Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2013-1288(IT)G

ENTRE :

PETER MAYNE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 1er avril et 24 juin 2016, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse

Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Archie B. Palinka

Avocate de l’intimée

Me H. Annette Evans

JUGEMENT

          Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009 est rejeté.

          L’intimée a droit à ses dépens.

         Signé à Kingston (Ontario), ce 6e jour d’octobre 2016.

« R.G. Masse »

Le juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de septembre 2017.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2016 CCI 212

Date : 20161006

Dossier : 2013-1288(IT)G

ENTRE :

PETER MAYNE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Masse

[1]              L’appelant fait appel de la pénalité pour faute lourde qui lui a été imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), relativement à son année d’imposition 2009.

Le contexte factuel

[2]              L’appelant est un travailleur du secteur automobile de 59 ans employé par General Motors (« GM »). Il a étudié jusqu’en onzième année. Il n’a jamais terminé ses études secondaires, mais sa scolarité ne s’est pas arrêtée à la onzième année. Il est retourné aux études pour améliorer ses connaissances en mathématiques et en anglais. Il a également étudié l’électronique au collège George Brown et a suivi un cours menant à l’obtention d’un certificat en micro-informatique.

[3]              L’appelant a toujours travaillé dur, et ce, dès l’âge de 16 ans où il a commencé à travailler à temps partiel. Il a passé sa vie active à travailler comme ouvrier, dans une usine chimique, dans une aciérie, et, depuis 1989, dans une usine GM comme travailleur de l’automobile à plein temps. Il n’a jamais possédé ni exploité quelque entreprise que ce soit, bien que sa femme ait exploité un magasin de vêtements de 1993 à 1998, date à laquelle elle a dû cesser de travailler pour cause de maladie.

[4]              L’appelant n’a jamais préparé ses propres déclarations de revenus, s’en remettant à des amis ou à des spécialistes en déclarations de revenus pour le faire. Un de ses collègues lui a recommandé un spécialiste en déclarations de revenus nommé Chester Lewis. M. Lewis a commencé à préparer les déclarations de revenus de l’appelant et de sa femme pour l’année d’imposition 2005 et a continué de le faire jusqu’à l’année d’imposition 2014.

[5]              Vers 2006, M. Lewis a offert à l’appelant et à son épouse la possibilité de participer à un programme de dons connu sous le nom de Universal Health Trust (« UHT »). M. Lewis a expliqué que ce programme fournissait du matériel médical aux pays du tiers monde. L’appelant comprenait qu’en participant à l’UHT, il obtiendrait un reçu pour don de bienfaisance aux fins d’impôt qui lui permettrait de recevoir un remboursement d’impôt plus important qu’il ne le serait s’il faisait le même don à un autre organisme de bienfaisance comme son église. L’appelant a déclaré que sa femme et lui avaient participé au programme de dons à l’UHT de 2006 à 2009. Ils ont obtenu d’importants remboursements d’impôt à la suite de leur participation à ce programme de dons. Le programme de dons à l’UHT était pour le moins douteux. L’ARC a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant et de son épouse rejetant leurs dons de bienfaisance à l’UHT et a également imposé des pénalités s’élevant à environ 20 000 $. L’appelant a soumis le problème à M. Lewis pour qu’il le règle. M. Lewis lui a dit qu’il traitait avec quelqu’un (qui s’est avéré être les escrocs connus sous le nom de Fiscal Arbitrators), qui pourrait contribuer à la résolution du problème.

[6]              En avril ou en mai 2010, l’appelant a fourni à M. Lewis tous ses documents pour la préparation de sa déclaration de revenus de 2009. L’appelant a affirmé que M. Lewis avait accepté les documents et préparé les déclarations de revenus. M. Lewis, cependant, a affirmé catégoriquement qu’il n’a pas préparé la déclaration de revenus de 2009 de l’appelant, que Fiscal Arbitrators s’en est chargé. N’ayant pas eu de nouvelles de M. Lewis, l’appelant l’a contacté pour savoir ce qui se passait. M. Lewis lui a dit qu’il rencontrait des difficultés avec la production de la déclaration. L’appelant a témoigné que c’était vers le mois d’août 2010 que M. Lewis a communiqué avec lui et a demandé qu’il signe des documents. Il ne nous dit pas de quels documents il s’agit. Si ces documents étaient sa déclaration de 2009, alors l’appelant faisait erreur en affirmant qu’il a signé sa déclaration en août puisque, selon la force probante de la preuve, sa déclaration de 2009 a été produite auprès de l’ARC en mai 2010.

[7]              Une photocopie de la déclaration de revenus de 2009 de l’appelant est déposée à l’onglet 1 de la pièce R-1. Cette déclaration n’est pas datée, mais j’admets qu’elle a été déposée en mai 2010. Il convient que la signature à la dernière page de la déclaration ressemble à la sienne et il affirme qu’il a très probablement signé cette déclaration. L’appelant affirme qu’il a vu cette déclaration de revenus pour la première fois lorsqu’il s’est récemment présenté au bureau de son avocat en préparation de la présente audience. Ce n’est tout simplement pas vrai. De toute évidence, il l’a vue quand il l’a signée en mai 2010. L’appelant a également signé une demande de report rétrospectif de pertes aux années 2006, 2007 et 2008 (voir la pièce R-1, à l’onglet 4), bien qu’il prétend ne pas se souvenir avoir signé ce document daté du 12 mai 2010. Il dit qu’il a peut‑être signé ces documents en présence de M. Lewis, mais il ne s’en souvient pas. Il soutient qu’il n’a aucune connaissance du contenu de ces documents. Il n’a pas examiné ces documents avant de les signer et, en fait, il ne les a probablement jamais même regardés. Il a simplement signé tout document que Chester Lewis lui avait présenté. Il va même jusqu’à dire qu’il aurait peut-être signé ces documents en blanc à la demande de M. Lewis. Signer des documents en blanc est quelque chose qu’il a fait auparavant.

