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Dossier : 2005-68(IT)G

ENTRE :

ROBERT BOUTILIER,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 10 octobre 2006, à Halifax (Nouvelle-Écosse).

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

 

Avocat de l’appelant :

Me Edwin C. Harris, c.r.

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Catherine McIntyre

Me Peter Leslie

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998, 1999 et 2000 sont rejetés, avec dépens, selon les motifs de jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2007.

 

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de mars 2008.

 

Maurice Audet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2007CCI96

Date : 20070220

Dossier : 2005-68(IT)G  

ENTRE :

 

ROBERT BOUTILIER,

 

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Campbell

 

[1]     L’appelant a fait l’objet d’une nouvelle cotisation conformément au paragraphe 56(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») en vue d’inclure dans son revenu des montants connus sous le nom de commissions de maintien (trailer fees) qu’il n’avait pas antérieurement incluses dans son revenu personnel pour les années d’imposition 1998, 1999 et 2000.

 

[2]     Lorsque les courtiers en placements ou les planificateurs financiers vendent des parts de fonds communs de placement à des clients, ils touchent une commission. S’ils sont capables de conserver ces parts après la vente et que les clients ne les rachètent pas, ils touchent des montants appelés commissions de maintien. Ces commissions sont régulièrement versées par les gestionnaires de fonds communs de placement et sont attribuables aux services que les courtiers fournissent sur une base continue aux clients qui continuent à conserver leurs parts dans les fonds communs de placement auprès du courtier. Les commissions représentent un pourcentage de la valeur de l’actif net des parts gérées pour le client.

[3]     L’appelant est un planificateur financier inscrit certifié. Depuis 1997, il est associé, à titre d’entrepreneur indépendant, à un courtier en placement inscrit, IPC Investment Corporation, autrefois Hicks Financial Solution (« Hicks »). L’appelant et Hicks sont tous deux des courtiers inscrits agréés en vertu de la Securities Act de la Nouvelle‑Écosse (la « Securities Act »). Lorsque l’appelant vend des fonds communs de placement et d’autres valeurs mobilières à des clients, les commissions de vente sont partagées avec Hicks. Si les clients qui achètent des fonds communs de placement continuent à conserver les parts auprès du courtier au lieu de les présenter pour les racheter, des commissions continues appelées commissions de maintien sont versées au courtier et partagées avec le représentant, soit dans ce cas‑ci l’appelant. Initialement, Hicks versait les commissions de maintien à l’appelant personnellement. Toutefois, la situation a changé au début de l’année 1997. Le 10 janvier 1997, l’appelant a constitué en personne morale 3004177 Nova Scotia Ltd. (la « société ») et a constitué une fiducie familiale (la « fiducie »). L’appelant était fiduciaire de la fiducie et les membres de sa famille étaient bénéficiaires. L’appelant contrôlait la société et il en était administrateur et dirigeant. Il a ensuite transféré à cette société la partie de ses activités commerciales se rapportant aux commissions de maintien, en échange de 200 actions privilégiées d’une valeur de 200 000 $. La société a fait un choix auprès de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») en vertu du paragraphe 85(1) de la Loi. La société n’a pas été inscrite en vertu de la Securities Act.

 

[4]     L’appelant et Hicks avaient conclu une entente orale selon laquelle Hicks devait verser les commissions de maintien à la société, ce qui a été fait tout au long des années d’imposition 1998, 1999 et 2000. La société a déclaré ces commissions au titre du revenu et a payé l’impôt à leur égard. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant conformément au paragraphe 56(4) et a inclus ces montants dans le revenu de l’appelant.

 

[5]     Il s’agit de savoir si les commissions de maintien ont été à juste titre incluses dans le revenu de l’appelant. En tranchant cette question, il faut se pencher sur les questions suivantes :

 

          (1)     Quelle est la nature des commissions de maintien?

 

(2)    Les commissions de maintien ont-elles été gagnées par la société ou l’appelant les a‑t‑il gagnées pour les céder ensuite à la société, de sorte que le paragraphe 56(4) s’applique?

