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Dossier : 2002‑3798(IT)G

ENTRE :

EDWARD MILLER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

 

PATRICIA MAEVE WILSON,

tierce partie.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Audience relative à une question posée en vertu de l’article 174 de la

Loi de l’impôt sur le revenu, tenue les 19, 20 et 21 mars 2007,

à St. Catharines (Ontario),

devant l’honorable juge Campbell J. Miller.

 

Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Nicholas F. Ferguson

Avocat de l’intimée :

Me John R. Shipley

Avocat de la tierce partie :

Me Richard Barch, c.r.

____________________________________________________________________

 

PRONONCÉ SUR UNE QUESTION EN VERTU DE

L’ARTICLE 174 DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

 

          Par ordonnance datée du 23 mars 2006, Patricia Maeve Wilson a été ajoutée en qualité de tierce partie à l’appel d’Edward Miller aux fins de trancher, en vertu de l’article 174 de la Loi de l’impôt sur le revenu, la question suivante :

 

Quel est le prix d’achat qu’Edward Miller a payé à Patricia Maeve Railton, aujourd’hui Mme Wilson, en 1995 pour un terrain situé au 871, ch. Lakeshore, Port Colborne (Ontario) L3K 5V3, et plus particulièrement décrit comme partie du lot 21, concession 1, partie du lot riverain devant le lot 21, concession 1 de l’ancien canton de Humberstone, maintenant situé dans la ville de Port Colborne, dans la municipalité régionale de Niagara, désigné comme les parties 8, 9, 10, 11 et 12, plan 59R‑9162, assujetti à un droit de passage à des fins d’accès et aux fins de services publics sur la partie 9, Plan 59R‑9162, AINSI qu’à un droit de passage sur la partie 2, Plan 59R‑5181, et assujetti à un droit de passage sur la partie 3, plan 59R‑5181?

 

          APRÈS avoir entendu les témoignages présentés par les parties, il est statué que le prix d’achat qu’Edward Miller a payé à Patricia Maeve Wilson pour le terrain en cause était de 100 000 $.

 

JUGEMENT

 

          L’appel interjeté par Edward Miller à l’encontre de la cotisation d’impôt établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1998 est rejeté, avec dépens, à l’exception des frais reliés directement au prononcé sur la question, y compris l’audience de trois jours, lesquels doivent être assumés à parts égales par l’appelant et la tierce partie.

 

Signé à Ottawa, au Canada, ce 3e jour d’avril 2007.

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19jour de mars 2008.

 

 

Michèle Ledecq, réviseure


 

 

 

 

Référence : 2007CCI205

Date : 20070403

Dossier : 2002‑3798(IT)G

ENTRE :

EDWARD MILLER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

 

PATRICIA MAEVE WILSON,

tierce partie.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]     M. Miller prétend avoir payé 180 000 $ en 1995 pour l’acquisition d’un terrain de la tierce partie, Mme Wilson (autrefois Railton). Cette dernière prétend n’avoir reçu qu’une contrepartie de 100 000 $. La différence de 80 000 $ représente de l’argent comptant que M. Miller dit avoir payé à Mme Wilson en trois versements de 30 000 $, 48 000 $ et 2000 $, le tout payé en billets de 100 $. Mme Wilson nie avoir reçu pareil argent comptant. M. Miller a vendu le terrain en 1998, et le ministre du Revenu national (le « ministre ») l’a cotisé en présumant que le prix de base était 100 000 $ et non 180 000 $. M. Miller a interjeté appel. Le ministre demande à la Cour de statuer sur une question de fait en vertu de l’article 174 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») : quel prix M. Miller a‑t‑il payé à Mme Wilson pour l’achat du terrain? Le ministre a ajouté Mme Wilson à cette instance. La détermination du prix payé déterminera le sort de l’appel de M. Miller concernant l’évaluation du gain qu’il a réalisé lorsqu’il a revendu le terrain. M. Miller a aussi soulevé une deuxième question dans son appel, qui ne concerne pas Mme Wilson, mais qui se rapporte à un avantage possible à titre d’actionnaire. À l’audience, il a affirmé qu’il retirait son appel relativement à cette question.