[8]              Si l’appelant avait pris la peine de regarder sa déclaration quand il l’a signée, il aurait vu que celle-ci contenait des anomalies et des renseignements manifestement faux. Le mot « par » apparaît devant sa signature sur ces documents. Il ignore qui a écrit « par » avant sa signature et à quoi cela renvoie. Il soutient que la préposition « par » ne figurait pas sur les documents lorsqu’il les a signés. S’il soutient qu’il ne se souvient pas vraiment avoir examiné ou signé ces documents, il n’est pas plausible qu’il se souvienne que le mot « par » ne figurait pas sur la ligne de signature. Je considère comme étant avéré que le mot « par » figurait sur la ligne de signature avant qu’il signe les documents. La case 490, réservée à l’identification du spécialiste ayant rempli la déclaration de revenus, est demeurée vide. M. Lewis déclare que, s’il avait rempli la déclaration, ce qu’il n’a pas fait, il aurait rempli cette case comme il l’a toujours fait dans le passé. Dans cette déclaration, l’appelant a déclaré des pertes d’entreprise nettes colossales de 294 195,29 $. C’est faux. Il n’a jamais possédé ni exploité une entreprise en 2009 et ne pouvait donc pas subir de pertes d’entreprise. Le seul revenu important de l’appelant au cours de l’année d’imposition 2009 était un revenu d’emploi de 65 029,73 $. On peut voir juste au-dessus de sa signature la certification habituelle : « J’atteste que les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents annexés sont exacts, complets et révèlent la totalité de mes revenus. » La vérité est que l’appelant n’a fait aucun effort pour s’assurer que sa déclaration était exacte et complète; il ne l’a même jamais examinée. S’il avait examiné sa déclaration, ce qu’il n’a pas fait, il aurait sûrement remarqué la mise en garde qui apparaît juste au-dessous de sa signature : « Faire une fausse déclaration constitue une infraction grave. » Comment n’a-t-il pas remarqué ce détail lorsqu’il a signé la déclaration? En n’examinant pas sa déclaration, il a ignoré à la fois son devoir de vérifier l’exhaustivité et l’exactitude de sa déclaration et il a également ignoré le message de mise en garde selon lequel faire une fausse déclaration constitue une infraction grave. Il convient que le remboursement demandé d’environ 14 000 $ était important par rapport à ce qu’il recevait habituellement.

[9]              Il allègue n’avoir jamais eu de communications avec Fiscal Arbitrators. Cependant, il se contredit en contre-interrogatoire lorsqu’il déclare qu’il est possible qu’il ait reçu des copies de ses déclarations de revenus directement de Fiscal Arbitrators, dans une enveloppe, et qu’il a ensuite remis ces documents à M. Lewis pour qu’il puisse les examiner.

[10]         Le 16 septembre 2009, l’ARC a fait parvenir une lettre à l’appelant (pièce R‑1, onglet 5). Cette lettre indique clairement à sa quatrième ligne que l’appelant avait déclaré des pertes d’entreprise de plus de 294 000 $. La lettre demandait à l’appelant de fournir des documents à l’appui de la perte d’entreprise déclarée. Dans la lettre, l’ARC demandait également à l’appelant de remplir le questionnaire qui accompagnait la lettre. L’appelant a reconnu avoir reçu cette lettre. Toutefois, l’appelant s’interroge sur la question de savoir s’il a examiné ou non ce document. Il indique qu’il a peut-être lu les deux premiers paragraphes. S’il les avait lus, il aurait manifestement appris qu’il avait déclaré des pertes d’entreprise fictives élevées. Il affirme alors qu’il ne pensait pas avoir examiné la lettre et qu’il était tout à fait possible qu’il l’ait envoyée à M. Lewis sans l’avoir lue.

[11]         L’appelant a déclaré que M. Lewis lui avait fourni une réponse à la lettre d’enquête de l’ARC (voir la lettre datée du 29 septembre 2010, pièce R-1, onglet 6). L’appelant admet qu’il a écrit son nom et son adresse de retour sur l’enveloppe dans laquelle cette lettre a été envoyée par la poste. L’appelant affirme que M. Lewis a vraisemblablement rédigé cette lettre, qu’il la lui a remise et que tout ce que l’appelant a fait a été de l’envoyer par la poste à l’ARC. Il ne l’a pas examinée avant de l’envoyer. Il déclare que même s’il l’avait lue, il l’aurait quand même envoyée à l’ARC. Le ton de la lettre est hostile et ne répond pas du tout aux demandes légitimes énoncées dans la lettre que l’ARC lui a initialement envoyée. M. Lewis affirme catégoriquement qu’il n’a pas rédigé cette lettre.

[12]         L’ARC a envoyé d’autres lettres à l’appelant afin d’obtenir des renseignements pour appuyer les pertes d’entreprise déclarées. L’ARC y soulevait également la possibilité qu’une pénalité puisse être imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi (voir la pièce R-1, onglet 7, lettre du 10 janvier 2010 et onglet 8, lettre du 7 avril 2010).

[13]         L’ARC n’a reçu aucune réponse à ces autres lettres. Par conséquent, le ministre du Revenu national a rejeté les pertes d’entreprise déclarées ainsi que la demande de report rétrospectif des pertes et a imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Un avis d’opposition a été déposé au nom de l’appelant, mais le ministre a néanmoins ratifié les cotisations, d’où l’appel interjeté devant la Cour.

[14]         L’appelant n’a jamais obtenu de remboursement.

[15]         L’appelant a déclaré qu’il ne savait pas que sa déclaration comportait de faux renseignements et, plus précisément, il ne savait pas qu’il avait déclaré une énorme perte d’entreprise de plus d’un quart de million de dollars. Il a seulement réalisé que quelque chose n’allait vraiment pas une fois qu’il a reçu la dernière lettre de l’ARC indiquant qu’il devait environ 80 000 $ en pénalités et intérêts. À aucun moment n’est-il revenu sur sa déclaration et ne l’a-t-il examinée pour voir quel était le problème. Même lorsqu’il a reçu l’avis de cotisation, il ne s’est toujours pas donné la peine de savoir quel était le problème avec sa déclaration de 2009. Il prétend avoir simplement présumé que M. Lewis se chargeait de tout.

[16]         L’appelant affirme qu’il n’a pas entamé la présente poursuite judiciaire et qu’il n’a jamais donné l’ordre à quiconque d’intenter une action en justice - il s’agit d’une fausseté flagrante puisqu’il est l’appelant et que c’est lui qui demande que les pénalités et les intérêts accumulés soient annulés.

