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DOSSIER : SCT‑7003‑15

RÉFÉRENCE : 2018 TRPC 6

DATE : 20180914

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE INDIENNE DE WILLIAMS LAKE

Revendicatrice

 

Me Myriam Brulot et Me Kenji Tokawa, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Me Nicholas Claridge et Me Shelan Miller, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Les 26 et 27 septembre 2017

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable William Grist


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 3; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Bande indienne de Tobacco Plains c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2017 TRPC 4; Gosnell c Minister of Lands (BC) and Attorney General (Canada), (le 26 février 1912 (BCSC), conf. le 24 juin 1912 (BCCA), pourvoi rejeté le 7 mars 1913 (CSC), décisions non publiées; Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 RCS 746.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14, 22.

Conditions de l’adhésion de la Colombie‑Britannique, LRC 1985, app II, no 10, art 13.

British Columbia Railway Act, RSBC 1911, c 194, art 34, 35.

Pacific Great Eastern Incorporation Act, SBC 1912, c 36, art 32, 34.

Land Act, RSBC 1911, c 129, art 127.

An Act to ratify an Agreement bearing Date the Tenth Day of February, 1912, between His Majesty the King and Timothy Foley, Patrick Welch, and John W. Stewart, and an Agreement bearing Date the Twenty‑third Day of January, 1912, between the Grand Trunk Pacific Railway Company and the Grand Trunk Pacific Branch Lines Company and said Foley, Welch, and Stewart, SBC 1912, c 34, Schedule A, art 13.

Land Act, RSBC 1908, c 30, art 80.

Loi des sauvages, SRC 1906, c 81, modifiée par la Loi modifiant la Loi des sauvages, SC 1911, c 14, art 46.

Sommaire :

Droit autochtone – revendication particulière – prises de terres – emprise de chemin de fer – création de réserves – réserves provisoires – obligation de fiduciaire

La présente revendication particulière porte sur la question de savoir si le Canada a violé ses obligations légales relativement aux 4,37 acres de terres prises à même une parcelle de terre de 4 100 acres, connue depuis 1881 comme étant la réserve indienne Williams Lake no 1 (RIWL no 1), pour l’établissement d’une emprise par la Pacific Great Eastern Railway Company en 1916.

Décision : La revendication n’est pas fondée.

L’argument de la revendicatrice selon lequel la RIWL no 1 devrait être considérée comme si elle avait le « plein » statut de réserve au sens de la Loi des sauvages au moment du transfert n’est pas retenu. Le Tribunal conclut que la réserve était provisoire. De plus, la prise n’était pas illégale ou ultra vires, puisque la concession de la Couronne provinciale a été accordée conformément à la Land Act, RSBC 1911, c 129, qui conférait le pouvoir particulier de disposer de terres réservées à titre provisoire aux fins d’un chemin de fer. Le Canada avait une obligation de fiduciaire envers la revendicatrice mais, eu égard au contexte, il s’est acquitté de son obligation.

TABLE DES MATIÈRES

I. REVENDICATION  5

II. Historique des procédures  5

III. Aperçu historique  6

A. Création de la réserve indienne Williams Lake no 1  6

B. Construction du Pacific Great Eastern Railway  9

IV. PREUVE  11

V. POSITION DES PARTIES  17

A. Revendicatrice  17

B. Intimée  17

VI. ANALYSE  18

A. RIWL no 1 : réserve provisoire ou réserve ayant le plein statut au sens de la Loi des sauvages?  18

B. Quelle loi était applicable?  19

1. Législation provinciale relative aux chemins de fer  19

2. Land Act de la Colombie‑Britannique  22

C. Obligation de fiduciaire  24

1. Obligation du Canada envers la revendicatrice  24

2. Conduite du Canada  28

a) L’indemnité pécuniaire était‑elle adéquate?  28

b) Le Canada aurait‑il dû obtenir des terres de remplacement?  29

3. Le Canada a‑t‑il respecté ses obligations de fiduciaire?  31

VII. DÉcision  32


 

I.  REVENDICATION

[1]  La présente revendication particulière porte sur la question de savoir si le Canada a violé ses obligations légales relativement aux 4,37 acres de terres transférées par la province de la Colombie‑Britannique à la Pacific Great Eastern Railway Company (PGER) au moyen d’une concession de la Couronne datant de 1916. Ces 4,37 acres faisaient partie d’une parcelle de terre de 4 100 acres connue depuis 1881 comme étant la réserve indienne Williams Lake no 1 (RIWL no 1).

II.  Historique des procédures

[2]  Le 24 avril 2012, la bande indienne de Williams Lake (bande ou revendicatrice) a déposé une revendication particulière auprès de la Direction générale des revendications particulières du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. La bande y affirmait que le Canada avait manqué à ses obligations légales et à ses obligations de fiduciaire, ce qui avait entraîné, entre autres, la réduction de la superficie de la RIWL no 1.

[3]  Dans une lettre datée du 4 juin 2015, un fonctionnaire de la Couronne a officiellement informé la bande que le gouvernement du Canada avait rejeté la revendication au motif que celle‑ci ne révélait aucune obligation légale dont le Canada ne s’était pas acquitté.

[4]  Le 28 janvier 2016, la bande a déposé une déclaration de revendication auprès du Tribunal des revendications particulières (Tribunal) dans laquelle elle réclamait une indemnité du Canada. Le Canada a déposé une réponse, le 8 avril 2016. La revendicatrice a déposé une déclaration de revendication modifiée, le 9 novembre 2016, qui a été suivie d’une réponse modifiée du Canada déposée le 30 novembre 2016.

[5]  L’avis prévu à l’article 22 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, a été envoyé à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada ainsi qu’au procureur général et ministre de la Justice de la Colombie‑Britannique. Aucun d’eux n’a répondu à cet avis.

[6]  La revendication a été entendue par le Tribunal les 26 et 27 septembre 2017 et a été plaidée uniquement sur la base du dossier documentaire. Aucune histoire orale ni aucune preuve d’expert n’ont été présentées. Sur consentement des parties, la revendication a été scindée en deux étapes, soit celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation. Les présents motifs ont trait au bien‑fondé de la revendication.

III.  Aperçu historique

A.  Création de la réserve indienne Williams Lake no 1

[7]  Les membres de la bande font partie de la nation Secwepemc (Shuswap). Traditionnellement, leurs ancêtres subvenaient aux besoins de leur communauté en se déplaçant d’un endroit à l’autre pour pêcher, chasser et cueillir des plantes et des baies, parcourant ainsi un vaste territoire s’étendant surtout à l’est du fleuve Fraser et sur de grandes distances au nord, à l’est et au sud de la communauté de Williams Lake.

[8]  L’historique de la création de la RIWL no 1 est présenté plus longuement dans les motifs de la décision rendue par le président du Tribunal, le juge Harry Slade, dans l’affaire Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 3 [Williams Lake, 2014 TRPC 3]. Brièvement, les terres ont été mises de côté en 1881 pour doter d’une réserve le peuple autochtone qui avait auparavant habité dans un village traditionnel à l’extrémité opposée du Williams Lake. Une grande partie du village avait été préemptée par les colons et avait finalement été intégrée à la ville de Williams Lake.

[9]  En mars 1881, une partie des quelque 4 100 acres de terres mises de côté à titre RIWL no 1 au profit de la bande a été acquise par le gouvernement fédéral. Cette partie était constituée de terres qui avaient été préemptées par les premiers colons dans la réserve actuelle et était connue sous le nom de « domaine de Bates ». D’autres parties des terres mises de côté à titre de RIWL no 1 n’avaient pas été préemptées et étaient encore des terres de la Couronne qui, conformément aux conditions de la Confédération, étaient détenues par la province. Les 4,37 acres, visées par la présente revendication, étaient situées dans une partie de la réserve qui était encore constituée de terres de la Couronne provinciale.

[10]  Lorsque les terres ont été arpentées à des fins de réserve en 1881, une commission fédérale‑provinciale (la Commission mixte des réserves indiennes [CMRI]) avait pour mandat de créer des réserves. L’orientation de la CMRI était donnée par le décret 1088 du Conseil privé, daté du 10 novembre 1875, qui se lisait en partie comme suit :

[traduction]

1.  Que, dans le but de régler avec célérité ainsi que de manière définitive et satisfaisante la question des réserves indiennes en Colombie‑Britannique, toute l’affaire soit renvoyée à trois commissaires, l’un nommé par le gouvernement fédéral, le deuxième par le gouvernement de la Colombie‑Britannique et le troisième conjointement par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux.

