Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Dossier : 2012-1765(GST)G

 

ENTRE :

 

MARINE ATLANTIQUE S.C.C.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 9 septembre 2015, à Vancouver (Colombie-Britannique).

Devant : L’honorable juge K. Lyons

 Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Kimberley L.D. Cook

Avocat de l’intimée :

Me Tokunbo Omisade

 

ORDONNANCE

La requête présentée par l’intimée en vue de lier l’appelante à l’entente, d’empêcher l’appelante de soulever une question et de radier certaines parties de l’avis d’appel est rejetée.

 

La requête présentée par l’intimée en vue de radier certaines pièces de l’affidavit déposé dans le cadre de cette requête à l’appui de la thèse de l’appelante est accueillie en partie, mais rejetée autrement.

 

Aucuns dépens ne seront adjugés dans le cadre de la présente requête.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de février 2016.

« K. Lyons »

Juge Lyons

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de janvier 2017.

 

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2016 CCI 46

Date : 20160216

Dossier : 2012-1765(GST)G

 

ENTRE :

MARINE ATLANTIQUE S.C.C.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

La juge Lyons

[1]             Marine Atlantique S.S.C. (« Marine Atlantique »), l’appelante, offre des services de traversier commerciaux annuels et saisonniers pour les passagers et les véhicules sur deux liaisons entre Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse. Le service de traversier pour le transport de passagers et de véhicules est une fourniture exonérée aux fins de la taxe de vente harmonisée. Les activités commerciales à bord des traversiers, comme l’exploitation de magasins de souvenirs ou de restaurants, sont des fournitures taxables. Dans ses déclarations de biens et de services pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) pour les périodes de déclaration du 1er janvier 2006 au 31 janvier 2006, du 1er février 2006 au 31 mars 2008 et du 1er avril 2008 au 31 mars 2010, Marine Atlantique avait demandé des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant consommé ou utilisé par ces traversiers. Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de Marine Atlantique pour ces périodes de déclarations et a établi des avis de cotisation qui ont annulé les crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant. Marine Atlantique a interjeté appel de ces cotisations en 2012.

[2]             Marine Atlantique estime que le carburant consommé constitue un intrant mixte entre les activités taxables et les fournitures exonérées puisqu’une partie des traversiers était réservée à ces activités. L’intimée estime que le carburant consommé pour propulser les traversiers est utilisé exclusivement pour effectuer des fournitures exonérées.

[3]             En 2013, Marine Atlantique a demandé que son appel soit suspendu jusqu’à ce que soient entendus deux appels de British Columbia Ferry Services Inc. (« BCF »). L’intimé en a convenu.[1] La demande de suspension a été déposée au motif que trois questions en litige dans le cadre de l’appel de BCF étaient considérées comme communes à l’appel de Marine Atlantique, y compris la question de savoir si le carburant constitue un intrant mixte entre les activités taxables et les fournitures exonérées.[2] Fait à remarquer, BCF et Marine Atlantique avaient retenu les services de la même avocate pour leurs appels respectifs. Marine Atlantique et l’intimée ont convenu d’être liées par la décision rendue dans le cadre de l’appel de BCF en ce qui a trait aux questions communes (l’« entente »).

[4]             La Cour a rendu sa décision relative à l’appel de BCF (« la décision concernant BCF ») le 14 octobre 2014. En décembre 2014, Marine Atlantique a informé l’intimée qu’elle estimait que la décision concernant BCF ne réglait pas entièrement la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant en ce qui concerne son appel, particulièrement en raison des aveux faits par BCF, et que Marine Atlantique ne ferait pas, lesquels ont été la pierre angulaire de la conclusion tirée par la Cour et de certains autres commentaires.[3]

[5]             L’intimée a déposé un avis de requête modifié (la « requête ») en vue d’obtenir une ordonnance visant à lier Marine Atlantique à l’entente, à lui interdire de mettre en avant la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, à radier les parties correspondantes de l’avis d’appel et à fixer les dépens avocat-client. À l’audience, l’intimée avait également demandé que certaines pièces liées à l’affidavit déposé à l’appui de la thèse de Marine Atlantique soient écartées et considérées comme non pertinentes ou sujettes au privilège relatif aux règlements.[4]

[6]             Marine Atlantique a présenté d’amples observations, les principales étant détaillées dans les présents motifs. Elle interprète l’entente comme étant contraignante en ce qui concerne les questions communes aux deux appels, et estime qu’il est loisible à l’une ou l’autre des parties de se prononcer sur le fond de toute question non commune aux deux appels ou non résolue dans le cadre de la décision concernant BCF. Plus particulièrement, Marine Atlantique soutient que la décision concernant BCF n’a pas résolu la question de savoir si le carburant constitue un intrant mixte lorsqu’un pourcentage inconnu ou inférieur à 90 % du carburant est utilisé dans le cadre d’une activité exonérée (« question non résolue »). Marine Atlantique souhaite faire valoir sa demande, telle qu’elle l’a présentée, selon laquelle le carburant constitue un intrant mixte lorsque plus de 10 % du carburant consommé par les traversiers est utilisé dans le cadre d’activités commerciales, ce qui lui donnerait droit à des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant.

I. Contexte de la requête

[7]             Afin de comprendre les questions en litige dans le cadre de la présente requête, il est utile d’expliquer le contexte de l’appel de BCF. De manière semblable à Marine Atlantique, BCF offre des services de traversiers le long de la côte de la Colombie-Britannique ainsi que des services commerciaux ou accessoires.[5] Les services commerciaux ou accessoires ne sont pas considérés comme directement liés aux services de transport. Dans le cadre des appels de BCF, le ministre du Revenu national a contesté la façon dont BCF avait réparti les intrants entre ses fournitures taxables et ses fournitures exonérées ainsi que les crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant que BCF avait demandés.[6]

[8]             Le 22 juillet 2013, les avocats de l’intimée ont envoyé aux avocats de BCF une version provisoire de la demande d’aveux no 1 contenant certains faits. L’un des avocats de BCF a répondu [TRADUCTION] « J’accuse réception de la version provisoire de votre demande d’aveux no 1 et je confirme le libellé du texte. »[7]

[9]             Dans l’exposé conjoint des faits, daté du 22 mai 2014, BCF a admis les faits ci-dessous, lesquels sont pratiquement identiques à ceux rapportés dans la version provisoire de la demande d’aveux no 1 :[8]


          [TRADUCTION]

a)      le carburant qui a été consommé à bord des navires l’a été presque en totalité pour la propulsion;

b)      BCF n’est pas en mesure de prouver selon la prépondérance des probabilités que plus de 10 % du carburant qui a été consommé à bord des navires a été consommé directement dans la réalisation d’activités commerciales;

c)      BCF ne contestera pas l’hypothèse du ministre selon laquelle moins de 10 % du carburant consommé à bord de l’un ou l’autre des navires l’a été directement dans la réalisation d’activités commerciales sur celui-ci.