 

[2]     La question à trancher en vertu de l’article 174 est une question de crédibilité. Est‑ce que je crois M. Miller lorsqu’il dit qu’il a payé 180 000 $ pour la propriété au moyen d’un chèque tiré sur le compte de sa société, ce qui n’est pas contesté, plus trois paiements au comptant aux montants respectifs de 30 000 $, 48 000 $ et 2000 $; ou est‑ce que je crois Mme Wilson lorsqu’elle dit qu’elle a seulement reçu le chèque de 100 000 $, mais aucun argent comptant? Cette question paraissait relativement simple avant que j’entende des témoignages pendant trois jours et que je conclue que ni M. Miller ni Mme Wilson n’étaient des parangons de sincérité.

 

[3]     Les éléments de preuve portent à croire qu’il y a trois versions possibles quant à ce qui s’est effectivement passé en 1995 relativement à la vente de la propriété de Mme Wilson à M. Miller : la version de M. Miller; la version de Mme Wilson présentée au procès; et la version de Mme Wilson exposée à deux occasions distinctes, d’abord, à M. Shane McCafferty et, deuxièmement, à M. Timothy Matthews, tous deux agents de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Je vais examiner chaque version.

 

La version de M. Miller

 

[4]     Au début de 1995, M. Miller cherchait une propriété au bord du lac Érié pour y établir sa résidence personnelle. On lui a montré la maison des Railton, que ceux‑ci avaient mis en vente à la suite de l’échec de leur mariage. Bien que la maison ne l’intéressât pas, il a remarqué une demande de subdivision visant à séparer les lots situés de part et d’autre de la maison. Un des lots vacants, soit celui appartenant à Mme Wilson (anciennement Mme Railton) (en vertu de l’entente de séparation entre M. et Mme Railton) l’intéressait. Il a rencontré Mme Wilson à son bureau le 13 mars 1995. Il lui a offert 200 000 $, entente qu’il a dressée par écrit sur du papier à en‑tête de sa société (Trench Canada). Mme Wilson a corrigé l’orthographe de son prénom sur l’entente. Étant donné que la séparation du lot n’avait pas été finalisée, il était convenu que Mme Wilson assumerait les frais liés à la finalisation de la séparation du lot. À ce moment, M. Miller lui a payé 30 000 $ en billets de 100 $. Il conservait régulièrement d’importantes sommes d’argent comptant à son bureau. Mme Wilson voulait l’argent comptant puisqu’elle souhaitait acheter un voilier. M. Miller a payé au comptant pour avoir accès au terrain afin de pouvoir commencer à préparer le site pour la construction. Le contenu de cette première entente est reproduit à l’annexe A des présents motifs[1].

 

[5]     En avril 1995, Mme Wilson a communiqué avec M. Miller pour lui dire qu’elle n’était pas en mesure de financer les coûts de la subdivision (qui comprenait d’importants travaux d’électricité), et l’entente a donc été renégociée à 180 000 $. M. Miller assumerait les coûts liés à la séparation, mais, s’il engageait moins de 15 000 $ de frais, Mme Wilson obtiendrait une remise de lui. Il a prétendu qu’il avait engagé des dépenses supérieures à 15 000 $, de sorte qu’aucune remise n’a été versée. La deuxième entente, dont le contenu en substance est reproduit à l’annexe B des présents motifs[2], a été rédigée le 24 avril 1995 et signée le 28 avril 1995 par M. Miller et Mme Wilson. (L’expert en calligraphie de l’intimée a exprimé l’avis qu’il était fort probable que Mme Wilson ait signé l’entente de mars et l’entente d’avril.) M. Miller a remis à Mme Wilson un chèque de 100 000 $ tiré sur Trench Canada ainsi que 48 000 $ en billets de 100 $ peu après la signature de l’entente du 28 avril. Les deux dernières lignes de l’entente reproduite à l’annexe B le confirment.

 

[6]     M. Miller a engagé un avocat, M. Marchand, pour conclure la transaction dès que la subdivision a été finalisée. M. Miller a fourni au cabinet d’avocats une copie de la deuxième entente datée du 24 avril 1995. Mme Beatty Ann Hems, une technicienne juridique au cabinet d’avocats, a confirmé qu’elle s’était occupée de cette transaction immobilière.

