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Dossier : 2013-828(IT)G

ENTRE :

BARRICK GOLD CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 7, 8 et 9 mars 2016, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge B. Paris

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Brian R. Carr

Me Carla Hanneman

Me Gerald Grenon

Avocate de l’intimée :

Me Josée Tremblay

 

JUGEMENT

L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1998 est accueilli, avec dépens entre parties en faveur de l’appelante, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 1er jour de février 2017.

« B. Paris »

Le juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2018

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2017 CCI 18

Date : 20170201

Dossier : 2013-828(IT)G

ENTRE :

BARRICK GOLD CORPORATION,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1]  La Cour est saisie de l’appel d’une nouvelle cotisation établie à l’égard de l’appelante pour l’année d’imposition 1998 par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé une partie de la déduction relative à des ressources qu’elle avait demandée sur le fondement d’une disposition aujourd’hui abrogée, l’alinéa 20(1)v.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

[2]  La déduction relative à des ressources permettait aux producteurs de minéraux de déduire un pourcentage des revenus qu’ils tiraient de la production et du traitement de minéraux, et elle avait été ajoutée à la Loi pour compenser la non-déductibilité des redevances à la Couronne. Pour le contribuable, le montant de cette déduction dépendait de ses bénéfices bruts relatifs à des ressources, lesquels étaient déterminés selon le Règlement de l’impôt sur le revenu (le « Règlement »).

[3]  Dans le présent appel, la question en litige consiste à savoir si les bénéfices que l’appelante a réalisés en 1998 en exécutant certains instruments dérivés qu’elle avait conclus dans le but de couvrir le prix de l’or qu’elle s’attendait à produire constituent des bénéfices bruts relatifs à des ressources au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement.

[4]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que les bénéfices correspondent à la définition de « bénéfices bruts relatifs à des ressources » et que l’appelante a donc droit à l’intégralité de la déduction relative à des ressources qu’elle a demandée.

Les faits

[5]  En 1998, l’appelante avait pour entreprise de produire et de transformer de l’or au Canada. Elle détenait des intérêts dans trois mines. Elle possédait la mine Holt-McDermott et la mine Bousquet, de même qu’un intérêt de 50 % dans la mine Doyon. Les 50 % restants étaient détenus par Cambior Inc., une partie avec laquelle elle n’avait aucun lien de dépendance.

[6]  Pour couvrir le risque associé aux fluctuations du prix de l’or, l’appelante concluait des contrats sur instruments dérivés relativement à la quantité d’or qu’elle s’attendait à produire.

[7]  L’appelante comptabilisait les bénéfices ou les pertes résultant de ses opérations de couverture liées à sa production d’or à titre de revenus ou de pertes découlant de son entreprise de production et de traitement d’or.

[8]  L’appelante incluait les bénéfices ou les pertes résultant de ses opérations de couverture liées à sa production d’or dans le calcul de ses bénéfices bruts relatifs à des ressources dans le but de calculer sa déduction relative à des ressources et, à l’exception des montants qui sont en litige dans le présent appel, le ministre a toujours accepté cette façon de faire.

[9]  Avant 1998, l’appelante a conclu des contrats sur instruments dérivés, appelés « contrats à terme avec option de report d’échéance », en vue de couvrir une partie de la production d’or qu’elle prévoyait extraire de chacune de ses mines. Ces contrats comprenaient trois contrats à terme avec option de report d’échéance (les « contrats à terme ») qui visaient à couvrir la production anticipée de 300 000 onces d’or de la mine Doyon.

[10]  Le 19 janvier 1998, l’appelante a conclu une lettre d’intention pour vendre à Cambior Inc. l’intérêt qu’elle détenait dans la mine Doyon. Cette lettre d’intention était assujettie à un certain nombre de conditions.

[11]  Le 20 janvier 1998, l’appelante a conclu des contrats relatifs à l’achat de 300 000 onces d’or auprès d’une tierce partie, et ce, au prix au comptant qui était en vigueur à ce moment-là. Le 26 janvier 1998, l’appelante a pris livraison de l’or et s’en est servie pour clore les contrats à terme.

