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Dossier : 2012-3770(IT)G

Entre :

SANJEEV KHATTAR,

appelant,

et

Sa Majesté la reine,

intimée.

[Traduction française officielle]

 

Appel entendu le 15 octobre 2015, à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Jan Jensen

JUGEMENT

Pour les motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2008 est rejeté.

L’intimée a droit aux dépens.

Signé à Kingston (Ontario), ce 22e jour de décembre 2015.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d’octobre 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2015 CCI 338

Date : 20151222

Dossier : 2012-3770(IT)G

Entre :

SANJEEV KHATTAR,

appelant,

et

Sa Majesté la reine,

intimée.

[Traduction française officielle]


motifs du jugement

Le juge suppléant Masse

Aperçu

[1]             Sanjeev Khattar interjette appel de la pénalité pour faute lourde qui lui a été imposée en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), concernant son année d’imposition 2008 et la demande connexe de report rétrospectif d’une perte aux années d’imposition 2005, 2006 et 2007. Un spécialiste en déclarations de revenus qu’il ne connaissait pas auparavant, Muntaz Rasool, lui a fait croire qu’il pouvait obtenir des remboursements d’impôt plus élevés qu’à l’habitude. Lorsqu’il a préparé la déclaration de revenus de l’appelant, M. Rasool a déclaré de très importantes pertes d’entreprise fictives, bien que l’appelant n’avait jamais détenu ou exploité quelque entreprise que ce soit. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a refusé la déduction des pertes et imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. La présente affaire vise uniquement les pénalités imposées.

[2]             La Cour doit se prononcer sur la question de savoir si l’appelant a sciemment, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés dans sa déclaration ou y a acquiescé de manière à entraîner les lourdes pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi.

Le contexte factuel

[3]             L’appelant, Sanjeev Khattar, est âgé de 44 ans et réside à Brampton, en Ontario. Il a fréquenté l’école en Inde et, après un programme d’études de quatre ans, il a obtenu un diplôme d’outilleur‑ajusteur en 1989. Il a travaillé pour différentes sociétés d’ingénierie en Inde jusqu’en 2002, année où il est arrivé au Canada. Il travaille maintenant pour une société dont la raison sociale est StackTeck Systems Ltd. comme concepteur de produits. Cette société d’ingénierie fabrique des moules à injection. Depuis son arrivée au Canada, il a toujours fait préparer ses déclarations de revenus par divers professionnels. Son rôle s’est limité à signer et à envoyer ses déclarations à l’ARC. Il n’a jamais rempli lui-même ses propres déclarations parce que, soutient‑il, il ne connaît pas le système fiscal et il ne comprend pas les questions fiscales.

[4]             Dans son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il cherchait une personne pour préparer sa déclaration de 2008 parce que la personne qui avait préparé sa déclaration l’année précédente avait déménagé dans une autre ville. Un collègue de travail l’a recommandé à une personne nommée Muntaz Rasool qui préparait supposément les déclarations du collègue depuis les trois ou quatre dernières années de même que les déclarations du père du collègue depuis les 20 dernières années. L’appelant a téléphoné à M. Rasool pour prendre rendez-vous dans un café afin de mieux le connaître. M. Rasool lui a dit qu’il exerçait ses activités à la maison. Il recourait à des abris fiscaux ou à des stratagèmes fiscaux qui permettraient à l’appelant d’obtenir le maximum d’avantages. M. Rasool ne lui a jamais expliqué le fonctionnement exact de ces stratagèmes d’abris fiscaux. L’appelant indique toutefois dans son témoignage qu’étant donné le travail que M. Rasool accomplissait pour son collègue et le père de ce dernier, il n’avait aucune raison de ne pas lui faire confiance. Il a tout simplement accepté l’affirmation de M. Rasool selon laquelle il maximiserait son remboursement d’impôt. L’appelant a fourni à M. Rasool tous les renseignements demandés et lui a demandé de remplir sa déclaration. Auparavant, l’appelant payait un montant se situant entre 40 $ et 100 $ à la personne qui remplissait ses déclarations de revenus. M. Rasool demandait 40 p. 100 de tout remboursement qu’obtiendrait l’appelant. L’appelant a demandé à M. Rasool la raison pour laquelle il exigeait des honoraires si élevés et M. Rasool lui a répondu que c’était parce qu’il obtiendrait pour l’appelant l’avantage maximum et qu’il ne perdrait rien.

[5]             Quelque temps plus tard, M. Rasool s’est rendu à la résidence de l’appelant vers environ 22 heures avec la déclaration remplie qu’il lui a demandé de signer aux endroits indiqués. M. Rasool était pressé de repartir. Il ne faisait que tourner les pages, indiquant à l’appelant où il devait signer. L’appelant ne connaissait rien à propos des formulaires et il ne savait pas ce qu’il devait rechercher et il a donc signé la déclaration comme il l’avait fait dans les années antérieures. L’appelant convient que le mot « per » [« par »] apparaît tout juste devant sa signature. Il n’a pas écrit le mot « per » et il ne sait pas pourquoi il se trouve là. M. Rasool lui a dit que le mot « per » devait se trouver sur la ligne de signature, mais n’en a pas expliqué la raison. Lorsque l’appelant a signé sa déclaration, il n’a pas cherché à voir le montant de son remboursement. Pourtant, le montant du remboursement est clairement indiqué sur la page où il a signé sa déclaration. Il reconnaît que la ligne 490 de la déclaration réservée à l’identification du spécialiste en déclarations de revenus n’était pas remplie, mais son regard ne s’est pas porté sur cela lorsqu’il a signé la déclaration. Il a vu les chiffres sur la déclaration, mais n’a pas compris la méthode de calcul pour en arriver à ces chiffres. Il a demandé à M. Rasool la façon dont ces chiffres avaient été établis. M. Rasool lui a uniquement répondu qu’il se fondait sur les renseignements que l’appelant lui avait fournis. L’appelant soutient qu’il n’a pas vu la ligne 135 qui indiquait son revenu d’entreprise. Il n’a pas remarqué la demande de report rétrospectif d’une perte, bien qu’il ait signé ce document. Il reconnaît avoir lu l’attestation apparaissant au-dessus de sa signature selon laquelle les renseignements contenus dans la déclaration étaient complets et exacts. Mais il n’a toutefois pas vérifié que les renseignements étaient complets et exacts. Il déclare simplement qu’il a toujours fait confiance au jugement du spécialiste en déclarations de revenus et qu’il signait simplement à l’endroit où on lui indiquait de le faire et produisait la déclaration.