 

[7]     M. Miller se souvient que, lorsqu’est venu le temps de signer les documents de transfert, ceux‑ci indiquaient une vente à 100 000 $ et non à 180 000 $. Il a donné comme instruction que les documents soient modifiés, mais sa demande a été refusée. M. Miller a soutenu qu’il avait deux possibilités : (i) poursuivre Mme Wilson; ou (ii) conclure la transaction à 100 000 $. Étant donné qu’il prévoyait faire du terrain le site de sa résidence personnelle, il ne voyait pas d’inconvénient à ce que la documentation relative à la transaction indique un prix de 100 000 $. Il se sentait coincé. Malgré sa colère, il a souscrit l’affidavit relatif aux droits de cession immobilière au montant de 100 000 $ le 15 juin 1995. Il a reconnu au procès que cet affidavit était mensonger.

 

[8]     Le 16 juin 1995, M. Miller est allé au bureau de Mme Wilson et lui a payé les derniers 2000 $ en argent comptant, et cette dernière a paraphé l’entente. L’expert en calligraphie de l’intimée n’est pas parvenu à déterminer si les initiales sur ce document étaient effectivement celles de Mme Wilson. Curieusement, l’entente supposément paraphée (pièce A‑5) présentait de légères différences de typographie par rapport à l’entente produite en preuve comme pièce A‑2. L’acte de transfert a été enregistré le 19 juillet 1995. Peu après, M. Miller a décidé de déménager de la région. Il a par la suite vendu le lot en 1998 au prix de 235 000 $.

 

La version de Mme Wilson

 

[9]     En 1995, Mme Wilson était directrice exécutive du Showboat Festival Theatre. Elle connaissait M. Miller depuis quelques années puisque son organisation achetait des t‑shirts de la société de M. Miller, Trench Canada. Mme Wilson était en instance de séparation d’avec M. Railton. Ils avaient décidé de vendre leur maison et de séparer deux lots situés de part et d’autre de la maison, chacun conservant un lot. L’entente de séparation du couple stipulait : [3]

 

         [traduction]

(2)        Maeve et James reconnaissent qu’ils ont convenu de vendre la résidence familiale, et ils ont confié la vente de la résidence familiale à Niagara View Realty, au prix dont les parties pourront convenir de temps à autre en tenant compte du fait que la propriété sera subdivisée en trois lots; ni l’une ni l’autre des parties n’est obligée de signer aucun contrat de vente qui procurerait conjointement aux parties moins de 400 000 $ après paiement des commissions, des coûts liés à la séparation des lots, des frais d’arpentage et des frais juridiques (à l’exclusion de la valeur des lots qui seront conservés).

 

La résidence familiale a été vendue au prix de 317 000 $.

 

[10]   En janvier ou février 1995, M. Miller a rencontré Mme Wilson sur le terrain et a fait une offre verbale. Mme Wilson avait demandé 100 000 $ nets, c.‑à‑d. qu’elle voulait 100 000 $ après paiement de l’ensemble des frais d’agence immobilière, des frais juridiques et des frais liés à la séparation des lots (qu’elle estimait à environ 16 000 $). Mme Wilson a affirmé dans son témoignage que M. Miller avait accepté ces conditions. Mme Wilson a fait évaluer le lot par des agents immobiliers et un évaluateur, qui ont estimé qu’il valait entre 40 000 $ et 100 000 $. Ni un des agents ni l’évaluateur n’ont témoigné.

 