 

[6]     L’appelant affirme que le paragraphe 56(4) ne s’applique pas parce que son application exige la cession d’un droit sur un montant qui est de la nature d’un revenu. Toutefois, en l’espèce, l’appelant affirme que ce qui a été cédé, c’est la [traduction] « possibilité » pour la société de fournir des services à des clients à qui l’appelant avait vendu des fonds communs de placement. Par conséquent, le droit au revenu sous forme de commissions de maintien prendrait uniquement naissance une fois que la société aurait fourni ces services connexes aux clients. Les commissions de maintien étaient donc gagnées grâce à la prestation de services par la société à des clients existants et elles ne constituaient pas un revenu que l’appelant avait effectivement le droit de recevoir. À l’appui de cet argument, l’appelant soutient que le revenu gagné sous forme de commissions de maintien, pour les services fournis au fil du temps où les fonds des clients sont conservés, est distinct des commissions payées au moment de la vente initiale des parts de fonds communs de placement.

 

[7]     L’intimée soutient que le transfert des commissions de maintien à la société est le transfert d’un droit à un revenu qui, comme le prévoit le paragraphe 56(4) de la Loi, aurait autrement été inclus dans le revenu de l’appelant. Le droit de l’appelant aux commissions se cristallisait lorsque l’appelant vendait initialement les parts de fonds communs de placement à ses clients. Le transfert des commissions à la société constituait simplement un trompe‑l’œil visant à réduire artificiellement le revenu de l’appelant. Celui-ci a encore effectivement droit à ces commissions. La société était essentiellement un réceptacle permettant d’acheminer le revenu, les dividendes de la société étant transmis au compte de l’appelant.

 

Analyse

 

[8]     Le paragraphe 56(4) de la Loi est rédigé comme suit :

 

Lorsqu’un contribuable transfère ou cède, avant la fin d’une année d’imposition, à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance son droit sur une somme (sauf la partie d’une pension de retraite cédée en application de l’article 65.1 du Régime de pensions du Canada ou d’une disposition comparable d’un régime provincial de pensions, au sens de l’article 3 de cette loi) qui serait, en l’absence du transfert ou de la cession, incluse dans le calcul de son revenu pour l’année, la partie de la somme qui se rapporte à la période de l’année tout au long de laquelle il réside au Canada est incluse dans le calcul de son revenu pour l’année, sauf si le revenu provient d’un bien qu’il a également transféré ou cédé.

 

[9]     Le transfert du droit aux commissions de maintien n’a jamais été envisagé en vertu du paragraphe 56(4). Les cas où les courtiers en placements ont transféré à une société le droit de recevoir des commissions sur la vente de valeurs mobilières ont donné lieu à des conclusions selon lesquelles le revenu était à juste titre attribuable au courtier plutôt qu’à la société [Adams v. M.N.R., (1960), 24 Tax A.B.C. 154; Goldblatt v. M.N.R., 64 DTC 5118; The Queen v. Burns, 73 DTC 5219]. Dans ces décisions, une relation employeur‑employé avait été créée entre le courtier et la société, mais il a été jugé qu’il s’agissait d’une relation fictive.

                      

[10]    Le paragraphe 56(4) est une disposition anti‑évitement qui s’applique lorsqu’un contribuable (auteur du transfert) a transféré ou cédé, à une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance, son droit sur une somme qu’il aurait dû inclure dans son revenu s’il n’avait pas transféré ou cédé ce droit (bulletin d’interprétation IT‑440R2 de l’ARC, 20 juin 1995, premier paragraphe). Cette disposition met l’accent sur l’évitement possible de l’impôt qui pourrait résulter du transfert du droit à un revenu entre des parties ayant entre elles un lien de dépendance.

 

[11]    Les deux critères auxquels il faut satisfaire pour que cette disposition s’applique sont les suivants :

 

          (1)     le critère de la propriété effective;

 

          (2)     le critère de l’absence de lien de dépendance.

 

[12]    Le paragraphe 56(4) énonce une exception à son application; en effet, il prévoit que le revenu est à inclure dans le revenu de l’auteur du transfert, « sauf si le revenu provient d’un bien qu’il a également transféré ou cédé ». L’appelant n’a pas soutenu que le revenu provient d’un bien et il a concédé que cette exception ne s’applique pas en l’espèce (transcription, page 109). Il a également concédé que le second critère prévu au paragraphe 56(4) s’appliquait puisqu’il existait entre la société et lui‑même un lien de dépendance au sens de l’article 251 de la Loi étant donné qu’ils sont visés au sous‑alinéa 251(2)b)(i).

