[TRADUCTION]
Citation : TM c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2025 TSS 90
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | T. M. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de révision (0) datée du 29 octobre 2024 rendue par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Catherine Shaw |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 6 janvier 2025 |
Personne présente à l’audience : | Appelante |
Date de la décision : | Le 31 janvier 2025 |
Numéro de dossier : | GE-24-3675 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est accueilli. La division générale est d’accord avec l’appelant.
[2] L’appelant a démontré qu’il était fondé à quitter son emploi (c’est-à-dire qu’il avait une raison acceptable selon la loi pour le faire) quand il l’a fait. L’appelant était fondé à quitter son emploi parce que le départ était la seule solution raisonnable dans son cas. Par conséquent, il n’est pas exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.
Aperçu
[3] L’appelant travaillait à temps partiel dans une épicerie, où il s’occupait de réapprovisionner les étagères la nuit. Il travaillait également à temps plein pendant la journée.
[4] Il a décidé de quitter son emploi à temps partiel parce qu’il était épuisé de travailler de nuit et de devoir ensuite se rendre à son travail de jour. De plus, il n’avait pas beaucoup d’heures de travail, ce qui faisait en sorte qu’il ne pouvait pas compter sur cet emploi comme source de revenus. Plus important encore, il avait l’impression que son superviseur faisait preuve de discrimination envers lui au travail en raison de sa religion et de son pays d’origine. Il a également dû composer avec les commentaires discriminatoires d’autres travailleurs. Cela a nui à sa santé mentale et a ravivé son traumatisme passé de survivant de la guerre en Syrie.
[5] L’appelant a été mis à pied de son emploi à temps plein à peu près au même moment et a demandé des prestations d’assurance-emploi. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a examiné les raisons de l’appelant pour quitter son emploi à temps partiel. Elle a conclu que ce dernier a quitté volontairement son emploi (c’est-à-dire qu’il a choisi de quitter son emploi) sans justification prévue par la loi. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas lui verser de prestations.
[6] Je dois décider si l’appelant a prouvé que quitter son emploi était la seule solution raisonnable dans son cas.
[7] La Commission affirme qu’au lieu de quitter son emploi quand il l’a fait, l’appelant aurait pu tenter de remédier à la situation en discutant avec son employeur.
[8] L’appelant n’est pas d’accord et affirme qu’il n’a pas eu d’autre choix que de quitter son emploi en raison de l’impact qu’il avait sur sa santé mentale.
Question que je dois examiner en premier
La division d’appel a renvoyé l’appel à la division générale
[9] L’appelant a d’abord fait appel de la décision de la Commission selon laquelle il a quitté volontairement son emploi sans justification auprès de la division générale du Tribunal en août 2024. La division générale a rejeté son appel.
[10] L’appelant a porté cette décision en appel à la division d’appel du Tribunal. La division d’appel était d’accord avec l’appelant pour dire que la membre de la division générale n’avait pas dûment tenu compte de ses circonstances. Plus précisément, elle n’avait pas bien examiné s’il avait fait l’objet de discrimination au travail.
[11] La division d’appel a ordonné que l’appel soit renvoyé à la division générale pour une nouvelle audience sur cette seule question. La présente décision est le résultat de cette audience.
Question en litige
[12] L’appelant est-il exclu du bénéfice des prestations pour avoir quitté volontairement son emploi sans justification?
[13] Pour répondre à cette question, je dois d’abord aborder la question du départ volontaire de l’appelant. Je dois ensuite décider s’il était fondé à quitter son emploi.
Analyse
Les parties sont d’accord sur le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi
[14] J’accepte le fait que l’appelant a quitté volontairement son emploi. L’appelant reconnaît qu’il a quitté son emploi le 30 mars 2024. Je n’ai aucune preuve du contraire.
Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi
[15] Les parties ne sont pas d’accord sur le fait que l’appelant était fondé à quitter volontairement son emploi quand il l’a fait.
[16] La loi prévoit qu’une personne est exclue du bénéfice des prestations si elle quitte volontairement son emploi sans justificationNote de bas de page 1. Il ne suffit pas d’avoir une bonne raison de quitter un emploi pour prouver que le départ était fondé.
[17] La loi explique ce que veut dire « être fondé à ». Elle dit qu’une personne est fondée à quitter son emploi si son départ est la seule solution raisonnable, compte tenu de toutes les circonstancesNote de bas de page 2.
[18] L’appelant est responsable de prouver que son départ était fondé. Il doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’il doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que quitter son emploi était la seule solution raisonnableNote de bas de page 3.
[19] Pour trancher la question, je dois examiner toutes les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi. La loi énonce des circonstances que je dois prendre en considérationNote de bas de page 4.
[20] Une fois que j’aurai déterminé les circonstances qui s’appliquent à l’appelant, celui‑ci devra démontrer qu’il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi à ce moment-làNote de bas de page 5.