[17]         Chester Lewis est un spécialiste indépendant en préparation de déclarations de revenus de 55 ans. Il exerce cette profession depuis un certain nombre d’années. Il a précisé qu’il n’est ni conseiller fiscal ni comptable. M. Lewis a affirmé qu’il a rencontré l’appelant pour la première fois vers 2006. Il convient qu’il a préparé les déclarations de revenus de l’appelant ainsi que celles de sa femme à compter de l’année d’imposition 2005. M. Lewis a préparé toutes leurs déclarations pour les années d’imposition 2005 jusqu’aux années d’imposition 2014, à l’exception de 2009 qui est l’année d’imposition dont il s’agit en l’espèce. M. Lewis participait à la promotion de l’UHT. Si je comprends bien, l’UHT fournissait des reçus pour dons de bienfaisance aux participants du programme, qui indiquaient des montants pouvant être déclarés à titre de dons de bienfaisance dépassant de beaucoup les montants réellement versés et qui donneraient lieu à des remboursements d’impôt.

[18]         Pour les années d’imposition 2006 et 2007, l’appelant a demandé des déductions pour les dons à l’UHT, dons qui furent refusés par l’ARC. L’ARC a également imposé des pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi. Plusieurs autres clients de M. Lewis ont également fait l’objet d’une nouvelle cotisation relativement au programme de dons à l’UHT. M. Lewis a indiqué qu’il n’était vraiment pas en mesure d’aider ses clients avec ces nouvelles cotisations et qu’il cherchait de l’aide pour résoudre ce problème. D’une façon ou d’une autre, une personne nommée Carlton Branch de Fiscal Arbitrators a découvert ces difficultés et a approché M. Lewis en indiquant que Fiscal Arbitrators pouvait aider ses clients à faire face aux problèmes qu’ils rencontraient avec le programme de dons à l’UHT. M. Lewis a donc aiguillé ses clients, y compris l’appelant, vers Fiscal Arbitrators.

[19]         L’appelant a fourni à M. Lewis tous ses documents pour la préparation de sa déclaration de revenus de 2009. M. Lewis a cependant affirmé que l’appelant et son épouse ne l’ont pas mandaté pour préparer leurs déclarations de revenus de 2009. M. Lewis leur a précisé qu’ils seraient aiguillés vers Fiscal Arbitrators qui préparerait leurs déclarations. Selon M. Lewis, l’appelant était au courant de cette situation avant de fournir à M. Lewis ses documents et avant que ceux-ci ne soient transmis à Fiscal Arbitrators. L’appelant conteste cette affirmation. M. Lewis a remis les documents de l’appelant à Fiscal Arbitrators. Après cela, selon M. Lewis, Fiscal Arbitrators a traité directement avec l’appelant.

[20]         Fiscal Arbitrators a finalement envoyé à l’appelant un paquet contenant des copies de sa déclaration de revenus remplie. L’appelant a présenté ce paquet à M. Lewis. Au début, M. Lewis a indiqué qu’il ne se souvenait pas d’avoir rencontré l’appelant pour examiner la déclaration, mais il est clair qu’une telle rencontre a eu lieu puisque M. Lewis a affirmé qu’il était présent et qu’il a vu l’appelant signer sa déclaration ainsi qu’une demande de report rétrospectif de pertes. M. Lewis a témoigné qu’il se rappelait que l’appelant avait apporté un paquet qui était déjà ouvert contenant la déclaration. M. Lewis ne sait absolument pas qui a écrit « par » devant la signature de l’appelant sur la déclaration. Le mot « par » figurait déjà sur les documents lorsque l’appelant les a signés. La [traduction] « liste de contrôle des données fiscales » (pièce A-8) jointe au paquet de Fiscal Arbitrators indiquait que le mot « par » devait apparaître devant toutes les signatures. L’appelant avait en sa possession sa déclaration depuis un certain temps et il a eu amplement l’occasion de l’examiner dans son intégralité s’il le voulait. L’appelant aurait pu poser à M. Lewis toutes les questions qu’il voulait au sujet de sa déclaration, mais il ne l’a pas fait.

[21]         M. Lewis a affirmé qu’il n’avait pas examiné la déclaration de revenus avec l’appelant puisqu’il ne l’a pas préparée. Il lui a simplement conseillé de s’assurer que les renseignements contenus dans la déclaration étaient exacts avant de la signer. Il lui a également dit de vérifier que tous les documents exigés accompagnaient la déclaration. Il n’a donné à l’appelant aucun conseil autre que celui de suivre les directives du groupe Fiscal Arbitrators puisque celui-ci avait préparé la déclaration.

[22]         À l’automne 2010, l’ARC a commencé à remettre en question les renseignements contenus dans les déclarations de certains clients de M. Lewis qui avaient été aiguillés vers Fiscal Arbitrators. Ces clients ont communiqué avec M. Lewis et il est devenu évident que quelque chose n’allait pas; Fiscal Arbitrators avaient fait quelque chose de vraiment répréhensible. M. Lewis a déclaré qu’il a conseillé à ses clients de ne plus traiter avec Fiscal Arbitrators et d’empêcher Fiscal Arbitrators de leur rendre d’autres services. M. Lewis voulait aider ses clients et produire de nouvelles déclarations pour le compte de plusieurs de ses clients, notamment l’appelant, afin de remédier à ce que Fiscal Arbitrators avait fait. M. Lewis a communiqué avec l’ARC pour lui demander des renseignements sur la façon de produire une nouvelle déclaration. On lui a dit que, parce que les déclarations étaient déjà enregistrées dans le système, il devait attendre que les clients aient reçu un avis de cotisation avant qu’il puisse produire une nouvelle déclaration.

[23]         L’avis de cotisation de l’appelant a été établi en mai 2011 (pièce R-1, onglet 9). M. Lewis a ensuite commencé à communiquer avec d’autres professionnels pour obtenir de l’aide, et c’est alors que M. Rudolfo Terracina, un prétendu comptable agréé, est intervenu. M. Lewis a versé de sa poche un acompte pour les services de M. Terracina. M. Terracina a dit à M. Lewis que les programmes de dons étaient une escroquerie et que Fiscal Arbitrators se livrait à une fraude encore plus importante. M. Terracina a préparé et signifié un avis d’opposition daté du 11 juillet 2011 au nom de l’appelant (pièce R-1, onglet 10). L’appelant ignorait tout cela ou, du moins, il prétend qu’il l’ignorait. Même si M. Terracina était d’avis que Fiscal Arbitrators se livrait à des escroqueries, une lecture de l’avis d’opposition semble adhérer à la thèse de Fiscal Arbitrators et perpétuer cette escroquerie.