[11]   Le 24 février 1995, Mme Wilson et son nouveau mari, M. Wilson, sont allés en Floride, où Mme Wilson a fait une offre d’achat portant sur un bateau qu’elle a par la suite acheté au prix d’environ 83 000 $CAN. À son retour au Canada, elle a rencontré M. Miller à quelques autres reprises. Elle nie avoir reçu les sommes de 30 000 $, 48 000 $ et 2000 $ en argent comptant, puisqu’elle soutient que telle n’était pas l’entente. Pour ce qui concerne l’entente écrite stipulant un montant de 200 000 $ (annexe A), puis de 180 000 $ (annexe B), elle a répondu que la signature ressemblait à sa signature, mais qu’il ne s’agissait pas des conditions qu’elle avait acceptées, de sorte qu’elle n’aurait pas signé sciemment de tels documents. Elle se souvenait qu’il y avait eu une entente, mais elle ne se souvenait pas de son aspect. Elle présumait qu’il y aurait eu une description juridique. Elle a confirmé qu’elle avait reçu un chèque au montant de 100 000 $ à la date où elle avait signé l’acte de transfert le 2 mai. Elle a expliqué qu’un homme en complet était venu à son bureau le 2 mai avec l’acte, qu’elle avait refusé de signer, puisqu’on lui offrait seulement 100 000 $, mais aucun remboursement des dépenses. Ni lors de son interrogatoire principal ni lors de son contre‑interrogatoire n’a‑t‑elle mentionné comment M. Miller était censé savoir combien il devait payer en sus des 100 000 $. Lorsque je l’ai interrogée à ce sujet, elle a donné à entendre qu’elle lui avait fourni une liste des coûts. Elle a discuté de la conclusion de la transaction avec M. Wilson, qui a affirmé dans son témoignage qu’il avait appelé M. Miller pour s’enquérir. (M. Miller ne se souvenait pas de cette conversation.) M. Wilson a affirmé que M. Miller lui avait dit que c’était à prendre ou à laisser. Mme Wilson a décidé d’accepter la transaction, et l’homme en complet est revenu pour obtenir sa signature sur l’acte et lui a remis le chèque. Elle a présumé que cette personne avait été envoyée par M. Miller et elle a aussi présumé qu’il s’agissait de son avocat. Elle n’a jamais vu un acte stipulant un montant de 180 000 $.

 

[12]   Mme Wilson a reconnu que son ancien époux, M. Railton, un avocat, s’était occupé du travail juridique relié à la séparation des lots, mais il ne s’était pas occupé de la vente du lot à M. Miller. Elle a soutenu que M. Miller était censé s’occuper de toutes les démarches juridiques par l’entremise de ses avocats.

 

[13]   Mme Wilson a affirmé dans son témoignage qu’elle n’avait pas réalisé que la vente de la propriété posait un problème jusqu’à ce que M. McCafferty de l’ARC communique avec elle au printemps 2002.

 

La version de Mme Wilson d’après des représentants de l’ARC

 

[14]   En mars 2002, M. McCafferty de l’ARC a communiqué avec Mme Wilson et lui a demandé de lui décrire la transaction avec M. Miller. M. McCafferty a affirmé que Mme Wilson l’avait informé que M. Miller avait communiqué avec elle pour lui proposer d’échanger son lot contre une autre propriété. Elle n’était pas intéressée, alors ils s’étaient entendus de manière informelle sur une vente au prix de 180 000 $, et elle avait signé une entente à cet effet. Après que M. Miller eut évalué la propriété pour ses fins et qu’il eut déterminé qu’il faudrait y mettre de l’argent, d’après l’explication que Mme Wilson a fournie à M. McCafferty, M. Miller avait retiré son offre de 180 000 $. Cela posait un problème pour Mme Wilson puisqu’elle souhaitait acheter un bateau; alors, elle a renégocié et convenu d’un prix de 100 000 $ net, déduction faite de certains frais que M. Miller acceptait d’assumer. Après cette explication donnée à M. McCafferty, la suite du compte rendu que Mme Wilson lui a fait des événements correspondait à la version qu’elle a relatée à la Cour.

 

[15]   M. Matthews de l’ARC a parlé à Mme Wilson en avril 2002 et a entendu un compte rendu semblable à celui relaté à M McCafferty.

 

Le témoignage de Patricia Hems

 

