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Dossier : 2013-958(IT)G

ENTRE :

RAINFORD TAYLOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 15 octobre 2015 à Toronto (Ontario).

Devant : L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Osborne G. Barnwell

Avocat de l’intimée :

Me Jan Jensen

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009 est rejeté.

L’intimée a droit aux dépens.

Signé à Kingston (Ontario), ce 18e jour de décembre 2015.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d’octobre 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2015 CCI 335

Date : 20151218

Dossier : 2013-958(IT)G

ENTRE :

RAINFORD TAYLOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Masse

Aperçu

[1]             La déclaration de revenus de l’appelant pour l’année d’imposition 2009 a été établie par des spécialistes en déclarations sans scrupules. Lorsque le spécialiste a établi la déclaration de revenus, il a créé des pertes d’entreprise fictives qui ont été inscrites dans la déclaration et dans une demande connexe de report rétrospectif d’une perte aux années d’imposition 2006, 2007 et 2008. Si l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») avait accepté ces pertes d’entreprise fictives, l’appelant aurait obtenu un remboursement d’impôt considérable et n’aurait par conséquent payé aucun impôt pour toutes ces années. En fait, l’appelant n’a jamais possédé ni exploité une quelconque entreprise pendant ces années et il n’a donc subi aucune perte d’entreprise.         L’ARC a rejeté les pertes d’entreprise dont la déduction a été demandée et a imposé une pénalité à l’appelant en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »). La présente affaire concerne uniquement la pénalité.

[2]             La question consiste à savoir si l’appelant a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait une fausse déclaration dans sa déclaration de revenus ou y a consenti, ce qui entraîne l’imposition des lourdes pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi.

Contexte factuel

[3]             L’appelant, Rainford Taylor, est né en Jamaïque et est arrivé au Canada en septembre 1990. Il a fréquenté l’université de 1981 à 1985 et a obtenu un baccalauréat en sciences avec spécialisation en mathématiques et en géologie de la University of the West Indies. Avant son arrivée au Canada, il travaillait pour la Banque de Nouvelle-Écosse en Jamaïque. L’impôt sur son revenu était retenu à la source, mais l’appelant n’était pas tenu de produire de déclarations de revenus auprès du gouvernement de la Jamaïque. Après son arrivée au Canada, il a été sans emploi pendant quelques mois, mais il a ensuite été embauché à titre de commis aux données par la Banque de Nouvelle-Écosse au Canada. Il croit avoir commencé à occuper cet emploi en 1991. Il s’est marié avec son épouse, qui vient elle aussi de la Jamaïque, en 1991. Il a affirmé que, dès son arrivée au Canada jusqu’en 2009, il a préparé lui-même ses déclarations de revenus et celles de son épouse. En 2009, IBM le payait pour apporter un soutien technique à un centre d’appels venant en aide aux employés de la Banque de Nouvelle-Écosse.

[4]             En 2006, l’appelant s’est intéressé à un groupe offrant des conseils financiers appelé DSC Lifestyles (« DSC »). Il participait aux réunions hebdomadaires de DSC. Il affirme qu’il s’intéressait à DSC surtout à des fins éducatives. Les réunions lui donnaient également l’occasion d’établir des liens et de socialiser. DSC offrait aussi des possibilités d’affaires et de placement. L’appelant a déjà suivi les conseils fournis par DSC et a fait des dons de 24 506 $ à la Global Learning Gifting Initiative (la « GLGI ») pour l’année d’imposition 2006. L’ARC a depuis refusé la déduction de ce don, et selon Lorraine DuPont, vérificatrice principale au bureau de l’ARC, la nouvelle cotisation dans laquelle la déduction de ce don a été refusée datait de juillet 2009, soit avant que l’appelant ne produise sa déclaration de revenus de 2009. Par conséquent, avant mai 2010, lorsque l’appelant a produit sa déclaration de revenus de 2009, il savait que l’ARC mettait en doute certaines des déductions qu’il avait déjà demandées.

[5]             L’appelant a déclaré que DSC lui avait fait une proposition qui devait lui permettre d’optimiser son remboursement d’impôt. Personne ne lui a expliqué le fonctionnement du stratagème de planification fiscale. Il a fourni à DSC tous les renseignements que celle-ci lui avait demandés pour préparer sa déclaration. Il a appris seulement après coup qu’un organisme appelé Fiscal Arbitrators, et non DSC, avait préparé sa déclaration de revenus de 2009 et une demande de report rétrospectif d’une perte aux années d’imposition 2006, 2007 et 2008.

[6]             En mai 2010, M. Taylor a reçu un appel de Janet Perry, une associée de DSC, qui lui a dit qu’il pouvait passer chercher sa déclaration de revenus de 2009. Il a rencontré Mme Perry afin de signer sa déclaration. M. Taylor a signé sa déclaration de revenus de 2009 (pièce R‑1, onglet 3) ainsi qu’une demande de report rétrospectif d’une perte aux années d’imposition 2006, 2007 et 2008 (pièce R‑1, onglet 2). Il a signé ces documents devant Mme Perry et n’a pas discuté avec elle de la déclaration de revenus ni de la demande de report rétrospectif d’une perte. Il n’a pas examiné ces documents avant de les signer, car il soutient qu’il entretenait une relation avec DSC depuis quatre ans et qu’il n’avait absolument aucune raison de ne pas lui faire confiance. Il a ensuite produit sa déclaration. Lorsqu’il est allé chercher sa déclaration, il a reçu une facture d’honoraires de 10 302,98 $ se rapportant aux remboursements d’impôt totalisant 38 639,88 $ pour les années d’imposition 2006, 2007, 2008 et 2009 (pièce A‑1, onglet 21, page 51). Les noms Trem-Dy Group Inc et Fiscal Arbitrators figurent sur cette facture, mais celle-ci ne comporte aucune mention de DSC. Compte tenu de ce détail, l’appelant aurait dû se rendre compte que ce n’était pas DSC qui avait préparé sa déclaration. L’appelant a déclaré qu’il s’attendait à un remboursement d’impôt de 18 000 $ pour l’année d’imposition 2009. Cependant, comme il avait déjà reçu un remboursement de 13 000 $ ou de 14 000 $ dans le passé, il n’était pas surpris du montant du remboursement, car il était de l’ordre des remboursements qu’il avait reçus pour des années antérieures. Toutefois, l’appelant, qui s’attendait à des remboursements dont le total s’élevait à plus de 38 000 $ et qui savait qu’il devrait payer des honoraires supérieurs à 10 000 $, a signé et envoyé la déclaration même s’il ignorait les détails du remboursement d’impôt ou la raison pour laquelle il pouvait s’attendre à obtenir un remboursement de cette envergure.

