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Dossier : 2014-2339(GST)I

ENTRE :

ANDREI 95 HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 21 août 2015

à Kelowna (Colombie‑Britannique).

Devant : L’honorable juge B. Paris

Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Viorel Mazilescu

Avocat de l’intimée :

Me Pavanjit Mahil Pandher

 

JUGEMENT

L’appel interjeté au titre de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise pour les périodes allant du 1er septembre 2010 au 31 août 2011 et du 1er septembre 2011 au 31 août 2012 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour d’octobre 2015.

« B. Paris »

Juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 10jour de décembre 2015.

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


Référence : 2015 CCI 224

Date : 20151023

Dossier : 2014-2339(GST)I

ENTRE :

ANDREI 95 HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1]             La Cour est saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’une cotisation établie au titre de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »). La Cour est appelée à statuer sur la question de savoir si l’appelante a droit aux crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») de 10 099,74 $ et de 4 632,67 $ qu’elle a demandés pour ses périodes de déclaration se terminant le 31 août 2011 et le 31 août 2012, respectivement. Les CTI concernent la taxe sur les produits et services (la « TPS ») relative aux frais juridiques payés par l’appelante.

[2]             Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les CTI compte tenu du fait que l’appelante n’a pas supporté les frais juridiques dans le cadre de l’une ou l’autre activité commerciale qu’elle exerçait, et qu’elle n’a donc pas droit aux CTI en application du paragraphe 169(1) de la LTA.

[3]             Les passages pertinents du paragraphe 169(1) sont ainsi libellés :

169(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, un crédit de taxe sur les intrants d’une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu’elle acquiert, importe ou transfère dans une province participante, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable :

A × B

où :

A         représente la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert, selon le cas, qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable;

B :      

[…]

c) dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service, ou l’a transféré dans la province, selon le cas, pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

[4]              Le paragraphe 123(1) de la LTA donne la définition de l’expression « activité commerciale ». Le passage pertinent de cette définition est ainsi libellé :

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne : 

a) l’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

[…]

[5]             L’appelante soutient que ses activités commerciales comprenaient la fourniture de services de gestion et que les frais juridiques ont été supportés relativement à cette activité.

[6]             L’intimée avance que les frais juridiques ont été supportés par l’appelante en partie dans le cadre de négociations pour l’achat ou la vente d’actions détenues par elle ou par ses actionnaires, à savoir Viorel Mazilescu et son épouse, Anca Mazilescu, et en partie dans le contexte d’un litige qui n’était lié d’aucune façon aux activités commerciales exercées par l’appelante.

[7]             M. Mazilescu détient 75 % des actions de l’appelante et en est l’unique administrateur. Son épouse, Anca Mazilescu, détient le reste des actions de l’appelante.

[8]             M. Mazilescu a représenté l’appelante à l’audience et il était l’unique témoin.

[9]             Pendant la période pertinente, l’appelante et M. Mazilescu détenaient conjointement la moitié des actions de deux sociétés : Waycon Manufacturing Ltd. (la société « Waycon ») et JAV Entreprises Ltd., (la société « JAV »). John O’Connell et des entités qu’il contrôlait détenaient l’autre moitié des actions des sociétés Waycon et JAV.

[10]        La société Waycon fabriquait des dispositifs d’enregistrement et des tamis à terre et la société JAV possédait le terrain et les bâtiments utilisés par la société Waycon.

[11]        Une autre société, OMH Innovations Inc. (la société « OMH ») était détenue à parts égales par M. O’Connell, Anca Mazilescu et Bradley Hilmoe. La société OMH distribuait les produits de la société Waycon.

[12]        M. Mazilescu et M. O’Connell étaient des employés de la société Waycon, et Anca Mazilescu était une employée de la société OMH.

[13]        Au début de 2008, M. O’Connell a reçu un diagnostic de cancer et est parti en congé. Dans son témoignage, M. Mazilescu a déclaré qu’il était devenu seul responsable pour la gestion des sociétés Waycon, OMH et JAV jusqu’au retour de M. O’Connell, en 2010. Il a déclaré que ces fonctions de gestion ne faisaient pas partie de ses tâches normales de travail pour la société Waycon et qu’il les avait exercées en tant que consultant pour le compte de l’appelante.

