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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Date: 20020619

Dossier: 2001-3708(GST)I

 

ENTRE :

 

KELVIN ARMSTRONG,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

__________________________________________________________________

 

Avocat de l'appelant : Me George F. Jones, c.r.

Avocate de l'intimée : Me Nadine Taylor

__________________________________________________________________

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l'audience

le 26 avril 2002 à Victoria (Colombie‑Britannique))

 

Le juge Bowie, C.C.I.

 

[1]     Monsieur Armstrong interjette appel à l'encontre d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu de l'article 323 de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi »), qu'on appelle parfois familièrement la disposition relative à la responsabilité des administrateurs. Monsieur Armstrong a fait l'objet d'une cotisation en tant qu'administrateur d'une société appelée Oak Meadow Estates Ltd. (« Oak Meadows »). Bien qu'un certain nombre de questions aient été soulevées dans l'avis d'appel, la seule que l'appelant a fait valoir au procès est qu'il est en droit de bénéficier de la disposition d'exonération figurant au paragraphe 323(3), qu'on appelle parfois la disposition relative à la diligence raisonnable :

 

323(3)  L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[2]     Il existe une abondante jurisprudence sur la question de la norme de diligence qui s'applique à un administrateur en vertu du paragraphe 323(3) et de son équivalent dans la Loi de l'impôt sur le revenu, soit le paragraphe 227.1(3). Cependant, aux fins de l'espèce, il suffit de dire que la norme n'est ni totalement subjective ni totalement objective et que c'est une norme qui varie selon les circonstances relatives à l'administrateur concerné, notamment selon son expérience et sa connaissance des affaires et selon son degré de participation aux activités quotidiennes de la société. Une distinction est faite entre les administrateurs internes, dont le degré de participation aux activités quotidiennes est élevé, et les administrateurs externes, à qui s'applique une norme de diligence beaucoup moins stricte.

 

[3]     L'appelant a beaucoup œuvré dans le domaine des affaires au cours de la vingtaine d'années qui précèdent les événements donnant lieu au présent appel. Il a été propriétaire exploitant d'une concession Ford à Victoria pendant environ 20 ans et, avant cela, il avait acquis une certaine expérience dans le domaine bancaire. En 1992, pendant qu'il exploitait encore la concession Ford, lui et un dénommé Videlin se sont lancés en affaires ensemble pour réaliser un projet de construction de maisons en rangée et d'unités condominiales. À cette fin, ils ont créé la société, Oak Meadows. Ils participaient à parts égales; chacun détenait la moitié des actions et chacun était administrateur. À ma connaissance, il n'y avait pas d'autres administrateurs. Ils se partageaient la responsabilité de gérer les activités de la société. Monsieur Videlin avait de l'expérience en construction et, si j'ai bien compris, il se chargeait de la partie de l'entreprise qui portait sur les travaux d'aménagement et de construction. L'apport de M. Armstrong consistait à investir de l'argent, ainsi qu'à s'occuper des services de tenue de livres et de comptabilité, ce qu'il faisait par l'intermédiaire d'un dénommé Nelson.

 

[4]     Monsieur Nelson, comptable général licencié, était un employé de longue date de la concession Ford de M. Armstrong, un employé bien considéré et en qui on avait confiance. Il était chargé de tenir les livres d'Oak Meadows et de s'occuper de choses comme le paiement de factures, la production de déclarations de TPS et l'exécution de fonctions financières semblables. Les chèques devaient être signés à la fois par M. Armstrong et par M. Videlin. M. Nelson, si je ne m'abuse, établissait les chèques devant être signés par MM. Armstrong et Videlin. Oak Meadows a réalisé un projet de condominiums, qui a été couronné de succès et était rentable. Ensuite, Oak Meadows et deux autres associés ont entrepris un projet dans le cadre d'un partenariat dans lequel ils détenaient une participation respective de 50 p. 100, 25 p. 100 et 25 p. 100. Ce projet a été réalisé par l'intermédiaire d'une société appelée Meares Street Homes Ltd. (« Meares »), dont 50 p. 100 des actions appartenaient à Oak Meadows.