[7]             Comme il a déjà été précisé, M. Taylor n’a pas examiné sa déclaration avant de la signer et de la produire. S’il l’avait fait, il aurait découvert certains renseignements incontestablement faux. Dans sa déclaration, M. Taylor a déclaré avoir tiré un revenu d’entreprise de 87 643,91 $. Les activités commerciales étaient celles d’un [traduction] « mandataire ». M. Taylor a également demandé la déduction de dépenses d’entreprise de 332 324,41 $ décrites comme [traduction] « montant du mandataire au mandant ». Il a déclaré des pertes d’entreprise nettes de 244 680,50 $. Il s’agit de pertes d’entreprise considérables par rapport au revenu d’emploi déclaré de 74 000 $. Ces montants sont énoncés dans l’état des résultats des activités d’une entreprise ou d’une profession libérale (pièce R‑1, onglet 1) et dans la déclaration de revenus de 2009. Tous ces renseignements sont manifestement faux. L’appelant reconnaît qu’il n’a jamais possédé ni exploité une quelconque entreprise pendant la période visée. Il reconnaît qu’il n’avait aucune idée de ce que le fait de faire des affaires comme [traduction] « mandataire » pouvait signifier et qu’il ignorait la signification de l’expression [traduction] « reçu à titre de mandataire » ou des dépenses d’entreprise déclarées comme [traduction] « montant du mandataire au mandant ».

[8]             Dans sa déclaration, M. Taylor a demandé à déduire de son revenu 73 774,50 $ au titre des pertes d’entreprise subies en 2009 pour l’année d’imposition 2009 et de reporter le solde inutilisé de 170 906 $ à ses années d’imposition 2006, 2007 et 2008. Si ces déductions avaient été acceptées, M. Taylor aurait obtenu un remboursement de tout son impôt retenu à la source pour les années d’imposition 2006 à 2009. Il n’aurait donc payé aucun impôt pour ces quatre années.

[9]             Les déclarations de revenus ne sont pas étrangères à M. Taylor, car celui‑ci avait antérieurement établi ses propres déclarations et celles de son épouse. Il reconnaît qu’en signant sa déclaration, il a confirmé que les renseignements fournis dans sa déclaration et dans tout document joint à celle‑ci étaient exacts et complets. Un avertissement inscrit directement sous la ligne de la signature précise que « faire une fausse déclaration constitue une infraction grave ». Malgré cela, M. Taylor n’a pas vérifié si les renseignements étaient exacts et complets avant de signer la déclaration et de la produire auprès de l’ARC.

[10]        M. Taylor reconnaît que la partie de la déclaration réservée à l’identification du préparateur de la déclaration de revenus (ligne 490) était vide et que ni DSC, ni Fiscal Arbitrators, ni aucun autre spécialiste en déclarations ne l’a remplie. Le mot [traduction] « par » était inscrit tout juste avant sa signature, sur la ligne de la signature de sa déclaration et sur sa demande de report rétrospectif d’une perte. Il ignore la raison pour laquelle ce mot était inscrit tout juste avant la ligne de la signature. Il n’a pas demandé à Mme Perry ni à personne d’autre de lui expliquer la raison pour laquelle il devait apposer sa signature après le mot [traduction] « par ».

[11]        Le 25 octobre 2010, l’ARC a envoyé une lettre (pièce R‑1, onglet 4) à l’appelant pour lui demander de fournir de plus amples renseignements au sujet des pertes d’entreprise dont il a demandé la déduction pour l’année d’imposition 2009. L’ARC voulait obtenir une preuve que l’appelant exploitait une entreprise et des documents originaux à l’appui du revenu d’entreprise et des dépenses d’entreprise déclarés. L’ARC a également demandé à l’appelant de remplir un questionnaire sur l’entreprise, de le lui retourner et de préciser l’identité de son spécialiste en déclarations. C’est à ce moment que M. Taylor s’est rendu compte qu’il avait demandé la déduction de pertes d’entreprise énormes pour l’année d’imposition 2009. Il a affirmé que cela l’avait inquiété et l’avait en mis en rogne ou en colère. Il était assez décontenancé par cette découverte, car il savait assurément qu’il n’avait ni possédé ni exploité d’entreprise en 2009. Il a tenté de communiquer avec DSC, mais en vain. Il a fini par retrouver Mme Perry, mais celle‑ci ne pouvait pas lui expliquer les pertes d’entreprise déclarées. Malgré le fait qu’il était troublé par la lettre que l’ARC lui avait envoyée, il n’a pas répondu directement à l’ARC pour régler le problème évident. La lettre a été remise à DSC, sans doute à Mme Perry, qui l’a transmise à Fiscal Arbitrators, qui, comme nous le savons à présent, avait établi la déclaration. Fiscal Arbitrators a rédigé une réponse à cette lettre que devait signer l’appelant (pièce R‑1, onglet 6). Cette lettre ne répond aucunement aux préoccupations soulevées par l’ARC et ne comprend aucune explication permettant à M. Taylor de savoir pourquoi il a déclaré des pertes d’entreprise énormes. En outre, cette réponse est d’une absurdité totale. Elle se termine en ces termes :

[traduction]

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, mes salutations distinguées.

Pour : RAINFORD A. TAYLOR

Par : [signature], représentant autorisé

M. Taylor ignore la raison pour laquelle la lettre était rédigée de la sorte. Il a signé et envoyé cette lettre même si elle était tout à fait insensée et ne répondait aucunement aux préoccupations soulevées par l’ARC ni même à ses propres préoccupations.