 

La nature des commissions de maintien

 

[13]    La pratique suivant laquelle des commissions de maintien sont payées a été décrite comme suit dans la décision Piche v. Lecours Lumber Co., [1993] O.J. no 1686 :

 

[traduction] [...] la société a cessé de partager certaines dépenses, mais en 1990, de nombreux fonds communs de placement ont commencé à payer des commissions de maintien, représentant un demi pour cent l’an, calculées en fonction du portefeuille du représentant. Ces commissions étaient payées pour encourager les représentants à servir leurs clients, de façon à décourager les rachats. Cette mesure a augmenté de beaucoup le revenu des personnes qui vendaient des fonds communs de placement étant donné que cette pratique est maintenant presque universelle.                                                    

                                                                                                                 [Je souligne.]

 

[14]    L’intimée a soutenu que les commissions se rattachaient à la vente des fonds communs de placement, mais il est clair à mes yeux qu’il existe une ligne de démarcation distincte entre les commissions touchées sur les ventes de parts de fonds communs de placement et celles gagnées pour les services fournis qui permettent de conserver les fonds des clients. Le droit aux commissions de maintien prend naissance au moment de la vente des parts de fonds communs de placement à un client, mais le courtier pourra toucher ces commissions uniquement s’il fournit des services suffisants pour que le client ne rachète pas ou ne transfère pas ces parts après la vente. Toutefois, si le client rachète ces parts le lendemain de la vente, pour une raison ou une autre, les commissions de maintien ne peuvent être gagnées et ne sont pas payées. Les commissions de maintien ne peuvent être gagnées qu’après un certain temps suivant la vente initiale. La vente donne simplement la possibilité de gagner des commissions de maintien, mais leur gain effectif dépend clairement des services fournis pour encourager les clients à qui les parts de fonds communs de placement ont été vendues à ne pas racheter ou transférer les parts. De plus, la commission est gagnée au moment où la vente est conclue avec succès, mais les commissions de maintien sont gagnées sur une période donnée, par la prestation d’un certain degré de services. Les commissions de maintien sont rattachées à un élément de service continu.

 

[15]    Il semble que ces commissions aient donné lieu à des critiques au sein du secteur des services financiers parce qu’il n’est peut‑être pas nécessaire de fournir un service véritable pour que les commissions soient payées, mais l’appelant a clairement démontré que, dans ce cas‑ci, il faut en fait fournir un certain service et que ce service a été fourni. En outre, le témoignage de M. Henry Hicks, ancien président de Hicks Financial Solutions, a corroboré la preuve soumise par l’appelant sur ce point. M. Hicks a indiqué que, si ce service n’était pas fourni après la vente, un représentant tel que l’appelant ne ferait pas long feu dans ce secteur. M. Hicks a également signalé un facteur très important, à savoir que non seulement les commissions de maintien donnaient lieu à une rémunération continue après la vente, mais elles faisaient aussi partie de l’évaluation par le courtier de ses activités, de sorte que si l’entreprise était vendue, l’acheteur aurait alors la possibilité de continuer à servir ces clients afin de recevoir un revenu tiré des commissions de maintien. Cela distingue également les commissions de maintien de la commission de vente. On m’a soumis certains éléments de preuve au sujet de ces services, mais pas autant que je m’y attendais. L’appelant a simplement mentionné les nombreux services continus qu’il fournissait aux clients, comme les appels téléphoniques, les séminaires, les réunions, les cadeaux. Il m’aurait été utile qu’on me présente des éléments de preuve supplémentaires sur certains détails précis et sur le niveau de service fourni, mais les témoignages de l’appelant et de M. Hicks me convainquent que, par leur nature, les commissions de maintien sont distinctes des commissions de vente. Toutefois, la conclusion à laquelle je suis arrivée en l’espère ne règle pas pour autant la question, car l’appelant doit satisfaire au critère de la propriété effective en vertu du paragraphe 56(4) pour qu’on puisse déterminer qui gagnait de fait les commissions de maintien. C’est ici que l’argument invoqué par l’appelant commence à vaciller.