[12]  Toutes les conditions relatives à la vente à Cambior Inc. de l’intérêt que détenait l’appelante dans la mine Doyon ont été remplies et, le 27 janvier 1998, l’appelante a conclu une convention d’achat avec Cambior Inc. (la « convention d’achat ») et a vendu son intérêt dans la mine Doyon. Cette convention d’achat prévoyait que le transfert de l’intérêt de l’appelante était réputé avoir eu lieu le 1er janvier 1998 (la « date réputée du transfert ») et que l’appelante n’avait droit à aucune production ni aucun revenu découlant, après le 1er janvier 1998, de l’intérêt transféré, sauf dans la mesure du « droit de participation » de l’appelante dans la mine. Ce droit de participation était un montant payable chaque année à l’appelante si le prix moyen de l’or était supérieur à 375 $ US l’once. Aucun montant n’a été payé à l’égard de ce droit de participation en 1998.

[13]  L’appelante a réalisé des bénéfices de 56 679 461 $ au moment de la clôture des contrats à terme.

[14]  Dans ses états financiers de 1998, l’appelante a déclaré les bénéfices découlant de la clôture des contrats à terme dans le cadre du [traduction] « gain à la vente » réalisé sur son intérêt dans la mine Doyon. Le produit de la vente de l’or produit par la mine Holt‑McDermott et la mine Bousquet, ainsi que les bénéfices découlant de la clôture des contrats sur instruments dérivés liés à la vente de l’or produit par ces deux mines ont été déclarés sous la forme de [traduction] « revenus des ventes d’or ». Dans les états financiers, le « gain à la vente » et les « revenus des ventes d’or » ont été présentés sous des postes différents.

[15]  Dans ses déclarations de revenus, l’appelante a inclus les bénéfices réalisés sur les contrats à terme ainsi que le montant déclaré dans les états financiers sous forme de « revenus des ventes d’or » émanant des mines Holt-McDermott et Bousquet dans ses bénéfices bruts relatifs à des ressources pour l’année 1998, et elle a calculé sa déduction relative à des ressources en se fondant sur le montant combiné.

[16]  Le ministre a fait droit à l’inclusion des revenus des ventes d’or dans le calcul des bénéfices bruts relatifs à des ressources, mais il a refusé celle des bénéfices réalisés sur les contrats à terme.

[17]  Nul ne conteste que les bénéfices que l’appelante a réalisés sur les contrats à terme étaient à titre de revenu. Les parties conviennent également que l’appelante n’a pas conclu les contrats à terme à des fins spéculatives et que son unique intention était de couvrir le risque de fluctuation du prix de l’or qu’elle s’attendait à produire à la mine Doyon. Enfin, les parties conviennent également que l’appelante n’avait nullement l’intention de spéculer sur le prix de l’or quand elle a acheté l’or dont elle avait besoin pour clore les contrats à terme.

Le régime législatif applicable

[18]  Pour l’année d’imposition 1998, l’alinéa 20(1)v.1) de la Loi autorisait le contribuable à demander une déduction à l’égard du montant qu’autorisait le règlement pour les ressources minérales au Canada. Cette déduction portait le nom de « déduction relative aux ressources ».

[19]  À l’époque, les passages pertinents de l’alinéa 20(1)v.1) de la Loi étaient libellés en ces termes :

20(1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

v.1) les sommes que le contribuable est autorisé, par règlement, à déduire pour l’année au titre de gisements naturels de pétrole ou de gaz naturel, de puits de pétrole ou de gaz ou de ressources minérales, situés au Canada;

[…]

[20]  Le paragraphe 1210(1) du Règlement prévoyait une déduction relative à des ressources qui équivalait à 25 % d’un montant fondé sur les « bénéfices modifiés relatifs à des ressources » du contribuable. Ces « bénéfices modifiés relatifs à des ressources » dépendaient des « bénéfices relatifs à des ressources » qui, à leur tour, étaient subordonnés aux « bénéfices bruts relatifs à des ressources ». Les « bénéfices bruts relatifs à des ressources » du contribuable étaient calculés de la manière indiquée au paragraphe 1204(1) du Règlement, dont, à l’époque, les passages pertinents étaient libellés en ces termes :

1204(1) Pour l’application de la présente partie, les bénéfices bruts relatifs à des ressources d’un contribuable pour une année d’imposition correspondent au montant éventuel par lequel le total :