[12]        L’ARC n’a jamais reçu les renseignements qu’elle avait demandés. L’appelant n’a simplement pas fourni de détails sur son revenu et ses pertes d’entreprise. En fait, il ne pouvait pas le faire, car ceux‑ci n’existaient pas. L’ARC a envoyé à l’appelant une lettre de suivi datée du 8 mars 2011 pour l’informer qu’elle avait l’intention de refuser la déduction des pertes d’entreprise nettes demandée pour l’année d’imposition 2009 et d’imposer des pénalités aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi (pièce R‑1, onglet 7). Là encore, au lieu de répondre à l’ARC, l’appelant a transmis la lettre à Fiscal Arbitrators, qui a préparé une brève lettre explicative à laquelle était joint un sommaire T4A fournissant comme seul renseignement [traduction] « autre revenu — 332 324,41 $ » (pièce R‑1, onglet 8). En outre, aucun numéro d’entreprise n’était inscrit sur le sommaire T4A. Le document était signé de la façon suivante : [traduction] « Par : [signature], représentant autorisé. » Là encore, ce document ne fournissait à l’ARC aucun renseignement appuyant la demande de déduction de pertes d’entreprise de l’appelant.

[13]        Par conséquent, l’ARC a refusé la déduction de pertes d’entreprise pour l’année d’imposition 2009 et le report rétrospectif d’une perte pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008. L’ARC a également imposé une pénalité fédérale pour faute lourde s’élevant à 29 925,19 $ au titre du paragraphe 163(2) de la Loi ainsi qu’une pénalité provinciale et des intérêts. Une cotisation a été établie à l’égard de l’appelant au moyen d’un avis de cotisation. L’appelant s’est opposé à la cotisation au moyen d’un avis d’opposition, mais le ministre du Revenu national (le « ministre ») a ratifié la cotisation, d’où l’appel interjeté devant la Cour.

[14]        L’appelant affirme qu’il n’a pas examiné sa déclaration de revenus pour 2009 et les documents joints à celle‑ci avant de les signer et de les produire. Il soutient qu’il a signé de bonne foi, car il n’avait aucun motif de ne pas faire confiance à DSC compte tenu du fait qu’il entretenait une relation avec cette entreprise depuis quatre ans. Il croyait que les membres de cette entreprise étaient des spécialistes et qu’ils savaient ce qu’ils faisaient. Il reconnaît qu’il a été naïf et qu’il n’aurait jamais participé au plan s’il avait eu la moindre idée que celui‑ci était douteux. Au cours de son témoignage, il s’est exprimé en ces termes : [traduction] « Vous pouvez m’accuser d’être idiot ou insouciant, mais je n’ai aucunement prêté attention à ces lignes. Ainsi, j’ignorais que je demandais la déduction d’une perte d’entreprise. » L’appelant fait valoir qu’il a peut‑être été négligent, mais qu’il n’a pas été imprudent au point de commettre une faute lourde ou de faire preuve du niveau de négligence requis pour justifier l’imposition des pénalités sévères prévues au paragraphe 163(2) de la Loi.

Dispositions législatives

[15]        Le paragraphe 163(2) de la Loi est formulé en partie en ces termes :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [...]

[16]        Aux termes du paragraphe 163(3), le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

Analyse

[17]        Notre régime fiscal repose à la fois sur l’autocotisation et l’autodéclaration. Il dépend de l’honnêteté et de l’intégrité du contribuable. Celui‑ci a le devoir de déclarer son revenu imposable complètement, correctement et exactement, peu importe qui établit la déclaration. Par conséquent, le contribuable doit faire preuve de vigilance lorsqu’il vérifie si les renseignements figurant dans sa déclaration sont complets et exacts. Comme l’a souligné le juge Martineau dans la décision Northview Apartments Ltd. c. Canada, 2009 CF 74, au paragraphe 11 : « Le régime fiscal repose sur l’autocotisation et l’autodéclaration, dont sont responsables les contribuables envers l’ARC. »

[18]        Dans l’arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, les juges Iacobucci et Major de la Cour suprême du Canada ont expliqué les responsabilités et les devoirs des contribuables ainsi que certaines mesures prévues dans la Loi pour en favoriser l’observation :

49 Toute personne résidant au Canada au cours d’une année d’imposition donnée est tenue de payer un impôt sur son revenu imposable, calculé selon les règles prescrites par la Loi (LIR, art. 2 [...]). Le processus de perception des impôts repose principalement sur l’autocotisation et l’autodéclaration : tous les contribuables sont tenus d’estimer le montant de leur impôt annuel payable (art. 151) et d’en informer l’ADRC dans la déclaration de revenu qu’ils sont tenus de produire (par. 150(1)) [...] Dès qu’il reçoit la déclaration de revenu d’un contribuable, le ministre l’examine « avec diligence », fixe le montant de l’impôt à payer ou celui du remboursement et envoie au contribuable un avis de cotisation à cet effet (par. 152(1) et (2)). Sous réserve de certaines restrictions, le ministre peut par la suite établir une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt du contribuable pour une année d’imposition (par. 152(4)).

50 Bien que l’observation volontaire de la loi et l’autocotisation constituent les éléments essentiels du régime réglementaire de la LIR, le système fiscal est doté de [TRADUCTION] « mécanismes de persuasion visant à inciter les contribuables à déclarer leurs revenus » [...] Par exemple, pour favoriser l’aspect d’autodéclaration du régime, l’art. 162 de la LIR établit des peines pécuniaires pour les personnes qui omettent de produire leur déclaration de revenu. De même, pour inciter le contribuable à faire preuve de minutie et d’exactitude dans le cadre de l’autocotisation, l’art. 163 de la Loi prévoit le même type de pénalités pour les personnes qui omettent de façon répétée de déclarer un montant à inclure, qui sont complices d’un faux énoncé ou d’une omission ou qui commettent une faute lourde à cet égard.

51 Il découle des caractéristiques fondamentales de l’autocotisation et de l’autodéclaration que le succès de l’application du régime fiscal repose avant tout sur la franchise du contribuable. Comme le juge Cory l’a affirmé dans l’arrêt Knox Contracting, précité, p. 350 : « Le système d’imposition dépend entièrement de l’intégrité du contribuable qui déclare et évalue son revenu. Pour que le système fonctionne, les déclarations doivent être remplies honnêtement ». Il n’est donc pas étonnant que la Loi tente de restreindre le risque qu’un contribuable essaie de « tirer profit du régime d’autodéclaration pour tenter d’éviter de payer sa pleine part du fardeau fiscal en violant les règles énoncées dans la Loi » [...]