Les circonstances présentes quand l’appelant a quitté son emploi
[21] L’appelant affirme que l’une des circonstances énoncées dans la loi s’applique à son cas. Plus précisément, il affirme avoir fait face à de la discrimination fondée sur sa religion et son origine nationaleNote de bas de page 6. Il affirme que d’autres circonstances s’appliquaient également. Plus précisément, l’emploi ne lui offrait pas suffisamment d’heures pour qu’il constitue une véritable source de revenus et le travail de nuit l’épuisait.
L’appelant a-t-il fait face à de la discrimination fondée sur un motif illicite?
[22] Oui, je conclus que l’appelant a fait l’objet de discrimination sur le lieu de travail en raison de son origine nationale. Les remarques de ses collègues étaient discriminatoires et créaient un environnement de travail hostile pour l’appelant.
[23] L’appelant travaillait la nuit à réapprovisionner les étagères dans une épicerie. Il a dit que l’employeur l’avait traité injustement à plusieurs égards par rapport aux autres employés.
[24] Premièrement, l’employeur lui assignait plus de travail que les autres employés. L’appelant affirme que les autres employés devaient réapprovisionner une ou deux allées avec des articles légers, comme des croustilles. En revanche, il était chargé de réapprovisionner deux allées avec des objets plus lourds, comme des bouteilles d’eau.
[25] Deuxièmement, l’appelant s’est senti mal à l’aise en raison des propos religieux de son superviseur. Il a déclaré que son superviseur lui avait parlé de sa propre religion et qu’il faisait des commentaires sur la façon dont l’appelant devrait se convertir à cette dernière. L’appelant ne souhaitait pas discuter de religion, car cela créait un environnement de travail particulièrement inconfortable.
[26] Troisièmement, ses collègues ont fait des commentaires sur ses compétences en anglais. Ils lui ont dit que son anglais n’était pas très bon et qu’il devrait retourner dans son pays. Il a dit que cela créait un milieu de travail hostile, dans lequel il ne se sentait pas en sécurité ou à l’aise.
[27] Quatrièmement, il a eu l’impression que la représentante des ressources humaines l’avait traité de façon irrespectueuse lorsqu’elle a jeté sa lettre de démission par terre. L’appelant a dit avoir remis sa lettre de démission à la représentante des ressources humaines pendant qu’elle mettait du pain sur l’un des chariots. Il ne sait pas si elle a fait tomber la lettre exprès ou si c’était un accident, mais il a estimé que c’était un manque de respect.
[28] Je reconnais que l’appelant estimait qu’il était traité injustement au travail. Il a déclaré qu’on lui confiait systématiquement plus de travail qu’à ses collègues, et qu’il devait notamment réapprovisionner les allées avec des articles plus lourds que les autres travailleurs. Toutefois, il n’a présenté aucune preuve démontrant que c’était parce que l’employeur faisait preuve de discrimination à son égard en raison de sa religion, de son origine nationale ou en rapport avec tout autre groupe protégé.
[29] Je comprends que l’inégalité dans l’attribution des tâches ait pu amener l’appelant à penser qu’il était visé. Cependant, je ne peux pas conclure que les gestes posés par l’employeur étaient discriminatoires.
[30] Il y a plusieurs raisons pour lesquelles l’employeur aurait pu assigner à l’appelant des tâches différentes de celles de ses collègues. L’appelant était peut-être plus productif, ce qui pourrait expliquer pourquoi on lui a donné deux allées au lieu d’une. Il est également possible que certains de ses collègues n’aient pas été en mesure de soulever des objets lourds, comme des bouteilles d’eau, ou aient eu d’autres accommodements médicaux. Sans preuve supplémentaire, il est impossible de conclure que l’employeur a attribué des tâches à l’appelant de façon discriminatoire.
[31] Dans le même ordre d’idées, l’appelant a estimé que la représentante des ressources humaines lui avait manqué de respect en jetant sa lettre de démission par terre. Cependant, il a reconnu que cette dernière était en train d’effectuer une tâche lorsqu’il lui a remis la lettre et qu’il ne savait pas si son geste était accidentel ou intentionnel. D’après les renseignements dont je dispose, il n’est pas possible de conclure que la représentante des ressources humaines a agi de façon discriminatoire.
[32] De plus, je reconnais que l’appelant s’est senti mal à l’aise lorsque son superviseur a parlé de religion. Il est raisonnable que l’appelant n’ait pas voulu discuter de religion au travail. Cependant, le fait que son superviseur discute de religion avec lui n’est pas un acte discriminatoire en soi.
[33] Cependant, les commentaires faits par ses collègues de travail sont différents. Leurs remarques sur le manque de compétences en anglais de l’appelant et celles lui suggérant de retourner dans son pays sont manifestement discriminatoires. Ces commentaires n’ont d’autre but que de faire en sorte que l’appelant se sente comme un étranger dans son milieu de travail.