 

Le critère de la propriété effective

 

[16]    Dans la décision MFC Bancorp Ltd. v. R., [1999] 4 C.T.C. 2468, au paragraphe 23, la Cour a dit qu’en ce qui concerne le critère de la propriété effective, la question est de savoir si les sommes auraient été incluses dans le revenu du contribuable si le droit y afférent n’avait pas été transféré ou cédé à la société. La question devient essentiellement la suivante : qui gagnait effectivement les commissions de maintien? Les décisions antérieures sont distinctes parce qu’elles se rapportaient à des commissions plutôt qu’à des commissions de maintien, mais elles sont néanmoins pertinentes pour l’analyse du critère de la propriété effective. Les avocats n’ont pas renvoyé à ces décisions, mais les deux parties ont mentionné l’arrêt R. c. Campbell, [1980] 2 R.C.S., de la Cour suprême du Canada. L’appelant a fondé sur cet arrêt l’argument selon lequel c’était la société qui gagnait les commissions de maintien. Dans l’arrêt Campbell, la société avait été constituée aux fins générales d’établir, d’équiper, de maintenir et d’exploiter un hôpital privé et, cela étant, elle exploitait activement une entreprise. Dans ce cas‑là, il a été conclu que les honoraires médicaux que le médecin avait cédés à sa société ne constituaient pas un revenu pour lui parce qu’ils étaient un revenu de l’hôpital, de sorte que le paragraphe 56(4) ne s’appliquait pas.

 

[17]    L’intimée a soutenu que la société n’exploitait pas activement une entreprise. À supposer que les circonstances s’y prêtent, je crois qu’une société pourrait exploiter activement l’entreprise consistant à fournir des services pour gagner des commissions de maintien, mais tel n’est pas ici le cas. Il est possible de distinguer l’affaire Campbell de celle qui nous occupe, compte tenu de la nature des activités commerciales. Dans l’affaire Campbell, la société avait été constituée afin de diriger un hôpital et pas uniquement afin de recevoir les montants facturés par le médecin. En l’espèce, l’entreprise de l’appelant ressemble davantage à celle en cause dans l’affaire Adams, où la société avait été constituée uniquement afin de recevoir des commissions. L’appelant a soutenu que la possibilité de gagner des commissions de maintien a été transférée à la société et que le rôle de l’appelant était de fournir les services nécessaires pour le compte de la société. L’argument de l’appelant est donc que la société s’occupait de fournir des services pour gagner les commissions. Dans le préambule de l’accord de transfert daté du 10 janvier 1997 (pièce A‑1, onglet 2), il est uniquement fait mention du transfert des [traduction] « commissions de maintien » à la société et, dans le corps de l’accord, il est question du transfert des [traduction] « actifs ». Toutefois, aucune liste d’actifs n’est mentionnée ou incluse dans l’accord de transfert, si ce n’est cette mention initiale du transfert à la société des commissions de maintien de l’entreprise de planification des placements de l’appelant. Il importe de noter que l’accord de transfert ne fait pas mention d’une [traduction] « possibilité » de gagner des commissions de maintien, comme le soutient l’appelant, ou n’énumère pas les services à fournir, mais qu’on y fait simplement état du transfert des commissions mêmes. Compte tenu des conclusions que j’ai déjà tirées, à savoir que la nature des commissions de maintien suppose la prestation de services continus, je crois qu’il serait possible de transférer une possibilité de servir des clients et de gagner des commissions de maintien, mais ce n’est pas ce qui s’est passé dans ce cas‑ci. Les termes employés dans l’accord de transfert me permettent clairement de conclure que l’appelant a transféré à la société le droit de recevoir un revenu tiré des commissions de maintien provenant de son entreprise de placements personnelle et non de la possibilité de fournir les services pour gagner ces commissions.

 