[Non souligné dans l’original. Références omises.]

[19]        Les pénalités prévues à l’article 163 de la Loi ont été conçues dans l’objectif, d’une part, d’assurer l’intégrité de notre régime d’autocotisation et d’autodéclaration, et d’autre part, d’inciter le contribuable à faire preuve de minutie et d’exactitude dans l’établissement de sa déclaration, peu importe qui établit la déclaration. Dans la décision Sbrollini c. La Reine, 2015 CCI 178, le juge Boyle de la Cour a exprimé l’avis que les dispositions relatives aux pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi renvoient à :

15 [...] l’importance des exigences d’honnêteté et de fidélité requises dans le cadre du régime fiscal canadien d’autodéclaration des revenus. C’est par souci d’équité envers tous les contribuables que de telles pénalités sont prescrites à l’égard de ces personnes [...] qui chercheraient à tirer profit de notre régime d’autodéclaration [...]

16 De telles pénalités sont dûment payables par [un contribuable] s’il a délibérément, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés ou des omissions dans ses déclarations, ou y participe, y consent ou y acquiesce.

[20]        Par conséquent, la question de savoir si un contribuable devrait se voir imposer les pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi devrait être examinée en fonction des responsabilités et des devoirs du contribuable de déclarer son revenu exactement et complètement dans le cadre d’un régime d’autocotisation et d’autodéclaration.

[21]        Pour qu’une personne soit passible des pénalités prévues au paragraphe 163(2), il faut prouver deux éléments :

a)       elle doit avoir fait un faux énoncé dans une déclaration;

b)      elle doit avoir, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé, y avoir consenti ou y avoir acquiescé.

[22]        Il est incontestable que la déclaration de revenus de 2009 de l’appelant et sa demande de report rétrospectif d’une perte comprenaient de faux énoncés. L’appelant n’a jamais possédé ni exploité une quelconque entreprise pendant cette année‑là et, par conséquent, il lui aurait été impossible d’avoir un revenu d’entreprise ou des dépenses d’entreprise. Sa demande de déduction de pertes d’entreprise ne s’appuie sur aucun fait et est manifestement fausse.

[23]        Toutefois, je suis convaincu que l’appelant n’a pas fait sciemment un faux énoncé, car il ne savait réellement pas ce que contenait sa déclaration. Il a déclaré qu’il n’a pas examiné sa déclaration de revenus et sa demande de report rétrospectif d’une perte avant de les signer. Par conséquent, la question qui se pose est la suivante : A‑t‑il fait un faux énoncé dans des circonstances équivalant à une faute lourde? Comme il a déjà été précisé, le fardeau de prouver l’existence d’une faute lourde revient à la Couronne. Il ne suffit pas que la Couronne prouve que l’appelant a simplement fait preuve de négligence; elle doit prouver que l’appelant a commis une faute lourde.

[24]        La négligence est définie comme le défaut d’agir avec le soin dont aurait fait preuve une personne prudente et raisonnable dans des circonstances semblables. Le concept de la négligence est tellement bien établi dans la jurisprudence anglo‑canadienne qu’il n’est pas nécessaire de citer la source de cette définition. Cependant, une faute lourde doit dépasser la simple négligence. La faute lourde doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi; voir la décision Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (QL). Dans la décision Venne, le juge Strayer de la Cour fédérale (section de première instance) formule une mise en garde au sujet du paragraphe 163(2) de la Loi. Il précise qu’il s’agit d’une « disposition pénale et qu’elle doit être interprétée de façon restrictive, de sorte que s’il existe une interprétation raisonnable propre à éviter la pénalité dans un cas particulier, cette interprétation devrait être adoptée » et qu’on devrait donner le bénéfice du doute au contribuable. Dans la décision Farm Business Consultants Inc. c. Canada, [1994] A.C.I. no 760 (QL), le juge Bowman (tel était alors son titre) de la Cour canadienne de l’impôt, a affirmé, au paragraphe 23, que l’expression « faute lourde » au paragraphe 163(2) sous-entend une conduite caractérisée par un degré de faute à ce point élevé qu’il frise l’insouciance. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s’attendrait dans les situations où l’on cherche à établir le bien-fondé d’allégations moins sérieuses (au paragraphe 28).

[25]        Il est également bien établi en droit que la faute lourde peut comprendre l’« ignorance volontaire », un concept bien connu en droit criminel. Le juge Cory de la Cour suprême du Canada a expliqué en profondeur le concept de l’« ignorance volontaire » dans l’arrêt R. c. Hinchey, [1996] 3 R.C.S. 1128. Selon la règle, si une partie a des soupçons, mais ensuite omet délibérément de se renseigner davantage parce qu’elle désire demeurer dans l’ignorance, elle est réputée être au courant. Autrement dit, l’« ignorance volontaire » se produit lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité. Elle préfère rester dans l’ignorance. Il existe un soupçon, que le défendeur a délibérément omis de transformer en connaissance certaine. Le défendeur « s’est fermé les yeux » ou a fait preuve d’« ignorance volontaire ».

[26]        Il a été conclu que le concept de l’« ignorance volontaire » [ou l’aveuglement volontaire] s’applique aux affaires fiscales; voir les arrêts Canada c. Villeneuve, 2004 CAF 20, et Panini c. Canada, 2006 CAF 224. Dans l’arrêt Panini, le juge Nadon a exprimé clairement que le concept de l’« aveuglement volontaire » fait partie de la « faute lourde » au sens où cette expression est utilisée au paragraphe 163(2) de la Loi. Il s’est exprimé en ces termes :

43 [...] le droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commanderaient ou lui imposeraient de s’enquérir de sa situation fiscale, refuse ou néglige de le faire sans raison valable.

[27]        Il a été conclu que, pour établir la distinction entre la faute « ordinaire » ou la négligence et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs :

a)       l’importance de l’omission relative au revenu déclaré;

b)      la faculté du contribuable de découvrir l’erreur;

c)       le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente;

d)      l’effort réel de se conformer à la loi.

