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DOSSIER : SCT‑7007‑11

RÉFÉRENCE : 2018 TRPC 5

DATE : 20180814

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Revendicatrice

 

Me Allisun Rana, Me Patricia MacIver et Me Emily Grier, pour la revendicatrice

– et –

 

 

PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Revendicatrice

 

Me James Tate et Me Peter Millerd, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Me Mary French et Me Josef Rosenthal, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Les 26, 27 et 28 juin 2017 et les 21, 22 et 23 novembre 2017

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable W. L. Whalen


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 6; Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2012 TRPC 7; Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25; Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 2; London Loan & Savings Co of Canada c Brickenden, [1934] 3 DLR 465 (CJCP), conf. [1933] SCR 257; Hodgkinson c Simms, [1994] 3 RCS 377 (QL); Lac La Ronge Indian Band c Canada, 2001 SKCA 109, 206 DLR (4e) 638; R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, 177 DLR (4e) 513; Guerin c La Reine, [1984] 2 RCS 335 (QL); Canson Enterprises Ltd c Boughton & Co, [1991] 3 RCS 534 (QL); AIB Group (UK) Plc c Mark Redler & Co Solicitors, [2014] UKSC 58; Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 15; Première Nation de Fairford c Canada (Procureur général) (1998), [1999] 2 CF 48 (QL), [1999] 2 CNLR 60 (FCTD); Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, 417 DLR (4e) 239; Whitefish Lake Band of Indians c Canada (AG), 2007 ONCA 744, (2007) 87 OR (3e) 321; Premières Nations Huu‑Ay‑Aht c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 14.

Lois et règlements cités :

Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, SC 1942, c 33.

Land Act, RSBC 1948, c 175, art 45, 47, 120, 121.

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 20, 13.

Règlement concernant le pétrole et le gaz des Indiens, DORS/58‑90.

Doctrine citée :

Leonard I. Rotman, Fiduciary Law (Toronto, Thomson Carswell, 2005).

Sommaire :

La présente revendication découle de l’achat par le Canada des réserves indiennes nos 204, 205 et 206 (les réserves de remplacement) et de leur attribution à la Bande de Fort St. John Beaver (la BFSJB ou la bande). Les revendicatrices, la Première Nation de Doig River (Doig) et les Premières Nations de Blueberry River (Blueberry), sont les successeures immédiates de la BFSJB. Elles font partie du peuple Dane‑zaa et ont adhéré au Traité no 8.

La revendication a été scindée en deux étapes, soit celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation. Les parties en sont maintenant à l’étape de l’indemnisation.

Rappelons qu’en 1945, la BFSJB a cédé la réserve indienne no 172 (la réserve de Montney), située près de Fort St. John et principalement constituée de terres agricoles. Comme condition à la cession de la réserve de Montney, le Canada a promis d’acheter de nouvelles réserves pour la BFSJB en utilisant le produit de la vente de la réserve de Montney. En 1947, la Colombie‑Britannique a offert de vendre les réserves de remplacement au Canada, ce que le Canada a accepté. Le 25 août 1950, le Canada a mis de côté les réserves de remplacement pour la BFSJB. Lors de la transaction, le Canada a supposé à tort qu’il avait acquis les droits tréfonciers. Cependant, la Colombie‑Britannique avait inclus le formulaire no 11 dans son offre, de sorte que la province s’était réservée les droits tréfonciers. Le formulaire no 11 accordait à la province et à ses successeurs un droit d’accès étendu pour mener des activités pétrolières et gazières dans le sous‑sol des terres concernées ainsi que le droit d’utiliser l’eau et d’autres ressources en surface des terres afin de se livrer à des activités minières. En 1952, le Canada a appris que la Colombie‑Britannique avait conservé les droits tréfonciers. Le Canada a immédiatement informé la province de son erreur, sans toutefois en informer la BFSJB.

En 1977, la BFSJB s’est scindée en deux : la Première Nation de Doig River et les Premières Nations de Blueberry River. Blueberry occupe actuellement la RI no 205 et la partie sud de la RI no 204. Doig occupe la RI no 206 et la partie nord de la RI no 204. Ce n’est qu’en 1977 que les revendicatrices ont découvert que les réserves de remplacement ne comprenaient pas les droits tréfonciers.

Pour résumer l’étape du bien‑fondé, le Tribunal a conclu que le Canada a manqué à ses obligations de fiduciaire envers les revendicatrices lorsqu’il a acquis de la Colombie‑Britannique les réserves de remplacement sans se rendre compte que la province s’était réservé les droits tréfonciers. Le Canada n’a pas examiné le titre des réserves de remplacement et ne s’est pas renseigné au sujet des droits tréfonciers; il n’a pas informé la BFSJB de la nature et de la qualité du titre offert par la Colombie‑Britannique; il n’a pas expliqué les conséquences pratiques de la transaction; il n’a pas consulté la BFSJB; et il n’a pas essayé de prendre des mesures correctives. Le Tribunal a confirmé qu’en cédant la réserve de Montney, la BFSJB voulait générer des revenus afin de réduire la pauvreté et d’acquérir de nouvelles réserves adaptées à son mode de vie traditionnel axé sur la chasse et le piégeage. Le Canada comprenait ces intérêts. La réserve des droits tréfonciers par la Colombie‑Britannique plaçait la BFSJB dans une situation de vulnérabilité. Si les réserves de remplacement avaient compris les droits tréfonciers, la BFSJB aurait pu alors accorder un droit d’accès si elle l’avait voulu et y mettre fin si un tel accès avait eu des effets perturbateurs. Elle aurait aussi été en mesure de tirer des revenus des activités pétrolières et gazières autorisées. Au début de la période concernée, la province n’avait pas à consulter la BFSJB ni à partager les revenus découlant des droits tréfonciers lorsqu’elle délivrait un permis d’exploitation pétrolière et gazière dans les réserves de remplacement. La vulnérabilité de la BFSJB devant les perturbations qui menaçaient l’usage qu’elle avait prévu faire des terres, les conséquences sur les revenus qu’elle pouvait en tirer, ainsi que l’absence de recours plaçaient la BFSJB dans une situation déraisonnable et abusive.

Après l’étape du bien‑fondé, les parties ont demandé de subdiviser à nouveau l’étape de l’indemnisation pour déterminer les [traduction] « types de pertes indemnisables ». Cette sous‑étape visait à préciser la nature de la perte d’occasion découlant du manquement afin de rendre l’étape de l’évaluation plus efficace. Les questions étaient les suivantes : Si le Canada s’était acquitté de ses obligations, que serait‑il vraisemblablement arrivé? La perte d’occasion ouvrant droit à indemnisation comprend‑elle la perte de l’occasion d’acquérir les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement ou est‑elle restreinte par l’usage traditionnel prévu des réserves de remplacement au moment de l’achat?

Au départ, l’intimée a objecté qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’être entendue à l’étape du bien‑fondé sur la question de savoir si les droits conférés par le formulaire no 11 avaient placé la BFSJB dans une situation de vulnérabilité et faisaient en sorte que les réserves de remplacement ne convenaient plus à l’usage que la bande avait prévu en faire. L’intimée a par la suite retiré cette objection et convenu que le Canada n’aurait pas pu garantir à la bande qu’elle pourrait contrôler l’accès aux réserves de remplacement compte tenu de la réserve prévue au formulaire no 11. Le régime de réglementation fédéral en vigueur en novembre 1947 était peu contraignant, non éprouvé et, jusqu’alors, s’appliquait aux réserves qui comprenaient les droits de superficie et les droits tréfonciers. Il ne couvrait pas la situation particulière de la bande. Le Canada n’aurait donc pas pu garantir que les activités pétrolières et gazières ne perturberaient pas la vie de la bande ou ses pratiques traditionnelles connexes.

