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Référence : 2017 CCI 19

Date : 20170127

Dossier : 2015-450(IT)G

ENTRE :

FIDUCIE FINANCIÈRE LAPIERRE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

Dossier : 2015-435(IT)I

ENTRE :

GLENDA WAGNER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

Dossier : 2015-453(IT)I

ENTRE :

RENAUD LAPIERRE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE RENDUE LE 6 JANVIER 2017

 

La juge en chef adjointe Lamarre

[1]             Suite à une demande commune des parties faite à la Cour le 9 juin 2016, l’audition de l’appel dans le dossier 2015‑450(IT)G (Fiducie financière Lapierre) a été fixée au 25 janvier 2017, pour une durée d’une journée, et ce par ordonnance de la Cour en date du 22 juin 2016. Des avis d’audition en date du 23 juin 2016 ont inscrit les appels de Renaud Lapierre et de Glenda Wagner pour audition également le 25 janvier 2017. Les trois appelants étaient représentés par le même avocat.

[2]             Le 25 novembre 2016, l’appelante Fiducie financière Lapierre, par l’intermédiaire de son avocat de l’époque, Me Robert Marcotte, a avisé la Cour que l’audition de l’appel aurait lieu tel qu’il était prévu. L’avocate de l’intimée a également confirmé par lettre à la Cour en date du 25 novembre 2016 que l’audition aurait lieu tel qu’il était prévu.

[3]             Le 4 janvier 2017, les appelants se sont constitué un nouvel avocat et un avis de constitution d’un nouvel avocat a été déposé à la Cour.

[4]             Le 5 janvier 2017, le nouvel avocat des appelants, Me Bernard Roy, a écrit à la Cour, lui demandant de reporter l’audition de ces appels à une date ultérieure, au motif qu’il serait à l’extérieur de la ville le 25 janvier 2017 et qu’il avait requis de l’intimée copie des dossiers de vérification et d’opposition. L’intimée n’a pas contesté la demande de remise.

[5]             Par ordonnance signée en date du 6 janvier 2017, j’ai accordé la demande d’ajournement et, compte tenu de la demande de remise tardive faite par les appelants, j’ai octroyé des dépens de 500 $ payables à l’intimée dès la réception de l’ordonnance.

[6]             Par lettre en date du 12 janvier 2017, l’avocat des appelants demande à la Cour de rectifier le jugement afin de retirer de l’ordonnance l’obligation pour les appelants de verser les dépens de 500 $ à l’intimée, au motif que cette dernière n’a fait aucune demande relativement aux dépens et que les parties n’ont pas eu l’occasion de faire des observations sur cette question. Les appelants soutiennent que la partie de l’ordonnance concernant les dépens est « ultra petita ».

[7]             L’intimée n’a pas cru bon de faire d’observations ou de commentaires et laisse le tout à la discrétion de la Cour.

[8]             Pour les raisons qui suivent, je maintiens l’ordonnance du 6 janvier 2017 relativement aux dépens, et les appelants sont tenus de les payer sans délai.

[9]             En tout premier lieu, je note que l’appel en procédure générale est une instance de catégorie C, ce qui veut dire qu’il s’agit d’un appel dans lequel le total de tous les montants en cause est égal ou supérieur à 150 000 $ (voir le Tarif A de l’Annexe II des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (Règles).

[10]        Les dépens de 500 $ représentent donc un montant minimal relativement au montant en cause. Par ailleurs, même si toutes les parties consentent à l’ajournement, la Cour possède le pouvoir inhérent de prévenir et de contrôler les abus de ses procédures, et l’adjudication des dépens se veut l’un des mécanismes de prévention ou de réparation des « abus de délai ou de procédure » (Fournier c. La Reine, 2005 CAF 131, paragraphes 10-12).

[11]        Ce pouvoir de faire respecter sa procédure et le droit de regard sur la manière dont les avocats exercent leurs fonctions est inhérent à tout tribunal d’origine législative grâce à la « doctrine de la compétence par déduction nécessaire » (« jurisdiction by necessary implication »).

[12]        La Cour suprême du Canada s’y réfère dans l’arrêt R. c. Cunningham, [2010] 1 R.C.S. 331, au paragraphe 19 :

[19] De même, dans le cas d'un tribunal d'origine législative, le pouvoir de faire respecter sa procédure et le droit de regard sur la manière dont les avocats exercent leurs fonctions s'infèrent nécessairement du pouvoir de constituer une cour de justice. Notre Cour a confirmé que les pouvoirs d'un tribunal d'origine législative peuvent être déterminés grâce à une "doctrine de la compétence par déduction nécessaire" :

… sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l'objectif du régime législatif ...

(ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51)

Même si, dans cet arrêt, le juge Bastarache renvoie à un tribunal administratif, la même règle de la compétence par déduction nécessaire vaut pour un tribunal d'origine législative.

[13]        La Cour canadienne de l’impôt (CCI) est une cour supérieure d’archives (article 3 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt) et s’est donné, par ses règles, un pouvoir discrétionnaire d’adjuger les frais et dépens qu’elle juge appropriés selon les circonstances de chaque appel. Le paragraphe 147(1) des Règles se lit comme suit :

147 (1) La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.