[24]         Lorsque l’appelant a commencé à recevoir des lettres de l’ARC, M. Lewis ne lui a donné aucun conseil quant à la façon d’y répondre, car les seules personnes qui pouvaient répondre étaient le groupe Fiscal Arbitrators puisque c’est lui qui a rempli la déclaration de l’appelant. Tout au plus, M. Lewis aurait dit à ses clients, notamment l’appelant, d’empêcher Fiscal Arbitrators d’intervenir en leur nom. M. Lewis ne comprenait pas ce qu’avait fait le groupe Fiscal Arbitrators et il ne lui faisait pas confiance. Il affirme qu’il n’a jamais dit à ses clients qu’il allait régler le problème, mais il semble avoir consacré des efforts considérables et des dépenses à essayer de corriger le problème.

La thèse des parties

[25]         L’appelant admet qu’il a probablement signé sa déclaration de revenus de 2009 qui a été produite, même s’il affirme ne pas avoir un souvenir précis des circonstances entourant la signature. L’appelant admet également qu’il est loisible à la Cour de conclure qu’il a fait preuve de négligence en signant un document que ni lui ni M. Lewis ne comprenaient. On fait valoir toutefois qu’une telle mesure ne constitue pas une faute lourde et ne devrait pas entraîner les pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi. De plus, on fait valoir que l’appelant ne devrait pas être passible de pénalités pour faute lourde parce qu’il s’est fié aux informations, aux conseils et à l’aide de Chester Lewis, un spécialiste expérimenté en déclarations de revenus, en qui il avait confiance depuis 2005 lorsque M. Lewis a commencé à préparer les déclarations de revenus pour l’appelant et son épouse. On fait valoir que l’appelant ignorait totalement que sa déclaration de 2009 contenait de faux renseignements et il est suggéré que M. Lewis l’a délibérément tenu dans l’ignorance au sujet de l’état réel de sa situation fiscale. L’appelant prétend être une victime innocente. Chester Lewis et Fiscal Arbitrators, qui a été engagé par Chester Lewis, sont les coupables ici et il serait injuste de punir l’appelant pour leurs actions. Par conséquent, l’appelant demande à la Cour d’accueillir son appel et de faire annuler les pénalités et les intérêts qui font l’objet du présent appel.

[26]         L’intimée soutient que l’appelant n’a jamais possédé ni exploité quelque type d’entreprise que ce soit au cours de l’année d’imposition 2009 et que les pertes d’entreprise qu’il a déclarées sont manifestement fausses. Ces faux énoncés sont d’une telle ampleur qu’ils permettraient à l’appelant, s’ils étaient admis comme vrais, d’obtenir un remboursement de tout l’impôt payé ou retenu de 2006 à 2009, soit une somme importante. L’intimée fait valoir que l’appelant a fait preuve d’aveuglement volontaire ou a autrement commis une faute lourde quant à la fausseté des énoncés fournis dans sa déclaration de revenus. Les pénalités pour faute lourde imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi sont donc justifiées. L’intimée invite la Cour à rejeter l’appel avec dépens.

Crédibilité et conclusions de fait

[27]         J’ai beaucoup de difficulté avec la crédibilité de Chester Lewis et de l’appelant. Chester Lewis n’est pas une partie désintéressée. Il est visé par l’appelant comme étant l’auteur de tous ses problèmes et, d’une certaine manière, c’est le cas puisque c’est lui qui a aiguillé ses clients vers Fiscal Arbitrators. Il n’assume aucune responsabilité pour les difficultés que ses clients ont connues. Il a affirmé qu’il n’a pas examiné la déclaration de revenus de 2009 avec l’appelant puisqu’il ne l’a pas préparée. Il est clair que l’appelant a rencontré M. Lewis pour examiner la déclaration et il me semble que M. Lewis aurait dû l’examiner pour voir si tout était en règle. Après tout, il était le spécialiste en préparation de déclarations de revenus en qui l’appelant avait confiance. S’il l’avait fait, M. Lewis aurait vu les pertes d’entreprise déclarées et, nous l’espérons, aurait conseillé à l’appelant de ne pas signer et de ne pas produire la déclaration. Son témoignage m’apparaît très suspicieux.

[28]         La crédibilité et la fiabilité de l’appelant sont encore plus suspectes. Son témoignage est vague, incertain, incohérent et contradictoire. Il est incapable de rapporter avec précision les périodes, les événements ou les circonstances. Il est très équivoque dans son témoignage quant à la question de savoir s’il a examiné ou non les documents qui sont essentiels au présent appel. S’il les a examinés, alors il y a à peine jeté un œil. Il est très probable, et je considère comme étant avéré, qu’il n’a même pas regardé ses documents avant de les signer. Il va jusqu’à indiquer qu’il a peut-être même signé ses déclarations, y compris sa déclaration de 2009, en blanc à la demande de M. Lewis. Tout au long de son témoignage, il n’a pas été en mesure d’affirmer avec certitude à quel moment il s’est rendu compte qu’il avait demandé la déduction d’énormes pertes d’entreprise dans sa déclaration. Il ne le sait tout simplement pas. Il affirme qu’il a vu sa déclaration pour la première fois dans le bureau de son avocat peu de temps avant et en préparation de la présente audience. Ce n’est tout simplement pas crédible. Il déclare qu’il n’a pas engagé les présents débats judiciaires et qu’il n’a jamais demandé à quiconque d’intenter ces procédures en son nom. Pourtant, il est l’appelant nommé et il veut clairement que la Cour annule les pénalités et les intérêts courus qui lui ont été imposés. Cette affirmation se révèle également manifestement fausse. En résumé, je ne prête pas foi au témoignage de l’appelant.

[29]         Après avoir apprécié l’intégralité de la preuve, j’ai pu tirer les conclusions suivantes. Je considère comme étant avéré que le groupe Fiscal Arbitrators a préparé la déclaration de revenus de 2009 de l’appelant, et non Chester Lewis. Toutefois, cela a été fait à la suite de la recommandation de Chester Lewis qui a aiguillé l’appelant vers Fiscal Arbitrators. Je conclus que l’appelant a signé sa déclaration de revenus de 2009 et la demande de report rétrospectif de pertes sans même prendre la peine de regarder ces documents très importants. La déclaration contenait des renseignements manifestement faux. Il n’a posé aucune question au sujet des renseignements contenus dans sa déclaration. Il n’a fait aucun effort pour vérifier l’intégralité et l’exactitude des renseignements figurant dans sa déclaration de revenus. La conduite de l’appelant faisait déjà l’objet d’un examen de l’ARC, puisque des pénalités avaient été imposées concernant sa participation au programme de dons à l’UHT, un programme qui lui avait été recommandé par Chester Lewis. Malgré cela, il était toujours disposé à signer tous documents qui lui étaient présentés par Chester Lewis sans les examiner et il était même prêt à signer ces documents en blanc. Je conclus que, si l’appelant avait pris la peine d’examiner sa déclaration, il aurait immédiatement su qu’elle contenait des renseignements manifestement faux et frauduleux. Ces renseignements étaient évidents au vu de ces documents. Même une personne très peu informée aurait immédiatement vu les faux renseignements et aurait su que les renseignements étaient faux et ne reflétaient pas la réalité de la situation fiscale de l’appelant.

