Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980923

Dossier: 97-2738-IT-I

ENTRE :

JOAN MacISAAC,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance est à l'encontre d'une cotisation établie pour l'année 1995 par laquelle le ministre du Revenu national a refusé à l'appelante sa demande de crédit d'impôt pour personnes handicapées présentée en vertu de l'article 118.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu pour le motif que sa capacité d'accomplir une activité essentielle de la vie quotidienne n'était pas limitée de façon marquée.

[2] L'activité essentielle de la vie quotidienne — expression définie à l'article 118.4 — que l'appelante prétend avoir une capacité limitée d'accomplir de façon marquée est la marche.

[3] En 1986, l'appelante a eu une hernie discale, apparemment du fait qu'elle avait soulevé un paquet de sacs au travail. En 1987, elle s'est blessée de nouveau en déplaçant des objets sur un transporteur à courroie.

[4] L'appelante a subi trois opérations chirurgicales. Elle a d'abord subi une discectomie en 1986, puis elle a de nouveau été opérée en décembre de la même année. En 1989, elle a subi une autre opération (une spondylodèse double).

[5] Cela fait plus de 10 ans que l'appelante n'est pas retournée au travail et elle reçoit apparemment une pension d'invalidité. Le fait qu'elle était admissible à une pension d'invalidité ou à une autre forme de prestation n'est évidemment pas un facteur déterminant quant à son droit à un crédit d'impôt pour personnes handicapées en vertu de l'article 118.3 de la Loi.

[6] Le Dr Pillai, son médecin de famille actuel, a signé un certificat sur lequel, en réponse à la question suivante :

9. La déficience est-elle suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l'activité essentielle de la vie quotidienne même en utilisant des appareils appropriés, des prothèses, en prenant des médicaments ou en suivant une thérapie?

il a coché la case “ Non ”. Sur la même page, il a complété le bout de phrase “ La limitation de l'activité essentielle de la vie quotidienne du patient est ” en cochant la case “ Permanente ”.

[7] Ainsi qu'il a été analysé assez longuement dans l'affaire Morrison v. The Queen, 97-2334(IT)I, je ne crois pas que les certificats soient concluants, que ce soit en faveur ou à l'encontre du contribuable ou du ministère du Revenu national.

[8] J'ai observé l'appelante et j'ai entendu son témoignage. Elle n'était pas représentée par un avocat et elle n'a appelé aucun autre témoin. Son témoignage était sans affectation et franc.

[9] Elle souffre constamment au dos, sauf lorsqu'elle fait le voyage d'Inverness (Nouvelle-Écosse) à Halifax pour y recevoir périodiquement une anesthésie par blocage nerveux, une sorte de procédure médicale qui soulage la douleur temporairement.

[10] Elle a visiblement de la difficulté à marcher, elle marche lentement et péniblement et elle boîte.

[11] Le passage qui suit est tiré de son avis d'opposition quelque peu poignant :

[TRADUCTION]

Je souhaite interjeter appel de votre décision de me refuser la déduction pour personnes handicapées. Je boîte presque tout le temps. Le seul moment où je ne boîte pas, c'est après une anesthésie par blocage nerveux et, même dans ce cas, je boîte lorsque je me lève la première fois. Je souffre tout le temps et je suis incapable d'accomplir quelque travail que ce soit. J'ai de la difficulté à effectuer les travaux ménagers. À mon avis, une personne est “ handicapée ” lorsqu'elle est incapable de vivre sa vie sans souffrir constamment. Une personne qui a été amputée d'une jambe peut ne pas éprouver de douleur physique et être capable d'effectuer un travail. Elle peut avoir besoin d'une aide physique comme un fauteuil roulant ou une prothèse pour faire son travail. Mon médecin de famille sait que je boîte, mais je le vois rarement au sujet de mon dos — je vais à la clinique antidouleur à Halifax lorsque j'ai des problèmes. Les gens là-bas m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas faire grand-chose d'autre pour moi à part ces anesthésies par blocage nerveux. Alors, mon état ne peut qu'empirer au fil des ans. J'ai constamment mal à la jambe et je dois souvent me servir d'une canne. J'essaie de suivre les ordres de mon médecin et je marche autant que je peux, mais il arrive fréquemment que ce soit simplement impossible. J'ai subi trois opérations chirurgicales au dos pour atténuer la douleur. J'ai essayé de retourner au travail en 1987, mais la douleur était trop aiguë et j'ai probablement aggravé mon état en essayant de travailler de nouveau. Je suis incapable de faire quelque travail que ce soit en dehors de la maison et je ne peux pas faire grand-chose dans la maison sans me faire mal. Je boîte presque constamment et je souffre tout le temps. Je crois que cela me donne droit à une déduction pour personnes handicapées.

[12] Je ne crois pas que l'appelante ait exagéré la gravité de son état, et ce que j'ai vu confirme ses propos. Elle prend 2 ou 3 comprimés de Tylenol 3 par jour ainsi que des médicaments anti-inflammatoires.

[13] Il s'agit d'un cas limite, mais, tout bien considéré, je crois que l'appelante en a établi le bien-fondé. Nombre d'affaires de la nature de celle qui nous occupe sont des cas limites. En général, les cas qui sont évidents ne se rendent pas aussi loin. Par conséquent, j'estime important de faire preuve de bon sens et de compassion lorsqu'il s'agit de prendre une décision sous le régime des articles 118.3 et 118.4

[14] Après avoir entendu l'affaire de Mme MacIsaac, j'ai relu ce que j'avais écrit dans l'affaire Radage v. The Queen, 96 DTC 1615. À la page 1625, j'ai écrit :

Chaque cas dépend des faits qui lui sont propres et, jusqu'à un certain point, de la perception de la Cour quant à la gravité du problème. À la question de savoir où il convient de fixer les limites, je ne puis que répondre que, dans une affaire donnée, je fixe les limites là où le bon sens me l'indique, selon la preuve présentée et d'un point de vue compatissant par rapport au but que visait à mon avis le législateur à l'article 118.3.

5) Je ne veux pas dire par là que la détermination doit se fonder sur une réaction instinctive, arbitraire et subjective. Elle doit être basée non seulement sur les faits propres à un cas, mais également sur les principes juridiques appropriés. J'essaierai d'énoncer brièvement les principes sur lesquels se fonde ma décision en l'espèce :

a) L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

b) La Cour doit, tout en reconnaissant l'étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique.

[...]

Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante. L'article 12 de la Loi d'interprétation se lit comme suit :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

c) S'il existe un doute quant à savoir de quel côté de la limite se situe une personne demandant le crédit, on doit accorder à cette personne le bénéfice du doute.

[15] Cette perspective est à mon avis celle qu'a adopté la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Johnston v. The Queen, 98 DTC 6169, Thomas v. The Queen, 97 DTC 5024, et Friis v. The Queen, 98 DTC 6419.

[16] À mon avis, ces principes s'appliquent à Mme MacIsaac, qui satisfait aux critères énoncés aux articles 118.3 et 118.4.

[17] L'appel est par conséquent admis.

Signé à Toronto, Canada, ce 23e jour de septembre 1998.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme le 29 mars 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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