[6]             La déclaration de revenus de 2008 de l’appelant et la demande connexe de report rétrospectif d’une perte aux années d’imposition 2005, 2006 et 2007 se trouvent à la pièce R-1, onglet 3 et onglet 4. Si l’appelant s’était donné la peine de porter la moindre attention à ces documents, il aurait décelé certains renseignements manifestement faux. Dans sa déclaration, l’appelant a déclaré un revenu d’entreprise reçu en qualité de [traduction] « mandataire » dont le total s’élève à 63 893,70 $. Il a demandé la déduction de dépenses d’entreprise totalisant 195 969,70 $ représentant le [traduction] « montant au mandant en contrepartie du travail ». Cela a donné lieu à des pertes d’entreprise nettes s’élevant à 188 619,10 $. Des précisions sont fournies dans la déclaration des activités de mandataire (pièce R ‑1, onglet 1). L’appelant a demandé de déduire 56 543,10 $ des pertes d’entreprise de 2008 de son revenu pour l’année d’imposition 2008 et a demandé que le solde inutilisé de 132 076 $ soit reporté rétrospectivement à ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007. Selon Lorraine DuPont, vérificatrice principale au bureau à l’ARC, si le total des pertes d’entreprise dont la déduction était demandée avait été accepté, le revenu imposable de l’appelant de 2005 à 2008 aurait été zéro, un résultat stupéfiant.

[7]             Il est incontesté que, tout au long de la période en cause en l’espèce, l’appelant n’a jamais été propriétaire d’une entreprise ni n’en a exploité une. Il n’a pas non plus reçu un revenu d’entreprise quel qu’il soit et encore moins engagé des dépenses s’élevant à près de 196 000 $. Il n’a jamais subi de pertes d’entreprise. Ces renseignements sont manifestement faux et n’ont aucun fondement factuel.

[8]             Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a tout d’abord établi une cotisation à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 2008 en fonction de la déclaration produite. L’appelant a reçu un remboursement d’environ 12 000 $, de même qu’un crédit d’impôt pour enfants d’environ 3 500 $. Ce remboursement était élevé en comparaison des années antérieures. Dans le passé, il n’avait jamais reçu plus de 2 000 $ environ.

[9]             Le 13 novembre 2009, l’ARC a envoyé une lettre à l’appelant mettant en doute la demande de déduction des pertes d’entreprise pour l’année d’imposition 2008 et la demande de report rétrospectif d’une perte (pièce R-1, onglet 5). Dans cette lettre, l’ARC lui demandait de remplir un questionnaire sur l’entreprise, de fournir l’identité de son spécialiste en déclarations de revenus, de fournir tous les documents originaux à l’appui de la demande de déduction des dépenses d’entreprise, ainsi que tous les renseignements à l’appui de son allégation portant qu’il exploitait une entreprise, comme le certificat d’enregistrement de l’entreprise. Cette demande péremptoire a soulevé quelques signaux d’alarme concernant le caractère approprié de ce qu’il avait fait à l’égard de l’année 2008. L’appelant était confus et contrarié, car il n’avait jamais détenu ni exploité d’entreprise d’aucune sorte pendant la période en cause. Il n’a cependant pas répondu à cette lettre et il n’a jamais transmis les renseignements demandés concernant les dépenses d’entreprise. En effet, il ne le pouvait pas, puisque ces renseignements n’existaient pas. L’appelant a plutôt envoyé cette lettre à M. Rasool à qui il a demandé la raison pour laquelle l’ARC mettait en doute sa déclaration. M. Rasool lui a répondu qu’il s’agissait tout simplement d’une procédure normale et a indiqué qu’il rédigerait une réponse que l’appelant devrait signer et envoyer à l’ARC et la question serait réglée. M. Rasool a bel et bien rédigé une réponse pour la signature de l’appelant (pièce R ‑1, onglet 2). Cette réponse mentionne le [traduction] « monde fantaisiste des sociétés qui existe à l’heure actuelle dans un pays communément appelé le Canada » et indique que [traduction] « [c]omme personne physique douée du libre arbitre, je ne suis pas une “personne” au Canada » et [traduction] « SANJEEV KHATTAR est une entité fictive dénuée d’un corps physique et d’un esprit ». L’appelant n’a pas signé cette réponse, puisqu’elle lui semblait absurde. Il l’a cependant quand même envoyée à l’ARC.

[10]        L’ARC a envoyé une autre lettre le 24 août 2010 (pièce R ‑1, onglet 6) demandant des renseignements concernant les dépenses d’entreprise de l’appelant et l’informant également de la possibilité de pénalités importantes imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. Cette fois encore, l’appelant n’a pas communiqué directement avec l’ARC. Il est plutôt retourné voir M. Rasool, malgré le fait que, à ce moment-là, il ne devait y avoir aucun doute dans l’esprit de l’appelant que M. Rasool n’était rien de plus qu’un arnaqueur. Cette fois encore, M. Rasool a rédigé une réponse (pièce R ‑1, onglet 7) qui était encore plus absurde que la première. Cette deuxième réponse mentionnait que l’appelant avait le [traduction] « statut d’esclave » et indiquait qu’un [traduction] « esclave n’a pas la capacité de conclure un contrat avec le propriétaire d’esclaves ». L’appelant a signé cette lettre et l’a envoyée à l’ARC. Il a imploré M. Rasool de bien vouloir parler à l’ARC et de régler le problème. L’appelant a souligné que la réponse était tout à fait illogique et a demandé ce que tout cela signifiait. M. Rasool a tout simplement répondu en disant [traduction] « [f]aites‑moi confiance, signez‑la et envoyez‑la » (transcription, à la page 23). Ce comportement de la part de l’appelant défie toute logique et est nettement contraire à ses intérêts. L’appelant a indiqué dans son témoignage qu’il avait l’impression qu’il n’avait d’autre choix que de s’en remettre à M. Rasool pour obtenir de l’aide, parce que ce dernier était celui qui avait préparé la déclaration et en connaissait le contenu. L’appelant a déclaré qu’il craignait d’être arrêté ou que ses biens soient saisis.