[18]    Mes conclusions à cet égard ne sont pas fondées uniquement sur l’accord de transfert, mais également sur l’existence d’autres facteurs dans la présente affaire. L’un des éléments les plus importants était le traitement des dépenses. La société n’engageait pour ainsi dire pas de dépenses afin de gagner les commissions de maintien; pourtant, il y avait bel et bien des dépenses, notamment le loyer, le téléphone, les services publics et les dépenses d’emploi. L’appelant a assumé et déduit ces dépenses personnellement pendant les années d’imposition 1998, 1999 et 2000. La société a de fait déduit certaines dépenses associées aux frais d’intérêt et aux frais bancaires, aux permis et aux honoraires juridiques et comptables, mais elles étaient minimes comparativement aux dépenses que l’appelant avait déduites dans ses déclarations de revenu personnelles pour les trois années. Ainsi, au cours de l’année d’imposition 1998, la société a déclaré un revenu de 148 146 $ et des dépenses de 2 226 $, alors que l’appelant a déclaré un revenu de 338 176,91 $ au titre du revenu tiré de commissions et un montant de 181 440,61 au titre des dépenses. Cette année‑là, l’appelant a versé un salaire de 71 797,12 $ à deux adjoints, un loyer s’élevant à 21 275,85 $ et des frais de téléphone et de services publics s’élevant à 10 952,14 $. Lorsqu’on lui a demandé, pendant le contre-interrogatoire, si la société payait parfois des employés, l’appelant a répondu : [traduction] « Je les payais personnellement, mais les dépenses étaient attribuées à la société » [transcription, page 50]. Lorsqu’on lui a demandé de quelle façon les dépenses étaient attribuées et pourquoi les états financiers d’entreprise ne contenaient aucune mention d’une telle attribution, l’appelant n’a pas pu donner de réponse satisfaisante et il s’est contenté de dire que c’était son comptable qui s’en occupait. Aucun élément de preuve ne m’a été soumis pour montrer que les dépenses étaient attribuées d’une manière ou d’une autre. Faute d’une telle preuve, il semble que, même si l’appelant a séparé le revenu tiré des commissions de maintien du reste de ses activités d’entreprise, il a continué à déduire la majorité des dépenses de l’autre revenu tiré des commissions.

 

[19]    L’argument invoqué par l’appelant est axé sur le fait que la société a été créée pour fournir certains services à des clients existants; pourtant, il est difficile d’établir, à partir de la preuve, que la société s’occupait de fournir des services à des clients pour gagner les commissions alors qu’elle n’engageait presque pas de dépenses. Parmi les dépenses qu’elle déduisait, aucune ne se rapportait au loyer, aux salaires, aux avantages accordés aux employés ou aux autres frais semblables qu’on s’attend normalement de trouver. Dans son témoignage, l’appelant a dit qu’il partageait son bureau avec la société, mais selon la preuve, la société ne payait pas de loyer pour l’utilisation du bureau. De plus, l’appelant a déclaré que la société partageait les services de ses adjoints exécutifs; pourtant, sauf en 2000, la société n’a engagé aucune dépense au titre des salaires et avantages. Il semble que ce facteur ait été une considération importante dans d’autres décisions [Wallsten v. The Queen, 2001 DTC 215 (C.C.I.) et Shaw v. The Queen, 92 DTC 5213 (C.A.F.)].

 

[20]    Un autre facteur important en l’espèce, qui permet de conclure qu’en fait la société n’exploitait pas activement une entreprise consistant à fournir des services continus à des clients, est l’absence de rémunération versée à l’appelant pour les services qu’il affirme avoir fournis pour le compte de la société. Le seul montant que l’appelant a reçu était, en 2000, une gratification qui semble avoir été payée uniquement pour abaisser le revenu de la société cette année‑là afin de conserver la déduction accordée aux petites entreprises.

 

[21]    Les modalités de prestation des services aux clients ne semblent pas avoir changé une fois la société constituée. Dans ces conditions, je ne crois pas qu’il soit essentiel que l’appelant soit tenu d’informer ses clients qu’il fournit maintenant les services pour le compte de sa société pour que je puisse arriver à conclure que c’était elle qui avait effectivement droit au revenu, mais c’est l’un de divers facteurs qui montrent encore une fois que le statu quo est maintenu dans la façon dont l’appelant conduisait ses affaires une fois la société constituée. Selon la preuve fournie par Henry Hicks, c’était l’appelant et non la société qui, à son avis, devait continuer à être personnellement responsable de la prestation des services après que la société eut été constituée. C’est là un autre indice que seul le droit au revenu tiré des commissions de maintien a été transféré à la société et que l’appelant, du moins aux yeux de son associé, M. Hicks, fournissait encore les services.

 

[22]    L’appelant n’avait pas conclu de contrat de travail avec la société, contrairement à ce qui s’était produit dans l’affaire Campbell, où il existait entre le médecin et l’hôpital un contrat de travail démontrant clairement que le médecin était tenu de fournir, contre rémunération, des services pour le compte de la société.

 

[23]    Enfin, bien que cela ne soit certes pas déterminant, la transmission rapide des commissions de maintien par l’entremise de la société vers la fiducie familiale, vers les bénéficiaires de la fiducie et en fin de compte vers l’appelant continue à montrer que la société était simplement un réceptacle permettant d’acheminer le revenu. C’est nettement le type de transfert visé par le paragraphe 56(4).

