[TRADUCTION]
Citation : Commission de l’assurance-emploi du Canada c TL, 2024 TSS 1488
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division d’appel
Décision relative à une demande de
permission de faire appel
Partie demanderesse : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Représentante ou représentant : | Jessica Murdoch |
Partie défenderesse : | T. L. |
Décision portée en appel : | Décision de la division générale datée du 4 novembre 2024 (GE-24-3215) |
Membre du Tribunal : | Stephen Bergen |
Date de la décision : | Le 29 novembre 2024 |
Numéro de dossier : | AD-24-787 |
Sur cette page
- Décision
- Aperçu
- Questions en litige
- Je ne donne pas à la Commission la permission de faire appel
- Conclusion
Décision
[1] Je refuse la permission de faire appel. L’appel n’ira pas de l’avant.
Aperçu
[2] La demanderesse est la Commission de l’assurance-emploi du Canada. T. L. est le défendeur. Je l’appellerai le prestataire parce que cette affaire porte sur sa demande de prestations d’assurance-emploi.
[3] Le prestataire a quitté son emploi le 3 octobre 2023 et a demandé des prestations d’assurance-emploi le même jour. La Commission a établi une période de prestations et a commencé à lui verser des prestations à compter de la semaine du 8 octobre 2023.
[4] Lorsque la Commission a été informée que l’employeur avait continué de verser une rémunération au prestataire jusqu’au 10 janvier 2024, elle a conclu que le prestataire n’avait pas subi d’arrêt de rémunération. Le 26 avril 2024, la Commission a annulé la demande de prestations du prestataire et lui a ordonné de rembourser les prestations reçues. Le prestataire a demandé à la Commission de réviser sa décision, mais celle-ci a maintenu sa position.
[5] Le prestataire a fait appel à la division générale, qui a conclu que l’argent que l’employeur lui avait versé pour la période du 3 octobre 2023 au 10 janvier 2024 lui était dû en raison de sa mise à pied. Elle a conclu qu’il avait bien subi un arrêt de rémunération, car ce type de paiement ne peut pas être pris en compte dans le cadre d’un arrêt de rémunération.
[6] La Commission demande la permission de faire appel de la décision de la division générale.
[7] Je refuse la permission de faire appel. La Commission n’a pas établi qu’il était possible de soutenir que la division générale a agi injustement, qu’elle a outrepassé sa compétence, ou encore qu’elle a commis une erreur de fait.
Questions en litige
[8] Voici les questions en litige :
- a) Est-il possible de soutenir que la division générale a agi injustement en décidant de la nature de la rémunération, sans aviser la Commission?
- b) Est-il possible de soutenir que la division générale a outrepassé sa compétence en décidant si la rémunération du prestataire était assurable?
- c) Est-il possible de soutenir que la division générale a commis une erreur de fait lorsqu’elle a conclu que la rémunération était une indemnité de départ malgré la preuve qu’elle avait été versée à titre de « maintien du salaire »?
Je ne donne pas à la Commission la permission de faire appel
Erreur d’équité procédurale
[9] La division générale a décidé que le prestataire avait subi un arrêt de rémunération le 3 octobre 2023. La Commission reconnaît qu’il s’agissait de la question dont la division générale était saisie et elle affirme qu’elle ne conteste pas sa décision sur cette question. De plus, elle ne semble pas s’opposer au refus exprimé par la division générale d’examiner la question de la répartition.
[10] Toutefois, la Commission soutient que la division générale a commis une erreur dans la façon dont elle a conclu à l’existence d’un arrêt de rémunération. Selon la Commission, la « rémunération » du prestataire n’était pas une question en litige. Elle affirme que la division générale n’aurait pas dû examiner la nature des paiements reçus par le prestataire entre le 3 octobre 2023 et le 10 janvier 2024 et qu’elle n’aurait pas dû définir cette rémunération comme une « indemnité de départ ».
[11] La Commission soutient que le processus était injuste parce que la division générale ne lui a pas dit qu’elle allait examiner la nature de la rémunération du prestataire. La Commission soutient qu’elle aurait dû avoir la possibilité de présenter des arguments et de fournir des éléments de preuve sur la façon dont la rémunération devrait être définie.
[12] La Commission n’a pas démontré qu’il était possible de soutenir que la division générale a agi d’une manière inéquitable sur le plan procédural.
[13] La Commission a d’abord décidé que le prestataire n’avait pas subi d’arrêt de rémunération en se fondant sur la preuve qu’il continuait de recevoir une rémunération de l’employeur. Maintenant que la division générale a conclu que le prestataire avait bel et bien subi un arrêt de rémunération le 3 octobre 2023, la Commission affirme qu’elle ne conteste pas la décision de la division générale sur cette question. Elle conteste plutôt ce qu’elle croit être une décision sur une autre question. Elle s’inquiète de la façon dont la division générale a examiné la nature de la rémunération du prestataire.