[…]

b) du montant, s’il en est, de l’ensemble de ses revenus pour l’année tirés

[…]

(ii) de la production et du traitement au Canada

(A) du minerai, à l’exception du minerai de fer ou du minerai de sables asphaltiques, tiré de ressources minérales au Canada que le contribuable exploite, jusqu’à un stade qui ne dépasse pas le stade du métal primaire ou son équivalent,

[21]  La partie pertinente de la définition du mot « production » figurait au paragraphe 66(15) de la Loi :

production S’il s’agit de la production tirée d’un avoir minier canadien ou d’un avoir minier étranger, les produits suivants tirés de cet avoir :

[…]

c) le minerai — à l’exclusion du minerai de fer et des sables asphaltiques — transformé jusqu’à un stade qui ne dépasse pas celui du métal primaire ou de son équivalent; […]

La thèse de l’intimée

[22]  L’intimée soutient que le cadre législatif entourant le calcul de la déduction relative à des ressources est restrictif et que l’on ne peut se prévaloir de la déduction que pour les revenus tirés de ressources minérales au Canada. La définition des « bénéfices bruts relatifs à des ressources », qui figure au paragraphe 1204(1) du Règlement, limite ces bénéfices à des sources de revenu précises, dont « la production et [le] traitement au Canada du minerai […] tiré de ressources minérales au Canada que le contribuable exploite, jusqu’à un stade qui ne dépasse pas le stade du métal primaire ou son équivalent ». L’intimée renvoie à l’arrêt Gulf Canada Ltée c. Canada, [1992] ACF no 22 (QL), 92 DTC 6123, de la Cour d’appel fédérale selon lequel le revenu tiré de la production et du traitement, selon la définition donnée au paragraphe 1204(1), est un concept étroit qui se limite à l’extraction du sol.

[23]  En l’espèce, l’intimée est d’avis que les bénéfices découlant de la clôture des contrats à terme ne peuvent être liés à la production et au traitement d’or venant de la mine Doyon en 1998 parce que l’appelante n’exerçait à son propre compte aucune activité de production ou de traitement à cet endroit au 1er janvier 1998. L’intimée affirme que, de ce fait, les bénéfices réalisés ne répondent pas au critère énoncé dans la décision 3850625 Canada Inc. pour ce qui est de leur inclusion dans les bénéfices bruts relatifs à des ressources, lequel critère requiert qu’il y ait un lien suffisant entre le montant et les activités de production et de traitement du contribuable.

[24]  L’intimée se fonde sur le fait que, d’après la convention d’achat, le transfert de l’intérêt de 50 % de l’appelante dans la mine Doyon à Cambior Inc. était réputé être entré en vigueur le 1er janvier 1998 et que toute activité de production ou de traitement d’or liée à la mine Doyon qui était accomplie après cette date l’était pour le compte de Cambior Inc. L’intimée soutient donc que l’appelante n’avait pas droit aux revenus découlant de la production d’or de la mine Doyon, s’il y en avait, entre le 1er janvier 1998 et la date de clôture des contrats à terme, soit le 26 janvier 1998.

[25]  L’intimée affirme que, compte tenu de l’absence de toute activité de production ou de traitement du minerai d’or de la mine Doyon de la part de l’appelante en 1998, les bénéfices réalisés sur les contrats à terme ne peuvent pas être liés aux activités de production ou de traitement de l’appelante et ils ne peuvent pas être considérés comme des bénéfices bruts relatifs à des ressources au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement.

[26]  Selon l’intimée, il convient d’établir une distinction entre l’espèce et la décision Echo Bay Mines Ltd. c. Canada, [1992] 3 C.F. 707, 92 DTC 6437, où la Section de première instance de la Cour fédérale a conclu que les bénéfices réalisés par la société minière contribuable sur les opérations de couverture qui avaient été conclues pour fixer le prix de sa production d’argent prévue faisaient partie de ses bénéfices bruts relatifs à des ressources pour les besoins de la déduction relative à des ressources. L’intimée reconnaît que les revenus tirés d’opérations de couverture liées à la production minérale peuvent faire partie des bénéfices bruts relatifs à des ressources au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement, mais son avocate dit que, en l’espèce, les revenus en question ne découlaient pas d’opérations de couverture. L’intimée affirme que les contrats à terme avaient cessé d’être des couvertures avant leur clôture parce que, au 19 janvier 1998, au plus tard, l’appelante ne prévoyait plus aucune production d’or à la mine Doyon. Sans production prévue, il n’y avait plus aucun risque associé à la fluctuation du prix de l’or venant de cette mine. Comme le risque que les contrats à terme étaient censés couvrir n’existait plus, les contrats avaient cessé d’être des couvertures et on ne pouvait plus considérer que les bénéfices découlant de la clôture des contrats étaient liés aux revenus tirés de l’entreprise de production et de traitement d’or de la mine Doyon.