[10]        Lors du procès de BCF, l’intimée a soutenu que le carburant constituait un intrant à vocation unique, consommé presque en totalité pour la propulsion des traversiers et que, par conséquent, il concerne la prestation de fournitures exonérées. BCF a fait valoir que le carburant était un intrant mixte utilisé pour offrir à la fois des fournitures taxables et des fournitures exonérées. Par conséquent, elle était admissible à des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant.[9]

[11]        Dans le cadre de la décision concernant BCF, la Cour a conclu que, en ce qui a trait à la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, le carburant consommé pour propulser les traversiers était utilisé exclusivement pour des activités exonérées; par conséquent, BCF n’aura pas le droit de demander de crédits à ce titre.[10] Cette conclusion était basée sur le fait que BCF avait admis être incapable de prouver que plus de 10 % du carburant avait été utilisé directement dans la réalisation d’activités commerciales et que plus de 90 % (« la presque totalité ») du carburant utilisé à bord des traversiers a servi à la propulsion de ceux-ci.

[12]        En mai 2013, Marine Atlantique a présenté à la Cour une demande de prolongation de 30 jours pour permettre aux parties de s’entendre et pour déposer une demande officielle de mise en suspens de son appel. La Cour a accepté la demande de mise en suspens le 16 juillet 2013.[11]

[13]    L’entente visant à mettre en suspens l’appel de Marine Atlantique et de lier Marine Atlantique par la décision rendue dans le cadre de l’appel de BCF a été déposée par l’avocate de Marine Atlantique et acceptée par l’avocat de l’intimée le 4 juillet 2013.[12]

II. Analyse

[14]        La principale différence dans les thèses des deux parties est de savoir si la décision concernant BCF règle entièrement, comme le prétend l’intimée, ou partiellement, comme le prétend Marine Atlantique, la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant dans l’appel de Marine Atlantique.[13]

[15]        Aux termes de l’entente, Marine Atlantique accepte que la décision concernant BCF ait force exécutoire sur le volet de la question commune où plus de 90 % du carburant est utilisé dans le cadre d’une activité exonérée, et elle ne fera pas valoir qu’elle a droit à des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant se rapportant à ce volet. Toutefois, l’autre volet de la question commune, à savoir lorsque moins de 90 % du carburant est utilisé dans le cadre d’une activité exonérée, demeure toujours non résolu étant donné qu’il ne s’agit plus d’une question commune eu égard aux faits admis. De plus, la Cour a fait remarquer que BCF aurait eu droit à une partie des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, n’eussent été les faits admis.[14] Pour ces motifs, Marine Atlantique soutient qu’elle n’a pas manqué à l’entente. Par conséquent, Marine Atlantique estime qu’elle devrait être autorisée à continuer de faire valoir ses arguments concernant la question non résolue, et elle fait valoir que le carburant constitue un intrant mixte lorsque plus de 10 % du carburant consommé par les traversiers est utilisé dans le cadre d’activités commerciales.

Principes juridiques régissant l’interprétation contractuelle

[16]        La Cour doit déterminer le contenu de l’entente entre les parties visant à mettre en suspens l’appel de Marine Atlantique en vue de déterminer si Marine Atlantique a manqué à l’entente. La Cour suprême du Canada s’exprime comme suit : « Le principe fondamental d’interprétation applicable […] veut qu’une clause contractuelle ne doive pas être considérée isolément mais en harmonie avec les autres et à la lumière de son objet et du contexte commercial dans lequel elle s’inscrit. »[15] Un contrat est constitué du contexte d’un texte lu dans son ensemble et des circonstances donnant lieu au document. L’intention contractuelle des parties est définie par les mots utilisés lors de la rédaction du document, lesquels peuvent être lus à la lumière des circonstances (c.-à-d. une preuve objective du contexte factuel au moment de la signature du contrat) au moment de la conclusion du contrat.[16] Cependant, la preuve de l’intention subjective d’une partie n’occupe aucune place indépendante dans l’interprétation contractuelle.[17]

L’entente

[17]        L’entente est contenue dans deux lettres que se sont échangés les avocats et datées respectivement du 21 juin 2013 et du 4 juillet 2013.

[18]        En examinant le libellé de l’entente et les circonstances de celle-ci, je conclus que les parties avaient l’intention d’être liées par la décision rendue dans le cadre de l’appel de BCF en ce qui a trait des trois questions communes aux appels. Le texte de la lettre de Marine Atlantique envoyée à l’intimée, datée du 21 juin 2013, renferme ce qui suit :

          [TRADUCTION]

Pour faire suite à nos discussions concernant la mise en suspens de la question susmentionnée jusqu’à ce que l’appel soit tranché par la Cour dans la décision British Columbia Ferry Services inc. c. La Reine, dossiers 2008-1600(GST)G et 2008-2621(GST)G (l’« affaire BCF »), la présente lettre a pour but de vous informer par écrit des questions visées par l’appel en l’espèce que Marine Atlantique SCC (« MASCC ») est prête à accepter comme résolues suivant la décision rendue dans l’affaire BCF [c.-à-d. l’appel de BCF].

MASCC convient par la présente d’être liée par la décision rendue dans l’affaire BCF en ce qui a trait aux trois questions suivantes qui sont aussi en litige dans le présent appel :

[…]

3.         la question de savoir si le carburant consommé pour propulser un navire est utilisé à la fois pour des activités taxables et exonérées ou exclusivement pour des activités exonérées.

[19]        Sans évoquer les trois questions comme étant « communes », l’intimée consent à la mise en suspens de l’appel et accepte, dans sa lettre datée du 4 juillet 2013 envoyée Marine Atlantique, que les trois questions, telles qu’elles sont décrites dans la lettre datée du 21 juin 2013, soient assujetties à la décision relative aux appels de BCF. La lettre renferme ce qui suit :

          [TRADUCTION]

Je renvoie à votre lettre datée du 21 juin 2013 […] ainsi qu’à nos conversations téléphoniques du 3 juillet 2013.

