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DOSSIER : SCT-5003-11

RÉFÉRENCE : 2019 TRPC 5

DATE : 20191213

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE MAKWA SAHGAIEHCAN

Revendicatrice

 

Me Steven W. Carey et Me Amy Barrington, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

 

 

Me Lauri Miller et Me David Culleton, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Du 4 au 6 décembre 2018

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Harry Slade, président


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 1984 CarswellNat 813; Cardinal c R, [1982] 1 RCS 508, 1982 CarswellNat 139; Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, 1995 CarswellNat 1278; Bande indienne de Semiahmoo c Canada (1997), [1998] 1 CF 3, 1997 CarswellNat 1316; Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 RCS 746; Canadien Pacifique Ltée c Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 CF 325, 1999 CarswellNat 1267; Reference re: Railway Act (Canada), [1926] RCS 239 (QL); Canada (AG) c Canadian Pacific Railway Co (Re Railway Act 1952 (Canada)), [1958] RCS 285 (QL); Canadien Pacifique Ltée c Paul, [1988] 2 RCS 654 ; Squamish Indian Band c Canadian Pacific Ltd, 2000 BCSC 933, [2000] 4 CNLR 39 (QL); Squamish Indian Band c Canadian Pacific Ltd, 2002 BCCA 478, 217 DLR (4th) 83 (QL); Bande indienne de Siska c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 2; Bande indienne de St. Mary’s c Cranbrook (Ville), [1997] 2 RCS 657 (QL); R c Sparrow, [1990] 3 CNLR 160 (QL); Nowegijick c La Reine, [1983] 1 RCS 29, 1983 CarswellNat123; Mitchell c Bande indienne Peguis, [1990] 2 RCS 85 (QL).

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14.

Loi sur les Indiens, SRC 1952, c 149, art 35.

Loi des Indiens, SRC 1927, c 98, art 34, 35, 39, 50, 51, 48, 64, 2.

Water Act, RSBC 1948, c 361, art 21.

Loi des chemins de fer Nationaux au Canada, SR 1927, c 172, art 17.

Loi des chemins de fer, SR 1927, c 170, art 189, 5, 192, 190, 191.

Loi modifiant la Loi des chemins de fer Nationaux du Canada, SC 1929, c  10, art 17.

Loi des expropriations, SR 1927, c 64, art 9, 11, 3, 2, 4-15, 23, 34.

The Municipal Expropriation Act, RSS 1953, c 151, art 3, 2.

The Community Planning Act, SS 1957, c 48, art 2, 22, 30.

Doctrine citée :

Black’s Law Dictionary, 10e éd, sub verbo fee simple absolute” (fief simple absolu).

Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd (Markham, ON : Butterworths Canada, 2002).

Black’s Law Dictionary, 10éd, sub verbo fair market value” (juste valeur marchande).

Institut canadien des évaluateurs, Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada, (Ottawa : 2018).

Sommaire

La présente revendication découle d’une série de cessions et d’expropriations, réalisées entre 1932 et 1958, de parcelles de terre réservées pour la Première Nation de Makwa Sahgaiehcan (Makwa, bande revendicatrice ou bande de Makwa), soit la réserve indienne nº 129B (RI nº 129B ou réserve).

La création de la réserve indienne de Makwa nº 129B, d’une superficie de 9 243,7 acres, a été confirmée par le décret CP 1776, le 5 août 1930.

À la date de cette confirmation, ou vers cette date, des colons squattaient les terres (en avaient pris possession sans apparence de droit) qui avaient été désignées pour être mises de côté à titre de réserve. Le nombre de squatteurs a continué de croître au point où les terres occupées avaient des allures de village.

Cession de 1932 pour l’aménagement d’un lotissement urbain :

Dès septembre 1931, des colons sont arrivés dans la réserve, ont commencé à l’occuper et ont érigé, dans ses limites, des structures permanentes. Comme ils n’étaient pas légalement autorisés à occuper les terres, les représentants du ministère des Affaires indiennes (le MAI) les ont qualifiés de « squatteurs ». Le MAI n’a fait aucun effort pour les expulser même si la Loi des Indiens, SRC 1927, c 98 [Loi des Indiens de 1927] lui permettait de le faire.

Le 9 février 1932, un agent des Indiens, suivant les instructions de son supérieur, a demandé aux membres de la bande de Makwa de voter sur la cession de 28,29 acres de terres situées dans la RI nº 129B qui seraient ensuite vendues en vue de l’établissement d’un lotissement urbain. Une fois la cession réalisée, le MAI a pris le contrôle des terres et a vendu les lots subdivisés aux colons et aux nouveaux arrivants.

Le Tribunal des revendications particulières (le Tribunal) a conclu qu’en acceptant la cession par décret, la Couronne avait agi de manière abusive étant donné qu’elle avait accordé son consentement dans des circonstances où la bande avait alors le choix ou bien de refuser la cession et de vivre avec la prise de facto de ses terres, ou bien de toucher une indemnité d’un montant indéterminé. Le MAI avait incité la bande à voter en faveur de la cession et lui avait mal expliqué les pouvoirs dont disposait la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), qui avait demandé au MAI de lui fournir des terres pour une emprise de chemin de fer, une gare et un lotissement urbain. Les négociations étant viciées, il était donc imprudent de se fier au vote tenu à l’assemblée du 9 février 1932 comme preuve de la compréhension et de l’intention de la bande. Le Tribunal a conclu que, par leurs actes, les représentants de la Couronne avaient manqué à leurs obligations de fiduciaire en matière de loyauté, de consultation et de prise en compte adéquate du droit de la bande à la préservation de son assise territoriale. Le MAI n’a pas envisagé la possibilité d’expulser les squatteurs. Il a fait passer les intérêts des squatteurs avant le droit de la bande à la préservation de son assise territoriale. Le MAI avait informé le conseiller Peepeekoot que le CN avait demandé qu’on lui cède des terres de la réserve afin d’y construire un chemin de fer et d’y établir un lotissement urbain et que le CN avait un pouvoir d’expropriation, sans toutefois expliquer qu’il ne pouvait pas exproprier des terres aux fins d’un lotissement urbain. La cession a été conclue à la hâte. Le MAI avait un certain intérêt à accepter la cession puisque cette opération allait mettre un terme aux intrusions qu’il avait tolérées.

Il a été conclu que c’est dans l’administration de la réserve que la Couronne a manqué à ses obligations de fiduciaire.

La revendication découlant de la cession de 1932 a été jugée bien fondée au regard de l’alinéa 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la LTRP] :

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation; […]

Prise de 1933 à des fins ferroviaires :

Dans l’exercice présumé du pouvoir conféré par l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, le gouverneur en conseil a, par le décret C.P. 1913–916 daté du 10 mai 1933, transféré des terres au CN pour qu’il y construise un chemin de fer et une gare.

La Loi des chemins de fer :

La Loi des chemins de fer Nationaux du Canada, SR 1927, c 172 [la Loi des CFN de 1927], en sa version modifiée en 1929, incorporait l’article 189 de la Loi des chemins de fer, SR 1927, c 170 [la Loi des chemins de fer de 1927].

L’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927 interdisait au CN d’aliéner les terres qu’il avait prises à des fins ferroviaires.

La Loi des CFN de 1927 exemptait le CN des dispositions de la Loi des chemins de fer relatives à la « prise de possession et [à l’]occupation des terrains ». Les modifications apportées à la Loi des CFN en 1929 ont eu pour effet d’éliminer cette exception relative à la prise de possession et à l’occupation des terrains, tout en maintenant les dispositions de la Loi des chemins de fer dans la mesure où elles n’étaient pas inconciliables avec celles de la Loi des CFN.

Seule la Loi des chemins de fer prévoit la prise de terres appartenant la Couronne fédérale. Il n’y a aucune incompatibilité entre la Loi des chemins de fer et la Loi des expropriations, SR 1927, c 64, [la Loi des expropriations de 1927], en ce qui concerne l’acquisition de terres appartenant à la Couronne. De plus, seule la Loi des chemins de fer permet la prise de terres de réserve.  

Comme il a été conclu dans la décision Canadien Pacifique Ltée c Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 CF 325, 1999 CarswellNat 1267, le paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer de 1927 s’applique de manière à limiter les droits acquis sur les terres de réserve, avec le consentement du gouverneur en conseil prévu à l’article 192.

Droit sui generis de Makwa dans la réserve :

Le droit sui generis d’une bande sur des terres de réserve fait intervenir les obligations de fiduciaire de la Couronne. Les circonstances factuelles de l’acquisition par le CN d’un intérêt dans la réserve établissent le fondement d’un motif subsidiaire de la revendication qui est indépendant de l’application de la Loi des chemins de fer.

En fait, le CN n’a pas acquis son droit en exerçant son pouvoir d’expropriation (alinéa 17(2)c) de la Loi des CFN de 1929). Il l’a acquis par suite du décret du 10 mai 1933, lequel prévoyait le [traduction] « transfert » au CN d’un droit sur les terres de la réserve.

Lorsqu’elle consent à la prise d’un droit sur des terres de réserve, la Couronne a une obligation d’atteinte minimale (Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 RCS 746 [Osoyoos]). Il est présumé que la Couronne ne voulait exproprier que le droit minimal requis pour réaliser la fin d’intérêt public poursuivie.

La « prise » n’a pas eu lieu au moment où le CN a déposé son plan. Il fallait un décret pris en vertu de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927. Le mot « expropriée » qui figure à l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 et les mots [traduction] « prendre » et « droit de passage » que l’on retrouve dans le décret CP 1913-916 daté du 10 mai 1933 sont ambigus et peuvent vouloir dire que les terres sont prises pour constituer un domaine ou un droit de propriété limité (Osoyoos, au para 86; Squamish Indian Band c Canadian Pacific Ltd, 2000 BCSC 933, [2000] 4 CNLR 39 [Squamish, BCSC] (QL)).

Les droits des Autochtones ont un caractère sui generis. Les règles traditionnelles du droit des biens ne s’appliquent pas à l’interprétation des lois qui ont une incidence sur les intérêts fonciers des Autochtones (Bande indienne de St. Mary’s c Cranbrook (Ville), [1997] 2 RCS 657 (QL)). Il est préférable d’appliquer une approche non formaliste pour l’interprétation du décret et de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 (Osoyoos, au para 70).

Une compagnie de chemin de fer n’a pas nécessairement besoin d’un intérêt en fief simple pour construire un chemin de fer (Canadien Pacifique Ltée c Paul, [1988] 2 RCS 654, cité dans Osoyoos).

La Couronne avait l’obligation de fiduciaire de porter atteinte le moins possible au droit des Autochtones sur la réserve. Cette obligation s’accorde avec le caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve (Osoyoos).

Le droit des Autochtones sur les terres ne peut être éteint en l’absence d’une intention claire et expresse en ce sens (R c Sparrow, [1990] 3 CNLR 160 (QL)). Après une analyse des termes clés de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 et le décret CP 1913–916 daté du 10 mai 1933, il ne ressort pas du transfert que la Couronne avait une intention claire et nette d’éteindre le droit des Autochtones sur les terres de réserve. Lorsque les termes employés dans les textes réglementaires qui autorisent les prises de terres sont ambigus, il faut retenir l’interprétation qui porte le moins possible atteinte aux droits des Autochtones (Osoyoos, au para 68, appliquant Nowegijick c La Reine, [1983] 1 RCS 29, 1983 CarswellNat123, et Mitchell c Bande indienne Peguis, [1990] 2 RCS 85 (QL)).

Le droit des Autochtones survit à la cession d’un intérêt, apparemment en fief simple, lorsque la fin d’utilité publique visée par cette cession ne nécessite pas son extinction.

Comme le droit acquis par le CN n’allait servir, en date du 10 mai 1933, aucune fin d’utilité publique en temps opportun, la Couronne se trouvait à manquer à son obligation de fiduciaire (Bande indienne de Semiahmoo c Canada (1997), [1998] 1 CF 3, 1997 CarswellNat 1316).

Le droit pris était un droit limité de la nature d’une servitude. Le droit sui generis autochtone a survécu à la prise.

Le Tribunal a conclu que la revendicatrice avait établi les faits à l’appui de sa revendication pour ce qui est des motifs liés à l’emprise de chemin de fer et à la gare, qui relèvent des alinéas 14(1)c) et d) de la LTRP :

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve; […]

Cession de 1939 pour l’agrandissement du lotissement urbain :

Le 17 août 1939, 17,08 acres de la RI nº 129B ont été cédées pour agrandir le lotissement urbain.

Au moins 14 squatteurs avaient occupé des lots de la réserve avant la cession. Certains avaient construit des habitations. Malgré l’abandon du projet de prolongement du chemin de fer, le village avait besoin de terres additionnelles.

Bien que la cession ait eu l’effet accessoire de servir les intérêts du MAI, l’opération n’était pas abusive ou inconsidérée.

Ventes à un prix sous-évalué :

Un arpenteur a informé le MAI de la valeur marchande des lots décrits sur le plan de lotissement des terres cédées. Le MAI a rejeté les évaluations faites par l’arpenteur et a offert les lots à la vente, dans certains cas à des personnes qui les avaient occupés sans autorisation, à des prix inférieurs à ceux bien justifiés qui étaient proposés par l’arpenteur.

Après la cession, la Couronne a manqué à son obligation de fiduciaire d’agir avec autant de prudence que le ferait une personne bien renseignée agissant dans son propre intérêt en mettant les lots en vente à un prix inférieur à la valeur marchande fixée par l’arpenteur. Le motif relevant de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP est établi. La revendication est bien fondée au regard de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP :

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

Agrandissement du lotissement urbain de 1958 :

Pendant sept ans, soit de 1950 à 1958, le village de Loon Lake a cherché à acquérir d’autres terres de la réserve pour agrandir le lotissement urbain. Pendant cette période, des membres du conseil du village, des représentants du MAI et des représentants du gouvernement provincial ont tenu des négociations. Le MAI a consulté la bande tout au long du processus.

Le 5 juin 1957, 19 des 23 membres de la bande qui étaient présents à l’assemblée sur la cession ont voté en faveur de la proposition d’échanger 100 acres de terres de réserve contre 480 acres de terres à foin attenantes à la réserve. Seuls les hommes ont voté puisqu’ils avaient empêché les femmes de le faire. Bien que le vote n’ait pas été tenu conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux cessions, il témoigne clairement du désir qu’avaient les membres de donner des terres de réserve pour l’agrandissement du village en échange de terres agricoles, qui allaient devenir des terres de réserve, à raison d’une acre de terres de réserve contre 4,8 acres de terres agricoles. L’opération n’était ni abusive ni inconsidérée. En 1958, conformément à l’article 35 de la Loi sur les Indiens, SRC 1952, c 149, la Couronne a consenti à ce que les terres soient transférées à la province de la Saskatchewan en vue de l’agrandissement du village. L’expropriation était fondée sur le pouvoir que la Municipal Expropriation Act, RSS 1953, c 151, et la Community Planning Act, SS 1957, c 48, conféraient au conseil municipal.

Le Tribunal a conclu que la Couronne n’avait pas, alors que les hommes avaient empêché les femmes d’exercer leur droit de vote, de sorte qu’il était impossible de respecter les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux cessions, manqué à son obligation de fiduciaire en facilitant l’atteinte du résultat obtenu.

Il n’y a pas eu de manquement à l’obligation de fiduciaire ou à la loi lors de la « prise » effectuée en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952. La revendicatrice n’a pas établi le bien‑fondé de la revendication découlant de la « prise » de 1958 en vue de l’agrandissement du village de Loon Lake.

Cession de six acres effectuée en 1957 pour l’école de Meadow Lake :

Lorsque le village a demandé des terres en vue d’agrandir le lotissement urbain, il a également demandé d’autres terres pour accueillir une école. Les terres ont été prises en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952. L’article 53 de la Saskatchewan School Act conférait au gouvernement provincial le pouvoir d’exproprier des terres. Il n’était pas nécessaire d’obtenir le consentement de la bande pour procéder à une prise en vertu de l’article 35, mais en 1957, le conseil de bande a adopté une résolution par laquelle il acceptait de donner au conseil de l’unité scolaire six acres de terres de réserve pour y construire une nouvelle école.

Le décret CP 1958-614 daté du 1er mai 1958 consentait à la prise comme le requérait l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952. L’opération a été conclue en conséquence. Encore là, il n’y a eu aucun manquement à la loi ni à l’obligation de fiduciaire.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. CONTEXtE : TRAITÉS, RÉSERVES ET COLONS  14

II. Introduction  14

III. HISTORIQUE DES PROCÉDURES DE LA REVENDICATION  15

A. Direction générale des revendications particulières  15

B. Tribunal des revendications particulières  15

IV. APERÇU  17

V. Position DES Parties  22

A. Revendicatrice  22

B. Intimée  22

VI. Loi sur les indiens et droit des fiducies  23

A. Intrusions dans la réserve  23

B. Cessions en vertu des articles 50 et 51 de la Loi des Indiens de 1927  24

C. Cession et obligations de fiduciaire  25

D. Expropriation d’intérêts dans des terres de réserve  28

E. Obligations de fiduciaire liées aux prises effectuées unilatéralement en vertu de la Loi sur les Indiens  30

F. Cession à des fins d’intérêt public  31

G. Pouvoir de corriger les erreurs  31

VII. CESSION DE 1932 pour l’aménagement D’UN LOTISSEMENT URBAIN ET PRISE DE 1933 POUR UNE EMPRISE DE CHEMIN DE FER  33

A. Intrusions et connaissance de la Couronne  33

B. Cession de 1932 et prise de 1933 à des fins ferroviaires  34

C. Analyse : intrusions  41

D. Analyse : la cession  43

VIII. Prise de 1933 à des fins ferroviaires  47

A. Droit acquis par le CN  47

1. Preuve : la « prise des terres »  47

2. Consentement à la prise des terres et pouvoir d’autoriser le transfert  49

B. Position de la revendicatrice  50

1. Loi des chemins de fer, paragraphe 189(3)  50

2. Position de l’intimée  51

IX. AnalysE des lois sur les chemins de fer  53

A. Loi des chemins de fer de 1927  53

B. Loi des CFN de 1929 : une exception après l’autre  54

C. Loi des expropriations de 1927 : dévolution à la Couronne des terres « prises »  58

1. Loi des expropriations de 1927, article 9 : terres prises pour l’usage de Sa Majesté  58

2. Loi des expropriations de 1927, article 11 : terres occupées par la Couronne pour un ouvrage public  59

D. Loi des expropriations de 1927 et terres publiques  59

E. Loi des CFN de 1929, alinéa 17(2)a)  61

F. La Loi des chemins de fer et les terres de réserve  62

G. Loi des Indiens de 1927, article 48, et Loi des chemins de fer de 1927, articles 189 à 192 : présomption de cohérence  63

H. « Transfert » au CN par le décret CP 1913–916 daté du 10 mai 1933  65

1. Circonstances entourant l’acquisition d’un droit sur la réserve  65

2. « Transfert » au lieu de prise  66

X. prises et extinction dU DROIT des AUTOCHTONES  67

A. Droit sui generis des Autochtones  67

B. Droit des fiducies et intention de la Couronne  68

C. La revendicatrice se fonde sur le caractère sui generis du droit auquel elle prétend et sur le droit des fiducies  69

D. Facteurs ayant une incidence sur la nature juridique du droit transféré  70

E. Droit requis pour réaliser une fin d’intérêt public  72

1. Fin d’intérêt public en l’espèce  72

2. Droit limité à celui qui est raisonnablement requis  72

3. Intention claire et nette d’éteindre le droit  74

4. Principes d’interprétation des textes autorisant la « prise »  75

5. Intention de la Couronne et obligation de fiduciaire  75

6. Ambiguïté des termes et préservation du droit des Autochtones  77

XI. CONSERVATION du droit Sui Generis des AUTOCHTONES SUR les terres transférées  77

A. « Rétablissement » du droit des Autochtones  77

B. Abandon du droit du CN  79

XII. Conclusion  82

XIII. résumé des conclusions : prise de terres à des fins ferroviaires, 1933  82

A. Pouvoir légal de prendre des terres de la Couronne réservées aux Autochtones  82

1. Application du cadre législatif  82

2. Aliénation des terres de la Couronne acquises en vertu de la Loi des chemins de fer  83

B. Extinction du droit sui generis des Autochtones sur les terres de réserve  83

C. Manquement à l’obligation de fiduciaire  85

D. Rétablissement du droit de Makwa d’utiliser et posséder les terres  85

XIV. décision  85

XV. ALIÉNATIONS de terres de réserve, 1935–1939  86

A. Cession de 1935 pour l’église  86

B. Cession de 1938 pour la Croix-Rouge  87

C. Cession de 1939 pour l’agrandissement du lotissement urbain  87

D. Analyse, cession de 1939  89

1. Manquement à l’obligation de fiduciaire antérieur à la cession  89

2. Manquement à l’obligation de fiduciaire postérieur à la cession  92

3. Décision  97

E. Agrandissement du lotissement urbain de 1958  97

1. Relation particulière et volonté de la bande  97

2. Fondement juridique à l’expropriation  102

a) Loi sur les Indiens de 1952, article 35  102

b) Pouvoir légal d’exproprier  103

F. Conclusion  108

XVI. cession de six acres effectuée en 1957 pour l’école de Meadow Lake  108

XVII. résumé de la décision  110

A. Cession de 1932 pour l’aménagement d’un lotissement urbain  110

B. Expropriation de 1933 pour une emprise de chemin de fer  110

C. Cession de 1939 pour l’agrandissement du lotissement urbain et ventes à un prix sous-évalué  111

D. Agrandissement du lotissement urbain de 1958  111

E. Cession de six acres effectuée en 1957 pour l’école de Meadow Lake  111


 

I.  CONTEXtE : TRAITÉS, RÉSERVES ET COLONS

[1]  La conclusion de traités permettait de respecter les exigences de la Proclamation royale de 1763. C’est par le Traité nº 6 que le Canada a ouvert à la colonisation les territoires des peuples autochtones de la future province de la Saskatchewan.

[2]  Une grande partie de ce qui est devenu la province de la Saskatchewan a été cédée par des groupes autochtones, dont la Première Nation de Makwa Sahgaiehcan (Makwa, la revendicatrice, la bande ou la bande de Makwa), qui ont adhéré au Traité nº 6. Le Traité prévoyait notamment la mise de côté de terres à titre de réserve pour l’usage et le profit continus des parties autochtones au Traité, plus tard connues sous le nom de « bandes » et maintenant sous le nom de « Premières Nations ». À partir de 1876, les terres de réserve ont été administrées par des représentants de la Couronne du ministère des Affaires indiennes (le MAI ou le ministère) sous le régime de la Loi sur les Indiens.

[3]  La création de la réserve indienne du lac Makwa nº 129B (la réserve ou la RI nº 129B), d’une superficie de 9 243,7 acres, a été confirmée par le décret CP 1776, le 5 août 1930. Les réserves indiennes du lac Makwa nos129 et 129A, établies en 1919, contenaient, respectivement, 4 491 et 638 acres.

[4]  Avec le prolongement du chemin de fer vers l’ouest entrepris par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), des villes ont été aménagées le long des lignes ferroviaires.

[5]  La réserve se trouvait le long du tracé retenu par le CN pour la construction d’une ligne secondaire entre St. Walburg (Saskatchewan) et Bonnyville (Alberta). Des colons s’y sont établis, et ont occupé certaines parcelles de terre.

II.  Introduction

[6]  La présente revendication découle d’une série de cessions et d’expropriations, réalisées entre 1932 et 1958, de parcelles de terre réservées à la bande de Makwa, soit la RI nº 129B.

[7]  Des colons ont commencé à occuper la réserve vers 1930, année où celle‑ci a été établie. Un village prenait forme alors que le CN avait prévu construire une ligne secondaire qui devait traverser la réserve. La première cession, qui a eu lieu en 1932, a permis aux colons qui avaient squatté des terres d’obtenir un titre de propriété. Bien que le chemin de fer ne se soit jamais matérialisé, le village a continué de s’agrandir. Jusqu’en 1958, d’autres terres ont été cédées et expropriées pour la construction du chemin de fer et le lotissement urbain.

[8]  La revendicatrice soutient que les dispositions de la Loi sur les Indiens n’ont pas été respectées et qu’il y a eu des manquements aux obligations de fiduciaire de la Couronne en lien avec les cessions et les expropriations.

III.  HISTORIQUE DES PROCÉDURES DE LA REVENDICATION

A.  Direction générale des revendications particulières

[9]  Makwa a déposé la Revendication relative à la cession de 1932 pour l’aménagement d’un lotissement urbain et à l’expropriation de 1933 pour une emprise de chemin de fer auprès du ministre des Affaires indiennes, en 1999. La revendication a été déposée à nouveau en novembre 2008 avant d’être rejetée par la Direction générale des revendications particulières (la DGRP) en décembre 2010.

[10]  Makwa a déposé la Revendication relative à la cession de 1939 pour l’agrandissement du lotissement urbain auprès du ministre des Affaires indiennes en janvier 2000. La DGRP l’a rejetée en juillet 2009.

[11]  Makwa a déposé la Revendication relative aux terres échangées en 1958 pour l’agrandissement du lotissement urbain auprès du ministre des Affaires indiennes en juillet 2000. La DGRP l’a rejetée aux fins de négociation en octobre 2009.

[12]  Makwa a déposé la Revendication relative aux ventes de terres du lotissement urbain auprès du ministre des Affaires indiennes en septembre 2000. La DGRP l’a rejetée aux fins de négociation en décembre 2010.

B.  Tribunal des revendications particulières

[13]  Le 8 décembre 2011, Makwa a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal des revendications particulières (le Tribunal), laquelle regroupait la Revendication relative à la cession de 1932 pour l’aménagement d’un lotissement urbain et à l’expropriation de 1933 pour une emprise de chemin de fer, la Revendication relative à la cession de 1939 pour l’agrandissement du lotissement urbain, la Revendication relative aux terres échangées en 1958 pour l’agrandissement du lotissement urbain et la Revendication relative aux ventes de terres du lotissement urbain.

[14]  Le 12 janvier 2017, Makwa a déposé une déclaration de revendication amendée auprès du Tribunal.

[15]  Le 11 septembre 2018, Makwa a déposé une déclaration de revendication réamendée auprès du Tribunal. Ce document incluait la Revendication relative à l’expropriation de 1957 pour l’unité scolaire de Meadow Lake.

[16]  Chacune des revendications susmentionnées pourrait être plaidée comme une revendication distincte puisqu’elles sont toutes fondées sur la cession ou la prise d’un droit sur une parcelle de terre distincte de la RI nº 129B. Les faits à l’appui de chacune des revendications sont différents et il n’y a peu ou pas de chevauchement en ce qui concerne la preuve. La Revendication relative à la cession de 1932 pour l’aménagement d’un lotissement urbain et à l’expropriation de 1933 pour une emprise de chemin de fer fait état de deux opérations connexes, soit la « cession » d’une parcelle de terre et la « prise » d’une autre, réalisées en vertu de dispositions distinctes de la Loi des Indiens de 1927. Dans une certaine mesure, les mêmes éléments de preuve s’appliquent aux deux opérations, même si les éléments propres à chacune pourraient suffire à eux seuls, compte tenu des faits établis.

[17]  Se fondant, selon le cas, sur les alinéas 14(1)b), c), d) et e) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [la LTRP], Makwa sollicite une réparation précise en rapport avec chacune des revendications :

(1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :  

[…]

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d’une colonie de la Grande-Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada;

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve;

e) l’absence de compensation adéquate pour la prise ou l’endommagement, en vertu d’un pouvoir légal, de terres d’une réserve par Sa Majesté ou un organisme fédéral; […]

[18]  L’intimée, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, a déposé auprès du Tribunal une réponse, le 15 février 2012, une réponse amendée, le 13 février 2017, et une réponse réamendée, le 10 octobre 2018.

[19]  L’audition de la présente revendication a été divisée en deux étapes distinctes, soit celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation, conformément à une ordonnance de scission d’instance prononcée le 28 novembre 2018.  

[20]  Les parties n’ont pas déposé de rapports d’expert auprès du Tribunal et n’ont pas appelé d’experts à témoigner. Les observations orales sur le bien‑fondé de la revendication ont été entendues à Saskatoon, en Saskatchewan, du 4 au 6 décembre 2018. Des observations écrites supplémentaires ont été déposées par la revendicatrice le 19 février 2019, et par l’intimée, le 27 mars 2019. La revendicatrice a présenté des observations en réplique le 15 avril 2019.

[21]  Les présents motifs de décision portent sur le bien‑fondé de la revendication.

IV.  APERÇU

[22]  Le décret CP 1184 pris en juillet 1929 autorisait la construction d’une ligne secondaire du CN entre St. Walburg, en Saskatchewan, et Bonnyville, en Alberta. Le plan déposé montrait le chemin de fer qui traversait les terres qui avaient été mises de côté pour constituer la RI nº 129B (pièce 1).

[23]  La RI nº 129B de Makwa, d’une superficie de 9 243,7 acres, a été créée le 5 août 1930.

[24]  En septembre 1931, des colons sont arrivés dans la réserve, ont commencé à l’occuper et ont érigé des structures permanentes près de la ligne de chemin de fer qu’on prévoyait construire. Comme ils n’étaient pas légalement autorisés à occuper les terres, les autorités les ont qualifiés de « squatteurs ».

[25]  Dans une lettre datée du 28 octobre 1931, le CN a demandé au MAI de lui céder des terres de la réserve pour la construction du chemin de fer et d’une gare, ainsi que 25 acres de terres pour qu’un lotissement urbain puisse être aménagé à côté de l’emprise de chemin de fer [traduction] « afin de pouvoir prendre soin des colons du district de Loon Lake » (recueil conjoint de documents (RCD), vol 1, MAK-000014). Cette demande était conforme à la pratique du CN qui consistait à faciliter la création de villes le long de ses lignes de chemin de fer.

[26]  Le CN avait le pouvoir d’exproprier des terres à des fins ferroviaires. Aux termes de la Loi des Indiens, le gouverneur en conseil devait consentir à l’exercice de ce pouvoir à l’égard des terres de réserve. Dans les faits, le gouverneur en conseil donnait son consentement sur recommandation du ministère des Affaires indiennes après avoir déterminé s’il existait une cause d’utilité publique valable.

[27]  Comme le CN n’avait pas le pouvoir d’exproprier des terres à des fins autres que ferroviaires, il ne pouvait utiliser les terres de réserve à des fins de colonisation que si les membres de la bande votaient pour qu’elles lui soient cédées en vertu de la Loi des Indiens. Il appartenait au MAI de décider s’il devait entamer le processus de cession. Il en était de même du processus par lequel des terres de réserve pouvaient être prises (expropriées) à des fins ferroviaires.

[28]  Le 9 février 1932, l’agent des Indiens par intérim, J. T. Hill, a procédé à un vote concernant la cession de 28,29 acres de terres de la réserve destinées à l’établissement d’un lotissement urbain. Dans son rapport du 15 février 1932, Hill a indiqué que la cession avait été acceptée à l’unanimité lors d’une assemblée réunissant tous les membres de la bande. Le MAI a aussi lancé le processus qui permettrait au CN d’exproprier 46,67 acres de terres de réserve à des fins ferroviaires.

[29]  En avril 1932, le CN a informé le ministère que l’idée d’un lotissement urbain avait été provisoirement abandonnée. Cependant, il a poursuivi ses travaux d’arpentage et de subdivision du lotissement et a pris des dispositions avec la province de la Saskatchewan pour l’aménagement de routes d’accès.

