[TRADUCTION]
Citation : SS c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2024 TSS 778
Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance-emploi
Décision
Partie appelante : | S. S. |
Partie intimée : | Commission de l’assurance-emploi du Canada |
Décision portée en appel : | Décision de révision (599832) rendue le 2 août 2023 par la Commission de l’assurance-emploi du Canada (communiquée par Service Canada) |
Membre du Tribunal : | Paul Dusome |
Mode d’audience : | Téléconférence |
Date de l’audience : | Le 13 juin 2024 |
Personne présente à l’audience : | Appelante |
Date de la décision : | Le 2 juillet 2024 |
Numéro de dossier : | GE-24-1225 |
Sur cette page
Décision
[1] L’appel est rejeté. Le Tribunal n’est pas d’accord avec l’appelante.
[2] Elle n’a pas démontré qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations. Autrement dit, elle n’a pas fourni une explication acceptable selon la loi. Par conséquent, on ne peut pas traiter sa demande comme si elle l’avait présentée plus tôtNote de bas de page 1.
Aperçu
[3] Le 12 avril 2023, l’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi. Elle veut maintenant que la demande soit traitée comme si elle l’avait présentée plus tôt, c’est‑à-dire le 11 décembre 2023 [sic]. La Commission de l’assurance-emploi du Canada a déjà rejeté cette requête.
[4] Je dois décider si l’appelante a prouvé qu’elle avait un motif valable de retarder sa demande de prestations.
[5] Selon la Commission, l’appelante n’avait pas de motif valable parce qu’elle n’a pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation. Elle a présumé qu’elle ne pouvait pas demander de prestations parce qu’elle avait été congédiée. Elle n’a rien fait pour vérifier si c’était vrai. Elle avait déjà demandé des prestations d’assurance-emploi en 2020. Elle connaissait donc l’assurance-emploi et la façon de présenter une demande de prestations.
[6] L’appelante n’est pas d’accord. Elle affirme qu’elle n’était pas au courant des prestations d’assurance-emploi à la fin de son emploi. C’était la première fois qu’elle quittait son emploi. Si elle avait été au courant, elle aurait fait sa demande à ce moment‑là. Elle a fait une demande après qu’une amie lui a dit qu’elle pouvait demander des prestations d’assurance-emploi.
[7] Le présent appel est de retour à la division générale, car l’appelante a contesté la première décision rendue par la division générale, celle où cette dernière refusait de lui donner plus de temps pour faire appel. À la division d’appel, trois des quatre questions en litige ont été réglées. Il en restait seulement une à résoudre : la question de l’antidatation. Elle a été renvoyée à la division générale. En conséquence, la présente décision porte seulement sur la question de savoir si l’appelante peut faire antidater sa demande de prestations d’assurance-emploi (c’est‑à-dire si on peut la traiter comme si l’appelante l’avait présentée plus tôt).
Question en litige
[8] Peut‑on traiter la demande de prestations comme si l’appelante l’avait présentée le 11 décembre 2023? C’est ce qu’on appelle « antidater » la demande (en avancer la date).
Analyse
[9] Pour faire avancer la date d’une demande de prestations, il faut prouver les deux choses suivantesNote de bas de page 2 :
- a) Un motif valable justifiait le retard durant toute la période du retard. Autrement dit, il y a une explication qui est acceptable selon la loi.
- b) À la date antérieure (c’est‑à-dire la date à laquelle on veut faire avancer la demande), on remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations.
[10] Dans cette affaire‑ci, les arguments portent sur la question de savoir si l’appelante avait un motif valable. Je vais donc commencer par là.
[11] Pour démontrer l’existence d’un motif valable, l’appelante doit prouver qu’elle a agi comme une personne prudente et raisonnable l’aurait fait dans des circonstances semblablesNote de bas de page 3. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle s’est comportée de façon prudente et raisonnable, comme n’importe qui d’autre l’aurait fait dans pareille situation.
[12] L’appelante doit démontrer qu’elle a agi ainsi pendant toute la période du retardNote de bas de page 4. Cette période s’étend de la date à laquelle elle veut faire antidater sa demande jusqu’à la date où elle a présenté sa demande. Ainsi, dans le cas de l’appelante, le retard s’étend du 11 décembre 2022 au 12 avril 2023.