[11]        Le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant, rejeté les pertes d’entreprise et imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi, d’où l’appel devant la Cour.

Les dispositions législatives

[12]        Le paragraphe 163(2) de la Loi est en partie rédigé ainsi :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [...]

[13]        Selon le paragraphe 163(3), le fardeau d’établir les faits justifiant l’imposition de la pénalité incombe au ministre.

Analyse

[14]        Comme on l’a souvent déclaré, notre système d’imposition est à la fois un système d’autodéclaration et d’autocotisation. Il repose sur l’honnêteté et l’intégrité de chaque contribuable. Le contribuable est tenu de déclarer son revenu imposable en entier et avec exactitude, peu importe qui remplit la déclaration. Par conséquent, le contribuable doit être vigilant et veiller à ce que les renseignements contenus dans la déclaration soient complets et exacts. Dans la décision Northview Apartments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2009 CF 74, le juge Martineau a déclaré ce qui suit au paragraphe 11 : « Le régime fiscal repose sur l’autocotisation et l’autodéclaration, dont sont responsables les contribuables envers l’ARC. »

[15]        Dans l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, les juges Iacobucci et Major de la Cour suprême du Canada ont saisi l’occasion pour expliquer les responsabilités et les obligations qui incombaient aux contribuables et ont aussi discuté de certaines mesures que contient la Loi pour en favoriser l’observation :

49 Toute personne résidant au Canada au cours d’une année d’imposition donnée est tenue de payer un impôt sur son revenu imposable, calculé selon les règles prescrites par la Loi (LIR, art. 2 […]). Le processus de perception des impôts repose principalement sur l’autocotisation et l’autodéclaration : tous les contribuables sont tenus d’estimer le montant de leur impôt annuel payable (art. 151) et d’en informer l’ADRC dans la déclaration de revenu qu’ils sont tenus de produire (par. 150(1)). […] Dès qu’il reçoit la déclaration de revenu d’un contribuable, le ministre l’examine « avec diligence », fixe le montant de l’impôt à payer ou celui du remboursement et envoie au contribuable un avis de cotisation à cet effet (par. 152(1) et (2)). Sous réserve de certaines restrictions, le ministre peut par la suite établir une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt du contribuable pour une année d’imposition (par. 152(4)).

50 Bien que l’observation volontaire de la loi et l’autocotisation constituent les éléments essentiels du régime réglementaire de la LIR, le système fiscal est doté de [traduction] « mécanismes de persuasion visant à inciter les contribuables à déclarer leurs revenus » […] Par exemple, pour favoriser l’aspect d’autodéclaration du régime, l’art. 162 de la LIR établit des peines pécuniaires pour les personnes qui omettent de produire leur déclaration de revenu. De même, pour inciter le contribuable à faire preuve de minutie et d’exactitude dans le cadre de l’autocotisation, l’art. 163 de la Loi prévoit le même type de pénalités pour les personnes qui omettent de façon répétée de déclarer un montant à inclure, qui sont complices d’un faux énoncé ou d’une omission ou qui commettent une faute lourde à cet égard.

51 Il découle des caractéristiques fondamentales de l’autocotisation et de l’autodéclaration que le succès de l’application du régime fiscal repose avant tout sur la franchise du contribuable. Comme le juge Cory l’a affirmé dans l’arrêt Knox Contracting, précité, p. 350 : « Le système d’imposition dépend entièrement de l’intégrité du contribuable qui déclare et évalue son revenu. Pour que le système fonctionne, les déclarations doivent être remplies honnêtement ». Il n’est donc pas étonnant que la Loi tente de restreindre le risque qu’un contribuable essaie de « tirer profit du régime d’autodéclaration pour tenter d’éviter de payer sa pleine part du fardeau fiscal en violant les règles énoncées dans la Loi » [...]

[Non souligné dans l’original. Références omises.]

[16]        L’article 163 de la Loi prévoit des pénalités pour veiller à l’intégrité de notre système d’autocotisation et d’autodéclaration ainsi que pour inciter un contribuable à faire preuve de minutie et d’exactitude lorsqu’il remplit ou fait remplir sa déclaration. Dans la décision Sbrollini c. La Reine, 2015 CCI 178, le juge Boyle de la Cour a déclaré que les dispositions en matière de pénalités énoncées au paragraphe 163(2) de la Loi renvoyaient à ce qui suit :

15 [...] l’importance des exigences d’honnêteté et de fidélité requises dans le cadre du régime fiscal canadien d’autodéclaration des revenus. C’est par souci d’équité envers tous les contribuables que de telles pénalités sont prescrites à l’égard de ces personnes […] qui chercheraient à tirer profit de notre régime d’autodéclaration [...]

16 De telles pénalités sont dûment payables [...] si [un contribuable] a délibérément, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés ou des omissions dans ses déclarations, ou y participe, y consent ou y acquiesce.

[17]        Par conséquent, la question de savoir si un contribuable devrait être assujetti à des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi devrait être examinée sous l’angle des responsabilités et des obligations du contribuable de déclarer son revenu en entier et avec exactitude dans un système d’autodéclaration et d’autocotisation.