[30]  Dès le 31 mars 1932, le MAI savait que la construction du chemin de fer risquait de ne pas se faire. Il a tout de même lancé le processus qui permettrait au CN de prendre des terres de réserve pour y construire un chemin de fer et une gare. Le décret CP 1913-916 daté du 10 mai 1933 ordonnait le transfert au CN de 46,67 acres de terres devant servir à la construction d’un chemin de fer et d’une gare. La construction du chemin de fer n’avait pas repris.

[31]  Le 10 octobre 1933, l’agent des Indiens Hill a laissé savoir à ses supérieurs que le lotissement urbain [traduction] « [était] quasiment couvert de bâtiments (commerciaux et résidentiels). La population de cette nouvelle ville [était] de 146 personnes et la valeur des bâtiments s’élev[ait] à 69 402 $, selon une estimation prudente » (RCD, Vol 1, MAK-000050). La bande avait voté en faveur de la cession, mais le consentement du gouverneur en conseil, requis par la loi, n’avait pas encore été obtenu.

[32]  Le 21 décembre 1933, le CN a avisé le MAI qu’il avait abandonné la construction de la ligne secondaire proposée et qu’il renonçait au lotissement urbain. Il a ensuite informé le MAI qu’il n’avait pas autorisé les « squatteurs » à occuper les terres. Le 25 juin 1934, le CN a transmis au MAI les plans du lotissement urbain et a renoncé en sa faveur au droit qu’il avait dans ce lotissement.

[33]  La situation dans laquelle se trouvaient Makwa et le MAI à la fin de 1933 se résume comme suit :

  1. Le CN avait obtenu des terres à des fins ferroviaires, mais n’avait plus l’intention de les utiliser à ces fins;

  2. Le CN avait renoncé à son projet d’aménager un lotissement urbain;

  3. La cession consentie en février 1932 n’avait pas encore été confirmée par un décret du gouverneur en conseil;

  4. Les squatteurs occupaient de fait le lotissement proposé et y avaient établi un village.

[34]  Le MAI a pris les mesures suivantes pour rectifier la situation. Le 18 juillet 1934, sur recommandation du MAI, le gouverneur en conseil a confirmé la cession de 28,29 acres de terres consentie en 1932 pour l’aménagement d’un lotissement urbain (décret CP 1542). Le MAI a pris le contrôle des terres et a vendu les lots subdivisés aux colons. Cependant, cette mesure n’a pas complètement réglé le problème de l’occupation par des colons de terres de réserve non cédées. Messieurs Grandy et Craig, ainsi que la Légion royale canadienne, occupaient des terres de réserve – sur lesquelles ils avaient réalisé des améliorations – à l’extérieur du territoire cédé sans détenir aucune forme droit de tenure permanent. Ils payaient un « loyer » à l’agent des Indiens de façon informelle, qui versait habituellement cet argent à la Première Nation afin qu’elle se procure davantage de denrées alimentaires.

[35]  En 1935, la bande a cédé des terres pour la construction d’une église.

[36]  En 1938, elle a cédé 2,17 acres de terres pour qu’on y construise un hôpital.

[37]  Pour régler le problème d’intrusions illicites et répondre au désir du village d’obtenir des terres supplémentaires, le MAI a, encore une fois, opté pour une cession. Le 17 août 1939, 17,08 acres de terres ont été cédées et mises en vente afin d’agrandir le lotissement urbain, lesquelles englobaient les terres occupées par Grandy, Craig et la Légion royale canadienne. Ces derniers, ainsi que d’autres colons, ont acquis les lots nouvellement subdivisés.

[38]  En 1949, le besoin de terres pour l’agrandissement du lotissement urbain a été porté à l’attention des autorités. Le député fédéral de la région a proposé que des terres de réserve soient échangées contre des terres provinciales situées tout près. Dans une lettre datée du 19 décembre 1952, le MAI a indiqué que des représentants du village de Loon Lake avaient rencontré les [traduction] « Indiens » à plusieurs reprises pour discuter de l’achat de terres, et que tout accord conclu avec le conseil de bande devait être ratifié par un vote des membres de la bande.

[39]  Des négociations ont ensuite eu lieu entre la bande et le village afin d’établir le prix d’une acre. Par une résolution adoptée par le conseil de bande en 1954, il a été convenu de vendre 67,65 acres de terres au prix de 50 $ l’acre. Le MAI a tenu un vote sur la cession, mais il en a rejeté le résultat puisque, même si tous ceux qui avaient voté appuyaient la proposition, celle‑ci n’avait pas été ratifiée par une majorité des membres de la bande qui étaient admissibles à voter. Les hommes avaient empêché les femmes de voter.

[40]  Une deuxième assemblée sur la cession a eu lieu le 6 juillet 1955. Seulement huit hommes étaient présents et aucun d’eux n’a voté en faveur de la vente des terres.

[41]  D’autres négociations ont suivi, mais elles ont été interrompues parce que le village n’avait pas l’argent pour payer le montant — soit 75 $ l’acre — que la bande voulait à ce moment-là pour la vente de 190 acres. Il a ensuite été question de la possibilité d’échanger des terres : 100 acres de terres de réserve pour le village contre 480 acres de terres de la Couronne provinciale pour la réserve.

[42]  Le 5 juin 1957, l’agent des Indiens a rencontré des membres de la bande. Un vote a été tenu et seuls les hommes y ont participé. Dix-neuf d’entre eux ont voté en faveur d’un échange de terres alors que quatre ont appuyé l’idée, mais ont souhaité obtenir d’autres terres que celles qui étaient offertes.

[43]  Il était impossible d’obtenir une cession en vertu de la Loi sur les Indiens puisque les hommes empêchaient les femmes de voter et que, par conséquent, le vote n’était pas majoritaire.

[44]  Le MAI a invoqué l’article 35 de la Loi sur les Indiens, SRC 1952, c 149 [la Loi sur les Indiens de 1952], qui permettait à tout organisme ayant un pouvoir d’expropriation de prendre des terres de réserve avec le consentement du gouverneur en conseil.

[45]  Le 26 juin 1958, le décret CP 1958–886 a permis à la province de la Saskatchewan de prendre les droits de superficie de 100 acres de la RI nº 129B en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952, en échange de 480 acres de terres provinciales.

[46]  Le 25 septembre 1958, les terres cédées par la province de la Saskatchewan ont été officiellement mises de côté à titre de réserve indienne de Makwa Lake nº 129C.

[47]  En 1957, avec l’accord des hommes de la bande, le MAI a permis la prise de 6 acres de terres de réserve en vue de la construction d’une école.

V.  Position DES Parties

A.  Revendicatrice

[48]  La revendicatrice soutient que le ministère des Affaires indiennes a procédé aux cessions de 1932 et 1939 pour un motif illégitime, soit pour légaliser l’occupation illicite de terres situées dans la RI nº 129B par des squatteurs et ainsi éviter d’être tenu responsable pour n’avoir pris aucune mesure en vue de les évincer. Elle prétend avoir été amenée à voter en faveur des cessions parce que le MAI a fait de fausses déclarations, a dissimulé certains renseignements, a préféré les intérêts des colons à ceux de la bande et a fait valoir ses propres intérêts. Par conséquent, elle affirme que les cessions sont viciées et qu’elles ne devraient pas être reconnues comme étant l’expression de la volonté de la bande. La revendicatrice ajoute que les opérations, tant celles réalisées par voie de cession que celles réalisées par voie d’expropriation, étaient inconsidérées et abusives.

[49]  La revendicatrice soutient que le fait que les représentants de la Couronne n’aient pas su protéger les terres de réserve contre les intrusions illicites a déclenché une série d’événements qui ont fait en sorte que des terres de la réserve ont été perdues en raison des nombreuses cessions et expropriations qui se sont succédé pendant trois décennies, soit de 1932 à 1958. Elle fait valoir qu’il y a eu de nombreux manquements à la loi et à l’obligation de fiduciaire.

B.  Intimée

[50]  L’intimée soutient qu’avant les cessions, son obligation de fiduciaire se limitait à prévenir les marchés abusifs. Il n’y a donc pas eu de manquement après les cessions puisque les terres ont été aménagées comme prévu.

[51]  L’intimée soutient qu’il n’y a aucune preuve directe permettant de conclure à l’existence d’un motif illégitime, d’un conflit d’intérêts ou de pression indue, non plus qu’il n’existe de preuve suffisante pour inférer que la Couronne a mal agi en raison des actes commis par le MAI. Elle ajoute que la preuve démontre qu’elle a respecté toutes les exigences de la Loi des Indiens de 1927, ainsi que ses versions ultérieures.

[52]  L’intimée affirme que la Couronne a, par le biais des représentants du MAI, toujours agi dans le meilleur intérêt de la bande et que les opérations en cause n’étaient ni abusives ni inconsidérées. Elle n’a donc pas manqué aux obligations légales et fiduciaires qu’elle a envers la bande.

VI.  Loi sur les indiens et droit des fiducies

[53]  La revendicatrice se fonde sur la preuve qui, selon elle, témoigne du défaut de la Couronne, qu’elle attribue aux actes et aux omissions du MAI, de se conformer aux exigences de la Loi sur les Indiens qui s’appliquent aux intrusions, aux cessions et aux expropriations. La revendicatrice se fonde également sur des arrêts de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale qui traitent du régime législatif qui s’applique aux terres de réserves et des obligations de fiduciaire qui incombent à la Couronne à cet égard. Ces arrêts, largement exposés dans le mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, sont présentés ci‑dessous et traités plus en détail dans l’analyse de la preuve et de l’application de la loi.

[54]  L’intimée soutient avoir respecté les exigences de la Loi sur les Indiens et de toute autre loi applicable, ainsi que ses obligations de fiduciaire. Elle présente une analyse des dispositions législatives et de la jurisprudence pertinentes.

A.  Intrusions dans la réserve

[55]  La revendicatrice soutient que le MAI avait le pouvoir et l’obligation d’évincer les squatteurs qui occupaient des terres de la réserve avant les cessions de 1932 et 1939.

[56]  L’article 34 de la Loi des Indiens de 1927 interdit les intrusions dans une réserve :

34. Nul individu, ou Indien autre qu’un Indien de la bande ne peut, sans l’autorisation du surintendant général, résider ou chasser sur une terre ou sur un marais, ni l’occuper non plus qu’en faire usage, ni résider sur un chemin ou une réserve de chemin, ni l’occuper, dans les limites d’une réserve appartenant à cette bande ou occupée par elle.

[57]  L’article 35 de la Loi des Indiens de 1927 obligeait le MAI à expulser les intrus :

35. Si un Indien est illégalement en possession d’une terre située dans une réserve, ou si, sans l’autorisation du surintendant général, un individu ou Indien autre qu’un Indien de la bande

a) s’établit, réside ou chasse sur quelque terrain ou marais, ou l’occupe, ou en fait usage, ou y fait pénétrer ou permet d’y faire pénétrer des bestiaux ou d’autres animaux lui appartenant ou confiés à sa garde;

[…]

c) s’établit ou réside sur quelque chemin ou réserve de chemin, ou l’occupe, dans les limites de la réserve;

le surintendant général, ou le fonctionnaire ou la personne qu’il délègue et autorise à cet effet, émet, sur plainte à lui faite, et sur preuve des faits à sa satisfaction, un mandat sous ses seing et sceau, adressé à toute personne sachant lire et écrire qui consent à agir en l’espèce et lui enjoignant, selon le cas,

a) d’expulser immédiatement du terrain ou du marais, du chemin ou de la réserve de chemin, tout tel individu ou Indien et sa famille ainsi établis, ou y résidant ou y chassant, ou l’occupant ou étant illégalement en sa possession; […] [italiques ajoutés]

[58]  L’article 39 de la Loi des Indiens de 1927 prévoyait que la possession des réserves pouvait être recouvrée :  

39. Si quelque personne retient la possession de terres réservées ou prétendues réservées pour les Indiens, ou de terres dont les Indiens ou un Indien ou une bande ou tribu d’Indiens réclame la possession ou un droit de possession, ou si quelqu’un occupe ou revendique l’une de ces terres, ou qu’il ait violation du droit de propriété, la possession peut en être recouvrée pour les Indiens, ou pour quelque Indien ou bande ou tribu d’Indiens […]

B.  Cessions en vertu des articles 50 et 51 de la Loi des Indiens de 1927

[59]  Deux des cinq opérations en cause en l’espèce – par lesquelles des terres de la RI nº 129B ont été prises – étaient des cessions. Il s’agit plus précisément de la Cession de 1932 pour l’aménagement d’un lotissement urbain et de la Cession de 1939 pour l’agrandissement du lotissement urbain.

[60]  Les articles 50 et 51 de la Loi des Indiens de 1927, et les versions ultérieures de la Loi, interdisaient de vendre directement des terres de réserve à des tiers et établissaient les exigences relatives à la cession des terres de réserve. Ils sont ainsi libellés :

50. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle réserve ou portion de réserve ne peut être vendue, aliénée ni affermée, avant d’avoir été cédée ou rétrocédée à la Couronne pour les objets de la présente Partie […]

51. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle cession ou rétrocession d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou d’un Indien en particulier, n’est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et un ans révolus, et ce à une assemblée ou à un conseil de la bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d’un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son conseil ou par le surintendant général à y assister.

2. Nul Indien ne peut voter ni assister à ce conseil, à moins de résider habituellement dans ou près la réserve en question, ou d’y avoir un intérêt.

3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la bande, à ce conseil ou à cette assemblée, doit être attesté sous serment par le surintendant général ou par le fonctionnaire qu’il a autorisé à assister à ce conseil ou à cette assemblée, et par l’un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de vote, devant toute personne autorisée à faire prêter serment et ayant juridiction dans l’endroit où le serment a été prêté.

4. Après que ce consentement a été ainsi attesté, comme susdit, la cession ou rétrocession est soumise au gouverneur en son conseil, pour qu’il l’accepte ou la refuse.

C.  Cession et obligations de fiduciaire

[61]  S’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 1984 CarswellNat 813 [Guerin], le juge Dickson a conclu que les dispositions de la Loi portant sur les cessions imposaient à la Couronne une obligation de fiduciaire envers les bandes :

Il est interdit à une bande indienne de céder son droit directement à un tiers. La vente ou la location de terres ne peut avoir lieu qu’à la suite d’une cession et c’est alors Sa Majesté qui agit au nom de la bande. C’est dans la Proclamation royale de 1763 que Sa Majesté a pour la première fois endossé cette responsabilité qui lui est encore reconnue dans les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux cessions. L’exigence d’une cession et la responsabilité qui en découle ont pour effet d’imposer à Sa Majesté une obligation de fiduciaire distincte envers les Indiens. [au para 81]

[62]  Le respect des exigences procédurales de la Loi sur les Indiens doit être pris en considération pour déterminer si une bande a dûment consenti à la cession de ses terres de réserve, notamment celles en fonction desquelles il faut étudier la façon dont la ratification par les membres de la bande ayant droit de vote doit être déterminée. Voici ce qu’a déclaré le juge Estey de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cardinal c R, [1982] 1 RCS 508, 1982 CarswellNat 139 [Cardinal] :

On a aussi soutenu que l’interprétation que nous examinons maintenant expose les membres de la bande au risque de perdre des biens et d’autres droits, contrairement à l’objet et à l’esprit général de la Loi des sauvages. Il y a lieu de noter, à cet égard, que des mesures de précaution sont intégrées à la procédure de cession établie par la Partie I de la Loi. Premièrement, l’assemblée doit être convoquée expressément pour étudier la question de la cession. Cette question ne peut être examinée à une assemblée régulière ou à une assemblée dont on n’a pas donné avis exprès à la bande. Deuxièmement, l’assemblée doit être convoquée conformément aux usages de la bande. Troisièmement, l’un des chefs ou des anciens doit attester sous serment le vote et le fait que l’assemblée était régulièrement constituée. Quatrièmement, seuls ceux qui résident dans la réserve peuvent voter en raison des dispositions d’exclusion du par. 49(2). Cinquièmement, l’assemblée doit se tenir en présence d’un représentant de Sa Majesté. Et sixièmement, même si le vote est affirmatif, le gouverneur en conseil peut approuver ou refuser la cession. C’est en fonction de ces mesures de précaution qu’il faut étudier la façon dont la ratification par les membres de la bande ayant droit de vote doit être déterminée en vertu de l’art. 49. [italiques ajoutés; au para 19]

[63]  Il incombe à la Couronne de s’acquitter de ses obligations de fiduciaire dans la mise en œuvre des modalités d’une cession. Dans l’arrêt Guerin, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a décrit l’obligation de fiduciaire qu’avait Sa Majesté envers la bande comme une obligation de loyauté absolue :

J’estime que l’acte de cession n’autorisait pas Sa Majesté à ignorer les conditions verbales qui, selon ce que la bande avait cru comprendre, seraient incluses dans le bail. C’est en fonction de ces représentations verbales que doit être appréciée la conduite adoptée par Sa Majesté en s’acquittant de son obligation de fiduciaire. Elles définissent et limitent la latitude dont jouissait Sa Majesté dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. […] L’equity ne sanctionnera pas une conduite peu scrupuleuse de la part d’un fiduciaire qui doit faire preuve d’une loyauté absolue envers son commettant. [italiques ajoutés; au para 107]

[64]  Dans l’arrêt Guerin, il s’agissait de savoir si Sa Majesté avait manqué à son obligation après la cession.

[65]  Dans l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, 1995 CarswellNat 1278 [Apsassin], la Cour suprême du Canada s’est penchée sur les obligations qu’avait la Couronne avant et après la cession. La bande demanderesse prétendait que le caractère paternaliste du régime établi par la Loi des Indiens obligeait la Couronne à empêcher les Autochtones de prendre des décisions imprudentes concernant l’aliénation de leurs terres. La Couronne soutenait que les bandes devaient être traitées comme des acteurs indépendants pour ce qui est de la cession de leurs terres. La juge McLachlin (plus tard Juge en chef) a déclaré ce qui suit :

À mon avis, les dispositions de la Loi des Indiens relatives à la cession des réserves des bandes établissent un équilibre entre les deux pôles extrêmes que constituent l’autonomie et la protection. Il fallait que la bande visée consente à la cession de sa réserve, à défaut de quoi celle-ci ne pouvait pas être vendue. Par ailleurs, il fallait également que la Couronne, par l’intermédiaire du gouverneur en conseil, consente à la cession. L’exigence que la Couronne consente à la cession n’avait pas pour objet de substituer la décision de cette dernière à celle des bandes, mais plutôt d’empêcher que celles-ci se fassent exploiter. Le juge Dickson a décrit ainsi cette exigence dans Guerin (à la p. 383) :

Cette exigence d’une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter.

Il s’ensuit que, en vertu de la Loi des Indiens, les bandes avaient le droit de décider si elles voulaient céder leur réserve, et que leur décision devait être respectée. Par ailleurs, si la décision de la bande concernée était imprudente ou inconsidérée — et équivalait à de l’exploitation — la Couronne pouvait refuser son consentement. Bref, l’obligation de la Couronne se limitait à prévenir les marchés abusifs. [au para 35]

[66]  Sur la question plus générale de l’existence des obligations de fiduciaire, la juge McLachlin a dit ce qui suit :

En règle générale, une obligation de fiduciaire prend naissance lorsqu’une personne possède un pouvoir unilatéral ou discrétionnaire à l’égard d’une question touchant une autre personne « particulièrement vulnérable » : voir Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99 [[1988] 1 C.N.L.R. 152 (version abrégée)]; Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226; et Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377. La partie vulnérable est tributaire de la partie qui possède le pouvoir unilatéral ou discrétionnaire, qui, à son tour, est obligée d’exercer ce pouvoir uniquement au profit de la partie vulnérable. La personne qui cède (ou, plus souvent, qui se trouve dans la situation où quelqu’un d’autre a cédé pour elle) son pouvoir sur quelque chose à une autre personne escompte que la personne à qui le pouvoir en question est cédé l’exercera avec loyauté et diligence. Cette notion est la pierre d’assise de l’obligation de fiduciaire. [italiques dans l’original; Apsassin, au para 38]

[67]  Dans l’arrêt Apsassin, la décision majoritaire donne des indications supplémentaires quant à la façon dont les faits et circonstances d’une affaire peuvent être intégrés dans l’analyse des obligations de fiduciaire incombant à la Couronne avant la cession. Voici ce qu’a déclaré le juge Gonthier :

Je tiens à ajouter que j’hésiterais à donner effet à cette modification de cession si je croyais que la bande n’en avait pas bien saisi les conditions, ou si la conduite de la Couronne avait, d’une manière ou d’une autre, vicié les négociations au point qu’il serait hasardeux de tenir pour acquis que la bande avait bien compris la situation et avait eu l’intention de faire ce qu’elle a fait. [Apsassin, au para 14]

[68]  Dans cet arrêt, la juge McLachlin a conclu que la Couronne avait, après la cession, l’obligation d’agir dans le meilleur intérêt de la bande en prenant tous les moyens possibles pour corriger une erreur. Elle a examiné la norme de conduite applicable :  

Voilà à quoi se résume la question. En tant que fiduciaire, la Couronne avait l’obligation d’agir avec le soin et la diligence « qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires » : Fales c. Canada Permanent Trust Co., [1977] 2 R.C.S. 302, à la p. 315. Une personne raisonnable ne se départit pas par inadvertance d’un bien qui peut avoir de la valeur et dont la capacité de produire un revenu a déjà été démontrée. Une personne raisonnable ne se départit pas non plus, sans contrepartie, d’un bien qui ne lui coûte rien à conserver et qui, aussi mince que cette possibilité puisse être, pourrait un jour avoir de la valeur. Dans la gestion de ses propres affaires, la Couronne réservait ses droits miniers. Elle aurait dû faire de même pour la bande. [italiques ajoutés; Apsassin, au para 104]

[69]  Au paragraphe 37 de l’arrêt Bande indienne de Semiahmoo c Canada (1997), [1998] 1 CF 3, 1997 CarswellNat 1316 [Semiahmoo], la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur l’application du droit des fiducies dans le contexte d’une cession de terres de réserve. Elle a conclu que l’examen de la nature et de l’étendue de l’obligation de fiduciaire qui incombe à la Couronne doit tenir compte de la relation particulière qui existe entre les parties quand les terres de réserve sont cédées :

Les ouvrages et arrêts portant sur les obligations fiduciaires établissent que les tribunaux doivent évaluer la relation particulière qui existe entre les parties afin de décider si elle donne lieu à une obligation fiduciaire et, dans l’affirmative, en vue de déterminer la nature et l’étendue de cette obligation. Cette approche s’applique également dans le contexte de l’obligation fiduciaire qui existe envers les bandes indiennes qui cèdent des terres de réserve. À mon avis, l’exigence législative relative aux cessions donne naissance à l’obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne, mais la Cour doit examiner la relation particulière qui existe entre la Couronne et la bande indienne en question afin de définir la nature et l’étendue de cette obligation. [renvoi omis]

D.  Expropriation d’intérêts dans des terres de réserve

[70]  Plusieurs des prises de terres dont il est question en l’espèce ont été effectuées par expropriation, à savoir la prise en 1933 de terres de réserve destinées à l’emprise de chemin de fer et à la gare, la prise en 1957 de terres de réserve destinées à la construction d’une école et la prise en 1958 de 100 acres de terres pour l’agrandissement du lotissement urbain.

[71]  Aux termes de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, les terres de réserve peuvent être prises pour cause d’utilité publique par une entité juridique possédant le pouvoir conféré par une loi d’exproprier, mais seulement avec le consentement du gouverneur en conseil :

48. Nulle partie d’une réserve ne peut être expropriée pour les besoins d’un chemin de fer, d’une route, d’un ouvrage public ou d’un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consentement du gouverneur en son conseil, mais toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi, soit fédérale soit provinciale, d’exproprier ou utiliser des terrains ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire peut, avec le consentement du gouverneur en son conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir conféré par une loi à l’égard de toute réserve ou partie d’une réserve.

[72]  L’article 48 prévoit aussi ce qui suit :

2. En ce cas, une indemnité doit être versée aux Indiens de la bande, et l’exercice de ce pouvoir et l’expropriation des terres ou l’acquisition d’un intérêt dans ces terres, ainsi que la fixation et le versement de l’indemnité doivent, à moins de dispositions contraires dans l’arrêté en conseil qui fait preuve du consentement du gouverneur en son conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires.

[73]  L’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 conférait des pouvoirs semblables :

35. (1) Lorsque, par une loi du Parlement du Canada ou d’une législature provinciale, Sa Majesté du chef d’une province, une autorité municipale ou locale, ou une corporation, a le pouvoir de prendre ou d’utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil et aux conditions qu’il est loisible à ce dernier de prescrire, être exercé relativement aux terres dans une réserve ou a tout intérêt y afférent.

(2) À moins que le gouverneur en conseil n’en ordonne autrement, toutes les matières concernant la prise ou l’utilisation obligatoire de terres dans une réserve, aux termes du paragraphe (1), doivent être régies par la loi qui confère les pouvoirs.

[74]  L’article 35 prévoyait aussi que les terres pouvaient faire l’objet d’un octroi plutôt que d’une prise :

(3) Lorsque le gouverneur en conseil a consenti à l’exercice des pouvoirs, mentionnés au paragraphe (1) par une province, autorité ou corporation, il peut, au lieu que la province, l’autorité ou la corporation prenne ou utilise les terres sans le consentement du propriétaire, permettre un transfert ou octroi de ces terres à la province, autorité ou corporation, sous réserve des conditions prescrites par le gouverneur en conseil.

[75]  Les intérêts dans des terres de réserve octroyées en vertu de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 se limitent également à ceux qui peuvent être pris conformément à la loi qui confère des pouvoirs d’expropriation au demandeur. L’article 48 autorise seulement les expropriations « pour les besoins d’un chemin de fer, d’une route, d’un ouvrage public ou d’un ouvrage destiné à quelque utilité publique ». Tout comme l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952, l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 renvoie aussi à la loi qui confère des pouvoirs d’expropriation : « […] toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi […] peut, avec le consentement du gouverneur en son conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir conféré par une loi […] ».

E.  Obligations de fiduciaire liées aux prises effectuées unilatéralement en vertu de la Loi sur les Indiens

[76]  Dans l’arrêt Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 RCS 746 [Osoyoos], la Cour suprême du Canada a conclu que l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952, considéré globalement et contextuellement, prévoyait que les droits octroyés par décret en vertu du paragraphe 35(3) étaient circonscrits par la loi qui confère des pouvoirs d’expropriation (aux para 62 et 63). Le gouverneur en conseil ne pouvait pas « contourner » la loi provinciale en cause dans cette affaire (au para 62).

[77]  Dans l’arrêt Osoyoos, la loi qui conférait les pouvoirs d’expropriation (la Water Act, RSBC 1948, c 361 [la Water Act]) limitait expressément le pouvoir d’expropriation aux « “domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs” aux “terres raisonnablement requises” à l’égard du canal » dont il était question dans cette affaire (au para 61).

[78]  Le juge Iacobucci a tiré les conclusions suivantes quant aux obligations qui incombent à la Couronne relativement aux prises de terres de réserve effectuées en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 :

À mon avis, l’obligation de fiduciaire de la Couronne ne se limite pas aux cessions. L’article 35 permet clairement au gouverneur en conseil d’autoriser l’usage de terres de réserve à des fins d’intérêt public. Cependant, une fois qu’il est établi que l’expropriation de terres indiennes est dans l’intérêt du public, la Couronne a l’obligation de fiduciaire de n’exproprier que le droit minimal requis pour réaliser cette fin d’intérêt public et ainsi de faire en sorte que le droit de la bande d’utiliser des terres indiennes et d’en jouir ne subisse qu’une atteinte minimale. Cette obligation est compatible avec les dispositions de l’art. 35, qui confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire absolu de prescrire les modalités de l’expropriation ou du transfert. De cette manière, plutôt que de faire prévaloir l’intérêt public sur les droits des Indiens, l’approche que je préconise tend à concilier les intérêts en jeu.

Ce processus à deux étapes permet de réduire au minimum toute incompatibilité entre l’obligation de droit public de la Couronne d’exproprier des terres et l’obligation de fiduciaire qu’elle a envers les Indiens dont les terres sont touchées par l’expropriation. Au cours de la première étape, la Couronne agit dans l’intérêt public en décidant que l’expropriation des terres indiennes est requise pour cause d’utilité publique. À cette étape, il n’existe aucune obligation de fiduciaire. Cependant, une fois prise la décision générale d’exproprier naissent alors les obligations de fiduciaire de la Couronne, qui obligent celle-ci à n’exproprier que le droit propre à permettre la réalisation de la fin d’intérêt public tout en préservant autant que possible le droit des Indiens sur les terres visées.

Non seulement l’obligation de porter atteinte le moins possible aux droits des Indiens sur les terres de réserve sert-elle à harmoniser l’intérêt du public et celui des Indiens, mais elle est également conforme aux principes qui sous-tendent la règle d’inaliénabilité générale que prévoit la Loi sur les Indiens et qui vise à prévenir l’érosion de l’assise territoriale des Indiens : Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119, par. 52. À la lumière des caractéristiques spéciales des terres de réserve examinées précédemment, notamment le fait que le droit des Autochtones sur ces terres comporte un aspect culturel unique et qu’on ne peut unilatéralement ajouter des terres à la réserve ou remplacer de telles terres, l’argument du procureur général selon lequel l’obligation qu’a la Couronne envers la Bande se limite à verser une indemnité convenable ne saurait être retenu. [Osoyoos, aux para 52 à 54]

[79]  En résumé, aucune obligation de fiduciaire ne se rattache à l’exercice du pouvoir que possède le gouverneur en conseil d’autoriser l’expropriation de terres de réserve à une fin d’intérêt public, dans la mesure où il s’acquitte de son obligation de porter atteinte le moins possible aux droits des Autochtones.

F.  Cession à des fins d’intérêt public

[80]  Dans l’arrêt Semiahmoo, la Cour d’appel fédérale a souligné que, lorsque la Couronne demande que des terres de réserve lui soient cédées à des fins d’intérêt public, elle doit veiller à porter le moins possible atteinte aux droits de la bande. Voici ce que la Cour a déclaré au paragraphe 48 :

[…] je conclus que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que la Couronne avait manqué à son obligation fiduciaire en consentant à la cession de 1951. Le spectre de l’expropriation a clairement eu un effet défavorable sur la capacité de la bande de protéger ses propres intérêts lors des « négociations » qui ont abouti à la cession. La Couronne doit avoir une certaine latitude aux fins de la planification de l’utilisation des terres, lorsqu’elle cherche activement à obtenir la cession de terres indiennes à des fins publiques, mais elle doit veiller à porter le moins possible atteinte aux droits de la bande indienne touchée et notamment veiller à ce que la cession soit effectuée à des fins publiques en temps opportun. Dans ces conditions, la Couronne était clairement tenue de protéger la bande contre un marché abusif en refusant de consentir à une cession absolue qui comportait la prise de terres de réserve dont on n’avait pas besoin à des fins publiques dans un avenir rapproché. [italiques dans l’original]

G.  Pouvoir de corriger les erreurs

[81]  L’article 64 de la Loi des Indiens de 1927 accordait au MAI le pouvoir de corriger les erreurs et d’annuler une vente ou un affermage et de reprendre possession des terres concernées s’il se rendait compte que cette vente ou cet affermage avait été conclu par erreur :

64. Si le surintendant général s’est assuré qu’un acquéreur ou affermataire de terres indiennes, ou qu’un individu revendiquant du chef de ce dernier ou par son fait, s’est rendu coupable de fraude ou de supercherie, ou a enfreint quelqu’une des conditions de la vente ou de l’affermage, ou si quelque vente a été faite ou si quelque affermage a été accordé par méprise ou par erreur, il peut annuler cette vente ou cet affermage et reprendre possession de la terre y mentionnée, ou en disposer comme si cette vente ou cet affermage n’eût jamais eu lieu.

