Assurance-emploi (AE)

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[TRADUCTION]

Citation : DS c Commission de l’assurance‑emploi du Canada, 2024 TSS 635

Tribunal de la sécurité sociale du Canada
Division générale, section de l’assurance‑emploi

Décision

Appelant : D. S.
Intimée : Commission de l’assurance‑emploi du Canada

Décision portée en appel : Décision découlant de la révision de la Commission de l’assurance-emploi du Canada (627042) datée du 24 novembre 2023 (communiquée par Service Canada)

Membre du Tribunal : Bret Edwards
Mode d’audience : En personne
Date de l’audience : Le 14 février 2024
Personne présente à l’audience : Appelant
Date de la décision : Le 26 février 2024
Numéro de dossier : GE-24-236

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Décision

[1] L’appel est rejeté. Je ne suis pas d’accord avec l’appelant.

[2] La Commission de l’assurance-emploi du Canada a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite (autrement dit, parce qu’il a fait quelque chose qui lui a fait perdre son emploi). Par conséquent, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploiNote de bas de page 1.

Aperçu

[3] L’appelant a perdu son emploi. Son employeur a dit qu’il a été congédié parce qu’il a foncé avec sa voiture sur un manifestant et qu’il a été verbalement agressif envers ce dernier et d’autres membres du public.

[4] Même si l’appelant ne conteste pas le fait qu’il y a eu un incident avec un manifestant, il affirme qu’il n’aurait pas dû être congédié parce que ses actions ce jour-là ont été causées par sa maladie mentale (trouble bipolaire).

[5] La Commission a accepté le motif du congédiement invoqué par l’employeur. Elle a conclu que l’appelant avait perdu son emploi en raison de son inconduite. C’est pourquoi elle a décidé que l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

Question en litige

[6] L’appelant a-t-il perdu son emploi en raison de son inconduite?

Analyse

[7] Pour décider si l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite, je dois examiner deux choses. Je dois d’abord établir pourquoi l’appelant a perdu son emploi. Je dois ensuite décider si ce motif constitue une inconduite au sens de la loi.

Pourquoi l’appelant a-t-il perdu son emploi?

[8] J’estime que l’appelant a perdu son emploi parce qu’il a enfreint le règlement de son employeur sur les valeurs après avoir foncé avec sa voiture sur un manifestant et qu’il a également été verbalement agressif envers ce dernier et d’autres membres du public.

[9] L’appelant et la Commission ne s’entendent pas complètement sur la raison pour laquelle l’appelant a perdu son emploi.

[10] La Commission affirme que la raison donnée par l’employeur de l’appelant est la véritable raison du congédiementNote de bas de page 2.

[11] L’employeur de l’appelant a dit à la Commission que l’appelant a perdu son emploi parce qu’il a enfreint son règlement sur les valeurs après qu’il a foncé avec sa voiture sur un manifestant et qu’il a également été agressif verbalement envers ce dernier et d’autres membres du publicNote de bas de page 3.

[12] Je note que la lettre de licenciement de l’appelant mentionne qu’il a été congédié au motif qu’il a enfreint le règlement de son employeur, plus précisément l’article 192-3, Valeurs, du code municipal, après avoir foncé avec sa voiture sur un manifestant et avoir été agressif verbalement envers ce dernier et d’autres membres du publicNote de bas de page 4.

[13] L’appelant est en partie en désaccord. Il a dit dans le cadre de son témoignage que l’incident avec le manifestant s’est bel et bien produit. Mais il ne croit pas avoir foncé sur ce dernier avec sa voiture. Il a roulé avec sa voiture jusque dans le parc où il venait de terminer un quart de travail et il y avait deux manifestants assis dans le chemin. Il a tenté de les contourner et l’un d’eux s’est placé devant sa voiture et a mis ses mains sur celle-ci. Il a continué à rouler lentement sur une distance d’environ 15 pieds, maintenant le pied sur le frein et klaxonnant, puis il s’est arrêté.