[16]   Mme Hems travaillait comme technicienne juridique dans le domaine immobilier au cabinet de M. Marchand en 1995. Elle se souvenait de s’être occupée de la vente de la propriété de Mme Wilson à M. Miller. Elle ne se rappelait pas avec certitude comment l’offre était arrivée au bureau, mais elle présumait qu’elle était arrivée un mois ou deux avant la conclusion de la transaction en juillet 1995. La première lettre dans son dossier est une demande qu’elle a adressée à la ville de Port Colborne datée du 8 juin 1995. La seule entente dans son dossier concernant la vente est l’entente du 24 avril 1995 (annexe B), mais dans laquelle le montant de 180 000 $ a été biffé pour être remplacé au‑dessus par le montant de 100 000 $ et où les deux dernières lignes ont été arrachées. Mme Hems n’était pas certaine quant à savoir si elle avait reçu l’offre indiquant le montant de 180 000 $, ou celle où le montant de 180 000 $ avait été biffé pour être remplacé au‑dessus par le montant de 100 000 $, avec la partie inférieure de la page arrachée. La partie inférieure de la page comprenait les deux lignes relatives au paiement de 148 000 $ et de 2000 $. En contre‑interrogatoire, elle a confirmé qu’elle avait reçu l’entente à 180 000 $ non déchirée, bien qu’elle ne parvînt pas à se rappeler ni comment ni quand le montant avait été remplacé par le montant de 100 000 $, et la page, déchirée. Son dossier contenait seulement l’entente au montant de 100 000 $, mais elle a affirmé dans son témoignage qu’elle croyait bien que le prix de la transaction était censé être de 180 000 $ au départ. Elle a également affirmé que M. Miller l’avait informée que le prix d’achat était le même que l’acompte, et qu’il avait été payé.

 

[17]   Mme Hems croyait que l’ancien époux de Mme Wilson, M. Railton, s’occupait de la transaction, puisqu’elle se souvenait d’avoir téléphoné à son cabinet pour leur dire comment M. Miller souhaitait être désigné dans l’acte. Elle a aussi reçu une copie d’une mainlevée d’hypothèque du cabinet de M. Railton. Enfin, elle se souvenait d’avoir appelé ce cabinet lorsqu’elle avait reçu l’acte de transfert puisqu’il stipulait une contrepartie de 100 000 $, et non de 180 000 $, comme elle croyait qu’il était censé le stipuler. Quelqu’un du cabinet de M. Railton l’a avisée que la contrepartie était de 100 000 $. Elle a donc parlé à son patron, M. Marchand, qui a parlé à M. Miller, et M. Marchand a ensuite dit à Mme Hems de rédiger l’affidavit en y inscrivant le montant de 100 000 $. C’est ce qu’elle a fait, et elle a fait souscrire l’affidavit par M. Miller, sans penser qu’il y avait quoique ce soit d’irrégulier en rapport avec la contrepartie inférieure, en se disant que cela était attribuable à des changements dans la transaction. Curieusement, elle avait signé un affidavit en mai 2002 qui énonçait :[4]

 

[traduction]

J’étais au courant que les documents reliés à l’achat ne rendaient pas compte des 80 000 $ que M. Miller avait payés à la vendeuse dans cette transaction puisque les vendeurs s’y opposaient.

 

Mme Hems a affirmé dans son témoignage qu’elle n’aurait pas reçu l’affidavit de M. Miller si elle avait pensé qu’elle faisait souscrire un affidavit mensonger.

 

[18]   Mme Hems a reconnu que la première entrée dans son dossier était des notes de M. Marchand qui indiquaient « acompte 100 000 $ ». Bien qu’elle ait rédigé un acte de transfert, c’est un acte provenant du cabinet de M. Railton qui a finalement été enregistré. L’acte enregistré semble être une copie de l’acte portant subdivision de la propriété, masqué en blanc et altéré de manière à constater la vente de Mme Wilson à M. Miller. Cet acte indique le prix de 100 000 $. En outre, à l’endos d’un des projets d’acte, Mme Hems a écrit [traduction] « le prix convenu pour la propriété était de 100 000 $ ». Enfin, Mme Hems a affirmé dans son témoignage qu’à son avis son patron, M. Marchand, ne ferait jamais quoi que ce soit de reprochable.

 

Analyse

 