[82]  Dans l’arrêt Apsassin, la Cour suprême du Canada a conclu à l’unanimité que la Couronne avait manqué à ses obligations de fiduciaire en vendant les droits d’exploitation du sous‑sol d’une réserve qui avait été cédée, alors que l’objet pour lequel la cession avait été consentie – mettre des terres agricoles à la disposition des soldats – aurait pu être atteint sans transférer les droits miniers.

[83]  La juge McLachlin a conclu que la Couronne avait manqué à ses obligations de fiduciaire lorsque le ministère avait omis de corriger son erreur après en avoir pris connaissance, soulignant que la Couronne était tenue d’exercer les pouvoirs que lui conférait l’article 64 de la Loi des Indiens de 1927 et qu’on pouvait « inférer du caractère exceptionnel de l’art. 64 le maintien d’une obligation de fiduciaire d’agir dans l’intérêt des Indiens afin de corriger une erreur » (Apsassin, au para 115). Elle a ajouté ce qui suit :

Cette disposition conférait au MAI le pouvoir d’annuler le transfert de terres en cas d’erreur, même à l’égard d’acheteurs de bonne foi. Il n’est pas déraisonnable d’inférer que le législateur voulait que le MAI exerce ce pouvoir dans l’intérêt des Indiens. Si le texte précité de l’art. 64 ne suffit pas à établir l’existence d’une obligation de fiduciaire de corriger l’erreur, il paraît certainement avoir cet effet lorsqu’on l’interprète en corrélation avec la jurisprudence sur les obligations de fiduciaire. Lorsqu’une partie se voit conférer certains pouvoirs touchant les droits d’une autre partie et que cette dernière se voit privée des pouvoirs en question ou est « vulnérable », la première partie, celle qui détient les pouvoirs, a l’obligation de fiduciaire de les exercer dans l’intérêt de l’autre : Frame c. Smith, précité, le juge Wilson; et Hodgkinson c. Simms, précité. L’article 64 conférait au MAI le pouvoir de corriger l’erreur qui avait eu pour conséquence de transférer à tort au DTAC les droits miniers de la bande. La bande elle-même ne possédait pas ce pouvoir; elle était vulnérable. Dans de telles circonstances, il existe une obligation de fiduciaire de corriger l’erreur.

L’obligation du MAI était celle qui incombe habituellement à un fiduciaire, c’est-à-dire l’obligation de faire montre de diligence raisonnable à l’égard du droit en cause des Indiens. Pour s’acquitter de cette obligation de diligence raisonnable, le MAI devait prendre les mesures requises pour corriger le transfert fait par erreur, lorsqu’il a pris connaissance de faits tendant à indiquer qu’il y avait eu une erreur et que les droits miniers transférés à tort avaient une certaine valeur potentielle. [aux para 115 et 116]

VII.  CESSION DE 1932 pour l’aménagement D’UN LOTISSEMENT URBAIN ET PRISE DE 1933 POUR UNE EMPRISE DE CHEMIN DE FER

A.  Intrusions et connaissance de la Couronne

[84]  L’intimée soutient que la preuve n’étaye pas l’affirmation selon laquelle le MAI savait que des terres situées dans la RI nº 129B étaient occupées par des squatteurs avant qu’il n’entreprenne des démarches pour obtenir une cession.

[85]  La création de la RI nº 129B de Makwa, d’une superficie de 9 243,7 acres, a été confirmée par le décret CP 1776, le 5 août 1930.

[86]  Les terres de la réserve ont commencé à être assujetties à l’administration fédérale en vertu de la Loi des Indiens de 1927, le 5 août 1930.

[87]  Quelque temps avant le 27 juin 1929, le CN a présenté un plan au ministre par intérim des Chemins de fer et Canaux pour lui faire connaître l’emplacement qu’il proposait pour la construction d’une ligne secondaire, entre St. Walburg (Saskatchewan) et Bonnyville (Alberta), en vertu de l’article 21 de la Loi des chemins de fer Nationaux au Canada, SR 1927, c‑172 [la Loi des CFN de 1927]. En juillet 1929, la ligne secondaire proposée a été autorisée par le décret CP 1184. Un an s’est écoulé avant que le processus officiel de création de la réserve ne se conclue par le décret CP 1776 daté du 5 août 1930.  

[88]  Sur le terrain, il incombait à l’agent des Indiens de surveiller les réserves et de communiquer de façon continue avec les chefs et les conseillers de la bande. Le premier document attestant la présence d’un agent des Indiens à Makwa est une lettre datée du 7 janvier 1932 dans laquelle un représentant de rang supérieur du MAI indiquait que le CN avait présenté une demande en vue d’acquérir une emprise et un lotissement urbain dans la RI nº 129B.

[89]  Si cette lettre a été envoyée à l’agent des Indiens, c’est parce que le CN avait demandé, le 28 octobre 1931, que 25 acres de terres situées dans la RI nº 129B lui soient fournies afin d’aménager un lotissement urbain à côté de l’emprise de chemin de fer et [traduction] « de pouvoir prendre soin des colons du district de Loon Lake » (RCD, vol 1, MAK-000014), à savoir les colons qui avait squatté la réserve. L’agent des Indiens devait alors savoir qu’ils l’occupaient illégalement.

[90]  La réserve a été officiellement créée le 5 août 1930. Elle avait été arpentée. L’agent des Indiens de la région devait certainement connaître l’emplacement des limites de la réserve et, s’il assurait une quelconque surveillance des terres à protéger, il devait savoir quand les squatteurs avaient commencé à occuper la réserve.

[91]  Le MAI a ensuite préparé une liste intitulée [traduction] « Squatteurs dans le lotissement urbain de Loon Lake » (RCD, vol 1, MAK-00002). On y trouve le nom des squatteurs et la date à laquelle ils ont commencé à occuper les terres. On constate qu’au moins 14 d’entre eux occupaient les terres avant janvier 1932. Certains étaient déjà installés dans la réserve en septembre 1931, c’est-à-dire avant que le CN ne demande au MAI de lui fournir des terres de la réserve pour y établir un lotissement urbain.

[92]  Au moins 14 lots étaient occupés par des squatteurs au moment où le vote concernant la cession a eu lieu le 9 février 1932. Cela n’a pas pu échapper à l’attention de l’agent des Indiens.

[93]  Il ressort clairement de la preuve que le MAI savait, au plus tard à la réception de la demande écrite du CN datée du 28 octobre 1931, que des intrus se trouvaient sur les terres. Il est probable qu’à cette date, le MAI était déjà au courant de leur présence.

[94]  Le MAI, en tant qu’organisme de la Couronne responsable, aurait pu se plaindre au surintendant, qui aurait alors été tenu aux termes de l’article 35 de la Loi des Indiens de 1927 :

[…] a) d’expulser immédiatement du terrain ou du marais, du chemin ou de la réserve de chemin, tout tel individu ou Indien et sa famille ainsi établis, ou y résidant ou y chassant, ou l’occupant ou étant illégalement en sa possession; […]

B.  Cession de 1932 et prise de 1933 à des fins ferroviaires

[95]  La preuve qui précède et celle qui suit portent à la fois sur la prise de 1933 à des fins ferroviaires et sur la cession de 1932, et doivent être examinées ensemble.

[96]  MacInnes, le secrétaire par intérim du ministère des Affaires indiennes, avait informé le CN que les terres destinées au lotissement urbain et les terres destinées à l’emprise de chemin fer constituaient deux dossiers différents et que les terres destinées au lotissement devaient, en vertu de la Loi des Indiens, être cédées par la bande pour pouvoir être vendues.

[97]  Le 7 janvier 1932, le ministère a avisé l’agent des Indiens que le CN avait présenté une demande en vue d’acquérir des terres destinées à une emprise de chemin de fer et à un lotissement urbain dans la RI nº 129B. Étaient joints à la lettre des formulaires de cession. Le ministère demandait par ailleurs à l’agent des Indiens de [traduction] « réunir les membres de la bande à cette fin » dès que possible (RCD, vol 1, MAK-000016).

[98]  Le 17 janvier 1932, le conseiller Peepeekoot a écrit au MAI pour faire part de ses préoccupations quant au passage du chemin de fer dans la nouvelle réserve. Il affirmait que [traduction] « les Indiens visés par le Traité » ne voulaient pas que le chemin de fer traverse « [leurs] nouvelles terres », qui devaient servir à l’élevage de bétail (RCD, vol 1, MAK-000017). Peu importe qu’il ait été au courant que la demande du CN portait sur des terres destinées au lotissement urbain, il devait savoir qu’un tel lotissement était en train de s’implanter.

[99]  Bien que le conseiller Peepeekoot ait fait part de ses préoccupations quant à l’emplacement du chemin de fer, les terres où le CN voulait aménager un lotissement urbain se trouvaient juste à côté des terres destinées au chemin de fer. De fait, MacInnes, un haut fonctionnaire, savait que la bande avait l’intention d’utiliser sa RI nº 129B à des fins d’élevage dès les débuts du processus de cession. Le MAI est néanmoins allé de l’avant avec son intention d’obtenir une cession.  

[100]  Le 3 février 1932, MacInnes a envoyé une lettre à l’agent des Indiens, Lang Turner, dans laquelle on pouvait notamment lire ce qui suit :

[traduction] À la lecture de cette lettre, il semblerait qu’il ait l’impression que les terres constituant l’emprise ne seraient jamais clôturées et que cette emprise perturberait l’usage de la réserve adjacente à des fins d’élevage. [RCD, vol 1, MAK-000019]

[101]  MacInnes disait que Peepeekoot n’était préoccupé que par l’installation d’une clôture le long du chemin de fer, ce que la lettre du conseiller ne permet pas de confirmer.

[102]  MacInnes a demandé à l’agent des Indiens Turner d’informer Peepeekoot :  

[traduction] […] qu’une compagnie de chemin de fer a le pouvoir, en vertu de la loi du pays, de prendre les terres dont elle a besoin à des fins ferroviaires des mains de propriétaires privés, qu’ils soient blancs ou indiens. La compagnie de chemin de fer doit bien sûr payer pour les terres ainsi prises, mais la loi ne permet pas aux propriétaires privés d’empêcher la construction d’une voie ferrée qui est considérée comme étant à l’avantage général du pays. Il faut également l’informer que, selon la loi, les compagnies de chemin de fer peuvent être tenues d’installer des clôtures le long de leur emprise si les occupants de la région voisine le demandent. Si ces points étaient expliqués au conseiller, ce dernier pourrait peut‑être lever certaines objections autrement susceptibles de nuire à la cession, dont vous avez été informé le 7jour du mois courant. [RCD, vol 1, MAK-000019]

[103]  Turner a été chargé d’informer le conseiller Peepeekoot [traduction] « qu’une compagnie de chemin de fer a le pouvoir, en vertu de la loi du pays, de prendre les terres dont elle a besoin à des fins ferroviaires des mains de propriétaires privés, qu’ils soient blancs ou indiens » (RCD, vol 1, MAK-000019). On suppose que l’agent des Indiens Turner a suivi les instructions qui lui avaient été données.

[104]  Suivant la pratique de la Couronne, le MAI devait recommander au gouverneur en conseil de consentir à la prise des terres de réserve. C’est ce qui ressort à la lecture du décret du 10 mai 1933, qui octroyait un intérêt au CN :

[traduction] EN CONSÉQUENCE, il plaît à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du surintendant général des Affaires indiennes, d’ordonner que lesdites terres soient par les présentes transférées à ladite Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, conformément aux dispositions de l’article 48 de la Loi des Indiens. [italiques ajoutés; RCD, vol 1, MAK-000041]

[105]  Dans son message à Peepeekoot, MacInnes ne mentionnait pas que, contrairement aux [traduction] « hommes blancs », une compagnie de chemin de fer ne pouvait exercer ses pouvoirs d’expropriation qu’en vertu d’une disposition de la Loi des Indiens qui exigeait, sur la recommandation du MAI, le consentement de la Couronne. La déclaration de MacInnes était trompeuse puisqu’il n’était pas question du rôle du MAI dans l’autorisation de la prise.

[106]  Rien ne prouve que l’agent des Indiens ait informé Peepeekoot des différences entre l’application des dispositions de la Loi des Indiens en matière d’expropriation et de cession. L’expropriation ne nécessitait pas l’approbation de la bande alors que la cession l’exigeait.

[107]  Les instructions que MacInnes avait données à l’agent des Indiens Turner se terminaient comme suit (RCD, vol 1, MAK-000019) : [traduction] « Si ces points étaient expliqués au conseiller, ce dernier pourrait peut‑être lever certaines objections qui pourraient autrement nuire à la cession, dont vous avez été informé le 7e jour du mois courant. ». Le point important de cette lettre est que les compagnies de chemin de fer ont le pouvoir d’exproprier, de leur propre chef, des terres réservées aux Indiens au même titre que si elles [traduction] « appartenaient » à « des hommes blancs ».  

[108]  La revendicatrice soutient que la lettre montre que, lorsqu’ils envisageaient de céder leurs terres de réserve, les Indiens devaient tenir compte du point de vue du MAI en ce qui concerne la « colonisation » en général et du pouvoir des compagnies de chemin de fer d’exproprier dans l’intérêt public afin que les « hommes blancs » puissent continuer à coloniser le territoire. Les instructions de MacInnes à l’agent des Indiens établissent un lien entre la prise par expropriation à des fins ferroviaires et la demande présentée par le CN dans le but d’obtenir des terres aux fins de l’aménagement d’un lotissement urbain, et il est évident que Peepeekoot et la bande devaient savoir qu’elles s’appliquaient dans les deux cas.

[109]  Ce n’est pas parce que le MAI a mis en œuvre des processus différents pour l’emprise de chemin de fer et le lotissement urbain que le lien entre les deux processus a disparu, puisque l’intention derrière la cession était de vendre des terres au CN pour qu’il y établisse un lotissement urbain. La directive que MacInnes a donnée le 3 février 1932 à l’agent des Indiens, à savoir [traduction] « qu’une compagnie de chemin de fer a le pouvoir, en vertu de la loi du pays, de prendre les terres dont elle a besoin à des fins ferroviaires des mains de propriétaires privés, qu’ils soient blancs ou indiens » (RCD, vol 1, MAK-000019), a sans doute eu pour effet de relier les deux processus dans l’esprit de Peepeekoot. Il est peu probable qu’il ait su que le lotissement et l’emprise obéissaient à des processus différents — un étant laissé à la discrétion de la bande et l’autre, non.

[110]  Le MAI a avisé le CN qu’il [traduction] « n’[était] pas en mesure de dire le prix par acre que les Indiens allaient demander pour la cession des terres destinées au lotissement urbain » (RCD, vol 1, MAK-000015).

[111]  Le 9 février 1932, l’agent des Indiens par intérim, J. T. Hill, a procédé à un vote concernant la cession de 28,29 acres de terres de la RI nº 129B destinées à l’aménagement d’un lotissement urbain. La cession était conditionnelle à ce que [traduction] « Sa Majesté le Roi, ses héritiers et ses successeurs détiennent lesdites terres à perpétuité, en fiducie aux fins de vendre à la personne ou aux personnes et aux conditions que le gouvernement du Dominion du Canada jugera les plus favorables pour notre bien-être et celui de notre peuple » (RCD, vol 1, MAK-000020).

[112]  Dans le rapport daté du 15 février 1932 qu’il a envoyé au commissaire des Indiens, Hill a indiqué que la proposition de cession avait été adoptée à l’unanimité lors d’une assemblée de tous les membres de la bande. Le conseiller Peepeekoot et les autres membres ayant droit de vote figuraient sur la liste des votants et leur présence à l’assemblée a été consignée. Un petit trait vertical est apposé, dans la colonne appropriée, à côté du nom de chacun des membres ayant consenti à la cession. Tous les traits sont identiques et alignés de haut en bas de la liste. Ils ont tous été faits par la même personne.

[113]  Le rapport rédigé par Hill peut donner un aperçu de ce que les membres de la bande avaient en tête le jour du vote :

[traduction]

Suivant les instructions d’Ottawa, je me suis rendu à Loon Lake et j’ai tenu un vote concernant la cession de 28,29 acres de terres destinées à l’aménagement d’un lotissement urbain par le CN, le 9jour du mois courant.

J’ai eu une représentation complète des Indiens et ils ont voté à l’unanimité en faveur du transfert. Comme cette région est couverte de peupliers, ils m’ont demandé s’ils pouvaient se voir confier le travail de défrichage et je leur ai promis de faire de mon mieux. Ce travail leur serait très utile puisqu’ils traversent des moments plutôt difficiles vu les rigueurs de l’hiver. J’ai jugé nécessaire de leur apporter un peu d’aide. [RCD, vol 1, MAK-000025]

[114]  Selon l’intimée, le fait que Hill ait fait allusion à la possibilité de leur offrir du travail ne prouve pas que le vote reflétait la volonté indépendante de la bande.

[115]  Quoi qu’il en soit, dans une lettre datée du 11 mars 1932, le commissaire des terres du CN a informé le commissaire des Indiens de ce qui suit :

[traduction] […] je reconnais qu’il est difficile pour les Indiens de subvenir à leurs besoins pendant cette période, mais nous n’avons pas les fonds nécessaires pour assurer le défrichage des terres, car nous laissons toujours aux squatteurs le soin de faire leur propre défrichage. [RCD, vol 1, MAK-000030]

[116]  Le Tribunal dispose d’un élément de preuve qui, selon la revendicatrice, pourrait expliquer ce revirement par rapport aux préoccupations exprimées par Peepeekoot dans la lettre du 17 janvier 1932. Il s’agit de la référence à l’expropriation contenue dans les instructions données par MacInnes à l’agent des Indiens, qui confond les pouvoirs d’expropriation de la compagnie de chemin de fer avec la décision imminente de céder ou non les terres.

[117]  Le prix que le CN devait verser pour les terres cédées n’est pas précisé dans les documents de cession. Or, ces documents décrivent en détail les tenants et aboutissants du terrain. Il est évident qu’un arpenteur s’était rendu sur place. Les travaux préparatoires en vue de la tenue du vote concernant la cession s’étaient terminés le 7 janvier 1932.

[118]  Il n’existe aucun document permettant de déterminer si l’assemblée sur la cession a été convoquée conformément aux règles de la bande, comme l’exige l’article 51 de la Loi des Indiens de 1927, ou si de telles règles existaient.

[119]  L’agent des Indiens n’a dressé aucun compte rendu des discussions sur les options offertes aux membres, c’est-à-dire s’ils devaient voter en faveur de la cession ou non. Pourtant, dans les 23 jours qui ont suivi la date à laquelle le conseiller Peepeekoot a fait part par écrit de sa crainte que les terres de la réserve ne soient prises à des fins ferroviaires, il a rapporté que le conseiller et tous les membres votants de la bande avaient accepté de céder environ 28 acres de leur réserve.

[120]  Le 16 mars 1932, le MAI a demandé le paiement des terres devant servir au lotissement. Le 22 mars 1932, le CN a répondu que la construction de la ligne de chemin de fer était incertaine et a demandé que le processus d’approbation de la cession par le gouverneur général en conseil soit suspendu. Le timbre de réception daté du 26 mars 1932 confirme que le MAI a reçu la lettre à cette date.

[121]  Le 3 mars 1932, le CN a annulé le contrat qu’il avait conclu avec Tomlinson Construction Ltd. pour la construction d’une ligne de chemin de fer.

[122]  Le 31 mars 1932, malgré l’incertitude entourant la construction de la ligne de chemin de fer, le CN, tout comme le MAI, a pris des mesures pour finaliser l’acquisition de l’emprise. Par le décret CP 1913‑916 daté du 10 mai 1933, il a été ordonné de transférer 46,67 acres de terres au CN [traduction] « en vue de la construction d’une emprise de chemin de fer et d’une gare » (RCD, vol 1, MAK-000041).

[123]  Le vote sur la cession a eu lieu en février 1932, mais le 10 mai 1933, la cession n’avait pas encore été acceptée par le gouverneur en conseil et la bande n’avait reçu aucune indemnité. En octobre 1933, la population du lotissement avait atteint 146 habitants et d’autres bâtiments avaient été construits.

[124]  Je rappelle que le 3 mars 1932, le CN a annulé le contrat qu’il avait conclu avec Tomlinson Construction Ltd. pour la construction d’une ligne de chemin de fer. Malgré tout, le 31 mars 1932, le CN a pris des mesures pour finaliser l’acquisition de l’emprise et a versé le montant convenu au MAI. De son côté, le gouverneur en conseil, sur la recommandation du MAI, a ordonné par décret (CP 1913‑916 daté du 10 mai 1933) que 46,67 acres de terres de réserve soient transférées au CN en vue de la construction d’une [traduction] « emprise de chemin de fer et d’une gare » (RCD, vol 1, MAK-000041). Des cessions de droits sur deux parcelles de terre en vue de la construction du chemin de fer et d’une gare ont été signées le 27 juillet 1933.

[125]  Le 21 décembre 1933, le CN a avisé le MAI qu’il avait abandonné la construction de la ligne de chemin de fer proposée et qu’il ne poursuivrait pas l’aménagement du lotissement urbain. Il est évident que les représentants du CN et du MAI ont discuté de l’avenir du lotissement. Le 25 juin 1934, le CN a fourni au ministère les plans du lotissement et a renoncé en sa faveur au droit qu’il avait dans le lotissement [traduction] « à la condition que vous acceptiez les plans qui serviront à l’inscription et au développement du lotissement en général, de façon à libérer Immeubles nationaux du Canada, Limitée et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada de toute réclamation » (RCD, vol 1, MAK-000059). Le 22 mars 1935, le ministère a confirmé qu’il acceptait cette condition. Il semble que tout ce qui justifiait alors la cession du lotissement urbain était la présence illégale de colons dans la réserve.

[126]  Dès décembre 1933, ou au plus tard en juin 1934, le MAI savait que l’objet de la cession de terres au CN n’existait plus et que le CN ne voulait plus des terres « cédées » aux fins d’un lotissement urbain. La cession du droit de la revendicatrice dans les terres n’avait pas encore pris effet puisqu’elle n’avait pas encore été acceptée par le gouverneur en conseil. Rien n’indique que le MAI ait informé la bande de ces changements importants dans ce qui justifiait l’octroi de terres pour le chemin de fer et la cession.

[127]  Le 18 juillet 1934, par le décret CP 1542, le gouverneur en conseil a confirmé la cession de 28,29 acres de terres consentie en 1932 aux fins de l’aménagement d’un lotissement urbain.

[128]  Le MAI a vendu les lots subdivisés se trouvant sur les terres cédées aux occupants du « lotissement urbain », dont l’occupation devenait par le fait même légale. Cette vente ne mettait toutefois pas fin à l’aménagement du lotissement.

[129]  Les terres prises en vue de la construction de la gare sont restées en la possession du CN jusqu’à ce que le certificat de titre soit annulé, le 18 décembre 1974. Puis, le 27 janvier 1975, ces terres (à l’exception de quatre parcelles) ont été transférées au village de Loon Lake et subdivisées, la Couronne se réservant toutes les mines et les minéraux. Les quatre autres parcelles ont été transférées à [traduction] « Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Saskatchewan  et pour l’usage de la province », le 18 décembre 1974, pour ensuite être transférées au village de Loon Lake, en octobre 1985 (observations supplémentaires de la revendicatrice, au para 14). En 2019, plusieurs personnes physiques et deux sociétés (Saskatchewan Housing Corporation et North American Word Outreach Inc.) détenaient le titre de propriété des terres.

[130]  Le 27 juillet 1990, les certificats de propriété afférents aux terres prises pour l’emprise de chemin de fer ont été délivrés au village de Loon Lake.

C.  Analyse : intrusions

[131]  La raison première de la ligne de chemin de fer proposée était de relier St. Walburg, en Saskatchewan, et Bonnyville, en Alberta. Accessoirement, des villes coloniales auraient pu émerger le long de son emprise. Au cours de leurs observations orales, les avocats ont porté à mon attention que des lotissements urbains avaient fait leur apparition le long de la voie ferrée alors que celle-ci progressait vers l’ouest.

[132]  La preuve ne permet pas d’établir à quel moment la construction du chemin de fer a débuté ni à quel moment celui‑ci a traversé ce qui était, ou allait devenir, la réserve. Ce que la preuve nous apprend, c’est qu’en date du 10 août 1931, les travaux préparatoires à l’installation de la voie ferrée avaient commencé. Il est probable que le CN ait entamé les travaux préparatoires à la construction de la ligne secondaire juste après l’approbation de son plan en 1929 et qu’il serait entré sur les terres avant que celles-ci ne soient constituées en réserve. La preuve montre que des squatteurs étaient présents sur la réserve en septembre 1931, mais n’établit pas la date de leur arrivée. Ce qui se dégage de la preuve, c’est que le territoire occupé par les squatteurs a été constitué en réserve en 1931.

[133]  Pourquoi cet endroit? Eh bien, il devait être de notoriété publique que le CN avait reçu l’autorisation de construire une ligne secondaire. Il va également de soi que les colons à la recherche de terres agricoles souhaitaient s’établir à proximité d’une voie ferrée. Comme la réserve a été créée à partir de terres de la Couronne, on peut penser que les terres adjacentes appartenaient aussi à la Couronne. Les squatteurs auraient pu s’installer ailleurs que dans la réserve et, s’ils avaient su que c’était possible, ils l’auraient sans doute fait. Or, il se trouve qu’ils se sont installés dans la réserve. Rien dans la preuve ne donne à penser qu’ils ne seraient pas établis ailleurs si le MAI les avait expulsés.

[134]  Il se dégage des circonstances matérielles étayées par la preuve que les squatteurs sont arrivés peu après l’approbation de la ligne secondaire du CN en juillet 1929. L’administration de la réserve par le MAI a commencé le 5 août 1930. Il est évident que le MAI était au courant qu’il y avait des squatteurs dans la réserve à partir du moment où il a reçu la lettre en date du 28 octobre 1931 dans laquelle le CN demandait des terres

[135]  Dès le 5 août 1930, le CN et les squatteurs se trouvaient dans la réserve sans avoir obtenu l’autorisation prévue par la Loi des Indiens. Ils occupaient donc les terres en contravention des articles 34 et 35 de la Loi, qui interdisaient les intrusions.

[136]  On pourrait soutenir que le CN avait apparemment le droit de se trouver là puisqu’il avait, par décret du gouverneur en conseil, reçu l’autorisation de construire une ligne secondaire avant la création officielle de la réserve.

[137]  Le MAI avait le pouvoir d’expulser les squatteurs qui occupaient illégalement la réserve. Or, dans les circonstances de l’époque, était-il tenu de le faire? La Couronne, représentée par le MAI, agissait comme fiduciaire dans sa relation avec Makwa puisqu’elle détenait le titre de propriété de la réserve et qu’elle assumait le contrôle discrétionnaire de l’administration des terres de réserve en vertu de la Loi des Indiens de 1927.

[138]  Le MAI, ainsi que les squatteurs, devait savoir que le CN envisageait de faire passer le chemin de fer à travers la réserve. L’endroit où il devait passer devait être connu de tous puisque le CN avait déposé un plan de l’emprise projetée en juillet 1929.

[139]  La seule explication plausible de ce qui s’est passé ensuite est que le MAI savait que le chemin de fer allait être construit et qu’un village de colons était en train d’émerger en prévision de son arrivée. Il savait que le CN chercherait à obtenir des terres pour la construction d’une emprise et l’aménagement d’un lotissement urbain puisque c’est ce qu’il faisait à mesure que le chemin de fer progressait vers l’ouest. On peut supposer qu’il s’agissait généralement de terres publiques non réservées, mais dans le cas présent, il s’agissait de terres réservées. Bien entendu, il fallait procéder par cession. Mais que se passerait‑il si la bande refusait d’y consentir?

[140]  Le vote sur la cession a eu lieu le 9 février 1932. Le 28 octobre 1933, le ministère a écrit au CN à propos de l’occupation illégale des terres destinées au lotissement urbain par des gens n’ayant pas obtenu d’autorisation ministérielle ni versé d’indemnité aux « Indiens ». Il lui a signalé qu’après la cession, [traduction] « un certain nombre de parties ont immédiatement pris possession » des terres et que 47 occupants ont érigé des bâtiments sur la réserve (RCD, vol 1, MAK-000054). Aucun titre n’avait encore été accordé aux squatteurs et aux nouveaux arrivants. Le MAI a toléré ces intrusions et celles qui ont suivi.

D.  Analyse : la cession

[141]  Les règles relatives au rôle de fiduciaire de la Couronne, avant et après la cession, tirent leur origine de l’arrêt Guerin et ont ensuite été expliquées plus à fond dans l’arrêt Apsassin. Ces deux affaires portaient sur une aliénation de terres de réserve qui, dès le départ, présentait un avantage concomitant pour les bandes : dans l’affaire Guerin, cet avantage résidait dans les bénéfices découlant de l’utilisation des terres comme terrain de golf, et dans l’affaire Apsassin, dans la réinstallation de la bande sur un territoire de chasse traditionnel.

[142]  En l’espèce, pour la bande, l’avantage de la cession était de savoir qu’une indemnité, dont le montant était alors inconnu, pourrait un jour être versée. L’intérêt qu’avait la bande à être indemnisée ne permet pas de savoir si, du point de vue de la bande, cette dernière disposait d’un choix.

[143]  Les terres de réserve ne pouvaient être vendues sans le consentement de la bande, c’est‑à‑dire sans qu’elle consente à la « cession ». Dans l’arrêt Apsassin, la juge McLachlin a écrit ce qui suit au paragraphe 35 :

À mon avis, les dispositions de la Loi des Indiens relatives à la cession des réserves des bandes établissent un équilibre entre les deux pôles extrêmes que constituent l’autonomie et la protection. Il fallait que la bande visée consente à la cession de sa réserve, à défaut de quoi celle-ci ne pouvait pas être vendue.  

[144]  Comme il a été établi dans l’arrêt Apsassin, les obligations de fiduciaire s’appliquent tout au long du processus de cession, à commencer par le MAI qui devait donner suite à la demande que lui avait faite le CN en vue d’obtenir des terres pour y aménager un lotissement urbain. La bande, en tant qu’acteur autonome dans la transaction, devait consentir à la cession. Les obligations de loyauté, de divulgation et de prudence dans la gestion des terres ont continué de s’appliquer jusqu’à l’approbation de la cession, en juillet 1934, et même après celle‑ci.

[145]  Le juge Gonthier a reconnu qu’il était possible que le vote des membres d’une bande en faveur de la cession ne reflète pas la véritable intention de la bande en tant qu’acteur autonome :

Je tiens à ajouter que j’hésiterais à donner effet à cette modification de cession si je croyais que la bande n’en avait pas bien saisi les conditions, ou si la conduite de la Couronne avait, d’une manière ou d’une autre, vicié les négociations au point où il serait hasardeux de tenir pour acquis que la bande avait bien compris la situation et avait eu l’intention de faire ce qu’elle a fait. [Apsassin, au para 14]

[146]  Il devait être évident pour la bande que le MAI allait permettre aux squatteurs de rester dans la réserve même s’il était tenu de l’administrer au profit de la bande. Pour régler le problème d’occupation illégale de la réserve, il fallait procéder par cession, ce que le MAI a demandé de sa propre initiative.