 

[24]    Toutes ces considérations, mais surtout le fait que l’appelant engageait personnellement presque toutes les dépenses associées à la réalisation des commissions de maintien, qu’il n’était pas rémunéré pour la prestation des services pour le compte de la société et qu’après que la société eut été constituée, Henry Hicks a continué à considérer que l’appelant était celui qui était responsable de la prestation des services, étayent ma conclusion, à savoir que la société n’exploitait pas activement une entreprise lorsqu’elle gagnait les commissions de maintien. C’était donc l’appelant qui avait effectivement droit à ce revenu et c’est ce droit qui a été transféré à la société en vertu de l’accord de transfert. Il incombe à l’appelant de présenter suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de son appel. S’il fournissait des services pour le compte de la société, il aurait dû être en mesure de prouver ce qu’il faisait exactement pour elle en vue de gagner ces commissions de maintien. La preuve ne permet pas de conclure au transfert à la société de la partie de l’entreprise de l’appelant se rapportant à la prestation continue de services à des clients aux fins de la réalisation de commissions de maintien. Les facteurs auxquels on s’attendrait dans une relation contractuelle véritable ne sont tout simplement pas présents en l’espèce.

 

[25]    Quant aux arguments que l’appelant a invoqués au sujet de la Securities Act de la Nouvelle‑Écosse, étant donné que la question a été tranchée, il n’est pas nécessaire de tirer de conclusions au sujet d’une infraction possible à cette loi de la part de la société.

 

[26]    Selon l’argument subsidiaire avancé par l’appelant, la société a déjà payé de l’impôt sur le revenu même que le ministre cherche maintenant à imposer entre les mains de l’appelant. L’appelant s’est appuyé sur les décisions Winter v. The Queen, 90 DTC 6681 (C.A.F.) et Ferrel v. The Queen, 97 DTC 1565 (C.C.I.) à l’appui de la thèse selon laquelle [traduction] « l’article 56 de la Loi ne devrait pas s’appliquer de façon que le même revenu soit imposé entre les mains de deux contribuables différents » (avis d’appel, paragraphe 27). Cet argument est trompeur. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a dit dans l’arrêt Winter :

 

Il est couramment admis que la disposition prévue au paragraphe 56(2) est fondée sur la doctrine de la « recette présumée » et qu’elle vise principalement les cas où le contribuable cherche à éviter de recevoir ce qui serait, entre ses mains, un revenu en s’arrangeant pour que le montant soit versé à quelqu’un d’autre, et ce pour son propre bénéfice (par exemple, pour éteindre une dette) ou pour le bénéfice de cette autre personne (voir les motifs du juge Thurlow dans l’arrêt Miller, précité, et ceux du juge Cattanach dans l’arrêt Murphy, précité). Il ne fait aucun doute cependant que le libellé de la disposition ne permet pas d’en limiter l’application à de tels cas patents d’évitement fiscal. L’arrêt Bronfman, qui a confirmé la cotisation, établie en vertu de la disposition de l’ancienne loi qu’a reprise le paragraphe 56(2), d’un actionnaire d’une société privée, à l’égard de dons que la société avait faits régulièrement pendant plusieurs années à des membres de sa famille, est généralement cité comme autorité pour dire que la disposition s’applique, que la personne imposée ait un droit ou non sur le versement effectué ou sur le bien transféré. Cette jurisprudence ne me semble pas tellement convaincante dans la mesure où les dons faits par une société proviennent des bénéfices sur lesquels les actionnaires ont un droit éventuel. Le fait néanmoins demeure que le libellé même de la disposition n’exige pas, comme condition d’application, que le contribuable ait initialement eu droit au montant versé ou au bien transféré au tiers; mais uniquement que le contribuable ait été lui‑même imposable à cet égard si le versement ou le transfert avait été fait à lui. Il me semble cependant que, lorsque la doctrine de la «recette présumée» n’est pas clairement en cause, parce que le contribuable n’avait aucun droit au versement effectué ou au bien transféré, il n’est que juste d’inférer que le paragraphe 56(2) ne peut recevoir application que si l’avantage accordé n’est pas directement imposable entre les mains du cessionnaire. En effet, selon moi, une disposition en matière d’évitement fiscal revêt un caractère essentiellement subsidiaire; sa raison d’être est d’empêcher l’évitement de l’impôt payable sur une opération donnée, et non de doubler l’impôt normalement payable ni d’accorder aux autorités fiscales une discrétion administrative qui leur permettrait de choisir entre deux contribuables possibles.