[18]        Pour qu’une personne soit passible des pénalités prévues au paragraphe 163(2), il faut prouver deux éléments :

a)       elle doit avoir fait un faux énoncé dans une déclaration;

b)      elle doit avoir, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé, y avoir consenti ou y avoir acquiescé.

[19]        Il ne fait pas de doute que la déclaration de revenus de 2008 de l’appelant et sa demande de report rétrospectif d’une perte contenaient de faux énoncés. Au cours de cette année d’imposition, l’appelant n’a jamais détenu ni exploité d’entreprise quelle qu’elle soit et, par conséquent, il lui aurait été impossible d’avoir de revenus d’entreprise ou de dépenses d’entreprise. Sa demande de déduction de pertes d’entreprise n’a aucun fondement factuel et est manifestement fausse.

[20]        L’appelant a déclaré dans son témoignage qu’il avait vu les chiffres dans la déclaration, mais qu’il n’avait pas compris la façon dont ils avaient été calculés. Il a demandé à M. Rasool de lui expliquer comment ils avaient été établis et M. Rasool lui a dit qu’ils étaient fondés sur les renseignements que l’appelant lui avait fournis. Je conclus que cette explication est invraisemblable. Ailleurs dans son témoignage, l’appelant déclare qu’il n’a tout simplement pas examiné sa déclaration, puisque M. Rasool ne faisait que tourner les pages et lui indiquait où signer, car il était pressé. Si l’appelant a véritablement vu les chiffres, il a dû savoir à ce moment-là qu’ils étaient faux, et cet élément à lui seul est suffisant pour justifier la conclusion selon laquelle les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) sont appropriées. Toutefois, même si l’appelant ne savait pas que sa déclaration contenait de faux renseignements, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a fait, dans des circonstances équivalant à faute lourde, une fausse déclaration ou y a acquiescé.

[21]        La négligence est définie comme le défaut d’agir avec le soin dont aurait fait preuve une personne prudente et raisonnable dans une situation semblable. La notion de négligence est si bien connue dans la jurisprudence anglo-canadienne qu’il n’est pas nécessaire de la citer à l’égard de cette définition. La faute lourde exige cependant quelque chose de plus que la simple négligence. La faute lourde doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi (voir la décision Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (QL). Dans la décision Farm Business Consultants Inc. c. Canada, [1994] A.C.I. no 760 (QL), le juge Bowman (tel était alors son titre) de la Cour canadienne de l’impôt a déclaré au paragraphe 23 que l’expression « faute lourde » au paragraphe 163(2) sous-entend une conduite caractérisée par un degré de faute à ce point élevé qu’il frise l’insouciance. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s’attendrait dans les situations où l’on cherche à établir le bien-fondé d’allégations moins sérieuses (paragraphe 28).

[22]        Il est également bien établi en droit que la faute lourde peut inclure l’« ignorance volontaire », une notion bien connue en droit pénal. La notion de l’« ignorance volontaire » dans le contexte du droit pénal a été expliquée en détail par le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128. Selon la règle, si une partie a des soupçons, mais ensuite omet délibérément de se renseigner davantage parce qu’elle désire demeurer dans l’ignorance, elle est réputée être au courant. En d’autres termes, l’ignorance volontaire se produit lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité. Elle préfère rester dans l’ignorance. Il existe un soupçon, que le défendeur a délibérément omis de transformer en connaissance certaine. On exprime fréquemment cette situation en disant d’une personne qu’elle « s’est fermé les yeux » à l’égard du fait, ou qu’elle a fait preuve d’« ignorance volontaire ».

[23]        Il a été jugé que la notion d’ignorance volontaire [ou d’« aveuglement volontaire »] s’appliquait aux affaires fiscales (voir les arrêts Canada c. Villeneuve, 2004 CAF 20, et Panini c. Canada, 2006 CAF 224). Dans l’arrêt Panini, le juge Nadon a clairement indiqué que la notion de l’« aveuglement volontaire » était incluse dans la « faute lourde » dans le sens où cette expression est utilisée au paragraphe 163(2) de la Loi. Il a déclaré ce qui suit :

43 [...] [L]e droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commanderaient ou lui imposeraient de s’enquérir de sa situation fiscale, refuse ou néglige de le faire sans raison valable.

[24]        Il a été statué que, pour établir la distinction entre la faute « ordinaire » ou la négligence et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs :

a)       l’importance de l’omission relative au revenu déclaré;

b)      la faculté du contribuable de découvrir l’erreur;

c)       le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente;

d)      l’effort réel de se conformer à la loi.

Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qui lui convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve (voir la décision DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, au paragraphe 11; la décision Bhatti c. La Reine, 2013 CCI 143, au paragraphe 24; la décision McLeod c. La Reine, 2013 CCI 228, au paragraphe 14).

[25]        Dans la décision Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, le juge C. Miller a examiné en profondeur la jurisprudence concernant les pénalités pour faute lourde imposées au titre du paragraphe 163(2) de la Loi. Ce faisant, il a été en mesure de dégager les principes directeurs à appliquer. Je reproduis ici ses remarques incidentes qui se trouvent au paragraphe 65 :

a)         La connaissance d’un faux énoncé peut être déduite d’un aveuglement volontaire.

b)         La notion d’aveuglement volontaire peut être appliquée aux pénalités pour faute lourde prévues par le paragraphe 163(2) de la Loi. […]

c)         Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

d)         Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

e)         Les facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration, ou faisant apparaître « des feux rouges clairs » […] comprennent ce qui suit :

i)          l’importance de l’avantage ou de l’omission;

ii)         le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii)        l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

iv)        les demandes inusitées du spécialiste;

v)         le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

vi)        les explications inintelligibles du spécialiste;

vii)       le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

f)         Le dernier critère de l’aveuglement volontaire est le fait que le contribuable ne s’enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

[26]        Cette liste n’est certes pas exhaustive et il peut être nécessaire de prendre en compte plusieurs autres facteurs selon les circonstances d’une affaire particulière. Toutefois, je suis d’avis que le juge C. Miller offre un modèle utile qui peut être utilisé dans l’analyse d’affaires comme celle en cause. Dans une telle analyse, il est évident que certains facteurs se chevauchent et sont liés.