[147]  Se pose alors la question de savoir si les principes de l’equity appuient la proposition selon laquelle, dans ces circonstances, le vote sur la cession reflétait le consentement éclairé de la bande en tant qu’acteur autonome.

[148]  La cession était une initiative de la Couronne, représentée par le MAI, et servait les intérêts des colons et du MAI.

[149]  Lorsque la prise d’une mesure est une question de choix, l’exercice de l’autonomie de l’acteur qui doit la prendre dépend de la connaissance qu’il a du choix qui lui est offert. Comme l’a fait observer la juge McLachlin au paragraphe 39 de l’arrêt Apsassin :

[…] la bande escomptait que la Couronne la renseignerait sur les diverses solutions qui s’offraient à elle — et sur les conséquences prévisibles de ces solutions […]

[150]  Bien que le contexte de la précédente observation diffère de celui de la présente affaire, la question qui se pose ici est de savoir si la bande savait qu’elle pouvait refuser la cession. Bien entendu, le fait que la bande ait été invitée à céder ses terres laisse croire qu’elle avait le choix.

[151]  Les mesures prises par le MAI pour obtenir la cession qui a été consentie en 1932 suscitent des doutes quant à savoir si les membres de la bande comprenaient qu’ils pouvaient voter contre la cession de leurs terres de réserve. Les terres que le MAI souhaitait obtenir étaient celles occupées par les squatteurs et la bande avait été avisée que le CN avait un pouvoir d’expropriation (RCD, vol 1, MAK-000019) : [traduction] « Si ces points étaient clairement expliqués au conseiller, ce dernier pourrait peut‑être lever certaines objections autrement susceptibles de nuire à la cession, dont vous avez été informé le 7e jour du mois courant. »

[152]  L’intérêt servi par la cession était celui du CN et, évidemment, celui des squatteurs, mais ce n’est pas envers eux que la Couronne avait un devoir de loyauté. La cession permettait aussi au MAI de ne pas avoir à expulser les intrus et d’échapper à la controverse qui s’en serait suivie. Par conséquent, consciemment ou non, le MAI avait un intérêt personnel dans la cession.

[153]  Les mesures prises par le MAI dans les circonstances de l’époque — l’intrusion et la construction d’améliorations permanentes par des squatteurs — permettent de conclure que les hauts fonctionnaires du MAI étaient déterminés à obtenir un vote en faveur de la cession. L’agent des Indiens par intérim Hill, envoyé pour rencontrer la bande avec les documents requis, est revenu avec la réponse souhaitée.

[154]  L’acceptation de la cession par décret après que le CN eut renoncé à son projet de construire une ligne secondaire et d’établir un lotissement urbain permet de conclure que le MAI a toujours eu pour priorité de rendre légale l’occupation de la réserve par des squatteurs.

[155]  Dans l’arrêt Apsassin, la juge McLachlin a conclu qu’un fiduciaire doit exercer son pouvoir avec « loyauté et diligence » et faire montre de « diligence raisonnable à l’égard du droit en cause des Indiens » (aux para 38, 116).

[156]  J’estime que, par leurs actes, les représentants de la Couronne ont manqué aux obligations de fiduciaire de la Couronne en matière de loyauté, de consultation et de prise en compte adéquate du droit de la bande à la préservation de son assise territoriale.

[157]  En conclusion, j’estime qu’il était abusif pour la Couronne d’accepter la cession par décret dans des circonstances où la bande avait le choix de refuser la cession et de vivre avec la prise de facto de ses terres, ou encore de toucher une indemnité d’un montant indéterminé. Les négociations étant viciées, il était donc imprudent de se fier au vote tenu à l’assemblée du 9 février 1932 comme preuve de la compréhension et de l’intention de la bande.

[158]  Le statut juridique des terres octroyées pour le lotissement urbain n’est pas remis en question en l’espèce. La question que le Tribunal doit trancher est de savoir si la revendicatrice a établi le bien‑fondé de sa revendication au regard du paragraphe 14(1) de la LTRP :  

(1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :  

[…]

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation; […]

[159]  C’est dans le cadre de l’administration de la réserve que la Couronne a procédé, en violation de ses obligations de fiduciaire, à une cession entachée par les motivations et les actes du MAI. La revendication découlant de la cession consentie en 1932 est bien fondée au regard de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP. Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire de statuer sur la question des intrusions en tant que motif de revendication distinct.

VIII.  Prise de 1933 à des fins ferroviaires

A.  Droit acquis par le CN

1.  Preuve : la « prise des terres »

[160]  Le décret CP 1184 daté du 2 juillet 1929 approuvait la construction par le CN d’une ligne secondaire entre St. Walburg (Saskatchewan) et Bonnyville (Alberta). Dans ce décret, il est question d’un plan de l’emplacement proposé.

[161]  Le 5 août 1930, par le décret CP 1776, le gouverneur en conseil a mis de côté des terres [traduction] « pour l’usage des Indiens à titre de réserve indienne de Makwa Lake nº 129B » (RCD, vol 1, MAK-000006).

[162]  En octobre 1930, le CN a avisé le MAI que l’[traduction] « emprise du chemin de fer dont le prolongement est prévu » toucherait les terres administrées par le MAI (RCD, vol 1, MAK-000008).

[163]  Le 31 mars 1932, le CN a avisé le MAI qu’il avait déposé un plan de l’emprise au bureau des titres fonciers, à Battleford. La date de dépôt ne figure pas au dossier, mais elle est postérieure à la date à laquelle la réserve a été mise de côté puisque, si le plan avait été déposé avant, les terres de l’emprise auraient déjà appartenu au CN.

[164]  La « prise de terres » dont parle l’intimée a été faite au titre de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, qui prévoit qu’une compagnie possédant le pouvoir conféré par une loi d’exproprier des terrains peut exproprier des terres de réserve pour les besoins d’un ouvrage public, mais qu’elle ne peut le faire qu’avec le consentement du gouverneur en son conseil :

48. Nulle partie d’une réserve ne peut être expropriée pour les besoins d’un chemin de fer, d’une route, d’un ouvrage public ou d’un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consentement du gouverneur en son conseil, mais toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi, soit fédérale soit provinciale, d’exproprier ou utiliser des terrains ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire peut, avec le consentement du gouverneur en son conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir conféré par une loi à l’égard de toute réserve ou partie d’une réserve.

 2. En ce cas, une indemnité doit être versée aux Indiens de la bande, et l’exercice de ce pouvoir et l’expropriation des terres ou l’acquisition d’un intérêt dans ces terres, ainsi que la fixation et le versement de l’indemnité doivent, à moins de dispositions contraires dans l’arrêté en conseil qui fait preuve du consentement du gouverneur en son conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires.

[165]  Le 25 avril 1932, le CN a remis à M. MacKenzie, secrétaire du MAI, un plan d’arpentage montrant l’emprise et la gare sur une parcelle de terre située dans la section 23-58-22 W3 de la réserve, et l’a informé qu’il lui enverrait un autre plan concernant les terres situées dans les sections 26 et 36-58-22 W3. Ces plans ont été déposés au bureau des titres fonciers avant la date d’adoption du décret prévu à l’article 48. Ils n’ont pas été versés en preuve.

[166]  Dans l’exercice présumé du pouvoir conféré par l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, le gouverneur en conseil a, par le décret CP 1913–916 daté du 10 mai 1933, ordonné [traduction] « que lesdites terres soient, et elles sont par les présentes, transférées à ladite Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, conformément aux dispositions de l’article 48 de la Loi des Indiens » (RCD, vol 1, MAK-000041). Voici l’ensemble du texte :

[traduction]

ATTENDU QUE la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a présenté une demande au ministère des Affaires indiennes afin d’obtenir quarante‑six acres et soixante‑sept centièmes d’acre de terres, plus ou moins, pour la construction d’une emprise et d’une gare dans la réserve indienne de Makwa nº 129B, de l’Agence indienne d’Onion Lake, dans la province de la Saskatchewan, que l’on peut décrire comme suit : -

Ces parcelles de terre situées dans la section 23 du canton 58, dans le rang 22, à l’ouest du troisième méridien — lesquelles figurent en rouge sur le plan enregistré nº A.Q. 1772 et contiennent au total 24,07 acres, plus ou moins — et ces parcelles situées dans les sections 26 et 36 du canton 58, dans le rang 22, à l’ouest du troisième méridien — lesquelles figurent en rouge sur le plan enregistré nº A.Q. 4312 et contiennent au total 22,60 acres, plus ou moins. Des copies sont enregistrées au ministère des Affaires indiennes sous les numéros RR 2499 et 2550.

ET ATTENDU QUE le surintendant général des Affaires indiennes rapporte que la somme de 305,56 $ a été reçue à titre d’indemnisation complète en contrepartie des terres requises, conformément à l’évaluation faite par un agent du ministère des Affaires indiennes;  

PAR CONSÉQUENT, il plaît à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du surintendant général des Affaires indiennes, d’ordonner que lesdites terres soient, et sont par les présentes, transférées à ladite Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, conformément aux dispositions de l’article 48 de la Loi des Indiens. [Italiques ajoutés]

[167]  Le 27 juillet 1933, des certificats de titre pour l’emprise de chemin de fer et la gare, soit 46,67 acres de terres, ont été délivrés au CN.

2.  Consentement à la prise des terres et pouvoir d’autoriser le transfert

[168]  L’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 prévoit que « toute compagnie ou autorité municipale ou locale possédant le pouvoir conféré par une loi, soit fédérale soit provinciale, d’exproprier ou utiliser des terrains ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire peut, avec le consentement du gouverneur en son conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir conféré par une loi ».

[169]  Lorsque le consentement prévu à l’article 48 est donné, l’expropriation est généralement « régi[e] par les prescriptions applicables à des procédures similaires » relativement à « l’exercice de ce pouvoir et l’expropriation des terres ou l’acquisition d’un intérêt dans ces terres ». Cependant, le paragraphe 48(2) prévoit une exception à cette règle générale :  

2. En ce cas, […] l’exercice de ce pouvoir et l’expropriation des terres ou l’acquisition d’un intérêt dans ces terres […] doivent, à moins de dispositions contraires dans l’arrêté en conseil qui fait preuve du consentement du gouverneur en son conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie […] dans des cas ordinaires. [Italiques ajoutés]

[170]  En l’espèce, la partie clé du décret est ainsi libellée : « […] il plaît à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du surintendant général des Affaires indiennes, d’ordonner que lesdites terres soient, et sont par les présentes, transférées à ladite Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, conformément aux dispositions de l’article 48 de la Loi des Indiens » (RCD, vol 1, MAK-000041). Par conséquent, le gouverneur en conseil aurait exercé le pouvoir conféré par le paragraphe 48(2) de prendre des « dispositions contraires », en ordonnant le transfert des terres au CN.

[171]  Il convient de noter que le décret ne prévoit pas expressément que le CN peut exercer son pouvoir d’exproprier des terres sans le consentement du propriétaire. Si l’application stricte de l’article 48 exige que le gouverneur en conseil consente à ce que le CN exerce son pouvoir d’exproprier des terres, cela signifie que, s’il n’y consent pas, la condition préalable à l’exercice du pouvoir conféré par le paragraphe 48(2) de prendre des « dispositions contraires » en ordonnant le transfert des terres au CN, est absente. La revendicatrice n’a pas fondé sa revendication sur ce motif précis, mais s’est appuyée sur le principe selon lequel il convient d’appliquer strictement les lois sur l’expropriation.

[172]  À supposer, sans toutefois conclure, que le respect de la condition préalable puisse être implicite, l’argument de l’intimée sur la nature de l’intérêt qui aurait été « transféré » échoue néanmoins à la lumière des principes juridiques avancés par la revendicatrice.

B.  Position de la revendicatrice

1.  Loi des chemins de fer, paragraphe 189(3)

[173]  Le principal argument de la revendicatrice est fondé sur le paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer, SR 1927, c 170 [la Loi des chemins de fer de 1927] :

189. Nulle compagnie ne peut s’approprier, utiliser ou occuper des terres qui appartiennent à la Couronne, sans le consentement du gouverneur en son conseil.

2. Avec ce consentement, une compagnie de chemin de fer peut, aux conditions prescrites par le Gouverneur en conseil, prendre et s’approprier, pour l’usage de son chemin de fer et de ses ouvrages, toute partie des terres de la Couronne, sur la ligne du chemin de fer, qui n’a pas encore été vendue ou concédée et qui est nécessaire à ce chemin de fer, ainsi que toute partie de la grève publique, ou du lit d’un lac, d’une rivière ou d’un cours d’eau, ou des terrains couverts par les eaux de ce lac, de cette rivière ou de ce cours d’eau, dont elle a besoin pour établir, achever ou exploiter son chemin de fer et ses ouvrages. 

3. La compagnie ne peut pas aliéner les terrains ainsi pris, utilisés ou occupés.

[174]  La revendicatrice soutient que tout droit qui aurait pu appartenir au CN est assujetti à la restriction d’inaliénabilité établie par le paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer de 1927. Comme le CN a abandonné le projet de construire la ligne de chemin de fer et qu’il a ensuite vendu à diverses personnes et sociétés les terres qu’il avait « prises » et qui font maintenant partie de la ville de Loon Lake, la revendicatrice invoque le paragraphe 189(3) et soutient que la prétendue aliénation était illégale.

[175]  La prémisse sur laquelle repose l’argument de la revendicatrice est que le droit des Autochtones sur les terres a subsisté après le transfert puisque le CN n’a rien obtenu de plus qu’un droit de la nature d’une servitude légale. La revendicatrice s’appuie sur l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 CF 325, 1999 CarswellNat 1267 [Matsqui], dans lequel la Cour d’appel fédérale a conclu, sur le fondement du paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer de 1927 (restriction d’inaliénabilité), que le droit sur les terres de réserve conféré à Canadien Pacifique par lettres patentes délivrées le 25 août 1891 (au para 107) était un droit limité et que les terres continuaient de faire partie de la réserve aux fins de taxation en vertu du règlement de la bande de Matsqui. La revendicatrice soutient que, comme dans l’arrêt Matsqui, le droit transféré au CN était de la nature d’une servitude légale.

[176]  La revendicatrice soutient également que, indépendamment de l’application de la Loi des chemins de fer, le droit sur les terres de réserve transférées au CN était moindre que la totalité du droit de la Couronne, de sorte que son droit sous‑jacent n’était pas éteint. Son argument repose sur l’application des principes relatifs à l’obligation de fiduciaire et sur le caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve.

[177]  La revendicatrice soutient que tout droit que le CN aurait pu acquérir s’est éteint au moment où il a abandonné son projet de construction ou, subsidiairement, au moment où il aurait transféré son droit au village de Loon Lake, après quoi le droit de possession de la terre lui est revenu.

2.  Position de l’intimée

[178]  Essentiellement, l’intimée fait valoir que le « transfert », qu’elle qualifie dans ses observations d’« octroi », confère au CN le même droit qu’il aurait eu s’il avait exercé son pouvoir d’expropriation en vertu de l’article 17 de la Loi des CFN de 1927 et avait procédé à une expropriation « régi[e] par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires » (paragraphe 48(2), Loi des Indiens de 1927).

[179]  Quant à l’application de l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927, l’intimée soutient ce qui suit :

[traduction] […] suivant les modifications apportées en 1929 aux alinéas 17(2)b) et c) de la Loi des chemins de fer Nationaux, lorsqu’un plan déposé est signé par le ministre des Chemins de fer et Canaux au nom d’une compagnie de chemin de fer, le terrain décrit sur ce plan est dès lors dévolu à la Compagnie, à moins qu’un droit limité dans ce bien soit exproprié (soulignements ajoutés). Le paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer est inconciliable avec les alinéas 17(2)b) et c) de la Loi des chemins de fer Nationaux du Canada et, par conséquent, il ne s’applique pas. [note en bas de page omise; mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 56]

[180]  En effet, l’intimée fait valoir qu’en vertu des modifications apportées en 1929 aux alinéas 17(2)b) et c) de la Loi des chemins de fer Nationaux de 1927 (Loi modifiant la Loi des chemins de fer Nationaux du Canada, SC 1929, c 10, [la Loi des CFN de 1929]), le CN a acquis un droit en fief simple absolu dans les terres lorsqu’il a déposé le plan au bureau des titres fonciers de Battleford. Ce droit est défini comme suit dans le Black’s Law Dictionary :

[traduction] Droit d’une durée indéterminée ou potentiellement indéterminée. [Black’s Law Dictionary, 10éd, sub verbo “fee simple absolute” (fief simple absolu)]

[181]  L’intimée affirme que l’article 17 de la Loi des CFN de 1929 écarte l’application de l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927 en ce qui concerne l’expropriation des terres de la Couronne, et que la dévolution du titre de propriété au CN par le dépôt du plan, en l’absence de toute limitation, emporte dévolution du droit complet de la Couronne. Cela, affirme l’intimée, est incompatible avec l’application du paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer de 1927, car, comme il a été conclu dans l’arrêt Matsqui, la restriction d’inaliénabilité et les conséquences de cette restriction sur la nature du droit exproprié, sont incompatibles avec les droits du titulaire du fief.

[182]  Tout au long de l’analyse, il faut se rappeler que les terres de réserve sont des terres appartenant à la Couronne. Le terme « réserve » est défini à l’alinéa 2j) de la Loi des Indiens de 1927 comme étant « toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l’usage ou le profit d’une bande particulière d’Indiens […] et dont le titre légal est attribué à la Couronne » (italiques ajoutés). L’intimée soutient que le CN a acquis un droit en fief simple absolu dans les terres de la Couronne qui lui ont été « transférées » par décret et que, comme les terres n’appartenaient plus à la Couronne, elles ne faisaient plus partie de la réserve de Makwa.

[183]  En résumé, l’intimée est d’avis qu’il ne saurait plus y avoir de droit autochtone puisqu’il s’est éteint lorsque le droit de la Couronne a été dévolu au CN, sans limitation, en vertu des alinéas 17(2)b) et c) de la Loi des CFN de 1929.

IX.  AnalysE des lois sur les chemins de fer

[184]  Il est assez difficile de s’y retrouver dans le cadre législatif applicable à l’expropriation de terres à des fins ferroviaires. Trois lois entrent en jeu : la Loi des chemins de fer de 1927, la Loi des CFN de 1929 et la Loi des expropriations, SR 1927, c 64 [la Loi des expropriations de 1927]. Cette dernière loi s’applique puisqu’elle est intégrée dans la Loi des CFN.

[185]  Pour bien comprendre l’interaction entre ces lois, il faut comprendre comment s’est développé le réseau ferroviaire alors que le mouvement de colonisation traversait les Prairies pour s’étendre vers l’ouest. Sur ce point, le dossier dont dispose le Tribunal n’est peut‑être pas complet. C’était apparemment le cas dans l’arrêt Matsqui, où le juge Marceau a fait la remarque suivante au paragraphe 12 :

Ma deuxième remarque est plus complexe. Il serait préférable que nous soyons mieux informés de tous les faits qui ont entouré et suivi l’adoption de la Loi du CP et la conclusion du contrat qu’elle a mis en œuvre.

[186]  Malgré l’insuffisance du dossier, je me suis appuyé sur la preuve, sur le libellé des lois et sur les observations des avocats, bien que celles‑ci ne présentent qu’une analyse peu détaillée.

[187]  Les renvois à la jurisprudence qui suivent, plus particulièrement aux arrêts Reference et Re Railway Act 1952 (Canada), permettent de suivre l’évolution des lois sur les chemins de fer. Je n’ai appliqué aucun principe de droit énoncé dans ces décisions pour tirer des conclusions sur l’application au CN, en 1933, de la Loi des chemins de fer de 1927. Les conclusions que j’ai tirées sont fondées sur l’interprétation des lois.

A.  Loi des chemins de fer de 1927

[188]  Il ne fait aucun doute, en l’espèce, que l’exercice du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 trouve sa source dans la Loi des CFN.

[189]  Cependant, la revendicatrice s’appuie sur l’application de la Loi des chemins de fer de 1927. L’article 5 ouvre la voie à l’application de cette loi au CN :

5. Subordonnément aux dispositions ci-incluses, la présente loi s’applique à toutes personnes, compagnies de chemin de fer et à tous chemins de fer, qui relèvent de l’autorité législative du Parlement du Canada, constitués en corporations ou autorisés, soit dans le passé, soit à l’avenir, et de quelque manière que ce soit, sauf les chemins de fer de l’État auxquels cependant elle doit s’appliquer dans la mesure spécifiée dans toute loi s’y rapportant ou s’y rattachant. [Italiques ajoutés]

[190]  Comme le CN était une compagnie de chemins de fer de l’État, la Loi des chemins de ne pouvait s’appliquer que « dans la mesure spécifiée dans toute loi s’y rapportant ou s’y rattachant ». En l’espèce, cette loi est la Loi des CFN.

[191]  Si la Loi des chemins de fer de 1927 s’appliquait au CN, alors l’article 189 désormais connu qui figurait dans la sous-section « Restrictions — Terres de la Couronne » de la section « PRISE DE POSSESSION ET OCCUPATION DES TERRAINS » de la Loi des chemins de fer de 1927 s’appliquerait de manière à limiter le droit pris étant donné la restriction d’inaliénabilité établie au paragraphe 189(3) : 

189. Nulle compagnie ne peut s’approprier, utiliser ou occuper des terres qui appartiennent à la Couronne, sans le consentement du gouverneur en son conseil.

2. Avec ce consentement, une compagnie de chemin de fer peut, aux conditions prescrites par le Gouverneur en conseil, prendre et s’approprier, pour l’usage de son chemin de fer et de ses ouvrages, toute partie des terres de la Couronne, sur la ligne du chemin de fer, qui n’a pas encore été vendue ou concédée et qui est nécessaire à ce chemin de fer, ainsi que toute partie de la grève publique, ou du lit d’un lac, d’une rivière ou d’un cours d’eau, ou des terrains couverts par les eaux de ce lac, de cette rivière ou de ce cours d’eau, dont elle a besoin pour établir, achever ou exploiter son chemin de fer et ses ouvrages.

3. La compagnie ne peut pas aliéner les terrains ainsi pris, utilisés ou occupés. [Italiques ajoutés]

[192]  À l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927, le passage « terres qui appartiennent à la Couronne » renvoie à la Couronne fédérale et comme les terres de réserve sont, par définition, des terres de la Couronne, la Loi des chemins de fer de 1927 et l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 interdisent la prise de ces terres sans le consentement du gouverneur en conseil.

[193]  Cependant, la question est de savoir si la Loi des chemins de fer de 1927, et plus particulièrement son article 189, s’appliquait aux terres de la réserve de Makwa qui auraient été transférées au CN.

B.  Loi des CFN de 1929 : une exception après l’autre

[194]  Aux termes du paragraphe 17(1) de la Loi des CFN de 1929, « [t]outes les dispositions de la Loi des chemins de fer s’appliquent à la Compagnie », mais avec quelques exceptions :

17. (1) Toutes les dispositions de la Loi des chemins de fer s’appliquent à la Compagnie, sauf les réserves suivantes : —

a) Celles des dispositions qui sont inconciliables avec les dispositions de la présente loi;

[…]

c) Celles des dispositions qui sont inconciliables avec les dispositions de la Loi des expropriations telle que rendue applicable à la Compagnie par la présente loi.

[195]  Pour comprendre le lien entre les lois sur les chemins de fer dont il est question en l’espèce, il faut savoir si, par l’effet de la Loi des CFN de 1929, le CN a échappé, en 1933, à l’application des dispositions de la Loi des chemins de fer de 1927 relatives à la « prise de possession et [à] l’occupation des terrains ». Comme je l’ai mentionné précédemment, l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927 est l’une de ces dispositions.

[196]  Dans l’arrêt Reference re : Railway Act (Canada), [1926] RCS 239 [Reference] (QL), le juge en chef Anglin a, dans le contexte de l’expropriation d’un terrain privé, examiné la question de savoir si l’article 13 de la Loi des CFN de 1919, qui prévoyait l’application de la Loi des chemins de fer, excluait de cette application les dispositions relatives à la prise de possession et à l’occupation des terrains de terrain. Il a conclu comme suit :

[traduction] Ainsi, les articles 239 et suivants, qui traitent de la prise de possession en cas de résistance, doivent être considérés comme des articles ayant trait à l’« expropriation ou l’utilisation de terrain » et, par conséquent, comme des articles tombant sous le coup de l’exception à l’application de la Loi des chemins de fer prévue par l’article 13 de la Loi des chemins de fer Nationaux du Canada.

Dans le même ordre d’idées, l’alinéa 13(2)c) prévoit expressément que les dispositions de la Loi des chemins de fer relatives à l’établissement du montant de l’indemnité, lesquelles pourraient autrement être considérées comme exclues conformément à l’exception générale créée à l’égard de « l’expropriation ou l’utilisation de terrain », s’appliquent aux expropriations proposées par la Compagnie des chemins de fer nationaux.

Par conséquent, même si les procédures subséquentes relatives à l’établissement du montant et au paiement de l’indemnité pour les terrains devant être acquis par la Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada sont régies par les dispositions de la Loi des chemins de fer, à commencer par l’article 215, qui traitent de l’avis d’expropriation, la compagnie doit plutôt invoquer la compétence en matière de prise de possession conférée par l’article 21 de la Loi des expropriations (S.R.C., ch. 143) pour pouvoir prendre possession d’office des terrains. [italiques ajoutés; page 3]

[197]  En résumé, la décision était fondée sur la disposition de la Loi des CFN de 1919, qui créait une exception à l’égard des dispositions relatives à la « prise de possession et [à] l’occupation des terrains » de la Loi des chemins de fer. L’article 17 de la Loi des CFN de 1927, tout comme la Loi de 1919, exemptait la Compagnie et son entreprise des dispositions de la Loi des chemins de fer relatives à l’« expropriation ou l’utilisation de terrain » et précisait que les dispositions de la Loi des expropriations s’appliquaient « à la Compagnie […] au lieu des dispositions de la Loi des chemins de fer ainsi exceptées » (Loi des CFN de 1927, article 17) :

17. Toutes les dispositions de la Loi des chemins de fer, sauf les dispositions qui sont incompatibles avec la présente loi et sauf aussi les dispositions de la Loi de chemins de fer se rapportant à l’emplacement de lignes de chemins de fer, à la préparation et au dépôt de plans et profil — autres que les plans de croisements à niveau des voies publiques et des chemins de fer — et à l’expropriation ou l’utilisation de terrain, s’appliquent à la Compagnie et à son entreprise, déclaration étant faite que toutes les dispositions de la Loi des expropriations, sauf quand elles sont incompatibles avec la présente loi, s’appliquent, mutadis mutandis, à la Compagnie et à son entreprise, au lieu des dispositions de la Loi des chemins de fer ainsi exceptées. [Italiques ajoutés]

[198]  La Loi des CFN a été modifiée en 1929 (la Loi des CFN de 1929). L’article 17, en sa version modifiée, éliminait l’exception qui était prévue dans les versions de 1919 et 1927 quant aux dispositions relatives à la « prise de possession et [à] l’occupation des terrains » de la Loi des chemins de fer ainsi que le passage « au lieu des dispositions de la Loi des chemins de fer ainsi exceptées ». Par conséquent, les dispositions de la Loi des chemins de fer relatives à la prise de possession et à l’occupation des terrains qui s’appliquaient aux termes des lois des CFN de 1919 et de 1927 n’étaient plus visées par l’exception applicable aux terres expropriées par le CN en vertu de la Loi des CFN.

[199]  Je souligne également que la modification susmentionnée a été examinée dans son contexte historique dans l’arrêt Canada (AG) c Canadian Pacific Railway Co (Re Railway Act 1952 (Canada)), [1958] RCS 285 [Re Railway Act 1952 (Canada)] (QL) :

[traduction] Il est admis que la Compagnie de chemin de fer du Canadien Pacifique doit se conformer à l’article, si celui-ci est valide. Cependant, la situation de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada est quelque peu différente. Le chapitre 13 des lois du Canada de 1919 prévoyait la constitution en société de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et, aux termes de son article 13, les dispositions de la Loi des expropriations, aujourd’hui L.R.C. 1952, ch. 106, relatives à la prise de possession et à l’occupation des terrains sont, aux fins de l’entreprise de la compagnie, devenues applicables à celle-ci. La Compagnie a été créée dans le but de regrouper toutes les lignes du réseau national et son entreprise dépendait donc de l’intégration des lignes existantes ou de la construction de nouvelles lignes. L’article 13, en sa version originale, est demeuré en vigueur jusqu’en 1929, ch. 10, art. 2, alors que, dans une modification de l’article 17 – tel qu’il était alors — les mots « l’expropriation ou l’utilisation de terrain » ont été supprimés. Par ailleurs, le paragraphe 17(3) autorisait la Compagnie à acquérir les terrains requis par toute autre compagnie comprise dans le réseau national, dont une liste était jointe au texte original. [italiques ajoutés; page 5]

[200]  La suppression des mots « l’expropriation ou l’utilisation de terrain » en 1929 laisse croire que le législateur entendait que les dispositions relatives à la prise de possession et à l’occupation des terrains de la Loi des chemins de fer ne soient pas entièrement écartées en faveur de l’application — en vertu de la Loi des CFN — de la Loi des expropriations, et que les dispositions de la Loi des expropriations cessent de s’appliquer dans tous les cas de prises de possession « au lieu des dispositions de la Loi des chemins de fer ainsi exceptées ». Cependant, l’alinéa 17(1)c) de la Loi des CFN de 1929 disposait, tout comme le faisait la loi de 1927, que la Loi des chemins de fer ne s’appliquait pas aux prises de possession quand elle présentait une incompatibilité avec la Loi des CFN et la Loi des expropriations. De toute évidence, en cas d’incompatibilité, la Loi des expropriations s’appliquait. Par conséquent, la question centrale qui se pose en l’espèce est celle de savoir si, pour ce qui est des terres de la Couronne mises à part en tant que réserve, il y a une incompatibilité entre les dispositions relatives à la prise de possession de la Loi des chemins de fer et celles des deux autres lois pertinentes, à savoir la Loi des CFN et la Loi des expropriations.

[201]  Comme la Cour suprême l’a souligné dans l’arrêt Re Railway Act 1952 (Canada), le paragraphe 17(3) de la Loi des CFN a aussi été modifié en 1929 afin de permettre à la Compagnie de chemins de fer d’acquérir les terrains requis par toute autre compagnie comprise dans le réseau national. Comme le pouvoir de prendre des terres était déjà prévu par une autre loi, le paragraphe 17(3) ne conférait pas un autre pouvoir du même type, mais évoquait plutôt le lien entre le CN et toute autre compagnie « dans le réseau des chemins de fer Nationaux du Canada ».

[202]  Examinons une fois de plus l’effet des alinéas 17(1)a) et c) de la Loi des CFN de 1929 :

17. (1) Toutes les dispositions de la Loi des chemins de fer s’appliquent à la Compagnie, sauf les réserves suivantes :

a) Celles des dispositions qui sont inconciliables avec les dispositions de la présente loi;

[…]

c) Celles des dispositions qui sont inconciliables avec les dispositions de la Loi des expropriations telle que rendue applicable à la Compagnie par la présente loi.

[203]  La question consiste alors à savoir si le CN avait, en vertu de la Loi des CFN ou de la Loi des expropriations, le pouvoir de prendre des terres de la Couronne fédérale. S’il a pris des terres selon des conditions inconciliables avec l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927, les alinéas 17(1)a) ou c) le soustrairaient alors à l’application de la Loi des chemins de fer.