Quant à ce qui serait vraisemblablement arrivé si le Canada avait rempli ses obligations, le Tribunal a conclu que les parties auraient pris leurs décisions concernant l’offre de la province en fonction des circonstances dont elles auraient eu connaissance au moment de prendre ces décisions, soit le 26 novembre 1947, lorsque le Canada a accepté l’offre de la Colombie‑Britannique.

L’intimée a demandé au Tribunal de tenir compte des décisions et de la conduite de la BFSJB après 1947 et de les considérer comme des indices des intentions de la BFSJB en novembre 1947 et des opinions qu’elle avait alors quant à la compatibilité des pratiques traditionnelles et de l’exploitation minière par des titulaires de permis provinciaux. L’application du principe de la conduite après la cession découlait, par analogie, des principes d’interprétation des traités. Le Tribunal n’était pas convaincu que le principe devait s’appliquer dans les circonstances de la présente revendication. Même si c’était le cas, la preuve était insuffisante pour étayer l’affirmation selon laquelle la BFSJB était d’avis, en 1947, que les droits tréfonciers n’étaient pas importants pour l’usage qu’elle avait prévu faire de la surface et que, par conséquent, la réserve par la province aurait été acceptable même si la BFSJB en avait été informée.

Par ailleurs, si le Tribunal avait tenu compte de la conduite ultérieure, son analyse de l’état d’esprit de la BFSJB et du Canada en 1947 aurait été influencée par la connaissance actuelle des événements, dont ni la BFSJB ni le Canada n’avaient connaissance en 1947. De plus, les approbations d’activités pétrolières menées ultérieurement étaient motivées par d’autres préoccupations, notamment le financement de la poursuite liée à la réserve de Montney. Il serait abusif d’attribuer à ces approbations l’intention prônée par l’intimée.

Compte tenu des cessions de 1940 et de 1950, il est vrai que la BFSJB était favorable à une certaine exploration pétrolière dans ses réserves. Cependant, la BFSJB acceptait de donner un accès limité à ses terres et maintenait le rapport fiduciaire avec le Canada que suppose une cession. Le formulaire no 11 était permanent et exposait la BFSJB à des risques à l’égard desquels celle‑ci ne pouvait alors exercer aucune surveillance ni aucun contrôle.

Il incombe à l’intimée de prouver son affirmation voulant que, si la BFSJB avait bien été informée, elle aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers. L’intimée ne s’est pas acquittée de ce fardeau de preuve. Le formulaire no 11 nuisait aux objectifs de la BFSJB et la rendait vulnérable. Les risques liés à la tentative de négocier l’inclusion des droits tréfonciers, notamment les retards potentiels et/ou un prix d’achat plus élevé, n’auraient pas été assez grands pour dissuader la BFSJB d’essayer de conclure une meilleure transaction. La BFSJB n’était pas à l’origine de la proposition de cession et, en 1947, elle avait encore le choix de révoquer la cession si l’offre de la province ne répondait pas mieux à ses besoins. Certes, la BFSJB voulait gagner des revenus, mais au milieu des années 1940, la pauvreté n’était pas un facteur aussi important qu’il l’avait été au cours des dix ou vingt années précédentes, et la réserve de Montney générait déjà des revenus.

L’option de garder la réserve de Montney aurait guidé l’approche adoptée par la bande à l’égard des négociations relatives aux réserves de remplacement. De très nombreux éléments de preuve ont été présentés concernant le mode de vie traditionnel de la BFSJB et son degré d’attachement à la réserve de Montney au milieu des années 1940. La réserve de Montney était la plaque tournante de la région où la bande se procurait ses ressources. Son importance centrale dans la vie nomade traditionnelle de la BFSJB constituait une nouvelle information qui mettait en lumière la nature intégrée des pratiques traditionnelles de la bande.

Si elle avait été informée du formulaire no 11 avant le 26 novembre 1947, la BFSJB aurait su que le sous‑sol ne pourrait générer aucun revenu pour la bande, mais qu’il le pourrait pour d’autres un jour. Elle aurait également su que les perturbations prévues au formulaire no 11 étaient tout à fait possibles lorsque la province délivrait des permis aux producteurs pétroliers et gaziers. Elle ne pouvait pas prévoir les régimes de réglementation qui entreraient en vigueur, qui n’étaient donc pas pertinents à ce moment. La réserve de Montney était suffisamment importante aux yeux de la BFSJB pour que, si elle avait été bien informée, elle veuille conclure une meilleure transaction à l’égard des réserves de remplacement en exigeant d’obtenir les droits tréfonciers. Si des réserves de remplacement appropriées ne pouvaient être trouvées, alors la conservation de la réserve de Montney était la meilleure option pour la bande.

Pour sa part, si le Canada s’était acquitté de ses obligations, il aurait remarqué le formulaire no 11 et aurait consulté la BFSJB. Le Canada aurait probablement conseillé à la BFSJB de ne pas accepter l’offre sans les droits tréfonciers, serait retourné rencontrer la province et aurait demandé l’inclusion de ces droits dans la transaction.

En 1947, le gouvernement fédéral avait connaissance de l’exploration pétrolière dans la région. Le Canada avait pour politique de réserver les droits tréfonciers afférents à ses propres terres et, après un long conflit avec la province, il avait récemment conclu à son avantage la Convention Scott‑Cathcart sur la question des droits tréfonciers. Compte tenu des pouvoirs et des responsabilités étendus conférés au Canada par la Loi sur les Indiens, il aurait pu refuser l’offre de son propre chef.

De plus, le Canada aurait probablement convaincu la province d’inclure les droits tréfonciers dans la vente. En 1947, le Canada et la Colombie‑Britannique étaient très engagés dans le projet visant à permettre l’établissement d’anciens combattants démobilisés après la Seconde Guerre mondiale dans la réserve de Montney. Il appert du dossier que la Colombie‑Britannique s’est montrée intéressée dès le mois de mai 1935. En 1945, le ministre provincial des Terres a reconnu qu’il serait [traduction] « grandement dans l’intérêt public » d’aménager la réserve de Montney. Même si la réinstallation des anciens combattants était une initiative fédérale, selon la province, il s’agissait d’une question de besoins en matière de services provinciaux et d’aménagement régional. Les anciens combattants démobilisés se réinstalleraient dans les villes et cités de la Colombie‑Britannique, chercheraient du travail et une maison et auraient recours aux services provinciaux. Le fait que le projet de la réserve de Montney était un projet fédéral était avantageux pour la province, car il répondait à des besoins provinciaux à même des fonds fédéraux. La Colombie‑Britannique était très engagée dans la réinstallation des anciens combattants et donc grandement intéressée par la cession et l’aménagement de la réserve de Montney.

De plus, le projet était connu du public depuis au moins 1945. À l’échelle locale, les attentes et les efforts de planification devaient avoir augmenté au cours des deux années suivantes. Le 26 novembre 1947, la Colombie‑Britannique était très motivée à permettre l’aménagement de la réserve de Montney et était réellement engagée dans ce projet. Une très petite étendue de terre était en jeu comparativement à l’intérêt public général.

Si le Canada avait été bien informé et qu’il avait consulté la BFSJB, il est peu probable que la bande aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers; aucune raison ne le justifiait. Il est également peu probable que la Colombie‑Britannique aurait conservé les droits tréfonciers si le Canada avait insisté. Par conséquent et pour tous les motifs exposés, le Tribunal a conclu que l’option de révoquer la cession de la réserve de Montney n’était pas entrée en ligne de compte.