2.  Que lesdits commissaires, dès que possible après leur nomination, se réunissent à Victoria et prennent les dispositions nécessaires pour aller rencontrer dans les plus brefs délais, dans l’ordre qu’ils jugeront souhaitable, chaque nation indienne […] de la Colombie‑Britannique et que, après une étude complète, menée sur place, de tous les aspects ayant une incidence sur la question, ils déterminent, pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer.

3.  Qu’en déterminant l’étendue des réserves à accorder aux Sauvages de la ColombieBritannique, quen somme il ne sera pas fixé de base uniforme pour le partage des terrains à accorder aux Sauvages de cette province, mais on devra assigner séparément une réserve à chaque tribu de Sauvages parlant la même langue.

4.  Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion […], lesquelles envisagent l’application d’une « ligne de conduite libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération, d’une part, les habitudes, les souhaits et les activités de chacune, dans les limites du territoire disponible au sein de la région qu’ils occupent, et, d’autre part, des revendications des colons blancs. [Recueil commun de documents modifié (RCDM), volume 1, onglet 11]

[11]  En juin 1881, la CMRI a publié le compte rendu d’une décision présentant l’attribution des terres constituant la RIWL no 1. Le 8 mai 1882, le commissaire en chef des Terres et des Travaux publics (CCTT) provincial a approuvé la réserve prévue dans le compte rendu de la décision. La bande a commencé à occuper et à cultiver la réserve. À l’été 1883, les terres réservées ont été arpentées, et il a été déterminé que leur superficie était de 4 074 acres.

[12]  Les Conditions de l’adhésion de la Colombie‑Britannique, LRC 1985, app II, no 10 [Conditions de l’adhésion], qui établissent les dispositions régissant l’entrée de la Colombie‑Britannique au sein du Dominion du Canada et qui sont entrées en vigueur le 16 mai 1871, prévoyaient ce qui suit :

[traduction]

13. Le soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie‑Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union.

Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie‑Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les Colonies. [RCDM, volume 1, onglet 6]

[13]  Nonobstant la disposition selon laquelle [traduction] « les étendues de terres […] seront transférées par le Gouvernement Local [provincial] au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages », les étendues de terres identifiées pour être attribuées en tant que réserves, y compris les terres identifiées par la CMRI et approuvées par le CCTT provincial, n’ont été transférées au gouvernement fédéral qu’au moment de la prise du décret provincial no 1036, daté du 29 juillet 1938. Le processus à suivre pour transférer des terres est énoncé dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum], aux paragraphes 15 et 16 :

La coopération fédérale‑provinciale était nécessaire dans le cadre du processus de création des réserves, étant donné que, si le gouvernement fédéral avait compétence à l’égard des « Indiens et [d]es terres réservées aux Indiens » aux termes du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, les terres domaniales en Colombie‑Britannique, où serait nécessairement établie toute réserve, appartenaient à la province. Toute tentative unilatérale du gouvernement fédéral de créer une réserve sur des terres publiques de la province aurait été invalide : Ontario Mining Co. c. Seybold, [1903] A.C. 73 (C.P.). Par ailleurs, la province ne pouvait établir une réserve indienne au sens de la Loi sur les Indiens, car elle aurait alors empiété sur la compétence exclusive du fédéral sur « [l]es Indiens et les terres réservées aux Indiens ».

La mise en œuvre de l’article 13 requérait donc l’accomplissement de certaines démarches préalables à la mise en branle du processus fédéral‑provincial de création des réserves décrit dans larrêt Ross River. Dabord, des commissaires nommés par le gouvernement fédéral délimitaient et arpentaient les réserves proposées, puis, munis de ces plans, les gouvernements fédéral et provincial négociaient la taille, l’emplacement et le nombre des réserves. La maîtrise et l’administration de ces terres devaient ensuite être cédées (ou « transférées », suivant les termes de l’article 13) par la nouvelle province de la Colombie‑Britannique au gouvernement fédéral, lequel devait les mettre de côté à l’usage et au bénéfice d’une bande : L’Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, ch. 18, par. 3(6); Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, par. 2(1) « réserve ».

[14]  L’important retard dans le transfert d’une grande partie des territoires qui avaient déjà été désignés à titre de réserves était en grande partie attribuable à un différend politique né de la volonté du gouvernement provincial de limiter la superficie des réserves et de conserver un intérêt réversif dans les terres de réserve et un certain pouvoir d’affecter les terres à d’autres usages. Le Dominion s’opposait à l’attribution limitée de terres et à la conservation par la province de droits réversifs. Environ 40 ans après la Confédération, dans un effort de règlement des différends opposant les deux ordres de gouvernement, la Commission royale des affaires des sauvages pour la province de la Colombie‑Britannique (CRAS) a été créée par une convention fédérale‑provinciale (Convention McKenna‑McBride, 24 septembre 1912). Le mandat de la CRAS était de [traduction] « résoudre tous les différends qui surgissent entre le gouvernement du Dominion et le gouvernement de la province relativement aux terres des Sauvages et, d’une façon générale, aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie‑Britannique » (RCDM, volume 2, onglet 76).

[15]  En vertu de l’article 8 de la Convention McKenna‑McBride, la CRAS avait également le pouvoir de trancher toute question relative aux terres de réserve avant de publier son rapport définitif :

[traduction]

Si, au cours de la période précédant la rédaction du rapport final des commissaires, il devait être établi par l’un ou l’autre des gouvernements concernés que des terres faisant partie d’une réserve indienne étaient nécessaires aux fins du passage du chemin de fer ou à d’autres fins ferroviaires, ou pour des travaux publics du Dominion, de la province ou d’une municipalité, la question sera renvoyée aux commissaires qui la trancheront dans un rapport provisoire, et chaque gouvernement fera le nécessaire pour mettre en œuvre les recommandations des commissaires. [RCDM, volume 2, onglet 76]

B.  Construction du Pacific Great Eastern Railway

[16]  Pendant la période où la CRAS était opérationnelle, la PGER a commencé la construction d’un chemin de fer allant du nord de Vancouver jusqu’à un terminus situé au fort George, la ville actuelle de Prince George. Le chemin de fer devait traverser plusieurs réserves le long de son parcours. Pour ce qui est de la RIWL no 1, le plan de l’assiette des rails prévoyait une emprise tout au long de la partie sud‑est de la réserve, longeant le coteau situé dans la partie sud‑est de la réserve et se poursuivant jusqu’à ce qui est aujourd’hui la ville de Williams Lake. L’emprise prévue était d’environ 1 785 pieds de long et devait occuper 4,62 acres (ensuite révisées à 4,37 acres).

[17]  Après que son plan eut reçu l’aval du gouvernement provincial, le 16 septembre 1914, la PGER s’est adressée à la CRAS pour que celle‑ci approuve l’emprise traversant la RIWL no 1. Le même jour, elle a écrit au ministère des Affaires indiennes (MAI), joignant à sa lettre son plan de l’assiette des rails, pour demander la permission de commencer sans délai la construction du chemin de fer. La PGER a indiqué qu’elle [traduction] « paierait pour ladite emprise […] la somme qu’un fonctionnaire désigné par votre ministère considérera comme étant juste » (RCDM, volume 2, onglet 95; exposé conjoint des faits [ECF], au para 29).

[18]  Le MAI a également renvoyé la question à la CRAS et a demandé à une société immobilière de Quesnel de procéder à une évaluation des terres qui constitueraient l’assiette des rails.

[19]  Le 5 octobre 1914, la CRAS a publié le rapport provisoire no 51, dont voici le texte :

[traduction]

La Commission, conformément à l’article 8 de la convention dont il est question dans son rapport, a examiné la demande de la [PGER] visant les terres nécessaires à l’emprise traversant la réserve indienne Williams Lake no 1, dans le district de Cariboo, qui est l’une des réserves attribuées à la bande indienne de Williams Lake. Les terres nécessaires à ladite emprise, comme le montre le plan certifié, sont d’une superficie de 4,62 acres.

La Commission a dûment examiné ladite demande et ledit plan. Il semble que lesdites terres soient nécessaires aux fins de l’établissement de cette emprise par ladite compagnie de chemin de fer.

La Commission recommande, sous réserve du respect des exigences de la loi et du versement d’une indemnité convenable, d’accorder à ladite compagnie de chemin de fer la permission d’accéder sans délai auxdites terres et de les acquérir aux fins de l’établissement de cette emprise, selon le plan déposé auprès du ministère des Chemins de fer de la province de la Colombie‑Britannique et dûment certifié par le ministre des Chemins de fer de ladite province de la Colombie‑Britannique le 10 septembre 1914, dont une copie est fournie en pièce jointe. [RCDM, volume 2, onglets 102, 106‑07]

[20]  L’approbation officielle du gouvernement du Canada concernant l’accès de la PGER aux terres et l’acquisition de l’emprise figure dans le décret 3184 du Conseil privé, daté du 24 décembre 1914. Le décret prévoit :

[traduction]

Un évaluateur compétent embauché par le ministère des Affaires indiennes a évalué les terres à 44,35 $, soit aux taux de 10 $ l’acre pour 4,25 acres et de 5 $ l’acre pour 0,37 acre. La compagnie de chemin de fer a versé le montant total au ministère des Affaires indiennes.