[204]  Je digresse ici pour souligner que la Loi des expropriations ne pourrait s’appliquer si la Loi des chemins de fer, et seulement cette loi, autorisait expressément la prise de possession et l’occupation de terres de réserve puisqu’il n’y aurait pas d’incompatibilité avec la Loi des CFN ou la Loi des expropriations. Je reviendrai sur ce point plus loin. Pour l’instant, la question est de savoir si le CN avait le pouvoir en vertu de la Loi des CFN ou la Loi des expropriations d’exproprier des terres appartenant à la Couronne fédérale (terres de la Couronne).

C.  Loi des expropriations de 1927 : dévolution à la Couronne des terres « prises »

[205]  L’objectif de la Loi des expropriations est que les terres expropriées deviennent la propriété de la Couronne fédérale. Si elles appartiennent déjà à la Couronne, la Loi des expropriations doit être interprétée de manière à éviter toute tautologie.

1.  Loi des expropriations de 1927, article 9 : terres prises pour l’usage de Sa Majesté

[206]  L’article 9 de la Loi des expropriations prévoit que les « [t]out terrain pris par expropriation pour l’usage de Sa Majesté » par suite du dépôt d’« un plan et une description […] signés par le ministre » auprès « du bureau du registraire des titres du comté ou de la division d’enregistrement où est situé le terrain […] devient et reste ensuite la propriété de Sa Majesté » (italiques ajoutés). Les paragraphes 9(2) et (3) sont ainsi libellés :

2. Quand un immeuble dont possession est prise n’est requis que pour un temps limité, ou qu’on ne requiert qu’un droit de propriété limité ou un intérêt dans cet immeuble, le plan et la description ainsi déposés peuvent indiquer, par des mots appropriés y écrits ou imprimés, que le terrain n’est pris que pour ce temps limité ou qu’est pris seulement ce droit de propriété ou cet intérêt dans cet immeuble, et par le fait de ce dépôt en ce cas, le droit de possession pour ce temps limité, ou ce droit de propriété limité ou cet intérêt, appartient à Sa Majesté.

 3. Toutes les dispositions applicables de la présente loi s’appliquent à l’acquisition, pour travaux publics, de ce droit de possession, de ce droit de propriété limité ou de cet intérêt.

[207]  Il va de soi que l’article 9 ne s’applique pas aux terres appartenant déjà à Sa Majesté.

2.  Loi des expropriations de 1927, article 11 : terres occupées par la Couronne pour un ouvrage public

[208]  La thèse de l’intimée repose sur la prémisse que la Loi des CFN et la Loi des expropriations confèrent au CN le pouvoir d’exproprier des terres appartenant à la Couronne fédérale, mais l’intimée ne précise pas le fondement légal de son argument.

[209]  Il convient d’examiner l’article 11 de la Loi des expropriations de 1927, lequel prévoit ce qui suit :

11. Un plan et une description de tout terrain actuellement occupé ou possédé par Sa Majesté et employé pour un ouvrage public peuvent être déposés en tout temps, de la manière prescrite par la présente loi, et avec le même effet, sans préjudice, toutefois, aux droits des intéressés à une indemnité.

[210]  D’après ce que je comprends, l’article 11 ne prévoit pas la prise des terres de la Couronne. À première vue, l’article 11 s’applique lorsque des terres appartenant à Sa Majesté ou autrement occupées ou possédées par Sa Majesté sont, avant le dépôt du plan, « employé[es] pour un ouvrage public », ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Les terres qui ont été prises sont des terres de réserve de la bande de Makwa. Le CN avait commencé ses travaux de nivellement en vue de la construction de la ligne de chemin de fer, mais il n’était pas légalement autorisé à entrer dans la réserve.

[211]  Il semble que l’objet de l’article 11 soit d’autoriser la prise de tout droit sur les terres de la Couronne qui est associé à un usage public existant, c’est‑à‑dire à l’usage de tout intéressé ayant un droit sur ces terres, et il prévoit que cette personne peut être indemnisée pour tout droit ainsi pris. Il ne prévoit pas la « prise » du droit de la Couronne sur les terres puisqu’elles sont déjà « occupé[e]s ou possédé[e]s par Sa Majesté ».

D.  Loi des expropriations de 1927 et terres publiques

[212]  La Loi des expropriations de 1927 traite de la prise de terres publiques par le Canada. Ce pouvoir s’applique-t-il aux terres appartenant à Sa Majesté? Poser la question, c’est y répondre.

[213]  Quoi qu’il en soit, l’article 3 de la Loi des expropriations de 1927 confère au ministre le pouvoir de prendre des terres :

3. Le ministre peut, par lui-même ou par ses ingénieurs, surintendant, agents, ouvriers et serviteurs

a) Aller sur tout terrain, quel qu’en soit le propriétaire, […] ;

b) Aller sur tous terrains, immeubles, rivières, eaux et cours d’eau, et en prendre possession, s’il est d’avis que leur appropriation est nécessaire pour l’usage, la construction, l’entretien ou la réparation de l’ouvrage public, ou pour y avoir plus facilement accès; […]

[214]  Aux termes de l’alinéa 2e), ministre « signifie le chef du ministère chargé de la construction et de l’entretien d’un ouvrage public ».

[215]  Voici la définition de « terrains et immeubles » que l’on retrouve à l’alinéa 2i) :

i) « terrains » et « immeubles » comprend toutes les terres concédées ou non concédées, incultes ou défrichées, publiques ou privées, ainsi que toutes propriétés immobilières, maisons et dépendances, terres, tènements et héritages de toute tenure, et tous droits réels, servitudes, dommages-intérêts et toutes autres choses faites conformément à la présente loi, pour lesquelles Sa Majesté peut avoir à payer une indemnité sous l’autorité de la présente loi; [italiques ajoutés]

[216]  L’expression « pour lesquelles Sa Majesté peut avoir à payer une indemnité sous l’autorité de la présente loi » s’applique, à la lecture de l’ensemble de la définition de « terrains et immeubles » dans son contexte grammatical, à toutes les catégories de terres décrites précédemment, y compris les « terres publiques ». Toutefois, il va de soi que la Couronne (le Canada) ne devrait pas avoir à se verser une indemnité pour pouvoir « prendre » des terres appartenant à la Couronne fédérale à des fins d’intérêt public. L’expression « terres publiques » ne désigne donc pas les terres appartenant à la Couronne fédérale.

[217]  Les articles 4 à 15 autorisent la prise de terres sur l’ordre du « ministre ». Suivant l’alinéa 2e), le « ministre » est « le chef du ministère chargé de la construction et de l’entretien d’un ouvrage public ». Il s’agit du ministre fédéral responsable des ouvrages publics fédéraux. Les articles 23 et 34 régissent l’indemnisation pour la prise d’un droit sur des terres. En vertu de l’article 23, la prise de possession des terres ou le dépôt du plan et de la description des terres au bureau du registraire des titres confère la « propriété absolue » des terres à Sa Majesté. Cependant, tel qu’il est indiqué précédemment, les terres de la Couronne appartiennent déjà à Sa Majesté.

[218]  L’expression « terres publiques » engloberait bien sûr les terres publiques situées dans une province. L’article 15 de la Loi des expropriations de 1927 ajoutait une exigence à celles qui s’appliquaient à la prise de possession des terres de la Couronne provinciale :

15. Si le terrain exproprié est un terrain de la Couronne, placé sous l’autorité du gouvernement de la province où ce terrain est situé, un plan de ce terrain est aussi déposé au département des terres de la Couronne de la province.

[219]  Comme il est impossible de prendre des terres de la Couronne fédérale qui appartiennent déjà à Sa Majesté, le problème que pose l’argument de l’intimée tient à l’absence d’incompatibilité, en ce qui concerne la prise de terres de la Couronne, entre la Loi des expropriations et la Loi des chemins de fer. La première ne contient aucune disposition permettant l’acquisition de terres qui appartiennent à la Couronne fédérale. La seconde comporte une disposition qui interdit expressément l’acquisition de terres de la Couronne par une compagnie de chemin de fer sans le consentement du gouverneur en conseil :

189. Nulle compagnie ne peut s’approprier, utiliser ou occuper des terres qui appartiennent à la Couronne, sans le consentement du gouverneur en son conseil.

2. Avec ce consentement, une compagnie de chemin de fer peut, aux conditions prescrites par le Gouverneur en conseil, prendre et s’approprier, pour l’usage de son chemin de fer et de ses ouvrages, toute partie des terres de la Couronne, sur la ligne du chemin de fer, […] et qui est nécessaire à ce chemin de fer […] dont elle a besoin pour établir, achever ou exploiter son chemin de fer et ses ouvrages. [Loi des chemins de fer de 1927]

[220]  Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre la Loi des chemins de fer et la Loi des expropriations en ce qui concerne l’acquisition de terres appartenant à la Couronne. Les modifications apportées à la Loi sur les chemins de fer nationaux en 1929 ont eu pour effet de supprimer l’exception établie dans la Loi des chemins de fer relativement à la prise de possession et à l’occupation des terres et, comme je l’ai déjà expliqué, la Loi des expropriations ne prévoit pas la prise de terres appartenant à la Couronne fédérale. Comme seule la Loi des chemins de fer le prévoit, elle seule s’applique.

E.  Loi des CFN de 1929, alinéa 17(2)a)

[221]  L’intimée invoque l’article 17 de la Loi des CFN de 1929, mais elle ne formule pas son argument en fonction de l’alinéa 17(2)a) de la Loi des CFN de 1929, selon lequel « [t]outes les dispositions de la Loi des expropriations, sauf lorsqu’elles sont inconciliables avec les dispositions de la présente loi, s’appliquent, mutadis mutandis, à la Compagnie ». Cette disposition pourrait‑elle annuler, même en l’absence d’incompatibilité entre la Loi des expropriations et la Loi des chemins de fer, l’effet de l’alinéa 17(1)c), qui exclut de l’application de la Loi des chemins de fer seules « celles des dispositions qui sont inconciliables avec les dispositions de la Loi des expropriations telle que rendue applicable à la Compagnie par la présente loi »? Je conclus que, en l’absence d’incompatibilité entre les deux lois, l’alinéa 17(2)a) ne saurait avoir pour effet d’empêcher l’application de l’alinéa 17(1)c).  

[222]  Comme nous l’avons vu, les modifications apportées à l’article 17 de la Loi des CFN en 1929 ont eu pour effet de supprimer l’exception établie dans la Loi des chemins de fer de 1927 relativement à la « prise de possession et [à] l’occupation des terres », ainsi que la disposition selon laquelle la Loi des expropriations s’appliquait au lieu de celle‑ci. Cela étant, les pouvoirs relatifs à la prise de possession et à l’occupation de terres conférés par la Loi des chemins de fer s’appliquent.

[223]  Si, par l’application de l’alinéa 17(2)a), les dispositions de fond de la Loi des expropriations devaient s’appliquer, en l’absence d’incompatibilité entre cette dernière et la Loi des chemins de fer, à la prise de terres appartenant à la Couronne fédérale, il en résulterait une situation absurde, car, bien que l’article 17 prévoie que la Loi des chemins de fer s’applique, elle serait impossible à appliquer. L’alinéa 17(2)a) ne dit pas, et ne devrait pas être interprété comme disant, que l’étendue des pouvoirs relatifs à la prise de possession devrait être élargie afin de permettre à la compagnie de prendre un type de terres qui n’est pas prévu dans la Loi des expropriations, à savoir les terres appartenant à la Couronne fédérale.

[224]  Je conclus que l’alinéa 17(2)a) vise à appliquer les dispositions procédurales de la Loi des expropriations aux prises de possession effectuées en vertu de la Loi des chemins de fer. Il a donc pour effet de rendre le processus d’expropriation conforme au processus par lequel les terres sont prises en vertu de la Loi des expropriations.

F.  La Loi des chemins de fer et les terres de réserve

[225]  La présente affaire porte sur la prise de terres de réserve. Si j’ai tort de conclure que ni l’article 11 de la Loi des expropriations ni la définition de « terres publiques » qui figure dans cette loi n’autorisent la prise des terres de la Couronne fédérale, il me faut alors déterminer si les dispositions relatives à la « prise de possession et [à] l’occupation des terrains » de la Loi des chemins de fer de 1927 autorisaient expressément la prise de terres de la Couronne réservées aux « Indiens ». Si c’est le cas, il ne peut y avoir d’incompatibilité avec la Loi des CFN ou la Loi des expropriations puisque ni l’une ni l’autre de ces lois n’autorisait expressément la prise des terres de réserve.

[226]  La Loi des chemins de fer de 1927 autorise expressément la prise de terres de réserve. L’article 192 de cette loi se trouve dans la section « PRISE DE POSSESSION ET OCCUPATION DES TERRAINS » — tout comme l’article 189 qui figure dans la sous‑section « Restrictions — Terres de la Couronne ». Dans la sous‑section suivante, « Terres des Indiens », se trouve l’article 192 :

192. Nulle compagnie ne peut s’approprier, ni occuper une partie d’une réserve des Indiens ou de leurs terres, sans le consentement du gouverneur en son conseil.

2. Lorsque, avec ce consentement, une compagnie de chemin de fer s’approprie, occupe ou utilise quelque partie d’une réserve ou de terrains de ce genre, ou lorsque cette réserve ou ces terrains subissent quelque préjudice du fait de la construction d’un chemin de fer, une indemnité doit être payée, comme dans le cas des terrains pris sans le consentement des propriétaires.

[227]  Comme ni la Loi des CFN ni la Loi des expropriations ne prévoient la prise de terres de réserve, il n’y a aucune incompatibilité entre les deux et l’article 192 de la Loi des chemins de fer de 1927 s’applique.

[228]  L’article 192 de la Loi des chemins de fer de 1927 s’applique, tout comme l’article 189 puisqu’ils se trouvent tous les deux dans la même section de la Loi des chemins de fer. Ils s’appliquent aux terres de la Couronne, car les terres de réserve sont, par définition, des terres appartenant à la Couronne. En conséquence, comme il a été conclu dans la décision Matsqui, le paragraphe 189(3) s’applique de façon à limiter les droits acquis sur les terres de réserve, avec le consentement du gouverneur en conseil exigé par l’article 192.

G.  Loi des Indiens de 1927, article 48, et Loi des chemins de fer de 1927, articles 189 à 192 : présomption de cohérence

[229]  La conclusion que j’ai tirée sur l’application de l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927 s’accorde avec la présomption de cohérence.

[230]  Les lois fédérales sont présumées cohérentes et uniformes. Sullivan et Driedger écrivent ce qui suit :

  [traduction]

L’ENSEMBLE des lois EN VIGUEUR

Principe fondamental. En effet, l’ensemble des lois en vigueur est composé du texte entier de chaque disposition législative. Les présomptions de cohérence et d’uniformité d’expression s’appliquent non seulement aux lois traitant d’une même matière, mais aussi quoique avec moins de force à l’ensemble des lois adoptées par le législateur. Le législateur est présumé connaître ses propres lois et rédiger chaque nouvelle disposition en tenant compte des structures, des conventions et des formules d’expression, de même que du droit substantif exprimé dans la législation existante. [renvois omis; Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham, ON : Butterworths Canada, 2002), à la page 323]

[231]  Lorsque deux dispositions législatives s’appliquent dans le même contexte, elles s’appliquent toutes les deux, si elles ne sont pas contradictoires. Sullivan et Driedger expliquent :

[traduction] Lorsque deux dispositions s’appliquent aux mêmes faits, les tribunaux tentent de les appliquer toutes les deux. Si elles ne sont pas contradictoires (et à cette fin, « contradictoire » est étroitement défini), il est alors présumé que chacune d’elles s’applique selon son libellé. [Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4éd. (Markham, ON : Butterworths Canada, 2002), à la page 263]

[232]  Les articles 189 à 192 de la Loi des chemins de fer de 1927 et l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 ont le même objet : l’acquisition par une compagnie de chemin de fer d’un droit sur des terres qui appartiennent à la Couronne fédérale. La Loi des Indiens de 1927 s’applique aux terres de réserve, et les deux lois renferment des dispositions semblables quant à la prise de terres appartenant à la Couronne. Le consentement du gouverneur en conseil est nécessaire pour pouvoir prendre des droits dans des terres de la Couronne à des fins ferroviaires en vertu de l’article 189 et du paragraphe 189(2) de la Loi des chemins de fer de 1927, et pour pouvoir exproprier un intérêt dans des terres de réserve pour les besoins d’un chemin de fer en vertu de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927. Selon ce dernier article, l’expropriation est subordonnée « aux termes et conditions imposés par ce consentement ». Il en est de même pour le paragraphe 189(2) de la Loi des chemins de fer de 1927, selon lequel une compagnie de chemin de fer peut « aux conditions prescrites par le Gouverneur en conseil, prendre et s’approprier […] » des terres. 

[233]  Les deux lois portent sur l’acquisition d’un droit sur des terres de la Couronne avec le consentement du gouverneur en conseil. La « prise » d’un droit sur des terres de la Couronne réservées à la bande de Makwa a été autorisée par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 48 de la Loi des Indiens, en cohérence avec l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927. Cette cohérence entre les lois est d’ailleurs illustrée par l’article 192 de la Loi des chemins de fer de 1927, qui — tout comme l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 — exige que le gouverneur en conseil consente à l’exercice du pouvoir de prendre des terres conféré par la Loi des chemins de fer dans les cas où il s’agit de terres de réserve.

[234]  En l’espèce, le consentement donné par le gouverneur en conseil dans un décret daté du 10 mai 1933 satisfaisait aux exigences de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 et du paragraphe 189(2) de la Loi des chemins de fer de 1927, chacune de ces dispositions prévoyant qu’il puisse être assorti de conditions. Les deux permettaient au gouverneur en conseil de transférer un droit dans des terres de la Couronne, ce qui a été fait conformément aux exigences des deux lois.

H.  « Transfert » au CN par le décret CP 1913–916 daté du 10 mai 1933

[235]  Au regard de ce qui constitue essentiellement un motif subsidiaire de la revendication, la revendicatrice soutient que l’application des principes de l’obligation de fiduciaire liés au droit sui generis des Autochtones sur les terres de réserve limite, en l’espèce, le droit acquis par le CN sans qu’il soit nécessaire d’invoquer l’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927.

1.  Circonstances entourant l’acquisition d’un droit sur la réserve

[236]  Même en présumant, contrairement à ce qui précède, qu’avec le consentement du gouverneur en conseil requis par l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, des terres fédérales peuvent être expropriées par l’effet de l’article 17 de la Loi des CFN de 1927 – soit par le dépôt d’un plan à un bureau provincial des titres fonciers – la position de l’intimée demeure insoutenable au regard des faits, car le plan a été déposé au Bureau des titres fonciers de Battleford après l’attribution de la réserve, mais avant que le gouverneur en conseil n’autorise le CN à prendre les terres de la réserve de Makwa. Cela étant, l’intimée ne peut pas se fonder sur le dépôt du plan pour prétendre à un droit sur les terres de la réserve.

[237]  Le CN a déposé plus tard les plans d’arpentage des terres décrites dans le décret, ce qu’il a aussi fait avant l’édiction du décret. Par conséquent, le dépôt n’a pas eu pour effet d’exproprier les parcelles de terres de réserve ainsi décrites.

[238]  D’après les faits de l’espèce, le CN a acquis un droit par voie de « transfert » aux conditions prescrites par le décret CP 1913–916 daté du 10 mai 1933. Ce transfert a été effectué avec le consentement du gouverneur en conseil de sorte que les exigences de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 et des articles 189 à 192 de la Loi des chemins de fer de 1927 ont été respectées.

2.  « Transfert » au lieu de prise

[239]  Le paragraphe 35(3) de la Loi sur les Indiens de 1952, examiné dans l’arrêt Osoyoos, permet expressément de procéder par octroi plutôt que par prise. L’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 ne comporte aucun libellé exprès de ce genre. Il prévoit toutefois ce qui suit :

2. En ce cas, une indemnité doit être versée aux Indiens de la bande, et l’exercice de ce pouvoir et l’expropriation des terres ou l’acquisition d’un intérêt dans ces terres, ainsi que la fixation et le versement de l’indemnité doivent, à moins de dispositions contraires dans l’arrêté en conseil qui fait preuve du consentement du gouverneur en son conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires. [italiques ajoutés]

[240]  Rien ne prouve qu’après la date du décret, l’« expropriation » a été « régi[e] par les prescriptions applicables », procédurales ou autres, de la Loi des CFN. L’expropriation aurait donc été faite par voie de « transfert ».

[241]  En fait, le CN n’a pas procédé à une expropriation « régi[e] par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires » (Loi des Indiens de 1927, paragraphe 48(2)). Le gouverneur en conseil a exercé le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 48(2) pour procéder à l’« expropriation des terres ou [à] l’acquisition d’un intérêt dans ces terres » sans être « rég[i] par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou locale dans des cas ordinaires » Le gouverneur en conseil a plutôt pris des dispositions contraires en transférant au CN un droit sur la réserve de Makwa.

[242]  La prémisse qui sous-tend la position de l’intimée est que le CN a nécessairement acquis le même droit sur les terres de réserve qu’il aurait acquis en vertu des alinéas 17(2)b) et c) de la Loi des CFN de 1929. Cela est inexact, car dans le cas d’une « expropriation » fondée sur l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, le gouverneur en conseil peut prendre des « dispositions contraires ». Ce pouvoir est comparable à celui qu’il détient en vertu du paragraphe 189(2) de la Loi des chemins de fer d’autoriser une compagnie de chemin de fer, avec le consentement requis par l’article 189, « […] aux conditions prescrites par le gouverneur en son conseil, [à] prendre et [à] s’approprier, pour l’usage de son chemin de fer et de ses ouvrages, toute partie des terres de la Couronne […] » (italiques et caractères gras ajoutés).

[243]  En résumé, le droit acquis par le CN ne découle pas en fait de l’exercice de l’alinéa 17(2)c) de la Loi des CFN de 1929. Il découle du décret du 10 mai 1933, par lequel le gouverneur en conseil lui a « transféré » un droit sur les terres de la réserve.

X.  prises et extinction dU DROIT des AUTOCHTONES

[244]  Maintenant que j’ai précisé quel était le rôle du décret de 1933, je passe à l’argument soulevé par la revendicatrice relativement aux obligations de fiduciaire qui s’appliquent lorsque des terres de réserve sont « prises » en vertu d’un pouvoir conféré par la loi.

A.  Droit sui generis des Autochtones

[245]  La revendicatrice, dans un argument qui ne repose pas sur l’application de l’article 189 de la Loi des chemins de fer, cite les arrêts de la Cour suprême du Canada, à savoir Canadien Pacifique Ltée c Paul, [1988] 2 RCS 654 [Canadien Pacifique c Paul], Guerin, Apsassin et Osoyoos, les décisions de la Cour suprême et de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans les affaires Squamish Indian Band (Squamish Indian Band c Canadian Pacific Ltd, 2000 BCSC 933, [2000] 4 CNLR 39 [Squamish, BCSC] (QL); Squamish Indian Band c Canadian Pacific Ltd, 2002 BCCA 478, 217 DLR (4th) 83 [Squamish, CA] (QL)), et la décision du Tribunal dans l’affaire Bande indienne de Siska c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2018 TRPC 2, à l’appui de la proposition générale suivante : le droit des Autochtones est sui generis, et , eu égard aux circonstances entourant la « prise » des terres et le libellé du texte législatif l’autorisant, les droits sur les terres de réserve qui ont été « prises » avec le consentement du gouverneur en conseil doivent, si le texte législatif créant ces droits appuie cette interprétation, permettre de préserver le droit sui generis des Autochtones.

B.  Droit des fiducies et intention de la Couronne

[246]  À supposer, sans trancher la question, que la prise des terres servait, au moment où elle a eu lieu, une fin d’intérêt public autorisée, y a-t-il eu en conséquence « expropriation » sur le fondement de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 par laquelle tout droit que possédait la Couronne sur les terres, y compris le droit de la revendicatrice, a été transféré au CN?

[247]  Dans l’affaire Squamish, BCSC, le juge Saunders, maintenant juge à la Cour d’appel, s’est posé cette question. Le Tribunal a invité les parties à présenter des observations supplémentaires sur l’application de la décision Squamish Indian Band, qui concernait des terres détenues par la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique. L’analyse qu’a faite le juge Saunders de la « prise » de ces terres, fondée sur l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, présente toutefois un intérêt pour les questions en litige en l’espèce :

[traduction] L’article 35 de la Loi des Sauvages de 1886, et l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, prévoyaient la « prise » de terres par un chemin de fer, avec le consentement de la Couronne, mais rien dans ces articles n’exigeait la « prise » d’un intérêt absolu, ne laissant aucun intérêt résiduel à la Couronne ou aux Indiens. Cette conclusion repose sur deux motifs. D’abord, le pouvoir conféré par la loi au chemin de fer dans toutes les versions de la Loi sur les Indiens est limité par la restriction à l’aliénabilité prévue dans la Loi des chemins de fer autorisant la prise de terres.

Ensuite, quant au sens à donner au terme « prise », je fais référence à l’article 35 de la Loi des Sauvages de 1886, et formule les observations suivantes. Si « prise » au sens de l’article 35 signifie vendue ou aliénée, cela va à l’encontre de l’article 38 ou — à tout le moins — représente une exception non reconnue de l’interdiction claire d’aliéner une terre de réserve en l’absence d’une cession, comme le prévoit l’article 38. De plus, le terme « prise » ne signifie pas toujours pleinement acquise. Par exemple, à la page 1234, The Dictionary of Canadian Law, 2e éd. (Scarborough : Carswell, 1995) définit ainsi l’expression « take lands » (« prendre des terres ») :

[traduction] Pénétrer sur des terres, en prendre possession, les utiliser et les prendre pendant une durée limitée ou indéterminée ou pour constituer un domaine ou un droit limité.

[italiques ajoutés; Squamish, BCSC, aux para 186–187]

[248]  Dans ces deux paragraphes, la proposition selon laquelle le terme « taken » (expropriée), à l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, ne s’entend pas nécessairement de l’aliénation de tous les droits de la Couronne, y compris ceux de la bande, est étayée par la récente jurisprudence sur l’obligation de fiduciaire. Dans l’arrêt Osoyoos, la Cour suprême du Canada a aussi conclu que le mot « take » (prendre) à l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 créait une ambiguïté puisqu’il autorisait la prise d’« un large éventail de droits fonciers, y compris même un intérêt en fief simple » (au para 58). Elle a réitéré ce point au paragraphe 86, citant la même définition donnée par le dictionnaire à l’expression « take lands » (prendre des terres) que le juge Saunders avait citée dans l’arrêt Squamish, BCSC :

[…] le mot « take » ne s’entend pas nécessairement de l’acquisition du titre de propriété absolue. Au contraire, The Dictionary of Canadian Law (2e éd. 1995) définit ainsi l’expression « take lands » (prendre des terres) : [traduction] « pénétrer sur des terres, en prendre possession, les utiliser et les prendre pendant une durée limitée ou indéterminée ou pour constituer un domaine ou un droit limité ».  

[249]  Dans l’affaire Squamish, BCSC, la question de l’existence de l’obligation de fiduciaire de la Couronne et de son effet sur l’exercice par le gouverneur en conseil du pouvoir conféré par l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 ne se posait pas. La décision reposait sur l’application du paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer de 1927. La renonciation aux fins ferroviaires visées par la prise des terres a entraîné la réversion des terres à la Couronne.  

[250]  En l’espèce, la question est de savoir si la prise des terres effectuée en vertu de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 équivaut, comme l’a dit le juge Saunders dans la décision Squamish, BCSC, à la prise [traduction] « d’un intérêt absolu, ne laissant aucun intérêt résiduel à la Couronne ou aux Indiens » (au para 186). Le juge Saunders a précisé, au paragraphe 187, [traduction] que « le terme "prise" ne signifie pas toujours pleinement acquise ».

C.  La revendicatrice se fonde sur le caractère sui generis du droit auquel elle prétend et sur le droit des fiducies

[251]  La revendicatrice se fonde sur les principes du droit des fiducies qui s’appliquent à la prise de droits dans des terres de réserve, comme l’a conclu la Cour suprême dans l’arrêt Osoyoos, et sur la jurisprudence selon laquelle il faut prendre garde de « [se] référ[er] strictement aux règles inflexibles du droit des biens » dans des litiges relatifs aux terres de réserve (Bande indienne de St. Mary’s c Cranbrook (Ville), [1997] 2 RCS 657 (QL) [St. Mary’s], au para 15). Cette jurisprudence est commodément résumée dans l’arrêt St. Mary’s où, au paragraphe 14, le juge en chef Lamer renvoie aux décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Guerin et Apsassin sur la nature du droit des Autochtones et met de nouveau en garde contre l’application des « règles traditionnelles du droit des biens » dans les affaires qui touchent le caractère sui generis des « droits fonciers des autochtones » :

Je tiens tout d’abord à préciser que les droits fonciers des autochtones ont un caractère sui generis et que la présente décision n’a pas pour effet de modifier de quelque façon que ce soit ce statut spécial. Comme notre Cour l’a déclaré dans les arrêts Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, et Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344, les droits fonciers des autochtones appartiennent à une catégorie qui leur est propre et, pour cette raison, les règles traditionnelles du droit des biens ne sont pas utiles à la Cour pour trancher le présent pourvoi.

Mais qu’est-ce que cela signifie dans les faits? Comme le juge Gonthier l’a affirmé, aux par. 6 et 7 de l’arrêt Rivière Blueberry, précité, cela ne signifie pas que nous ne devons pas aborder l’examen du présent litige comme le ferait ordinairement un juge de common law, en nous référant strictement aux règles inflexibles du droit des biens […] [aux para 14–15]

D.  Facteurs ayant une incidence sur la nature juridique du droit transféré

[252]  Comme je l’ai déjà mentionné, l’intimée soutient que la prise a été effectuée en vertu de la Loi des CFN et qu’elle conférait au CN un droit en fief simple absolu. En fait, l’intimée prétend qu’il ne saurait plus y avoir de droit autochtone puisqu’il n’y en aurait que si les terres retournaient en la possession de la Couronne en vertu du paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer de 1927. Autrement dit, le droit des Autochtones s’est éteint lorsque la terre a été attribuée au CN, sans limitation, en vertu des alinéas 17(2)b) et c) de la Loi des CFN de 1929.

[253]  La position de l’intimée ne tient pas compte de l’évolution du droit des fiducies qui est illustrée par la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Osoyoos. Dans cet arrêt, le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la majorité, a énoncé les principes du droit des fiducies qui s’appliquent à l’exercice par la Couronne du pouvoir conféré par l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 de permettre l’expropriation d’intérêts dans des terres de réserve.

[254]  Le pouvoir conféré par l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 est suffisamment vaste pour permettre l’aliénation du droit des Autochtones. Dans l’arrêt Osoyoos, le juge Iacobucci a conclu au paragraphe 57 qu’« il ressort de l’art. 35 une intention claire et nette de permettre la prise de “tout droit” sur des terres de réserve, droit qui, dans le cadre de la Loi sur les Indiens, comprend nécessairement le droit des Autochtones sur ces terres ». Ainsi, dans les cas où il est nécessaire de prendre tous les droits que possède la Couronne pour réaliser une fin d’intérêt public, la prise de terres prévue à l’article 35 pourrait emporter aliénation du droit des Autochtones sur la réserve. Comme l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 prévoit également la prise de terres de réserve avec le consentement du gouverneur en conseil, l’étendue du pouvoir d’expropriation qu’il confère et les principes du droit des fiducies qui s’appliquent dans un tel cas seraient les mêmes que dans le cas d’une prise effectuée en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 (Osoyoos).