Selon l’intimée, comme la BFSJB avait conservé son mode de vie traditionnel dans les réserves de remplacement et aux alentours, ce qui, selon l’intimée, était l’objet des réserves de remplacement tel qu’il est indiqué dans la décision relative au bien‑fondé, elle n’avait subi aucune perte liée à cet objet du fait qu’elle n’avait pas les droits tréfonciers. Si aucune perte n’avait été subie relativement à cet objet, alors la perte d’occasion de tirer profit des droits tréfonciers ne constitue ni une catégorie ni un type de perte indemnisable compte tenu des faits particuliers de la présente revendication.

Dans les faits, la décision relative au bien‑fondé a énoncé les objectifs de la BFSJB. En 1947, la BFSJB voulait générer des revenus et conserver son mode de vie traditionnel. Toutefois, même si la BFSJD n’avait pas eu pour objectif de générer des revenus, aucun précédent n’a été présenté à l’appui de l’idée que les objectifs poursuivis par la BFSJB en 1947 devraient limiter les catégories possibles de pertes indemnisables de la manière proposée par l’intimée. L’approche adoptée par les revendicatrices est encore plus convaincante : l’intimée avait une norme de conduite à respecter et un mandat à remplir afin de s’acquitter de ses obligations sans y manquer, ce qui dans les circonstances et si elle s’en était acquittée, aurait entraîné l’acquisition de l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement ou, sinon, la révocation de la cession de la réserve de Montney. Dans les circonstances et pour les motifs susmentionnés, la perte d’occasion découlant du manquement est la perte de l’occasion d’acquérir l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement.

À la prochaine étape de l’instance, il sera déterminé comment la perte devrait être quantifiée. Par conséquent, l’incidence réelle de la propriété des droits tréfonciers par la province sur les activités traditionnelles depuis l’acquisition des réserves de remplacement n’est pas une question à trancher dans le cadre de la présente sous‑étape.

En résumé, sans le savoir, la BFSJB et ses successeures ont reçu moins que ce qu’elles auraient vraisemblablement accepté si elles avaient été pleinement informées. S’il n’avait pas manqué à ses obligations, le Canada aurait probablement convaincu la Colombie‑Britannique de transférer les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Pour les motifs exposés et n’eût été le manquement, selon la prépondérance des probabilités, les revendicatrices auraient reçu les droits tréfonciers. Le fait de ne pas avoir acquis les droits tréfonciers est directement lié au manquement. La perte d’occasion découlant des manquements exposés dans la décision relative au bien‑fondé est la perte d’occasion d’obtenir l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement, dont les droits tréfonciers. La perte à quantifier à la prochaine étape peut donc inclure les pertes liées au fait de ne pas avoir acquis les droits tréfonciers en plus des droits de superficie.

TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction  11

A. Aperçu de la revendication  11

B. Instance devant le Tribunal des revendications particulières  13

1. Contexte général  13

2. Décision relative au bien‑fondé  14

II. QUESTIONS  25

III. Positions DES PARTIES  26

A. Position des revendicatrices  26

B. Position de l’intimée  31

IV. FAITS ADMIS  36

A. Généralités  36

B. Cession de la réserve de la réserve de Montney  37

C. Achat des terres de remplacement  38

D. Scission de la bande  40

V. Témoins Experts  40

A. M. Robin Ridington  40

B. M. Paul Precht  46

VI. PREUVE PAR Histoire orale et témoignage direct de profane  51

VII. APERÇU DU DROIT APPLICABLE  58

VIII. AnalysE  70

A. Scénarios de rechange proposés  72

B. Approche pour déterminer l’autre transaction la plus probable  73

1. Connaissance des parties à la date déterminante  73

2. Recours à la conduite après 1947 pour déterminer ce que la BFSJB aurait probablement décidé si elle avait été bien informée  75

C. Objection retirée de l’intimée  80

D. Autre transaction la plus probable : BFSJB et Canada  82

E. Autre transaction la plus probable : Colombie‑Britannique  88

F. Arguments de l’intimée à l’appui de l’« absence de perte »  94

IX. Conclusion  102


 

I.  Introduction

A.  Aperçu de la revendication

[1]  La présente revendication découle de l’achat par le Canada des réserves indiennes nos 204, 205 et 206 (les réserves de remplacement ou RI no 204, RI no 205 et RI no 206) et de leur attribution à la Bande de Fort St. John Beaver (la BFSJB ou la bande) comme condition à la cession par la bande de la réserve de Montney, également connue sous les noms de Suu Na chii K’chige ou de réserve indienne no 172. La réserve de Montney avait été attribuée à la bande par suite de son adhésion au Traité no 8. Les revendicatrices font partie du peuple Dane‑zaa et sont les successeures immédiates de la BFSJB.

[2]  Sur consentement des parties, le Tribunal a ordonné la division de la revendication en deux étapes distinctes, soit celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation. Dans la décision relative au bien‑fondé, le Tribunal a conclu que le Canada avait manqué à ses obligations de fiduciaire envers les revendicatrices lorsqu’il a acquis les réserves de remplacement auprès de la Colombie‑Britannique sans se rendre compte que la province s’en était réservé les droits tréfonciers (Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2015 TRPC 6). Les parties sont maintenant rendues à l’étape de l’indemnisation.

[3]  La décision relative au bien‑fondé expose en détail les manquements aux obligations en cause, les faits sous‑jacents à la revendication et le contexte de celle‑ci. En bref, le 22 septembre 1945, la BFSJB a cédé la réserve de Montney, qui s’étendait sur 18 168 acres (28,4 milles carrés) de terres agricoles de qualité situées à proximité de la communauté en croissance de Fort St. John, dans le district de la rivière La Paix dans le nord‑est de la Colombie‑Britannique. Après la Seconde Guerre mondiale, le Canada a voulu utiliser les terres agricoles pour réinstaller d’anciens combattants démobilisés. Le 30 mars 1948, le Canada a transféré les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney au Directeur des terres destinées aux anciens combattants, Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, SC 1942, c 33, (LTDAC) afin qu’ils soient distribués aux anciens combattants. Le Canada a reçu la somme de 70 000 $ pour le transfert, dont le produit net a été déposé dans le compte en fiducie de la bande.

[4]  Comme condition à la cession de la réserve de Montney, le Canada a promis d’acheter de nouvelles réserves pour la BFSJB en utilisant le produit de la vente de la réserve de Montney. Les nouvelles réserves proposées devaient être situées près des secteurs de piégeage. En fait, la bande a été consultée au sujet de l’emplacement et de la superficie de ces réserves. Le 6 novembre 1947, la Colombie‑Britannique a offert de vendre les réserves de remplacement au Canada et, le 26 novembre 1947, le Canada a accepté l’offre. Le prix d’achat s’élevait à 4 932,50 $, en plus d’une somme de 30 $ au titre des droits de concession de la Couronne. Les réserves de remplacement représentaient 34 % de la superficie de la réserve de Montney et s’étendaient sur 6 194 acres (9,7 milles carrés).

[5]  Par le décret no 1655 daté du 25 juillet 1950, la Colombie‑Britannique a approuvé la vente et le transfert des réserves de remplacement au Canada [traduction] « sous réserve des dispositions et des restrictions prévues dans le formulaire nº 11 de l’annexe du chapitre 175 des statuts révisés de 1948 de la Colombie‑Britannique » (cahier conjoint des documents déposé le 29 novembre 2017 (CCD), volume 1, onglet 71). Par le formulaire no 11, la province se réservait les droits tréfonciers.