Le ministre recommande qu’en vertu de l’article 46 de la Loi modifiant la Loi des Sauvages, modifié par l’article 1 du chapitre 14, 1‑2 George V, soit autorisée la vente par le ministère des Affaires indiennes des 4,62 acres susmentionnées, plus ou moins, à la Pacific Great Eastern Railway Company, et ce, sur consentement du lieutenant‑gouverneur de la province de la Colombie‑Britannique. [RCDM, volume 2, onglet 130]

[21]  Les 4,62 acres nécessaires à l’emprise ont été ramenées à 4,37 acres, et une concession de la Couronne prévoyant le transfert des terres à la PGER a été accordée par le gouvernement provincial, le 1er juin 1916 (RCDM, volume 2, onglet 163).

IV.  PREUVE

[22]  La chronologie de la preuve documentaire afférente à la demande présentée par la PGER en vue du transfert des terres qui constitueraient l’assiette des rails est la suivante :

  1. 16 septembre 1914

  • Lettre par laquelle M. D. Tate, vice‑président, Pacific Great Eastern Railway Company, a transmis à M. J.G.H. Bergeron, secrétaire et procureur, CRAS, le plan de l’emprise de la PGER traversant la RIWL no 1, afin qu’il soit soumis pour approbation à la CRAS (RCDM, volume 2, onglet 90);

  • Lettre par laquelle le vice‑président, PGER, demandait à M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, une concession des terres indiquées dans le plan et la permission de commencer la construction du chemin de fer. Était joint à cette lettre un croquis de l’emprise du chemin de fer (RCDM, volume 2, onglet 88).

  1. 29 septembre 1914

  • Lettre de M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, au secrétaire, CRAS, pour l’informer de la réception du plan et de la demande d’emprise de la PGER et demander à la CRAS de prendre des mesures le plus tôt possible (RCDM, volume 2, onglet 92);

  • Lettre de M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, à M. W.S. Vaughan, évaluateur foncier, pour lui demander de procéder à une évaluation des 4,62 acres de la RIWL no 1, qui s’ajoute à celles qu’il a déjà fournies relativement à d’autres réserves. La lettre précise que, [traduction] « dans tous les cas, le conseil des Indiens et les Indiens concernés doivent être consultés, et vous devez tenter d’obtenir leur assentiment aux évaluations […] » (RCDM, volume 2, onglet 93);

  • Lettre par laquelle M. C. Pringle, avocat de PGER, assurait à M. D.C. Scott, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, que la PGER paierait [traduction] « la somme qu’un fonctionnaire désigné par votre ministère considérera comme étant juste » (RCDM, volume 2, onglet 95).

  1. 30 septembre 1914

  • Télégramme par lequel M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, donnait à M. I. Ogden, agent des Indiens, des directives afin de permettre à la PGER de commencer la construction du chemin de fer (RCDM, volume 2, onglet 98).

  1. Octobre 1914

  • Lettre signée d’une croix par le chef Baptiste William et adressée à M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, pour l’informer que la bande était satisfaite de l’évaluation des terres qui constitueraient l’assiette des rails, dont le total s’élevait à 44,35 $ (RCDM, volume 2, onglet 100).

  1. 5 octobre 1914

  • Rapport provisoire no 51 signé par M. N.W. White, président, CRAS, et adressé au gouverneur général du Canada en son conseil et au lieutenant‑gouverneur de la province de la Colombie‑Britannique en son conseil. Le rapport recommande, [traduction] « […] sous réserve du respect des exigences de la loi et du versement d’une indemnité convenable, d’accorder à ladite compagnie de chemin de fer la permission d’accéder sans délai auxdites terres et de les acquérir aux fins de l’établissement de cette emprise, selon le plan déposé auprès du ministère des Chemins de fer de la province de la Colombie‑Britannique et dûment certifié par le ministre des Chemins de fer de ladite province de la Colombie‑Britannique le 10 septembre 1914 […] » (RCDM, volume 2, onglet 102).

  1. 12 octobre 1914

  • Lettre de M. A.S. Vaughan, Vaughan Realty Company, à M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, pour accuser réception de la demande d’évaluation des terres qui constitueraient l’assiette des rails. La lettre indique : [traduction] « nous prenons acte du fait que vous souhaitez que nous […] tentions d’obtenir l’assentiment des Indiens concernés à l’évaluation » (RCDM, volume 2, onglet 112; ECF, au para 33).

  1. 27 octobre 1914

  • Lettre de M. A.S. Vaughan, Vaughan Realty Company, à M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, à laquelle sont jointes l’évaluation des terres de l’emprise et la lettre signée d’une croix par le chef Baptiste William :

[traduction]

À la lecture de la lettre ci‑jointe signée par le chef, vous constaterez que les Indiens sont satisfaits de l’évaluation établie à l’égard de [ces terres], mais qu’ils présentent la demande suivante, à savoir :

Au lieu d’être payés en espèces pour les terres, ils aimeraient recevoir des terres situées à la frontière nord (où il y a des terres de la Couronne disponibles) de superficie [égale] à la superficie des terres prises par le [chemin de fer]. [RCDM, volume 2, onglet 118; ECF, au para 36]

  1. 9 novembre 1914

  • Lettre de M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, à M. D. Tate, vice‑président, PGER, pour demander à la PGER d’acheminer le paiement indiqué dans l’évaluation (RCDM, volume 2, onglet 122).

  1. 25 novembre 1914

  • Lettre du vice‑président, PGER, à M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, contenant le paiement (RCDM, volume 2, onglet 127).

  1. 24 décembre 1914

  • Décret 3184 du Conseil privé approuvant la vente des 4,62 acres de la RIWL no 1 à la PGER au titre de l’article 46 de la Loi des sauvages, SRC 1906, c 81, modifiée par la Loi modifiant la Loi des sauvages, SC 1911, c 14 [Loi des Sauvages, 1911] (RCDM, volume 2, onglet 131).

  1. 18 février 1915

  • Lettre de M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, à M. J.G.H. Bergeron, secrétaire et procureur, CRAS, pour l’informer que [traduction] « les Indiens ont exprimé le désir qu’au lieu d’être payés en espèces pour les terres prises à même la réserve pour l’emprise, ils reçoivent des terres de superficie égale situées à la frontière nord ». La lettre se poursuit : [traduction] « Cette demande correspond à une demande d’ajout à leur réserve. Je vous saurais gré de porter cette demande à l’attention de la Commission royale pour qu’elle prenne les mesures qu’elle considère comme étant appropriées au moment d’effectuer toute opération touchant à la réserve » (RCDM, volume 2, onglet 136).

  1. 4 mars 1915

  • Lettre de M. J.G.H. Bergeron, secrétaire et procureur, CRAS, à M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, pour accuser réception de la lettre du 18 février 1915 et pour l’informer que [traduction] « la question faisant l’objet de votre [communication] sera dûment examinée au moment de traiter les demandes de terres supplémentaires de l’agence de Williams Lake » (RCDM, volume 2, onglet 137).

  1. 13 août 1915

  • Lettre de M. C.H. Gibbons, secrétaire, CRAS, au secrétaire, MAI – Ottawa, pour répondre à sa lettre datant du 18 février 1915 :

[traduction]

[…] Concernant le désir exprimé par les Indiens de la réserve indienne Williams Lake no 1 que des terres situées au nord de la réserve leur soient attribuées plutôt que de recevoir une indemnité pécuniaire de la Pacific Great Eastern Railway Company pour l’emprise traversant la réserve en question, approuvée par la Commission dans son rapport provisoire no 51.

Je dois dire que si une telle demande de la part des Indiens obtient l’approbation du ministère, ils auraient apparemment deux possibilités, soit de s’entendre avec la compagnie de chemin de fer concernée pour que celle-ci achète et transfère au ministère (en fiducie pour les Indiens) des terres de remplacement acceptables équivalant aux terres acquises aux fins de l’emprise, soit d’utiliser la somme payée par la compagnie pour cette emprise accordée sur la réserve pour acheter, pour les Indiens, les terres de remplacement décrites.