[13] L’appelante doit aussi démontrer qu’elle a vérifié assez rapidement son droit aux prestations et ses obligations aux termes de la loiNote de bas de page 5. Autrement dit, elle doit démontrer qu’elle a fait de son mieux pour essayer de se renseigner dès que possible sur ses droits et ses responsabilités. Si l’appelante n’a pas fait de telles démarches, elle doit démontrer que c’est en raison de circonstances exceptionnellesNote de bas de page 6.
[14] Elle doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Cela veut dire qu’elle doit prouver qu’il est plus probable qu’improbable (il y a plus de chances) qu’un motif valable justifiait son retard.
[15] Selon l’appelante, elle avait un motif valable parce qu’elle ne savait pas du tout qu’elle pouvait demander des prestations d’assurance-emploi. Elle n’a jamais été congédiée auparavant. Une amie lui a dit qu’elle pouvait présenter une demande, ce qu’elle a fait sur-le-champ. C’était au mois d’avril.
[16] Selon la Commission, l’appelante n’a pas démontré qu’un motif valable justifiait son retard parce qu’elle n’a pas communiqué avec la Commission (par l’entremise de Service Canada) pour s’informer de ses droits et de ses obligations ou poser des questions sur sa situation. Elle n’a consulté aucune des ressources publiées sur le site Web de Service Canada pour se renseigner sur les demandes de prestations. La seule chose qui a empêché l’appelante de demander des prestations était son manque de connaissances. Si elle avait eu ces informations, elle aurait fait sa demande.
[17] Je conclus que l’appelante n’a pas prouvé qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations parce qu’elle n’a pas agi comme une personne raisonnable l’aurait fait dans sa situation pendant toute la période du retard, c’est‑à-dire du 11 décembre 2022 au 12 avril 2023. Voici pourquoi je tire cette conclusion.
Examen de la preuve
[18] En 2022, l’appelante a occupé quatre emplois différents : un premier du 28 juin au 1er septembre 2022, un autre du 1er avril au 23 novembre 2022, un troisième du 18 septembre au 13 décembre 2022 et un quatrième du 14 décembre 2022 au 3 janvier 2023. Son premier emploi a pris fin en raison d’un manque de travail. Elle a été congédiée des trois autres emplois. Pour les deux premiers congédiements, les employeurs n’ont pas donné de raison. Le dernier employeur a justifié le congédiement pendant la période de probation.
[19] Durant ses conversations avec la Commission, l’appelante a dit qu’elle ne savait pas qu’elle pouvait demander des prestations d’assurance-emploi. Elle n’avait jamais été congédiée auparavant. Si elle avait été au courant, elle aurait fait une demande. Elle a demandé des prestations seulement après qu’une amie lui a dit qu’elle pouvait le faire. C’était en avril 2023.
[20] Quand elle a témoigné à l’audience, l’appelante a dit que c’était la première fois qu’elle se faisait congédier. Elle n’était pas certaine de comprendre la mise à pied, le congédiement et son admissibilité. Elle n’avait jamais demandé de prestations d’assurance-emploi auparavant. Son amie lui a dit qu’elle pouvait en demander et lui a expliqué comment le faire. Elle ne savait plus quand son amie lui avait donné ces informations. Le personnel de la Commission l’a aidée à demander des prestations.
[21] À l’audience, l’appelante a affirmé que la Commission avait eu tort de noter qu’elle avait dit qu’elle n’avait pas communiqué avec Service Canada pour s’informer de ses droits et de ses obligations ou pour poser des questions sur sa situation. Elle a déclaré avoir téléphoné à Service Canada peu de temps après sa mise à pied. Elle ne se souvenait pas de la date précise par contre. Elle n’était pas certaine d’avoir déjà parlé à son amie à ce moment‑là.
[22] À l’audience, l’appelante a dit que la Commission avait eu tort de noter qu’elle avait dit qu’elle n’avait pas consulté les ressources publiées sur le site Web de Service Canada pour savoir comment demander des prestations. Elle a affirmé avoir communiqué avec Service Canada plus tôt, mais remplir la demande d’assurance-emploi avec l’aide du personnel de la Commission a pris un certain temps. Elle ne savait pas combien de jours ou de semaines il y avait entre sa première communication avec Service Canada et la présentation de sa demande. Par la suite, elle a dit avoir commencé à remplir sa demande le 4 avril. Lors d’une conversation qui a eu lieu plus tard, la Commission a noté que l’appelante s’est rendue dans un Centre Service Canada pour demander de l’aide en avril, quand elle a fait sa demande. Durant son témoignage, l’appelante a dit qu’elle était d’accord avec cette affirmation, mais elle n’était plus certaine de la date.