[6]  Le 25 août 1950, le Canada a mis de côté les réserves de remplacement pour la bande. Lors de la transaction, le Canada a supposé à tort qu’il avait acheté les droits tréfonciers. De plus, alors que le processus de vente de la réserve de Montney et d’acquisition des réserves de remplacement suivait son cours, une ou plusieurs sociétés d’exploitation pétrolière se sont montrées intéressées par les réserves de remplacement. Le 11 octobre 1950, seulement deux mois après l’attribution, le Canada a accepté la cession par la bande des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Puis, le 26 octobre 1950, le Canada a délivré un permis d’exploration pétrolière à Halfway River Development Co. Ltd. (Halfway). Dans une lettre datée du 19 janvier 1952 adressée au ministère, Halfway a indiqué qu’elle avait été informée par la Colombie‑Britannique que c’était la province qui détenait les droits tréfonciers, de sorte que le permis d’exploration qu’on lui avait délivré était invalide. La Colombie‑Britannique a informé le Canada de la même chose dans une lettre datée du 26 janvier 1952. Le Canada a immédiatement informé la province de son erreur, sans en informer la BFSJB. Il s’est avéré que la Colombie‑Britannique avait déjà accordé à une autre société, en mars 1950, un permis d’exploration visant les droits tréfonciers réservés, avant même la mise de côté des réserves de remplacement.

[7]  En 1977, la BFSJB s’est scindée en deux Premières Nations, qui sont les revendicatrices dans le cadre de la présente instance : la Première Nation de Doig River (Doig) et les Premières Nations de Blueberry River (Blueberry; et collectivement, les bandes). Blueberry occupe actuellement la RI no 205 et la partie sud de la RI no 204. Doig occupe la RI no 206 et la partie nord de la RI no 204.

[8]  Ce n’est qu’en 1977 que les revendicatrices ont découvert que les réserves de remplacement ne comprenaient pas les droits tréfonciers.

B.  Instance devant le Tribunal des revendications particulières

1.  Contexte général

[9]  Doig a déposé la présente revendication, et Blueberry a été constituée partie à l’instance à la suite de la décision rendue par le Tribunal dans l’affaire Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2012 TRPC 7.

[10]  La présente revendication porte sur les obligations juridiques de l’intimée à l’égard de l’acquisition et de la mise de côté des réserves de remplacement pour la BFSJB. Les questions relatives à la cession de la réserve de Montney par la BFSJB et au traitement des droits miniers afférents à la réserve de Montney par le Canada ont été entendues dans le cadre de l’instance ayant mené à l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25 [Blueberry], où les demanderesses ont prouvé qu’il y avait eu manquement à des obligations de fiduciaire. Au départ, dans l’affaire Blueberry, les revendicatrices demandaient à la Cour, comme conclusion subsidiaire, de prononcer un jugement déclarant que le Canada avait omis d’obtenir les droits miniers afférents aux réserves de remplacement, mais cette conclusion subsidiaire a été retirée avant le début de l’instance.

[11]  Dans le cadre de la présente instance, l’intimée a présenté une demande en vue de faire radier la revendication en raison du principe de l’autorité de la chose jugée et de l’entente de décharge et d’indemnisation signée par les parties dans l’affaire Blueberry. Le Tribunal a rejeté la demande : Première Nation de Doig River et Premières Nations de Blueberry River c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 2.

2.  Décision relative au bien‑fondé

[12]  Dans la décision relative au bien‑fondé, le Tribunal a conclu que l’intimée avait manqué à ses obligations envers les revendicatrices, à titre de successeures de la BFSJB, alors que, s’agissant des réserves de remplacement, le Canada n’avait pas examiné le titre et ne s’était pas renseigné au sujet des droits tréfonciers; il n’avait pas informé la BFSJB de la nature et de la qualité du titre offert par la Colombie‑Britannique; il n’avait pas expliqué les conséquences pratiques de la réserve des droits tréfonciers; et il n’avait pas consulté la BFSJB :

Le Canada aurait dû s’informer de l’existence et des conséquences de la réserve des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement par la Colombie‑Britannique. Il aurait dû ensuite en informer la bande, lui expliquer ce que la réserve impliquait et tenir compte des désirs de la bande. Il n’est pas nécessaire de faire des conjectures sur ce que la bande aurait pu faire si elle avait été au courant. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’elle aurait dû être consultée afin de faire un choix éclairé. Je conclus donc que le fait que le Canada n’ait pas examiné la nature et la qualité du titre qu’il acquérait au nom de la bande constituait un manquement à son obligation de fiduciaire. Le fait que le Canada n’ait pas informé la bande de la nature et de la qualité de ce titre, qu’il n’ait pas expliqué les conséquences pratiques de la réserve des droits tréfonciers et qu’il n’ait pas consulté la bande sur ses désirs dans les circonstances constitue un autre manquement à son obligation de fiduciaire. [Au para 167]

[13]  Le Canada a également manqué à son obligation de fiduciaire de chercher des mesures correctives. Le fait qu’il n’aurait pas pu annuler la transaction une fois le transfert effectué ne le dégageait pas de ses obligations de fiduciaire :

Il ne fait aucun doute que les pouvoirs de réparation que la Loi sur les Indiens confère au Canada n’auraient pas pu s’appliquer à l’égard de la Couronne provinciale. Le Canada n’aurait pas pu annuler l’opération, comme la Cour suprême du Canada a conclu qu’il pouvait le faire dans l’arrêt Guerin. Or, je ne crois pas que cela dégageait le Canada de l’obligation d’essayer de corriger l’erreur. Je n’ai aucune idée des solutions dont il pouvait disposer. Le Canada aurait pu tenter de négocier une entente avec la Colombie‑Britannique quant aux différentes façons dont la province aurait pu exercer les droits tréfonciers, dont un processus de consultation ou une entente de partage avec la bande. Il aurait pu vérifier si d’autres terres de la région étaient disponibles, des terres dont le titre aurait comporté les droits de superficie. Il aurait pu offrir à la bande une somme d’argent au lieu de droits de superficie. À ce stade‑ci, il n’est pas nécessaire de faire des conjectures sur ce qui aurait pu se produire. Le fait est que le Canada n’a rien fait pour essayer de corriger la situation. Je conclus que cela constituait aussi un manquement à l’obligation de fiduciaire que le Canada avait à l’égard de la bande. [Décision relative au bien‑fondé, au para 170]

[14]  Les conséquences de la réserve des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement par la province ont été longuement débattues à la présente audience. Ainsi, la nature de la réserve revêt une certaine importance. Comme il est mentionné au paragraphe 116 de la décision relative au bien‑fondé, le prix de vente des terres domaniales était prévu aux articles 45 et 47 de la Land Act, RSBC 1948, c 175, de la Colombie‑Britannique [Land Act de 1948], qui conféraient au ministre le pouvoir discrétionnaire de réduire, d’au plus de la moitié, le prix des terres de la Couronne provinciale qui étaient vendues à la Couronne fédérale [traduction] « pour l’usage des Indiens ». Le ministre a exercé ce pouvoir discrétionnaire en accordant la réduction totale :

Toutes ces lois classaient les terres domaniales vendues selon différentes catégories, établissaient un prix minimal pour chacune de ces catégories, et réservaient systématiquement tous les droits tréfonciers à la province. Le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de réduire, d’au plus de la moitié, le prix des terres qui étaient vendues au Canada [traduction] « pour l’usage des Indiens ». La Land Act de 1948 s’appliquait aux transferts des réserves de remplacement. Les dispositions pertinentes étaient libellées de la façon suivante :

[traduction]

45. Les terres libres ou facilement défrichables, propices à l’agriculture, et les prairies de fauche seront considérées comme des terres de première classe; toutes les autres terres pouvant être cultivées seront considérées comme des terres de deuxième classe, et les terres qui ne sont ni des terres de première classe ni des terres de deuxième classe seront considérées comme des terres de troisième classe. Les terres contenant du bois d’œuvre dans une proportion de huit mille pieds à l’acre à l’ouest des Cascades et de cinq mille pieds à l’acre à l’est des Cascades, pour chacun des cent soixante acres, seront considérées comme des terres à bois.