[14]        M. Mazilescu a déclaré dans son témoignage que l’appelante avait reçu des frais de gestion de 33 947 $ en 2008 et de 90 000 $ en 2009 de la société Waycon et de 100 000 $ en 2010 de la société OMH à titre de rémunération pour les services de gestion rendus. Il a précisé que le paiement de la société OMH se rapportait à trois ans de services de gestion.

[15]        Après le retour de M. O’Connell en 2010, sa relation avec M. Mazilescu a commencé à se détériorer. M. Mazilescu a déclaré qu’ils avaient donc décidé de séparer leurs intérêts commerciaux et avaient commencé à mener des négociations en vue d’obtenir que l’un d’eux achète les intérêts de l’autre. M. Mazilescu était représenté dans ces négociations par Me Grant Hardwick du cabinet d’avocats Doak Shirreff LLP.

[16]        La relation entre M. Mazilescu et M. O’Connell est restée tendue et, en janvier 2011, M. O’Connell a présenté une demande en vue d’obtenir une ordonnance Anton Piller contre 13 défendeurs, dont l’appelante, les Mazilescu et une autre société qu’ils possédaient, à savoir OMH Proscreen Inc. (la société « Proscreen »). L’ordonnance Anton Piller a été rendue le 19 janvier 2011.

[17]        Bien que l’ordonnance même n’ait pas été présentée à la Cour, il semble que le redressement accordé comprenait une injonction mettant fin à l’emploi de M. Mazilescu auprès de la société Waycon et à l’emploi d’Anca Mazilescu auprès de la société OMH. Le litige concernant l’ordonnance a suivi son cours jusqu’en 2012 et a été finalement réglé en novembre 2012 : M. O’Connell a acheté les intérêts de M. Mazilescu et de l’appelante détenus dans les sociétés Waycon et JAV et dans une autre société liée. Me Hardwick a aussi représenté les Mazilescu et leurs sociétés tout au long du litige et du processus de règlement.

[18]        Dans son témoignage, M. Mazilescu a déclaré qu’une action en justice distincte a été intentée par M. O’Connell relativement à des questions concernant la société OMH, et qu’il n’a pas encore été statué sur cette action.

[19]        Il ressort également de la preuve qu’en plus des montants déclarés à titre de frais de gestion par l’appelante, celle‑ci a déclaré des dividendes de 125 619 $ en 2008 et de 5 619 $ en 2009 ainsi que des revenus de location de 4 200 $ en 2011 et de 13 407 $ en 2012. L’origine des revenus de dividendes n’a pas été communiquée à l’audience, mais M. Mazilescu a confirmé que les revenus de location n’étaient pas liés aux activités des sociétés Waycon, JAV ou OMH.

Analyse

[20]        Après avoir examiné les décisions rendues par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique relativement à la demande présentée par M. O’Connell en vue d’obtenir l’ordonnance et le redressement connexe, après avoir analysé certains affidavits souscrits par M. Mazilescu qui ont été produits dans ces instances et après avoir soupesé les éléments de preuve présentés par M. Mazilescu à l’audience en l’espèce, j’ai conclu que l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait droit à des CTI en ce qui a trait aux frais juridiques en cause.

[21]        Les frais juridiques supportés par l’appelante jusqu’au moment où M. O’Connell a demandé l’ordonnance Anton Piller en janvier 2011 avaient été supportés en vue de la négociation d’une séparation des intérêts commerciaux de M. Mazilescu et de M. O’Connell au moyen de l’achat des actions de l’un ou de l’autre. M. Mazilescu a admis en contre‑interrogatoire que tous les frais juridiques supportés par l’appelante en 2010 se rapportaient à cette opération éventuelle portant sur les actions.