Je vous écris pour confirmer que l’intimée accepte que l’appel ci-dessus soit mis en suspens en attendant la décision de la Cour canadienne de l’impôt relative à l’appel de British Columbia Ferries Services Inc., 2008-1600(GST)G (l’« affaire BCFS »), à condition que la requérante accepte d’être liée par la décision de ladite cour dans l’affaire BCFS en ce qui a trait aux trois questions mentionnées dans votre lettre datée du 21 juin 2013. […]

[20]        Étant donné que la lettre ne fournit que peu de renseignements contextuels, il est nécessaire d’examiner les circonstances afin de trancher la question de l’intention des parties. Bien que la preuve d’une intention subjective d’une partie contractante ne doive pas être prise en considération, les communications peuvent être prises en considération dans le cadre du contexte factuel et des circonstances.

Questions de crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant communes aux deux appels

[21]        L’intimée soutient que Marine Atlantique a accepté d’être liée par la décision rendue dans le cadre de l’appel de BCF en ce qui a trait aux questions communes formulées dans la lettre datée du 21 juin 2013. Marine Atlantique fait valoir qu’elle a accepté d’être liée par la décision rendue dans le cadre de l’appel de BCF en ce qui a trait aux questions communes dans la mesure où ces questions étaient communes aux deux appels.

[22]        Nombre de documents de mai 2013 confirment que le but de la mise en suspens était de permettre la conclusion de l’appel de BCF, dont l’instance était à un stade plus avancé, avec lequel l’appel de Marine Atlantiques a trois questions en commun.[18] Cela concorde avec la lettre datée du 21 juin 2013 selon laquelle Marine Atlantique [TRADUCTION] « convient […] d’être liée par la décision rendue dans l’affaire BCF en ce qui a trait aux trois questions suivantes qui sont aussi en litige dans le présent appel ».

[23]        L’exposé de la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant dans les avis d’appel de BCF et de Marine Atlantique est remarquablement semblable.[19] Il y a cependant quelques variations dans la formulation de la question en litige dans l’avis d’appel de Marine Atlantique par rapport à la formulation choisie par les parties dans l’entente. Les actes de procédure décrivent la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant comme suit :

          [TRADUCTION]

a) à savoir si le carburant constitue un intrant mixte, c.-à-d. un intrant constituant à la fois une fourniture taxable et une fourniture exonérée [affaire BCF, avis d’appel modifié, alinéa 34b)];

b) à savoir si le carburant constitue un intrant qui est commun pour les fournitures taxables et les fournitures exonérées [affaire Marine Atlantique, avis d’appel, alinéa 37b)];

c) [à savoir si] l’appelante avait droit de demander des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant utilisé pour la propulsion [affaire Marine Atlantique, réponse, alinéa 18b)]

[24]        Le 16 mai 2013, Marine Atlantique a présenté à la Cour une demande en vue d’obtenir plus de temps pour permettre aux parties de parvenir à une entente visant à mettre en suspens l’appel de Marine Atlantique. La demande indique ce qui suit [TRADUCTION] : « Cette demande est présentée en raison de questions clés dans l’affaire BCF qui sont communes à l’affaire Marine Atlantique. L’avocat adverse m’a informé tard hier que sa cliente est disposée à une mise en suspens pourvu que Marine Atlantique accepte, par écrit, d’être liée par la décision rendue dans l’affaire BCF en ce qui a trait aux questions communes. Cela nous oblige à trouver un terrain d’entente et à formuler les questions qui sont communes aux deux instances ». Il semble que les parties avaient déjà défini les questions « communes » avant la demande, probablement à partir des actes de procédure ou des discussions qui ont mené à l’entente. Les parties ont tout de même demandé du temps pour formuler les questions communes. Ces trois questions sont formulées dans la lettre datée du 21 juin 2013 (« formulation »).

[25]        Plus particulièrement, la formulation de la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant dans la lettre du 21 juin 2013 diffère de celle des questions énoncées dans l’avis d’appel et la réponse dans l’appel de Marine Atlantique. Il est possible que cette formulation fût une tentative de fusionner les questions comme il a été mentionné dans ces actes de procédure. Cependant, les éléments descriptifs des questions dans l’avis d’appel modifié déposé dans le cadre de l’appel de BCF et de l’avis d’appel déposé dans l’appel de Marine Atlantique sont pratiquement les mêmes et sont communs aux deux appels. Malgré les quelques variations dans la rédaction entre la formulation circonscrite et l’avis d’appel, je conclus que la formulation est nécessairement subsumée sous l’énoncé des questions en litige formulé de façon plus générale dans l’avis d’appel; par conséquent, au moment de conclure l’entente, les parties reconnaissaient que la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant était une question commune aux deux appels.

Question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant circonscrite par les faits admis

[26]        L’argumentation de Marine Atlantique est que la décision concernant BCF ne règle qu’une partie de la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant qui est demeurée une question commune aux deux appels. Marine Atlantique affirme qu’après l’entente, la question commune a été circonscrite par les faits admis, de sorte que l’autre partie de la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant n’était plus commune aux deux appels. Étant donné que Marine Atlantique n’admettra pas les mêmes faits, elle a l’intention de poursuivre la question non résolue, tel qu’elle l’a énoncé dans ses actes de procédure (c.-à-d. de savoir si le carburant est un intrant mixte tant pour les fournitures taxables que les fournitures exonérées). Plus particulièrement, Marine Atlantique souhaite poursuivre la question de savoir si le carburant – et non seulement le carburant utilisé pour la propulsion des traversiers – constitue un intrant mixte à la fois pour les fournitures taxables et les fournitures exonérées lorsqu’un pourcentage inconnu ou inférieur à 90 % du carburant est utilisé dans le cadre d’activités exonérées.

[27]        L’intimée soutient que l’argument de Marine Atlantique relatif aux faits admis n’est pas recevable étant donné que BCF avait fait valoir, malgré les faits admis, que le carburant constituait un intrant mixte consommé dans le cadre d’activités taxables et d’activités exonérées, et qu’elle avait droit à des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant du fait que certains espaces à bord des traversiers étaient utilisés pour des activités commerciales ou accessoires. Puisque la Cour a examiné et rejeté cet argument, les crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant sont demeurés une question commune aux deux appels et entièrement résolue par la décision.

[28]        Il faut reconnaître qu’il s’agit d’un argument présenté par BCF. Toutefois, les faits admis après coup auraient eu une incidence sur ce que les parties avaient précédemment accepté relativement aux crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, faisant en sorte qu’une partie des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant ne constitue plus une question commune aux deux appels.