Dispositions législatives

[30]         Le paragraphe 163(2) de la Loi est libellé en partie comme suit :

163. (2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [...].

[31]         C’est au ministre que revient la responsabilité, en vertu du paragraphe 163(3), d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

Analyse

[32]         En l’espèce, j’appliquerai la même analyse que j’ai faite dans de nombreuses affaires précédentes portant sur le paragraphe 163(2) de la Loi. En fait, la majeure partie de cette analyse est une répétition directe de ce que j’ai déjà indiqué dans ces affaires précédentes.

[33]         Il est acquis en matière jurisprudentielle que notre régime fiscal repose à la fois sur l’autocotisation et l’autodéclaration. Il est fondé sur un « régime de confiance » et dépend de l’honnêteté et de l’intégrité du contribuable. Le contribuable a le devoir de déclarer la totalité de son revenu imposable de manière complète, correcte et exacte, peu importe qui prépare sa déclaration de revenus. Par conséquent, le contribuable doit être vigilant et doit s’assurer que les renseignements fournis dans sa déclaration sont complets et exacts. Le juge Martineau a déclaré de façon succincte dans la décision Northview Apartments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 74 (CanLII), 2009 D.T.C. 5051, « [l]e régime fiscal repose sur l’autocotisation et l’autodéclaration, dont sont responsables les contribuables envers l’ARC » (au paragraphe 11).

[34]         Dans l’arrêt R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, 2002 CSC 73, la Cour suprême du Canada a expliqué les responsabilités et les devoirs des contribuables, ainsi que certaines mesures prévues dans la Loi pour en favoriser l’observation :

49        Toute personne résidant au Canada au cours d’une année d’imposition donnée est tenue de payer un impôt sur son revenu imposable, calculé selon les règles prescrites par la Loi [...]. Le processus de perception des impôts repose principalement sur l’autocotisation et l’autodéclaration : tous les contribuables sont tenus d’estimer le montant de leur impôt annuel payable (art. 151) et d’en informer l’ADRC dans la déclaration de revenu qu’ils sont tenus de produire (par. 150(1)). [...]

50        Bien que l’observation volontaire de la loi et l’autocotisation constituent les éléments essentiels du régime réglementaire de la LIR, le système fiscal est doté de [traduction] « mécanismes de persuasion visant à inciter les contribuables à déclarer leurs revenus » [...]. Par exemple, pour favoriser l’aspect d’autodéclaration du régime, l’art. 162 de la LIR établit des peines pécuniaires pour les personnes qui omettent de produire leur déclaration de revenu. De même, pour inciter le contribuable à faire preuve de minutie et d’exactitude dans le cadre de l’autocotisation, l’art. 163 de la Loi prévoit le même type de pénalités pour les personnes qui omettent de façon répétée de déclarer un montant à inclure, qui sont complices d’un faux énoncé ou d’une omission ou qui commettent une faute lourde à cet égard.

51        Il découle des caractéristiques fondamentales de l’autocotisation et de l’autodéclaration que le succès de l’application du régime fiscal repose avant tout sur la franchise du contribuable. Comme le juge Cory l’a affirmé dans l’arrêt Knox Contracting, précité, p. 350 : « Le système d’imposition dépend entièrement de l’intégrité du contribuable qui déclare et évalue son revenu. Pour que le système fonctionne, les déclarations doivent être remplies honnêtement ». Il n’est donc pas étonnant que la Loi tente de restreindre le risque qu’un contribuable essaie de « tirer profit du régime d’autodéclaration pour tenter d’éviter de payer sa pleine part du fardeau fiscal en violant les règles énoncées dans la Loi » [...].

[35]         Les pénalités prévues à l’article 163 de la Loi ont été établies pour assurer l’intégrité de notre régime d’autocotisation et d’autodéclaration et pour inciter le contribuable à faire preuve de minutie et d’exactitude dans la préparation de sa déclaration de revenus, peu importe qui la prépare.

[36]         J’ai maintes fois déclaré que je suis d’avis que la décision d’assujettir ou non un contribuable aux pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi doit être prise à la lumière des responsabilités et des devoirs imposés au contribuable dans le cadre d’un régime d’autocotisation et d’autodéclaration, c’est-à-dire de déclarer des revenus complets et exacts.

[37]         Deux éléments doivent nécessairement être prouvés avant de rendre un contribuable passible des pénalités prévues au paragraphe 163(2) :

a)       le contribuable doit avoir fait un faux énoncé dans une déclaration;

b)      le contribuable doit avoir, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait ce faux énoncé, ou y avoir participé, consenti ou acquiescé.

[38]         Il n’y a aucun doute que la déclaration de revenus de 2009 de l’appelant comportait de faux énoncés. L’appelant n’a jamais possédé ni exploité quelque entreprise que ce soit au cours de cette année-là et ne pouvait donc pas déclarer des dépenses d’entreprise dépassant 294 000 $. Sa déclaration de pertes d’entreprise n’a aucun fondement en fait et se révèle comme étant manifestement fausse.

[39]         S’il faut croire l’appelant, il est alors manifeste qu’il ignorait que sa déclaration contenait de faux renseignements puisqu’il n’a simplement pas pris la peine de l’examiner avant de la signer. En effet, il va jusqu’à indiquer qu’il a peut‑être même signé sa déclaration en blanc.

[40]         Je conclus que la Couronne a clairement démontré selon la prépondérance des probabilités que l’appelant a fait de faux énoncés dans sa déclaration de revenus de 2009 ou y a participé, consenti ou acquiescé dans des circonstances équivalant à une faute lourde. J’en viens à cette conclusion pour les motifs qui suivent.

[41]         Il y a une différence entre la négligence ordinaire et la faute lourde. La négligence s’entend du défaut d’agir avec autant de soins que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente et minutieuse dans les mêmes circonstances. La faute lourde doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui correspond à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi : voir la décision Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (QL), au paragraphe 37.