Il n’existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qui convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve (voir la décision DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545, au paragraphe 11; la décision Bhatti c. La Reine, 2013 CCI 143, au paragraphe 24, et la décision McLeod c. La Reine, 2013 CCI 228, au paragraphe 14).

[28]        Dans la décision Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, le juge C. Miller a effectué un examen très approfondi de la jurisprudence en ce qui a trait aux pénalités imposées pour faute lourde aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi. Il a ainsi été en mesure de faire ressortir les principes directeurs à appliquer. Je cite les remarques incidentes qu’il a énoncées au paragraphe 65 de sa décision :

a)         La connaissance d’un faux énoncé peut être déduite d’un aveuglement volontaire.

b)         La notion d’aveuglement volontaire peut être appliquée aux pénalités pour faute lourde prévues par le paragraphe 163(2) de la Loi [...]

c)         Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

d)         Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

e)         Les facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration, ou faisant apparaître « des feux rouges clairs » [...] comprennent ce qui suit :

i)          l’importance de l’avantage ou de l’omission;

ii)         le caractère flagrant du faux énoncé et la facilité avec laquelle il peut être décelé;

iii)        l’absence, dans la déclaration elle-même, d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration;

iv)        les demandes inusitées du spécialiste;

v)         le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable;

vi)        les explications inintelligibles du spécialiste;

vii)       le point de savoir si d’autres personnes ont eu recours au spécialiste ou ont fait des mises en garde à l’encontre de ce dernier, ou le point de savoir si le contribuable lui-même hésite à s’en ouvrir à d’autres.

f)         Le dernier critère de l’aveuglement volontaire est le fait que le contribuable ne s’enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

[29]        Il ne s’agit certainement pas d’une liste exhaustive et il peut s’avérer nécessaire de tenir compte d’autres facteurs en fonction des circonstances propres à chaque cas. J’estime que le juge C. Miller fournit un excellent cadre pouvant servir à analyser des affaires comme celle dont je suis actuellement saisi. J’appliquerai les facteurs énumérés par le juge C. Miller en l’espèce. Il sera assez évident que certains de ces facteurs se chevauchent et sont connexes.

Le niveau d’instruction et d’expérience

[30]        L’appelant a fait des études universitaires et est titulaire d’un baccalauréat en mathématiques et en géologie. Il semble être une personne intelligente et charmante s’exprimant avec aisance. Il sait comment remplir des déclarations de revenus au Canada, car il a préparé ses propres déclarations et celles de son épouse depuis son arrivée au Canada. Il a déjà travaillé dans le système bancaire et pour IBM. Il comprend des concepts d’entreprise de base, comme les profits et les pertes. Il a un intérêt pour les possibilités d’affaires et de placement. C’est pourquoi il s’est intéressé à DSC. Il a déjà tiré profit de stratagèmes de planification fiscale proposés par DSC, comme le programme de dons GLGI. L’appelant ne manque pas d’instruction ou d’une compréhension élémentaire de concepts tels que le concept d’entreprise ou celui de l’impôt au point de pouvoir plaider l’ignorance. Le niveau d’instruction, d’expérience et d’intelligence de l’appelant n’est pas un facteur qui puisse lui permettre d’échapper à la conclusion qu’il a, dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés.

La nécessité de s’informer ou le soupçon d’une telle nécessité

[31]        De nombreux signaux d’avertissement ou anomalies auraient dû éveiller les soupçons de l’appelant et lui faire prendre conscience de la nécessité de s’informer.

Signaux d’avertissement

L’importance de l’avantage

[32]        Lorsque l’appelant est allé chercher sa déclaration et signer tous les documents, il a reçu la facture de Trem-Dy Group et de Fiscal Arbitrators. Il a vu que la facture d’honoraires s’élevait à plus de 10 000 $ et qu’il pouvait s’attendre à obtenir un remboursement total supérieur à 38 000 $ pour les années d’imposition 2006 à 2009. Il affirme qu’il s’attendait à obtenir un remboursement de 18 000 $, ce qui ne le surprenait pas outre mesure étant donné qu’il recevait habituellement des remboursements de l’ordre de 13 000 $ ou de 14 000 $. C’est peut‑être vrai, mais les remboursements totaux supérieurs à 38 000 $ pour les années d’imposition 2006 à 2009 s’ajoutaient aux remboursements qu’il avait déjà reçus pour ces années d’imposition. Les remboursements étaient si importants qu’il n’aurait payé aucun impôt pour toutes ces années. L’importance de l’avantage que devait retirer l’appelant en raison des faux renseignements figurant dans sa déclaration était une anomalie flagrante qui aurait dû éveiller les soupçons de l’appelant et le pousser à s’informer. Ce facteur donne à penser que l’appelant a fait preuve d’aveuglement volontaire.

Le caractère flagrant du faux énoncé – facilité avec laquelle le faux énoncé pouvait être décelé

[33]        L’appelant a déclaré un revenu d’entreprise d’environ 87 650 $ et des dépenses d’entreprise énormes dépassant 320 000 $, de sorte que les pertes d’entreprise nettes se chiffraient à environ 244 680 $ alors qu’en fait, l’appelant n’exploitait pas d’entreprise. Ces renseignements sont manifestement faux. En outre, si l’appelant avait simplement jeté un coup d’œil sur sa déclaration au lieu de se limiter à la signer, il aurait facilement décelé les faux renseignements. Il s’agit d’un autre facteur donnant à penser que l’appelant a commis une faute lourde.