[14] Cependant, la division générale n’aurait pas pu décider que le prestataire n’avait pas subi d’arrêt de rémunération sans examiner les raisons pour lesquelles la rémunération lui a été versée. De plus, il n’est pas contesté que le prestataire a continué de recevoir des paiements de son employeur du 3 octobre au 10 janvier 2024. Ainsi, la division générale pouvait seulement décider qu’il n’y avait pas eu d’arrêt de rémunération si elle avait le pouvoir de ne pas tenir compte de cette rémunération.
[15] La division générale a trouvé cette disposition à l’article 35(6) du Règlement sur l’assurance-emploi, qui permet de ne pas tenir compte de la rémunération visée à l’article 36(9) pour déterminer l’arrêt de rémunération d’une partie prestataire au titre de l’article 14(1). La rémunération visée à l’article 36(9) est une rémunération versée en raison d’une mise à pied ou d’une cessation d’emploi.
[16] La Commission connaît bien les questions en litige, le droit ainsi que le processus. Elle savait que les revenus versés à la suite d’une mise à pied ou d’une cessation d’emploi ne sont pas considérés comme une rémunération aux seules fins d’établir s’il y a eu un arrêt de rémunération. De plus, on peut présumer qu’elle savait que la division générale est autorisée par la loi à trancher toute question de droit ou de fait nécessaire pour trancher l’appelNote de bas de page 1.
[17] La division générale ne pouvait pas trancher l’appel sans examiner la question de savoir si la rémunération avait été versée en raison de la mise à pied ou de la cessation d’emploi du prestataire.
[18] De plus, la Commission n’aurait pas dû être surprise que la division générale considère la raison ou la nature de la rémunération comme étant pertinente. La Commission avait déjà fait une enquête auprès de l’employeur sur la nature de la rémunération avant de rendre sa décision initiale. À la suite de son enquête, elle a déterminé que l’employeur avait versé au prestataire un [traduction] « maintien de salaire » jusqu’au 10 janvier 2024. Même les observations que la Commission a présentées à la division générale reconnaissaient que, même si elle n’avait peut-être pas pris de décision sur la répartition de la rémunération, elle avait été obligée de décider si la rémunération du prestataire était une « rémunération régulière » ou une « forme d’indemnité de cessation d’emploi » (tout comme la division générale était obligée de le faire)Note de bas de page 2.
[19] On ne peut pas soutenir que la Commission n’a pas eu une occasion équitable de fournir des éléments de preuve ou des arguments, ou d’être entendue en général.
Erreur de compétence
[20] La Commission soutient que la division générale a outrepassé sa compétence en décidant si les heures assurables inscrites sur le relevé d’emploi étaient liées à la rémunération. Elle a précisé que seule l’Agence du revenu du Canada avait le pouvoir de le faire.
[21] On ne peut pas soutenir que la division générale a outrepassé sa compétence en rendant une décision que seule l’Agence du revenu du Canada pouvait rendre.
[22] La division générale n’a pas tranché ou n’a pas eu à trancher l’une ou l’autre des questions réservées à l’Agence du revenu du Canada, y compris la question de savoir si l’emploi, la rémunération ou les heures du prestataire étaient assurablesNote de bas de page 3. Savoir si cette rémunération est assurable est une question accessoire. Cela n’a rien à voir avec la décision de la division générale.
[23] La division générale devait décider si le prestataire avait subi un arrêt de rémunération malgré le fait qu’il continuait de recevoir des paiements de l’employeur. Pour ce faire, elle a appliqué l’article 35(6) du Règlement sur l’assurance-emploi, qui exclut la rémunération visée à l’article 36(9).
[24] Je reconnais que l’objet de l’article 36(9) est de décrire la façon dont la rémunération énoncée dans cet article devrait être répartie. Je comprends aussi que la division générale a conclu que la question de la répartition ne relevait pas de sa compétence.
[25] Encore une fois, la division générale n’a pas décidé ou n’a pas eu besoin de décider comment la rémunération du prestataire devait être répartie. La décision voulant que la rémunération du prestataire soit celle visée à l’article 36(9) est une application de l’article 35(6). La division générale n’a pas appliqué l’article 36(9) pour répartir la rémunération du prestataire.
[26] L’article 35(6) prévoit que certaines rémunérations ne doivent pas être prises en considération pour établir s’il y a eu arrêt de rémunération au titre de l’article 14. En d’autres mots, la Commission ne doit pas tenir compte de la « rémunération visée à l’article 36(9) » afin d’établir s’il y a eu un arrêt de rémunération. La rémunération visée à l’article 36(9) est « une rémunération payée ou payable au prestataire en raison de sa mise à pied ou de la cessation de son emploi ». Par conséquent, la rémunération versée pour cette raison ne doit pas être prise en considération. L’objet de l’article 35(6) n’était pas de dire que la Commission ne devrait pas tenir compte de « la rémunération qui peut être répartie conformément à l’article 36(9) ».
[27] La division générale devait examiner si la rémunération avait été versée en raison d’une mise à pied ou d’une cessation d’emploi pour décider si le prestataire avait subi un arrêt de rémunération. Elle pouvait le faire sans avoir à décider de la façon dont cette rémunération devait être répartie.
