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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020425

Dossiers: 2001-2508(IT)I

 

ENTRE :

CRESENCIANO J. MENDOZA,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

 

2001-2509(IT)I

ET ENTRE :

ENCARNACION MENDOZA,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

          Pour les appelants :                                       Cresenciano J. Mendoza

          Avocat de l'intimée :                                      Me Michael Taylor

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l'audience à Vancouver (Colombie-Britannique),

le mercredi 16 janvier 2002.)

 


Le juge Margeson, C.C.I.

 

[1]     Dans l’affaire dont la Cour est saisie en ce moment, les questions non encore résolues ont été énoncées par l’avocat de l’intimée dans son argumentation. Il y a deux questions en litige : 1) Est‑ce que les dépenses de Fil‑Canadian Express (la « société de personnes ») qui avaient été indiquées par les appelants comme ayant été engagées par la société de personnes ont à bon droit été déduites par les appelants pour les années en question? 2) Dans l’affirmative, quel pourcentage de ces dépenses chacun des appelants peut‑il déduire? L’appelant Cresenciano Mendoza en avait déduit 70 p. 100, et son épouse, Encarnacion Mendoza, qui est l’autre appelant, en avait déduit 30 p. 100.

 

[2]     Dans un cas comme celui‑ci, il incombe aux appelants d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les cotisations du ministre du Revenu national (le « ministre ») étaient erronées. Aucune charge n’incombe au ministre.

 

[3]     Le ministre a établi les cotisations et n’a pas admis les dépenses en cause. L’avocat arguait que la preuve présentée à la Cour n’était pas suffisante pour permettre à la Cour de conclure que ces dépenses avaient été effectuées. Il n’y a aucune transparence dans ce qui s’est passé. Aucun chèque n’a été émis pour le paiement des prétendus comptes. Aucune facture n’a été présentée pour confirmer que les comptes représentaient des sommes dues et ont été payés. Il n’y avait aucune trace écrite concernant ces dépenses. Le tout est enveloppé de mystère.

 

[4]     La déposition du témoin qui a comparu pour les appelants était que des sommes d’argent n’avaient pas en fait été échangées et qu’il y avait simplement eu des débits et des crédits d’inscrits dans des livres. Absolument aucune preuve quant aux livres n’a été présentée à la Cour. Des états financiers avaient vraisemblablement été établis, à un moment donné à la fin de l’année, mais ils n’ont pas été présentés pour corroborer la position des appelants. Il n’y avait aucune trace écrite permettant à la Cour de conclure que ces dépenses ont été engagées, que ces frais ont été payés et qu’il s’agissait de dépenses raisonnables et légitimes de cette entreprise.

 

[5]     Se fondant sur la preuve qui lui a été présentée, la Cour n’est pas convaincue que les appelants se sont acquittés de la charge qui leur incombait à cet égard. De sérieux doutes ont été soulevés à cause de la manière dont ces dépenses ont prétendument été engagées et de la manière dont ces frais ont prétendument été payés. La Cour n’est pas convaincue que la preuve établit que c’était des dépenses légitimes et que l’entreprise devrait pouvoir les déduire. Par conséquent, la Cour devra rejeter les appels à cet égard et confirmer les cotisations du ministre.

 

[6]     Plus précisément, concernant la déduction de frais de bureau relatifs à l’utilisation de la salle de séjour du 5275, rue Chester, Vancouver (Colombie‑Britannique) (le « bien de la rue Chester »), la position de l’avocat de l’intimée était que, en vertu du paragraphe 18(12) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), aucuns frais de bureau ne pouvaient être déduits relativement au bien de la rue Chester, car celui‑ci était la résidence principale des appelants. Ce bien ne servait pas exclusivement aux fins de l’entreprise. Aucune preuve fondamentale n’indiquait que ce bien était le principal lieu d’affaires servant exclusivement aux fins de l'entreprise. Ces frais ne peuvent être déduits.

 

[7]     Il reste à déterminer si les appelants sont en droit de déduire leur part des pertes de la société de personnes provenant de l’entreprise de location relative au 1008‑1177, rue Hornby, Vancouver (Colombie‑Britannique) (le « bien de la rue Hornby »). La question soulevée était de savoir s’il y avait une attente raisonnable de profit en 1996 et 1997 concernant l’exploitation de ce bien locatif.