[42]         Il est également bien établi que la faute lourde peut comprendre l’« ignorance volontaire » [aussi appelée « aveuglement volontaire »]. Cette notion bien connue en droit criminel a été expliquée par monsieur le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128. Selon la règle, si une partie qui a des soupçons omet délibérément de se renseigner davantage parce qu’elle désire demeurer dans l’ignorance, elle est réputée être au courant.

[43]         Il est depuis longtemps établi que la notion d’« aveuglement volontaire » est applicable aux affaires fiscales et est comprise dans le sens de l’expression « faute lourde » utilisée au paragraphe 163(2) de la Loi : voir les arrêts Canada c. Villeneuve, 2004 CAF 20 et Panini c. Canada, 2006 CAF 224, au paragraphe 43.

[44]         Pour établir la distinction entre la négligence « ordinaire » et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs, à savoir :

a.       l’importance de l’omission relative au revenu déclaré;

b.       la faculté du contribuable de découvrir l’erreur;

c.       le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente;

d.       l’effort réel de se conformer à la loi.

Aucun facteur n’est prédominant. Il faut accorder à chacun de ces facteurs le poids qui lui convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve (voir la décision DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, au paragraphe 11; la décision Bhatti c. La Reine, 2013 CCI 143, au paragraphe 24; et la décision McLeod c. La Reine, 2013 CCI 228, au paragraphe 14).

[45]         Dans la décision Torres et autres. c. La Reine, 2013 CCI 380, conf. par 2015 CAF 60, le juge Campbell Miller a fait un examen très approfondi de la jurisprudence touchant les pénalités pour faute lourde imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Il a résumé au paragraphe 65 de sa décision les principes directeurs à appliquer, et je paraphrase :

a)         La connaissance d’un faux énoncé peut être déduite d’un aveuglement volontaire.

b)         La notion d’aveuglement volontaire peut être appliquée aux pénalités pour faute lourde prévues par le paragraphe 163(2) de la Loi.

c)         Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

d)         Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

Les facteurs qui laissent supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration comprennent :

i) l’importance de l’avantage ou de l’omission;

ii) le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii) l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

iv) les demandes inusitées du spécialiste;

v) le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

vi) les explications inintelligibles du spécialiste;

vii) le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

f)          Le dernier critère de l’aveuglement volontaire est le fait que le contribuable ne s’enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

Cette liste n’est certainement pas exhaustive.

[46]         Une application des facteurs énumérés dans la décision Torres mène inéluctablement à la conclusion que l’appelant a fait preuve d’aveuglement volontaire lorsqu’il a signé sa déclaration et qu’il a donc commis une faute lourde. L’analyse de la décision Torres donne ce qui suit :

L’appelant est un homme d’intelligence moyenne qui a choisi de ne pas terminer ses études secondaires, mais a préféré intégrer le marché du travail quand il était en onzième année. Cependant, il a suivi des cours au collège George Brown pour parfaire son éducation et acquérir des connaissances dans les domaines de l’électronique et de la micro‑informatique. Il comprend les transactions financières, ayant négocié des hypothèques pour ses maisons et les baux de véhicules à moteur. Il a pu prendre les mesures nécessaires pour obtenir le crédit d’impôt pour personnes handicapées pour sa femme quand elle est tombée malade. Il a une connaissance rudimentaire des affaires puisque sa femme avait son propre magasin de vêtements pendant un certain temps. L’appelant a un niveau d’intelligence, d’instruction et d’expérience de vie suffisant pour pouvoir s’assurer que sa déclaration de revenus est exacte et complète et il est clair qu’il aurait été en mesure de reconnaître qu’une fausse perte d’entreprise avait été indiquée dans sa déclaration de 2009 s’il avait simplement regardé sa déclaration.

La perte d’entreprise déclarée est considérable par rapport au revenu réel de l’appelant. Le remboursement demandé est également très important. Il aurait su cela s’il avait regardé sa déclaration.

Le faux énoncé était flagrant et facilement décelable. Il a ignoré cela en ne regardant même pas la déclaration.

Le spécialiste en préparation de déclarations de revenus, Fiscal Arbitrator, n’a pas reconnu avoir préparé la déclaration.

La [traduction] « liste de contrôle des données fiscales » demandait à l’appelant d’écrire « par » à côté de sa signature et l’appelant a reçu comme directive de ne pas répondre directement à l’ARC si l’Agence communiquait avec lui. Il s’agit de demandes inusitées.

Le groupe Fiscal Arbitrators était auparavant inconnu de l’appelant et il n’a jamais eu de contact personnel avec un représentant de Fiscal Arbitrators.

L’appelant n’a jamais demandé et n’a jamais reçu d’explications sur la façon dont sa déclaration de revenus a été remplie ou sur les renseignements qu’elle contenait.

L’ARC était en train d’examiner les déclarations précédentes de l’appelant par suite de sa participation au programme de dons à l’UHT. Cela aurait dû inciter l’appelant à faire preuve d’une plus grande prudence dans la préparation de sa déclaration de revenus de 2009.

Chester Lewis a dit à l’appelant qu’il ne comprenait pas ce que faisait Fiscal Arbitrator. L’appelant aurait dû voir en cela un avertissement de faire preuve de prudence et de s’informer de ce qui se passait. Il n’a pas cherché à obtenir l’avis de personne d’autre.

L’appelant n’a fait aucun effort pour se conformer à la loi. Son comportement subséquent et son refus de coopérer lorsque l’ARC lui a simplement demandé des précisions au sujet de ses pertes d’entreprise déclarées sont révélateurs de l’absence totale de diligence raisonnable tout au long du processus.

[47]         Compte tenu de tout ce qui précède, j’en arrive à la conclusion que l’appelant a fait preuve d’aveuglement volontaire en ce qui a trait à la fausseté du contenu de sa déclaration de revenus de 2009. En ne regardant même pas sa déclaration, il a choisi d’ignorer ce qui aurait dû être des signaux d’alarme évidents.