[22]        Étant donné que les actions sont des effets financiers au sens de cette expression au paragraphe 123(1) de la LTA, et compte tenu du fait que la fourniture d’effets financiers est une fourniture exonérée en vertu de la LTA, aucun CTI à l’égard d’intrants afférents aux fournitures d’effets financiers n’est accordé au titre du paragraphe 169(1). Il en est ainsi parce que la réalisation d’une fourniture exonérée est exclue de la définition de l’expression « activité commerciale » énoncée au paragraphe 4 susmentionné.

[23]        Aussi, j’ai conclu qu’il n’a pas été démontré que les frais juridiques supportés par l’appelante dans le contexte de la procédure intentée en janvier 2011 se rapportaient à quelque activité commerciale que ce soit exercée par l’appelante ou qu’ils y étaient liés. L’appelante n’a pas produit de copie de la demande Anton Piller présentée par M. O’Connell, mais il semble qu’elle était fondée sur une violation alléguée par M. Mazilescu et son épouse de la clause de non‑concurrence à l’égard de la société Waycon prévue à la convention d’actionnaires. Des précisions concernant les allégations sous-jacentes à la demande ont été fournies au paragraphe 22 de la décision rendue par le juge Armstrong le 6 juin 2011 de la manière suivante[1] :

[traduction]

[22] M. O’Connell fournit les précisions suivantes concernant dix plaintes, qui constituent le fondement du redressement qu’il demande en l’espèce :

1. Anca a faussement certifié une résolution bancaire pour la société OMH, dans laquelle Viorel est désigné à titre de signataire autorisé.

2. Viorel a retiré 100 000$ du compte de la société OMH sans le consentement de M. O’Connell ou de M. Hilmoe, ou à leur insu.

3. Viorel a retiré illégalement des renseignements confidentiels appartenant à la société Waycon Innovation.

4. Viorel et Anca ont créé la société OMH Proscreen pour concurrencer directement la société OMH.

5. Viorel a pris dans les locaux de Waycon un ordinateur qu’il a fait cloner, détournant ainsi la propriété intellectuelle de la société Waycon et de la société Waycon Innovation.

6. Viorel et Anca ont fait en sorte que la société OMH Proscreen vende des produits fabriqués par ou pour OMH à une société allemande et ont conservé le produit qui appartenait par ailleurs à la société OMH ou à Waycon.

7. Viorel a omis volontairement ou par négligence de veiller à ce que les agréments de la société Waycon en matière de soudure soient conservés.

8. Viorel a avisé M. Loewen qu’il allait ouvrir un nouvel atelier mais a appris qu’il ne pouvait le faire en raison de la convention d’actionnaires.

9. Viorel et Anca ont versé en 2010 à leur fils de 14 ans, Andrei, une rémunération supérieure à celle qui avait été convenue pour cette année-là.

10. Il semble manquer 100 000 $ dans les comptes de la société Waycon Innovation. Viorel et Anca ont falsifié des documents pour gonfler la valeur de la société Waycon.

[24]        Il ressort de la preuve que l’action intentée par M. O’Connell avait trait à la conduite des Mazilescu personnellement ou était liée à leur société Proscreen. M. O’Connell a laissé entendre que les Mazilescu avaient créé la société Proscreen pour se livrer à une concurrence avec la société Waycon. Je conclus, par conséquent, que la violation alléguée de la convention d’actionnaires concernait la conduite des Mazilescu, qui n’avait pas de lien avec l’appelante.

[25]        Je conclus également que l’appelante n’a pas démontré qu’elle avait déjà une entreprise dont l’activité consistait à fournir des services de gestion aux sociétés Waycon, OMH ou JAV. Dans le contexte du litige concernant la demande Anton Piller, M. Mazilescu a témoigné sur certains faits portant sur le montant de 90 000 $ qu’il affirme maintenant être des frais de gestion reçus par l’appelante de la société Waycon en 2009. Dans un affidavit daté du 2 février 2011, M. Mazilescu a précisé que le montant de 90 000 $ versé à l’appelante par la société Waycon était un [traduction] « montant compensateur pour les avantages personnels que M. O’Connell avait retirés de la société Waycon ». Les paragraphes 81 et 82 de cet affidavit sont ainsi libellés :

[traduction]

81. En réalité, l’utilisation de la société Waycon à des fins personnelles par M. O’Connell était tellement importante que le personnel comptable interne tenait un grand livre distinct des avantages personnels que M. O’Connell retirait de la société Waycon.