[14] L’appelant a également dit qu’à son avis, il n’avait pas été verbalement agressif envers le manifestant et d’autres membres du public. Il y avait un autre groupe plus important de manifestants qui se trouvaient également à l’entrée du parc. Après avoir arrêté sa voiture, il en est sorti et un des manifestants du plus grand groupe a écarté le manifestant de sa voiture. Il a parlé à cette personne pendant environ 10 ou 15 secondes et, pendant ce temps, le manifestant qui s’était tenu devant sa voiture s’est éloigné d’environ 10 ou 15 pieds. L’appelant lui a crié après, puis est remonté dans sa voiture et est parti.

[15] Je prends note du fait que l’appelant estime qu’il n’a pas foncé avec sa voiture sur un manifestant.

[16] Mais je ne suis pas d’accord avec lui. Le manifestant s’est peut-être d’abord placé devant la voiture de l’appelant et a peut-être tenté de l’empêcher d’entrer dans le parc, mais l’appelant a confirmé dans son témoignage qu’il n’a pas immédiatement arrêté sa voiture. Au lieu de cela, il a continué à avancer pendant que le manifestant s’accrochait à sa voiture, ce qui, à mon avis, montre qu’il a effectivement foncé sur lui et l’a poussé plus loin avec sa voiture.

[17] Je prends note du fait également que l’appelant estime qu’il n’a pas été agressif verbalement envers le manifestant et d’autres membres du public.

[18] Mais encore une fois, je ne suis pas d’accord avec l’appelant.

[19] À mon avis, même si l’appelant a crié après le manifestant à distance, il venait tout de même de lui foncer dessus avec sa voiture et de le pousser plus loin avec elle, de sorte qu’il est raisonnable de croire que ce manifestant ou toute autre personne ayant été témoin de l’incident pourrait avoir considéré ces gestes comme une détérioration accrue de la situation, même si l’appelant n’a crié après personne d’autre.

[20] En d’autres termes, j’estime que le fait que l’appelant criait, juste après avoir foncé sur une personne avec sa voiture et l’avoir poussée plus loin avec elle, aurait pu donner aux gens qui étaient là l’impression qu’il agissait de façon agressive et intimidante.

[21] Donc, pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que l’appelant a perdu son emploi parce qu’il a enfreint le règlement sur les valeurs de son employeur après avoir foncé avec sa voiture sur un manifestant et qu’il a également été verbalement agressif envers ce dernier et d’autres membres du public.

La raison du congédiement de l’appelant est-elle une inconduite selon la loi?

[22] Selon la loi, la raison du congédiement de l’appelant est une inconduite.

[23] Selon la loi, pour qu’il y ait inconduite, la conduite doit être délibérée. Cela signifie qu’elle est consciente, voulue ou intentionnelleNote de bas de page 5. Une inconduite comprend aussi une conduite qui est tellement insouciante qu’elle est presque délibéréeNote de bas de page 6. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que l’appelant ait eu une intention coupable (c’est-à-dire qu’il ait voulu faire quelque chose de mal)Note de bas de page 7.

[24] Il y a inconduite si l’appelant savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédiéNote de bas de page 8.

[25] La Commission doit prouver que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduite. Elle doit le prouver selon la prépondérance des probabilités. Cela signifie qu’elle doit démontrer qu’il est plus probable qu’improbable que l’appelant a perdu son emploi en raison de son inconduiteNote de bas de page 9.

[26] La Commission affirme qu’il y a eu inconduite parce que les actions de l’appelant ont mené à son congédiement et qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il pouvait être congédié pour ces actionsNote de bas de page 10.

[27] L’appelant affirme qu’il n’y a pas eu d’inconduite parce que ses actions étaient causées par sa maladie, en particulier son trouble bipolaire. Il affirme que ses actions n’étaient donc pas intentionnelles parce qu’il avait un épisode maniaque au moment de l’incident. Et il affirme qu’il ne pensait pas être congédié en raison de ses actionsNote de bas de page 11.