[29]        Les documents échangés entre les parties après la présentation des actes de procédure, mais avant de conclure l’entente, montrent que les parties envisageaient de réduire la portée du litige dans la sélection des questions retenues, de sorte que l’appel de BCF permettrait de [TRADUCTION] « régler bon nombre des questions » dans l’appel de Marine Atlantique. Or, elles ont également évoqué la possibilité, une fois une décision rendue relative à l’appel de BCF, de tenter d’en arriver à un règlement en ce qui concerne le reste des questions ou de procéder à l’étape du litige.[20]

[30]        Si l’on fait abstraction des faits admis, il est concevable que, sans le vouloir, les variations dans la rédaction aient ajouté ou donné lieu à la confusion entre les parties sur ce que constitue la question commune à la fin du compte. Dans ce contexte, je doute que la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, telle qu’elle a été présentée dans les actes de procédure, ait été intégralement abordée.

La décision concernant BCF

[31]        En parvenant à sa décision, la juge Campbell s’est appuyée sur les faits admis et a fait remarquer que la disposition déterminative au paragraphe 141(3) de la Loi sur la taxe d’accise dispose que la consommation ou l’utilisation d’un bien ou d’un service sera réputée se faire en totalité dans le cadre d’une activité particulière si elle se fait presque en totalité (90 %) dans ce cadre. Elle conclut qu’il « est impératif d’établir si BCF a acquis et consommé le carburant et les lubrifiants « presque en totalité » pour effectuer uniquement une fourniture exonérée ou pour effectuer tant des fournitures taxables que des fournitures exonérées ».[21] Par conséquent, le paragraphe 141(3) de la Loi sur la taxe d’accise s’applique de manière à présumer que tout le carburant est utilisé exclusivement dans le cadre d’une activité exonérée, ce qui signifie que BCF n’avait pas droit aux crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant.

[32]        BCF a soutenu qu’elle [TRADUCTION] « avait droit aux crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, car le carburant est nécessaire non seulement pour propulser les portions du navire utilisées exclusivement à des fins de fournitures exonérées, mais le navire dans son ensemble, ce qui comprend les portions de celui-ci utilisées pour des activités taxables à l’égard de la TPS. »[22] Le carburant contribue directement et indirectement à la prestation de fournitures taxables ou aux services accessoires pour fournir l’électricité, le chauffage et autres éléments.

[33]        La juge Campbell semble accepter que le carburant consommé par les traversiers puisse être un intrant mixte à la fois pour les fournitures taxables et les fournitures exonérées, mais elle était limitée par les faits admis.[23]

[34]        Je considère comme plausible la position de Marine Atlantique voulant que l’autre partie de la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant ne soit plus une question commune en raison des répercussions (c.-à-d. la circonscription de la question commune initiale) des faits admis après la conclusion de l’entente, laissant la question non résolue, tel que je l’ai mentionné auparavant. Je suis d’avis que cette interprétation est compatible avec la portée de l’énoncé des questions en litige dans les actes de procédure. Par conséquent, je doute que la décision concernant BCF règle entièrement la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant dans l’appel de Marine Atlantique.

[35]        Malgré ma conclusion selon laquelle la décision concernant BCF ne règle pas entièrement la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, je répondrai aux arguments relatifs à la mesure de redressement recherchée à des fins d’exhaustivité.

III. Redressement

Compétence

[36]        Dans sa requête, l’intimée, qui ne renvoie à aucune disposition de la Loi sur la taxe d’accise ou des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) [les « Règles »], demande d’obtenir une ordonnance [TRADUCTION] « que l’appelante est liée par l’entente selon laquelle le carburant consommé pour la propulsion des navires (traversiers) est utilisé exclusivement pour des activités exonérées ». L’intimée soutient que Marine Atlantique devrait être liée par les dispositions claires de l’entente de façon à ce qu’elles soient interprétées comme des dispositions qui ne donnent aucun droit à Marine Atlantique de faire valoir sa demande relative à la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, car cette question a été entièrement résolue par suite de la décision rendue.

[37]        Marine Atlantique fait valoir l’argument, contesté par l’intimée lors de l’audience, selon lequel l’intimée cherche à obtenir une ordonnance déclaratoire ou un recours équivalent à l’exécution en nature, même si la Cour n’a pas compétence pour accorder un tel recours. Marine Atlantique s’appuie sur les décisions Garber c. Canada, 2005 CCI 635, 2005 D.T.C. 1456 [décision Garber] et Huppe c. Canada, 2010 CCI 644, 2011 D.T.C. 1042 [décision Huppe] comme des cas révélateurs du fait que de tels recours ne sont pas offerts au moment de statuer sur un appel.[24]

[38]    En vertu de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, la Cour a compétence exclusive, en première instance, pour statuer sur les appels selon les cotisations établies conformément à la LIR et à la Loi sur la taxe d’accise.[25] En vertu du paragraphe 309(1) de la Loi sur la taxe d’accise, disposition équivalente au paragraphe 171(1) de la LIR, la Cour peut statuer sur un appel concernant une cotisation en le rejetant ou en l’accueillant. Dans ce dernier cas, elle peut annuler la cotisation ou la renvoyer au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.[26] Dans la décision Frank M. Smith, exécuteur testamentaire de la succession de feu Lillian Lamash c. M.R.N., C.C.I., no 88-902(IT), 19 octobre 1990, [1990] 2 C.T.C. 2534, 91 D.T.C. 9 (CCI), le juge en chef adjoint Christie a indiqué que la compétence de la Cour se limite à ce qui lui est conféré expressément par le législateur et à ce qui se déduit nécessairement de ce qui lui est conféré expressément.[27]

[39]    Même si la décision concernant BCF avait entièrement résolu la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, je refuserais d’accorder une ordonnance visant à lier l’appelante à l’entente, car il est bien établi qu’il est interdit à la Cour de rendre une ordonnance déclaratoire ou d’accorder le recours reconnu en equity demandé dans de telles circonstances.

Compétence inhérente pour contrôler sa propre procédure

[40]        En réponse, l’intimée a précisé que sa demande visant à lier Marine Atlantique à l’entente est fondée sur la compétence inhérente que peut exercer la Cour pour contrôler sa procédure. L’intimée a fait valoir que la demande de suspension de Marine Atlantique a été déposée et accueillie par la Cour selon le fait que la décision concernant BCF viendrait résoudre les questions en litige dans l’affaire Marine Atlantique.