[27]  À l’appui de sa thèse selon laquelle les contrats à terme avaient cessé d’être des couvertures avant leur clôture, l’intimée se fonde sur le témoignage, à l’audience, de la comptable, Mme Patricia O’Malley. Celle-ci a déclaré qu’une relation de couverture est établie entre un élément couvert et un élément de couverture. L’élément couvert expose l’entité au risque de fluctuations de prix, et l’élément de couverture est censé contrebalancer ce risque. Selon les principes comptables généralement reconnus (PCGR), dans le contexte de la production et de la vente de minéraux, s’il existe une relation de couverture valide, les revenus totaux découlant de la vente de la ressource minérale se composeraient des revenus tirés de la vente proprement dite de la ressource, plus les gains ou les pertes de revenus compensatoires découlant de l’élément de couverture correspondant, lequel est, habituellement, un instrument dérivé. Cependant, si la relation de couverture prend fin, les gains ou les pertes de revenus découlant de l’élément de couverture doivent être déclarés séparément de la vente de la ressource minérale.

[28]  Mme O’Malley a de plus déclaré qu’en l’espèce, les contrats à terme ont cessé d’être des couvertures à des fins comptables une fois que l’appelante a cessé de prévoir la production d’or de la mine Doyon. Cela a eu lieu, a-t-elle dit, quand l’appelante a conclu le 19 janvier 1998 la convention conditionnelle concernant la vente de son intérêt dans la mine Doyon.

[29]  Par conséquent, Mme O’Malley a affirmé qu’en l’absence d’une relation de couverture, les revenus que l’appelante a gagnés au moment de la clôture des contrats à terme devaient, selon les PCGR, être déclarés séparément des revenus découlant de la vente de l’or produit par la mine Doyon. Cela, fait remarquer l’avocate de l’intimée, est la manière dont l’appelante a comptabilisé les bénéfices réalisés sur les contrats à terme dans ses états financiers. De ce fait, selon l’avocate de l’intimée, la façon dont l’appelante a elle-même traité sur le plan comptable les bénéfices réalisés sur les contrats à terme montre de manière concluante que l’entreprise ne considérait pas que les bénéfices réalisés à la clôture des contrats à terme étaient liés à la production d’or de la mine Doyon. Sans un tel lien, les bénéfices ne peuvent pas entrer dans le calcul des bénéfices bruts relatifs à des ressources.

[30]  Mme O’Malley a aussi déclaré que, d’après les PCGR, quand une relation de couverture cesse d’exister, les bénéfices sont considérés comme attribuables à une activité spéculative. L’intimée soutient donc que les bénéfices réalisés sur les contrats à terme étaient des revenus tirés d’activités spéculatives et que, comme ces revenus ne constituaient pas des bénéfices bruts relatifs à des ressources, ils ne pouvaient pas être pris en compte lors du calcul de la déduction relative à des ressources.

[31]  Le dernier argument de l’intimée est qu’on ne peut pas considérer que les contrats à terme, en tant qu’opérations distinctes, sont liés aux activités de production et de traitement d’or de la mine Doyon de l’appelante. Elle affirme que les bénéfices réalisés sur les contrats à terme étaient attribuables à la livraison de l’or acheté par l’appelante auprès d’une tierce partie et non à la livraison de l’or venant de ses propres activités de production et de traitement, et que ces bénéfices étaient donc liés aux activités de production et de traitement de la tierce partie, plutôt qu’à celles de l’appelante.