[28] L’employeur de l’appelant a dit ce qui suit à la CommissionNote de bas de page 12 :

  • L’appelant a été impliqué dans un incident le 2 août 2023.
  • L’employeur a enquêté sur l’incident et a conclu que le comportement de l’appelant était inacceptable et qu’il contrevenait à l’article 192-3, Valeurs, du code municipal.
  • Pendant l’enquête, l’employeur a mené des entrevues et a vu des séquences vidéo de l’incident.
  • L’appelant a foncé sur un manifestant avec sa voiture à l’entrée du parc. Il a poussé le manifestant sur une distance de 15 pieds ou plus, klaxonnant et criant à plusieurs reprises alors qu’il se trouvait dans sa voiture.
  • Les actions de l’appelant étaient agressives et intimidantes.
  • L’appelant a enlevé sa chemise de travail et son chapeau pendant l’incident.
  • Il s’est mis à lancer des injures à des manifestants pacifiques.
  • Il a manqué de jugement et de discrétion, et sa conduite a enfreint les politiques de l’employeur.
  • Il a miné la sécurité du public et la réputation de son employeur.
  • Pendant l’enquête, ce dernier a donné à l’appelant l’occasion d’expliquer sa version des événements. Il éprouvait des remords, mais sa conduite ne correspondait pas aux valeurs de l’employeur.
  • L’employeur a congédié l’appelant le 13 septembre 2023, à la suite de l’enquête.
  • L’appelant n’a soulevé aucun problème de santé lié à l’incident pendant l’enquête.
  • L’appelant a fait des heures supplémentaires le jour de l’incident.
  • Il n’avait pas reçu d’avertissement préalable pour un comportement semblable. Il s’agissait d’un incident qui justifiait un congédiement immédiat.

[29] L’appelant affirme ce qui suitNote de bas de page 13 :