47. Le prix minimal des terres de première classe s’élève à cinq dollars par acre, celui des terres de deuxième classe s’élève à deux dollars et cinquante cents par acre et celui des terres de troisième classe s’élève à un dollar par acre. Cependant, le ministre peut, à son gré, augmenter le prix des terres. Si les terres sont vendues à la Couronne du chef du Canada pour l’usage des Indiens, le ministre peut, à son gré, réduire le prix de ces terres jusqu’à deux dollars et cinquante cents par acre pour les terres de première classe, jusqu’à un dollar et vingt‑cinq cents par acre pour les terres de deuxième classe, et d’au plus cinquante cents par acre pour les terres de troisième classe. [Décision relative au bien‑fondé, au para 116]

[15]  La réserve quant aux droits sur le pétrole et le gaz naturel afférents aux terres de la Couronne provinciale était prévue aux articles 120 et 121 de la Land Act de 1948. Les transferts de terres de la Couronne provinciale devaient être effectués suivant le formulaire no 11, qui en précisait les détails et accordait à la province et à ses successeurs un droit d’accès étendu pour mener des activités pétrolières et gazières dans le sous‑sol des terres concernées. Le formulaire no 11 donnait également le droit d’utiliser l’eau et d’autres ressources en surface des terres aux fins d’activités minières. Ces éléments étaient résumés aux paragraphes 117 et 118 de la décision relative au bien‑fondé :

Les articles 120 et 121 de la Land Act de 1948 établissaient une réserve quant aux droits sur le charbon, le pétrole et le gaz naturel afférents aux terres domaniales provinciales, et l’article 121 prévoyait que le transfert de ces terres devait être effectué suivant le formulaire nº 11. Ce formulaire réservait tous les droits tréfonciers à la province, en plus des droits sur le charbon, le pétrole et le gaz naturel. Il réservait aussi les droits sur les minéraux situés à la surface des terres et accordait un droit d’accès étendu aux terres afin d’y prendre les minéraux. Voici le passage pertinent du formulaire nº 11 :

[traduction] De plus, pourvu qu’il soit en tout temps légal pour nous, nos héritiers et successeurs et toute personne agissant en notre nom ou au nom de nos héritiers et successeurs, de pénétrer sur toute partie desdites terres et d’y prélever et d’en tirer des minéraux, précieux ou communs, situés sur ou sous celles‑ci, y compris le charbon, le pétrole et le gaz naturel, et d’utiliser et de jouir de toute et chacune des parties desdites terres, en plus d’exercer les servitudes et privilèges qui s’y rattachent, afin d’y prélever et d’en tirer lesdits minéraux, et à toute fin connexe, en échange d’une contrepartie raisonnable.

Le formulaire nº 11 ne s’arrêtait pas là. Il donnait aussi à la province le droit d’utiliser l’eau ou d’accorder à un tiers des droits généraux d’utilisation de l’eau raisonnablement nécessaire pour l’extraction minière (toujours en échange d’une contrepartie raisonnable) et le droit (sans contrepartie) de prendre du gravier, du sable, des pierres, de la chaux, du bois ou d’autres matériaux nécessaires à la construction, à l’entretien ou à la réparation de routes, ponts et autres ouvrages publics :

[traduction]

Pourvu qu’il soit en tout temps légal pour toute personne dûment autorisée à ce titre par nous, nos héritiers et nos successeurs, de prendre et d’occuper de telles concessions hydrauliques et de jouir et disposer du droit de transporter de l’eau sur, à travers ou sous toute partie de l’héritage concédé, à des fins raisonnables d’exploitation minière ou agricole à proximité de cet héritage, et en échange d’une contrepartie raisonnable aux héritiers et successeurs :

De plus, pourvu qu’il soit en tout temps légal pour toute personne dûment autorisée à ce titre par nous, nos héritiers et nos successeurs, de prendre, dans toute partie de l’héritage concédé, sans contrepartie, du gravier, du sable, des pierres, de la chaux, du bois ou d’autres matériaux nécessaires à la construction, à l’entretien ou à la réparation de routes, ponts et autres ouvrages publics;

[16]  Le Tribunal a également conclu que la Land Act de 1948 conférait au ministre le pouvoir discrétionnaire de transférer au Canada les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement :

Il convient de souligner que la Land Act de 1948 conférait au lieutenant‑gouverneur en conseil le pouvoir de transférer au Canada des terres domaniales sans aucune restriction. Autrement dit, le ministre aurait pu, à sa discrétion, transférer au Canada les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement dans le présent cas ou dans tout autre cas :

[traduction]

66(2) Le lieutenant‑gouverneur en conseil pourra transférer l’administration, le contrôle et le bénéfice des terres domaniales à Sa Majesté le Roi du chef du Canada, pour toujours ou pour quelques années, avec ou sans contrepartie, et conformément aux dispositions, restrictions et privilèges qu’il jugera les plus utiles. [Décision relative au bien‑fondé, au para 121]

[17]  L’intimée a fait valoir que la Colombie‑Britannique avait adopté une politique consistant à réserver les droits tréfonciers afférents aux terres provinciales cédées, y compris à celles cédées au Canada pour la création de réserves. Elle a fourni la preuve de tels transferts, autant avant qu’après l’attribution des réserves de remplacement, où les droits tréfonciers avaient été conservés. Le Tribunal a donné raison à l’intimée sur ce point et a conclu que le Canada n’avait pas demandé à la province d’exercer son pouvoir discrétionnaire ou même qu’il en ait été question. Les paragraphes 122 et 123 de la décision relative au bien‑fondé résument ce point comme suit :

Cependant, rien n’indique que le lieutenant‑gouverneur en conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire et, en l’espèce, le Canada n’a pas présenté de demande en ce sens. Je conclus que tant avant qu’après la période en cause, la Colombie‑Britannique avait une politique claire qui consistait à réserver les droits tréfonciers afférents à toutes les terres domaniales provinciales, y compris celles qui étaient transférées au Canada à des fins de réserve. Cette politique se retrouvait dans les dispositions pertinentes des versions successives de la Land Act de la Colombie‑Britannique. Son existence a aussi été confirmée par les actes posés par la Colombie‑Britannique lors des transferts de terres domaniales provinciales effectués tant avant qu’après la transaction en cause, comme la preuve le démontre. Cela ne pourrait être plus clair.

Je conviens également avec l’intimée que rien ne prouve que la Colombie‑Britannique et le Canada ont discuté de l’acquisition des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Rien n’indique que la Colombie‑Britannique a fait de fausses déclarations. Il ne semble pas non plus que la Colombie‑Britannique se soit écartée de sa politique législative consistant à réserver les droits tréfonciers dans le cadre de la présente transaction. Il n’est pas allégué que la Colombie‑Britannique a fait quelque chose de mal ou qu’elle a commis une erreur.