[14]        La Cour d’appel fédérale (CAF) a reconnu le pouvoir discrétionnaire de la CCI dans l’adjudication des dépens aux termes de l’article 147 des Règles dans l’arrêt La Reine c. Lau, 2004 CAF 10, paragraphes 3 et 5 :

[3] L'adjudication des dépens est régie par la règle 147 des Règles de procédure générale de la Cour. Cette règle accorde à la Cour de l'impôt « entière discrétion » concernant le paiement des dépens. Les critères de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire sont énoncés au paragraphe 147(3). Le paragraphe (4) confère un pouvoir supplémentaire qui englobe l'adjudication des dépens sous forme de somme globale. …

[5] On voit donc que l'octroi des dépens en vertu de la règle 147 est hautement discrétionnaire même si, évidemment, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en respectant les principes établis. Nous sommes tous d'avis que la Cour de l'impôt n'a pas manqué à ces principes et qu'il n'y a aucune raison de modifier le jugement qui a été rendu.

[Mes soulignements.]

[15]        Ce principe a également été repris par notre Cour dans Spruce Credit Union c. La Reine, 2014 CCI 42, au paragraphe 18 :

[18] Dans l'arrêt qu'elle a rendu par la suite dans l'affaire R. c. Landry, 2010 CAF 135, la Cour d'appel fédérale est revenue sur les commentaires qu'elle avait antérieurement formulés dans l'arrêt Lau, et elle a souligné une fois de plus que le pouvoir hautement discrétionnaire dont la Cour canadienne de l'impôt disposait quant à l'octroi des dépens "doit s'exercer selon les principes établis" (au paragraphe 22). Selon moi, le fait que le libellé du paragraphe 147(1) des Règles ait été modifié depuis que les arrêts Lau et Landry ont été rendus ne change en aucune manière la nature, l'ampleur ou la portée du pouvoir de la Cour quant aux dépens, à condition que ce pouvoir s'exerce selon les principes établis.

[Mon soulignement.]

[16]        En procédure générale, aux termes de l’alinéa 147(3)(g) des Règles, la conduite d’une partie qui aurait prolongé intentionnellement la durée de l’instance est un des critères dont la CCI peut tenir compte dans l’adjudication des dépens.

[17]        Par ailleurs, en procédure informelle la Cour peut allouer des frais à l’intimée si les actions de l’appelant ont retardé indûment le règlement prompt et efficace de l’appel, et elle peut ordonner le paiement d’une somme forfaitaire (article 10 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle)).

[18]        Dans la présente instance, les appels ont été inscrits pour audition le 25 janvier 2017, pour une durée d’une journée. La Cour a fait parvenir les avis d’audition dans les trois instances les 22 et 23 juin 2016. Les appelants ont attendu au 4 janvier 2017 pour aviser la Cour d’un changement de procureur, soit plus de six mois après avoir reçu les avis de la date d’audition et seulement 20 jours avant la date d’audition.

[19]        En faisant une demande d’ajournement à une date aussi tardive, au motif que leur avocat nouvellement constitué n’était pas disponible à la date d’audition et que ce dernier avait requis de l’intimée copie des dossiers de vérification et d’opposition, les appelants ont retardé le règlement prompt et efficace des appels. En agissant de la sorte, ils ont engendré un gaspillage des ressources de la Cour, puisque le temps réservé pour l’audience le 25 janvier 2017 ne peut plus être utilisé. En effet, la CCI est une cour itinérante et les ajournements modifient souvent les dispositions prises longtemps d’avance pour la tenue de l’audience, les frais qui en résultent étant assumés par le trésor public. La Cour a grandement intérêt à ce que l’échéancier des audiences soit respecté et, en ce sens, il y a préjudice (voir UHA Research Society c. Procureur général du Canada, 2014 CAF 134, paragraphes 13‑14).

[20]        Je conclus que notre Cour a le pouvoir, dans le contexte de la réglementation de ses procédures, d’adjuger des dépens lorsque la conduite d’une partie a pour effet de nuire au déroulement du processus judiciaire.

[21]        Je reprendrai ici les propos de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Adams c. Canada (Gendarmerie royale), [1994] A.C.F. no 1480 (QL), 174 N.R. 314, au paragraphe 16 :

[…] Le temps est révolu où les tribunaux pouvaient accorder aux plaignants le luxe de se tenir à leur service. Les tribunaux, qui sont des institutions publiques chargées du règlement des litiges, nécessitent une dépense considérable de fonds publics. La congestion des tribunaux et les retards qui s'ensuivent constituent un grave problème pour le public. Aussi les parties qui engagent des procédures, à quelque niveau que ce soit, avec l'intention de les [TRADUCTION] "tenir en suspens" pour servir leurs propres fins pourront avoir à répondre de leur gaspillage et de leur abus d'une ressource publique. Elles s'exposent également au rejet de leur affaire.

[22]        J’estime que la demande d’ajournement des appelants a été faite tardivement au détriment des ressources publiques.

[23]        Je réitère donc ma décision d’octroyer des dépens de 500 $ à l’intimée, payables sans délai par les appelants.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de janvier 2017.

« Lucie Lamarre »

Juge en chef adjointe Lamarre

 


RÉFÉRENCE :

2017 CCI 19

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2015-450(IT)G, 2015-435(IT)I, 2015‑453(IT)I

INTITULÉS DES CAUSES :

FIDUCIE FINANCIÈRE LAPIERRE, GLENDA WAGNER et RENAUD LAPIERRE

c. LA REINE

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :

L'honorable Lucie Lamarre, juge en chef adjointe

DATE DE L’ORDONNANCE :

le 27 janvier 2017

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante:

Me Bernard Roy

Avocat de l'intimée:

Me Cristina Ham

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante:

Nom :

Me Bernard Roy

Cabinet :

Lavery, De Billy, S.E.N.C.R.L.

Québec

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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