[48]         Toutefois, en dehors de l’aveuglement volontaire, je conclus que l’appelant a commis une faute lourde dans la préparation et la production de sa déclaration de revenus. L’appelant a, en apposant sa signature, certifié que les informations figurant dans sa déclaration étaient complètes et exactes. Bien qu’il avait le devoir de vérifier l’exactitude de sa déclaration de revenus, il ne l’a pas fait. Il l’a tout simplement signée, sans même prendre la peine de la regarder. Si l’appelant avait pris la peine de jeter un simple coup d’œil à sa déclaration de revenus, il aurait immédiatement découvert des renseignements manifestement faux. Il ne se souciait pas de ce qui figurait dans sa déclaration de revenus et il se contentait de laisser M. Lewis ou quelqu’un d’autre la préparer. Il était même prêt à signer sa déclaration en blanc, montrant ainsi une attitude hautement cavalière en ce qui concerne l’exactitude et l’exhaustivité de ses déclarations. À mon avis, le fait d’avoir refusé de se renseigner sur le contenu de sa déclaration de revenus, même de façon générale, est non seulement une preuve d’aveuglement volontaire, mais aussi d’un comportement justifiant l’imposition d’une faute lourde. Il a fait preuve d’insouciance déréglée ou téméraire quant à savoir si sa déclaration a été remplie dans le respect de la loi.

[49]         L’appelant soutient qu’il a fait entièrement confiance à Chester Lewis. Il fait valoir qu’il a été trahi en quelque sorte par M. Lewis et Fiscal Arbitrators et qu’il n’est qu’une innocente victime. Dans certains cas, un contribuable peut faire porter le blâme à des professionnels négligents ou malhonnêtes auxquels il accordait sa confiance. Par exemple, dans le jugement Jean-Yves Coté c. Sa Majesté La Reine, 2015 CCI 228, les contribuables se fiaient à un avocat qu’ils connaissaient depuis plus de 30 ans, un ami digne de confiance.

[50]         Cependant, la jurisprudence foisonne de décisions où les contribuables n’ont pas réussi à se soustraire aux pénalités pour faute lourde parce qu’ils ont fait aveuglément confiance à leur spécialiste en déclarations de revenus sans au moins prendre quelques mesures pour vérifier l’exactitude des renseignements qui figuraient dans leur déclaration de revenus. Indépendamment de l’aveuglement volontaire, les contribuables qui ne prennent aucune mesure pour vérifier l’intégralité et l’exactitude des renseignements figurant dans leur déclaration de revenus s’exposent à des pénalités pour faute lourde.

[51]         Dans la décision Gingras c. La Reine, [2000] A.C.I. no 541 (QL), les appelants ont affirmé avoir toujours agi de bonne foi et avoir cru que l’entreprise de leur spécialiste en déclarations était responsable et fiable, ajoutant qu’ils avaient peu ou n’avaient pas de connaissances en matière fiscale. Le juge Tardif a écrit ceci :

[19]  Le fait d’avoir recours à un expert ou à quelqu’un qui se présente comme tel, n’excuse en rien la responsabilité de ceux qui attestent, par leur signature, la véracité de leur déclaration.

[20] Les appelants ont signé une déclaration de revenus qui contenait des renseignements faux et mensongers et ne peuvent prétendre que cela a été fait à leur insu. Ils avaient l’obligation de s’assurer que toutes les informations et renseignements contenus dans leur déclaration étaient véridiques. [...]

[52]         En outre, aux paragraphes 30 et 31, le juge Tardif poursuit :

[30]  L’imputabilité des faux renseignements fournis dans une déclaration de revenus incombe au signataire de la dite déclaration et non au mandataire qui l’a complété, peu importe ses compétences ou qualifications.

[31] En matière de pénalités, le fardeau de la preuve incombe à l’intimée. La prépondérance de la preuve soumise a largement établi que les appelants avaient soumis dans leur déclaration respective des faux énoncés importants ayant des effets significatifs sur leur fardeau fiscal. Il s’agissait d’éléments dont ils ne pouvaient pas ignorer la fausseté. Le Tribunal peut comprendre que les contribuables puissent être incapables, inexpérimentés et incompétents quand vient le temps de préparer leur déclaration de revenus. Par contre, il est tout à fait répréhensible d’attester par sa signature que les renseignements fournis sont exacts alors que l’on sait ou devrait savoir qu’elle contient de faux énoncés. Un tel comportement est suffisant pour conclure à une faute lourde justifiant l’imposition des pénalités applicables.

[53]         Dans la décision DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, 2005 D.T.C. 1436, le juge en chef Bowman a déclaré ce qui suit au paragraphe 12 :

[...] Même si son comptable doit évidemment assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l’on peut dire que l’appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l’omission d’un montant qui représente presque le double du montant qu’il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au-delà du simple manque d’attention.

[54]         Dans la décision Laplante c. La Reine, 2008 CCI 335, l’appelant, tout comme en l’espèce, a omis d’examiner sa déclaration de revenus avant de la signer. Le juge Bédard de la Cour a estimé que l’appelant avait commis une faute lourde. Le juge Bédard s’est exprimé ainsi :

[15]      De toute façon, je suis d’avis que la négligence de l’appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout ses déclarations de revenus avant de les signer) était assez grave pour justifier l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjoratif. L’attitude de l’appelant était si cavalière en l’espèce qu’elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. L’appelant n’a‑t‑il pas admis que, s’il avait examiné ses déclarations de revenus avant de les signer, il aurait nécessairement décelé les nombreux faux énoncés qui y apparaissaient, énoncés qui auraient été faits par monsieur Cloutier? L’appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l’égard de ses déclarations de revenus, l’appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main les responsabilités, les devoirs ou les obligations que lui impose la Loi. En l’espèce, la Loi imposait au minimum à l’appelant l’obligation de jeter un coup d’œil sur ses déclarations de revenus avant de les signer, d’autant plus qu’en l’espèce il a admis que cet examen rapide lui aurait permis de déceler les faux énoncés que son comptable avait faits.

[Non souligné dans l’original.]

[55]         Le juge Bowie de la Cour a déclaré, dans la décision Brown c. La Reine, 2009 CCI 28 (CanLII), [2009] 4 CTC 2162, ce qui suit :

20.       Par ailleurs, pour ce qui est des pénalités pour faute lourde imposées à l’appelant en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’appelant a lui-même clairement affirmé au début de son témoignage qu’il n’avait jamais porté attention aux revenus et aux dépenses indiqués dans les déclarations pour les quatre années en cause lorsqu’il les signait. L’appelant a dit qu’il conservait ses dossiers, préparait des tableaux de ventilation à partir de ses dossiers et qu’il donnait les tableaux à une spécialiste en déclarations de revenus, qui se servait des documents qu’elle recevait de l’appelant pour préparer les déclarations de revenus de ce dernier. La spécialiste n’a pas témoigné, mais, si l’on se fie à la version des faits de l’appelant, il reste que l’appelant était quand même tenu d’examiner ses déclarations de revenus avant de les signer et de les produire auprès du ministre. La déclaration que le contribuable fait lorsqu’il signe sa déclaration de revenus est ainsi rédigée :

J’atteste que les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents annexés sont exacts, complets et révèlent la totalité de mes revenus [...]