Le ministère ne suggère pas, bien sûr, que la Commission attribue des terres de la Couronne de la Colombie‑Britannique en échange des terres acquises aux fins d’emprise par une compagnie de chemin de fer et cédées à la condition de verser une indemnité convenable. [RCDM, volume 2, onglet 150]

  1. 21 août 1915

  • Lettre par laquelle M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, informait M. I. Ogden, agent des Indiens, que les Indiens [traduction] « ont exprimé à l’évaluateur, M. Vaughan, le souhait que l’argent reçu de la Pacific Great Eastern Railway pour l’emprise traversant leur réserve serve à leur acheter d’autres terres adjacentes à leur réserve. La superficie des terres prises n’était que de 4,26 acres, pour lesquelles la somme de 44,35 $ a été reçue. Cette somme semble être très petite pour être investie dans des terres. Cependant, lorsque l’occasion se présentera, veuillez examiner la question et indiquer s’il est possible de procéder à l’achat selon le souhait des Indiens » (RCDM, volume 2, onglet 151).

  1. 14 avril 1916

  • Note du comptable, MAI, à M. D.C. Scott, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, renvoyant à une lettre reçue le 2 avril de l’agent Ogden, qui [traduction] « recommande que l’argent reçu de la Pacific Great Eastern Railway Company pour les dommages causés par le chemin de fer aux terres de la réserve Williams Lake ou Sugar Cane soit versé aux Indiens. Il affirme qu’ils en ont grandement besoin. Le montant reçu pour l’emprise traversant la réserve était de 43,70 $. Des intérêts s’élevant à 2,86 $ se sont accumulés sur ce capital. Pour procéder à une distribution de tout le capital, un décret serait nécessaire. J’aimerais savoir ce que vous auriez souhaité faire dans cette affaire. Comme le solde du compte est peu élevé, je suggère de fermer le compte et de distribuer l’argent de la manière proposée » (RCDM, volume 2, onglet 161).

  1. 17 avril 1916

  • Lettre de M. J.D. McLean, sous‑ministre adjoint et secrétaire, MAI, à M. I. Ogden, agent des Indiens, pour l’informer que la moitié du montant reçu de la compagnie de chemin de fer, plus les intérêts, totalisant 24,51 $, [traduction] « est disponible et peut être dépensée au nom des Indiens. Cependant, comme le montant est trop petit pour en faire une distribution per capita, le ministère ne suggère pas de le distribuer. L’argent servira à payer pour les graines et les instruments d’agriculture que vous avez eu l’autorisation d’acheter pour les Indiens de cette bande » (RCDM, volume 2, onglet 162; ECF, au para 69).

  1. 1er juin 1916

  • Concession de la Couronne provinciale visant les 4,37 acres accordée à la PGER (RCDM, volume 2, onglet 163).

  1. 30 juin 1916

  • Rapport définitif, CRAS. Ce rapport fait état de la [traduction] « demande de terres supplémentaires au lieu d’une indemnité pécuniaire pour l’emprise de chemin de fer » au point 70 sous la rubrique [traduction] « Agence de Williams Lake – Demandes de terres supplémentaires ». La décision de la CRAS est consignée comme suit : « Irrecevable : Ministère » (ECDM, volume 2, onglet 164).

V.  POSITION DES PARTIES

A.  Revendicatrice

[23]  La revendicatrice fait valoir que la RIWL no 1 avait le plein statut de réserve au sens de la Loi des sauvages et n’était pas seulement une réserve provisoire. Aux paragraphes 46 et 47 de la déclaration de revendication modifiée, la bande allègue que le Canada a manqué à ses obligations de fiduciaire, entre autres en ne prenant aucune mesure pour s’opposer à la concession, par la Couronne à la PGER, des terres qui constituant l’assiette des rails, ou pour la contester, car ces terres étaient réservées pour la bande indienne de Williams Lake et occupées par celle-ci. La compagnie ne pouvait donc pas les prendre sur le fondement des dispositions de la British Columbia Railway Act, RSBC 1911, c 194 [British Columbia Railway Act], de la loi constitutive de la compagnie de chemin de fer, la Pacific Great Eastern Incorporation Act, SBC 1912, c 36 [PGER Act], ou d’une loi visant à entériner l’entente intervenue entre la province et les promoteurs privés de la PGER pour la construction du chemin de fer (lois sur les chemins de fer).

[24]  La bande indique également que le Canada n’a pas adéquatement informé ni consulté la bande. Il ne s’est pas non plus assuré qu’une juste indemnité soit versée pour les terres et il ne s’est pas acquitté de son obligation de porter le moins possible atteinte au droit de la bande sur les terres en ne veillant pas à obtenir un transfert de terres de remplacement après que la bande eut indiqué préférer cette forme d’indemnisation.

B.  Intimée

[25]  Le Canada reconnaît que la RIWL no 1 était réservée à titre provisoire, mais nie qu’elle était une réserve entièrement constituée au sens de la Loi des sauvages à l’époque en cause. Le Canada soutient que les restrictions qui empêchaient la compagnie de chemin de fer de prendre des terres au titre de la British Columbia Railway Act ou de la PGER Act ne s’appliquaient pas au transfert des terres constituant l’assiette des rails qui a eu lieu en 1916 par voie de concession par la Couronne provinciale à la PGER. Le Canada affirme que le transfert des terres était une transaction prévue à l’article 127 de la Land Act, RSBC 1911, c 129 [Land Act, 1911] et que le Canada avait agi de façon à s’acquitter de ses obligations de fiduciaire envers la bande en s’assurant qu’une indemnité pécuniaire adéquate lui soit versée.

[26]  Le Canada nie qu’il était soumis à une obligation d’atteinte minimale, mais il poursuit en affirmant que l’indemnité était adéquate et que l’idée des terres de remplacement a été proposée à la CRAS, mais que, dans les circonstances, le paiement en espèces a été privilégié en tant que forme raisonnable d’indemnité. Le Canada soutient qu’il s’est acquitté de son obligation légale en exigeant le paiement d’une indemnité pécuniaire. Il ajoute que la bande avait grandement besoin, pour un autre usage, de l’indemnité qui a finalement été versée et qu’elle en avait approuvé le paiement.

VI.  ANALYSE

A.  RIWL no 1 : réserve provisoire ou réserve ayant le plein statut au sens de la Loi des sauvages?

[27]  La parcelle de 4 074 acres constituée en 1881 pour devenir la RIWL no 1 a été approuvée par le CCTT provincial en 1882, et l’arpentage des terres réservées a été effectué en 1883. Le processus de création de la réserve prévu à l’article 13 des Conditions de l’adhésion n’a pas été plus loin, et ce, jusqu’à ce que l’impasse intergouvernementale se dénoue finalement en 1938. Les terres formant la réserve (déduction faite, à cette époque, des 4,37 acres transférées par concession de la Couronne à la PGER) ont alors été transférées par le décret provincial 1036 à la Couronne fédérale. Cette dernière a ensuite pris les mesures nécessaires pour les mettre de côté à l’intention la bande en vertu de la Loi sur les Indiens.

[28]  Dans l’arrêt Wewaykum, la création de la réserve a suivi un cours semblable. Aux paragraphes 17 et 18, la Cour a dit ce qui suit au sujet du statut des réserves de la Colombie‑Britannique qui étaient touchées par ce différend :

Plus de 60 ans après l’entrée de la Colombie‑Britannique dans la Confédération, la question de l’établissement des réserves constituait toujours une source de frictions entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Par exemple, le juge de première instance a constaté que le gouvernement de la Colombie‑Britannique avait d’abord considéré excessif le chiffre de 80 acres par personne avancé par le gouvernement fédéral pour la constitution des réserves, estimant que 20 acres par personne suffisaient, en particulier lorsque la bande subsistait principalement de la pêche. Les deux ordres de gouvernement différaient même d’avis quant au mécanisme de « transfert » devant être utilisé.

Les diverses questions litigieuses ont finalement été réglées par un accord fédéral‑provincial et par la cession à la Couronne fédérale, en 1938, de la maîtrise et de ladministration des terres provinciales devant servir à l’établissement des réserves : G. V. La Forest, Natural Resources and Public Property under the Canadian Constitution (1969), p. 132. Jusque‑là, [traduction] « [t]out reposait sur une recommandation bureaucratique et l’intention politique, alors que rien qui soit concluant n’était accompli dans quelque sens juridique véritable » : Dunstan c. Hell’s Gate Enterprises Ltd., [1986] 3 C.N.L.R. 47 (C.S.C.‑B.), le juge Cumming, p. 65.

[29]  La revendicatrice soutient que l’analyse du statut des terres réservées qui figure dans l’arrêt Wewaykum a été faite en remarque incidente, qu’elle devrait être limitée aux faits de cette affaire ou que la décision devrait être réexaminée. Elle fait également valoir que la RIWL no 1 doit être considérée comme ayant été constituée en tant que réserve au sens de la Loi des sauvages au plus tard en 1883.