[41]        Dans l’arrêt Garber, la Cour d’appel fédérale indique que la « Cour canadienne de l’impôt possède la compétence pour appliquer ses propres règles, insister sur le respect de normes d’équité et prévenir l’abus de sa procédure ». Le juge en chef Bowman (tel était alors son titre) a convenu que la Cour a la compétence inhérente de contrôler ses propres procédures, mais il a déterminé qu’elle ne vise pas les négociations visant à en venir à un règlement à l’extérieur d’une conférence préparatoire.[28] La Cour d’appel fédérale a maintenu cette décision.[29]

[42]        Une déclaration que Marine Atlantique est liée par l’entente ne peut être justifiée que si la compétence inhérente de la Cour de contrôler sa propre procédure comprend une entente conclue entre les parties pour mettre un appel en suspens.

[43]        Dans l’arrêt Webster c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 442, 2003 D.T.C. 5729 (CAF) [arrêt Webster], le juge Rothstein (tel était alors son titre) a déclaré qu’une entente visant à mettre en suspens une objection ou un appel en vertu du paragraphe 225.1(5) de la LIR n’est pas une « entente par laquelle le ministre et le contribuable seront nécessairement liés par le jugement rendu dans l’autre action. Le contribuable n’est pas empêché d’introduire une procédure d’appel ou de continuer une telle procédure, quel que soit le jugement rendu dans l’autre action ».[30] Les commentaires du juge Rothstein révèlent qu’une suspension ne lie pas, en soi, les parties à la décision rendue dans un autre appel. L’acceptation d’être lié par une décision dans un autre appel constitue une entente conclue entre les parties, qui n’entre pas dans le cadre des procédures de la Cour.

 

[44]        De même, j’estime que la suspension accordée par la Cour ne lie pas Marine Atlantique et l’intimée à la décision concernant BCF. L’acceptation d’être lié par la décision concernant BCF concerne les parties et n’entre pas dans le cadre des procédures de la Cour. Je rejette la requête de l’intimée sur cet aspect.

 

C. Recours abusif à la procédure

Radiation des actes de procédure

[45]        L’intimée fait valoir que la conduite de Marine Atlantique lorsqu’elle a manqué à l’entente est un recours abusif à la procédure qui a « inutilement prolongé » les procédures. Par conséquent, l’intimée demande à la Cour de radier certaines parties des actes de procédure de Marine Atlantique relativement à la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant. Je rejette cette demande pour les motifs suivants.

[46]        L’article 53 des Règles donne à la Cour la capacité de radier, de son propre chef ou à la demande d’une partie, des actes de procédure, en tout ou en partie, pour certains motifs. Il incombe à l’intimée d’établir qu’un acte de procédure doit être radié. Par ailleurs, un seuil élevé doit être atteint avant de radier un acte de procédure en tout ou en partie. L’article 53 des Règles se lit comme suit :

53. (1) La Cour peut, de son propre chef ou à la demande d’une partie, radier un acte de procédure ou tout autre document ou en supprimer des passages, en tout ou en partie, avec ou sans autorisation de le modifier parce que l’acte ou le document :

a) peut compromettre ou retarder l’instruction équitable de l’appel;

b) est scandaleux, frivole ou vexatoire;

c) constitue un recours abusif à la Cour;

d) ne révèle aucun moyen raisonnable d’appel ou de contestation de l’appel.

[47]        Afin que la conduite d’une partie constitue un recours abusif à la procédure, cette dernière doit avoir refusé de collaborer ou de respecter les règles ou les ordonnances de la cour de façon à causer des retards et un préjudice. Dans l’arrêt Yacyshyn c. Canada, [1999] 1 C.T.C. 139 (CAF), la Cour d’appel fédérale a affirmé que l’ordonnance de la Cour visant à radier les actes de procédure est fondée sur la conduite de la contribuable, qui, dans ce cas, avait « entraîné des retards et causé un préjudice » équivalant à un recours abusif à la procédure.[31]

[48]        Selon le dossier, l’intimée n’a pas atteint le seuil élevé de preuve requis pour démontrer que la conduite de Marine Atlantique constitue un recours abusif à la procédure. La poursuite de la question non résolue, telle que Marine Atlantique l’a présentée dans son avis d’appel, n’indique pas le refus de collaborer ou de se conformer aux règles ou aux ordonnances de façon à causer des retards et un préjudice. Compte tenu de mes conclusions précédentes, il semble que Marine Atlantique n’a pas manqué à l’entente.

[49]        Je ne suis pas convaincue que la suspension a indûment retardé ou prolongé les procédures. La suspension a été conçue pour réduire la portée de la procédure judiciaire et résoudre trois questions, y compris celle des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant. Forcément, l’appel a dû être mis en suspens, dans tous les cas, en attendant la résolution de toutes les questions et non seulement la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant. Il semble qu’une partie de cette question a été résolue et que deux autres questions ont été entièrement résolues.

[50]        Marine Atlantique a informé l’intimée de son interprétation de la décision et de sa thèse à cet égard en décembre 2014. Par la suite, et jusqu’en mai 2015, les avocats ont échangé leurs points de vue sur les questions en suspens, ainsi que des suggestions liées à un calendrier des étapes de la procédure judiciaire. Je ne suis pas prête à conclure que Marine Atlantique a indûment  retardé et inutilement prolongé les procédures. D’ailleurs, je ne suis pas en mesure d’identifier un mépris délibéré des procédures de la Cour. Je ne suis pas convaincue que la conduite de Marine Atlantique constitue un recours abusif à la procédure selon l’article 53 des Règles. Je rejette la requête de l’intimée visant à parvenir à la conclusion qu’il y a eu recours abusif à la procédure, ce qui justifierait la radiation des actes de procédure.

Interdiction de mettre en avant la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant

[51]        L’intimée cherche à empêcher Marine Atlantique de mettre en avant [TRADUCTION] « la question de savoir si le carburant consommé pour la propulsion des navires [traversiers] est utilisé à la fois pour des activités taxables ou exclusivement pour des activités exonérées », parce que la décision concernant BCF a entièrement résolu la question en litige dans l’appel de Marine Atlantique.

[52]        Je ne suis pas d’accord avec l’argument de Marine Atlantique, selon lequel la Cour n’a pas compétence pour interdire une partie de soulever une question dans certaines circonstances. De telles requêtes sont habituellement présentées en vertu de l’article 58 des Règles et souvent pour cause de chose jugée, de préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de recours abusif à la procédure. Dans la décision Mosher c. Canada, 2013 CCI 378, 2014 D.T.C. 1026, le juge C. Miller a conclu qu’une ordonnance visant à empêcher une partie de soulever une question était essentiellement une ordonnance visant à radier les actes de procédure.