L’instruction et l’expérience du contribuable

[27]        L’appelant est une personne intelligente et instruite qui a réussi à devenir un outilleur-ajusteur après un programme d’études de quatre ans. Ce métier exige une compréhension des mathématiques, des principes de la conception, des notions d’ingénierie ainsi qu’une appréciation de la précision et des tolérances serrées. Il est au Canada depuis 13 ans et il a connu du succès dans le domaine de travail qu’il a choisi, ayant atteint le poste de concepteur de produits dans l’entreprise de son employeur. L’appelant soutient qu’il manque de connaissances en ce qui a trait à des sujets comme la préparation de déclarations de revenus et qu’il est incapable d’accomplir une tâche aussi complexe que cela. Il a pourtant été en mesure d’apprendre par lui-même la façon de rédiger des actes de procédure devant la Cour. En effet, il a rédigé un avis d’appel modifié d’apparence professionnelle en s’appuyant sur des précédents qu’il a obtenus tout au long du processus du présent appel. Cette rédaction témoigne de sa capacité à se renseigner sur des sujets importants et à réagir en conséquence. Cela va à l’encontre de l’argument qu’il est incapable d’accomplir des tâches complexes. Il est un homme intelligent qui ne manque pas tant d’instruction ou de compréhension des notions comme celles des affaires au point d’invoquer l’ignorance. L’instruction, l’expérience et l’intelligence ne sont pas des facteurs qui pourraient soustraire l’appelant à une conclusion selon laquelle il a fait de faux énoncés dans des circonstances équivalant à faute lourde.

Les soupçons ou la nécessité de s’informer

[28]        Il y avait de nombreux signes avant-coureurs qui auraient dû éveiller les soupçons de l’appelant et susciter en lui la nécessité de s’informer plus en profondeur.


Signes avant-coureurs

Les honoraires

[29]        Dans le passé, l’appelant a payé à son spécialiste en déclarations de revenus des honoraires variant de 40 $ à 100 $. M. Rasool a demandé des honoraires conditionnels correspondant à 40 p. 100 du montant de tous les remboursements reçus. De tels honoraires étaient tellement hors de l’ordinaire qu’ils auraient dû mener l’appelant à mettre en doute la légitimité de son spécialiste en déclarations de revenus.

L’importance de l’avantage

[30]        L’appelant a déclaré qu’il ne connaissait pas le montant du remboursement à recevoir. Je conclus que cette affirmation est invraisemblable, puisque le montant du remboursement apparaît à droite, tout juste au-dessus de la ligne de signature sur la dernière page de la déclaration. Il aurait vu le remboursement en un coup d’œil. En outre, il y a lieu de souligner que M. Rasool avait promis de maximiser le montant du remboursement de l’appelant. Il est parfaitement compréhensible que l’appelant ait souhaité connaître le montant réel du remboursement. Je rejette la prétention de l’appelant portant qu’il ne connaissait pas le montant du remboursement auquel il pouvait s’attendre. Dans les faits, le montant du remboursement s’élevait à 12 000 $, plus un crédit d’impôt pour enfants d’environ 3 500 $. Il s’agit d’un remboursement important si l’on considère que, dans le passé, il n’a jamais obtenu de remboursement de plus de 2 000 $. Si l’ARC avait accepté la déduction totale des pertes d’entreprise dans la déclaration de 2008 et la demande de report rétrospectif d’une perte, l’appelant n’aurait payé aucun impôt pour la période s’étalant de 2005 à 2008. L’importance de l’avantage que l’appelant devait recevoir par suite des faux renseignements contenus dans sa déclaration était un signal rouge clair qui aurait dû éveiller ses soupçons et l’inciter à se renseigner davantage. Ce facteur semble indiquer que l’appelant a fait preuve d’aveuglement volontaire.

Le caractère flagrant du faux énoncé — la facilité à le déceler

[31]        L’appelant a déclaré un revenu d’entreprise d’environ 64 000 $ et demandé la déduction d’énormes dépenses d’entreprise de près de 196 000 $, donnant lieu à des pertes d’entreprise nettes de plus de 188 000 $, alors que dans les faits il n’exploitait pas une entreprise. Ces renseignements sont manifestement faux. Par surcroît, si l’appelant avait simplement jeté un coup d’œil à sa déclaration, plutôt que de simplement la signer, il aurait facilement décelé les faux renseignements. Il s’agit là d’un facteur évident donnant à penser que l’appelant a commis une faute lourde.

Le spécialiste en déclarations de revenus ne reconnaît pas avoir préparé la déclaration

[32]        M. Rasool n’a pas rempli dans la déclaration la case qui est réservée à l’identification du spécialiste en déclarations de revenus qui a établi celle-ci. Cette case sur la dernière page de la déclaration est à la ligne 490 de la déclaration, tout juste à côté de la ligne où doit signer l’appelant attestant que les renseignements sont exacts et complets. La case appelée « Pour les professionnels de l’impôt seulement » apparaît clairement au contribuable qui signe la déclaration et il aurait dû la voir. Le fait que la ligne 490 a été laissée vide aurait dû attirer l’attention de l’appelant sur le fait que le spécialiste en déclarations de revenus pouvait souhaiter demeurer anonyme à l’égard de l’ARC. Cet élément peut ne pas être majeur, mais ajouté à tous les autres signaux d’alarme, il aurait dû éveiller des soupçons dans l’esprit de l’appelant.