[30]  Selon moi, la conclusion de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Wewaykum – que le processus de création de la réserve n’avait été complété qu’en 1938 – a été tirée à partir d’une analyse réfléchie de l’histoire du processus de création des réserves. Le Tribunal devrait reconnaître la valeur de cette analyse. En définitive, le Canada n’a pas été en mesure d’administrer les terres de réserve conformément à la Loi des sauvages avant que ces terres ne lui soient transférées par la province. Le statut des terres de réserve datant d’environ 1883 était, en ce sens, provisoire.

B.  Quelle loi était applicable?

1.  Législation provinciale relative aux chemins de fer

[31]  La British Columbia Railway Act et la PGER Act contiennent toutes deux des dispositions permettant à la compagnie de chemin de fer d’acquérir des terres.

[32]  L’article 34 de la PGER Act habilite la société [traduction] « à acheter, à détenir, à louer ou à vendre des terres à toutes les fins de l’entreprise ». De plus, l’article 32 de la loi confère à la société le pouvoir d’exproprier des terres :

[traduction]

32. Lorsqu’il est nécessaire, pour obtenir assez de terres aux fins des installations de tête de ligne, des gares ou des gravières, ou pour construire, entretenir ou utiliser lesdites voies ferrées, et à toute autre fin liée auxdites voies ferrées […], ladite entreprise peut exproprier, acheter, détenir et utiliser ces terres et en jouir […].

[33]  Cependant, en l’espèce, le titre de propriété des terres en question était encore détenu par la province. Les terres avaient été réservées au sens de la Land Act provinciale, mais elles étaient tout de même susceptibles d’aliénation par la Couronne provinciale. La province était en faveur de la construction du chemin de fer, et aucune expropriation des terres constituant l’assiette des rails n’avait été entreprise. D’autres moyens législatifs avaient été utilisés pour acquérir ces terres.

[34]  La British Columbia Railway Act était une loi applicable de façon générale aux chemins de fer. Les articles 34 et 35 décrivent le processus qu’une compagnie de chemin de fer doit suivre pour prendre des terres de la Couronne :

[traduction]

34. Nulle compagnie de chemin de fer ne peut s’approprier, utiliser ou occuper des terres qui appartiennent à la province, et ce, à toute autre fin que l’arpentage, sans le consentement écrit du ministre attesté au moyen d’un certificat en deux exemplaires portant sa signature et son sceau officiel; cependant, munie de ce consentement, la compagnie peut prendre et s’approprier, pour l’usage de ses ouvrages, telle partie des terres inoccupées et non réservées de la province qui sont situées sur la ligne du chemin de fer ou dans les limites de ses ouvrages, qui n’ont pas encore été vendues ou concédées, et qu’il sera souhaitable d’acquérir pour les ouvrages, ainsi que telle partie de la grève publique ou des terrains couverts par les eaux de tout lac, rivière, cours d’eau ou canal, ou de leurs lits respectifs, qu’il sera nécessaire ou souhaitable d’acquérir en vue de la réalisation, l’achèvement et l’entretien des ouvrages de la compagnie. 1911, c 44, art 17.

35. La compagnie devra, sans délai après l’obtention d’un certificat de consentement délivré en vertu de l’article précédent, demander au ministre des Terres d'établir le prix et l’indemnité à payer par la compagnie à la Couronne pour la prise des terres et des biens mentionnés et décrits dans ce certificat de consentement; et le ministre des Terres aura le pouvoir discrétionnaire absolu d’établir, et établira, ce prix et cette indemnité, qui, ainsi établis, seront payés par la compagnie au ministre des Terres comme condition préalable à la concession et à l’occupation par la compagnie de ces terres et de ces biens, et au paiement de ce prix et de cette indemnité, les terres et les biens seront cédés à la compagnie, à ses successeurs et ayants droit, par concession en la forme approuvée par le ministre des Terres; et si une compagnie souhaite contester le montant à payer établi au titre de l’indemnité, elle devra entamer une procédure d’arbitrage comme dans le cas d’un différend entre propriétaires, où Sa Majesté sera représentée par le ministre des Terres ou une ou plusieurs personnes nommées par celui‑ci, et le prix et l’indemnité établis par suite de cette procédure d’arbitrage, qui pourront être inférieurs ou supérieurs au montant établi par le ministre des Terres, correspondront au montant payable et payé par la compagnie. 1911, c 44, art 18. [Soulignement ajouté]

[35]  Le processus prévoyait la prise de terres [traduction] « inoccupées et non réservées » de la Couronne. Dans le cas de la RIWL no 1, les terres avaient été mises de côté et réservées conformément à la Land Act, 1911, qui prévoyait une certaine protection contre l’acquisition par préemption, et étaient occupées par la bande depuis 1881. La loi ne s’appliquait donc pas au processus d’acquisition des terres qui constitueraient l’assiette des rails.

[36]  Dans le cas de la PGER, une disposition législative particulière a été adoptée en prévision de sa constitution en société. Elle permettait la concession des terres qui constitueraient l’assiette des rails à la compagnie de chemin de fer. L’alinéa 13a) de l’annexe A de la Act to ratify an Agreement bearing Date the Tenth Day of February, 1912, between His Majesty the King and Timothy Foley, Patrick Welch, and John W. Stewart, and an Agreement bearing Date the Twenty‑third Day of January, 1912, between the Grand Trunk Pacific Railway Company and the Grand Trunk Pacific Branch Lines Company and said Foley, Welch, and Stewart, SBC 1912, c 34, dispose :

[traduction]

13.  Par la présente, le gouvernement convient avec le cabinet qu’il s’engagera envers la compagnie de la manière suivante, à savoir :

a.)  à transférer à la compagnie, au moyen d’une concession gratuite, une emprise n’excédant pas cent pieds de largeur pour ladite ligne de chemin de fer décrite ci‑dessus, dans la mesure où cette ligne s’étend ou s’étendra sur des terres inoccupées de la Couronne de la province de la Colombie‑Britannique : [Soulignement ajouté.]

[37]  Le pouvoir de transférer des terres inoccupées que confère cet article comporte la même restriction que celle prévue à la British Columbia Railway Act, qui limite l’affectation des terres de la Couronne aux [traduction] « terres inoccupées et non réservées de la province ».

[38]  La bande soutient ces restrictions empêchaient les terres réservées de façon provisoire en tant que RIWL no 1 d’être transférées à la PGER. Je reconnais que les lois sur les chemins de fer ne s’appliquaient pas à un tel transfert. Cependant, ces lois n’étaient pas les seules à permettre l’acquisition des terres qui constitueraient l’assiette des rails.

2.  Land Act de la Colombie‑Britannique

[39]  La Land Act, 1911, habilitait la Couronne à réserver et à concéder des terres publiques à des fins de réserve et de chemin de fer; de plus, s’agissant des terres de la Couronne provinciale désignées en tant que réserve indienne, elle lui conférait le pouvoir discrétionnaire de céder son intérêt dans lesdites terres, malgré leur statut de terres réservées, aux conditions jugées indiquées.

[40]  Aux termes de l’article 127 de la Land Act, 1911 :

[traduction]

127. Le lieutenant‑gouverneur en conseil pourra, en tout temps, par avis signé par le ministre et publié dans la Gazette, mettre de côté toute terre qui n’est pas légitimement détenue en vertu d’une préemption, d’un achat, d’une location, d’une concession de la Couronne ou d’un permis de coupe de bois, en vue de son transfert au gouvernement fédéral, en fiducie, pour l’usage et au profit des Indiens, et en fiducie, en vue de son retransfert au gouvernement provincial, dans les cas où, à tout moment, telle terre cesse d’être utilisée par les Indiens; et le lieutenant‑gouverneur en conseil pourra également mettre de côté toute terre nécessaire à la construction d’un chemin de fer ou à toute autre fin jugée appropriée; pourvu toujours qu’il soit légal pour le lieutenant‑gouverneur en conseil d’accorder, de transférer ou de vendre, en tout temps, à des conditions jugées indiquées, l’intérêt de la province, réversif ou autre, dans toute réserve indienne ou une partie de celle‑ci, ou encore d’y renoncer ou d’en disposer; pourvu que la déclaration de toute aliénation faite au titre des dispositions du présent article soit soumise à l’assemblée législative lors de la session suivant l’aliénation, dans les quinze jours de l’ouverture de ladite session. 1908, c 30, art 80; 1911, c 29, art 14 (partie). [Soulignement ajouté]

[41]  Cet article reproduit le libellé de l’ancienne Land Act, la Land Act, RSBC 1908, c 30 [Land Act, 1908], article 80. Cependant, dans l’ancienne loi, la dernière phrase commençant par [traduction] « Pourvu, toujours, qu’il soit légal […] » se trouvait dans un alinéa distinct.