Analyse

[32]  La question à trancher consiste à savoir si les bénéfices que l’appelante a réalisés à la clôture des contrats à terme étaient des bénéfices bruts relatifs à des ressources au sens de l’alinéa 1204(1)b) du Règlement.

[33]  Le critère qu’il convient d’appliquer est celui qui a été énoncé dans l’arrêt Canada c. 3850625 Canada Inc., 2011 CAF 117. Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de notre Cour, rendue par la juge Woods, à savoir que l’intérêt sur remboursement gagné sur le paiement en trop des impôts sur le revenu de la société minière contribuable avait été inclus à juste titre dans le calcul de sa déduction relative à des ressources. La Cour d’appel fédérale a confirmé que le critère permettant de déterminer s’il convient d’inclure un élément de revenu dans les bénéfices bruts relatifs à des ressources est le fait de savoir « si [le revenu en question est] suffisamment lié aux activités de production et de traitement pour constituer un revenu tiré de cette source »; elle a aussi affirmé que les montants de revenu sont inclus dans le calcul de la déduction relative à des ressources lorsqu’ils sont liés à la production en tant que source de revenu (aux par. 20 et 21).

[34]  Je traiterai tout d’abord de la thèse de l’intimée selon laquelle l’appelante n’a pas eu d’activités de production ou de traitement d’or venant de la mine Doyon en 1998 et qu’il n’y avait donc aucune activité pertinente à laquelle les bénéfices tirés des contrats à terme pouvaient être liés pour l’application du paragraphe 1204(1) du Règlement.

[35]  Bien que l’intimée semble souscrire au critère que la Cour d’appel fédérale a énoncé dans l’arrêt 3850625 Canada Inc., l’affirmation initiale de l’avocate selon laquelle le revenu tiré de la production et du traitement, au sens du paragraphe 1204(1), est [traduction] « un concept étroit qui se limite à l’extraction du sol », est un aspect qui, dans cet arrêt, a été expressément rejeté. Aux paragraphes 20 et 21 de l’arrêt 3850625 Canada Inc., la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

[20] Cependant, en appel, la Couronne soutient que l’interprétation qui a été donnée aux mots « de la production et du traitement » dans Gulf est beaucoup plus restrictive et que la juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en s’écartant de cette approche. Plus précisément, l’intimée cite l’extrait suivant des motifs que le juge McNair a formulés au paragraphe 44 :

Je retiens l’argument de l’avocat de la demanderesse à cet égard, à savoir que les articles 124.1 et 124.2 ont une portée et un but beaucoup plus précis que les dispositions concernant le calcul du revenu énoncées à l’article 3 de la Loi, lorsqu’ils exigent que le revenu et les déductions soient liés à la production au sens de l’extraction du sol en tant que source de revenu. À mon avis, les dépenses de recherche scientifique en cause ne devraient pas être comprises dans les calculs, étant donné qu’elles sont liées aux objectifs à long terme de la demanderesse et non à la production actuelle véritable tirée de ressources minérales [...]

[Non souligné dans l’original.]

[21] À mon avis, le raisonnement énoncé dans l’extrait qui précède n’est pas plus restrictif que celui que la juge de la Cour de l’impôt a adopté. Selon le raisonnement cité, pour pouvoir être inclus dans le calcul des « bénéfices de production imposables », le revenu (ou les déductions) doit être lié à la production au sens de l’extraction du sol en tant que source de revenu. Cela ne signifie pas que l’activité admissible se limite à l’extraction proprement dite. Comme il a été mentionné clairement en appel, l’extraction en soi ne constitue pas une source de revenu; seule « l’entreprise de production » peut donner lieu à un revenu (voir la décision que la Section d’appel a rendue à la page 6127). À mon humble avis, le critère énoncé dans l’arrêt Gulf va de pair avec celui qui a été formulé dans Echo Bay Mines et que la juge de la Cour de l’impôt a appliqué en l’espèce, soit la question de savoir si l’intérêt sur remboursement était suffisamment lié aux activités de production et de traitement pour constituer un revenu tiré de cette source. Je rejette donc l’argument selon lequel la juge de la Cour de l’impôt a appliqué un critère juridique qui ne convenait pas.