[255]  Dans l’arrêt Osoyoos, le juge Iacobucci a défini les obligations de fiduciaire dans le contexte d’une prise forcée de terres de réserve :

À mon avis, l’obligation de fiduciaire de la Couronne ne se limite pas aux cessions. L’article 35 permet clairement au gouverneur en conseil d’autoriser l’usage de terres de réserve à des fins d’intérêt public. Cependant, une fois qu’il est établi que l’expropriation de terres indiennes est dans l’intérêt du public, la Couronne a l’obligation de fiduciaire de n’exproprier que le droit minimal requis pour réaliser cette fin d’intérêt public et ainsi de faire en sorte que le droit de la bande d’utiliser des terres indiennes et d’en jouir ne subisse qu’une atteinte minimale. Cette obligation est compatible avec les dispositions de l’art. 35, qui confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire absolu de prescrire les modalités de l’expropriation ou du transfert. [...]

Ce processus à deux étapes permet de réduire au minimum toute incompatibilité entre l’obligation de droit public de la Couronne d’exproprier des terres et l’obligation de fiduciaire qu’elle a envers les Indiens dont les terres sont touchées par l’expropriation. Au cours de la première étape, la Couronne agit dans l’intérêt public en décidant que l’expropriation des terres indiennes est requise pour cause d’utilité publique. À cette étape, il n’existe aucune obligation de fiduciaire. Cependant, une fois prise la décision générale d’exproprier naissent alors les obligations de fiduciaire de la Couronne, qui obligent celle-ci à n’exproprier que le droit propre à permettre la réalisation de la fin d’intérêt public tout en préservant autant que possible le droit des Indiens sur les terres visées. [aux para 52–53]

[256]  Il a expliqué que le caractère sui generis du droit des Autochtones servait de fondement à l’obligation d’atteinte minimale :  

Non seulement l’obligation de porter atteinte le moins possible aux droits des Indiens sur les terres de réserve sert-elle à harmoniser l’intérêt du public et celui des Indiens, mais elle est également conforme aux principes qui sous-tendent la règle d’inaliénabilité générale que prévoit la Loi sur les Indiens et qui vise à prévenir l’érosion de l’assise territoriale des Indiens : Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119, par. 52. À la lumière des caractéristiques spéciales des terres de réserve examinées précédemment, notamment le fait que le droit des Autochtones sur ces terres comporte un aspect culturel unique et qu’on ne peut unilatéralement ajouter des terres à la réserve ou remplacer de telles terres, l’argument du procureur général selon lequel l’obligation qu’a la Couronne envers la Bande se limite à verser une indemnité convenable ne saurait être retenu. [Osoyoos, au para 54]

[257]  Toujours dans l’arrêt Osoyoos, la Cour a expliqué que l’interprétation de ce qui, dans un cas donné, a réellement été « pris » par décret en vertu de la Loi sur les Indiens doit être conforme à cette obligation, dans la mesure où elle peut s’appuyer sur la loi.

[258]  La Couronne est présumée avoir agi dans les limites de ses pouvoirs en effectuant le transfert en cause et ses intentions seront interprétées en ce sens (Osoyoos, au para 69). Il faut retenir l’interprétation du décret conforme à l’obligation d’atteinte minimale de la Couronne qui est la plus plausible et appropriée (Osoyoos, aux para 89–90).

E.  Droit requis pour réaliser une fin d’intérêt public

1.  Fin d’intérêt public en l’espèce

[259]  En l’espèce, tout ce que le décret prévoyait, c’était un transfert de terres de réserve pour les besoins d’un chemin de fer. Le décret était précis. Les fins visées étaient l’aménagement d’une emprise de chemin de fer et la construction d’une gare.

[260]  L’interprétation de l’expression « expropriée pour les besoins », à l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, doit respecter les limites de l’obligation de fiduciaire établies dans l’arrêt Osoyoos, à savoir « de n’exproprier que le droit minimal requis pour réaliser cette fin d’intérêt public et ainsi de faire en sorte que le droit de la bande d’utiliser des terres indiennes et d’en jouir ne subisse qu’une atteinte minimale » (italiques ajoutés; au para 52). Ces limites font qu’« une fois prise la décision générale d’exproprier naissent alors les obligations de fiduciaire de la Couronne, qui obligent celle-ci à n’exproprier que le droit propre à permettre la réalisation de la fin d’intérêt public tout en préservant autant que possible le droit des Indiens sur les terres visées » (Osoyoos, au para 53).

2.  Droit limité à celui qui est raisonnablement requis

[261]  L’arrêt Osoyoos traite plus en détail de la nature du droit pouvant être octroyé en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952. Ce droit doit être raisonnablement requis pour réaliser la fin d’intérêt public visée par la prise :

Compte tenu du renvoi aux « pouvoirs mentionnés au paragraphe (1) », le par. 35(3) n’autorise le gouverneur en conseil à octroyer ou à transférer que « [l]es terres » que la province aurait pu prendre en vertu de la loi pertinente, en l’occurrence la Water Act. En d’autres termes, le gouverneur en conseil ne pouvait octroyer que « des domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs » qui étaient « raisonnablement requi(s) » pour les besoins du canal. Cette interprétation est non seulement compatible avec le sens ordinaire de l’art. 35, mais elle est également étayée par le principe d’interprétation qui favorise l’interprétation stricte des lois restreignant les droits des Indiens (voir, plus loin, le par. 67).

Par conséquent, étant donné que, dans les circonstances de la présente affaire, la Water Act est la source du pouvoir d’expropriation, le pouvoir discrétionnaire d’octroyer des « terres » en vertu du par. 35(3) se limitait aux terres ou aux droits y afférents « raisonnablement requi[s] » pour le canal. [aux para 63–64]

[262]  La conclusion tirée dans cet arrêt, selon laquelle aucun intérêt supérieur à celui qui était raisonnablement requis pour le canal ne pouvait être octroyé en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 tenait compte des limites imposées par le libellé de la Water Act, mais il reste qu’une limite plus générale fondée sur « ce qui est raisonnablement requis » est compatible avec l’obligation d’atteinte minimale. La Cour en fait mention dans l’arrêt Osoyoos lorsqu’elle renvoie à l’arrêt Canadien Pacifique c Paul :

Cette conclusion soulève la question de savoir quel type de droits est raisonnablement requis pour le canal. La preuve dont dispose notre Cour est insuffisante pour apporter une réponse claire. Les intimées prétendent que, comme le canal constitue une structure permanente, elles doivent détenir le droit exclusif d’utiliser d’occuper les terres visées. Bien que le canal semble être une structure permanente sur les terres visées, il ne faut pas exagérer l’importance de ce fait. Il n’a été présenté aucun élément de preuve indiquant quel genre de structure est le canal. Essentiellement, il s’agit d’une tranchée en béton. Qui plus est, il est possible d’inférer qu’un fief simple sur les terres en cause n’était pas requis pour la construction du canal puisqu’il n’y a eu aucun transfert de titre au moment de la construction. En outre, étant donné que le canal était déjà construit lorsque le transfert a eu lieu, le droit en question est celui qui est raisonnablement requis uniquement pour l’exploitation et l’entretien du canal. De plus, il est évident que le fief simple n’est pas nécessaire pour l’exploitation et l’entretien du canal, puisque ces activités sont actuellement la responsabilité de la ville d’Oliver, qui semble détenir un certain intérêt à bail sur les terres. Un canal est, de par sa nature, assimilable à un chemin de fer en ce qu’il s’agit de deux structures permanentes aménagées sur le sol et qui impliquent des activités d’exploitation et d’entretien, et notre Cour a jugé que l’octroi d’une servitude légale peut suffire pour la construction et l’entretien d’un chemin de fer (Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, p. 671). Comme il a été mentionné plus tôt, notre Cour doit en règle générale hésiter à retirer des droits fonciers en l’absence de preuve concluante justifiant une telle mesure. [italiques et caractères gras ajoutés; au para 65]

[263]  Rien n’indique en l’espèce que le CN avait besoin d’un droit en fief simple pour réaliser les fins d’intérêt public visées par l’aménagement de l’emprise de chemin de fer et la construction de la gare. Les conclusions tirées dans les arrêts Canadien Pacifique c Paul et Osoyoos soulignent que l’octroi d’une servitude légale peut suffire à ces fins.

3.  Intention claire et nette d’éteindre le droit

[264]  Dans l’arrêt Osoyoos, la Cour suprême du Canada souligne qu’une prise susceptible d’entraîner l’extinction du droit des Autochtones produira ce résultat si l’intention de la Couronne à cet effet est claire et nette :

Premièrement, j’ai signalé plus tôt que, pour qu’il y ait extinction du droit des Autochtones sur des terres de réserve, l’intention de la Couronne à cet effet doit être claire et nette. [au para 67]

[265]  Dans l’arrêt R c Sparrow, [1990] 3 CNLR 160, à la p 12 [Sparrow] (QL), la Cour suprême du Canada reprend la même idée : pour éteindre un droit indien, l’intention de la Couronne doit être claire et nette.

[266]  L’intimée soutient que le CN a acquis, en vertu de l’alinéa 17(2)c) de la Loi des CFN de 1929, un droit en fief simple absolu.

[267]  Il s’ensuit que le droit sui generis de la revendicatrice aurait été éteint par l’octroi d’un droit en fief simple.

[268]  Il incombe à la Couronne de prouver l’extinction de ce droit (Sparrow).

[269]  Si, après avoir analysé les termes clés de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 et le décret CP 1913-916 daté du 10 mai 1933, il ne ressort pas du transfert que la Couronne avait une intention claire et nette d’éteindre le droit des Autochtones sur les terres de réserve, la revendicatrice n’a pas à invoquer le paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer de 1927 pour affirmer que son droit sur les terres « prises » n’a jamais été éteint.

4.  Principes d’interprétation des textes autorisant la « prise »

[270]  Lorsque les termes employés dans les textes réglementaires qui autorisent les prises de terres sont ambigus, « il faut retenir [l’interprétation] qui porte atteinte de façon minimale aux droits des Indiens, dans la mesure où l’ambiguïté est réelle et où l’interprétation favorable aux droits des Indiens peut raisonnablement s’appuyer sur la loi, compte tenu des objectifs visés par celle-ci » (Osoyoos, au para 68, appliquant Nowegijick c La Reine, [1983] 1 RCS 29, 1983 CarswellNat 123 [Nowegijick] et Mitchell c Bande indienne Peguis, [1990] 2 RCS 85 [Mitchell] (QL)). Cela est d’autant plus vrai lorsque le pouvoir légal est restreint et que l’intention qui sous‑tend la prise n’est pas claire et nette. Même en l’absence des obligations de fiduciaire particulières qui prennent naissance lors de la prise de terres de réserve, les facteurs énoncés dans les arrêts Nowegijick et Mitchell, ainsi que l’approche en matière d’expropriation qui se reflète de manière plus générale dans le droit canadien, s’appliquent.

[271]  Il ressort clairement de ce qui précède qu’une « prise » de terres de réserve autorisée par un décret du gouverneur en conseil pris en vertu de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 n’éteint pas nécessairement le droit de la bande ou le titre de la Couronne sur lequel repose le statut de réserve. L’arrêt Osoyoos enseigne qu’il faut examiner le régime législatif applicable pour en dégager les ambiguïtés ainsi que les restrictions qu’il impose, et qu’il faut l’interpréter de manière à préserver, dans la mesure du possible, le droit sous‑jacent des Autochtones. Il a été jugé que les termes « expropriée », « terres » et « droit de passage » sont ambigus quant à l’étendue du droit cédé (Squamish, BCSC; Osoyoos, au para 82, à propos du « droit de passage »). Comme je l’ai déjà mentionné, le terme « transfert » est ambigu puisqu’il peut s’entendre, aux termes du paragraphe 48(2) de la Loi des Indiens de 1927, de l’expropriation des « terres ou [de] l’acquisition d’un intérêt dans ces terres ».

5.  Intention de la Couronne et obligation de fiduciaire

[272]   Au sujet de l’expropriation, le juge Iacobucci a dit ce qui suit au paragraphe 43 de l’arrêt Osoyoos, citant les arrêts St. Mary’s et Apsassin :

Les tribunaux « doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law » afin de donner effet à l’objet véritable des opérations relatives aux terres de réserve […] Cette règle s’applique tant au but visé par la Couronne lorsqu’elle concède à un tiers un droit sur des terres de réserve qu’à l’intention de la bande indienne qui cède des terres à la Couronne.

[273]  Il faut examiner l’intention qu’avait la Couronne à la lumière des obligations de fiduciaire applicables. Pour répondre à la question de savoir si les pouvoirs que l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 confère à la Couronne sont limités par les obligations de fiduciaire qui lui incombent, plus particulièrement l’obligation d’atteinte minimale, il faut d’abord reconnaître que le droit des Autochtones est un droit sui generis.

[274]  Dans l’arrêt Osoyoos, la loi conférant les pouvoirs d’expropriation (la Water Act) permettait la prise des « domaines, droits, intérêts ou servitudes relatifs [aux terres] » (au para 60). Selon le juge Iacobucci, le droit pris devait être « raisonnablement requis » pour le canal (au para 61). Il pouvait donc s’agir d’un droit inférieur à la totalité du droit de la Couronne.

[275]  Il faut comprendre qu’en transférant les terres aux fins d’une « emprise », la Couronne n’entendait conférer que le droit minimal requis pour réaliser la fin d’intérêt public visée. Rien ne permet de penser que le CN avait besoin d’un titre en fief simple absolu pour construire et exploiter un chemin de fer et une gare. On ne saurait non plus l’inférer. Cela ressort clairement de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Osoyoos, où la Cour était divisée sur la nature du droit raisonnablement requis pour les ouvrages à caractère permanent. En dissidence, le juge Gonthier a dit ce qui suit :

Je conclus que, par suite de la prise du décret par le gouvernement fédéral, Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique a obtenu la pleine propriété des terres sur lesquelles est situé le canal d’irrigation. J’estime que cette conclusion, qui découle d’une simple lecture du décret, est confirmée par la prise en compte de ce qui est raisonnablement et pratiquement requis pour la construction et l’entretien d’un canal d’irrigation. Je ferais remarquer, brièvement, que le canal est fait de béton et domine entièrement la parcelle de terrain sur laquelle il est situé, à l’exclusion de tout autre usage. À cet égard, un canal est comme une autoroute ou un chemin de fer, plutôt que comme un pipeline qui est construit sous terre ou une ligne de transport d’énergie ou de transmission qui occupe principalement l’espace aérien. Il est clairement raisonnable de prendre des terres en pleine propriété pour les besoins d’un canal. [italiques ajoutés; au para 188]

[276]  Le juge Iacobucci n’a pas adopté l’opinion minoritaire et, s’exprimant au nom de la majorité, il a cité, au paragraphe 65, l’arrêt Canadien Pacifique c Paul, page 671,comme fondement pour conclure qu’« [u]n canal est, de par sa nature, assimilable à un chemin de fer en ce qu’il s’agit de deux structures permanentes aménagées sur le sol et qui impliquent des activités d’exploitation et d’entretien, et notre Cour a jugé que l’octroi d’une servitude légale peut suffire pour la construction et l’entretien d’un chemin de fer ».

6.  Ambiguïté des termes et préservation du droit des Autochtones

[277]  Le paragraphe 48(2) de la Loi des Indiens de 1927 prévoit « l’expropriation des terres ou l’acquisition d’un intérêt dans ces terres ». Ce passage crée une ambiguïté quant à savoir si le droit transféré était un droit de propriété limité de la nature d’une servitude ou s’il s’agissait de la totalité du droit de propriété de la Couronne.

[278]  La conclusion selon laquelle le transfert n’a pas eu pour effet d’éteindre le droit de Makwa sur les terres de la réserve cadre avec la directive donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt St. Mary’s suivant laquelle les principes traditionnels du droit des biens en common law ne peuvent pas s’appliquer quand la préservation du droit sui generis des Autochtones sur des terres de réserve est en jeu. En outre, vu le caractère sui generis des droits autochtones, il est peut‑être préférable d’appliquer une approche non formaliste pour l’interprétation du décret et de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 (Osoyoos, au para 70).

[279]  Il serait contraire aux principes de droit énoncés dans l’arrêt Osoyoos d’appliquer les règles traditionnelles du droit des biens de manière à atteindre le résultat souhaité par l’intimée. Il s’ensuivrait que le CN pourrait utiliser les terres à une fin autre que la fin précise visée par la prise. Ce n’est pas là le résultat voulu.

[280]  Comme le transfert des terrains de la gare était lié aux objectifs de construction d’un chemin de fer du CN, la Couronne ne peut pas avoir eu l’intention de céder un droit qui aurait écarté complètement le droit sui generis des Autochtones.

XI.  CONSERVATION du droit Sui Generis des AUTOCHTONES SUR les terres transférées

A.  « Rétablissement » du droit des Autochtones

[281]  Dans l’arrêt Squamish, BCSC, le juge Saunders a examiné l’effet de l’abandon des terres prises à des fins ferroviaires : 

[traduction] Je conclus donc que le plan de construction des bureaux du CFCP ne permet pas au CFCP de conserver cette propriété. Les plans du CFCP ont été versés en preuve et montrent notamment la cessation de tout trafic ferroviaire sur le lot J, et la cessation imminente du trafic ferroviaire sur le bloc I. Les plans ont été élaborés il y a un certain temps et ils se sont soldés par l’abandon de la ligne ferroviaire et le retrait de la voie. Il n’est pas prématuré de dire que la propriété du lot J est retournée à la Couronne et que la propriété du lot I retournera également à la Couronne une fois que le service ferroviaire aura cessé. [au para 258]

[282]  Le juge Saunders s’est intéressé au droit de la bande indienne de Squamish après la réversion de la propriété des terres à la Couronne :

[traduction] Est-il donc possible qu’en statuant sur le droit du CFCP, le statut de réserve soit rétabli? La bande indienne de Squamish soutient que c’est le cas et renvoie à l’arrêt Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville)[1997] 2 R.C.S. 657. Cet arrêt concernait une réserve dont une partie avait été cédée en 1966 afin d’être vendue et utilisée comme aéroport municipal. La cession comportait une clause selon laquelle les terres retourneraient à la bande indienne si elles n’étaient plus utilisées à des fins d’utilité publique. Ayant déterminé que les terres n’étaient pas des « terres désignées » au sens de la Loi sur les Indiens, le juge en chef Lamer a conclu qu’elles avaient été cédées à titre conditionnel. Dans ses motifs, il a reconnu, à la page 393, qu’une cession à titre absolu peut être assortie de conditions. À mon avis, la logique voudrait que, même si une cession, suivie d’une vente, semble mettre fin au droit de propriété et à l’utilisation requises pour qualifier des terres de terres de réserve, les conditions assortissant la cession, si elles sont respectées, permettraient de rétablir le statut de réserve. Peut-être pouvons-nous examiner la question à travers le prisme du temps. Dans l’immédiat, les terres ne sont pas des terres de réserve, et pourtant, les vestiges de leur détention à l’usage et au profit à long terme des Indiens demeure parce qu’il n’y a pas d’intention expresse, ou d’obligation légale, de transférer cette détention à l’usage et au profit à long terme à une autre partie — dans ce cas, le Canada. [au para 216]

[283]  Peu importe que le pouvoir d’expropriation du CN dans la présente affaire soit différent de celui de la compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique dans l’affaire Squamish, BCSC, les conclusions tirées par le juge Saunders s’appliquent en l’espèce puisque les prises de terres effectuées en faveur du CN n’ont pas eu pour effet d’éteindre le droit sui generis de Makwa sur ses terres de réserve.

[284]  Le juge Saunders a conclu que la réversion du titre au Canada avait rétabli le droit des Autochtones sur les terres de réserve. Le droit de la Couronne sur les terres était assujetti à une fiducie résultoire.

[285]  La décision rendue dans l’arrêt Squamish, CA, par laquelle la Cour d’appel a rejeté l’appel de la décision du juge de première instance, n’a ni confirmé ni rejeté la conclusion du juge Saunders selon laquelle le droit de la bande indienne de Squamish avait été rétabli :

[traduction] En résumé, je ne dis pas que l’interprétation faite par le juge de première instance des lois et du concept du rétablissement du statut de réserve est erronée, mais je ne peux pas non plus affirmer qu’elle est correcte. [au para 129]

[286]  La question de l’effet de l’obligation de fiduciaire sur les droits octroyés en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 n’a pas été examinée par les tribunaux dans l’affaire Squamish Indian Band. La question de l’existence continue du droit des Autochtones a été tranchée dans l’arrêt Osoyoos, alors que la Cour a conclu que ce droit survit à la cession d’un intérêt, apparemment en fief simple, lorsque la fin d’utilité publique visée par cette cession ne nécessite pas son extinction. Le concept du rétablissement ne s’applique pas si le droit n’a pas été éteint. Il incombe à la Couronne d’en prouver l’extinction.

[287]  En l’espèce, le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel l’extinction du droit des Autochtones était nécessaire pour réaliser la fin d’intérêt public pour laquelle les terres avaient été octroyées.

B.  Abandon du droit du CN

[288]  Les travaux sur la voie ferrée ont cessé le 3 mars 1932, date à laquelle le CN a annulé son contrat de construction avec Tomlinson Construction Ltd. Le 22 mars 1932, le CN a écrit au ministère des Affaires indiennes pour l’aviser que la construction de la ligne de chemin de fer avait été suspendue indéfiniment. La voie ferrée n’avait pas été construite. Le 21 décembre 1933, le CN a informé le MAI qu’il abandonnait la construction de la ligne secondaire et du lotissement urbain. Le MAI savait qu’il était possible que la ligne de chemin de fer ne soit pas construite. Le 10 mai 1933, malgré cette incertitude, le surintendant général des Affaires indiennes a recommandé au gouverneur en conseil d’octroyer des parcelles de terres de réserve au CN pour la construction d’un chemin de fer et d’une gare.

[289]  Étant donné l’incertitude entourant la construction du chemin de fer, le MAI devait faire preuve de prudence. Si le chemin de fer n’était pas construit, la fin d’utilité publique de l’octroi de terres auquel il avait consenti n’existait plus.

[290]  En date du 10 mai 1933, aucune fin d’utilité publique ne justifiait la « prise » puisqu’on ignorait si le chemin de fer allait être construit. Dès l’abandon de facto du projet de chemin de fer, le 21 décembre 1933, la fin d’utilité publique visée par la « prise » a cessé d’exister.

[291]  Au paragraphe 48 de l’arrêt Semiahmoo, le juge en chef Isaac a conclu que la Couronne avait manqué à son obligation de fiduciaire en consentant à la cession puisque la cession n’avait pas été effectuée « à des fins publiques en temps opportun » :

Cela étant, je conclus que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que la Couronne avait manqué à son obligation fiduciaire en consentant à la cession de 1951. Le spectre de l’expropriation a clairement eu un effet défavorable sur la capacité de la bande de protéger ses propres intérêts lors des « négociations » qui ont abouti à la cession. La Couronne doit avoir une certaine latitude aux fins de la planification de l’utilisation des terres, lorsqu’elle cherche activement à obtenir la cession de terres indiennes à des fins publiques, mais elle doit veiller à porter le moins possible atteinte aux droits de la bande indienne touchée et notamment veiller à ce que la cession soit effectuée à des fins publiques en temps opportun. Dans ces conditions, la Couronne était clairement tenue de protéger la bande contre un marché abusif en refusant de consentir à une cession absolue qui comportait la prise de terres de réserve dont on n’avait pas besoin à des fins publiques dans un avenir rapproché. [souligné dans l’original; au para 48]

[292]  L’exercice par le gouverneur en conseil de son pouvoir d’autoriser l’expropriation de terres de réserve à des fins d’utilité publique précises ne donne naissance à aucune obligation de fiduciaire (Osoyoos, au para 53). Sans doute que la prémisse qui sous‑tend cette conclusion est qu’il existe un objectif d’intérêt public valable à la prise.

[293]  En l’espèce, à l’instar de l’arrêt Semiahmoo, comme le droit acquis par le CN n’allait servir, en date du 10 mai 1933, aucune fin d’intérêt public en temps opportun, la Couronne se trouvait à manquer à son obligation de fiduciaire. Dans l’arrêt Semiahmoo, le manquement résidait dans l’acceptation de la cession par le gouverneur en conseil. En l’espèce, ce dernier prévoyait transférer les terres à des fins publiques qui ne se réaliseraient peut-être jamais puisque le CN avait mis « en suspens » son intention de construire la ligne de chemin de fer et la gare. En fait, la prise dont il est question en l’espèce est plus choquante que celle de l’affaire Semiahmoo puisque l’acquisition des terres par le CN découlait d’une mesure unilatérale prise par la Couronne en vertu de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927. Contrairement aux cas de cession, le consentement de la bande n’était pas requis. Le pouvoir discrétionnaire de la Couronne n’était pas restreint par la nécessité d’obtenir le consentement de la bande, et la bande était complètement vulnérable.

[294]  La Couronne a le pouvoir discrétionnaire et l’obligation de ne pas accepter une cession soumise au vote des membres d’une bande s’il est évident que la vente des terres est abusive ou autrement inconsidérée. Il en va de même en cas d’expropriation. L’obligation d’empêcher que la bande se fasse exploiter s’applique, à tout le moins, puisque le pouvoir discrétionnaire de la Couronne n’est pas restreint par la nécessité d’obtenir le consentement de cette dernière.

[295]  Si le titre avait été transféré au CN en fief simple sans droit de réversion explicite advenant que les fins publiques précisées ne se réalisent pas, la Couronne aurait manqué à son obligation de protéger la bande contre l’exploitation découlant de la diminution de son assise territoriale. Grâce à un transfert de terres en fief simple, le CN aurait pu abandonner la fin publique visée par l’octroi et utiliser à son gré les terres à des fins autres que ferroviaires, dont la vente. Comme la Couronne savait que le chemin de fer ne serait peut-être jamais construit, le transfert d’un droit sur les terres constituait un manquement à son obligation. Quand le CN a officiellement abandonné son projet de ligne secondaire et de lotissement urbain, le 21 décembre 1933, il ne faisait aucun doute que les fins visées par l’octroi n’existaient plus.  

[296]  Comme il était connu que le chemin de fer risquait de ne jamais être construit, une réparation fondée sur le fait qu’il n’a pas été construit ne peut s’appuyer sur une analyse rétrospective. En date du 10 mai 1933, il y avait un besoin prévisible, mais il était aussi prévisible que le besoin ne serait jamais comblé. La Couronne, en tant que fiduciaire, était tenue de protéger le droit des Autochtones sur la réserve jusqu’à ce qu’elle sache si l’intérêt public requérait que les terres de réserve soient transférées au CN. La Couronne a manqué à son obligation en transférant les terres avant de savoir si les fins publiques visées par le transfert se réaliseraient.

[297]  En l’espèce, comme dans l’affaire Apsassin, la Couronne était tenue d’annuler la vente en vertu de l’article 64 de la Loi des Indiens de 1927, pour violation de la condition selon laquelle les terres devaient être utilisées à des fins ferroviaires :

64. Si le surintendant général s’est assuré qu’un acquéreur ou affermataire de terres indiennes, ou qu’un individu revendiquant du chef de ce dernier ou par son fait, s’est rendu coupable de fraude ou de supercherie, ou a enfreint quelqu’une des conditions de la vente ou de l’affermage, ou si quelque vente a été faite ou si quelque affermage a été accordé par méprise ou par erreur, il peut annuler cette vente ou cet affermage et reprendre possession de la terre y mentionnée, ou en disposer comme si cette vente ou cet affermage n’eût jamais eu lieu.

[298]  Quoi qu’il en soit, il ne resterait aucun droit sur les terres qui pourrait porter atteinte à la capacité de la revendicatrice de jouir de son droit légal de possession.

XII.  Conclusion

[299]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le droit acquis par le CN n’était, selon la Loi des chemins de fer de 1927, qu’un droit de la nature d’une servitude légale. Sans égard à la question de savoir si le pouvoir en vertu duquel ce droit a été acquis était conféré par la Loi des CFN et la Loi des expropriations ou par la Loi des chemins de fer, l’intention de la Couronne quant à la nature dudit droit doit, à la lumière des faits constatés, être interprétée en tenant compte de la nature sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve et des obligations de fiduciaire qui incombent à la Couronne. Le résultat est le même : le droit du CN était de la nature d’une servitude. Si la prise a eu pour effet de transférer entièrement le droit de la Couronne, alors celle‑ci a manqué à son obligation de fiduciaire qui consistait à préserver le droit de Makwa sur ses terres de réserve jusqu’à ce qu’il soit clair que le CN procéderait à la construction du chemin de fer.

XIII.  résumé des conclusions : prise de terres à des fins ferroviaires, 1933

A.  Pouvoir légal de prendre des terres de la Couronne réservées aux Autochtones

1.  Application du cadre législatif

[300]  Dans l’exercice présumé du pouvoir conféré par l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, le décret CP 1913-916 daté du 10 mai 1933 a transféré au CN 46,67 acres de terres situées dans la réserve indienne de Makwa nº 129B en vue de la construction d’un chemin de fer et d’une gare. La loi présumée applicable en cas de prise de terres était la Loi des CFN de 1929.

[301]  Trois lois sont en cause : la Loi des chemins de fer, la Loi des CFN et la Loi des expropriations. Le paragraphe 17(1) de la Loi des CFN de 1929 prévoit que les dispositions de la Loi des chemins de fer de 1927 s’appliquent, sauf les dispositions qui sont inconciliables avec celles de la Loi des CFN et celles de la Loi des expropriations de 1927.  

[302]  Les terres en question sont des terres de réserve et sont donc, par définition, des terres appartenant à la Couronne (Canada).

[303]  La Loi des expropriations ne permet pas la prise des terres de la Couronne (Canada).

[304]  L’article 189 de la Loi des chemins de fer de 1927 permet expressément la prise par une compagnie de chemin de fer d’un droit sur les terres de la Couronne (Canada).  

[305]  L’article 192 de la Loi des chemins de fer de 1927 permet expressément la prise de terres de réserve.

[306]  En outre, comme ni la Loi des CFN ni la Loi des expropriations ne prévoit la prise de terres de la Couronne (Canada) ou la prise de terres de réserve, il n’y a aucune incompatibilité et les articles 189 à 192 de la Loi des chemins de fer de 1927 s’appliquent.

2.  Aliénation des terres de la Couronne acquises en vertu de la Loi des chemins de fer

[307]  Aux termes du paragraphe 189(3) de la Loi des chemins de fer de 1927, un droit sur des terres de la Couronne ayant été prises à des fins ferroviaires ne peut pas être aliéné.

[308]  Par conséquent, comme la Cour l’a conclu dans l’affaire Matsqui, le paragraphe 189(3) s’applique de façon à ce que le droit sur les terres de réserve acquis par le CN se limite à un droit de la nature d’une servitude légale.

B.  Extinction du droit sui generis des Autochtones sur les terres de réserve

[309]  Aux termes de la Loi des CFN et de la Loi des expropriations, le dépôt d’un plan au bureau des titres fonciers suffit pour prendre les terres décrites sur le plan. S’il ne contient pas de termes restrictifs, le droit acquis est illimité.

[310]  Si l’on présume que la loi habilitante était celle susmentionnée, la « prise » n’a pas eu lieu au moment où le CN a déposé son plan auprès du bureau des titres fonciers à Battleford puisque le gouverneur en conseil n’avait pas préalablement autorisé le CN à exercer son pouvoir de prendre des terres.

[311]  D’après les faits de l’espèce, le CN a acquis un droit par « transfert », suivant les termes du décret CP 1913–916 daté 10 mai 1933 et pris en vertu de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927.

