que l'appelant entretient des liens personnels plus étroits avec la Malaisie qu'avec le Canada. Sa vie personnelle était axée sur la Malaisie. Il était membre de clubs sociaux en Malaisie et il avait cessé d'être membre de clubs sociaux au Canada. Sa femme s'est rendue en Malaisie à Noël dans chacune des années 1988, 1989, 1990 et 1991. La plupart du temps, un ou deux des fils l'accompagnaient. La femme et les trois fils adultes sont restés au Canada, mais ils n'intéressaient pas suffisamment l'appelant pour l'amener au Canada parce qu'il est revenu au pays deux fois seulement, en 1990 et en 1992 respectivement, pour les brèves périodes dont il a déjà été fait mention. Comment puis-je omettre de tenir compte du fait que l'appelant passait chaque année plus de 300 jours en Malaisie?

[29]                          Les liens économiques de l'appelant sont plus étroits avec la Malaisie qu'avec le Canada parce qu'il se présentait au travail en Malaisie tous les jours; il n'était rémunéré qu'à l'égard des services qu'il rendait en Malaisie; il était directeur adjoint (et, après 1991, directeur) d'une grosse raffinerie de pétrole en Malaisie; sa carrière continue auprès d'Exxon-Imperial Oil dépendait de son rendement en tant que cadre supérieur de cette raffinerie.

[30]                          Par conséquent, comme il en a ci-dessus été fait mention, si je me trompais en concluant que l'appelant ne résidait pas au Canada en 1990, 1991 et 1992, je n'hésite pas à conclure que l'appelant entretenait des liens personnels et économiques plus étroits avec la Malaisie qu'avec le Canada en vertu des règles du départage figurant à l'alinéa 2a) de la Convention fiscale entre le Canada et la Malaisie.

[31]                          Étant donné le style de vie qu'il a mené depuis le 1er octobre 1988, je conclus que l'appelant résidait en Malaisie pendant les quatre années ici en cause, soit de 1989 à 1992, et qu'il n'a jamais résidé au Canada à ce moment-là. Pour les motifs susmentionnés, les appels sont admis avec dépens.

" M.A. Mogan "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 13e jour de mars 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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