L’absence d’une attestation du spécialiste qui a établi la déclaration

[34]        L’appelant croyait que DSC avait établi sa déclaration de revenus. Il faisait confiance à DSC, car il entretenait une relation avec celle‑ci depuis quatre ans. Néanmoins, il a appris que DSC n’était pas le spécialiste ayant établi sa déclaration lorsqu’il a reçu la facture l’informant qu’il devait payer des honoraires de plus de 10 000 $ à Trem‑Dy Group et à Fiscal Arbitrators. Cela aurait dû le pousser à s’informer afin de savoir quel spécialiste avait réellement établi sa déclaration. En outre, la personne, quelle qu’elle soit, qui a établi la déclaration de revenus n’a pas rempli la case réservée aux spécialistes de déclarations de revenus. Cette case, qui se trouve à la ligne 490, soit à la dernière page de la déclaration, est située juste à côté de la ligne sur laquelle l’appelant doit apposer sa signature pour confirmer que les renseignements sont exacts et complets. Lorsqu’un contribuable signe sa déclaration, la case réservée aux spécialistes de déclarations de revenus devrait lui sauter aux yeux. Il convient de souligner que les déclarations de revenus ne sont pas étrangères à l’appelant, car celui‑ci a, dans le passé, établi ses propres déclarations et celles de son épouse. L’absence de renseignements à la ligne 490 aurait dû faire prendre conscience à l’appelant de la possibilité que le spécialiste ne voulait pas que l’ARC connaisse son identité. Il ne s’agit pas nécessairement d’un élément important, mais, pris conjointement avec toutes les autres anomalies, il aurait dû éveiller les soupçons de l’appelant.

Les demandes inusitées du spécialiste

[35]        Le mot [traduction] « par » était écrit à la main sur la ligne de la signature, juste devant l’endroit où l’appelant devait apposer sa signature. Personne ne lui a jamais dit la raison pour laquelle ce mot était écrit sur la ligne de la signature et il n’a jamais mis en doute cette demande bizarre. Cette demande étrange, bien qu’elle ne constitue pas un facteur important, aurait dû éveiller les soupçons de l’appelant.

Le fait que le spécialiste était auparavant inconnu du contribuable

[36]        L’appelant croyait que DSC avait établi sa déclaration, ce qui n’est manifestement pas le cas. Il est probable que ce soit Fiscal Arbitrators qui a établi la déclaration, car les honoraires de 10 000 $ étaient payables à cet organisme. L’appelant doit avoir compris cela au moment où il a reçu la facture, soit lorsqu’il a signé les documents et produit la déclaration. Fiscal Arbitrators était auparavant inconnu du contribuable. Il se peut qu’il s’agisse d’un facteur de moindre importance, mais, pris conjointement avec tous les autres facteurs, il aurait dû pousser l’appelant à faire preuve d’un peu plus de diligence raisonnable quant à la légitimité de Fiscal Arbitrators. L’appelant aurait dû demander à Mme Perry, de DSC, qui était Fiscal Arbitrators et quel était le lien de cet organisme avec DSC. L’appelant aurait également dû demander pourquoi il n’a jamais été présenté à un quelconque représentant de Fiscal Arbitrators. Il aurait dû demander des références et les vérifier. Il ne l’a pas fait.

Le manque d’explications du spécialiste

[37]        L’appelant a déclaré que DSC lui avait fait une proposition qui devait lui permettre d’optimiser son remboursement d’impôt. Nous savons désormais que ces remboursements allaient découler de pertes d’entreprise fictives. Personne n’a expliqué à l’appelant la façon dont ses remboursements d’impôt seraient optimisés, et il n’a demandé à personne de lui expliquer la méthode qui serait employée à cette fin. Il me semble qu’une personne qui a déjà établi sa propre déclaration de revenus devrait être curieuse de savoir ce qui lui aurait échappé dans l’établissement de ses déclarations des années antérieures. Néanmoins, il n’a pas pris la peine de se renseigner d’une quelconque façon au sujet du stratagème de planification fiscale. Absolument aucune explication n’a été demandée ni donnée. Il a simplement fait aveuglément confiance à DSC. Il a choisi de demeurer béatement dans l’ignorance de la situation. J’estime que le refus de s’informer au sujet du stratagème de planification fiscale prouve que l’appelant a commis une faute lourde.

Les autres ne s’y risquent pas, ou bien le contribuable est mis en garde ou bien il craint d’en parler

[38]        Il ne s’agit pas d’un facteur dans les circonstances de la présente affaire.

Le défaut de s’enquérir auprès d’autres professionnels ou de l’ARC

[39]        Non seulement l’appelant ne s’est pas renseigné auprès de son spécialiste en déclarations ou ne lui a pas demandé d’explications, mais il n’a pas demandé d’explications à un autre spécialiste en déclarations, à un comptable, à un avocat fiscaliste ou à l’ARC. Là encore, il a choisi de demeurer béatement dans l’ignorance, de faire aveuglément confiance à DSC et de ne pas prendre la peine de s’informer au sujet de la légitimité de ce qui était fait. Cela révèle une faute lourde.

Le barème tarifaire

[40]        Le spécialiste en déclarations demandait des honoraires conditionnels supérieurs à 10 000 $. Pour ne remplir que quelques formulaires, ces honoraires étaient exorbitants. Cela aurait dû pousser l’appelant à douter de la légitimité du spécialiste en déclarations.

La confiance du contribuable envers le spécialiste

[41]        Ce facteur et le fait que l’appelant n’a pas examiné sa déclaration de revenus sont interdépendants. Toute l’argumentation de l’appelant est fondée sur le fait qu’il a fait confiance à DSC, avec qui il entretenait une relation depuis quatre ans, et qu’il n’avait aucune raison de ne pas faire confiance à cette entreprise. Voilà pourquoi il n’a pas examiné sa déclaration de revenus.

[42]        Cependant, l’appelant a déjà suivi les conseils fournis par DSC et a fait des dons de 24 506 $ à la GLGI pour l’année d’imposition 2006. L’ARC a depuis rejeté ce don, et l’appelant en a été informé en mai 2010, avant la production de sa déclaration de 2009. J’ignore si cette affaire fait encore l’objet d’une contestation ou si elle fait actuellement l’objet d’un litige. Il va sans dire que le fait que l’ARC doutait de la légitimité des occasions financières que DSC a offertes à l’appelant aurait dû amener celui‑ci à les vérifier au préalable avec un peu plus de vigilance plutôt que d’accepter sans réserve ce que lui proposait DSC. Par conséquent, lorsque l’appelant a signé sa déclaration de 2009, il savait que les conseils que lui avait donnés DSC pouvaient être douteux. Il s’agit cependant d’un élément d’une importance mineure qui n’est pas essentiel à la décision que je dois rendre.