[36]  Suivant l’arrêt 3850625 Canada Inc., le lien permettant de déterminer les bénéfices bruts relatifs à des ressources est donc celui qu’il y a avec les activités de production de la contribuable, par opposition au lien plus étroit qu’il y a entre le revenu et l’acte matériel qui consiste à extraire des ressources.

[37]  Je conclus que la thèse de l’intimée, à savoir que le revenu en question doit être expressément rattaché aux activités de production et de traitement que l’appelante a exercées en 1998, est trop restrictive. Je n’admets pas qu’il est nécessaire de lier les bénéfices réalisés sur les contrats à terme aux activités de production et de traitement qui ont été menées en lien avec la mine Doyon au cours de la seule année d’imposition 1998 pour que les bénéfices soient « suffisamment lié[s] aux activités de production et de traitement pour constituer un revenu tiré de cette source ». Dans l’arrêt 3850625 Canada Inc., la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la juge Woods, de notre Cour, à savoir que l’intérêt payé à la contribuable en 1996 à l’égard d’un montant d’impôt payé en trop pour ses années d’imposition 1985 à 1990 était suffisamment lié à ses activités de production et de traitement pour qu’il soit inclus dans le calcul de sa déduction relative à des ressources pour l’année d’imposition 1996. Pour déterminer que l’intérêt sur remboursement était suffisamment lié, la juge Woods avait tenu compte du fait que les questions donnant lieu à l’appel étaient « principalement lié[es] aux activités directes de production et de traitement ». Ces questions avaient pris naissance au cours des années antérieures et non dans celle où l’intérêt avait été reçu. La juge Woods avait conclu que, même si le remboursement d’impôt avait été reçu plusieurs années après que les activités relatives aux ressources avaient été exécutées, soit dans les années d’imposition 1985 à 1990, l’intérêt sur remboursement avait été inclus à juste titre dans le calcul de la déduction relative à des ressources de la contribuable.

[38]  Dans la décision 3850625 Canada Inc., la juge Woods avait elle aussi rejeté l’argument de la Couronne selon lequel il y avait un lien insuffisant « parce que l’impôt n’est pas payé dans le cadre des activités concernant directement les ressources, mais plutôt après que ces activités sont terminées ». Ce faisant, la juge avait invoqué deux arrêts de la Cour d’appel fédérale : Munich Cie. de réassurance c. Canada, 2001 CAF 365, et Canada c. Irving Oil Ltd., 2001 CAF 364, dans lesquels la Cour avait conclu que « le droit de l’appelante d’obtenir le remboursement de ses paiements en trop d’impôt était un droit acquis dans le cadre de l’exploitation de son entreprise ».

[39]  En l’espèce, les contrats à terme ont été conclus et clos pendant que l’appelante exploitait des activités de production et de traitement à la mine Doyon. Il n’y a aucun doute à cet égard. L’intimée reconnaît que la seule raison pour laquelle l’appelante a conclu les contrats à terme était de couvrir le risque de fluctuations du prix de l’or qu’elle s’attendait à produire à partir de la mine Doyon. De plus, il ressortait de la preuve que l’appelante concluait régulièrement des instruments financiers dérivés en vue, d’une part, d’amoindrir le risque associé à l’instabilité des prix à laquelle elle s’exposait pendant l’exploitation de son entreprise de production et de traitement d’or et, d’autre part, de stabiliser les revenus qu’elle tirait de l’exploitation de cette entreprise. Enfin, la seule source de revenus de l’appelante, tant à l’époque de la conclusion des contrats à terme qu’à celle de leur clôture, était cette entreprise.

[40]  Au vu de ces éléments de preuve, je conclus que les contrats à terme faisaient partie intégrante de l’entreprise de production et de traitement de minerai d’or de l’appelante et, de ce fait, que les bénéfices découlant de la clôture des contrats étaient suffisamment liés à ces activités pour constituer un revenu tiré de cette source et qu’ils faisaient donc partie à juste titre de ces bénéfices bruts relatifs à des ressources en 1998.

[41]  Je rejette l’argument suivant de l’intimée, à savoir qu’il faut établir une distinction entre l’espèce et la décision Echo Bay Mines parce que les contrats à terme ont cessé d’être des couvertures et n’ont donc plus été liés aux activités de production et de traitement de l’appelante à l’époque où l’appelante a convenu de vendre à Cambior Inc. son intérêt dans la mine Doyon. Je conclus que cette vision des choses est des plus artificielles, car il est admis que l’unique intention qu’avait l’appelante en concluant les contrats à terme était de couvrir le prix de l’or produit à partir de la mine Doyon.