 

[5]     Encore là, M. Nelson s'est occupé de la tenue de livres et de l'accomplissement d'autres travaux d'ordre financier, y compris la production de déclarations de TPS pour la société. Il avait été convenu par les associés que les profits de Meares seraient versés aux actionnaires comme honoraires de gestion en fin d'exercice. Cela a été fait deux fois, c'est‑à‑dire à la fin des exercices 1995 et 1996 de Meares. Cinquante pour cent des profits ont été versés à Oak Meadows. Les deux fois, M. Nelson n'a pris aucune mesure pour comptabiliser une dette en matière de TPS. De la TPS était exigible relativement aux services de gestion fournis par Oak Meadows à Meares. Oak Meadows aurait dû percevoir cette TPS de Meares, avec ses honoraires de gestion, et aurait dû la verser au receveur général. Rien de cela n'est contesté.

 

[6]     Il ne semble toutefois pas qu'une dette en matière de TPS ait été enregistrée par Meares. Assurément, la TPS n'a jamais été versée. Je n'ai aucun doute que l'omission de comptabiliser la dette en matière de TPS et de veiller à ce que la TPS soit versée était attribuable, en premier lieu du moins, à l'omission de M. Nelson de s'acquitter correctement de ses fonctions. Assurément, aucun élément de la preuve ne permet de conclure que M. Armstrong ou qui que ce soit d'autre essayait délibérément de se soustraire à l'obligation de payer la TPS. En fait, comme l'a mentionné plus d'une fois Me Jones au cours de son argumentation, si Meares avait payé la TPS à Oak Meadows et que celle‑ci l'avait versée au receveur général comme cela aurait dû être fait, Meares aurait alors pu demander — et aurait vraisemblablement reçu — un crédit de taxe sur les intrants au titre du montant intégral de la taxe payée.

 

[7]     M. Nelson n'a pas été appelé à témoigner, mais la preuve qui m'a été présentée amène à conclure que la cause immédiate du manquement a été sa négligence à cet égard. Dans le cadre de ses fonctions, selon la description qu'en a faite l'appelant lors du témoignage, M. Nelson était chargé de veiller à ce qu'Oak Meadows perçoive et verse la TPS à l'égard de ces services de gestion. Il devait également veiller à ce que Meares paie la TPS, puis présente la demande appropriée pour obtenir un crédit de taxe sur les intrants.

 

[8]     Il y a un autre élément important qui fait partie de la cotisation établie à l'égard d'Oak Meadows. Cela découle directement de la liquidation de cette société. Au milieu de 1998, la relation entre l'appelant et M. Videlin s'était considérablement détériorée. L'appelant a décrit une situation dans laquelle il était constamment nécessaire de fournir des fonds supplémentaires à Oak Meadows et dans laquelle il répondait à ces besoins en matière de financement, tandis que M. Videlin ne le faisait pas. La position de M. Videlin était qu'il était incapable de fournir des fonds supplémentaires à la société. Quelle qu'en soit la raison, la décision de liquider la société a été prise, et il restait alors à vendre deux unités condominiales construites dans le cadre du dernier projet de la société. Messieurs Armstrong et Videlin ont décidé que chacun d'eux achèterait une de ces unités, non pour y vivre, mais apparemment à l'usage d'un proche parent.

 

[9]     Un avocat du nom de Ron Hunter a agi pour la société, pour l'appelant et pour M. Videlin dans ces deux opérations. M. Armstrong a acheté son unité et, ce faisant, il a payé la TPS qui était exigible sur la fourniture de l'unité à lui‑même. Conformément à la Loi, Oak Meadows a perçu de M. Armstrong la TPS à la date de conclusion de la vente et l'a versée au receveur général. M. Armstrong avait apparemment présumé — ce qui s'est révélé être erroné en fin de compte — qu'il en irait de même dans le cas de M. Videlin. Pour des raisons qui ne ressortent pas de la preuve qui m'a été présentée, Me Hunter, agissant pour Oak Meadows dans cette opération, n'a pas perçu la TPS qui aurait dû être payée par M. Videlin à la date de conclusion de la vente. Comme Me Hunter n'a pas été appelé à témoigner, je n'ai aucune explication quant à la raison pour laquelle il en a été ainsi. M. Videlin n'a pas non plus été appelé à témoigner; on m'a dit qu'il vit maintenant aux États‑Unis.