Exigences inusitées du spécialiste en déclarations de revenus

[33]        Le mot « per » [« par »] était inscrit à la main sur la ligne de signature juste devant l’endroit où l’appelant devait signer. Il est tellement évident qu’il doit l’avoir vu. L’appelant n’a jamais su la raison pour laquelle le mot « per » se trouvait sur la ligne de signature, pas plus qu’il n’a mis en doute cette exigence singulière. Cette exigence étrange, bien qu’elle ne soit pas un facteur important, aurait dû éveiller les soupçons de l’appelant lorsqu’elle est prise en compte avec tous les autres facteurs.

Le spécialiste en déclarations de revenus était auparavant inconnu du contribuable

[34]        M. Rasool était auparavant inconnu du contribuable. M. Rasool n’avait pas de lien avec des spécialistes en déclarations de revenus ou avec des cabinets comptables bien connus. L’appelant a retenu ses services sur la recommandation d’un seul collègue. Outre cette seule recommandation, l’appelant n’a pas demandé d’autres recommandations et il n’a effectué aucune vérification. Ce facteur a peut-être une importance moindre, mais, lorsqu’il est pris en considération avec tous les autres facteurs, il aurait dû inciter l’appelant à vérifier au préalable avec un peu plus de vigilance la légitimité de M. Rasool.

La première interaction avec le spécialiste en déclarations de revenus

[35]        La première rencontre de l’appelant avec M. Rasool a eu lieu dans un café, non au bureau de M. Rasool. Au moment de signer la déclaration de revenus, M. Rasool s’est rendu chez l’appelant tard le soir, plutôt que de le recevoir dans son bureau. Ces éléments ont certes très peu d’importance, mais ils pourraient mener une personne à se demander pourquoi un professionnel de l’impôt comptant prétendument 20 ans d’expérience reçoit des clients ailleurs qu’à son lieu d’affaires. Le désir de fournir un service hautement personnel vient à l’esprit et pourrait expliquer ce comportement. Toutefois, une personne plus cynique pourrait mettre cette motivation en doute. Ce qui est cependant plus révélateur est le fait que, lorsque M. Rasool s’est rendu à la résidence de l’appelant tard le soir pour lui faire signer la déclaration, M. Rasool était pressé et impatient de partir. Il pressait l’appelant de signer les documents, ne faisant que tourner les pages. M. Rasool n’a pas pris le temps d’expliquer ce qui avait été fait pour maximiser le remboursement d’impôt de l’appelant. Un contribuable raisonnable et diligent demanderait certes la raison pour laquelle le spécialiste en déclarations de revenus se hâte tant à cette étape fondamentale. Il lui demanderait aussi la raison pour laquelle il ne peut prendre le temps pour expliquer son travail. De surcroît, aucun élément de preuve n’indique que M. Rasool a remis une copie de la déclaration à l’appelant. Il s’agissait assurément d’un signal d’alarme clair qui aurait amené une personne à se poser des questions sur ce qui se passait. Ce facteur milite en faveur d’une conclusion d’aveuglement volontaire ou de faute lourde.

L’absence d’explications de la part du spécialiste en déclarations de revenus

[36]        Dans son témoignage, l’appelant a indiqué que M. Rasool avait employé des stratagèmes d’abris fiscaux pour réduire ses impôts au minimum et pour maximiser ses remboursements d’impôt. M. Rasool n’a pas expliqué le fonctionnement de ces d’abris fiscaux à l’appelant, et celui-ci n’a pas demandé à M. Rasool ou à quiconque comment cela fonctionnait. Un professionnel honnête expliquerait le fonctionnement des abris fiscaux à un client. Nous savons maintenant que M. Rasool recourait à des pertes d’entreprise fictives. L’appelant a déclaré dans son témoignage qu’il ne savait pas comment M. Rasool en était arrivé aux chiffres calculés et consignés dans sa déclaration. L’appelant a simplement indiqué qu’ils étaient fondés sur des renseignements qu’il avait lui-même fournis. Il n’a pas du tout pris la peine de se renseigner sur le stratagème d’abri fiscal proposé. Absolument aucune explication n’a été demandée ou donnée. Il s’est tout simplement appuyé sur la confiance aveugle qu’il avait en M. Rasool. L’appelant ignorait tout à fait ce qui se passait. Cette absence d’explications de la part de M. Rasool et le refus de l’appelant de se renseigner concernant le stratagème d’économie d’impôt sont, à mon avis, des éléments de preuve de faute lourde.

D’autres ne le font pas ou le contribuable est mis en garde à son encontre ou le contribuable hésite à s’ouvrir à d’autres

[37]        Ce n’est pas un facteur dans les circonstances de l’espèce.

La confiance de l’appelant à l’égard de son spécialiste en déclarations de revenus

[38]        Ce facteur et le fait que l’appelant n’a pas examiné sa déclaration de revenus sont interdépendants. L’argumentation complète de l’appelant repose sur le fait qu’il a placé sa confiance en M. Rasool qui, selon ce qu’il croyait, était un professionnel honnête. Il n’a pas examiné sa déclaration et n’a pas tenté de comprendre la nature de ce que M. Rasool faisait, puisqu’il n’avait aucune raison de se méfier de M. Rasool.

[39]        Dans certains cas, un contribuable peut éviter d’être blâmé en pointant du doigt des professionnels malhonnêtes en qui il avait confiance. Voir par exemple la décision Lavoie c. La Reine, 2015 CCI 228, une affaire dans laquelle les contribuables se sont appuyés sur un avocat qu’ils connaissaient et en qui ils avaient confiance depuis plus de 30 ans et qui était un ami fidèle. Toutefois, il existe de nombreux cas dans lesquels les contribuables qui avaient fait aveuglément confiance à leur spécialiste en déclarations de revenus n’ont pas réussi à se soustraire aux pénalités imposées pour faute lourde parce qu’ils ne s’étaient pas donné la peine de vérifier l’exactitude des renseignements fournis dans leurs déclarations de revenus.

[40]        Dans la décision Gingras c. Canada, [2000] A.C.I. no 541 (QL), le juge Tardif a écrit ce qui suit :

19 Le fait d’avoir recours à un expert ou à quelqu’un qui se présente comme tel, n’excuse en rien la responsabilité de ceux qui attestent, par leur signature, la véracité de leur déclaration.