[23] L’appelante a confirmé que la Commission avait eu raison de noter que rien ne l’empêchait de présenter une demande. Si elle avait eu les renseignements, l’appelante aurait fait une demande.
[24] L’appelante a dit qu’elle n’avait jamais demandé de prestations d’assurance-emploi auparavant. La Commission a déposé un certificat d’attestation pour montrer que l’appelante avait demandé des prestations en octobre 2020 et qu’elle avait reçu des prestations jusqu’en septembre 2021. Durant son témoignage, l’appelante a expliqué qu’elle n’avait jamais reçu de prestations d’assurance-emploi, mais qu’elle avait bel et bien reçu la PCU (Prestation canadienne d’urgence) en 2020. Elle ne se souvenait pas d’avoir produit des déclarations. Elle a affirmé avoir reçu un paiement unique de 3 000 $ comme prestation de maladie.
[25] Le problème avec la version de l’appelante, c’est que le programme de la PCU versait de l’argent pendant un maximum de 16 semaines durant la période du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020. On pouvait demander la PCU jusqu’au 2 décembre 2020. Mais après le 26 septembre 2020, la PCU n’était plus versée. Elle a été remplacée par la prestation d’assurance-emploi d’urgence. Il se peut que l’appelante ait reçu la PCU pendant 16 semaines tout au plus. Mais pas après le 26 septembre 2020. Le certificat d’attestation montre que la dernière semaine pour laquelle des prestations ont été versées était le 12 septembre 2021. Ainsi, le certificat montre que l’appelante a reçu des prestations d’assurance-emploi même si elle a aussi reçu la PCU.
Conclusions de fait
[26] Je m’appuie sur l’examen de la preuve qui précède pour tirer les conclusions de fait que voici.
[27] Quand le Tribunal tire des conclusions de fait, il a parfois le droit d’écarter ce qu’une personne a dit après ses autres déclarations, surtout lorsque les dernières déclarations soulèvent de nouvelles questions qui ne figurent pas dans les déclarations précédentesNote de bas de page 7.
[28] Voici les premières déclarations de l’appelante :
- Elle ne savait pas qu’elle pouvait demander des prestations d’assurance-emploi.
- Si elle l’avait su, elle aurait présenté une demande.
- Elle n’avait jamais été congédiée auparavant.
- Elle n’avait pas communiqué avec Service Canada pour se renseigner sur l’assurance-emploi.
- Elle a présenté sa demande seulement après qu’une amie lui a dit en avril 2023 qu’elle pouvait le faire.
[29] Pour les trois premiers éléments de la liste ci‑dessus, les premières déclarations de l’appelante concordent avec son témoignage. Mais ses réponses ont manqué de cohérence pour les deux derniers éléments.
[30] La seule fois où l’appelante a dit avoir communiqué avec Service Canada peu de temps après avoir perdu son emploi, c’est durant son témoignage. Je rejette ce témoignage. Si elle avait communiqué avec Service Canada, elle aurait appris qu’elle devait faire une demande. Et sachant cela, elle aurait présenté une demande parce qu’elle dit depuis le début que c’est ce qu’elle aurait fait.
[31] Ce point se rapporte au dernier élément de la liste, c’est‑à-dire qu’elle a demandé des prestations d’assurance-emploi seulement après qu’une amie lui a dit en avril 2023 de le faire. Pendant son témoignage, elle n’était pas certaine du moment exact où son amie lui avait dit cela. Elle a aussi dit qu’elle avait communiqué avec Service Canada peu de temps après sa mise à pied. À l’audience, elle a dit qu’elle avait commencé à remplir sa demande quelque temps avant de la finaliser. Elle a aussi déclaré avoir présenté sa demande le 4 avril 2023. Les incohérences entre ces déclarations n’aident en rien l’appelante.