 

[10]    Peu après la conclusion de ces deux opérations, le 2 juillet 1998, Oak Meadows a été volontairement dissoute et radiée du registre des sociétés conformément à l'article 258 de la loi intitulée Company Act[1] (Loi sur les sociétés). On ne m'a présenté pratiquement aucun élément de preuve à part ce que j'ai déjà mentionné quant aux détails de la liquidation. Je ne sais pas, par exemple, si des éléments d'actif ont été distribués à l'appelant ou à M. Videlin. Je ne sais pas si, à part la dette en matière de TPS qui est en cause dans la présente espèce, il y avait d'autres dettes qui n'ont pas été remboursées. Je sais toutefois bel et bien, puisque cela fait partie des hypothèses du ministre qui sont formulées dans la réponse à l'avis d'appel et qui n'ont pas été contestées lors de la présentation de la preuve, qu'une cotisation pour TPS impayée, avec pénalité, a été établie à l'égard d'Oak Meadows, cotisation dont les détails figurent dans plusieurs longues annexes de la réponse à l'avis d'appel qui a été déposée.

 

[11]    Il est suffisant aux fins de l'espèce de savoir que la cotisation de TPS comprenait le montant non payé à l'égard des honoraires de gestion, soit environ 16 520 $, le montant non payé à l'égard de la fourniture d'une unité condominiale à M. Videlin, soit environ 8 831 $, et un montant supplémentaire d'environ 400 $ résultant apparemment des opérations quotidiennes de la société avant la dissolution de celle‑ci. D'après l'annexe, la taxe impayée s'élevait à 26 692 $, et des pénalités de 7 395 $ ont en outre été imposées à la société. Cette dernière n'a pas fait opposition à cette cotisation et n'en a évidemment pas fait appel non plus, de sorte que la cotisation est devenue définitive et exécutoire relativement à la société en vertu des dispositions du paragraphe 299(3) de la Loi. En temps opportun, le certificat requis a été déposé à la Cour fédérale du Canada en vertu de l'article 323, un bref d'exécution a été remis au shérif, et celui-ci a fait rapport, le 29 novembre 2000, que la débitrice n'avait pas de biens pouvant être saisis. Le 26 septembre 2000, apparemment à la demande de l'intimée, Oak Meadows a été réinscrite dans le registre des sociétés en vertu de la Company Act, de sorte qu'elle était réputée en vertu de cette loi avoir continué à exister tout au long de la période. Le 18 décembre 2000, la TPS impayée et la pénalité s'élevaient à 39 419,89 $, et le ministre a établi à l'égard de l'appelant une cotisation de ce montant en vertu de l'article 323 de la Loi.

 

[12]    Comme je l'ai dit au début, la seule question qui me soit soumise est la question de la diligence raisonnable. Il ne fait aucun doute que l'appelant est un homme d'affaires instruit et très expérimenté. Il était l'un des deux seuls actionnaires, un participant à part égale, et il était l'associé dont le rôle incluait la gestion financière des affaires de la société, fonction qui était remplie par l'intermédiaire de son employé, M. Nelson. Il ne saurait faire de doute — et je n'ai pas compris que Me Jones conteste ceci — que la norme de diligence applicable dans le cas présent se situe au niveau le plus élevé. Me Jones a cependant argué que la norme de diligence devrait être atténuée du fait que, en ce qui concerne la TPS sur les honoraires de gestion, la dette n'a pas donné lieu à une perte pour la Couronne, car, si la taxe avait été payée, un crédit de taxe sur les intrants d'un montant équivalent aurait été demandé.

 

[13]    On peut comprendre ce point de vue, mais, à mon avis, il ne s'agit pas d'un facteur que je peux prendre en compte. La responsabilité d'un administrateur selon l'article 323 dépend de l'obligation fiscale de la société. Ce montant dépend à son tour de la cotisation, qui n'a jamais été contestée par la société. Un crédit de taxe sur les intrants qui aurait été demandé aurait évidemment été accordé non pas à M. Armstrong, mais à l'acquéreur des services de gestion, Meares. Le fait de dire que Meares pourrait avoir demandé et reçu un crédit de taxe sur les intrants ne réduit pas la responsabilité d'Oak Meadows ou de ses administrateurs et n'influe pas non plus sur la norme de diligence que M. Armstrong était tenu d'appliquer. Cela est déterminé par l'article 323 de la Loi et par la jurisprudence établie en vertu de cet article.