[19]   Est‑ce que M. Miller a payé 80 000 $ en argent comptant à Mme Wilson? M. Miller dit que oui. Mme Wilson dit que non. Noir ou blanc – pas de zone grise ou de moyen terme. Malheureusement, il y a peu de faits entourant le transfert effectif de l’argent comptant. Il n’y a eu aucun témoin du transfert d’argent comptant. Il n’y a aucun relevé bancaire de Mme Wilson qui aurait pu indiquer des dépôts pendant les périodes en cause. De même, il n’y avait aucun document commercial de M. Miller ou de Trench Canada corroborant l’habitude du premier de conserver d’importantes sommes d’argent comptant. Il y a eu le témoignage de Mme Hems confirmant l’affirmation que lui avait faite M. Miller à l’époque comme quoi l’acompte était le même que le prix d’achat et qu’il avait été payé. Cependant, cet élément de preuve paraît quelque peu contradictoire par rapport au témoignage ultérieur de Mme Hems concernant la souscription de l’affidavit par M. Miller, lorsqu’elle a affirmé sous serment que la contrepartie était seulement de 100 000 $. Mme Hems a affirmé dans son témoignage qu’elle ne recevrait jamais l’affidavit de quelqu’un si elle le croyait mensonger. La seule explication serait que, au moment où elle a fait souscrire l’affidavit par M. Miller, elle croyait que les conditions de la transaction avaient changé et que le prix était désormais de 100 000 $. Mme Hems a aussi affirmé dans son témoignage que M. Miller avait utilisé de l’argent comptant dans le cadre d’autres transactions. Voilà tous les faits reliés à la supposée transaction en argent comptant. La preuve n’est pas très étoffée.

 

[20]   Il devient donc nécessaire d’évaluer la crédibilité de M. Miller et de Mme Wilson. J’ai l’impression que ni l’un ni l’autre n’a été tout à fait sincère.

 

[21]   Pourquoi la position de M. Miller manque‑t‑elle de crédibilité? Pour les raisons suivantes :

 

i)        il a déjà admis avoir souscrit un affidavit mensonger; malgré son explication selon laquelle son geste était justifié par le fait qu’il se sentait coincé, je demeure suspicieux à l’égard du témoignage de quelqu’un qui reconnaît avoir menti sous serment;

 

ii)       la seule personne, M. Marchand, l’avocat de M. Miller, qui aurait peut‑être confirmé la version de M. Miller, n’a pas été citée comme témoin. L’avocat de l’intimée a donné à entendre qu’il serait compréhensible que M. Marchand soit réticent à témoigner s’il avait conseillé à son client comme ligne de conduite envisageable de souscrire un affidavit mensonger. Cette explication fait présumer le pire de la part d’un membre de la profession juridique. Elle est aussi irréconciliable avec l’opinion de Mme Hems au sujet de son patron qui, selon elle, ne ferait jamais quoi que ce soit de reprochable. Il y a une autre explication possible et plausible, qui n’impliquerait aucune conduite condamnable de la part de M. Marchand et qui ne le mettrait nullement dans l’embarras s’il devait témoigner. Cette autre explication, c’est que la transaction était effectivement au montant de 100 000 $, et M. Marchand le savait et il a demandé à sa technicienne juridique de rédiger l’affidavit en conséquence. Cette hypothèse est étayée par la note de M. Marchand au tout début du dossier traité par Mme Hems. La première entrée dans ce dossier est constituée des notes manuscrites de M. Marchand indiquant un acompte de 100 000 $. Je n’admets pas que M. Marchand n’ait pas témoigné pour éviter l’embarras; je crois plutôt que, selon la prépondérance des probabilités, il n’a pas témoigné parce que sa déposition n’aurait pas corroboré la version selon laquelle le prix de la transaction était de 180 000 $;

 

iii)      la seule entente au dossier de Mme Hems est une photocopie de l’entente signée par M. Miller et Mme Wilson datée du 24 avril. Sur cette copie figure le montant de 180 000 $ par‑dessus lequel on a écrit 100 000 $, et les deux dernières lignes de l’entente ont été déchirées (souvenons-nous qu’il s’agissait des deux lignes indiquant des paiements de 148 000 $ et de 2000 $). Mme Hems ne se souvenait pas quand ni comment ces modifications avaient été faites. Si M. Miller, M. Marchand et Mme Hems croyaient tous que M. Miller avait payé 180 000 $, il serait insensé que qui que ce soit dans le cabinet de M. Marchand ait remplacé la mention « 180 000 $ » par « 100 000 $ », puis ait arraché la partie de l’entente qui indiquait que 148 000 $ avaient été payés. Je ne puis donc faire autrement que de conclure que Mme Hems s’est trompée lorsqu’elle a dit se souvenir que l’entente était arrivée intacte et indiquant un montant de 180 000 $. Je conclus que tel n’a pas été le cas. M. Miller a pu mentionner 180 000 $ à Mme Hems à un moment donné, mais il n’y a absolument rien dans le dossier de cette dernière qui tende à démontrer que le montant de la transaction n’était pas de 100 000 $. D’ailleurs, ses notes à l’endos d’un des projets d’acte de transfert énoncent que le prix convenu pour la propriété était de 100 000 $;