 

[53]        Tel qu’il a été mentionné précédemment, l’intimée n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour justifier sa requête visant à obtenir une ordonnance radiant des parties des actes de procédure de façon à empêcher Marine Atlantique de soulever l’autre partie de la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant. En conséquence, la requête de l’intimée visant à empêcher Marine Atlantique de mettre en avant l’autre partie de cette question est rejetée.

Les pièces

[54]        Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47, [2010] A.C.F. no 194 (CAF) [arrêt Quadrini], la Cour d’appel fédérale a déclaré que des parties d’affidavits peuvent être radiées « lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence ».[32] Un affidavit peut également être radié lorsqu’une partie « subirait manifestement un préjudice à cause de ce document ».[33]

[55]        Lors de l’audience, l’intimée a demandé que les pièces suivantes qui sont jointes à l’affidavit de Vicki Stephens, déposé à l’appui de la thèse de Marine Atlantique, soient écartées ou qu’on leur accorde peu ou pas de poids parce qu’elles ne sont pas pertinentes ou sont sujettes au privilège relatif aux règlements.

[56]        Je ne suis pas d’accord avec l’avocat de l’intimée que les pièces « A » et « B », qui rendent compte de discussions entretenues entre les avocats pour parvenir à l’entente, ne sont pas pertinentes parce que l’accord conclu entre les parties figure dans l’entente.[34] J’estime que ces pièces, qui fournissent un contexte aidant à interpréter l’entente, sont pertinentes.

[57]        Je considère la pièce « C », une lettre de l’avocate de Marine Atlantique et une copie de la version provisoire de la demande d’aveux no 1, comme étant pertinente. Elle contient virtuellement les mêmes faits admis qui ont été la pierre angulaire de la conclusion tirée dans la décision concernant BCF.

[58]        Selon moi, les pièces « G », « H » et « I », à savoir des copies des communications échangées entre les avocats en février et en mai 2015 sur le calendrier des étapes de la procédure judiciaire, sont pertinentes pour examiner la conduite de Marine Atlantique lors de ces procédures et pour déterminer si elle les a indûment retardées ou inutilement prolongées.

[59]        Je juge non pertinente la pièce « J », soit une copie d’un courriel envoyé à l’avocat de l’intimée par l’avocate de Marine Atlantique le 25 mai 2015 en ce qui concerne sa conduite lorsqu’il a présenté la requête. Marine Atlantique n’a pas indiqué l’objet de cette pièce.

[60]        Je juge non pertinente la pièce « K », une copie d’un tableau illustrant les dépenses de Marine Atlantique dans son rapport annuel de 2010-2011 qui a été présenté pour montrer que le carburant est l’une de ses plus grandes dépenses d’exploitation.

[61]        J’estime que les pièces « E » et « F », à savoir des copies d’échanges par courriel concernant les négociations quant au règlement, sont protégées par le privilège relatif aux règlements. Dans l’arrêt Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 CSC 37, [2013] 2 RCS 623 [arrêt Sable Offshore], la Cour suprême du Canada a examiné l’objectif du privilège relatif aux règlements. La juge Abella a déclaré ce qui suit au paragraphe 2 :

Le privilège relatif aux règlements vise à favoriser les règlements amiables. Ce privilège entoure d’un voile protecteur les démarches prises par les parties pour résoudre leurs différends en assurant l’irrecevabilité des communications échangées lors de ces négociations.

[62]        Comme exception au privilège relatif aux règlements, une partie doit établir qu’« un intérêt public opposé l’emporte sur l’intérêt public à favoriser le règlement amiable ».[35] Marine Atlantique n’a fourni aucun motif pour démontrer que ces pièces relèvent de l’exception selon laquelle l’intérêt public l’emporte sur la protection des pièces par le privilège relatif aux règlements.[36]

[63]        Compte tenu des motifs précédents, les pièces « E », « F », « J » et « K » sont radiées de l’affidavit déposé à l’appui de la thèse de Marine Atlantique.

Dépens avocat-client pour cette requête

[64]        Dans la décision Velcro Canada Inc. c. Canada, 2012 CCI 57, 2012 D.T.C. 1100, le juge en chef adjoint Rossiter (tel était alors son titre) a conclu que les Règles donnent à la Cour un très vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer le montant des dépens, la répartition des dépens et les personnes qui doivent les payer au moment d’envisager l’adjudication des dépens; les facteurs du paragraphe 147(3) des Règles devaient donc être examinés.

[65]        Les dépens avocat-client sont exceptionnels et sont accordés s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties.[37] De récentes décisions de la Cour ont confirmé ce critère. Elles indiquent d’ailleurs que de tels dépens sont accordés dans des circonstances flagrantes.

[66]        L’intimée réclame des dépens avocat-client, car Marine Atlantique a demandé que l’appel soit mis en suspens en attendant la décision et tente maintenant de renier l’entente qui a été conclue parce que la décision lui était défavorable. Elle soutient que Marine Atlantique a trompé la Cour et l’intimée, ce qui correspond à une « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante ». Je ne partage pas son avis. Marine Atlantique a accepté d’être liée par l’entente, à l’exception de la question non résolue. Par ailleurs, je ne crois pas qu’il est répréhensible d’interpréter la décision différemment quant à la question de savoir si elle est déterminante en ce qui concerne la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant. Dans la décision Invesco Canada Ltd. c. Canada, 2015 CCI 92, [2015] A.C.I. no 78 (QL), le fait que le point de vue de l’intimée quant à certains documents était différent de celui de l’appelante ne correspondait pas à une mauvaise conduite et ne signifiait pas que sa thèse était frivole ou vexatoire, même si la Cour l’a jugé erroné.

[67]        À mon avis, ni le dossier, ni l’intimée, n’a démontré que le comportement de Marine Atlantique est flagrant et mérite la censure par des dépens avocat-client.

[68]        À l’exception de la radiation des pièces susmentionnées, compte tenu de ce qui précède, la requête de l’intimée est rejetée.


[69]        Aucuns dépens ne seront adjugés dans le cadre de la présente requête.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de février 2016.