 

[8]     Pour ce qui est de l’attente raisonnable de profit, l’avocat a fait référence à la jurisprudence appropriée sur cette question. L’affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213), est la plus importante. L’affaire Tonn c. Canada (C.A.), [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001), est également très importante, tout comme l’affaire Mastri c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420), et l’affaire Mohammad c. Canada (C.A.), [1998] 1 C.F. 165 (97 DTC 5503). Toutes ces causes sont primordiales dans l’examen de la question de savoir s’il y avait une attente raisonnable de profit.

 

[9]     Pour que les appelants puissent déduire les pertes pour les années en cause, il doit y avoir eu un profit ou une attente raisonnable de profit. Il doit y avoir eu une source de revenu pour que les pertes puissent être déduites. S’il n’y avait aucune attente raisonnable de profit ou s’il n’y a eu aucun profit, il n’y avait aucune source de revenu, et les dépenses ne peuvent être déduites.

 

[10]    C’est une question qu’il faut déterminer objectivement, en prenant en compte l’ensemble des divers facteurs mentionnés par l’avocat de l’intimée : l’état des profits et pertes pour les années antérieures, la nature de la dépense, la présence ou l’absence d’un élément personnel et la présence ou l’absence d’un plan indiquant qu’il y avait une attente raisonnable de profit dans les années en cause. Tous ces facteurs, ainsi que d’autres, doivent être examinés.

 

[11]    La Cour est convaincue qu’il y avait un élément personnel en l’espèce. Le bien était utilisé en partie de manière à être loué au fils, et il semble que le loyer demandé au fils ne correspondait pas à la juste valeur marchande et représentait peut‑être la moitié de ce que pouvait être la juste valeur marchande concernant cet appartement; il y avait donc un élément personnel. La Cour doit assurément prendre en compte la décision rendue dans l’affaire Tonn, précitée, qui dit que, lorsqu’il y a un élément personnel, il faut examiner la situation avec beaucoup plus de circonspection, et le critère de l’attente raisonnable de profit doit être appliqué plus strictement.

 

[12]    Lorsqu’il y a un élément personnel et que, vu la situation factuelle, il est d’une évidence aveuglante que l’on ne pourrait raisonnablement conclure qu’il pouvait y avoir un profit, on n’applique pas de façon moins stricte le critère de l’arrêt Moldowan, précité. Il s’agit ici d’un cas dans lequel le principe de l’arrêt Moldowan doit être appliqué et dans lequel la Cour doit déterminer s’il y avait une attente raisonnable de profit dans les années en cause.

 

[13]    Si la Cour se trompe en concluant qu’il n'y avait pas un élément personnel, les faits indiquent clairement que, dans les années 1996 et 1997, il ne pouvait raisonnablement y avoir un profit.

 

[14]    Il suffit d’examiner les dépenses qui ont été indiquées pour les années en cause, 1996 et 1997, et l’on peut voir que le revenu en 1996 a été de seulement 9 650 $. Les seuls intérêts sur l’emprunt hypothécaire étaient de 11 860,87 $. Dans cette année‑là, il y a eu des frais de réparation et d’entretien de 4 845,92 $. Même en tenant compte des seuls intérêts sur l’emprunt hypothécaire — sans prendre en considération d’autres frais auxquels on s’attendrait normalement dans le cas d’un bien de cette nature —, il y aurait eu un déficit d’environ 2 000 $.

 

[15]    En 1997, le revenu a été de 9 025 $. Les intérêts sur l’emprunt hypothécaire ont été de 10 528,20 $. Il y a eu des frais de réparation et d’entretien de 4 577,99 $. Encore là, le paiement des seuls intérêts aurait ponctionné tout le revenu et il ne serait rien resté pour compenser les autres dépenses. Par conséquent, en se fondant là‑dessus, il semble bien évident que, sans la prise d’une mesure concernant cet emprunt hypothécaire, par exemple l’adoption d’un plan pour réduire les intérêts hypothécaires sur une période raisonnable, il était impossible de réaliser un profit dans les années en cause.