Le fait de signer une déclaration de revenus et de faire, par le fait même, la déclaration précitée sans même vérifier le contenu de la déclaration – ce qu’a fait l’appelant, si j’ai bien compris son témoignage – constitue, à lui seul, une faute lourde qui justifie l’imposition des pénalités.

[Non souligné dans l’original.]

[56]         La décision rendue par le juge Bédard de la Cour dans l’affaire Gélinas c. La Reine, 2009 CCI 136, est particulièrement pertinente. Il a déclaré ce qui suit :

[11]      À mon avis, l’appelant a aussi commis une faute lourde en 2004. En effet, je suis d’avis que la négligence de l’appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout sa déclaration avant que son comptable ne la fasse parvenir à l’Agence des douanes et du revenu du Canada) était assez grave pour justifier l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjorative. L’attitude de l’appelant était si cavalière en l’espèce qu’elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. Si l’appelant avait examiné sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2004, il aurait nécessairement décelé le faux énoncé qui y apparaissait (énoncé qui aurait été fait par son comptable) compte tenu de l’ordre de grandeur des revenus non déclarés et des autres facteurs analysés ci‑haut. L’appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l’égard de ses déclarations de revenu, l’appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main ses responsabilités, les devoirs et les obligations que lui impose la Loi. En l’espèce, la Loi imposait au minimum à l’appelant l’obligation de jeter un coup d’œil sur sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2004 avant que son comptable ne l’expédie, d’autant plus qu’en l’espèce un examen rapide lui aurait permis, à mon avis, de déceler le faux énoncé que son comptable aurait fait.

[Non souligné dans l’original.]

[57]         Dans le jugement Brochu c. La Reine, 2011 CCI 75, la Cour a maintenu les pénalités pour faute lourde imposées à une contribuable qui s’était simplement fiée aux déclarations de sa comptable que tout était en règle. La contribuable a affirmé avoir rapidement feuilleté sa déclaration de revenus et a prétendu qu’elle ne comprenait pas les termes « revenus d’entreprise » et « crédit », mais elle n’a pourtant posé aucune question à sa comptable ni à qui que ce soit d’autre pour s’assurer que ses revenus et ses dépenses étaient correctement comptabilisés. De l’avis du juge Favreau de la Cour, la contribuable a été négligente parce qu’elle n’a pas songé à la nécessité de s’informer, ce qui constitue une faute lourde.

[58]         Dans la décision Bhatti c. R., 2013 CCI 143, monsieur le juge Campbell Miller a souligné au paragraphe 30 :

[30] [...] Il est tout simplement insuffisant d’affirmer ne pas avoir vérifié ses déclarations. Confier aveuglément ses obligations à quelqu’un d’autre sans même une vérification minimale de l’exactitude de la déclaration va au-delà de l’imprudence. Donc, même si elle n’a pas sciemment omis de déclarer le revenu, elle a certainement adopté l’attitude cavalière du laisser-aller. [...]

Cette opinion incidente du juge Miller est on ne peut plus pertinente en l’espèce.

[59]         Un autre exemple récent est donné dans la décision Atutornu c. La Reine, 2014 CCI 174, où les contribuables ont simplement signé leurs déclarations de revenus là où on leur avait indiqué de signer, se sont aveuglément fiés aux conseils de leur spécialiste sans lire ni examiner leurs déclarations et n’ont fait aucun effort pour vérifier l’exactitude de leurs déclarations de revenus. Le juge Jorré de la Cour a conclu que l’omission totale des contribuables de poser des questions ou d’examiner leurs déclarations, lorsque seulement un petit effort aurait soulevé des signaux d’alarme, est une preuve claire d’aveuglement volontaire qui justifiait l’imposition de pénalités pour faute lourde aux termes du paragraphe 163(2).

Conclusion

[60]         On ne peut contester que la déclaration de revenus de 2009 de l’appelant contient de faux énoncés, étant donné qu’il n’exploitait aucune entreprise et qu’il n’a subi absolument aucune perte d’entreprise, a fortiori des pertes s’élevant à plus de 294 000 $. Dans les circonstances en l’espèce, et compte tenu de la jurisprudence récente, je suis d’avis que l’appelant a fait un faux énoncé dans sa déclaration de revenus, ou y a participé, consenti ou acquiescé, dans des circonstances équivalant à faute lourde. Si on le croit, alors peu importe qui a rempli sa déclaration de revenus, qu’il s’agisse de Chester Lewis ou de Fiscal Arbitrators, il n’a rien fait pour vérifier l’exactitude des renseignements inscrits dans sa déclaration de revenus. Il a tout simplement signé sa déclaration sans l’examiner ou sans même la regarder. Ce faisant, il a attesté qu’elle contenait des renseignements complets et exacts, ce qui n’était pas le cas et ce qui était manifestement faux. Il avait le devoir de remplir sa déclaration avec soin et exactitude, mais il a failli lamentablement à ce devoir en ne faisant absolument aucun effort pour s’assurer que sa déclaration de revenus était exacte et complète. Sans grand effort, il aurait rapidement et facilement découvert les renseignements manifestement faux qui figuraient dans la déclaration de revenus. En signant sa déclaration sans même la regarder, l’appelant a non seulement fait preuve de négligence, mais il a également commis une faute lourde. De plus, s’il a signé sa déclaration en blanc, comme il indique l’avoir possiblement fait, il s’agit d’une témérité encore plus grande qui entraînerait également la qualification de « faute lourde ». L’appelant est donc à juste titre assujetti aux pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[61]         Son appel est rejeté pour l’ensemble des motifs qui précèdent. L’intimée a droit à ses dépens.

         Signé à Kingston (Ontario), ce 6e jour d’octobre 2016.

« R.G. Masse »

Le juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de septembre 2017.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :    

2016 CCI 212

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-1288(IT)G

INTITULÉ :

PETER MAYNE c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 1er avril et le 24 juin 2016

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse

DATE DU JUGEMENT :

Le 6 octobre 2016

 

COMPARUTIONS :

[BLANK/EN BLANC]

 

Avocat de l’appelant :

Me Archie B. Palinka

 

Avocate de l’intimée

Me H. Annette Evans

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[BLANK/EN BLANC]

 

Pour l’appelant :

Me Archie B. Palinka

 

Cabinet :

Unifor Legal Services Plan

Oshawa (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.