[42]  Le droit régissant l’attribution et la prise de terres de la Couronne provinciale a été consolidé par cette loi. Le particulier qui répondait aux critères d’admissibilité prévus par la loi pouvait acquérir par préemption des terres de la Couronne à des fins agricoles. La loi prévoyait également un système de mise de côté de terres de la Couronne à des fins précises. Ces terres réservées incluaient non seulement les terres mises de côté aux fins de réserves indiennes et de chemins de fer, mais également les terres utilisées à d’autres fins, notamment des parcs, des cimetières, des églises et des ouvrages municipaux.

[43]  La distinction entre les terres désignées à titre de terres réservées et les terres concédées au moyen du processus de préemption, ou autrement aliénées par la Couronne, reposait en grande partie sur le fait que les terres réservées en vertu de la loi restaient des terres de la Couronne.

[44]  Pendant le processus de création de réserves en Colombie‑Britannique, les territoires proposés à titre de réserves étaient souvent choisis dans le cadre d’un processus de consultation auprès des peuples des Premières Nations. Les terres mises de côté étaient sommairement décrites dans une décision du ou des commissaires ayant participé à la mise de côté de terres convenables. Cette décision était souvent suivie par la préparation d’un plan d’arpentage qui intégrait habituellement la description faite dans la décision. L’arpentage était soumis pour acceptation au CCTT, comme ce fût en fait le cas en 1883 pour la RIWL no 1. Dans d’autres cas, par exemple celui des réserves dont il était question dans l’affaire Wewaykum, l’arpentage pouvait être refusé.

[45]  Ce processus, incluant l’acceptation du CCTT, était le plus loin qu’avait été la création de réserves en Colombie‑Britannique pour la majorité des réserves, et ce, jusqu’à ce que les terres soient transférées par la province au Canada conformément au décret provincial no 1036 daté du 29 juillet 1938.

[46]  Alors que la législation relative aux chemins de fer ne permettait à la compagnie de chemin de fer, de son propre chef, que d’exproprier des terres et d’acquérir des [traduction] « terres inoccupées et non réservées de la province », le dernier alinéa de l’article 80 de la Land Act, 1908, et la dernière phrase de l’article 127 de la Land Act, 1911, sont clairs : toute limite inhérente à la législation relative aux chemins de fer n’empêchait pas la Couronne provinciale de prendre des mesures pour concéder des terres de la Couronne afin qu’elles soient utilisées pour des chemins de fer, et ce, plus particulièrement, même si les terres avaient précédemment été réservées pour les Indiens conformément à la Land Act. Il est clair qu’il s’agissait du moyen utilisé pour le transfert, le paragraphe introductif de l’acte de concession de la Couronne de 1916 visant les terres qui constitueraient l’assiette des rails renvoyant précisément à cette loi. Le voici :

[traduction]

Attendu que l’article 80 du chapitre 30 de la loi de 1908, soit la Land Act, dispose qu’il est légal pour le lieutenant‑gouverneur en conseil d’accorder, de transférer ou de vendre, en tout temps, à des conditions jugées indiquées, l’intérêt de la province, réversif ou autre, dans une réserve indienne, ou encore d’y renoncer ou d’en disposer […]. [RCDM, volume 2, onglet 163; Pièce 3]

[47]  La seule conclusion que l’on peut en tirer est que la revendicatrice a tort lorsqu’elle fait valoir que le transfert des terres n’était pas autorisé par la législation provinciale. La Land Act provinciale conférait le pouvoir exprès de concéder les terres de la Couronne qui constitueraient l’assiette des rails.

[48]  De plus, la bande fait valoir que, pour que la concession de la Couronne soit considérée comme valide, la législation relative aux chemins de fer exigeait que la PGER respecte de façon stricte la procédure, laquelle n’a pas été suivie en l’espèce pour le transfert des terres constituant l’assiette des rails. L’argument de la bande, du moins en partie, renvoie à l’obligation que la procédure d’expropriation respecte de façon stricte toute exigence prévue par la loi. Or, l’acquisition des terres de la Couronne ne constituait pas une expropriation, et les exigences auxquelles renvoie cet argument ne constituaient pas une procédure prévue par la Land Act.

C.  Obligation de fiduciaire

1.  Obligation du Canada envers la revendicatrice

[49]  Indépendamment de la question du statut de la réserve, dès l’arpentage des terres en 1881 et, en fait, avant cette date, alors que la bande a exprimé à la Couronne son très grand besoin d’avoir une réserve, le Canada avait à l’égard de la bande l’obligation de fiduciaire d’intervenir en son nom dans le processus de création de réserves (Williams Lake, 2014 TRPC 3).

[50]  Au paragraphe 89 de l’arrêt Wewaykum, la Cour s’est exprimé sur le déroulement du processus de création de réserves et le rôle de représentant joué par le Canada dans ce processus :

Dans la présente affaire, le processus de création de réserves s’est étalé de 1878 environ à 1928, soit sur une période de 50 ans. À partir de 1907 au moins, le ministère a considéré que les réserves existaient, ce qui était effectivement le cas, eu égard au fait qu’elles étaient concrètement occupées. On ne peut raisonnablement affirmer que, durant cette période, la Couronne n’avait aucune obligation de fiduciaire envers les bandes concernées qui, en plus d’occuper les réserves provisoires, étaient entièrement tributaires de la Couronne pour que le processus de création des réserves aboutisse.

[51]  Dans l’affaire Wewaykum, les réserves en question n’ont pas été créées sur des sites traditionnels et, du moins lorsque ces sites ont d’abord été mis de côté, les membres des bandes ayant obtenu les sites ne les avaient jamais réellement occupés (dans un cas, la réserve était adjacente à un site de pêche, mais n’avait jamais été vraiment occupée avant de devenir une réserve). Dans ces cas où le lien des bandes avec les sites était plus ténu, l’obligation de fiduciaire de la Couronne envers les bandes en ce qui a trait aux sites de réserve a été décrite comme suit, au paragraphe 94 de l’arrêt Wewaykum :

Premièrement, quant au fond, la reconnaissance d’une obligation de fiduciaire assujettit l’intervention de la Couronne à des obligations additionnelles : loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation.

[52]  En l’espèce, le processus de création de réserves s’était rendu plus loin que dans l’affaire Wewaykum, car les terres mises de côté pour constituer la RIWL no 1 avaient reçu l’approbation du CCTT provincial en 1882, ce qui signifiait que les terres étaient soustraites à la préemption par des particuliers ayant le droit de préempter des terres de la Couronne en vertu de la Land Act. Les terres de réserve étaient occupées par la bande depuis 1881, faisaient partie des terres traditionnelles utilisées par la bande et avaient été réservées pour remplacer le village traditionnel qui avait été pris et attribué par préemption à des colons à une date antérieure (Williams Lake, 2014 TRPC 3). Comme il en a été question dans l’arrêt Wewaykum, la dernière étape pour que les terres réservées soient reconnues comme une réserve au sens de la Loi des sauvages n’a été complétée qu’en 1938, et les terres réservées étaient, en ce sens, provisoires et ne pouvaient être officiellement désignées à titre de réserve (ou faire l’objet d’une transaction directement par le Canada dans le cas de terres réservées requises pour cause d’utilité publique comme l’autorise l’article 46 de la Loi modifiant la Loi des Sauvages). Toutefois, pour des questions d’administration générale de la réserve, le Canada était considéré comme étant l’autorité pertinente, et, pendant de nombreuses années, la réserve a été administrée comme si elle était une réserve au sens de la Loi des sauvages. Le représentant de district local qui agissait comme administrateur était l’agent des Indiens fédéral de la région.

[53]  Le Canada a administré les terres réservées comme s’il s’agissait d’une réserve ayant le plein statut à tel point qu’il est allé jusqu’à citer le soi‑disant pouvoir conféré par l’article 46 de la Loi modifiant la Loi des Sauvages, 1911, de recevoir et traiter la demande de terres qui constitueraient l’assiette des rails déposée par la PGER. Les mesures prises par le Canada à cet égard ont abouti au décret no 3184, daté du 24 décembre 1914, lequel approuvait le transfert de l’assiette des rails à la compagnie de chemin de fer en mentionnant expressément cet article.

[54]  En l’espèce, les négociations relatives aux terres constituant l’assiette des rails ont pris une tournure déroutante, ce qui n’est pas surprenant dans les circonstances. Le Canada a traité l’attribution des terres réservées comme si la réserve avait été officiellement affectée pour les sauvages en vertu de la Loi modifiant la Loi des sauvages, 1911, et a même indiqué qu’il agissait au titre de l’article 46 de cette loi pour recevoir et traiter la demande de transfert des terres constituant l’assiette des rails présentée par la PGER. Au même moment, le Canada a renvoyé l’affaire devant la CRAS pour examen conformément à ses pouvoirs intérimaires. Enfin, la province a finalement agi en vertu de sa propre loi, la Land Act, en accordant la concession de la Couronne conformément à l’article 127 de cette loi.