« K. Lyons »

Juge Lyons

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de janvier 2017.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2016 CCI 46

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-1765(GST)G

INTITULÉ :

MARINE ATLANTIQUE S.C.C. et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 septembre 2015

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge K. Lyons

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 16 février 2016

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

Me Kimberley L.D. Cook

Avocat de l’intimée :

Me Tokunbo Omisade

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Kimberley L.D. Cook

 

Cabinet :

Thorsteinssons s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



 

[1]               Affidavit de Dorena Gillis, pièces « C », « D » et « E ».

 

[2]              British Columbia Ferry Services inc. c. La Reine, dossiers 2008-1600(GST)G et 2013­4206(GST)G. Avis d’appel modifié à l’égard du dossier 2008-1600(GST)G, alinéa 34b), page 14 du dossier de requête de l’intimée.

 

[3]               Affidavit de Vicki Stephens, pièce « D ».

 

[4]              Affidavit de Vicki Stephens, pièces « A », « B », « C », « E », « F », « G », « H », « I », « J » et « K ».

 

[5]              Les services commerciaux comprennent la restauration, des barssalons spéciaux, une boutique de vente au détail, des fauteuils de massage, des distributrices, des salles de jeux électroniques, de la publicité de tiers, etc., ainsi que des services accessoires fournissant le chauffage ou l’électricité pour les services commerciaux à bord des traversiers.

 

[6]              BCF a choisi une méthode « pont par pont » considérée comme juste et raisonnable pour calculer le pourcentage de ses activités se rapportant à des fournitures taxables et exonérées afin de déterminer les crédits de taxe sur les intrants auxquels elle avait droit. Marine Atlantique a indiqué dans ses observations que la seule différence, dans les faits, est qu’elle a basé ses calculs sur les activités taxables (c.-à-d. cadeaux, restaurants, cafés, etc.).

 

[7]               Affidavit de Vicki Stephens, pièce « C ».

 

[8]               Exposé conjoint des faits, paragraphe 80 :

 

[9]              Plus précisément : a) les traversiers utilisés pour les services accessoires étaient plus gros et plus lourds et disposaient de systèmes plus complexes, faisant en sorte qu’ils consommaient plus de carburant pour fournir l’électricité, le chauffage, l’eau chaude, l’éclairage et autres infrastructures; b) la propulsion du traversier, qui exige une certaine consommation de carburant, était nécessaire pour créer un marché captif pour la prestation de ses services commerciaux.

 

[10]             Paragraphes 72 et 74 de la décision. Au paragraphe 37, la Cour a affirmé qu’il est impératif d’établir si BCF avait acquis et consommé le carburant (et les lubrifiants qui étaient aussi en cause) « presque en totalité » pour effectuer uniquement une fourniture exonérée ou pour effectuer tant des fournitures taxables que des fournitures exonérées.

 

[11]             Affidavit de Vicki Stephens, pièce « C ».

 

[12]             Affidavit de Dorena Gillis, pièces « D » et « E ».

 

[13]             Même si l’intimée a donné raison à Marine Atlantique que la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant est une question commune, elle note que dans les appels de BCF, le carburant constituait un intrant mixte utilisé afin de propulser les traversiers et de produire le chauffage et l’électricité pour les services commerciaux à bord de ceux-ci; cependant, dans l’appel de Marine Atlantique, le carburant était utilisé uniquement et directement en vue de propulser les traversiers, car les traversiers de Marine Atlantique sont équipés de génératrices séparées destinées à la production de chauffage et d’électricité pour les services commerciaux à bord de ceux-ci. Observations écrites de l’intimée, paragraphes 1 et 2.

 

[14]             Marine Atlantique renvoie au paragraphe 70 de la décision et indique que la Cour a fait des remarques incidentes dans ce sens.

 

[15]             Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), [2010] 1 RCS 69, 2010 CSC 4, paragraphe 64.

 

[16]             Ce que confirme la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., [2014] 2 RCS 633, 2014 CSC 53.

 

[17]             Ce que confirme la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 RCS 129, c.-à-d. que l’intention subjective d’une partie ne doit pas être prise en compte dans l’interprétation contractuelle.

 

[18]             Note au dossier datée du 8 mai 2013 par l’avocate de Marine Atlantique. Courriel daté du 10 mai 2013 et envoyé à l’avocat de l’intimée par l’avocate de Marine Atlantique. Courriel daté du 16 mai 2013 et envoyé au greffier par l’avocate de Marine Atlantique.

 

[19]             Les observations des parties indiquent :

 

[TRADUCTION]

a)      […] le carburant consommé pour la propulsion des traversiers étant donné que le carburant est nécessaire non seulement pour propulser les portions du navire utilisées exclusivement à des fins de fournitures exonérées, mais le navire dans son ensemble, ce qui comprend les portions de celui-ci utilisées à des fins d’activités taxables [Marine Atlantique, avis d’appel, alinéa 39b)];

 

b)      le carburant consommé pour la propulsion a été utilisé exclusivement dans le cadre de la fourniture exonérée de service de traversier pour le transport de véhicules motorisés et de passagers [Marine Atlantique, réponse, paragraphe 23].

 

[20]             Une note au dossier de l’avocate de Marine Atlantique avec un enregistrement de sa discussion avec l’avocat de l’intimée ainsi qu’un courriel envoyé à l’avocat de l’intimée par l’avocate de Marine Atlantique en mai 2013.

 

[21]             Les deux parties conviennent, à juste raison, que la conclusion de la décision signifie que Marine Atlantique n’a pas le droit de déclarer des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant lorsque plus de 90 % du carburant est utilisé dans le cadre d’un service de traversier – une activité exonérée. C’est-à-dire que le carburant consommé directement pour propulser les traversiers, si le carburant est presque en totalité utilisé à cette fin, constitue une fourniture exonérée. Marine Atlantique reconnaît que cette partie de la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant était commune aux deux appels, que la décision concernant BCF a réglé cette partie de la question des crédits de taxe sur les intrants à l’égard du carburant, et qu’elle est liée par la décision concernant BCF à cet effet.

 

[22]             Avis d’appel modifié, dossier 2008-1600(GST)G, paragraphe 38, page 15 du dossier de requête de l’intimée.