[43]        Comme il a déjà été précisé, l’appelant fait valoir qu’il n’a aucune raison de ne pas faire confiance à DSC. Dans certains cas, un contribuable peut rejeter le blâme sur des professionnels négligents ou malhonnêtes auxquels il faisait confiance; par exemple, voir la décision Lavoie c. La Reine, 2015 CCI 228, qui concerne des contribuables qui ont compté sur un avocat, aussi un ami de confiance, à qui ils faisaient confiance depuis plus de 30 ans. Cependant, il y a une abondance de cas où les contribuables, qui ont fait aveuglément confiance à des spécialistes en déclarations, n’ont pas réussi à se soustraire aux pénalités imposées pour faute lourde, car ils ne se sont pas donné la peine de vérifier l’exactitude des renseignements fournis dans leurs déclarations de revenus.

[44]        Dans la décision Gingras c. Canada, [2000] A.C.I. no 541 (QL), le juge Tardif s’est exprimé en ces termes :

19 Le fait d’avoir recours à un expert ou à quelqu’un qui se présente comme tel, n’excuse en rien la responsabilité de ceux qui attestent, par leur signature, la véracité de leur déclaration.

[...]

30 L’imputabilité des faux renseignements fournis dans une déclaration de revenus incombe au signataire de ladite déclaration et non au mandataire qui l’a complétée, peu importe ses compétences ou qualifications.

[45]        Dans la décision DeCosta, précitée, le juge en chef Bowman a affirmé ceci :

12 [...] Même si son comptable doit assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l’on peut dire que l’appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l’omission d’un montant qui représente presque le double du montant qu’il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au-delà du simple manque d’attention.

[46]        Dans la décision Laplante c. La Reine, 2008 CCI 335, le juge Bédard a écrit :

15 [...] L’appelant ne peut pas se dégager ici de sa responsabilité en pointant du doigt son comptable. En tentant de se soustraire ainsi à toute responsabilité à l’égard de ses déclarations de revenus, l’appelant se trouve à rejeter négligemment du revers de la main les responsabilités, les devoirs ou les obligations que lui impose la Loi [...]

[47]        Dans la décision Brochu c. La Reine, 2011 CCI 75, la Cour a maintenu des pénalités pour faute lourde dans une affaire où la contribuable s’est simplement fiée aux déclarations de sa comptable que tout était en règle. Elle a feuilleté brièvement la déclaration et a affirmé qu’elle ne comprenait pas les termes « revenus d’entreprise » et « crédit », mais elle n’a pas posé de questions à sa comptable ni à personne d’autre pour s’assurer que ses revenus et ses dépenses soient comptabilisés comme il se doit. Le juge Favreau de la Cour estimait que la contribuable a fait preuve de négligence, car elle n’a pas songé à la nécessité de s’informer, ce qui constitue une faute lourde.

[48]        Dans la décision Janovsky c. La Reine, 2013 CCI 140, la juge V.A. Miller s’est exprimée en ces termes :

22 L’appelant dit avoir passé en revue sa déclaration avant de la signer et ne pas avoir posé de questions. Il a déclaré qu’il faisait confiance aux FA car il s’agissait d’experts en fiscalité. Cette déclaration est, selon moi, peu vraisemblable. Il a assisté à une seule réunion avec les FA en 2009. Il n’avait jamais entendu parler de ces derniers auparavant et, pourtant, entre la réunion qu’il a eue avec eux et la production de sa déclaration en juin 2010, il n’a jamais posé de questions sur les FA. Il n’a mis en doute ni leurs titres de compétence ni leurs prétentions. Dans son désir de toucher un remboursement élevé, l’appelant n’a pas essayé de se renseigner sur eux.

23 Compte tenu du niveau d’instruction de l’appelant et de l’ampleur du faux énoncé qu’il a fait dans sa déclaration de 2009, je suis d’avis que l’appelant savait que les montants indiqués dans sa déclaration étaient faux.

[49]        La décision Atutornu c. La Reine, 2014 CCI 174, est un autre exemple récent. Dans cette affaire, les contribuables se sont simplement fiés aveuglément aux conseils de leur spécialiste en déclarations sans lire ni examiner leurs déclarations et sans faire le moindre effort pour en vérifier l’exactitude.

Le fait de signer la déclaration sans l’examiner

[50]        Ce facteur est inextricablement lié à la question de la confiance envers le spécialiste en déclarations dont il a été question précédemment. Manifestement, l’appelant n’a tout simplement pas examiné sa déclaration avant de la signer. Il a été conclu qu’en soi, ce seul fait peut être suffisant pour constituer une faute lourde.

[51]        Comme l’ont souvent affirmé nos tribunaux, notre régime fiscal repose sur l’autodéclaration et chaque contribuable a l’obligation de s’assurer de la véracité de tous les renseignements contenus dans sa déclaration. L’appelant n’a fait aucun effort pour vérifier si sa déclaration était exacte et complète. S’il avait fait le moindre effort, il aurait décelé de nombreuses anomalies tout à fait évidentes à un simple survol de sa déclaration. Comme l’a affirmé le juge Tardif dans la décision Gingras, précitée :

31 [...] il est tout à fait répréhensible d’attester par sa signature que les renseignements fournis sont exacts alors que l’on sait ou devrait savoir qu’elle contient de faux énoncés. Un tel comportement est suffisant pour conclure à une faute lourde justifiant l’imposition des pénalités applicables.

[52]        Dans la décision Laplante, précitée, le juge Bédard a écrit ceci :

15 De toute façon, je suis d’avis que la négligence de l’appelant (soit le fait de ne pas examiner du tout ses déclarations de revenus avant de les signer) était assez grave pour justifier l’épithète « lourde » qui est quelque peu péjorative. L’attitude de l’appelant était si cavalière en l’espèce qu’elle traduisait une indifférence totale au respect de la Loi. L’appelant n’a‑t‑il pas admis que, sil avait examiné ses déclarations de revenus avant de les signer, il aurait nécessairement décelé les nombreux faux énoncés qui y apparaissaient, énoncés qui auraient été faits par monsieur Cloutier? [...] En l’espèce, la Loi imposait au minimum à l’appelant l’obligation de jeter un coup d’œil sur ses déclarations de revenus avant de les signer, d’autant plus qu’en l’espèce il a admis que cet examen rapide lui aurait permis de déceler les faux énoncés que son comptable avait faits.