  • Il a reçu un diagnostic de trouble bipolaire en avril 2016. Il était alors en Suède.
  • On lui a prescrit des médicaments en 2019.
  • Lorsqu’il a déménagé au Canada, il a trouvé un médecin pour l’aider à gérer sa maladie. Ils ont eu des rendez-vous téléphoniques périodiques jusqu’en 2022.
  • En 2022, son médecin lui a dit qu’il ne pensait pas qu’il était nécessaire de poursuivre ces rencontres parce qu’il était stable et qu’il n’avait eu aucun épisode maniaque depuis plus de trois ans.
  • Il prenait encore des médicaments en 2022. Il croit qu’on a supposé, lorsque son médecin lui a dit qu’ils n’avaient plus besoin de se rencontrer parce qu’il était stable, qu’il continuerait de prendre des médicaments à l’avenir.
  • En octobre 2022, il a décidé de son propre chef de cesser de prendre des médicaments pour des raisons personnelles.
  • Son épisode maniaque a commencé à la fin juillet 2023. Il était d’humeur exaltée et dormait moins, ce qui est habituellement le signe d’un épisode maniaque. Mais il n’était pas en mesure de dire pleinement ce qui se passait à l’époque. Ce n’est qu’après la fin d’un épisode qu’il est capable de regarder en arrière et de réaliser ce qui s’est réellement passé.
  • Le 2 août 2023, il s’est réveillé beaucoup plus tôt qu’à l’habitude et a fait une longue marche avant de se rendre au travail. Son employeur lui a demandé de faire des heures supplémentaires ce jour-là. Il y a réfléchi et a finalement accepté de le faire. Il n’avait tout simplement pas suffisamment conscience de soi pour savoir qu’il n’était pas bien à l’époque.
  • Pendant la partie de son quart de travail qui constituait des heures supplémentaires, il a tondu la pelouse au parc et la tondeuse s’est coincée au milieu de billes de bois. Il a tenté de la débloquer, mais son quart de travail s’est terminé et il l’a laissée là.
  • Environ 30 minutes après la fin de son quart de travail, il a décidé de retourner au parc en voiture pour débloquer la tondeuse. Il portait encore sa chemise de travail.
  • Arrivé à l’entrée du parc, il y a vu deux groupes de manifestants. Un groupe était plus grand que l’autre. Le plus petit groupe comptait deux personnes, qui étaient assises dans le chemin. Les manifestations portaient sur la question de savoir s’il fallait garder le parc entièrement accessible ou restreindre l’accès aux voitures. Le plus petit groupe de manifestants voulait restreindre l’accès aux voitures.
  • Il a tenté de contourner avec sa voiture les deux manifestants assis dans le chemin. Toutefois, l’un d’eux s’est placé devant sa voiture et a mis ses mains sur celle-ci.
  • Il a ensuite continué à rouler lentement sur une distance de 15 pieds environ, le pied sur le frein, tout en klaxonnant. Le manifestant s’accrochait encore à sa voiture pendant ce temps.
  • Il a ensuite immobilisé la voiture et en est sorti. Il a enlevé sa chemise de travail en sortant.
  • Une fois qu’il a été sorti de sa voiture, une des personnes du plus grand groupe de manifestants a écarté le manifestant de sa voiture. Il a parlé à cette personne pendant environ 10 ou 15 secondes et, pendant ce temps, le manifestant qui s’était tenu devant sa voiture s’est éloigné d’environ 10 ou 15 pieds. L’appelant lui a crié après, puis est remonté dans sa voiture et est parti.
  • Il était en plein épisode maniaque lors de l’incident. Ses actions n’étaient pas conscientes, voulues ou intentionnelles. Il ne pensait pas faire quelque chose de dangereux et ne comprenait pas son comportement à l’époque. Il ne pensait pas que ses actions mèneraient à son congédiement.
  • Il a retiré sa chemise de travail en sortant de la voiture parce qu’il ne voulait pas être reconnu comme un employé de la ville. En se rendant au travail deux jours plus tôt (le 31 juillet 2023), il avait accordé une courte entrevue sur les raisons pour lesquelles il fallait maintenir l’accessibilité complète du parc. L’entrevue a en fin de compte été diffusée à la radio. Son superviseur lui a dit de ne pas recommencer parce qu’il travaille pour la ville et qu’il n’est pas censé exprimer des opinions politiques. Il estimait tout de même convenable qu’il s’exprime après le travail, pendant ses temps libres, mais sans porter sa chemise de travail.
  • Il a retiré sa chemise de travail lorsqu’il est sorti de la voiture non pas parce qu’il croyait qu’il violait les valeurs de son employeur, mais simplement parce que son superviseur lui avait dit de ne pas exprimer d’opinions politiques en tant qu’employé de la ville.
  • Il est allé travailler le lendemain, le 3 août 2023. Des images vidéo de l’incident avec le manifestant circulaient à ce moment-là.
  • Il est allé travailler le lendemain, le 4 août 2023, mais son superviseur l’a renvoyé chez lui avec paie ce jour-là.
  • Le même jour, ses parents ont appelé le 911 après avoir constaté qu’il était d’humeur exaltée. Il a été transporté à l’hôpital et y a passé 10 jours. Il a obtenu son congé le 14 août 2023. Sa note du médecin confirme ces détails et la raison de sa présenceNote de bas de page 14.
  • Il a reçu une note du médecin, qu’il a apportée au travail le 15 août 2023. D’après cette note, il serait en congé pendant deux semaines.
  • Son superviseur général lui a ensuite écrit pour lui dire qu’il ne devrait pas retourner au travail et qu’il était en congé administratif à compter du 21 août 2023.
  • Le 22 ou 23 août 2023, il a eu une rencontre en personne avec plusieurs personnes dans le cadre de l’enquête menée par son employeur sur l’incident survenu avec le manifestant.
  • La rencontre a duré environ deux heures. Il s’est fait poser environ 40 ou 50 questions sur l’incident. Les participants à la rencontre avaient vu des images aux nouvelles.
  • Il ne leur a pas parlé de sa maladie pendant la rencontre. Son représentant syndical lui a dit de simplement répondre honnêtement aux questions et de ne rien dire d’inutile.
  • Il ne croyait pas non plus avoir besoin de divulguer des renseignements personnels sur sa santé pendant la rencontre.
  • Il ne savait pas que l’enquête de son employeur pouvait mener à son congédiement. Il n’a pas mentionné cette possibilité avant ou pendant la rencontre.
  • Il s’attendait à entendre parler d’une sorte de plan de retour au travail pendant la réunion. Il pensait qu’il serait peut-être déplacé dans un autre parc, mais il ne s’attendait pas à être licencié par la suite.
  • La politique que, d’après son employeur, il a violée est en quelque sorte un code de conduite. Chaque printemps, tous les employés doivent consacrer sept ou huit heures à la révision de cette politique, par la voie d’une série de cours. L’un de ces cours porte sur la section de la politique (valeurs) qu’il aurait violée, aux dires de son employeur.
  • Il ne s’est pas rendu compte au cours de l’incident qu’il pouvait être congédié pour avoir enfreint la politique de son employeur. Il n’était pas bien à l’époque et il n’avait pas la conscience de soi nécessaire pour savoir que ce qu’il faisait était mal ou dangereux.
  • Il n’a parlé de sa maladie à son employeur qu’après avoir été congédié.
  • Il n’est pas juste de dire qu’il aurait dû parler plus tôt à son employeur de sa maladie. Il y a une stigmatisation entourant la maladie mentale et ce n’est pas quelque chose dont on parle à tout le monde. En outre, on comprend peu ce qui se passe alors et ce n’est qu’en y repensant par la suite qu’on peut constater que les actions posées étaient inhabituelles et qu’elles étaient le résultat de la maladie.
  • Ce n’est pas juste non plus de dire que c’est sa faute s’il a cessé de prendre des médicaments en 2022. Les médicaments ne garantissent pas qu’un patient n’aura aucun épisode maniaque. Il a fait un choix difficile et il n’avait pas l’intention d’avoir un épisode maniaque neuf mois plus tard. Il est courant que les personnes atteintes d’une maladie mentale aient parfois de la difficulté à gérer celle-ci.
  • Sa lettre de licenciement mentionne que le lien de confiance avec son employeur est miné, mais il a maintenant conclu une entente avec lui par voie de médiation et il sera rétabli en attendant son inscription au programme de santé et de mieux-être des employés. Cela montre que le lien de confiance avec son employeur a été rétabli.
  • Mais même s’il est réintégré, il ne touchera pas un salaire rétroactif. Cela l’aiderait beaucoup de recevoir des prestations d’assurance-emploi pour la période qu’il a passé en congé parce que les mois sans salaire ont été très difficiles.