 

[14]    A‑t‑il été satisfait à la norme de diligence en l'espèce? Je ne pense pas. Il ressort clairement de la jurisprudence qu'un administrateur doit prendre des mesures concrètes pour s'acquitter de ses obligations s'il y a une raison de croire qu'un défaut de paiement de taxe de la part de la société est imminent. Dans le cas d'un administrateur interne, notamment s'il s'y connaît et qu'il est expérimenté, la norme est beaucoup plus stricte. Je ne connais pas de jurisprudence sur un cas comme celui‑ci, dans lequel l'obligation fiscale existait lorsque la société a entrepris une dissolution volontaire. Il me semble toutefois évident que, lorsqu'il y a une dissolution volontaire, un administrateur interne (tout comme probablement n'importe quel administrateur) a une obligation importante qui est de se renseigner de façon précise, auprès de la personne exerçant la responsabilité quotidienne de tenir les livres et de payer les factures, au sujet des dettes éventuelles envers tout créancier, notamment envers le fisc.

 

[15]    La position de l'appelant quant à la diligence raisonnable était qu'il avait confié la tenue de livres à M. Nelson, un CGA d'expérience, et que cela — ainsi que le fait d'avoir engagé un certain M. Fitzgerald, un FCA, pour l'établissement des états de fin d'exercice — était suffisant pour satisfaire à la norme prévue au paragraphe 323(3). Je ne suis pas d'accord.

 

[16]    Tout d'abord, pour ce qui est du rôle de M. Fitzgerald, ce dernier a témoigné qu'il avait été engagé pour ce qu'il appelait une mission de calcul. Il a expliqué qu'il devait, dans le cadre d'une telle mission, établir les états de fin d'exercice et établir et produire des déclarations d'impôt sur le revenu en se fondant sur des renseignements qui lui étaient communiqués par la société. Dans le cas présent, ces renseignements lui ont été fournis par M. Nelson. M. Fitzgerald n'est pas allé au‑delà de ces renseignements et cela ne faisait pas partie de la fonction pour laquelle il avait été engagé. En particulier, il n'a pas examiné la question de savoir s'il y avait des obligations qui n'étaient pas manifestes au vu des livres comptables de la société et, pour ce qui est des obligations qui étaient manifestes, il ne les a pas portées à l'attention de la direction. Rien de cela ne faisait partie de ce pour quoi il avait été engagé.

 

[17]    Je n'ai aucun doute que M. Fitzgerald est un comptable très compétent, mais le fait qu'il ait été engagé pour cette mission limitée chaque année n'a aucune pertinence sur la question de savoir si M. Armstrong s'est acquitté de son obligation de diligence. On ne peut dire non plus que M. Armstrong s'est acquitté de cette obligation simplement en faisant en sorte que les fonctions quotidiennes de tenue de livres et de paiement de factures soient confiées à un comptable compétent. Si tel était le cas, la charge incombant à un administrateur en vertu de l'article 323 ou de son équivalent dans la Loi de l'impôt sur le revenu serait bien légère. L'obligation de diligence comporte nécessairement un certain degré de surveillance dans tous les cas, notamment lorsqu'il s'agit d'un administrateur interne hautement qualifié. À mon avis, cette obligation devient très précise lors d'une liquidation volontaire, quand les actifs de la société doivent être distribués. L'actif résiduel est évidemment divisé entre les actionnaires et il est évident que cela ne peut être fait qu'une fois toutes les dettes payées. S'il y a une distribution de l'actif alors que des créanciers restent impayés, cette distribution est à l'avantage des actionnaires et au détriment des créanciers. M. Armstrong détenait 50 p. 100 des actions et était administrateur. Je n'ai aucun moyen de savoir à partir de la preuve qui m'a été présentée si M. Armstrong s'est enrichi grâce à une distribution de l'actif en sa faveur dans ce cas‑ci. Cela peut ou non avoir été le cas. Il n'a pas choisi de témoigner sur ce point.

 

[18]    Toutefois, je conclus bel et bien que M. Armstrong avait l'obligation de découvrir, en se renseignant d'une manière précise à l'époque de l'abandon de la charte, où on en était dans le paiement de dettes, y compris en matière fiscale. On ne m'a présenté aucune preuve indiquant qu'il s'était ainsi renseigné à cette époque, et l'appel est donc rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juin 2002.

 

 

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de mai 2004.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 



[1]           R.S.B.C. 1996, ch. 62.

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