                                                                                                            [Je souligne.]

 

[27]    À coup sûr, le passage précité traite expressément du paragraphe 56(2) et non du paragraphe 56(4). Le paragraphe 56(4) exige qu’une personne transfère « un droit sur un revenu » alors que le paragraphe 56(2) n’exige pas qu’un contribuable « ait initialement eu droit au montant versé » c’est‑à‑dire que le paragraphe 56(2) n’exige pas que le contribuable ait droit au paiement, alors que le paragraphe 56(4) exige de fait l’existence d’un tel droit. Par conséquent, les remarques faites dans l’arrêt Winter doivent être limitées au paragraphe 56(2).

 

[28]    Dans la décision Ferrel, on s’était fondé tant sur le paragraphe 56(2) que sur le paragraphe 56(4). Les remarques susmentionnées faites dans l’arrêt Winter ont été citées par le juge Mogan, dans son analyse du paragraphe 56(2), lorsqu’il a dit ce qui suit :

 

Si je comprends bien le passage précité, lorsque le ministre se fonde sur le paragraphe 56(2) pour imposer une personne particulière à l'égard d'une somme versée à un tiers, il n'est pas nécessaire que la personne en cause ait le droit de recevoir la somme. Toutefois, il faut que la personne soit assujettie à l'impôt si elle avait de fait reçu la somme. De plus, si la personne en question n'avait pas le droit de recevoir la somme, le paragraphe 56(2) s'applique uniquement si la somme n'était pas imposable entre les mains du tiers.                                             [Je souligne.]

 

[29]    Le paragraphe 56(4) a également été invoqué, mais ces remarques n’avaient rien à voir avec la conclusion selon laquelle le paragraphe 56(4) ne s’appliquait pas. Le juge Mogan a conclu « que l’appelant ne pouvait pas en droit recevoir les frais de gestion [...] versés » et il a donc conclu que le paragraphe 56(4) n’aidait pas à étayer les cotisations établies dans l’affaire qui l’occupait. Le fait qu’un impôt avait été payé par le bénéficiaire était uniquement pertinent aux fins du rejet de l’argument fondé sur le paragraphe 56(2).

 

[30]    Ces décisions n’aident pas l’appelant. La question de savoir si, en l’espèce, la société a fait l’objet à juste titre d’une cotisation n’a pas grand‑chose à voir avec le présent appel et c’est une question dont la société doit encore s’occuper. La position administrative de l’ARC sur ce point est énoncée dans le bulletin d’interprétation IT‑440R2, paragraphe 10 :

 

10.       Une somme visée par le paragraphe 56(4) pourrait être comprise dans le revenu de l'auteur du transfert, ainsi que dans celui du bénéficiaire. Cependant, lorsque le transfert ou la cession du droit sur une somme qui constitue un revenu n'est pas une tentative délibérée de fraude fiscale ou d'évitement fiscal, cette somme ne sera comprise que dans le revenu de l'auteur du transfert.

 

[31]    Il n’existe au paragraphe 56(4) aucun énoncé définitif au sujet du résultat probable si des impôts sont payés par le bénéficiaire lorsque la disposition s’applique, comme en l’espèce. La Loi ne semble pas renfermer de disposition précise en vue de prévenir une telle double imposition dans ces conditions, et les tribunaux ne semblent pas, non plus, avoir examiné la question de savoir si la politique administrative de l’ARC était réalisable, mais il semble que lorsque le transfert du droit au revenu n’est pas obscurci par une tentative délibérée pour éviter l’impôt, l’ARC chercherait et devrait probablement chercher à imposer le revenu de l’auteur du transfert seulement.

 

[32]    Malgré les observations fort habiles de l’avocat de l’appelant, je dois rejeter l’appel, avec dépens, compte tenu des conclusions auxquelles je suis arrivée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2007.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de mars 2008.

 

Maurice Audet, réviseur

 


 

RÉFÉRENCE :                                  2007CCI96

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2005-68(IT)G

 

INTITULÉ :                                       Robert Boutilier

                                                          c.

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 10 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 20 février 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Edwin C. Harris, c.r.

 

 

Avocats de l’intimée :

Me Catherine McIntyre

Me Peter Leslie

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                             Edwin C. Harris, c.r.

 

                   Cabinet :                         McInnes Cooper

                                                          Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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