[55]  Selon l’analyse faite dans l’arrêt Wewaykum, les mesures prises par le Canada sur le fondement de l’article 46 de la Loi modifiant la Loi des sauvages, 1911, en l’espèce, doivent être considérées comme étant inappropriées. Le soi-disant recours à l’article 46 ressort également des faits à l’origine de l’exclusion d’une parcelle de terre de la réserve en cause dans l’affaire Bande indienne de Tobacco Plains c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2017 TRPC 4 [Tobacco Plains], en 1915. Dans cette affaire, les terres de réserve attribuées par le MAI étaient requises pour y exploiter une installation douanière. Les deux organes concernés étaient des ministères fédéraux, et l’attribution de la terre affectée à l’installation douanière était uniquement imposée par le Canada. À l’obligation de fiduciaire envers la bande – décrite dans l’arrêt Wewaykum – s’ajoutait une obligation d’atteinte minimale à laquelle la Couronne devait satisfaire au moment d’attribuer des terres de réserve en vue de réaliser une fin d’intérêt public concurrente. Au paragraphe 127 de la décision Tobacco Plains :

La description générale de l’obligation de fiduciaire de la Couronne applicable à une réserve provisoire est la suivante : « obligations […] [de] loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation ». Dans l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry, par. 104, madame le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a écrit que, « [e]n tant que fiduciaire, la Couronne avait l’obligation d’agir avec le soin et la diligence “qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires” » (Wewaykum, au para 94). Cette obligation, dans le contexte de l’expropriation d’une partie de la réserve dans les circonstances de l’espèce, comporte le devoir de n’approuver que l’expropriation minimale nécessaire pour réaliser la fin d’intérêt public voulue. [En italique dans l’original.]

[56]  En l’espèce, l’obligation de fiduciaire d’agir au nom de la bande ne peut pas être moindre que celle décrite dans l’arrêt Wewaykum, et son contenu devrait, en fait, dépendre de l’importance que le transfert des terres revêtait pour la bande compte tenu du contexte historique et de son incapacité à remplacer les terres prises. Dans le cas qui nous occupe, le Canada n’attribuait pas des terres réservées à un ministère fédéral; l’obligation de faire ce qu’il pouvait pour s’assurer d’une atteinte minimale devrait faire partie de son obligation de fiduciaire.

[57]  L’article 13 des Conditions de l’adhésion a établi que la Couronne fédérale était l’autorité responsable des [traduction] « Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice ». Selon la Land Act provinciale, l’intérêt créé lorsque des terres étaient réservées pour des Indiens ne conférait pas un titre certain. Cet intérêt était suffisant pour empêcher la préemption publique des terres réservées (Gosnell c Minister of Lands (BC) and Attorney General (Canada), (le 26 février 1912 (BCSC), conf. le 24 juin 1912 (BCCA), pourvoi rejeté le 7 mars 1913 (CSC), décisions non publiées), mais celles‑ci pouvaient faire l’objet d’une concession de la Couronne à la discrétion du lieutenant‑gouverneur en conseil.

[58]  En 1911, la Loi des sauvages, SRC 1906, c 8, a été modifiée, et le nouvel article 46 prévoyait ce qui suit :

46. Nulle partie d’une réserve ne doit être prise pour les besoins d’un chemin de fer, d’une route, d’un ouvrage public ou d’un ouvrage destiné à quelque utilité publique sans le consentement du Gouverneur en conseil, mais toute compagnie ou toute autorité municipale ou provinciale possédant le pouvoir statutaire, soit fédéral soit provincial, de prendre et d’utiliser des terres ou quelque intérêt dans des terres, sans le consentement du propriétaire, peut, avec le consentement du Gouverneur en conseil comme susdit, et subordonnément aux termes et conditions imposés par ce consentement, exercer ce pouvoir statutaire à l’égard de toute réserve ou partie d’une réserve, et dans tout pareil cas une indemnité doit être versée aux sauvages de la bande, et l’exercice de ce pouvoir et la prise des terres ou d’un intérêt dans des terres, ainsi que la détermination et le versement de l’indemnité doivent, à moins de dispositions contraires dans l’arrêté du conseil qui fait preuve du consentement du Gouverneur en conseil, être régis par les prescriptions applicables à des procédures similaires prises par cette compagnie, ou cette autorité municipale ou provinciale dans des cas ordinaires.

[59]  Cette disposition permettait la prise d’une partie d’une réserve pour les besoins d’un chemin de fer ou à d’autres fins publiques par toute entité possédant le pouvoir légal, soit fédéral soit provincial, d’exproprier des terres ou un intérêt dans des terres, sous réserve des conditions établies par le Canada et du versement d’une indemnité à la bande. En l’espèce, cependant, compte tenu de l’arrêt Wewaykum, le consentement que le Canada a donné en vertu de cet article quant au transfert des terres constituant l’assiette des rails n’a pas eu pour effet véritable de transférer un intérêt dans ces terres, dont le titre a continué d’appartenir à la province et d’être assujetti aux dispositions de la Land Act. Il constitue au mieux une indication que le Canada ne s’opposait pas au transfert à la condition qu’une indemnité soit versée.

[60]  Pour ajouter à la complexité de la situation, la CRAS avait été expressément chargée de régler les questions liées à l’acquisition des terres de chemin de fer dans un rapport provisoire qu’elle a rédigé pendant son mandat. Le transfert en échange d’une indemnité pécuniaire était l’arrangement proposé par la CRAS. Cette dernière n’avait aucun pouvoir particulier pour mettre en œuvre sa recommandation, mais dans la Convention McKenna‑McBride, les autorités fédérales et provinciales avaient convenu de faire [traduction] « le nécessaire pour mettre en œuvre les recommandations des commissaires » (RCDM, volume 2, onglet 76).

[61]  Compte tenu des lois de l’époque et du caractère incomplet du processus de création de réserves, le Canada devait faire tout en son pouvoir pour informer et consulter la bande, ainsi que pour prendre toutes les mesures possibles pour promouvoir les intérêts de celle‑ci en faisant preuve de la prudence ordinaire comme s’il gérait ses propres affaires. De plus, comme dans l’arrêt Bande indienne d’Osoyoos c Oliver (Ville), 2001 CSC 85, [2001] 3 RCS 746 [Osoyoos], et la décision Tobacco Plains, le Canada avait l’obligation de porter minimalement atteinte aux droits de la bande sur les terres réservées, mais comme on le sait désormais grâce à l’arrêt Wewaykum, il n’avait qu’un pouvoir limité de s’opposer directement aux mesures unilatérales prises par la province en vertu de la loi provinciale.

2.  Conduite du Canada

a)  L’indemnité pécuniaire était‑elle adéquate?

[62]  La preuve disponible quant au caractère adéquat de l’indemnité versée est limitée. La société immobilière qui a proposé le paiement de 44,35 $ a calculé le montant selon des taux de 10 $ l’acre pour les pâturages et de 5 $ l’acre pour les terres en pente raide.

[63]  Lorsque les terres de la réserve ont été acquises, la partie la plus intéressante, le domaine de Bates, s’étendait sur quelque 3 364 acres et avait été achetée pour 5 000 $; c’était cependant plus de 30 ans auparavant, en 1881.

[64]  Appelé à évaluer les terres mises de côté pour les bandes dans le district de Cariboo l’année suivant l’évaluation des terres constituant l’assiette des rails, l’agent des Indiens de la région a évalué les 4 069 acres sur lesquelles s’étendait la RIWL no 1 à environ 25 $ l’acre.

[65]  Les terres constituant l’assiette des rails représentaient une petite parcelle, située essentiellement au pied d’une pente raide. Leur potentiel agricole était décrit comme se limitant au pâturage. De grandes parties de la réserve étaient des terres arables qui convenaient mieux à la production de foin ou à d’autres cultures agricoles, et une comparaison de ce territoire avec le reste de la réserve porte à croire que la valeur de la parcelle de 4 acres serait considérablement inférieure à la valeur moyenne par acre évaluée l’année suivante.

[66]  À titre d’indications plus poussées de la valeur des terres, le prix d’acquisition des terres préemptées au titre de la Land Act avait été fixé à un dollar l’acre à cette époque. Cependant, le processus permettant à des colons de préempter des terres dans la région avait commencé de nombreuses années auparavant, et les possibilités d’acquérir des terres de cette façon étaient peut‑être devenues minces.