 

[16]    Il y avait également d’autres facteurs. Les appelants n’ont pas loué autant qu’ils l’avaient prévu, à cause d’un ralentissement de l’économie asiatique et parce qu’il y avait moins d’étudiants dans la région pour louer les biens; de plus, leur autre entreprise n’a pas pris autant d’expansion qu’ils l’avaient prévu. S’ils avaient loué autant qu’ils l’avaient prévu et qu'il y avait eu plus d'étudiants, ils pourraient avoir eu un revenu plus élevé. La Cour n’est toutefois pas convaincue qu’une partie quelconque de la preuve indique que, même s’ils avaient maximisé leur revenu provenant de leur autre société de personnes ou provenant des étudiants ou d’une autre source, il y aurait eu production d’un revenu suffisant pour pouvoir raisonnablement s’attendre à un profit dans les années en cause.

 

[17]    Les faits de l’espèce obligent la Cour à conclure que, durant les années en cause, les appelants étaient financièrement incapables de réduire le montant du capital impayé de leur emprunt hypothécaire sur une période raisonnable; dans ces conditions, la Cour ne voit pas comment il pouvait y avoir une attente raisonnable de profit. En fait, il n’y avait absolument pas d’attente de profit.

 

[18]    La Cour n’a vu aucun plan des appelants indiquant que, dans un délai raisonnable, le montant du capital impayé de l’emprunt hypothécaire serait réduit ou que, dans un délai raisonnable, l’entreprise se redresserait et il y aurait un profit. La Cour a demandé à M. Mendoza, lors de son témoignage, d’expliquer pourquoi un profit n’avait pas été réalisé dans les années 1996 et 1997, alors qu’il soutenait que, dès le début, il s’était attendu à la réalisation d’un profit.

 

[19]    M. Mendoza a dit qu’une partie de son plan était de vendre le bien si le marché s’y prêtait. Tel était son plan en 1995, quand il a acheté le bien, et en 1996, quand il louait le bien. Il a dit que, s’il avait vendu le bien, il aurait réalisé un profit. Cependant, la Cour traite en l’espèce d’une entreprise de location et doit déterminer s’il y avait une attente raisonnable de profit à l’égard de cette entreprise dans les années en cause. Le seul revenu que M. Mendoza ait eu dans les années en cause provenait de l’entreprise de location.

 

[20]    La Cour ne peut s’empêcher de conclure de ce qu'a dit M. Mendoza que ce dernier n'aurait jamais acheté ce bien — il admet lui‑même que cela a été le principal facteur qui l'a empêché de réaliser un profit — s’il n’avait pas alors pensé qu’il allait réaliser un profit en vendant ce bien relativement vite. L’idée d'une entreprise de location ne lui était venue qu’après coup.

 

[21]    La Cour a donné à M. Mendoza l’occasion d’expliquer ce qui l’avait empêché de réaliser un profit durant les années en cause ou dans un délai raisonnable après cela. Malheureusement, l’appelant était incapable de l’expliquer, sauf que, encore là, il disait qu’il n’avait pu vendre le bien aussi vite qu’il avait pensé qu’il pourrait le vendre pour en tirer un profit. Son autre entreprise n’a pas pris une expansion telle qu’il aurait eu la marge de manœuvre qu’il voulait pour réduire le montant impayé du capital de l’emprunt hypothécaire, de sorte qu’il aurait été plus facile de réaliser un profit.

 

[22]    Malgré le fait que la population étudiante à Vancouver était moins nombreuse dans les années en cause que dans les années précédentes et malgré les autres facteurs avancés par les appelants, la Cour a conclu, sur la foi de la preuve, qu’il n’y avait pas d'attente raisonnable de profit dans les années en cause.

 

[23]    La Cour félicite bel et bien M. Mendoza, comme l’a fait l’avocat de l’intimée, de reconnaître qu’il est dans une situation malencontreuse et qu’il cherche depuis un certain temps à vendre ces biens. Quand il parviendra à les vendre, la situation s’améliorera. Toutefois, pour ce qui est de 1996 et de 1997, la Cour doit malheureusement conclure que les appelants ne se sont pas acquittés de la charge qui leur incombait de démontrer qu’il y avait une attente raisonnable de profit.

 

[24]    En outre, la Cour a déjà conclu que les dépenses de la société de personnes n’étaient pas déductibles pour les années en cause.

 

[25]    Il est à noter que l’appelante Encarnacion Mendoza n’a pas témoigné.

 

[26]    Les appels sont rejetés et les cotisations du ministre sont confirmées. 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d'avril 2002.

 

 

« T. E. Margeson »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de mars 2004.

 

 

 

 

Mario Lagacé, réviseur

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