 

[23]        Aux paragraphes 69 et 70, la juge Campbell affirme ce qui suit :

         [69] BCF a soutenu qu’elle avait le droit de demander des CTI pour le carburant et les lubrifiants qui contribuent directement et indirectement à la réalisation de fournitures taxables, soit les services accessoires, en fournissant l’électricité, le chauffage, l’eau chaude, l’éclairage et d’autres éléments d’infrastructure. M. Collins a expliqué que, étant donné qu’un navire offrant ces services commerciaux consomme davantage d’énergie qu’un navire qui n’offre pas ces services, un lien d’interdépendance existe entre la consommation de carburant et les activités accessoires. Selon M. Collins, le système d’alimentation en carburant est utilisé pour toutes les activités consommant de l’énergie. Pour sa part, M. Murray a expliqué que le carburant contribue à la propulsion du navire, laquelle est essentielle pour créer un marché captif et un renouvellement élevé de la clientèle qui utilisera les services accessoires. Si le navire ne se déplaçait pas, il n’y aurait pas de clients ni de ventes.

         [70] Ces faits semblent permettre de conclure que BCF devrait avoir droit à une partie des CTI à l’égard du carburant et des lubrifiants.

 

[24]             Dans la décision Huppe, le juge Webb a décidé que la Cour, n’étant pas une cour d’équité, avait compétence pour ordonner l’exécution d’une entente de règlement négociée par les parties, car elle avait les pouvoirs précis d’ordonner les mesures de redressement prévues à l’alinéa 171(1)b) de la LIR (en accueillant l’appel et en modifiant la cotisation ou en la déférant au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation), pourvu que l’appelant puisse établir qu’une entente avait été conclue. Marine Atlantique a fait la distinction entre la décision précitée et la décision Garber parce que, dans le dernier cas, la partie innocente a accepté la répudiation en poursuivant les négociations en vue de conclure un règlement.

 

[25]             Dans un appel interjeté en vertu de la LIR ou de la Loi sur la taxe d’accise, la Cour décide de l’exactitude du montant de l’impôt ou du montant net d’impôt, de la cotisation du ministre et de la validité de cette cotisation. La Cour peut également entendre des appels sur des questions découlant d’autres lois précisées et déterminer les renvois à ces lois ou à la LIR et à la Loi sur la taxe d’accise.

 

[26]             Dans la décision Whitford c. Canada, 2008 CCI 359, 2008 G.T.C. 638, le juge Webb a fait remarquer que les observations s’appliquaient également aux deux dispositions.

 

[27]             Dans la décision Persaud c. Sa Majesté la Reine, 2013 CCI 405, 2014 D.T.C. 1031, lorsqu’elle a rejeté la demande de confirmation de la validité de l’avis d’opposition du contribuable, la juge Woods a déclaré que la Cour n’avait pas compétence pour rendre un jugement déclaratoire.

 

[28]        Les appelants avaient sollicité une ordonnance radiant la réponse déposée par la Couronne ou, subsidiairement, une ordonnance accueillant les appels et annulant les nouvelles cotisations. En présentant la requête, les appelants ont allégué que la Couronne avait abusé de la procédure de la Cour lorsqu’elle a désavoué le règlement. Le juge en chef Bowman a déclaré ce qui suit au paragraphe 33 :

[33] Lorsque des négociations visant à en venir à un règlement ont lieu à l’extérieur du cadre de la conférence préparatoire à l’audience (comme c’est le cas en l’espèce), cette cour n’a aucun pouvoir pour obliger les parties à se comporter de manière raisonnable ou à négocier de bonne foi. Une partie peut s’engager dans la négociation d’une entente dans un esprit de contradiction, d’entêtement et de franche hargne ou refuser absolument de négocier, et il n’y a rien que la Cour puisse faire, si ce n’est peut-être, après l’audition de l’affaire, tenir compte dans l’adjudication des dépens, en vertu de l’article 147 des Règles, d’une offre de règlement présentée par une des parties.

[29]             Garber c. Canada, 2006 CAF 177, 2006 D.T.C. 6358.

 

[30]             Arrêt Webster (précité), au paragraphe 9. Le paragraphe 221.1(5) de la LIR concerne la capacité du ministre à prendre des mesures de recouvrement dans le contexte de la suspension qui est accordée lorsque les questions sont les mêmes ou sensiblement les mêmes.

 

[31]             La contribuable s’était « délibérément dérobée à ses obligations concernant la communication des éléments sur lesquels elle comptait d’appuyer » et ne s’est pas présentée à plusieurs interrogatoires préalables malgré l’ordonnance rendue par la Cour, selon laquelle les interrogatoires devaient être terminés avant une date précise. Dans l’arrêt Merchant c. Canada, 2001 CAF 19, 2001 D.T.C. 5245 (CAF), le contribuable a refusé de se conformer à l’ordonnance de divulgation de la Cour et a prétendu qu’il n’était pas obligé de collaborer avec l’Agence du revenu du Canada (ARC). Le contribuable « a rendu impossible le déroulement efficace et ordonné de l’enquête préalable [...] au point [où l’ARC était] incapable de vérifier de façon régulière et efficace le bien-fondé [de ses] prétentions ». La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il avait prolongé indûment et inutilement l’audience. Dans la décision Rusnak c. Canada, 2000 D.T.C. 2267, le contribuable ne s’est pas conformé à deux ordonnances judiciaires, a évité les communications avec l’intimé, ne s’est pas présenté aux interrogatoires préalables, a demandé un ajournement pour trouver un nouvel avocat, n’a fait aucun effort pour trouver un nouvel avocat et ne s’est pas présenté à l’audience de la requête déposée par l’intimé pour rejeter son appel. La Cour a déterminé que les actes du contribuable étaient [TRADUCTION] « délibérés » et constituaient un recours abusif à la procédure de la Cour.

 

[32]             Arrêt Quadrini (précité), au paragraphe 18.

 

[33]             Tempo Marble & Granite Ltd. c. Mecklenburg 1 (Navire), 2002 CFPI 1190, au paragraphe 2, [2002] A.C.F. no1605 (QL).

 

[34]             La pièce « A » est une copie de la Note au dossier de l’avocate de Marine Atlantique datée du 8 mai 2013 qui rend compte de discussions avec l’avocat de l’intimée. La pièce « B » est une copie d’un courriel envoyé à l’avocat de l’intimée par l’avocate de Marine Atlantique le 10 mai 2013.

 

[35]             Arrêt Sable Offshore (précité), au paragraphe 19.

 

[36]             La pièce « E » est un document faisant état des discussions quant au règlement entre l’avocate de Marine Atlantique et le conseiller juridique de l’entreprise d’une part et l’avocat de l’intimée d’autre part. La pièce « F » est une communication envoyée par l’avocate de Marine Atlantique à l’avocat de l’intimée pour rejeter l’offre de règlement de cette dernière.

 

[37]             Young c. Young, [1993] 4 RCS 3.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.