[30] Je conclus que la Commission a prouvé qu’il y a eu inconduite pour les motifs suivants.

[31] Premièrement, je conclus que l’appelant a commis les gestes qui ont mené à son congédiement et que ses gestes étaient intentionnels.

[32] Je conclus que l’appelant a foncé avec sa voiture sur un manifestant et qu’il a ensuite été verbalement agressif envers ce dernier et d’autres membres du public. Comme il a été mentionné précédemment, même si l’appelant n’est pas d’accord avec la façon dont son employeur a qualifié ses actions, il convient que l’incident lui-même s’est produit et qu’il a été congédié pour ce motif.

[33] Je conclus également que les actions de l’appelant lors de l’incident impliquant le manifestant étaient intentionnelles.

[34] L’appelant a déclaré que ses actions lors de l’incident avec le manifestant le 2 août 2023 n’étaient pas intentionnelles, conscientes ou voulues. Il était alors en plein épisode maniaque et son jugement n’était pas clair à l’époque. C’est seulement en y réfléchissant plus tard, après l’épisode, qu’il a réalisé ce qui s’était passé.

[35] J’admets que l’appelant souffre d’un trouble bipolaire et qu’il était en plein épisode maniaque lors de l’incident qui est survenu avec le manifestant le 2 août 2023, ce qui a entraîné son hospitalisation pendant 10 jours à compter du 4 août 2023. Il a témoigné en détail de sa maladie, de ses antécédents de traitement et de ses épisodes maniaques passés. Il a également fourni une note du médecin mentionnant qu’il souffre du trouble bipolaire et qu’il a été hospitalisé pendant 10 jours à compter du 4 août 2023 en raison d’un épisode maniaque qui a commencé à la fin de juillet 2023Note de bas de page 15, ce qui, à mon avis, contribue à étayer son témoignage.