[18]  Pour tirer ses conclusions, le Tribunal a examiné attentivement l’arrêt Blueberry rendu par la Cour suprême du Canada. Il a comparé les décisions de la majorité et de la minorité, remarquant que les deux étaient arrivées à la même conclusion, mais par suite d’une analyse juridique différente. Dans sa forte décision minoritaire, la juge McLachlin (tel était alors son titre) a tiré de nombreuses conclusions de fait. Le juge Gonthier, au nom de la majorité, a essentiellement souscrit à ces conclusions de fait et n’a pas beaucoup abordé les faits, sauf lorsqu’il a conclu que la bande avait eu l’intention de céder tous les droits afférents à la réserve de Montney (Blueberry, aux para 1, 9, 12). La majorité et la minorité ont également convenu que les principes du droit des fiducies, de nature sui generis, s’appliquaient. Si leur analyse juridique respective divergeait quant aux conséquences de la cession de 1945, la minorité et la majorité s’entendaient pour dire que la Couronne avait manqué à ses obligations postérieures à la cession. Le Tribunal a reconnu les conclusions de fait tirées par la juge McLachlin et s’est employé à respecter l’approche juridique fondée sur l’intention adoptée par la majorité.

[19]  La juge McLachlin a accordé une certaine importance aux pratiques et politiques du ministère des Affaires indiennes (MAI) qui étaient en vigueur à l’époque et qui consistaient à réserver les droits miniers, y compris ceux afférents aux réserves au sens de la Loi sur les Indiens. Elle a également conclu que le Canada connaissait la valeur potentielle distincte des droits tréfonciers afférents aux terres de la Couronne et aux terres de réserve et qu’il avait beaucoup d’expérience dans les opérations touchant les droits tréfonciers faites sous le régime des règlements d’application de la Loi sur les Indiens. Elle a fait le lien avec les obligations de fiduciaire du Canada envers la bande, faisant remarquer qu’une personne raisonnable ne se départirait pas par inadvertance d’un bien qui pouvait avoir de la valeur et dont la capacité de produire des revenus avait déjà été démontrée. La décision relative au bien‑fondé traite de cet aspect au paragraphe 73 :

Il était également clair pour la juge McLachlin que le Canada avait transféré les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney au DTAC, même si le MAI devait, selon les pratiques et politiques en vigueur à l’époque, les réserver. En outre, la preuve étayait la conclusion que le Canada connaissait la valeur potentielle distincte des droits tréfonciers afférents aux terres fédérales et aux terres de réserve, et qu’il avait beaucoup d’expérience en matière de droits tréfonciers, en raison notamment des règlements pris en vertu de la Loi des Indiens. Dans ces circonstances, la juge McLachlin a conclu que la Couronne avait manqué à son obligation de fiduciaire :

Voilà à quoi se résume la question. En tant que fiduciaire, la Couronne avait l’obligation d’agir avec le soin et la diligence « qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires » : Fales c. Canada Permanent Trust Co., 1976 CanLII 14 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 302, à la p. 315. Une personne raisonnable ne se départit pas par inadvertance d’un bien qui peut avoir de la valeur et dont la capacité de produire un revenu a déjà été démontrée. Une personne raisonnable ne se départit pas non plus, sans contrepartie, d’un bien qui ne lui coûte rien à conserver et qui, aussi mince que cette possibilité puisse être, pourrait un jour avoir de la valeur. Dans la gestion de ses propres affaires, la Couronne réservait ses droits miniers. Elle aurait dû faire de même pour la bande. [Blueberry, au para 104]

[20]  La juge McLachlin a conclu que, en ce qui a trait aux droits fonciers reconnus en common law canadienne, « les Indiens n’étaient pas des gens avertis, et il est possible qu’ils n’aient pas bien compris les principes concernant l’existence de droits fonciers distincts et la façon dont de tels droits pouvaient être perdus » (Blueberry, au para 62). Elle a également fait remarquer qu’aucune allusion à des droits miniers n’avait été faite à l’assemblée concernant la cession de la réserve de Montney (Blueberry, au para 86). Au paragraphe 127 de la décision relative au bien‑fondé, le Tribunal a conclu que la question des droits miniers afférents aux réserves de remplacement n’avait pas non plus été soulevée :

La juge McLachlin a aussi reconnu qu’il n’avait pas du tout été question des droits miniers à l’assemblée de la cession. Cette conclusion générale s’applique sans distinction à la réserve de Montney et aux terres de remplacement. Il est impossible que la bande n’ait pas compris la distinction entre les droits de superficie et les droits tréfonciers lorsqu’elle a formé l’intention de céder les droits de superficie afférents à la réserve de Montney, sans qu’il en aille de même pour ce qui est des réserves de remplacement. L’acte de cession et les décrets connexes n’indiquent pas que les parties s’attendaient à ce que la cession de la réserve de Montney soit conditionnelle à l’acquisition de terres mieux situées et à une somme d’argent. Les deux parties ont cependant reconnu que tel était le cas, de sorte que ce point n’est pas en litige en l’espèce. Rien n’indique que la distinction entre les droits de superficie et les droits tréfonciers a été expliquée à la bande avant l’acquisition des réserves de remplacement ou que le MAI s’est intéressé à la question lors de la transaction.

[21]  Au nom de la majorité, le juge Gonthier a rejeté l’application des principes généraux du droit des biens en common law au profit de l’application d’une analyse fondée sur l’intention des membres de la bande et leur compréhension de la situation. Il a conclu qu’une telle analyse donnerait davantage effet à l’objet véritable de la transaction. Cette conclusion a été résumée au paragraphe 77 de la décision relative au bien‑fondé :

Le juge Gonthier a souscrit à la quasi‑totalité de l’analyse et des conclusions de la juge M[c]Lachlin, sauf en ce qui concerne le transfert des droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney. Selon lui, la cession des droits tréfonciers de 1940 n’a pas eu pour effet d’empêcher leur cession en 1945. Après avoir décrit les thèses des parties opposées sur la question de savoir si la cession de 1945 avait eu pour effet de transférer les droits de superficie et les droits tréfonciers (aux paras 2–5), il a conclu qu’il n’était pas approprié, dans un contexte fiduciaire, de procéder à une analyse prenant appui sur les exigences techniques du droit des biens en common law et qu’il était préférable d’examiner l’intention de la bande :

À mon avis, les principes généraux du droit des biens en common law ne sont pas utiles dans le contexte du présent pourvoi. Puisque le titre indien sur les réserves a un caractère sui generis, il serait fort malencontreux que les exigences de forme de la common law en matière de transfert foncier viennent frustrer l’intention des parties, tout particulièrement celle de la bande, à l’égard de leurs intérêts dans la R.I. 172. Voilà pourquoi le caractère juridique de la cession de 1945 et son effet sur celle de 1940 doivent être déterminés au regard de l’intention de la bande. Hormis quelque empêchement prescrit par la loi (ce qui, comme nous l’avons vu précédemment, n’est pas le cas en l’espèce), il faut laisser l’intention des membres de la bande produire ses effets juridiques.

