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Dossier : 2014­944(IT)I

ENTRE :

M. SOUTAR DÉCOR 2000 LTD.,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Appel entendu le 26 octobre 2015 à Windsor (Ontario)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Avocat du requérant :

Me R. Bruck Easton, c.r.

Avocat de l’intimée :

Me George Boyd Aitken

 

JUGEMENT

CONFORMÉMENT aux motifs du jugement ci­joint, l’appel relatif à l’avis de cotisation portant le numéro 1534476, en date du 13 octobre 2011, relativement aux années d’imposition 2002 et 2005 du requérant, est par les présentes rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mars 2016.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock


 


Référence : 2016 CCI 62

Date : 20160314

Dossier : 2014­944(IT)I

ENTRE :

M. SOUTAR DÉCOR 2000 LTD.,

requérant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

Introduction

[1]             M. Soutar Décor 2000 Ltd. (« Soutar Co. ») engage ce recours dans le but de faire annuler un avis de cotisation en vertu de l’article 160. Le ministre a émis l’avis de cotisation le 13 octobre 2011. Le ministre allègue que, le 26 juin 2007, Ronald Soutar (« Ronald ») a effectué un transfert de 75 000 $ de la Banque Scotia à Soutar Co. À ce moment, Ronald Soutar devait au ministre les sommes de 14 828,05$ et 5 325,84 $ respectivement en impôts à verser pour les années d’imposition 2002 et 2005 (« l’impôt exigible »).

Faits et séquences des événements

[2]             D’un point de vue factuel, il n’y a guère de désaccord. Michael Soutar (« Michael »), directeur de Soutar Co. est le fils de Ronald Soutar. En 2001, Michael a lancé Soutar Co., une entreprise de peinture et de décoration. Comme la plupart des entreprises en démarrage, Soutar Co. a eu besoin de financement pour couvrir son fonds de roulement et le coût de son équipement. Il a obtenu une marge de crédit de la Banque Scotia et contracté un emprunt de capital auprès de cette institution bancaire. La Banque Scotia a exigé des garanties, non seulement de Michael, mais également de son père Ronald. La Banque Scotia a donc reçu des garanties de Ronald Soutar pour couvrir les prêts consentis à Soutar Co., une sous forme d’une garantie personnelle illimitée et l’autre sous forme d’un premier droit de gage enregistré sur la résidence de Ronald Soutar (la « garantie de 2001 »).

[3]             En 2002, Ronald Soutar a vendu sa propriété. Il en a acheté une autre de moindre valeur. Pour compenser cette diminution de la garantie, la Banque Scotia a convenu d’accepter un gage à un montant moins élevé, mais elle a également reçu un dépôt en espèces au montant 120 000 $ en guise de sûreté accessoire (le « dépôt d’un CPG »).

[4]             L’entreprise Soutar Co. était florissante. En 2004, à la suite du remboursement de l’emprunt de capital, la Banque Scotia a réduit le montant de la sûreté accessoire en espèces à 75 000 $, mais elle a également exigé la signature d’un accord hypothécaire et l’autorisation de retenir les fonds (la « garantie de 2004 »).

[5]             Ronald Soutar est décédé en février 2007. Au printemps de la même année, la Banque Scotia a exigé le remboursement des crédits accordés. La Banque Scotia n’a pas reçu le remboursement suffisamment rapidement. Le 26 juin 2007, (la « date de remboursement des prêts »), la Banque Scotia a encaissé le dépôt d’un CPG et a appliqué les 75 000 $ à la dette impayée de Soutar Co., en transférant le produit du dépôt d’un CPG à la marge de crédit en souffrance de Soutar Co. À ce moment, l’impôt impayé était en souffrance. Soutar Co. a éventuellement remboursé le solde impayé de ses prêts en souffrance à la Banque Scotia. Le ministre affirme que le remboursement des prêts de Soutar Co. totalisant 75 000 $ à la date de remboursement des prêts constitue un transfert en vertu de l’article 160 de Ronald Soutar à Soutar Co. En conséquence, une cotisation est imposée à Soutar Co. en vertu de l’article 160, en tant que destinataire du transfert de sommes d’argent par Ronald Soutar, auteur du transfert et débiteur fiscal.