82. En 2010, les avantages personnels accumulés avaient atteint un montant important et, en conséquence, en mai 2010, M. O’Connell avait personnellement émis un chèque de 90 000 $ tiré sur le compte de la société Waycon en faveur de la société Andrei 95, qui représentait un montant compensateur pour les avantages personnels que M. O’Connell avait retirés de la société Waycon.

[26]        Le document susmentionné étaye le point de vue selon lequel les 90 000 $ versés à l’appelante n’avaient pas trait à des services de consultation rendus par M. Mazilescu pendant que M. O’Connell était absent de l’entreprise. Ces renseignements contredisent directement le témoignage de M. Mazilescu présenté à la Cour.

[27]        En ce qui concerne les 100 000 $ que l’appelante aurait reçus de la société OMH à titre de frais de gestion en 2010 selon les affirmations de M. Mazilescu, ce dernier déclare ce qui suit dans son affidavit du 2 février 2011 :

[traduction]

75. En ce qui concerne l’allégation formulée au paragraphe 39 selon laquelle j’avais injustement retiré la somme de 100 000 $ du compte de la société OMH Innovations, il est vrai que j’avais retiré, au mois de mai 2010 ou vers cette période, une somme de 100 000 $ du compte de cette société. Le comptable externe de la société avait été entièrement mis au courant de ce retrait qui visait à mettre les fonds hors de la portée de Brad Hilmoe. Cette mesure avait été prise notamment pour les raisons suivantes :

a) M. Hilmoe avait par le passé retiré injustement des fonds de la société OMH Innovations et les avait transféré aux États‑Unis au profit de la société OMH USA ou pour son propre compte;

b) au moment du retrait du montant de 100 000 $, l’application de l’entente de principe visant à séparer les opérations de la société OMH Innovations de celles de la société OMH USA accusait un retard de plusieurs mois. La société OMH Innovations réalisait des profits importants et je ne voulais pas que ceux‑ci soient érodés par la société OMH USA ou par M. Hilmoe personnellement.

[28]        Le juge Armstrong a finalement ordonné dans cette instance le remboursement des 100 000 $ à la société OMH.

[29]        Les observations que M. Mazilescu a présentées à la Cour concernant la nature du paiement de ce montant fait par la société OMH en faveur de l’appelante contredisent les déclarations figurant dans son affidavit.

[30]        Aucune explication n’a été fournie sur les contradictions relevées entre la preuve par affidavit de M. Mazilescu et son témoignage en l’espèce. Compte tenu de ces contradictions, je conclus que le témoignage de M. Mazilescu devant la Cour n’est pas crédible.

[31]        Enfin, M. Mazilescu n’a fourni aucune précision concernant les circonstances dans lesquelles l’appelante a reçu le montant de 33 947 $ qu’elle a déclaré dans sa déclaration de revenus pour son année d’imposition 2008 et je ne peux pas conclure que la qualification de frais de gestion donnée à ces montants était exacte.

[32]        Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que l’appelante n’a pas démontré que les services juridiques qu’elle a obtenus pendant les périodes en cause ont été acquis pour consommation ou utilisation dans le cadre de l’une ou l’autre de ses activités commerciales. Par conséquent, l’appelante n’a pas droit aux CTI demandés et l’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour d’octobre 2015.

« B.Paris »

Juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 10jour de décembre 2015.

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :

2015 CCI 224

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-2339(GST)I

INTITULÉ :

ANDREI 95 HOLDINGS LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Kelowna (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 août 2015

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 octobre 2015

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

M. Viorel Mazilescu

Avocat de l’intimée :

Me Pavanjit Mahil Pandher

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

s.o.

Cabinet :

s.o.

Pour l’intimée :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]           2011 BCSC 732.

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