[36] Je prends note du fait que l’appelant affirme qu’il n’a dit à son employeur qu’il souffre d’un trouble bipolaire qu’après son congédiement parce qu’il ne croyait pas qu’il devait lui communiquer ces renseignements médicaux personnels. Et je prends note du fait qu’il affirme qu’il n’est pas juste de dire qu’il aurait dû dire plus tôt à son employeur qu’il souffre d’un trouble bipolaire parce qu’il y a une stigmatisation entourant la maladie mentale et que ce n’est pas quelque chose dont on parle à tout le monde.

[37] Je suis d’accord avec l’appelant. Ce qu’il a dit ou n’a pas dit à son employeur au sujet de sa maladie n’est pas pertinent dans la présente affaire parce que cela ne concerne pas directement les raisons pour lesquelles il a été congédié. Je me concentrerai plutôt uniquement sur les actions de l’appelant pendant l’incident avec le manifestant, lesquelles expliquent pourquoi il a été congédié.

[38] Je prends note du fait également que l’appelant affirme qu’il n’est pas juste d’établir un lien entre ses actions pendant l’incident et le manifestant et les choix qu’il a faits pour gérer sa maladie avant l’incident.

[39] Je suis d’accord avec l’appelant. Ces éléments ne sont pas pertinents ici parce qu’ils se sont produits bien avant l’incident, alors je ne les prendrai pas en considération dans mon analyse. Je me concentrerai plutôt uniquement sur les actions de l’appelant pendant l’incident.

[40] Compte tenu de l’examen que j’ai fait des actions de l’appelant pendant l’incident survenu avec le manifestant, il ne m’a pas convaincue que celles-ci étaient involontaires à l’époque, même si j’admets qu’il souffre d’un trouble bipolaire et qu’il était alors en plein épisode maniaque.

[41] J’estime plutôt que la preuve démontre que l’appelant était conscient de ses actions pendant l’incident.

[42] Les parties conviennent que l’appelant a retiré sa chemise de travail lorsqu’il est sorti de sa voiture après avoir foncé sur le manifestant. L’employeur de l’appelant a dit à la Commission que c’était ce que l’appelant avait faitNote de bas de page 16. Et l’appelant a dit à la CommissionNote de bas de page 17 et a confirmé dans son témoignage que c’était ce qu’il avait fait.

[43] J’ai demandé à l’appelant pourquoi il avait enlevé sa chemise de travail lorsqu’il est sorti de sa voiture.

[44] L’appelant a dit qu’il y avait eu à l’époque des débats sur la question de savoir s’il fallait garder le parc (où l’incident s’est produit) entièrement accessible ou restreindre l’accès aux voitures. En se rendant au travail deux jours plus tôt (31 juillet 2023), il avait accordé une courte entrevue à un journaliste qui lui avait demandé ce qu’il pensait de cet enjeu. Son entrevue a en fin de compte été diffusée aux nouvelles.

[45] L’appelant a dit qu’une fois au travail, son contremaître lui a parlé de l’entrevue et lui a dit qu’il devait simplement dire [traduction] « aucun commentaire » si cela se reproduisait parce qu’il est un employé de la ville et qu’il ne devrait pas exprimer d’opinions politiques.

[46] L’appelant a dit que lorsqu’il est sorti de sa voiture pendant l’incident, il a enlevé sa chemise de travail parce qu’il ne voulait pas être reconnu comme un employé de la ville étant donné ce que son contremaître lui avait dit.

[47] J’estime que la raison donnée par l’appelant pour expliquer pourquoi il a enlevé sa chemise de travail pendant l’incident montre qu’il était conscient de ses actions à ce moment-là. Même s’il était en plein épisode maniaque, il a tout de même pu se souvenir de sa conversation avec le contremaître et a décidé d’enlever sa chemise de travail en raison des conseils qu’il lui avait donnés, ce qui démontre, à mon avis, qu’il était capable de prendre des décisions logiques à ce moment-là.