[...]

30 L’imputabilité des faux renseignements fournis dans une déclaration de revenus incombe au signataire de ladite déclaration et non au mandataire qui l’a complété, peu importe ses compétences ou qualifications.

[41]        Dans la décision DeCosta, précitée, le juge en chef Bowman a déclaré ce qui suit :

12 [...] Même si son comptable doit assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l’on peut dire que l’appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l’omission d’un montant qui représente presque le double du montant qu’il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au-delà du simple manque d’attention.

[42]        Dans la décision Laplante c. La Reine, 2008 CCI 335, le juge Bédard a écrit ce qui suit :

15 [...] L’appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l’égard de ses déclarations de revenus, l’appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main les responsabilités, les devoirs ou les obligations que lui impose la Loi. [...]

[43]        Dans la décision Brochu c. La Reine, 2011 CCI 75, la Cour a maintenu les pénalités pour faute lourde dans une affaire où la contribuable avait tout simplement fait confiance aux déclarations de sa comptable que tout était en règle. La contribuable avait feuilleté brièvement la déclaration, mais a soutenu qu’elle ne comprenait pas les termes « revenus d’entreprise » et « crédit ». Cependant, elle n’avait pas posé de questions à la comptable ni ne s’était informée auprès d’autres personnes pour s’assurer que ses revenus et ses dépenses soient comptabilisés comme il se devait. Le juge Favreau de la Cour était d’avis que le fait que la contribuable n’avait pas jugé nécessaire de s’informer équivalait à de la négligence qui équivalait à une faute lourde.

[44]        Dans la décision Janovsky c. La Reine, 2013 CCI 140, la juge V.A. Miller a déclaré ce qui suit :

22 L’appelant dit avoir passé en revue sa déclaration avant de la signer et ne pas avoir posé de questions. Il a déclaré qu’il faisait confiance aux FA car il s’agissait d’experts en fiscalité. Cette déclaration est, selon moi, peu vraisemblable. Il a assisté à une seule réunion avec les FA en 2009. Il n’avait jamais entendu parler de ces derniers auparavant et, pourtant, entre la réunion qu’il a eue avec eux et la production de sa déclaration en juin 2010, il n’a jamais posé de questions sur les FA. Il n’a mis en doute ni leurs titres de compétence ni leurs prétentions. Dans son désir de toucher un remboursement élevé, l’appelant n’a pas essayé de se renseigner sur eux.

23 Compte tenu du niveau d’instruction de l’appelant et de l’ampleur du faux énoncé qu’il a fait dans sa déclaration de 2009, je suis d’avis que l’appelant savait que les montants indiqués dans sa déclaration étaient faux.

[45]        Un autre exemple récent est l’affaire Atutornu c. La Reine, 2014 CCI 174, dans laquelle les contribuables se sont aveuglément fiés aux conseils de leur spécialiste en déclarations de revenus, sans lire ni examiner leurs déclarations et sans faire quelque effort que ce soit pour en vérifier l’exactitude.

Le fait de signer la déclaration sans l’examiner

[46]        Ce facteur est lié à la question de la « confiance à l’égard de son spécialiste en déclarations de revenus » analysée ci-dessus. Il est évident que l’appelant n’a tout simplement pas examiné sa déclaration avant de la signer. Il a été jugé que ce comportement peut en soi être suffisant pour équivaloir à faute lourde.

[47]        Comme les cours l’ont souvent déclaré, et comme je l’ai moi-même déclaré plus tôt, notre système fiscal est un système d’autocotisation et chaque contribuable a l’obligation de veiller à la véracité du contenu de sa déclaration. L’appelant n’a fait aucun effort pour vérifier si les renseignements dans sa déclaration étaient exacts et complets. S’il n’avait fait que le moindre effort, il aurait découvert les nombreux signaux d’alarme qui étaient manifestement évidents, même à l’examen le plus superficiel de sa déclaration. Comme l’a déclaré le juge Tardif dans la décision Gingras, précitée :

31 [...] [I]l est tout à fait répréhensible d’attester par sa signature que les renseignements fournis sont exacts alors que l’on sait ou devrait savoir qu’elle contient de faux énoncés. Un tel comportement est suffisant pour conclure à une faute lourde justifiant l’imposition des pénalités applicables.

[48]        Dans la décision Laplante, précitée, le juge Bédard a écrit ce qui suit :

15 De toute façon, je suis d’avis que la négligence de l’appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout ses déclarations de revenus avant de les signer) était assez grave pour justifier l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjoratif. L’attitude de l’appelant était si cavalière en l’espèce qu’elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. L’appelant n’a‑t‑il pas admis que, s’il avait examiné ses déclarations de revenus avant de les signer, il aurait nécessairement décelé les nombreux faux énoncés qui y apparaissaient, énoncés qui auraient été faits par monsieur Cloutier? [...] En l’espèce, la Loi imposait au minimum à l’appelant l’obligation de jeter un coup d’œil sur ses déclarations de revenus avant de les signer, d’autant plus qu’en l’espèce il a admis que cet examen rapide lui aurait permis de déceler les faux énoncés que son comptable avait faits.

[Souligné dans l’original.]

[49]        Encore plus récemment, le juge Bowie a déclaré ce qui suit dans la décision Brown c. La Reine, 2009 CCI 28 :

20 Par ailleurs, pour ce qui est des pénalités pour faute lourde imposées à l’appelant en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’appelant a lui-même clairement affirmé au début de son témoignage qu’il n’avait jamais porté attention aux revenus et aux dépenses indiqués dans les déclarations pour les quatre années en cause lorsqu’il les signait. L’appelant a dit qu’il conservait ses dossiers, préparait des tableaux de ventilation à partir de ses dossiers et qu’il donnait les tableaux à une spécialiste en déclarations de revenus, qui se servait des documents qu’elle recevait de l’appelant pour préparer les déclarations de revenus de ce dernier. La spécialiste n’a pas témoigné, mais, si l’on se fie à la version des faits de l’appelant, il reste que l’appelant était quand même tenu d’examiner ses déclarations de revenus avant de les signer et de les produire auprès du ministre. La déclaration que le contribuable fait lorsqu’il signe sa déclaration de revenus est ainsi rédigée :

J’atteste que les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents annexés sont exacts, complets et révèlent la totalité de mes revenus [...]