[67]  Selon la preuve, rien ne laisse croire que la société immobilière a agi de façon inappropriée en donnant son opinion sur la valeur et, selon son rapport, les membres de la bande ont approuvé la valeur proposée. À la lumière de cette preuve limitée et tout bien considéré, je ne trouve rien qui appuie l’affirmation selon laquelle l’indemnité était inadéquate, c’est‑à‑dire que la valeur en dollar des terres était trop faible.

b)  Le Canada aurait‑il dû obtenir des terres de remplacement?

[68]  La deuxième question est de savoir si la Couronne a omis d’obtenir une meilleure forme d’indemnité, celle suggérée par la bande, en ne proposant pas une indemnité sous forme de terres en contrepartie de la parcelle prise à même la réserve.

[69]  Il est souvent difficile de remplacer des terres prises à même des terres mises de côté pour l’usage d’une bande. Comme il a été reconnu dans l’arrêt Osoyoos, aux paragraphes 45 et 46 :

Deuxièmement, il ressort du caractère sui generis du droit des Autochtones sur les terres de réserve et de la définition de « réserve » dans la Loi sur les Indiens qu’une bande indienne ne peut pas unilatéralement ajouter des terres à sa réserve ou remplacer de telles terres. L’intervention de la Couronne est requise en pareils cas. À cet égard, la notion de terres de réserve cadre mal avec la raison d’être traditionnelle du mécanisme de prise forcée de certaines terres en contrepartie d’une indemnité égale à la valeur marchande des terres en question majorée des frais. L’idée que la personne dont les terres sont prises puisse utiliser l’indemnité reçue pour acheter des biens de substitution ne tient pas compte, dans le contexte des terres de réserve, du fait qu’une telle situation aurait pour effet de réduire la taille de la réserve et de la possibilité que toute terre acquise ultérieurement à l’extérieur de la réserve ne comporte pas les privilèges assortissant les terres de réserve.

Troisièmement, il est clair qu’un droit foncier autochtone est davantage qu’un simple bien fongible. Un tel droit comporte généralement un aspect culturel important, qui reflète les rapports entre la collectivité autochtone concernée et le territoire ainsi que la valeur intrinsèque et unique des terres elles‑mêmes dont jouit la collectivité. Cette façon de voir vient du fait que le fondement juridique de l’inaliénabilité des droits fonciers des Autochtones repose en partie sur le principe de common law selon lequel le titre des colons doit découler d’une concession de la Couronne, et en partie sur la politique d’intérêt général qui consiste à « veiller à ce que [les Indiens] ne soient pas dépouillés de leurs droits » : voir Delgamuukw, précité, par. 129 à 131, le juge en chef Lamer; Mitchell, précité, p. 133.

[70]  Les terres administrées par le Canada à titre de terres de réserve sont susceptibles d’aliénation, au besoin, pour répondre à d’autres besoins d’intérêt public. L’article 46 de la Loi modifiant la Loi des Sauvages, 1911, prévoyait des mesures pour la prise de terres réservées à des fins publiques. Dans l’arrêt Osoyoos, c’est l’article 35 de la Loi sur les Indiens, LRC 1952, c 149 (article adopté ultérieurement en remplacement de l’article 46 de la Loi modifiant la Loi des Sauvages, 1911), qui conférait le pouvoir de transférer le titre afférent à des terres qui avaient été utilisées par le gouvernement provincial pour construire un canal d’irrigation dans des terres de réserve. La nature particulière des terres de réserve est à l’origine du principe établi dans l’arrêt Osoyoos, à savoir que la prise légale de terres de réserve doit avoir une incidence minimale sur la bande, ce qui peut vouloir dire que la Couronne doit veiller à ce que la bande conserve un intérêt réversif ou, à tout le moins, que le transfert se limite à la plus petite parcelle pouvant être justifiée. Le principe de l’incidence minimale peut également être observé grâce à des terres de remplacement, le cas échéant.

[71]  Cependant, la situation en l’espèce mettait en jeu le pouvoir donné à la CRAS, l’organisme chargé de traiter les propositions d’ajout ou de retranchement aux réserves existantes et les propositions de prise des terres réservées à des fins de construction d’un chemin de fer.

3.  Le Canada a‑t‑il respecté ses obligations de fiduciaire?

[72]  Le dossier révèle que la bande a été consultée sur la question de l’indemnité et que, bien que le chef Baptiste William ait reconnu que l’évaluation était appropriée, la bande aurait préféré recevoir des terres de remplacement. Cette demande visant à ajouter des terres à la réserve a été transmise à la CRAS, qui a informé le MAI qu’elle s’opposerait probablement à ce que la Commission recommande que des terres de la Couronne provinciale soient concédées en échange des terres utilisées pour le chemin de fer, pour lesquelles une indemnité pécuniaire avait déjà été obtenue. Il ne restait ainsi que deux options : 1) la compagnie de chemin de fer achète de la province des terres de remplacement et les met à la disposition de la bande; ou 2) le MAI utilise l’indemnité pécuniaire payée par la compagnie de chemin de fer pour acheter des terres à la bande. Les deux transactions reposaient sur la collaboration incertaine de la province. Finalement, la modeste somme d’argent et le besoin d’instruments aratoires et de graines l’ont emporté.

[73]  La demande de terres de remplacement transmise à la CRAS a été rejetée par cette dernière, qui a inscrit la mention sibylline « Irrecevable : Ministère » (RCDM, volume 2, onglet 164).

[74]  En résumé :

  • Bien que l’indemnité payée semble avoir été modeste, même pour l’époque, il n’a pas été démontré qu’elle était inadéquate. Elle ne permettait pas un versement proportionnel aux membres de la bande. La bande avait grandement besoin d’argent, et l’indemnité a été ajoutée aux fonds disponibles pour l’achat de graines et d’instruments aratoires. Des directives précises avaient été données par le MAI pour que la bande soit consultée dans le cadre du processus de détermination de l’indemnité;

  • La bande a reconnu que la valeur pécuniaire établie pour les terres était appropriée, mais elle a également proposé d’être plutôt indemnisée sous forme de terres de remplacement;

  • Cette proposition a été présentée par voie de demande à la CRAS, mais compte tenu de l’avis du secrétaire de la Commission, il semble clair que cette dernière aurait rejeté la demande visant à obtenir des terres de remplacement et que l’acquisition de telles terres aurait signifié qu’il aurait fallu acheter de la Couronne provinciale des terres à ajouter à la réserve;

  • La modeste somme d’argent et la possibilité d’utiliser les fonds pour acheter des instruments aratoires et des graines ont mené à la décision de ne pas poursuivre la demande visant à obtenir des terres de remplacement.

VII.  DÉcision

[75]  La présente affaire diffère de l’affaire Tobacco Plains, qui portait sur des terres de réserve exigées par le ministère des Douanes fédéral. Le ministère des Douanes n’avait probablement pas besoin de la totalité du territoire transféré, et il disposait peut‑être d’autres options que celle de prendre des terres de réserve. En ce sens, dans cette affaire qui concernait deux ministères fédéraux, le Canada exerçait un contrôle complet sur la transaction. En l’espèce, la décision de la Couronne de ne pas pousser l’option des terres de remplacement plus loin que la demande initiale déposée auprès de la CRAS était plus compliquée.

[76]  Je ne peux conclure qu’en soupesant les options possibles et en utilisant l’indemnité pour répondre à d’autres besoins de la bande plutôt qu’en essayant d’obtenir une réparation douteuse par l’acquisition de terres de remplacement provinciales, le Canada a manqué à ses obligations de fiduciaire. Il a agi de façon raisonnablement prudente, même si ce n’était pas l’issue préférée de la bande. La bande a été informée et consultée au cours du processus, et elle a finalement consenti au versement de l’indemnité. Les obligations de fiduciaire décrites dans l’arrêt Wewaykum ont été respectées.

[77]  Je conclus que les motifs invoqués au titre de l’article 14 de la LTRP pour justifier une conclusion de bien‑fondé de la revendication, qui repose sur l’affirmation que le transfert des terres constituant l’assiette des rails était illégal et que l’indemnité était inadéquate et aurait dû prendre la forme de terres de remplacement, n’ont pas été établis et que les mesures prises par le Canada au nom de la bande relevaient de l’exercice approprié de la fonction de fiduciaire de la Couronne.

WILLIAM GRIST

L’honorable William Grist

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid‑Triantafyllos


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20180914

Dossier : SCT‑7003‑15

OTTAWA (ONTARIO), le 14 septembre 2018

En présence de l’honorable William Grist

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE WILLIAMS LAKE

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice BANDE INDIENNE DE WILLIAMS LAKE

Représentée par Me Myriam Brulot et Me Kenji Tokawa

Donovan & Company, avocats

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Me Nicholas Claridge et Me Shelan Miller

Ministère de la Justice

 

 

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