[48] Sinon, si l’appelant avait une faible conscience de ses actions ou s’il n’avait aucune conscience de ses actions comme il le dit, il est raisonnable de croire à mon avis qu’il n’aurait pas enlevé sa chemise de travail lorsqu’il est sorti de sa voiture parce qu’il n’aurait probablement pas été en mesure de penser logiquement à ce moment-là et qu’il ne lui serait pas venu à l’idée de le faire alors.

[49] Je conclus donc que l’appelant n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour me convaincre que ses actions pendant l’incident avec le manifestant étaient complètement indépendantes de sa volonté. Bien que j’admette qu’il avait alors un épisode maniaque, j’estime qu’il existe d’autres preuves démontrant qu’il a bien compris la situation dans laquelle il s’est retrouvé, ce qui montre que ses actions étaient conscientes et voulues.

[50] Deuxièmement, j’estime que l’appelant aurait dû savoir qu’il pourrait être congédié pour avoir foncé avec sa voiture sur un manifestant et avoir ensuite été agressif verbalement envers ce dernier et d’autres membres du public.

[51] La lettre de licenciement de l’appelant mentionne qu’il a été congédié pour avoir enfreint le règlement sur la fonction publique de son employeur, plus précisément l’article 192-3, ValeursNote de bas de page 18.

[52] Je note que l’article 192-3, Valeurs, du règlement sur la fonction publique, prescrit ce qui suitNote de bas de page 19 :

  • Bien servir le public
  • Bien servir le conseil et/ou son conseil d’administration
  • Agir avec intégrité
  • Maintenir une neutralité politique
  • Défendre la devise [de la ville] – Diversité Notre force
  • Utiliser les biens, les services et les ressources de la ville de façon responsable
  • Faire preuve de jugement et de discrétion
  • Bien servir la fonction publique

[53] Je conclus que l’appelant connaissait le règlement sur la fonction publique et, plus particulièrement, l’article 192-3, Valeurs. Il a dit à la CommissionNote de bas de page 20 et a confirmé dans son témoignage qu’il devait réviser le règlement chaque année, notamment suivre un cours sur la section portant sur les valeurs, ce qui, à mon avis, signifie qu’il le connaissait probablement très bien.

[54] L’appelant a dit dans son témoignage qu’il ne savait pas qu’il pouvait être congédié pour avoir enfreint l’article 192-3. Il ne lui est pas venu à l’esprit qu’il pouvait être congédié pour avoir enfreint l’article 192-3 et il croyait qu’il serait simplement suspendu parce qu’il n’avait reçu aucun avertissement préalable. Et il pensait que, puisque l’incident s’est produit après la fin de son quart de travail, il avait le droit d’exprimer son opinion.

[55] J’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que des employés seraient congédiés pour avoir enfreint l’article 192-3. Le règlement en soi ne dit rien à ce sujet. Et l’employeur de l’appelant n’a pas dit à la Commission que les employés seraient congédiés s’ils contrevenaient à l’article 192-3.

[56] Je prends note du fait que l’appelant croyait qu’il ne serait pas congédié du fait de ses actions. Mais je conclus qu’il aurait tout de même dû savoir qu’il pourrait être congédié pour avoir enfreint l’article 192-3 en raison de ses actions lors de l’incident avec le manifestant.

[57] Comme je l’ai mentionné précédemment, j’estime que la preuve démontre que les actions de l’appelant pendant l’incident étaient intentionnelles, car il comprenait bien la situation dans laquelle il se trouvait.