Selon moi, l’application d’une analyse fondée sur l’intention des parties offre un avantage important. Ainsi que l’a fait remarquer le juge McLachlin, la loi traite les peuples autochtones comme des acteurs autonomes en ce qui concerne l’acquisition et la cession de leurs terres, il faut donc respecter leurs décisions. En conséquence, il est préférable de s’en remettre à l’intention des membres de la bande et à leur compréhension de la situation en 1945, plutôt que de conclure que, quelle qu’ait été cette intention, c’est par un coup de chance — résultant de règles et autres formalités procédurales applicables aux transferts fonciers — qu’est invalidée la cession des droits miniers en 1945. Dans un cas comme celui‑ci, l’application d’une analyse plus formaliste est à l’avantage des peuples autochtones. Cependant, il est facile d’imaginer des cas où cette même analyse serait préjudiciable aux autochtones et ferait obstacle à leurs plans mûrement réfléchis. À mon avis, dans l’examen des effets juridiques des opérations conclues par les peuples autochtones et la Couronne relativement à des terres faisant partie de réserves, il ne fait pas oublier que, compte tenu du caractère sui generis du titre autochtone, les tribunaux doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law afin de donner effet à l’objet véritable de ces opérations. [Blueberry, aux para 6, 7]

[22]  Le Tribunal a conclu ce qui suit : bien que le Canada ait eu plusieurs occasions de le faire, il n’a pas examiné le titre; il n’a pas remarqué l’utilisation du formulaire no 11 comme le mentionne le décret pris par la Colombie‑Britannique qui approuvait la vente et le transfert; et il a expressément reconnu l’erreur que constituaient ces manquements (décision relative au bien‑fondé, au para 124). Le Tribunal a également conclu que le Canada croyait vraiment avoir acquis les droits tréfonciers parce qu’il avait demandé à la bande de lui céder ces droits, ce que la bande avait accepté de faire, et qu’il avait ensuite conclu une entente d’exploitation avec un tiers (décision relative au bien‑fondé, au para 125). Le Tribunal a convenu avec l’intimée que le Canada n’avait aucun contrôle sur la province au moment de l’acquisition des droits tréfonciers et « qu’il n’exist[ait] aucune preuve [lors de l’audience relative au bien‑fondé] qu’il aurait pu convaincre la province de lui transférer ces droits », bien qu’il aurait dû néanmoins être attentif à la question et examiner le titre (décision relative au bien‑fondé, au para 128). L’intimée a fait valoir que l’objet de la transaction n’était pas d’acquérir les droits tréfonciers, ce qui, combiné à l’absence de contrôle du Canada sur l’acquisition des droits tréfonciers, dégageait le Canada de toute obligation de fiduciaire de les acquérir. De plus, le fait que le Canada croyait les avoir acquis ne créait aucune obligation de fiduciaire en ce sens, ce avec quoi le Tribunal n’était pas en désaccord (décision relative au bien‑fondé, au para 129) :

L’intimée soutient toutefois que l’erreur commise par la Couronne (qu’elle ne reconnaît pas par ailleurs) avait peu d’importance parce que l’objet même de la transaction n’était pas d’acquérir les droits tréfonciers. Pour cette raison, la question n’était donc pas pertinente. L’intimée affirme qu’elle ne devrait pas avoir une obligation de fiduciaire à l’égard de quelque chose qui ne devait pas faire partie de la transaction et qu’elle ne pouvait de toute façon ni contrôler ni acquérir. Qui plus est, le fait que le Canada ait pu croire, à tort, qu’il avait acquis les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement ne crée aucune obligation de fiduciaire ni aucune attente en ce sens. Je ne suis pas en désaccord avec l’intimée quant à cette dernière affirmation. [Italiques ajoutés.]

[23]  L’intimée a également soutenu que la bande n’avait qu’un intérêt identifiable sur les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement, car le Canada ne s’était jamais engagé à les acquérir et que la bande n’avait jamais été intéressée par ces droits (décision relative au bien‑fondé, au para 153). Le Tribunal a rejeté cet argument et a conclu que l’intérêt identifiable s’attachait à la condition sous‑jacente à la cession de la réserve de Montney que le Canada obtienne des terres de remplacement qui répondent aux besoins de la bande, dont de l’argent. Ainsi, dès lors que le Canada a accepté d’exercer un pouvoir discrétionnaire à l’égard de la réserve de Montney, la bande était en situation de vulnérabilité à l’égard non seulement de la vente de ladite réserve, mais également de l’acquisition des réserves de remplacement. Le Canada avait alors l’obligation de remplir son mandat; s’il ne l’exécutait pas, il devenait un « fiduciaire déloyal ». À ce stade, le Canada avait une obligation de fiduciaire d’agir dans l’intérêt de la bande et de manière à produire les effets escomptés sur les intérêts juridiques ou pratiques de la bande (décision relative au bien‑fondé, aux para 154‑55) :

Bien que ce soit un argument intéressant, je ne suis pas d’accord. À mon avis, la bande avait un intérêt identifiable à l’égard de la réserve de Montney. Ce n’était pas une affaire de création de réserves. La réserve avait déjà été créée; la bande avait donc un intérêt quasi propriétal existant dans les terres. La bande a cédé la réserve de Montney à la condition que la Couronne obtienne des terres de remplacement qui répondraient à ses besoins, dont de l’argent. Dès lors que la Couronne a accepté d’exercer un pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’intérêt identifiable de la bande, soit la réserve de Montney, de même que les conditions sous‑jacentes à la cession, elle avait l’obligation de respecter ces conditions en tant que fiduciaire. Après avoir cédé la réserve (et une fois la cession acceptée par la Couronne), la bande était en situation de vulnérabilité par rapport à la Couronne et elle était à la merci de celle‑ci. La Couronne s’était engagée à agir au nom de la bande, et de personne d’autre. Elle était dans une position susceptible d’avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques de la bande, et elle était la seule partie ou entité à se trouver dans une telle position. La Couronne ne pouvait pas aliéner la réserve de Montney sans tenir compte des conditions sous‑jacentes, y compris l’objectif visé par l’acquisition des terres de remplacement.

Si la Couronne n’exécutait pas son mandat, elle devenait un « fiduciaire déloyal » (Wewaykum, au para 91). Dans la mesure où il lui était impossible de respecter les conditions de ce mandat, la Couronne devait en informer les bandes, leur présenter les solutions possibles, obtenir des directives et agir dans leur intérêt (voir paragraphes 99 à 102 ci‑dessus). Elle ne pouvait pas faire abstraction de l’objectif visé par l’acquisition des réserves de remplacement, qui faisait partie de l’obligation de fiduciaire qui a pris naissance lorsqu’elle a accepté d’exercer un pouvoir discrétionnaire à l’égard de l’intérêt identifiable de la bande (c.‑à‑d. la réserve de Montney). Il s’agit donc de savoir si la Couronne a respecté ses engagements quant à l’intérêt identifiable de la bande, et si ce faisant, elle a agi dans l’intérêt de la bande et a, de par ses agissements, produit les effets escomptés sur les intérêts juridiques ou pratiques de la bande.

[24]  Par conséquent, le Canada a commis une inadvertance dans l’exécution de ses obligations de fiduciaire tant dans la cession et l’aliénation de la réserve de Montney que dans l’acquisition des réserves de remplacement, ce qui a donc entraîné d’autres manquements (décision relative au bien‑fondé, au para 158).