La loi en général

[6]             Dans une affaire qui fait autorité en la matière, Livingston c. Sa Majesté la Reine, 2008, CAF 89, au paragraphe 9, le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale écrit :

[9] …que les quatre critères suivants doivent être remplis pour que soit déclenchée l’application du paragraphe 160(1) :

1) Il doit y avoir eu transfert de biens;

2) Il faut que l’auteur et le bénéficiaire du transfert aient un lien de dépendance;

3) Le bénéficiaire du transfert ne doit pas avoir donné de contrepartie à l’auteur du transfert ou doit lui avoir donné une contrepartie insuffisante (je ferai remarquer ici que le juge de première instance a écrit : [traduction] « L’auteur du transfert ne doit pas avoir donné de contrepartie au bénéficiaire du transfert ou doit lui avoir donné une contrepartie insuffisante « [non souligné dans l’original] : c’est là une citation erronée de la définition du critère applicable formulée dans l’arrêt Raphael c. Canada 2002 CAF 23);

4) Il faut que l’auteur du transfert soit tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment du transfert.

Question en litige

[7]             Les critères 2 et 3 ont été établis. Par conséquent, la question qui se pose est de savoir s’il y a eu un transfert de biens au moment où Ronald Soutar avait des impôts impayés. Les deux parties reconnaissent qu’il y a eu un transfert. Cependant, elles ne s’entendent pas sur le moment où ce transfert a eu lieu : avant ou après la création de la dette fiscale. Le requérant soutient que le transfert a été effectué en 2001, au moment où la garantie de 2001 a été accordée. L’intimée soutient que ce transfert a eu lieu en 2007, à la date de remboursement des prêts. La date est pertinente pour une raison bien claire et facile à comprendre : en 2002, Ronald Soutar, l’auteur du transfert, n’avait pas de dette fiscale, tandis qu’en 2007, il en avait une.

[8]             La Cour est donc appelée à déterminer à quel moment précis a eu lieu le transfert de biens au sens de l’article 160. Pour plus de précision, en supposant qu’un transfert au sens de l’article 160 a bel et bien eu lieu, est­ce que celui­ci a été effectué en 2001, au moment où la garantie de 2001 était en vigueur, en 2002 pendant que le CPG était donné en dépôt, en 2004 au moment de la garantie de 2004, ou en 2007 à la date de remboursement des prêts?

Analyse

a)     Transfert en 2001

[9]             Les « biens » au sens de l’article 160 doivent être identifiables. Les deux parties ont identifié, quoiqu’à des périodes différentes, les biens donnés en garantie à la Banque Scotia par Ronald Soutar. Ces biens, selon la date, étaient détenus, hypothéqués, cédés ou convertis par un tiers, à savoir la Banque Scotia, pour son propre bénéfice et conjointement pour le requérant. L’avocat du requérant soutient que les biens qui ont été cédés incluent la garantie initiale et l’hypothèque accordée en 2001 à la Banque Scotia en guise de sûreté accessoire pour les prêts par la Banque Scotia à Soutar Co. L’avocat du requérant affirme que le transfert a été effectué en 2001. Comme il est mentionné ci­dessus, ce transfert a été effectué avant la création de la dette fiscale.

[10]        La Cour juge qu’il n’y a pas eu de transfert de biens en 2001. Une garantie est une dette éventuelle et le reste jusqu’à ce que son remboursement soit exigé. L’hypothèque accessoire, qui en soi est une charge, contractée à la Banque Scotia en 2001 ne constitue pas un transfert de biens à Soutar Co. En droit, cette hypothèque ne constituait ni un transfert à la banque, ni même une hypothèque au sens juridique traditionnel. En vertu de la Loi portant sur la réforme de l’enregistrement immobilier, L.R.O. 1990, ch. L.4, les charges en vertu de Loi sur l’enregistrement des droits immobiliers n’ont aucune portée sur les biens­fonds :

6.  1) La charge n’a pas pour effet de céder à son titulaire le domaine légal du bien­fonds.

Par conséquent, aucun transfert n’a eu lieu au moment de la garantie consentie en 2001.

b)    Si le transfert n’a pas eu lieu en 2001, à quel moment a­t­il eu lieu?