[34] De tels commentaires peuvent certainement contribuer à créer un environnement de travail hostile pour l’appelant. Non seulement de telles remarques minent son sentiment d’appartenance, mais elles créent également une atmosphère toxique qui, selon lui, l’a affecté mentalement et émotionnellement.
L’appelant n’avait pas d’autre solution raisonnable
[35] Je dois maintenant examiner si le départ de l’appelant était la seule solution raisonnable à ce moment-là.
[36] L’appelant affirme que c’était le cas en raison de la discrimination qu’il subissait et de l’environnement de travail hostile dans lequel il se trouvait.
[37] L’appelant a expliqué que la discrimination l’affectait particulièrement profondément en raison de son statut de survivant de la guerre en Syrie. Il a quitté la Syrie pour fuir le conflit, mais les traumatismes qu’il a vécus continuent de le marquer, et il lutte toujours contre les répercussions mentales et émotionnelles. Lorsque ses collègues ont fait des remarques discriminatoires, il s’est renfermé sur lui-même, craignant d’être à nouveau pris pour cible.
[38] De plus, l’appelant a mentionné qu’il faisait face à des difficultés financières à la maison, ce qui a mis à rude épreuve sa relation familiale. Ces problèmes personnels ont rendu impossible pour lui de faire face à un environnement de travail stressant et hostile. Par conséquent, il n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi.
[39] La Commission n’est pas d’accord et affirme que l’appelant aurait pu tenter de régler ses problèmes au travail en discutant de ses préoccupations avec l’employeur. Elle a également souligné que l’appelant avait communiqué avec l’employeur plusieurs mois après avoir démissionné pour tenter de reprendre son emploi. Selon la Commission, cela montre que l’environnement de travail n’était pas intolérable au point que l’appelant ait dû démissionner.
[40] Les tribunaux ont déclaré que, dans la plupart des cas, la partie prestataire doit tenter de résoudre les conflits de travail avec l’employeur et démontrer qu’elle a fait des efforts pour trouver un autre emploi avant de prendre la décision unilatérale de quitter son emploiNote de bas de page 7.
[41] L’appelant a déclaré qu’il cherchait un autre emploi depuis le début. Il a expliqué que cet emploi ne lui offrait pas assez d’heures pour qu’il puisse en faire une source de revenus stable. Il occupait en parallèle un emploi à temps plein, mais avait besoin d’argent supplémentaire pour l’aider à rembourser ses dettes. Il avait cherché un autre emploi pour remplacer celui-ci pendant plusieurs mois, mais n’avait rien trouvé.
[42] Toutefois, l’appelant n’a pas discuté de ses préoccupations avec son employeur avant de démissionner. Il a admis qu’il avait trop peur de soulever ces problèmes, craignant que la discrimination ne s’aggrave. Il reconnaît que cette peur a pu être influencée par son état mental et émotionnel, mais il affirme s’être senti effrayé et impuissant.
[43] J’estime que tenter de régler ces problèmes avec l’employeur n’était pas une solution raisonnable pour l’appelant à ce moment-là. Bien que cela aurait été une solution raisonnable dans des circonstances normales, je crois que l’appelant a vécu des incidents profondément traumatisants qui ont altéré sa capacité à entreprendre de telles démarches.
[44] L’appelant a fourni un témoignage franc et crédible, expliquant qu’il se sentait menacé et en danger en raison des remarques de ses collègues. Dans des décisions antérieures, le Tribunal a décrit l’incidence de tels événements comme une blessure psychologiqueNote de bas de page 8. Je trouve crédible que l’appelant ait subi une blessure psychologique à cause des commentaires discriminatoires et de l’environnement de travail hostile. Je le crois lorsqu’il dit que sa santé mentale s’est détériorée tout au long de son emploi.
[45] L’appelant a reconnu lors de l’audience qu’il avait tenté de reprendre cet emploi plusieurs mois après avoir démissionné. Il a expliqué qu’il avait de graves difficultés financières et qu’il n’avait pas les moyens de subvenir à ses besoins essentiels. Il a dit qu’il était désespéré et qu’il était prêt à reprendre cet emploi simplement pour survivre.
[46] Compte tenu du stress financier qu’il subissait, je ne considère pas sa volonté de retourner à cet emploi comme une indication qu’il avait d’autres solutions raisonnables que de quitter son emploi. Il est compréhensible qu’une personne puisse accepter un emploi ou le conserver par crainte des conséquences financières de son départ. Toutefois, cela n’empêche pas la personne d’avoir été fondée à quitter son emploi.
[47] Compte tenu des circonstances qui existaient quand l’appelant a quitté son emploi, l’appelant n’avait pas d’autre solution raisonnable que de quitter son emploi. Par conséquent, l’appelant était fondé à quitter son emploi
Conclusion
[48] Je conclus que l’appelant n’est pas exclu du bénéfice des prestations.
[49] Par conséquent, l’appel est accueilli.