[58] Comme l’appelant comprenait la situation dans laquelle il se trouvait, je conclus qu’il est raisonnable de croire qu’il aurait dû se rendre compte à ce moment-là qu’il pouvait être congédié en raison de la gravité de ses actions. Étant donné qu’il a foncé avec sa voiture sur un manifestant et qu’il a ensuite crié après lui en présence d’autres témoins, j’estime qu’il est raisonnable de considérer que ses actions violent manifestement au moins une des valeurs de l’article 192-3, celle de « [f]aire preuve de jugement et de discrétion ». Et comme l’appelant connaissait l’article 192-3, il aurait dû savoir que la façon dont il s’est comporté spécifiquement pendant l’incident pouvait mettre son emploi en danger, même si cela s’est produit après le travail et qu’il n’avait reçu aucun avertissement préalable.

[59] Autrement dit, je prends note du fait que l’appelant croyait qu’il serait simplement suspendu pour ses actions. Mais je conclus qu’il aurait également dû au moins réaliser qu’il pouvait plutôt être congédié à cause de ce qu’il a fait exactement. Il aurait dû se rendre compte que ses actions contrevenaient clairement à l’article 192-3 et que son employeur pourrait lui aussi en arriver à cette conclusion et décider de le congédier pour cette raison.

[60] Je prends note du fait que l’appelant dit qu’il a retiré sa chemise de travail lorsqu’il est sorti de la voiture uniquement en raison de ce que son contremaître lui a dit et non parce qu’il croyait violer les valeurs de son employeur.

[61] Et je prends note du fait que l’appelant dit qu’il ne pensait pas être congédié parce que son employeur n’a rien mentionné à ce sujet lors de leur rencontre après l’incident.

[62] Malheureusement, l’explication de l’appelant ne me convainc pas. Étant donné que j’estime que ses actions au cours de l’incident avec le manifestant étaient intentionnelles et qu’il connaissait bien l’article 192-3, il est raisonnable de croire à mon avis qu’il aurait dû au moins réaliser que ses actions avaient nettement enfreint l’article 192-3 et que la gravité de la violation (en raison de la nature précise de ses actions) pourrait entraîner son congédiement, même si son employeur n’a pas évoqué cette possibilité pendant leur rencontre.

[63] Dans l’ensemble, j’estime que l’appelant aurait dû savoir qu’il pourrait être congédié pour avoir foncé sur un manifestant et avoir été agressif verbalement envers ce dernier et d’autres membres du public.

[64] Je prends note du fait que l’appelant affirme que son employeur l’a maintenant réintégré, ce qui démontre, selon lui, que le lien de confiance entre eux a été rétabli.

[65] Malheureusement, je conclus que ce n’est pas pertinent en l’espèce. En effet, l’analyse de l’inconduite met l’accent sur les actions de l’appelant qui ont mené à son congédiement. Tout ce qui se passe après son congédiement (y compris la décision de son employeur de le réintégrer) ne relève pas du critère juridique.

[66] En d’autres termes, le fait que l’appelant a repris son emploi ne change pas mes conclusions susmentionnées. Pour les motifs exposés ci-dessus, les actions qui ont mené à son congédiement constituent encore une inconduite.

[67] Je prends note du fait également que l’appelant affirme que cela l’aiderait grandement d’obtenir des prestations d’assurance-emploi parce que les mois où il a été en arrêt de travail ont été très difficiles.

[68] Malheureusement, l’assurance-emploi ne donne pas droit automatiquement à des prestations. Comme pour tout autre régime d’assurance, il faut satisfaire à certaines exigences pour être admissible aux prestations. Dans la présente affaire, je conclus que l’appelant ne satisfait pas à ces exigences, puisqu’il a été congédié de son emploi en raison d’une inconduite.

[69] Je conclus donc que la conduite de l’appelant est une inconduite au sens de la loi, puisqu’il a fait les actions qui ont mené à son congédiement, que ses actions étaient délibérées et qu’il aurait dû savoir qu’il pouvait être congédié en raison de ses actions.

Donc, l’appelant a-t-il perdu son emploi en raison d’une inconduite?

[70] Selon mes conclusions précédentes, je suis d’avis que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite.

Conclusion

[71] La Commission a prouvé que l’appelant a perdu son emploi en raison d’une inconduite. Pour cette raison, l’appelant est exclu du bénéfice des prestations d’assurance-emploi.

[72] Par conséquent, l’appel est rejeté.

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