[28] On ne peut pas soutenir que la division générale a outrepassé sa compétence. La division générale n’a pas décidé si la rémunération versée au prestataire était assurable et elle n’a pas non plus décidé de la façon dont elle devait être répartie.
Erreur de fait
[29] Pour que la division générale ait commis une erreur de fait importante, il faudrait qu’elle ait fondé sa décision sur une conclusion de fait qui a été tirée en ignorant ou comprenant mal la preuve pertinente ou qui ne découle pas logiquement de la preuve disponibleNote de bas de page 4.
[30] La Commission soutient que la conclusion de la division générale selon laquelle la rémunération était une « indemnité de départ » est abusive, puisqu’il y avait une preuve claire qu’il s’agissait d’un « maintien du salaire ».
[31] Pour qu’il s’agisse d’une erreur de fait, il aurait fallu que la décision de la division générale soit fondée sur cette erreur.
[32] Toutefois, la Commission n’a pas démontré qu’il était possible de soutenir que la distinction entre un « maintien du salaire » et une « indemnité de départ » est pertinente pour décider si le prestataire a subi un arrêt de rémunération.
[33] Je soupçonne qu’il y a une certaine différence, par exemple, en ce qui concerne l’impôt du revenu, entre les paiements qui sont structurés ou définis comme « maintien du salaire » et les paiements qui sont des « indemnités de départ ». Toutefois, le fait qu’un employeur verse des paiements de « maintien du salaire » n’établit pas une continuité de la relation d’emploi. Ce fait ne sous-entend certainement pas qu’une partie prestataire aurait reçu ces paiements sans la mise à pied ou la cessation d’emploi.
[34] Je comprends que la division générale a défini la rémunération comme une « indemnité de départ » et non un « maintien du salaire », alors que l’employeur l’a appelée un « maintien du salaire ». Sur le plan conceptuel, un « maintien du salaire » s’apparente davantage à un paiement « tenant lieu de préavis » qu’à une rémunération normale. Il pourrait même être catégorisé comme une sorte d’indemnité de départ.
[35] Peu importe le nom qu’on lui donne, la décision de la division générale ne dépend pas de la question de savoir si le paiement était une indemnité de départ ou un maintien du salaire. L’article 36(9) ne fait aucune distinction entre l’indemnité de départ, l’indemnité de préavis ou tout autre paiement versé en raison d’une mise à pied ou d’une cessation d’emploi.
[36] La seule conclusion qui était pertinente pour la décision de la division générale était celle selon laquelle la rémunération du prestataire entre le 3 octobre 2023 et le 10 janvier 2024 lui a été versée en raison de sa mise à pied ou de sa cessation d’emploi. La division générale a démontré qu’elle comprenait qu’il s’agissait d’un élément importantNote de bas de page 5. Elle a conclu que c’était la raison pour laquelle le prestataire recevait une rémunération pendant cette périodeNote de bas de page 6.
[37] La Commission n’a pas démontré qu’il était possible de soutenir que cette conclusion était sans fondement probatoire. De même, elle n’a pas précisé comment la décision de la division générale était fondée sur une conclusion tirée en ignorant ou en comprenant mal les éléments de preuve pertinents.
[38] Il y avait des éléments de preuve qui montraient que le prestataire a été mis à pied le 3 octobre 2023, notamment ses déclarations à la Commission, son témoignage à la division générale et son relevé d’emploi.
[39] Il y avait aussi des éléments de preuve qui montraient que la mise à pied du prestataire était permanente. Le prestataire a décrit cette mise à pied comme faisant partie d’un [traduction] « licenciement collectif ». Il a aussi dit à la Commission qu’il ne reprendrait pas son poste et qu’il considérait que son emploi avait pris fin le 3 octobre 2023Note de bas de page 7.
[40] De plus, d’autres éléments de preuve montrent que le prestataire ignorait qu’il allait recevoir une somme de l’employeur jusqu’à ce qu’il reçoive son dernier chèque de paie normal. Le prestataire a déclaré qu’il avait appris qu’il recevrait une somme supplémentaire un certain moment après avoir reçu son dernier chèque de paie le 11 octobre 2023Note de bas de page 8. Il a dit qu’il n’a entendu parler d’une indemnité de départ que [traduction] « bien plus tard » et qu’il n’a rien reçu avant févrierNote de bas de page 9. Il a aussi dit qu’il ne savait pas que l’employeur lui avait versé quoi que ce soit (à titre de « maintien du salaire ») jusqu’à ce qu’il produise ses déclarations de revenus et qu’il reçoive son T4Note de bas de page 10. Il a affirmé que les versements avaient été déposés dans un compte d’employé auquel il n’avait plus accès depuis qu’il avait récupéré son dernier chèque le 11 octobre 2023.
[41] L’appel de la Commission n’a aucune chance raisonnable de succès.
Conclusion
[42] Je refuse la permission de faire appel. Par conséquent, l’appel n’ira pas de l’avant.