[11]        Le bon sens voudrait qu’il ait eu lieu à la fin de la période en litige, soit à la date du remboursement des prêts le 27 juin 2007. À cette date, il existe un rapprochement complet, du moins en ce qui concerne la comptabilité. La Banque Scotia a encaissé le CPG donné en dépôt qu’elle avait en sa possession. L’ayant converti en argent, elle a crédité le compte de Soutar Décor et, par la suite, elle s’est remboursée. Ces trois transferts de fonds, qui n’ont pris que quelques secondes et quelques clics de souris, ont ensemble permis cette conversion, ce crédit et cette compensation. En l’absence d’un examen plus approfondi, en fait, en cette seule journée (sans doute en quelques secondes) a eu lieu un transfert de l’auteur d’un transfert ayant une dette fiscale à un créditeur, mais tout d’abord par le biais d’un transfert à un destinataire sans lien de dépendance. À la fin, le destinataire du transfert, Soutar Co., a bénéficié pleinement du produit du dépôt du CPG qui a servi à rembourser son prêt à la Banque Scotia.

[12]        Le requérant, par la voix de son avocat, n’a pas contesté cette séquence des faits, y compris le bénéfice quantifiable qu’il a tiré du processus, c’est­à­dire le remboursement d’une dette de 75 000 $ qu’il avait envers la Banque Scotia. Outre ce bénéfice le requérant affirme que le remboursement du prêt a été possible en raison du transfert antérieur de biens : l’hypothèque accessoire en 2001 et la garantie connexe modifiée en 2002 et en 2004. Même si la Cour rejette l’argument principal voulant que la garantie et la charge accessoire constituaient un transfert de biens, une analyse plus approfondie du CPG donné en dépôt dans le cadre de la garantie de 2002, puis de nouveau en 2004, s’impose. Dans le cas présent et le délai en cause, cette analyse est nécessaire parce que la dette fiscale ne subsiste pas de manière uniforme entre 2002 et la date de remboursement des prêts.

[13]        Par conséquent, qu’est­ce qui a été transféré, à qui et par qui en 2002, en 2004 et en 2007 respectivement, en supposant qu’un transfert a effectivement été effectué. Cette analyse est nécessaire parce que l’article 160 ne donne pas de définition du terme « transfert »; cependant, pour que cet article soit impliqué, il faut absolument qu’il y ait eu un transfert par l’auteur d’un transfert.

c)     But de l’article 160

[14]        Le but exprès communément accepté de l’article 160 et les faits dans la présente instance s’opposent et se recoupent. Le but de l’article 160 est précisé dans Livingston, au paragraphe 18, qui lui­même fait référence à Medland c. Sa Majesté la Reine, 98 DTC 6358 (CAF). La Cour d’appel fédérale déclare : « Il n’est pas contesté que la politique fiscale qui sous­tend le paragraphe 160(1), ou son objet et son esprit consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû ». Ronald Soutar, unilatéralement, Michael Soutar et Soutar Décor, conjointement, n’ont rien fait de la sorte. En fait, Ronald Soutar a donné le CPG en dépôt à la Banque Scotia avant la création de la dette fiscale. Et il n’a rien fait d’autre après 2004. Soutar Décor n’a rien fait non plus. Seule la Banque Scotia a fait quelque chose. Comment l’expliquer?

d)    Biens et transfert

[15]        En common law, la propriété de biens constitue un concept à multiples facettes. Par conséquent, un transfert de biens n’est pas simple non plus. Comme la propriété sous­tend le contrôle, la possession, la gestion et la jouissance, un transfert peut également, à différentes étapes, inclure la cession de l’un de ces éléments.

[16]        Dans de nombreuses instances, la présente Cour et d’autres cours, principalement dans les provinces qui appliquent la common law, éprouvent des difficultés en ce qui concerne le concept de propriété de biens à multiples facettes et le présumé transfert de celle­ci. Il en va de même pour les instances intentées en vertu de l’alinéa 160(1). Celles­ci se sont présentées dans plusieurs contextes.