[Souligné dans l’original.]

[53]        Encore plus récemment, le juge Bowie s’est exprimé en ces termes dans la décision Brown c. La Reine, 2009 CCI 28 :

20 Par ailleurs, pour ce qui est des pénalités pour faute lourde imposées à l’appelant en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’appelant a lui‑même clairement affirmé au début de son témoignage qu’il n’avait jamais porté attention aux revenus et aux dépenses indiqués dans les déclarations pour les quatre années en cause lorsqu’il les signait. L’appelant a dit qu’il conservait ses dossiers, préparait des tableaux de ventilation à partir de ses dossiers et qu’il donnait les tableaux à une spécialiste en déclarations de revenus, qui se servait des documents qu’elle recevait de l’appelant pour préparer les déclarations de revenus de ce dernier. La spécialiste n’a pas témoigné, mais, si l’on se fie à la version des faits de l’appelant, il reste que l’appelant était quand même tenu d’examiner ses déclarations de revenus avant de les signer et de les produire auprès du ministre. La déclaration que le contribuable fait lorsqu’il signe sa déclaration de revenus est ainsi rédigée :

J’atteste que les renseignements donnés dans cette déclaration et dans tous les documents annexés sont exacts, complets et révèlent la totalité de mes revenus.

Le fait de signer une déclaration de revenus et de faire, par le fait même, la déclaration précitée sans même vérifier le contenu de la déclaration – ce qu’a fait l’appelant, si j’ai bien compris son témoignage – constitue, à lui seul, une faute lourde qui justifie l’imposition des pénalités.

[Non souligné dans l’original.]

[54]        Dans la décision Bhatti, précitée, le juge C. Miller a soulevé le point suivant :

30 [...] Il est tout simplement insuffisant d’affirmer ne pas avoir vérifié ses déclarations. Confier aveuglément ses obligations à quelqu’un d’autre sans même une vérification minimale de l’exactitude de la déclaration va au‑delà de l’imprudence. Donc, même si elle n’a pas sciemment omis de déclarer le revenu, elle a certainement adopté l’attitude cavalière du laisser‑aller [...]

[55]        Il s’agit d’un facteur très important donnant à penser que l’appelant a commis une faute lourde.

L’effort réel de se conformer à la loi

[56]        J’estime que l’appelant n’a fait aucun effort pour se conformer à la loi. Le comportement qu’il a adopté après coup le prouve certainement. Il a affirmé qu’il avait appris qu’il demandait la déduction de pertes d’entreprise énormes lorsqu’il a reçu la lettre dans laquelle l’ARC lui a posé des questions au sujet de ses pertes d’entreprise. La lettre de l’ARC a certainement dû lui faire faire prendre conscience qu’il y avait de graves problèmes dans sa déclaration et que le spécialiste en déclarations avait manifestement inclus dans sa déclaration des renseignements fictifs au sujet de pertes d’entreprise. Il affirme que cela l’avait mis en colère et qu’il voulait que son spécialiste en déclarations corrige le problème. Toutefois, au lieu de répondre directement à l’ARC et de s’en prendre à son spécialiste, l’appelant a donné la lettre de l’ARC à Mme Perry, qui l’aurait remise au spécialiste en déclarations. Il n’a jamais répondu aux préoccupations soulevées par l’ARC. Le spécialiste a rédigé des réponses insensées à toutes les lettres en provenance de l’ARC. Même après avoir réalisé que ces réponses étaient d’une absurdité totale, l’appelant les a envoyées à l’ARC. Ce comportement révèle clairement son état d’esprit pendant toute l’affaire.


Conclusion

[57]        Il ne fait aucun doute que la déclaration de revenus de 2009 de l’appelant et sa demande de report rétrospectif d’une perte comportaient de faux énoncés; l’appelant n’a pas exploité d’entreprise et n’a subi aucune perte d’entreprise, encore moins des pertes d’entreprise supérieures à 244 000 $. Je ne peux en venir qu’à une seule conclusion, soit que l’appelant a fait preuve d’aveuglement volontaire et a commis une faute lourde en ce qui concerne la fausseté de ces énoncés. Cela est incontestable puisqu’il a signé sa déclaration et a, par le fait même, confirmé l’exactitude des renseignements contenus dans celle‑ci sans faire le moindre effort pour en vérifier l’exactitude. Par conséquent, il s’est vu imposer à juste titre les pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi.

[58]        Je compatis énormément avec l’appelant. Son épouse et lui sont de bonnes personnes peu fortunées qui ont été menées en bateau par des personnes sans scrupules. Cependant, l’appelant aurait dû être plus avisé compte tenu de l’ensemble des circonstances. Toute la situation actuelle aurait pu être évitée si M. Taylor avait simplement jeté un coup d’œil aux renseignements inscrits dans sa déclaration. Ces pénalités sont très lourdes et causeront sans aucun doute de grandes difficultés à cette famille. J’aimerais avoir le pouvoir d’alléger ces pénalités, mais ce n’est malheureusement pas le cas. La seule question que je peux trancher consiste à savoir si les pénalités sont justifiées ou non.

[59]        La Cour attire l’attention de l’appelant sur le fait qu’il peut demander à l’ARC une renonciation aux pénalités et aux intérêts conformément aux dispositions d’allègement pour les contribuables au paragraphe 220(3.1) de la Loi. La Cour n’a aucun rôle relativement à ces demandes, et il convient de souligner que la renonciation aux pénalités et aux intérêts relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du ministre. Les demandes de cette nature doivent être présentées à l’ARC, qui publie une circulaire d’information (IC07‑1) ainsi que le formulaire (RC4288) de demande d’allègement pour les contribuables.

[60]        Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté. L’intimée a droit aux dépens.

Signé à Kingston (Ontario), ce 18e jour de décembre 2015.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d’octobre 2016.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 335

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-958(IT)G

 

INTITULÉ :

RAINFORD TAYLOR c. LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant Rommel G. Masse

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 18 décembre 2015

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Osborne G. Barnwell

Avocat de l’intimée :

Me Jan Jensen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Pour l’appelant :

Osborne G. Barnwell

 

 

Cabinet :

North York (Ontario)

 

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 

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