[312]  En résumé, le CN n’a pas acquis son droit dans le cadre de l’exercice de l’alinéa 17(2)c) de la Loi des CFN de 1929. L’acquisition de ce droit découlait du décret daté du 10 mai 1933, par lequel un droit sur les terres de la réserve lui était « transféré ».

[313]  L’interprétation de la nature du droit acquis par voie de transfert met en cause les obligations de fiduciaire de la Couronne. Celles‑ci tirent leur origine du droit sui generis des Autochtones sur les terres de réserve.

[314]  Le mot « expropriée », qui figure à l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927, ne signifie pas nécessairement qu’il y a aliénation complète du droit que possède la Couronne.

[315]  Dans l’arrêt St. Mary’s, le juge en chef Lamer a fait une mise en garde contre l’application des « règles traditionnelles du droit des biens » dans les affaires qui touchent le caractère sui generis des « droits fonciers des autochtones » (au para 14).

[316]  La Couronne avait l’obligation de fiduciaire de porter le moins possible atteinte au droit des Autochtones sur la réserve. Cette obligation s’accorde avec le caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve (Osoyoos).

[317]  Une compagnie de chemin de fer n’a pas nécessairement besoin d’un droit en fief simple pour construire un chemin de fer. Une servitude légale peut suffire (Canadien Pacifique c Paul, cité dans l’arrêt Osoyoos).

[318]  Le droit des Autochtones sur des terres ne peut pas être éteint en l’absence d’une intention claire et expresse en ce sens (Sparrow). Après avoir analysé les termes clés de l’article 48 de la Loi des Indiens de 1927 et le décret CP 1913–916, daté du 10 mai 1933, j’estime qu’il ne ressort pas du transfert que la Couronne avait une intention claire et nette d’éteindre le droit des Autochtones sur les terres de réserve. Lorsque les termes employés dans les textes réglementaires qui autorisent les prises de terres sont ambigus, il faut retenir l’interprétation qui porte le moins atteinte possible aux droits des Autochtones (Osoyoos, au para 68, appliquant Nowegijick et Mitchell).

[319]  Le droit des Autochtones survit à la cession d’un intérêt, apparemment en fief simple, lorsque la fin d’utilité publique visée par cette cession ne nécessite pas son extinction.

[320]  Étant donné qu’il n’est pas nécessaire de détenir un droit en fief simple sur des terres pour que des ouvrages ferroviaires puissent s’y trouver, et compte tenu de l’application des principes fiduciaires, un droit inférieur a été transféré par décret.

C.  Manquement à l’obligation de fiduciaire

[321]  Comme le droit acquis par le CN n’allait servir, en date du 10 mai 1933, aucune fin d’intérêt public en temps opportun, la Couronne se trouvait à manquer à son obligation de fiduciaire (Semiahmoo).

[322]  La Couronne, en tant que fiduciaire, était tenue de protéger le droit des Autochtones sur la réserve jusqu’à ce qu’elle sache si l’intérêt public requérait que les terres de réserve soient transférées au CN. La Couronne a manqué à son obligation en transférant les terres avant de savoir si les fins publiques visées par le transfert se réaliseraient.

[323]  En l’espèce, comme dans l’affaire Apsassin, la Couronne était tenue d’annuler la vente en vertu de l’article 64 de la Loi des Indiens de 1927.

D.  Rétablissement du droit de Makwa d’utiliser et posséder les terres

[324]  Les terres prises pour la gare et l’emprise ont été transférées à d’autres entités entre 1975 et 1990. Dès que le CN a abandonné son projet de construire un chemin de fer sur les terres, le droit de Makwa d’utiliser et posséder les terres a été rétabli.

XIV.  décision

[325]  Les terres prises pour la gare et l’emprise ont été transférées à d’autres entités entre 1975 et 1990. Le statut juridique de ces intérêts n’est pas remis en question en l’espèce. La question que le Tribunal doit trancher est de savoir si la revendicatrice a établi le bien‑fondé de sa revendication au regard du paragraphe 14(1) de la LTRP.

[326]  J’estime que la revendicatrice a établi les faits à l’appui de sa revendication pour ce qui est des motifs liés à l’emprise de chemin de fer et à la gare, qui relèvent des alinéas 14(1)c) et d) :

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve; […]

XV.  ALIÉNATIONS de terres de réserve, 1935–1939

A.  Cession de 1935 pour l’église

[327]  En septembre 1933, le diocèse anglican de la Saskatchewan a demandé au MAI des renseignements [traduction] « sur les conditions auxquelles l’église pourrait obtenir cette parcelle de terre » (RCD, liste de documents supplémentaires, vol 3, SUPP-00290). Un représentant a renvoyé la question à l’agent des Indiens de la région [traduction] « afin d’avoir l’opinion des Indiens » (RCD, liste de documents supplémentaires, vol 2, SUPP-00248).

[328]  La revendicatrice ne cherche pas à obtenir une réparation auprès du Tribunal à l’égard de cette opération et de celle examinée ci-après. Toutefois, la preuve qui a été présentée s’applique aux questions qui demeurent en litige dans la mesure où elle illustre la persistance avec laquelle le MAI a amené la bande à mettre des terres à la disposition du village. Hill a communiqué avec les [traduction] « Indiens de Loon Lake » au sujet de la possibilité de céder des terres pour la construction d’une église. Le 19 novembre 1934, l’agent des Indiens a rapporté que [traduction] « [p]endant les quinze derniers mois, j’ai consulté les Indiens au moins trois fois relativement à cette affaire, mais la majorité d’entre eux ne souhaitaient pas céder davantage de terres à quelque fin que ce soit – ils étaient mécontents de ce qui s’était passé avec le lotissement urbain et le chemin de fer » (RCD, liste des documents supplémentaires, vol 1, SUPP-0070). L’agent des Indiens a plus tard déclaré que [traduction] « le 17e jour du mois courant, j’ai de nouveau visité la réserve et rencontré les Indiens lors d’une réunion. Ils étaient tous présents et ils ont voté à l’unanimité en faveur de la cession d’une acre » (RCD, liste des documents supplémentaires, vol 1, SUPP-00070).

[329]  Le 16 juillet 1935, l’agent des Indiens a rencontré la bande et a tenu un vote officiel quant à la cession d’une acre de terre aux fins de location. Il a rapporté que quinze membres avaient voté en faveur de la cession, que trois s’y étaient opposés et qu’il y avait trois absents. Le 17 septembre 1935, la Couronne a accordé un bail par lequel elle louait au synode du diocèse de la Saskatchewan des terres en vue de la construction et de l’exploitation d’une église anglicane.

B.  Cession de 1938 pour la Croix-Rouge

[330]  En octobre 1933, l’agent des Indiens J. T. Hill fait état de la présence de squatteurs sur le lotissement urbain de Loon Lake et de celle de l’hôpital de la Croix-Rouge à l’extérieur du lotissement urbain qui avait été arpenté. Après avoir été invité à faire rapport de la situation en 1935, l’inspecteur Murison a indiqué que l’hôpital de la Croix-Rouge avait conclu un contrat de location avec le ministère et qu’il était impossible de relocaliser l’hôpital puisqu’aucun lot n’était disponible.

[331]  La bande de Loon Lake a voté en faveur de la cession en vue de la vente de 2,17 acres de terres à la Société de la Croix-Rouge le 15 octobre 1938 à un prix symbolique de 1 $. La revendicatrice ne cherche pas à obtenir une réparation auprès du Tribunal pour cette opération.

C.  Cession de 1939 pour l’agrandissement du lotissement urbain

[332]  Dans une lettre adressée à l’agent des Indiens Hill, datée du 10 août 1935, M. Kershaw, le secrétaire de la Local Ratepayers Association of Loon Lake (association locale des contribuables de Loon Lake), a demandé au ministère d’ajouter l’équivalent de cinq pâtés de maisons au lotissement urbain de Loon Lake, soutenant qu’il semblait y avoir une forte demande pour des lots et que cet agrandissement serait bénéfique pour le ministère.

[333]  Le 29 août 1935, l’agent des Indiens Hill a transmis cette demande au ministère en précisant que la demande était justifiée et que l’ajout demandé permettrait de répondre aux besoins de la ville pendant longtemps. Le ministère n’a pas donné suite à cette demande.

[334]  Dans une lettre datée du 24 mars 1939, la Chambre de commerce de Loon Lake a demandé au ministère d’agrandir le lotissement urbain. Le 11 avril 1939, M. Caldwell, chef de la Division des réserves, a transmis cette demande au DRobertson, inspecteur des agences indiennes, afin qu’il fasse une recommandation à ce sujet.

[335]  Le 9 mai 1939, l’agent des Indiens Hill a recommandé de consentir à la demande de la Chambre de commerce de Loon Lake. Il a informé Robertson que des « squatteurs » occupaient certains des lots visés par l’ajout proposé. De nouveaux bâtiments avaient été construits sur la réserve.

[336]  Selon Hill, 14 lots arpentés sur les terres cédées n’avaient toujours pas été vendus. Cependant, tous ces lots, à l’exception de trois, étaient occupés par des squatteurs, qui y avaient érigé des bâtiments.  

[337]  Le 17 août 1939, la bande a, en présence de l’agent des Indiens Hill, voté en faveur d’une cession de 17,08 acres de la RI nº 129B pour agrandir le lotissement de Lake Loon. Le « chef Peepeekoot », Bear Boy et le témoin, John, ont signé les documents nécessaires en y apposant un « x » en guise de signature (nom de famille du témoin illisible; RCD, vol 1, MAK-000090). La copie de la liste électorale, certifiée le 17 août 1939, montre que 24 personnes étaient admissibles à voter, et que 21 étaient présentes et avaient voté en faveur de la cession.

[338]  Hill a aussi déclaré que des améliorations avaient été construites sur la terre visée par l’agrandissement proposé. Trois des lots en question, dont un était occupé par la Légion Royale canadienne et les deux autres par deux membres de la communauté, ont été vendus à leurs occupants en 1943. Ils occupaient déjà la terre avant la cession de 1939 et y avaient construit des améliorations permanentes, ce dont le MAI était au courant. Le 23 juillet 1940, le secrétaire du MAI a écrit à Donald Cameron, le commis responsable de l’agence indienne, pour l’informer de ce qui suit :

[traduction] Il semblerait que vous ayez reçu 15 $ de la part du DJ. D. Grandy, 15 $ de la part de M. J. Craig et 3 $ de la part de la Légion canadienne de Loon Lake. Les privilèges dont jouissent ces derniers ne sont pas protégés par un permis ou par un bail, et il faudrait prendre les mesures nécessaires pour régulariser la situation dès maintenant.

Je suggère donc que vous demandiez au DJ. D. Grandy, à M. J. Craig et à la Légion canadienne de Loon Lake de présenter chacun une demande de permis ou de bail. Vous pourrez ensuite nous transmettre ces demandes avec une recommandation quant aux modalités à prévoir. Cela devrait être fait le plus tôt possible. [RCD, vol 1, MAK-000094]

[339]  La terre cédée n’avait pas encore été subdivisée en lots. Il semblerait que ce soit la raison pour laquelle le secrétaire a proposé que des baux ou des permis soient consentis aux trois squatteurs.

[340]  La terre cédée a été subdivisée et, en 1950, tous les lots avaient été vendus.

[341]  Bien qu’un arpenteur embauché par le MAI ait dit que les lots valaient entre 115 $ et 400 $, tous les lots, à l’exception des trois qui avaient été vendus en 1943, ont été vendus pour un prix oscillant entre 50 $ et 85 $ en 1950.

[342]  La cession a été confirmée par le décret CP 1958–1061 le 31 juillet 1958, mais elle était antidatée au 1er septembre 1939, et ce, probablement dans le but de protéger les droits de ceux qui avaient acheté des lots de la terre cédée. La revendicatrice ne conteste pas la légalité de cette mesure.

D.  Analyse, cession de 1939

1.  Manquement à l’obligation de fiduciaire antérieur à la cession

[343]  La revendicatrice soutient que les cessions susmentionnées ne respectaient pas les exigences de la Loi sur les Indiens ou qu’elles ont été viciées par la conduite inappropriée de la Couronne à tel point qu’elles doivent, en ce qui concerne la revendicatrice et la Couronne, être déclarées invalides comme si elles avaient été effectuée sans autorisation légale ou, à tout le moins, comme si les mesures prises pour les obtenir contrevenaient à l’obligation de fiduciaire à laquelle la Couronne était tenue. L’intimée soutient que les cessions respectaient les exigences de la Loi sur les Indiens relatives aux cessions.

[344]  Le processus suivi pour procéder aux cessions de 1932 et 1939 respectait essentiellement les exigences procédurales de la Loi des Indiens, qui ont été jugées impératives dans l’arrêt Apsassin. La cession de 1932 ne saurait être considérée comme valide, car elle est viciée par les mesures prises par le MAI, lequel était fermement résolu à ce qu’elle se fasse.

[345]  La revendicatrice fonde son argument sur les manquements commis dans le cadre de la cession de 1932. Elle soutient donc que, n’eût été la cession de 1932, il n’y aurait aucun lotissement urbain puisque l’existence d’un tel lotissement tient à l’occupation légitime et légale des parcelles de terre par des membres d’une même communauté. La cession de 1932 était viciée au point qu’elle ne pouvait pas être considérée comme une expression de la véritable intention de la bande. L’autre cession, qui visait à obtenir d’autres terres aux mêmes fins, est également viciée et, qu’elle respecte ou non les exigences procédurales de la Loi des Indiens, elle doit être considérée comme ayant été obtenue d’une manière qui contrevient à l’obligation de fiduciaire de la Couronne.

[346]  L’intimée soutient s’être acquittée de son obligation de fiduciaire qui, avant la cession, se limitait à prévenir les marchés abusifs. Elle affirme que la Première Nation savait qu’elle pouvait refuser de céder la terre. Elle ajoute qu’il y avait un bon marché pour la terre et que la vente des lots générerait des revenus pour la Première Nation.

[347]  Le seul moyen de légaliser l’occupation illicite des squatteurs était de céder la terre ainsi occupée. Sans une cession valide, les squatteurs auraient poursuivi leur occupation illicite, en contravention des articles 34 et 35 de la Loi des Indiens de 1927. Aucun titre n’aurait pu leur être consenti et le MAI aurait été obligé de les expulser.

[348]  Au vu des circonstances entourant la cession de 1939, il convient de se demander quels intérêts ont été servis par la cession de la terre visant à agrandir le lotissement urbain. La réponse est les intérêts des squatteurs, plus particulièrement ceux des agents de la Légion Royale canadienne, du docteur de la région et d’un autre membre de la communauté — lesquels avaient tous construit des améliorations permanentes sur la réserve. Encore une fois, tout comme en 1932, la cession libérait le MAI de son obligation de régler le problème des intrus.

[349]  Les dossiers du MAI ne contiennent aucune information sur ce qui a été discuté à l’interne par rapport aux intérêts de la bande et ils ne permettent pas de savoir s’il a été question de l’obligation de la Couronne de protéger les intérêts de la bande face à l’intrusion des colons. Parce qu’il a commis une faute dans l’exercice de sa charge publique, le MAI s’est retrouvé en 1939 à peu près dans la même situation qu’en 1932. Il était tenu de protéger et de préserver les intérêts de la bande dans ses terres de réserve, mais il n’a rien fait alors que des colons blancs squattaient les terres et y construisaient des améliorations permanentes présentant toutes les caractéristiques de village. En moins de dix ans, des entreprises avaient été établies et des services communautaires avaient été mis sur pied, le tout à l’extérieur de la superficie cédée en 1932.

[350]  Tout comme en 1932, un vote en faveur de la cession aura réglé un problème causé par le manque de vigilance du MAI.

[351]  Le fait que les squatteurs et le MAI ont pu tirer avantage d’une autre cession n’entache pas nécessairement celle‑ci, en ce sens où elle ne refléterait pas la volonté de la bande. Il ne s’ensuit pas non plus inexorablement qu’elle ne servait pas les intérêts de la bande.

[352]  Le fait est qu’en 1939, un village de colons s’était formé sur une parcelle de terre d’un peu plus de 25 acres située dans les limites de la réserve. Il est établi que la terre désirée par les colons était rocailleuse et qu’elle ne se prêtait pas à la culture. Selon la lettre de la Chambre du commerce de Lake Loon datée du 24 mars 1939, la bande avait été consultée et était d’accord pour rendre des terres disponibles. La preuve ne permet pas de savoir quel genre de pression le MAI a exercée pour obtenir la cession de 1932.

[353]  Il était dans l’intérêt de la bande de recevoir une indemnité parce que des colons occupaient une petite parcelle de terre qui lui était à l’époque peu utile, voire pas du tout. La cession n’a donc pas été consentie inconsidérément.

[354]  Malgré l’intérêt du MAI par rapport au fait que des villageois occupaient plusieurs parcelles de terres de réserve sans que cela soit contesté, la cession était avantageuse pour la bande puisqu’elle lui permettait de toucher une indemnité pour ces parcelles et pour d’autres terres qui n’avaient aucune valeur pratique.

[355]  La question que doit trancher le Tribunal consiste à savoir si la revendicatrice a établi le bien‑fondé de sa revendication au regard du paragraphe 14(1) de la LTRP :

 (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

[…]

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation; […]

[356]  L’opération n’était pas inconsidérée ou abusive; par conséquent, l’acceptation de la cession par le gouverneur en conseil ne constitue pas un manquement à l’obligation de fiduciaire de la Couronne.

2.  Manquement à l’obligation de fiduciaire postérieur à la cession

[357]  Il y a eu manquement à l’obligation de fiduciaire après la cession : le MAI a vendu les lots créés par la cession à un prix inférieur à leur juste valeur marchande.

[358]  Les parties conviennent que les terres cédées en 1932 et en 1939 ont été vendues à un prix inférieur à la juste valeur marchande. L’intimée soutient que l’admission de ce fait ne signifie pas que la Couronne a manqué à son obligation envers la revendicatrice. Cet argument ne tient pas compte de la définition de « juste valeur marchande » dans le Black’s Law Dictionary :

[traduction] Le prix qu’un vendeur est prêt à accepter et qu’un acheteur est prêt à payer sur le marché libre dans le cadre d’une opération entre personnes sans lien de dépendance; le prix auquel l’offre et la demande se recoupent. [Black’s Law Dictionary, 10e éd, sub verbofair market value” (juste valeur marchande)]

[359]  Le même concept est exprimé dans un ouvrage important :

Le prix le plus probable, à une date donnée, payé comptant ou en termes équivalents ou encore en termes spécifiques dévoilés, pour lequel les droits spécifiques d’une propriété se vendraient suite à une exposition raisonnable dans un marché compétitif, toutes les conditions requises pour une vente juste, entre un acheteur et un vendeur agissant prudemment, de manière compétente et à des fins personnelles, en assumant que ni l’un ni l’autre n’agit sous des contraintes indues. [Institut canadien des évaluateurs, Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada, (Ottawa : 2018), à la page 82, citant The Appraisal of Real Estate, 3e éd. canadienne, Sauder School of Business (Vancouver : 2010), à la p 2.8]

[360]  Selon l’intimée, deux facteurs ayant une incidence sur le marché immobilier empêchaient le MAI de vendre les lots subdivisés à leur juste valeur marchande. Cet argument ne tient pas compte du fait que le prix convenu entre un vendeur consentant et un acheteur consentant est déterminé par le marché. Un vendeur prudent n’acceptera pas un prix inférieur à celui que le marché peut supporter et un acheteur prudent ne paiera pas davantage. Admettre que le prix de la vente était inférieur à la juste valeur marchande revient à dire que le MAI a vendu les lots à un prix sous‑évalué. Il s’agit donc d’un aveu qu’il y a eu manquement à l’obligation d’agir comme le ferait une personne prudente dans la conduite de ses propres affaires.

[361]  Le Tribunal a signalé aux parties pendant l’audience que l’aveu de l’intimée reposait peut‑être sur une mauvaise compréhension du concept de juste valeur marchande. L’intimée n’a présenté aucune observation à cet égard et n’a pas cherché à se rétracter.

[362]  Il n’est toutefois pas nécessaire de trancher la question du manquement à l’obligation de fiduciaire dans la présente partie vu que l’intimée a admis que les lots avaient été mis en vente, et de ce fait vendus, à un prix inférieur à leur juste valeur marchande.

[363]  Il est établi que les lots non vendus, devenus disponibles par suite de la cession de 1939, n’ont pas été mis en vente à leur juste valeur marchande.

[364]  Le MAI a demandé un avis indépendant sur la valeur marchande des lots obtenus lors de la cession de 1939. L’arpenteur, Donnelly, a estimé qu’ils valaient entre 115 $ et 400 $. Les lots valaient [traduction] « beaucoup plus que ceux de la partie originale du lotissement urbain » puisque, selon lui, « [u]ne jolie petite ville s’est développée à l’ouest de la deuxième avenue. Il y a un bon hôtel et, compte tenu du nombre de gens d’affaires qui y ont séjourné l’automne dernier, les affaires semblent plutôt bien aller dans la région » (RCD, liste de documents supplémentaires, vol 1, SUPP-00195). Il a affirmé que ses évaluations étaient [traduction] « extrêmement raisonnables ».

[365]  Rien ne prouve que Donnelly était un évaluateur foncier qualifié. Il était toutefois chargé d’évaluer les lots arpentés, ce qui veut dire que le MAI croyait qu’il avait les connaissances et l’expérience nécessaires. Il a expliqué les caractéristiques du marché sur lesquelles étaient fondées ses évaluations.

[366]  En mai et en juin 1942, des résidents locaux se sont plaints à plusieurs reprises que les prix des lots étaient [traduction« trop élevés », ce qui était — selon eux — injuste et discriminatoire envers les nouveaux acheteurs par rapport à ceux qui avaient, par le passé, payé entre 50 $et 100 $ le lot. J. A. Craig, un représentant du MAI, a écrit ce qui suit :  

[traduction] Le village de Loon Lake est situé à l’extrémité de la réserve indienne nº 129B. La C.N.R. townsite Company a arpenté le village d’origine apparemment dans le but d’acheter la terre et d’y aménager un lotissement urbain. Comme vous le savez, la compagnie de chemin de fer n’a pas construit la voie ferrée jusque-là et la C.N.R. townsite Company a laissé tomber l’idée d’acheter la terre. Cependant, le village a été construit parce que l’on croyait que les lots finiraient par être vendus. Le propriétaire, le ministère des Indiens, a finalement vendu les lots à ceux qui avaient construit des bâtiments sur les terres arpentées.

Cette partie d’origine du village est la section commerciale et le prix d’achat allait de 50 à 100 $ pour les lots en coin. Le village s’est développé et les habitants ont demandé au ministère des Indiens d’y ajouter environ trois pâtés de maisons. Le ministère a apparemment donné son accord et, après avoir mesuré aussi précisément que possible l’endroit où allaient se trouver les divers lots, plusieurs personnes y ont construit des maisons. Environ deux ans après que plusieurs de ces maisons furent construites, le ministère des Indiens a arpenté les terres qui devaient être ajoutées au village et a accepté de vendre les lots. Cependant, il en a haussé le prix — qui était initialement de 50 $ le lot résidentiel — à 125 $, et même à 150 $.

Selon nous, ce prix est très élevé et témoigne d’une certaine discrimination puisque certaines grandes entreprises sont établies sur des lots payés 100 $ alors qu’un ouvrier devra payer 150 $ pour un lot sur lequel il bâtira une petite maison. Encore là, nous savons qu’un lot faisant partie des terres ajoutées a été vendu 60 $ et que ce prix était considéré comme juste. [RCD, vol 1, MAK-000099]

[367]  H. W. McGill, directeur de la Division des Affaires indiennes, a indiqué qu’il allait examiner ces plaintes et qu’il consulterait Donnelly, mais qu’il avait l’impression que les évaluations étaient justes, car la ville s’était développée et qu’elle devait être agrandie. Les nouveaux lots étaient bien plus grands que les lots originaux et la région connaissait un essor commercial considérable. Ces faits démontrent que les évaluations de Donnelly étaient fondées sur des facteurs liés au marché.

[368]  En octobre 1942, McGill a demandé à Christianson, surintendant général des agences indiennes, d’examiner les plaintes portant sur les évaluations de lot jugées injustes. McGill a déclaré ce qui suit :

[traduction] […] nous avons très minutieusement examiné la […] situation avec M. Donnelly et ce dernier insiste pour dire que les valeurs qu’il a attribuées aux divers lots sont très raisonnables, car le village de Loon Lake a pris une certaine importance et qu’il est maintenant au cœur d’un commerce rural assez étendu. [RCD, vol 1, MAK-000108]

[369]  En novembre 1942, le surintendant général Christianson a relaté qu’au moment où les lots ont été initialement évalués, le chemin de fer était en construction et on croyait que Loon Lake deviendrait une ville prospère. Le fait que la situation avait changé concernant le chemin de fer a toutefois été pris en compte par Donnelly, qui a mentionné que le [traduction] « projet qui consiste à faire passer un chemin de fer dans la ville a été abandonné » (RCD, vol 1, MAK-000110). Donnelly a donc tenu compte du fait que le projet de chemin de fer avait été abandonné lorsqu’il a évalué les lots.

[370]  Christianson a dit que [traduction] « [p]our le moment, Loon Lake n’est qu’un petit hameau isolé dans le bois » (RCD, vol 1, MAK-000110). Donnelly connaissait l’emplacement du village et il en a certainement tenu compte au moment d’évaluer les lots.

[371]  Christianson a recommandé que les lots en coin soient évalués à 75 $ et les lots intérieurs à 50 $, mais que lots en coin et les lots intérieurs plus larges soient évalués à 85 $ et à 60 $, respectivement.

[372]  D. J. Allan, surintendant des réserves et des fiducies, a écrit le 12 novembre 1942 qu’il ne savait pas quels conseils il devait suivre, affirmant que même si le lotissement urbain se trouvait loin des installations ferroviaires, il était adjacent à un [traduction] « lac très apprécié des habitants de la région comme lieu de villégiature estivale » (RCD, vol 1, MAK-000111). Allan a ajouté que [traduction] « les prix fixés après arpentage sont élevés ». Six jours plus tard, Allan a recommandé l’adoption des évaluations du surintendant Christianson :

[traduction] Pour faire suite à la conversation que nous avons eue hier avec MM. White et Donnelly, je ne suis pas du tout convaincu du bien-fondé des arguments de M. Donnelly en faveur d’un prix plus élevé. Je pense que la position adoptée par M. White — que les conditions ont tellement changé depuis l’arpentage que les prix fixés par M. Donnelly ne sont déjà plus exacts – est la bonne. Vous vous rappellerez que M. White a expressément recommandé que les prix fixés par Christianson soient adoptés. L’auteur de cette lettre estime que les arguments de Christianson sont bien plus convaincants que ceux de M. Donnelly et vous recommande de suivre les conseils de nos hommes qui sont sur le terrain et d’adopter les prix qu’ils ont fixés.

Afin de pouvoir vendre au comptant, si possible, les terres actuellement occupées par des squatteurs, je suggère de commencer par offrir aux occupants d’acheter au comptant les terres qu’ils occupent, et ce, aux prix établis par M. Christianson. Quand nous aurons épuisé toutes les possibilités que nous offre cette suggestion, nous pourrons alors décider si nous fixons les prix de manière définitive pour le reste des lots, comme l’a recommandé M. Christianson, ou si nous fixons les prix de ces lots à 50 % des prix établis par Donnelly, comme l’a demandé M. Gregory, de sorte qu’ils seraient légèrement supérieurs aux prix fixés par MM. Christianson et Cameron. Si nous fixons les prix à 50 % de ceux de Donnelly, la perte variera entre 62,50 $ pour les lots les moins chers et 75 $ pour les lots en coin. La question du terrain occupé par la Légion pourrait faire l’objet de négociations privées. [RCD, vol 1, MAK-000112]

[373]  Allan a ensuite demandé à Christianson de s’organiser avec l’agent des Indiens Cameron pour communiquer avec les occupants et [traduction] « donner à chacun d’eux la possibilité d’acheter au comptant les lots qu’ils occupent au prix recommandé dans votre rapport » (RCD, vol 1, MAK-000113). Le 1er décembre 1942, McGill a signalé à M. P. Gregory que, suivant les recommandations du surintendant général des agences indiennes, le prix des lots avait été réduit à 50 $ le lot, ou à 75 $ pour un lot en coin, — mais qu’il avait été majoré pour les lots plus larges— et que les squatteurs se verraient accorder une [traduction] « attention particulière » (RCD, vol 1, MAK-000115).

[374]  Au paragraphe 55 de l’arrêt Apsassin, la juge McLachlin a fait remarquer, dans une remarque incidente, que la Couronne avait une « obligation de fiduciaire, qui consistait à obtenir un prix juste » pour les terres.

[375]  La raison pour laquelle les lots ont été vendus à un prix inférieur à la valeur attribuée par l’arpenteur est, à tout le moins, peu convaincante. L’idée qu’il était [traduction] « discriminatoire » de vendre des terres aux squatteurs à des prix supérieurs à ceux précédemment demandés fait fi des particularités du marché dûment prises en compte par l’arpenteur. Quant à celle selon laquelle ces ventes étaient injustes pour les [traduction] « squatteurs » et que ces derniers méritaient de se voir accorder une « attention particulière », elle ne tient pas compte du fait que le MAI était tenu de gérer les terres avec le soin et la diligence qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires.

[376]  La preuve établit qu’il est probable que certains des lots créés à partir de la terre cédée en 1939 aient été mis en vente à un prix inférieur à leur juste valeur marchande. Ils ont été vendus et il est peu probable qu’ils aient été vendus à des prix supérieurs aux prix demandés.

[377]  La revendicatrice soutient que le MAI a manqué de diligence en assurant le respect des modalités de paiement de nombreux contrats de vente et d’achat de lots constitués à même les terres cédées. Un extrait du rapport intitulé « Report of the Land Sales Arising from the 1932 and 1939 Surrenders of Makwa Sahgaiehcan First Nation Reserve 129B » (rapport des ventes de terres découlant des cessions de 1932 et 1939 de la réserve nº 129B de la Première Nation de Makwa Sahgaiehcan), préparé par le chercheur Jayme Benson, a été versé en preuve. Il renferme une analyse détaillée des registres des paiements relatifs aux lots vendus. S’il révèle qu’il y a eu des retards importants dans la réception des paiements, on peut y voir également que des intérêts ont été perçus sur les paiements en retard. La revendication distincte fondée sur les retards dans le recouvrement des paiements n’est pas établie.

3.  Décision

[378]  La réparation que prévoit la Loi sur le Tribunal des revendications particulières pour les manquements aux obligations de fiduciaire commis dans le cadre de la cession consentie en 1939 est une indemnité, eu égard à ma conclusion selon laquelle la revendicatrice a établi les faits à l’appui de la revendication qu’elle a présentée sur le fondement de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP, plus particulièrement que la Couronne avait manqué à ses obligations de fiduciaire dans l’administration des terres de réserve.

E.  Agrandissement du lotissement urbain de 1958

1.  Relation particulière et volonté de la bande

[379]  En 1949, le village de Loon Lake était bien établi. Le conseil du village désirait obtenir d’autres terres pour favoriser la croissance de la collectivité.