[17]        Les paiements à une banque ou par l’intermédiaire d’une banque, qui revêtent la forme d’un transfert entre l’auteur d’un transfert et le destinataire d’un transfert, impliquent néanmoins l’article 160 de la Loi parce que la banque est considérée comme un simple conduit : Medland c. Sa Majesté la Reine, 98 DTC 6358, paragraphe 20. Une garantie et un titre donné en gage à une banque ne constituent pas un transfert, parce que le titre donné en gage demeure la propriété du garant : Linke c. Sa Majesté la Reine, [1992] T.C.J. no 669, paragraphes 3 et 5. Jusqu’à ce qu’une garantie soit exigée et que le gage soit converti, la garantie reste une dette éventuelle dont le remboursement n’est pas exigé. MacLeod c. Sa Majesté la Reine, 2012 CCI 379, paragraphe 17. Après le dépôt de 2007 porté au compte du destinataire du transfert, le compte de banque de Soutar Décor, Soutar Décor en a reçu ensuite la pleine propriété véritable. Cela constitue à la fois le moment et la consommation du transfert : MacLeod, paragraphes 19 et 20. C’est à ce moment de la saisie, de la réalisation et du paiement du produit du dépôt du CPG que la pleine propriété est conférée. En ce qui concerne l’intention de Ronald Soutar ou de Soutar Décor relativement au délai, aux actions ou à l’effet, l’article 160 est clair : l’intention n’a aucune importance sauf pour juger de l’adéquation de la contrepartie. Wannan c. Canada, 2003 CAF 423, paragraphe 3. Par ailleurs, Soutar Décor ne conteste pas le fait que l’entreprise a bénéficié du dépôt du CPG ou de son encaissement.

[18]        À la date de remboursement des prêts, en juin 2007, la Banque Scotia, parce qu’elle en avait la possession, a géré et contrôlé irrévocablement le CPG donné en dépôt et a transféré le produit du CPG à Soutar Décor et, à la fin, le crédit de ce produit même. Ronald Soutar avait progressivement cédé à la Banque Scotia le pouvoir, l’autorité et le droit, en 2001, en 2002 et en 2004, période au cours de laquelle la garantie a été, tour à tour, accordée, substituée et amendée, mais non transférée légalement à Soutar Décor jusqu’à la date du remboursement des prêts.

Conclusion

[19]        Il ne fait aucun doute que Soutar Décor a touché le produit complet du bien à la date de remboursement des prêts. L’entreprise l’a reçu en raison du pouvoir et de l’autorité exécutoire que détenait exclusivement la Banque Scotia, et non pas de Ronald Soutar ou de sa succession. En fait, la Banque Scotia n’était un « simple » conduit à court terme ou un dépositaire, contrairement aux faits dans certains précédents : Medland. Cette situation constitue une cause de consternation pour la Cour, car les motifs de l’auteur du transfert ne correspondent pas à l’explication du but de l’article 160 : Livingston, paragraphe 18, lui­même citant Raphael c. Sa Majesté la Reine, 2000 DTC 2434, paragraphe 19.

[20]        Toutefois, à la fin, Soutar Décor pouvait tirer un bénéfice clair, en dépit de l’absence d’une intention de la part de Ronald Soutar ou de Soutar Décor, de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû. Comment l’expliquer? Lorsque la Banque Scotia a fixé les conditions rattachées au prêt, il n’y avait pas de dette fiscale. De même, il n’était pas nécessaire qu’il y ait un bénéfice pour le destinataire d’un transfert lorsqu’un acte de l’auteur d’un transfert tente délibérément de faire échec à la capacité de perception d’une dette fiscale. La Cour est d’avis que le libellé clair de l’article 160 est en cause dans la présente instance. En outre, l’existence d’un avantage matériel quantifiable conféré au destinataire d’un transfert au moment dudit transfert, lequel exige que le requérant­destinataire du transfert s’acquitte alors de sa dette fiscale envers le ministre, et en raison de ce transfert, constitue une conciliation équitable.

[21]        Pour cette raison, l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mars 2016.

« R.S. Bocock »

Juge Bocock


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 62

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014­944(IT)I

INTITULÉ :

M. SOUTAR DÉCOR 2000 LTD., c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Windsor (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 octobre 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 14 mars 2016

COMPARUTIONS :

Avocat du requérant :

Me R. Bruck Easton, c.r.

Avocat de l’intimée :

Me George Boyd Aitken

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour le requérant :

Nom :

Me R. Bruck Easton, c.r.

 

Cabinet :

Belowus Easton English

100, avenue Ouellette, 7e étage

Windsor (ON)

N9A 6T3

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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