[32] Durant son témoignage, l’appelante a déclaré qu’elle n’avait jamais demandé de prestations d’assurance-emploi auparavant. Cela ne concorde pas avec son témoignage voulant qu’elle ait reçu environ 3 000 $ en prestations de maladie, qui sont des prestations d’assurance-emploi. Il faut faire une demande pour recevoir ces prestations. Enfin, les registres de la Commission montrent que le dossier d’assurance-emploi de l’appelante était actif d’octobre 2020 à septembre 2021. Étant donné la confusion, on peut douter de son affirmation quand l’appelante dit qu’elle n’a jamais demandé de prestations d’assurance-emploi dans le passé.
[33] Pour ces raisons, j’écarte les déclarations que l’appelante a faites dans un deuxième temps sur le moment où elle a communiqué avec Service Canada pour se renseigner sur les prestations d’assurance-emploi et sur sa conversation avec une amie qui lui a appris avant avril 2023 qu’elle pouvait demander des prestations d’assurance-emploi. Cet examen des faits m’amène à tirer les conclusions suivantes.
[34] L’appelante a demandé des prestations d’assurance-emploi le 12 avril 2023. Elle a voulu faire avancer la date de sa demande au 11 décembre 2022.
[35] L’appelante n’a pas communiqué avec Service Canada pour se renseigner sur les demandes de prestations d’assurance-emploi avant le 4 avril 2023. Elle n’a pas communiqué avec Service Canada avant cette date pour savoir si elle pouvait recevoir des prestations. Elle a simplement présumé qu’elle n’y avait pas droit et elle n’a fait aucune démarche pour vérifier si c’était vrai jusqu’à ce que son amie lui dise, le 4 avril, qu’elle pouvait faire une demande. C’était la situation dans laquelle se trouvait l’appelante pendant toute la période du retard, c’est‑à-dire du 11 décembre 2022 au 12 avril 2023.
[36] Rien ne prouve que des circonstances extraordinaires expliqueraient le retard l’appelante. Comme elle l’a dit à la Commission, la seule chose qui l’empêchait de présenter une demande était qu’elle ignorait qu’elle pouvait le faire. Elle aurait pu régler ce problème en communiquant avec Service Canada pour s’informer sur les demandes de prestations. À l’audience, l’appelante a expliqué qu’elle s’efforçait surtout de trouver un emploi et qu’un nouvel emploi était plus important qu’une demande de prestations. Ce n’est pas une circonstance extraordinaire. Toutes les personnes qui demandent des prestations d’assurance-emploi essaient d’abord et avant tout de trouver du travail, car c’est une condition pour recevoir des prestations.
Jugement
[37] Je conclus que l’appelante n’a pas prouvé qu’elle a agi comme une personne prudente et raisonnable l’aurait fait dans une situation semblable. Elle n’a pas démontré qu’elle a vérifié assez rapidement son droit aux prestations et ses obligations aux termes de la loi. Autrement dit, il fallait qu’elle démontre qu’elle a fait de son mieux pour essayer de se renseigner dès que possible sur ses droits et ses responsabilités. Elle n’a pas démontré une telle chose.
[38] Une personne prudente et raisonnable aurait vérifié si elle pouvait recevoir des prestations d’assurance-emploi. C’est une chose particulièrement importante quand on perd son gagne-pain. Ce n’est pas ce que l’appelante a fait. Elle a présumé qu’elle ne pouvait pas demander de prestations parce qu’elle avait été congédiée. Elle n’a fait aucune démarche pour se renseigner sur les demandes de prestations d’assurance-emploi jusqu’à ce qu’une amie lui dise en avril 2023 qu’elle pouvait faire une demande.
[39] L’appelante n’a pas vérifié assez rapidement si elle pouvait toucher des prestations d’assurance-emploi et ce qu’elle devait faire pour les recevoir. Elle n’a rien fait pour s’informer sur ses droits et responsabilités du 11 décembre 2022 au 4 avril 2023, date à laquelle elle a communiqué pour la première fois avec Service Canada après sa discussion avec une amie.
[40] Il n’est pas nécessaire de vérifier si, à la date antérieure, l’appelante remplissait les conditions requises pour recevoir des prestations. Sans motif valable, on ne peut pas traiter sa demande comme si elle l’avait présentée plus tôt.
Conclusion
[41] L’appelante n’a pas prouvé qu’un motif valable justifiait le retard de sa demande de prestations pendant toute la période du retard.
[42] L’appel est rejeté.