[380]  Le 28 octobre 1950, M. Harvey Bell, avocat représentant un groupe composé de membres de la bande de Makwa, a présenté au MAI une requête datée du 20 octobre 1950 dans laquelle les 20 membres signataires demandaient qu’une partie de la réserve soit subdivisée pour répondre aux besoins de la population croissante du village de Loon Lake. Les signataires appréciaient la relation qu’ils avaient établie avec les villageois, qui les employaient et leur achetaient des fruits et légumes, en plus de [traduction] « […] penser à [leurs] enfants dans le temps des Fêtes […] » (RCD, vol 1, MAK-000126). Le sexe des signataires n’est pas précisé, mais les signatures sont réparties en deux colonnes, chacune d’elles portant le titre [traduction] « [n]om de la personne (homme ou femme) ou marque ». Certains noms apparaissent dans les deux colonnes et les signatures utilisent un alphabet différent, non latin.

[381]  Un mois plus tard, M. Bell a écrit une nouvelle lettre, notamment pour expliquer ce qui suit :

[traduction] Ce que ces Indiens désiraient, c’était rendre la pareille aux citoyens de Loon Lake pour les nombreuses attentions qu’ils leur avaient témoignées, ce qui était tout à leur honneur. [RCD, vol 1, MAK-000128]

[382]  Le député fédéral de la région a proposé d’échanger des terres de réserve contre des terres provinciales avoisinantes. Dans une lettre datée du 19 décembre 1952, le ministère a indiqué que des représentants du village de Loon Lake avaient rencontré les [traduction] « Indiens » à plusieurs reprises pour discuter de l’achat de certaines terres et que toute entente conclue avec le conseil de bande devait être ratifiée par un vote des membres.

[383]  Une résolution adoptée par le conseil de bande en 1954 autorisait la vente de 67,65 acres de terres au prix de 50 $ l’acre. Dans une lettre datée du 11 mars 1954, le surintendant de l’agence indienne s’est dit d’avis qu’il serait impossible que 50 % de la bande approuve la cession et la vente des 67,65 acres de terres, car [traduction] « [m]ême si tous les hommes de la bande semblent en faveur de la vente, ils n’autoriseront pas les femmes à voter » (RCD, vol 2, MAK-000130). Il a dit en avoir discuté avec le conseil de bande à plusieurs reprises, mais que le conseil était fermement opposé à l’idée de laisser les femmes voter.

[384]  Lors du vote sur la cession qui a eu lieu le 27 novembre 1954, 20 des 25 hommes admissibles à voter étaient présents et ont voté en faveur de la cession et de la vente. Aucune femme de la bande n’a voté. Le surintendant a recommandé l’approbation de la vente, mais le directeur des Affaires indiennes a jugé que le vote était invalide, la cession n’ayant pas été sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande.

[385]  Une deuxième assemblée a eu lieu le 6 juillet 1955. Seuls huit membres étaient présents. Aucun n’a voté en faveur de la vente des terres. Rien n’explique pourquoi 20 des 25 hommes présents à l’assemblée du 27 novembre 1954 ont voté en faveur de la cession, mais que seulement huit ont assisté à l’assemblée du 6 juillet 1955 et s’y sont tous opposés. Des événements ultérieurs donnent à penser que la bande a décidé d’attendre jusqu’à ce qu’elle obtienne une meilleure entente.

[386]  Un an plus tard, une nouvelle proposition a été faite. Le conseil du village a demandé 190 acres afin d’agrandir le lotissement urbain et a proposé un échange de terres [traduction] « entre les Indiens et le gouvernement provincial » (RCD, vol 2, MAK-000152). Le 11 juillet 1956, le surintendant de l’agence indienne a rencontré le chef et le conseil, ainsi que les autres membres de la bande. La bande n’était pas en faveur d’un tel échange, mais elle était prête à vendre 190 acres au prix de 75 $ l’acre. Le conseil du village n’avait pas autant d’argent.

[387]  La province de la Saskatchewan a présenté une nouvelle proposition relativement à l’échange de terres. Le surintendant a rencontré la bande le 1er mai 1957 et il a rapporté que cette dernière avait manifesté de l’intérêt pour l’échange, mais qu’elle souhaitait obtenir une autre parcelle que celle offerte.

[388]  Il appert du procès-verbal de la réunion que le MAI a tenue avec la bande, le 5 juin 1957, que le MAI a expliqué que l’objet de la réunion était de discuter de la possibilité d’échanger, ou encore de vendre, 100 acres de la RI nº 129B au village. La proposition consistait à échanger 100 acres de terres de réserve attenantes aux terres du village existant contre 480 acres de terres à foin jouxtant la limite de la réserve. La proposition a été soumise à un vote, mais ni l’un ni l’autre des documents de cession officiels que le ministère a fournis à l’agent ne mentionne qu’un vote a été tenu. Dix-neuf membres ont voté en faveur de l’échange de terres et quatre s’y sont opposés. Ces quatre membres souhaitaient obtenir une autre terre. Encore là, seuls des hommes ont voté.

[389]  Même si le surintendant avait recommandé d’entériner la proposition soumise au vote du 5 juin 1957, des fonctionnaires du MAI de rang plus élevé ont refusé de le faire, car elle n’avait pas été adoptée par une majorité des membres admissibles. Une fois de plus, les hommes de la bande ont refusé de laisser les femmes voter.

[390]  En résumé, la preuve documentaire révèle que des négociations ont eu lieu sporadiquement pendant sept ans et que les membres du conseil du village, des représentants du MAI et des représentants du gouvernement provincial y ont participé. Le MAI a consulté la bande tout au long des négociations. Des propositions ont été faites, ainsi que des contre-propositions. Les négociations se sont conclues à la satisfaction de dix-neuf des vingt‑trois membres présents à l’assemblée du 5 juin 1957. Les quatre autres membres appuyaient l’échange de terres, mais voulaient obtenir une autre terre que celle proposée.

[391]  Le résultat du vote du 5 juin 1957 démontre clairement le désir qu’avaient les membres de donner des terres de réserve au village en échange de terres agricoles, qui allaient devenir des terres de réserve, à raison de 1 acre de terres de réserve contre 4,8 acres de terres agricoles. Le surintendant a reconnu que le résultat du vote reflétait la volonté de la bande. Il a donc recommandé au gouverneur en conseil de permettre à la province de la Saskatchewan d’exproprier les terres que le village de Loon Lake cherchait à acquérir.

[392]  Le 26 juin 1958, le décret CP 1958–886 permettait à la province de la Saskatchewan de s’approprier les droits de surface de 100 acres de la RI nº 129B en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952, en échange de 480 acres de terres de la Couronne provinciale. Le décret expose ce qui suit :

[traduction] […] les électeurs de la bande indienne de Loon Lake, à l’usage et au profit desquels ladite réserve a été mise de côté, ont recommandé, par un vote tenu le 11 juin 1957 lors d’une assemblée de la bande, l’approbation de la demande et ont convenu d’accepter en contrepartie quatre cent quatre-vingts acres de terres provinciales […] [RCD, vol 2, MAK-000213]

[393]  La date du « 11 juin 1957 » est erronée. Cependant, cela est sans conséquence.

[394]  Quant au « vote », il n’a pas été tenu conformément aux dispositions relatives aux cessions de la Loi sur les Indiens. Néanmoins, il reflète clairement la volonté des hommes de la bande.

[395]   Le 5 août 1958, le décret 1288/58 de la province de la Saskatchewan transférait au Canada l’administration et le contrôle des droits de surface de 480 acres de terres. Le 25 septembre 1958, les terres cédées par la province de la Saskatchewan étaient officiellement mises de côté à titre de réserve indienne de Makwa Lake nº 129C.

[396]  La revendicatrice soutient que le MAI a, de par l’obtention d’une cession, indirectement atteint le résultat auquel il ne pouvait pas directement parvenir, et qu’il a ainsi agi de façon irrégulière et manqué à son obligation de fiduciaire.

[397]  Le MAI a facilité les discussions parmi les représentants de la province de la Saskatchewan, du village et de la bande. Les villageois et les membres du conseil de la bande se sont rencontrés. Des offres ont été présentées et des contre-offres ont été faites. Le MAI a semblé vouloir aider le village à présenter sa demande de terres supplémentaires, mais la preuve n’étaye pas la prétention de la revendicatrice selon laquelle il avait « renoncé » à exercer son contrôle sur la fourniture des terres, en empêchant la bande de participer activement à l’établissement des modalités de la cession et de décider de manière autonome de mettre des terres à la disposition du village.

[398]  Finalement, la bande a cédé des terres de superficie moindre que celle offerte au cours des négociations, et elle a reçu 4,8 acres, à ajouter à la réserve, pour chaque acre cédée.  

[399]  Ceux qui avaient voté le 5 juin 1957 étaient satisfaits du résultat. L’obstacle qui empêchait de procéder par cession était que les hommes s’opposaient constamment à l’idée que les femmes aient leur mot à dire sur le sujet. Rien ne prouve que les membres de la bande étaient divisés sur la question des terres en raison de leur sexe. À première vue, l’échange était avantageux pour la bande. Le MAI avait trouvé le moyen de respecter sa volonté.

[400]  Dans l’arrêt Apsassin, la Cour suprême du Canada a reconnu que, dans les cas de cession, il convient de donner effet à l’autonomie des groupes autochtones dans la prise des décisions touchant leurs terres de réserve. Il est vrai que l’opération en cause ne constituait pas une cession, mais elle reflétait la volonté autonome de la bande.

[401]  Dans l’arrêt Osoyoos (le juge Iacobucci, au paragraphe 52), la Cour suprême du Canada a reconnu que l’obligation de fiduciaire de la Couronne ne se limite pas aux cessions, mais s’applique également aux expropriations faites par elle en vertu de la Loi sur les Indiens de 1952.

[402]  La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Semiahmoo découlait d’une cession de terres de réserve. Au paragraphe 37, voici ce qu’a déclaré la Cour d’appel fédérale :

Les ouvrages et arrêts portant sur les obligations fiduciaires établissent que les tribunaux doivent évaluer la relation particulière qui existe entre les parties afin de décider si elle donne lieu à une obligation fiduciaire et, dans l’affirmative, en vue de déterminer la nature et l’étendue de cette obligation. Cette approche s’applique également dans le contexte de l’obligation fiduciaire qui existe envers les bandes indiennes qui cèdent des terres de réserve. À mon avis, l’exigence législative relative aux cessions donne naissance à l’obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne, mais la Cour doit examiner la relation particulière qui existe entre la Couronne et la bande indienne en question afin de définir la nature et l’étendue de cette obligation. [Renvoi omis]

[403]  En l’espèce, l’examen de la relation particulière qui existe entre la bande et le MAI par rapport aux terres « prises » par expropriation, en 1958, nous impose de définir la nature et l’étendue de l’obligation de fiduciaire en tenant compte de la volonté de la bande de donner effet à l’échange de terres qui avait été négocié avec le village et la province. Bien que la preuve ne permette pas de savoir combien d’hommes faisaient partie de la bande, le MAI a noté qu’ils étaient tous en faveur de l’échange. Il n’existe aucune preuve du contraire. Le résultat du vote tenu par les hommes de la bande, le 5 juin 1957, est un indice éloquent de la volonté de la bande qui n’est contredit par aucun autre élément de preuve. La Couronne a donné effet à l’autonomie de la bande alors que l’échange de terres n’était ni abusif ni inconsidéré. La Couronne n’a pas manqué à ses obligations de fiduciaire relativement à cette opération.

2.  Fondement juridique à l’expropriation

[404]  La position actuelle de la revendicatrice va à l’encontre des souhaits exprimés par les membres de la bande dans la requête datée du 20 octobre 1950. J’infère de la façon dont la requête est conçue qu’elle a été signée par des hommes et des femmes. La position de la revendicatrice est également contraire au résultat du vote tenu le 5 juin 1957 puisque tous les hommes ont voté en faveur de l’échange des terres.

[405]  Les arguments subsidiaires présentés par la revendicatrice à l’appui d’un manquement à l’obligation de fiduciaire reposent sur les points suivants :

  1. Interprétation des limites à l’intérieur desquelles l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 peut autoriser l’aliénation des terres de réserve;

  2. Interprétation des lois provinciales conférant le pouvoir de prendre des terres à l’usage d’un village.

a)  Loi sur les Indiens de 1952, article 35

[406]  Le décret CP 1958–886 a permis à la province de la Saskatchewan de prendre les droits de surface de 100 acres de la RI nº 129B en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952.

[407]  En l’espèce, les limites relatives à l’exercice de l’article 35 sont établies par les obligations de fiduciaire d’atteinte minimale et d’existence d’une fin d’intérêt public en temps opportun (Osoyoos; Semiahmoo). Les obligations plus générales qui consistent à communiquer tous les renseignements pertinents, à faire preuve de loyauté et de prudence et à empêcher les opérations inconsidérées s’appliquent également.

[408]  L’article 35 permet la prise de tout droit sur des terres qui est nécessaire à la réalisation d’une fin d’intérêt public (Osoyoos, au para 57).

[409]  En l’espèce, l’échange de terres de réserve contre des terres de la Couronne provinciale nécessitait la suppression du droit de la bande sur les 100 acres de terres de réserve et l’ajout de 480 acres de terres provinciales à la réserve. Il est manifestement raisonnable de donner autant que l’on reçoit.

[410]  Il se peut, comme l’affirme la revendicatrice, qu’il n’y ait pas eu de demande immédiate sur le marché pour le nombre de lots pouvant être subdivisés sur 100 acres de terres. Cependant, l’idée voulant que les terres de réserve aient été offertes à mesure que le marché se développait va tout à fait à l’encontre de l’échange convenu, puisque les 480 acres devaient être ajoutées à la réserve dans le cadre d’une seule opération.

b)  Pouvoir légal d’exproprier

[411]  La revendicatrice soutient également que le gouverneur en conseil n’était pas habilité à autoriser l’expropriation puisque la province de la Saskatchewan, en faveur de qui les terres ont été octroyées plutôt qu’expropriées, n’avait pas le pouvoir d’exproprier des terres dans le but d’agrandir le lotissement urbain.

[412]  Le principal argument avancé par la revendicatrice est que la prise des terres pour agrandir le lotissement urbain en les subdivisant et en les vendant en lots ne constituait pas une fin d’utilité publique au sens de la loi provinciale citée par l’intimée pour justifier que les terres aient pu être prises sans le consentement du propriétaire.

[413]  L’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952 prévoit qu’une autorité municipale ou locale peut prendre des terres avec le consentement du gouverneur en conseil :

35. (1) Lorsque, par une loi du Parlement du Canada ou d’une législature provinciale, Sa Majesté du chef d’une province, une autorité municipale ou locale, ou une corporation, a le pouvoir de prendre ou d’utiliser des terres ou tout droit y afférent sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil et aux conditions qu’il est loisible à ce dernier de prescrire, être exercé relativement aux terres dans une réserve ou à tout intérêt y afférent.

[414]  Le processus d’expropriation est régi par la loi qui confère le pouvoir d’exproprier, à moins d’indication contraire :

(2) À moins que le gouverneur en conseil n’en ordonne autrement, toutes les matières concernant la prise ou l’utilisation obligatoire de terres dans une réserve, aux termes du paragraphe (1), doivent être régies par la loi qui confère les pouvoirs.

[415]  Le gouverneur en conseil peut autoriser que les terres fassent l’objet d’un octroi plutôt que d’une prise :

(3) Lorsque le gouverneur en conseil a consenti à l’exercice des pouvoirs, mentionnés au paragraphe (1) par une province, autorité ou corporation, il peut, au lieu que la province, l’autorité ou la corporation prenne ou utilise les terres sans le consentement du propriétaire, permettre un transfert ou octroi de ces terres à la province, autorité ou corporation, sous réserve des conditions prescrites par le gouverneur en conseil.

[416]  Voici le libellé du décret CP 1958–886 :

[traduction] ATTENDU QUE le ministre des Affaires municipales de la province de la Saskatchewan a demandé les terres décrites à l’annexe ci-jointe, qui constituent une portion de la réserve indienne de Makwa Lake numéro cent vingt-neuf B, située dans ladite province, d’une superficie de cent acres;

ET ATTENDU QUE les électeurs de la bande indienne de Loon Lake, à l’usage et au profit desquels ladite réserve a été mise de côté, ont recommandé, par un vote tenu le 11 juin 1957 lors d’une assemblée de la bande, l’approbation de la demande et ont convenu d’accepter en contrepartie quatre cent quatre-vingts acres de terres provinciales, y compris les droits de surface de la moitié ouest (O½) de la section vingt-neuf (29) et du quart nord-ouest (NO¼) de la section trente-deux (32), du canton cinquante‑huit (58), dans le rang vingt et un (21), à l’ouest du troisième méridien (O3M);

PAR CONSÉQUENT, il plaît à Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et conformément aux dispositions de l’article 35 de la Loi sur les Indiens, de consentir à la prise des terres décrites à l’annexe ci-jointe et d’en céder la gestion et le contrôle à Sa Majesté du chef de la province de la Saskatchewan. [RCD, vol 2, MAK-000213]

[417]  À première vue, le décret CP 1958–886 découle de l’exercice du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952.

[418]  Le décret CP 1958–886 satisfait à l’exigence du paragraphe 35(1) de la Loi sur les Indiens de 1952 selon laquelle le gouverneur en conseil doit consentir à l’exercice du pouvoir conféré par une loi provinciale à « Sa Majesté du chef d’une province, une autorité municipale ou locale » de prendre des terres sans le consentement du propriétaire. Il se substitue également à l’exigence du paragraphe 35(2) qui est de respecter le processus établi par la loi d’expropriation en prévoyant le transfert direct des terres, comme l’autorise le paragraphe 35(3).

[419]  L’intimée invoque le pouvoir d’exproprier des terres dont dispose un conseil municipal en vertu de la Municipal Expropriation Act, RSS 1953, c 151 [la Municipal Expropriation Act], interprétée conjointement avec la Community Planning Act, SS 1957, c 48 [la Planning Act].

[420]  La revendicatrice souligne que le décret CP 1958–886 ne fait pas référence à la loi conférant les pouvoirs de prendre des terres, et que ni l’une ni l’autre des lois invoquées par l’intimée ne confère expressément au demandeur, à savoir le ministre des Affaires municipales, le pouvoir de prendre des terres sans le consentement du propriétaire.

[421]  Dans l’arrêt Osoyoos, le décret pris en vertu de l’article 35 indiquait que le demandeur était le ministre de l’Agriculture. Comme en l’espèce, le préambule ne faisait aucune mention de la loi invoquée par le ministre. Les parties avaient reconnu que le ministre avait fondé l’exercice de son pouvoir d’expropriation sur la Water Act étant donné que les terres avaient été prises pour les besoins d’un canal d’irrigation. Un parallèle peut être établi avec la présente affaire puisque le dossier révèle que les terres ont été prises pour les besoins d’un lotissement urbain. Les pouvoirs conférés par les lois invoquées par l’intimée trouveraient ainsi à s’appliquer.

[422]  Dans l’arrêt Osoyoos, c’est le paragraphe 21(1) de la Water Act qui conférait aux détenteurs de permis le pouvoir d’expropriation. Comme l’indique le paragraphe 61, le ministre de l’Agriculture pouvait ainsi exproprier tout domaine foncier raisonnablement requis à l’égard du canal. Dans l’affaire qui nous occupe, le ministre des Affaires municipales pouvait exercer les pouvoirs d’expropriation octroyés par la Municipal Expropriation Act.

[423]  Je reviens à l’argument principal de la revendicatrice, à savoir que l’expropriation ne servait aucune fin d’intérêt public autorisée.

[424]  Le régime législatif en vigueur en Saskatchewan, qui conférait des pouvoirs d’expropriation, et l’exercice de ces pouvoirs en 1958, font intervenir les deux lois invoquées par l’intimée. On peut comprendre le lien entre ces deux lois, ainsi que les pouvoirs et les fins auxquelles une prise était autorisée, en examinant les termes définis dans chacune des lois.

[425]  Le paragraphe 3(1) de la Municipal Expropriation Act prévoit ce qui suit : [traduction] « Si le conseil désire acquérir des terres à une fin autorisée par la loi municipale appropriée et qu’il ne peut le faire avec l’accord du propriétaire, le conseil peut adopter un règlement pour exproprier lesdites terres au nom et pour le compte de la municipalité ».

[426]  Aux termes de l’article 2.1 de la Municipal Expropriation Act, le terme « “conseil” s’entend du conseil d’une municipalité ». L’article 2.5 précise qu’un village est assimilé à une « municipalité ».

[427]  La prise de terres visée par la Municipal Expropriation Act est permise pour l’une ou l’autre des fins autorisées par [traduction] « la loi municipale appropriée » (paragraphe 3(1)). Il n’existe aucune liste des lois municipales « appropriées ».

[428]  Dans la Planning Act :

  1. Le terme [traduction] « conseil » est défini à l’article 2.1 comme « le conseil d’un […] village, d’une ville ».

  2. Le terme [traduction] « terre » est défini à l’article 2.3 de manière à inclure « un droit ou un intérêt sur […] terre ».

  3. Il est question au paragraphe 22(1) d’un [traduction] « plan d’aménagement communautaire ». Il s’agit d’un plan d’utilisation des terres situées [traduction] « à l’intérieur ou à l’extérieur de la municipalité » qui, « de l’avis du conseil, tient compte des circonstances physiques, sociales ou économiques de la municipalité et a une incidence, ou peut en avoir une, sur le développement de la municipalité ».

  4. Le paragraphe 30(1) habilite le conseil à acquérir des terres afin de pouvoir réaliser le plan d’aménagement communautaire.

  5. Le paragraphe 30(2) habilite le conseil à exproprier toute terre qui ne peut être acquise de son propriétaire à un juste prix. Dans ce cas, l’indemnité doit être déterminée par arbitrage en application de la Municipal Expropriation Act.

  6. Le terme [traduction] « lotissement urbain » est défini à l’article 2.8 comme « une subdivision de la terre en lots destinés à une utilisation résidentielle ou commerciale, ou les deux ». Aux termes du paragraphe 22(1), la définition peut s’appliquer aux terres situées [traduction] « à l’intérieur ou à l’extérieur de la municipalité ».

[429]  Lorsque les deux lois sont lues conjointement, il est évident que la Planning Act est une « loi municipale appropriée » au sens de la Municipal Expropriation Act et qu’elle permet la prise de terres à des fins résidentielles.

[430]  La revendicatrice se fonde sur la règle de droit établie selon laquelle les exigences des lois qui confèrent le pouvoir de prendre des terres par expropriation doivent être rigoureusement respectées. Le paragraphe 3(1) de la Municipal Expropriation Act exige l’adoption d’un règlement lorsque le conseil ne peut acquérir les terres avec l’accord du propriétaire. La revendicatrice soutient à juste titre que rien n’indique que le conseil ait adopté un règlement visant [traduction] « à exproprier lesdites terres au nom et pour le compte de la municipalité ».

[431]  La revendicatrice affirme également que le paragraphe 3(1) de la Municipal Expropriation Act permet l’expropriation seulement lorsqu’il est impossible d’obtenir le consentement du propriétaire et que, dans la présente affaire, ce consentement a été donné.

[432]  Le gouverneur en conseil avait effectivement consenti au transfert des droits de surface des terres en question, ce qui constituait le consentement de la Couronne en tant que titulaire du titre de propriété. Cependant, le seul moyen dont disposait la bande, à l’usage et au profit de laquelle la Couronne détenait le titre, pour légalement consentir au transfert des terres à la province de la Saskatchewan était la cession. Comme il était impossible de procéder par cession, il était impossible de procéder par transfert avec le consentement du propriétaire bénéficiaire.

[433]  La revendicatrice aurait raison d’affirmer qu’il aurait été nécessaire de respecter rigoureusement les lois relatives à l’expropriation si le gouverneur en conseil n’avait exercé que le pouvoir prévu au paragraphe 35(1) de la Loi sur les Indiens de 1952. Cependant, ce dernier est allé plus loin et, comme le paragraphe 35(3) l’autorisait à le faire, il a permis un transfert direct des terres au lieu d’une prise. Lorsqu’il transférait des terres en vertu du paragraphe 35(3), le gouverneur en conseil pouvait « passer outre » à la procédure d’expropriation officielle (le juge Iacobucci, pour la majorité, au paragraphe 62 de l’arrêt Osoyoos). Ainsi, il n’était pas nécessaire d’adopter un règlement.

[434]  Conformément à la Provincial Lands Act, RSS 1953, c 45, la province de la Saskatchewan a, comme prévu, réservé les terres aux fins de l’agrandissement du lotissement urbain. Le lieutenant‑gouverneur en conseil a, comme l’y autorisait l’alinéa 20(1)f), mis de côté les terres prises pour le lotissement urbain.

[435]  La revendicatrice fonde en partie sa revendication relative à la « prise » de 1958 sur l’equity. Rien ne prouve que l’opération était inéquitable. À première vue, l’échange de 100 acres de terres de réserve contre 480 acres de terres agricoles devant être ajoutés à la réserve laisse croire que la bande a fait une meilleure affaire.

[436]  La preuve permet de conclure que le droit sui generis sur les terres transférées au village a été « pris » conformément à la volonté indépendante des membres de la bande. Les faits propres à l’affaire sont uniques puisque les terres en question auraient probablement été cédées si les femmes avaient pu voter lors de l’assemblée sur la cession. Il s’agit de spéculation, mais selon toute vraisemblance, le point de vue des hommes était influencé par ce qu’ils avaient vécu au cours des décennies pendant lesquelles la Loi sur les Indiens autorisait seulement les hommes d’une bande à voter lors d’une assemblée où ils étaient appelés à se prononcer sur la cession d’un droit dans la réserve.

F.  Conclusion

[437]  Il n’y a pas eu de manquement à l’obligation de fiduciaire ou à la loi lors de la « prise » effectuée en vertu de l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952. La revendicatrice n’a pas établi le bien‑fondé de la revendication découlant de la « prise » de 1958 en vue de l’agrandissement du village de Loon Lake.

XVI.  cession de six acres effectuée en 1957 pour l’école de Meadow Lake

[438]  Quand le village a demandé des terres en vue d’agrandir le lotissement urbain, il a également demandé d’autres terres pour accueillir une école. Un représentant du ministère de l’Éducation de la province a avisé le ministère que l’article 53 de la Saskatchewan School Act permettait l’expropriation foncière. Le sous-ministre des Affaires indiennes a informé la province de la Saskatchewan que le ministère pourrait invoquer l’article 35 de la Loi sur les Indiens et qu’il serait disposé à collaborer pour essayer de rendre des terres disponibles pour les besoins d’une école.

[439]  L’agent des Indiens a rencontré le conseil de bande le 5 juin 1957. Il a rapporté que le conseil de bande avait adopté une résolution par laquelle il acceptait de donner au conseil de l’unité scolaire six acres de terres de réserve pour y aménager une nouvelle école. Dans sa résolution, le conseil de bande acceptait le prix de 75 $ l’acre pour l’école, sans pour autant se prononcer sur l’échange de terres qui faisait alors l’objet de négociations avec la province de la Saskatchewan. La Loi sur les Indiens n’exigeait pas le consentement du conseil de bande pour procéder à une prise en vertu de l’article 35, mais le conseil de bande a tout de même donné son consentement.

[440]  La revendicatrice soutient que la Couronne ne s’est pas assurée de ne porter que minimalement atteinte au droit de la bande sur les six acres prises pour l’école de Meadow Lake. Elle ajoute que le Canada aurait dû consulter la bande à propos de l’emplacement proposé pour l’école afin de déterminer si elle avait déjà utilisé ces terres à une fin quelconque, de manière à minimiser toute atteinte à son droit d’utiliser les terres et d’en jouir. De plus, la revendicatrice se demande si la superficie des terres prises dépassait le besoin immédiat du conseil de l’unité scolaire.  

[441]  La revendicatrice affirme que la superficie des terres prises dépassait le besoin immédiat du conseil de l’unité scolaire et que, de toute façon, un intérêt à bail aurait permis de répondre au besoin du public.

[442]  La prise des terres visait une fin d’utilité publique valable et la preuve ne suffit pas à étayer l’allégation selon laquelle il n’était pas nécessaire à ce moment-là de prendre ces terres aux fins d’une école ou que l’atteinte était excessive. Même si aucune preuve n’a été présentée quant aux discussions qui se seraient déroulées lors de l’assemblée du 5 juin 1957, cette assemblée aurait été l’occasion idéale pour la bande de faire part de ses préoccupations concernant la prise des terres pour l’école. De plus, la résolution du conseil de bande, même si elle n’était pas nécessaire pour la prise, laisse croire fortement que la bande n’avait à l’époque aucune objection à la prise de six acres de terres pour la construction d’une école. De même, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour permettre au Tribunal de déterminer si une tenure à bail aurait pu satisfaire le critère d’intérêt public.

[443]  Le décret CP 1958–614 daté du 1er mai 1958 consentait à la prise comme le requérait l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952. L’opération a été conclue en conséquence. Encore là, il n’y a eu aucun manquement à la loi ou à l’obligation de fiduciaire. 

XVII.  résumé de la décision

A.  Cession de 1932 pour l’aménagement d’un lotissement urbain

[444]  Les représentants de la Couronne ont, de par leurs actes, manqué aux obligations de fiduciaire qu’a cette dernière en matière de loyauté, de consultation et de prise en compte adéquate du droit de la bande à la préservation de son assise territoriale. Cela a eu pour effet de vicier les négociations, de sorte qu’il était imprudent de se fier au vote tenu à l’assemblée du 9 février 1932. L’opération était abusive. C’est dans le cadre de l’administration de la réserve que la Couronne a manqué à ses obligations de fiduciaire.  

[445]  La revendication découlant de la cession de 1932 est bien fondée au regard de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP :

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation; […]

B.  Expropriation de 1933 pour une emprise de chemin de fer

[446]  L’échec ultime de la Couronne à protéger la bande contre l’aliénation des terres constituait un manquement à l’obligation de préserver et de protéger l’intérêt des Autochtones contre l’exploitation.

[447]  La revendicatrice a établi les faits à l’appui de sa revendication pour ce qui est des motifs liés aux terres destinées au chemin de fer, qui relèvent des alinéas 14(1)c) et d) de la LTRP :

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve; [...]

C.  Cession de 1939 pour l’agrandissement du lotissement urbain et ventes à un prix sous-évalué

[448]  Bien que la cession ait eu l’effet accessoire de servir les intérêts du MAI, l’opération n’était pas abusive ou inconsidérée. Cependant, après la cession, la Couronne a manqué à son obligation en mettant les lots en vente à un prix inférieur à la valeur marchande fixée par l’arpenteur. Le motif fondé sur l’alinéa 14(1)c) de la LTRP est établi.

D.  Agrandissement du lotissement urbain de 1958

[449]  La Couronne n’a pas, alors que les hommes ont empêché les femmes d’exercer leur droit de vote, de sorte qu’il était impossible de respecter les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à la cession, outrepassé le pouvoir qui lui était conféré par la loi ou manqué à son obligation de fiduciaire en facilitant l’atteinte du résultat obtenu.

E.  Cession de six acres effectuée en 1957 pour l’école de Meadow Lake

[450]  Le décret CP 1958–614 daté du 1er mai 1958 consentait à la prise comme le requérait l’article 35 de la Loi sur les Indiens de 1952. La preuve ne révèle aucun manquement à la loi ou à l’obligation de fiduciaire.

HARRY SLADE

Honorable Harry Slade, président

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20191213

Dossier : SCT-5003-11

OTTAWA (ONTARIO), le 13 décembre 2019

En présence de l’honorable Harry Slade, président

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE MAKWA SAHGAIEHCAN

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Relations Couronne-Autochtones

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DE MAKWA SAHGAIEHCAN

Représentée par Me Steven W. Carey et Me Amy Barrington

Maurice Law

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Me Lauri Miller et Me David Culleton

Ministère de la Justice

 

 

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