Le fait de signer une déclaration de revenus et de faire, par le fait même, la déclaration précitée sans même vérifier le contenu de la déclaration — ce qu’a fait l’appelant, si j’ai bien compris son témoignage — constitue, à lui seul, une faute lourde qui justifie l’imposition des pénalités.

[Non souligné dans l’original.]

[50]        Dans la décision Bhatti, précitée, le juge C. Miller a souligné ce qui suit :

30 [...] Il est tout simplement insuffisant d’affirmer ne pas avoir vérifié ses déclarations. Confier aveuglément ses obligations à quelqu’un d’autre sans même une vérification minimale de l’exactitude de la déclaration va au-delà de l’imprudence. Donc, même si elle n’a pas sciemment omis de déclarer le revenu, elle a certainement adopté l’attitude cavalière du laisser-aller. [...]

[51]        Il s’agit d’un facteur très important qui indique une faute lourde.


Les efforts véritables pour se conformer à la Loi

[52]        Je suis d’avis que l’appelant n’a fait aucun effort pour se conformer à la Loi. Sa conduite après-coup le démontre certainement. Lorsqu’il a reçu une lettre de l’ARC mettant en doute ces pertes d’entreprise, il a déclaré que c’était la première fois qu’il avait connaissance d’une demande de déduction d’énormes pertes d’entreprise. La lettre de l’ARC l’a certainement averti du fait que quelque chose ne tournait vraiment pas rond concernant sa déclaration de revenus et que le spécialiste en déclarations de revenus avait de toute évidence inclus des renseignements fictifs à propos de pertes d’entreprise dans sa déclaration. Toutefois, plutôt que de répondre directement à l’ARC et de prendre son spécialiste en déclarations de revenus à partie, il a donné la lettre de l’ARC à M. Rasool. Il n’a jamais répondu aux préoccupations soulevées par l’ARC. M. Rasool a rédigé des réponses absurdes à toutes les lettres provenant de l’ARC. Même après avoir réalisé que ces réponses étaient tout à fait insensées, l’appelant les a quand même envoyées à l’ARC. Cela donne une indication claire de son état d’esprit tout au long de la situation. L’appelant était disposé à envoyer toutes les lettres absurdes, quelles qu’elles soient, à l’ARC, sans tenir compte de ses obligations, malgré le fait qu’il savait que les réponses étaient tout à fait illogiques.

L’omission de s’enquérir auprès d’autres professionnels ou de l’ARC

[53]        Non seulement l’appelant a-t-il omis de se renseigner auprès de son spécialiste en déclarations de revenus ou de lui demander des explications, mais il n’a pas cherché non plus à obtenir d’explications de quelque autre spécialiste en déclarations de revenus, d’un comptable, d’un avocat fiscaliste ou de l’ARC. Encore une fois, il a choisi de demeurer tout à fait ignorant, faisant aveuglément confiance à M. Rasool et ne faisant pas l’effort de s’informer concernant la légitimité de ce qui était fait. Ceci est une indication que l’appelant a commis une faute lourde.

Conclusion

[54]        L’appelant admet qu’il aurait dû lire sa déclaration avant de la signer. Il est clair que, s’il avait examiné plus attentivement la déclaration de revenus, il aurait vu les chiffres douteux et il aurait vu qu’il demandait la déduction de dépenses d’entreprise scandaleuses. L’appelant reconnaît qu’il a commis une erreur et que l’imposition d’une pénalité est la bonne manière d’inciter les gens à ne pas commettre de telles erreurs. Il estime toutefois que les pénalités qui lui sont imposées sont trop lourdes et qu’elles ruineront sa vie. Il convient qu’il devrait payer une pénalité, mais la pénalité devrait être acceptable, compte tenu de sa situation personnelle. Malheureusement, je ne peux alléger la sévérité des pénalités. Je peux uniquement me prononcer sur la question de savoir si l’imposition des pénalités est appropriée par suite de la présentation intentionnelle de faux énoncés ou de son acquiescement à celles-ci dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[55]        Il ne fait aucun doute que la déclaration de revenus de 2008 de l’appelant et sa demande de report rétrospectif d’une perte contenaient de faux énoncés. En effet, l’appelant n’exploitait pas une entreprise et il n’a pas subi de pertes d’entreprise quelconques, a fortiori des pertes d’entreprise de plus de 188 000 $. La seule conclusion que je peux tirer est que l’appelant a fait preuve d’aveuglement volontaire et de faute lourde en ce qui a trait à la fausseté de ces énoncés. Il en est particulièrement ainsi du fait qu’il a signé sa déclaration et, ce faisant, a attesté l’exactitude des renseignements qui y étaient énoncés, sans avoir pris la peine de faire un effort pour vérifier l’exactitude de la déclaration. Ainsi, les pénalités qui lui sont imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi le sont à juste titre.

[56]        Pour tous les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté. L’intimée a droit aux dépens.

Signé à Kingston (Ontario), ce 22e jour de décembre 2015.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d’octobre 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 338

 

No du dossier de la cour :

2012-3770(IT)G

 

Intitulé :

Sanjeev Khattar c. La Reine

 

Lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2015

 

Motifs du jugement :

L’honorable juge suppléant
Rommel G. Masse

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 décembre 2015

 

 

Comparutions :

 

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

 

Avocat de l’intimée :

Me Jan Jensen

Avocats inscrits au dossier :

 

Pour l’appelant :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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