 

iv)      il n’est pas habituel dans notre société d’effectuer des transactions au moyen d’importantes sommes d’argent comptant en coupures de 100 $. Si telle est l’habitude de M. Miller – et le témoignage de Mme Hems ne m’a pas convaincu qu’elle était suffisamment au courant de ses pratiques commerciales pour étayer sa prétention –, je m’attendrais à ce qu’il y en ait une preuve tangible – registres de la société, retraits ou dépôts bancaires, déclarations de clients, corroboration de commis comptables, corroboration de vérificateurs, états financiers mensuels ou annuels –, quelque chose qui tende à démontrer que M. Miller faisait des affaires au moyen de billets de 100 $.

 

[22]   Si j’étais seulement saisi de l’appel de M. Miller, mes motifs s’arrêteraient ici, et je conclurais qu’il ne m’a pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait payé les 80 000 $ additionnels en argent comptant. Mais je suis saisi d’une question de fait à trancher, et je dois aussi traiter de la version de Mme Wilson, et je pose donc la même question : pourquoi Mme Wilson manque‑t‑elle de crédibilité?

 

[23]   Pour les raisons suivantes :

 

i)        elle a refusé de reconnaître qu’elle avait signé les lettres d’entente du 13 mars et du 24 avril, alors que je suis convaincu qu’elle les a signées;

 

ii)       elle a modifié sa version des faits devant moi par rapport à ce qu’elle avait dit aux fonctionnaires de l’ARC en 2002;

 

iii)      elle prétend avoir signé une entente stipulant un prix de 100 000 $, bien qu’aucune entente semblable n’ait été produite;

 

iv)      elle prétend avoir fourni une liste de dépenses à M. Miller à des fins de remboursement, mais, encore une fois, aucune liste semblable n’a été produite;

 

v)       elle prétend avoir reçu à deux occasions la visite d’un homme en complet muni d’un acte de transfert, un homme qu’elle ne pouvait pas décrire, mais qui n’était pas M.        Marchand. Il n’y a aucune explication quant à savoir qui pourrait bien être cet homme mystérieux;

 

vi)      elle nie que qui que ce soit ait agi pour son compte relativement au transfert, et pourtant je suis convaincu que le cabinet de M. Railton a pris part à l’élaboration de l’acte de transfert. J’admets le témoignage de Mme Hems sur ce point.

 

[24]   Pour commenter le témoignage de Mme Wilson dans les termes les plus indulgents, je dirais que sa mémoire lui a joué des tours au point de la rendre confuse.

 

[25]   Me voilà donc aux prises avec ce problème difficile à résoudre, car je ne crois pas tout à fait la version d’aucun des deux protagonistes. J’accorderai donc un poids considérable à certains documents, soit les documents produits par Mme Hems. Son dossier ne comportait aucune preuve d’une transaction conclue au prix de 180 000 $. L’entente du 24 avril, telle que modifiée, l’acte, l’affidavit sur la valeur et la contrepartie, les notes de Mme Wilson et les notes de M. Marchand indiquent tous que la vente s’est faite en fin de compte au prix de 100 000 $. Cette preuve, combinée à mes commentaires précédents concernant l’absence de corroboration des transactions au comptant de M. Miller, m’amène à conclure que le prix payé a été de 100 000 $.

 

[26]   Peu importe la conclusion à laquelle je pourrais arriver, il resterait des questions sans réponse, des circonstances inexpliquées, et un mystère quant à ce qui s’est véritablement passé. Cette cause a en effet été bizarre. Seuls M. Miller et Mme Wilson connaissent la vérité – une notion que ni l’un ni l’autre ne saisit.

 

[27]   En conclusion, la réponse à la question de fait posée en vertu de l’article 174 est que le prix d’achat pour le terrain en cause était de 100 000 $. En conséquence, l’appel de M. Miller est rejeté. Les dépens reliés à l’appel devront être assumés par M. Miller. Les dépens reliés à la décision en vertu de l’article 174, qui a notamment exigé trois jours d’audition, devront être assumés en parts égales par M. Miller et Mme Wilson, pour des raisons qui devraient ressortir à l’évidence de mes commentaires dans les présents motifs. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le mémoire de frais, elles devront me présenter des observations écrites dans les 60 jours de la date des présents motifs.