[42]  En l’espèce, il n’existe aucune preuve d’un changement d’intention de la part de l’appelante à propos des contrats à terme, et les mesures qu’elle a prises pour clore ces derniers aussitôt après avoir décidé de vendre son intérêt dans la mine Doyon étayent sa thèse selon laquelle les contrats ont été conclus à seule fin d’atténuer le risque d’instabilité des prix. Par ailleurs, l’intimée a admis que l’appelante n’avait aucune intention spéculative quand elle a acheté l’or qui avait servi à clore les contrats à terme. Ces derniers étaient des activités raisonnablement liées à la commercialisation de la production prévue de la mine Doyon, et ils ne servaient à aucune autre fin. Les propos suivants du juge MacKay, dans la décision Echo Bay Mines, au paragraphe 53, s’appliquent tout autant en l’espèce, selon moi :

[…] Les opérations qui peuvent raisonnablement être reliées à la commercialisation du produit et qui sont entreprises pour garantir que celui-ci soit vendu à un prix satisfaisant, pour produire un revenu avec espoir de bénéfices, sont à mes yeux des activités faisant partie intégrante de la production qui vise à rapporter un revenu et des bénéfices relatifs à des ressources au sens du paragraphe 1204(1) du Règlement.

[43]  Je conclus aussi que le traitement comptable des bénéfices réalisés sur les contrats à terme ne détermine pas la nature de ces bénéfices aux fins de l’impôt sur le revenu. Dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 RCS 622, le juge Iaccobucci a écrit que « [n]otre Cour a souvent statué que les méthodes comptables n’établissaient pas, en elles‑mêmes, de règles de droit en matière d’impôt sur le revenu » (au par. 73). Dans l’arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 RCS 147, le juge Iaccobucci a également écrit ceci :

[…] des principes commerciaux reconnus ne sont pas des règles de droit et, partant, il est possible qu’un principe donné ne s’applique pas à tous les cas. Fait plus important encore, ces principes doivent nécessairement occuper un rang subordonné par rapport aux règles de droit qui régissent la question. (Au par. 35)

[44]  Le critère permettant de savoir si le revenu que gagne un contribuable tombe sous le coup de la définition des bénéfices bruts relatifs à des ressources est un critère juridique, et il a été fixé dans la décision 3850625 Canada Inc. Il n’est donc pas nécessaire de recourir à des principes comptables pour aider à effectuer la détermination requise, et la question de savoir comment il fallait traiter, aux fins des états financiers, les bénéfices réalisés sur les contrats à terme importe peu.

[45]  Comme j’ai conclu que les contrats à terme n’ont pas cessé d’être des couvertures avant que l’on procède à leur clôture, il n’est pas nécessaire de traiter de l’argument supplémentaire de l’intimée selon lequel il faudrait considérer les contrats comme des [traduction] « opérations distinctes » et que l’or utilisé pour satisfaire aux exigences des contrats avait été produit par des tiers. Je dirais seulement qu’il n’est pas nécessaire qu’un contribuable exécute un contrat de couverture en se servant de la production de sa propre mine pour disposer d’une couverture valide : Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, au paragraphe 52.

[46]  Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre pour nouvelle cotisation, étant entendu que les bénéfices que l’appelante a réalisés sur les contrats à terme doivent être inclus dans les bénéfices bruts relatifs à des ressources de l’appelante en vue de déterminer sa déduction relative aux ressources pour l’année 1998.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 1er jour de février 2017.

« B. Paris »

Le juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2018.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 18

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-828(IT)G

INTITULÉ :

BARRICK GOLD CORPORATION ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU ET DATES DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

Les 7, 8 et 9 mars 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

Le 1er février 2017

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

Me Brian R. Carr

Me Carla Hanneman

Me Gerald Grenon

Avocate de l’intimée :

Me Josée Tremblay

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Noms :

Brian R. Carr

Carla Hanneman

Gerald Grenon

Cabinet :

KPMG Law s.r.l.

Toronto (Ontario) et Calgary (Alberta)

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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