 

Signé à Ottawa, au Canada, ce 3e jour d’avril 2007.

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19jour de mars 2008.

 

 

Michèle Ledecq, réviseure


ANNEXE A

 

Le 13 mars 1995

 

Maeve Railton convient de vendre son intérêt dans 3,05 acres à Edward H. Miller III au prix de 200 000 dollars canadiens, étant entendu ce qui suit :

 

La portion riveraine ne doit pas mesurer moins de 138 pieds.

 

Des dispositions seront prises avec Edward H. Miller III aux fins d’une réserve routière au profit de la maison existante et de la propriété adjacente.

 

Les permis de construction et d’aménagement de champ d’épuration devront être émis et finalisés au moment de la vente le 15 juillet 1995.

 

Edward H. Miller III et ses entrepreneurs devront avoir accès à la propriété à compter du 13 mars 1995 en contrepartie de l’acompte de 30 000 $ canadiens.

 

Maeve Railton détiendra une hypothèque de premier rang à hauteur de 100 000 $ au taux de 7 %.

 

Partie 8 =     0,02

Partie 9 =     0,33

Partie 10 =   0,54

Partie 11 =   0,17

Partie 12 =   1,09

 

 

            « Signature »

           Maeve Railton

 

 

          « Signature »

       Edward H. Miller III

 

 


ANNEXE B

 

 

Le 24 avril 1995

 

Maeve Railton convient de vendre son intérêt dans 3,05 acres à Edward H. Miller III au prix de 180 000 dollars canadiens, étant entendu ce qui suit :

 

Partie 8 =     0,02

Partie 9 =     0,33

Partie 10 =   0,54

Partie 11 =   0,17

Partie 12 =   1,09

 

1.         La portion riveraine ne doit pas mesurer moins de 138 pieds.

 

2.         Des dispositions seront prises avec Edward H. Miller III aux fins d’une réserve routière / d’un droit d’accès au profit des maisons existantes et de la propriété adjacente.

 

3.         Les permis de construction et d’aménagement d’un champ d’épuration devront être émis et finalisés au moment de la vente le 14 juillet 1995; cela comprend la dérogation mineure demandée.

 

4.         Edward H. Miller III et ses entrepreneurs devront avoir accès à la propriété à compter du 13 mars 1995 en contrepartie de l’acompte de 30 000 $ canadiens.

 

5.         Edward H. Miller III prend à sa charge le coût de relocalisation du transformateur électrique pour les propriétés McKay et Miller et l’installation d’un nouveau transformateur pour la propriété des Railton, parcelles 1 et 2. Si les coûts s’avèrent inférieurs à 15 000 $, les 2/3 de la différence entre 15 000 $ et les coûts réels seront remboursés à Maeve.

 

6.         Miller ne sera tenu de répondre d’aucune réclamation de McKay au titre de quelque remboursement relié à l’installation électrique originale.

 

 

            « Signature »                 28.4.95

           Maeve Railton

 

 


 

          « Signature »                    28.4.95

       Edward H. Miller III

 

 

Reçu d’Edward H. Miller III, 28‑4‑1995 – 148 000 $

Edward H. Miller III doit maintenant 2000 $ à Maeve Railton


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI205

 

NO DE DOSSIER DE LA COUR :      2002‑3798(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Edward Miller

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

                                                          et Patricia Maeve Wilson

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   St. Catharines (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 19, 20 et 21 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 3 avril 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Nicholas F. Ferguson

Avocat de l’intimée :

Me John R. Shipley

Avocat de la tierce partie :

Me Richard Barch, c.r.

 

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                                Nom :                Me Nicholas F. Ferguson

                            Cabinet :                Chown, Cairns

 

       Pour la tierce partie :

 

                            Nom :                    Me Richard Barch c.r.

                            Cabinet :                Coy, Barch

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           Pièce A-1.

[2]              Pièce A-2.

[3]           Pièce I-4.

[4]           Pièce I-10.

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