[25]  Le Tribunal a confirmé que l’intention de la bande était d’avoir des terres qui convenaient à ses activités traditionnelles de chasse et de piégeage, qui lui permettaient de subvenir aux besoins des chevaux et qui généraient des revenus afin de réduire la pauvreté. Le Canada comprenait bien ces intérêts, résumés au paragraphe 157 de la décision relative au bien‑fondé :

En l’espèce, la bande voulait des terres adaptées à ses activités traditionnelles de chasse et de piégeage. L’agriculture était une activité étrangère à son mode de vie, ce qui expliquait pourquoi les membres de la bande n’utilisaient pas les terres agricoles de qualité qui avaient été mises de côté pour eux dans la réserve de Montney. Ils avaient plutôt construit des habitations dans une région plus éloignée. Ils avaient aussi besoin de foin pour nourrir les chevaux, qui étaient leur principal moyen de transport lorsqu’ils pratiquaient la chasse et le piégeage. Pour ce faire, ils avaient donc besoin de quelques champs ouverts. En résumé, ils voulaient vivre conformément aux normes, croyances et pratiques traditionnelles qui faisaient partie de leur mode de vie depuis des temps immémoriaux. La bande voulait aussi de l’argent dont elle pourrait tirer des revenus et réduire ainsi la pauvreté de ses membres. Tout cela est bien établi dans la preuve documentaire examinée précédemment (voir paragraphes 126 et 127 ci‑dessus). Je ne crois pas que l’intimée soit en désaccord. Je suis convaincu que la Couronne comprenait bien les intérêts de la bande à l’époque. La preuve documentaire regorge de références aux exigences fixées par la bande dans le cadre de la transaction. Le Canada a fait de gros efforts pour trouver des terres de remplacement disponibles près de l’endroit où les membres de la bande s’étaient établis. Il a aussi demandé l’aide de la bande pour choisir ces terres.

[26]  Le Tribunal a donc conclu que la réserve des droits tréfonciers par la Colombie‑Britannique plaçait la bande dans une situation de vulnérabilité, car la province pouvait donner accès aux réserves de remplacement aux fins d’activités pétrolières et gazières. Le Tribunal s’est demandé si la bande pourrait se livrer à ses pratiques traditionnelles compte tenu des activités pétrolières et gazières qui se dérouleraient dans les réserves de remplacement. Par ailleurs, la province n’était pas tenue de consulter la bande afin de pouvoir accorder un permis relatif à des activités pétrolières et gazières dans les réserves de remplacement ni de partager les revenus en découlant (décision relative au bien‑fondé, aux para 162-64) :

Cependant, dans les faits, la bande était toujours vulnérable face au pouvoir discrétionnaire stratégique de la Couronne provinciale. La Colombie‑Britannique pouvait à son gré utiliser les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement pour l’exploration de minéraux, y compris le pétrole et le gaz, ou assujettir leur utilisation à la délivrance d’un permis. Cela signifiait que d’autres personnes que les membres de la bande pouvaient pénétrer sur les réserves de remplacement et les utiliser à des fins d’exploration ou d’exploitation minière et de forage, et pouvaient utiliser l’eau et toute autre partie de la terre nécessaire à ces opérations. Elles pouvaient aussi prendre dans les réserves de remplacement les agrégats, le bois ou « autres matériaux » dont elles pourraient avoir besoin pour la construction, l’entretien ou la réparation de routes, traversiers, ponts et autres ouvrages publics. La province ou ses titulaires de permis pouvaient se déplacer sur les terres à la recherche de minéraux et y ériger des ouvrages, y compris des routes, des ponts ou tout autre moyen de transport visant à faciliter les opérations.

Rien de tout cela n’est conforme à la façon dont la bande utilisait la terre pour ses activités de piégeage, de chasse et de culture du foin, et tout ce qui touche à sa culture traditionnelle. Comment la bande aurait‑elle pu chasser, piéger et cultiver le foin si des activités d’exploitation pétrolière ou autres avaient eu lieu sur les réserves, que ce soit à des fins d’exploration ou d’extraction minière, y compris le défrichement, la construction de routes et l’utilisation à cette fin des autres ressources des réserves de remplacement? Il faut se rappeler que les réserves de remplacement correspondaient à environ un tiers de la réserve de Montney et qu’elles incluaient les établissements de la bande. La bande disposait d’un territoire beaucoup plus petit, de sorte que les activités minières y seraient plus intrusives que dans un territoire plus grand.

La province, y compris ses titulaires de permis, n’avait pas à consulter la bande à propos de l’utilisation des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement, et elle n’avait pas à partager les profits ou autres avantages qui pouvaient découler des droits tréfonciers, même si elle devait indemniser la bande pour certains usages. À mon avis, comme la bande pouvait seulement utiliser les droits de superficie et tirer profit de ces droits, elle était complètement vulnérable aux perturbations ou entraves qui menaçaient l’usage qu’elle avait prévu faire des réserves de remplacement. Les droits de superficie ne lui auraient procuré que peu d’avantages si elle les avait exercés à des fins d’exploration ou d’extraction minière souterraine.

[27]  La bande n’aurait pas eu ces difficultés si le transfert des réserves de remplacement avait compris les droits tréfonciers. Elle aurait pu alors accorder un droit d’accès si elle l’avait voulu et y mettre fin si un tel accès avait eu des effets perturbateurs. Elle aurait aussi été en mesure de tirer des revenus des activités pétrolières et gazières autorisées (décision relative au bien‑fondé, au para 165) :

Si, à l’instar de la réserve de Montney, les réserves de remplacement avaient inclus les droits tréfonciers, la bande aurait pu les céder à des fins de location, comme elle l’avait d’ailleurs fait. Cependant, ce faisant, elle aurait pu imposer des limites ou des restrictions. Qui plus est, elle aurait bénéficié du produit d’une telle cession et, si elle avait jugé que la vie de la collectivité s’en trouvait perturbée, elle aurait demandé à la Couronne de mettre fin à la location ou de révoquer la cession. Rien de cela n’était possible étant donné que la Couronne provinciale s’était réservé les droits tréfonciers en plus de la jouissance et des privilèges étendus qui s’y rattachent.

[28]  En raison de cette vulnérabilité, le Tribunal a déterminé que la bande n’avait pas atteint son objectif en acquérant les réserves de remplacement (décision relative au bien‑fondé, au para 166) :

Si j’examine les conséquences potentiellement désastreuses associées à la réserve des droits tréfonciers par la province, je conclus que la bande n’a pas atteint son objectif en acquérant les réserves de remplacement.

[29]  La vulnérabilité de la BFSJB devant les perturbations qui menaçaient l’usage qu’elle avait prévu faire des terres, les conséquences sur les revenus qu’elle pouvait en tirer ainsi que l’absence de recours plaçaient la bande dans une situation déraisonnable et abusive (décision relative au bien‑fondé, au para 173).

II.  QUESTIONS

[30]  L’instance est maintenant rendue à l’étape de l’indemnisation. Les parties ont demandé de subdiviser à nouveau cette étape pour déterminer les [traduction] « types de pertes indemnisables » (procès‑verbal, 7 septembre 2016, au para 2).

[31]  Cette sous‑étape vise à préciser la nature de la perte d’occasion découlant du manquement afin de rendre l’étape de l’évaluation plus efficace. Au cours des plaidoiries, les parties ont soulevé les questions suivantes devant le Tribunal :

  1. La perte d’occasion ouvrant droit à indemnisation est‑elle la perte de l’occasion d’acquérir l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement, dont les droits tréfonciers (position des revendicatrices) ou la perte de [traduction] « l’occasion d’acquérir des terres permettant de répondre à l’objectif de la BFSJB, soit de conserver son mode de vie traditionnel » (enregistrement audio de l’audience, observations orales de l’intimée, 22 novembre 2017, à environ 13 h 25)?

  2. Si le Canada avait bien informé la BFSJB, l’intimée s’était‑elle alors acquittée de son fardeau (en application de la décision London Loan & Savings Co of Canada c Brickenden, [1934] 3 DLR 465 (CJCP), conf. [1933] SCR 257 [Brickenden], et Hodgkinson c Simms, [1994] 3 RCS 377 (QL) [Hodgkinson]) d’établir que la BFSJB aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers?

  3. Si le Canada avait été pleinement informé, est‑ce qu’il aurait pu accepter la transaction (c.‑à‑d., uniquement avec les droits de superficie) sans manquer à ses obligations de fiduciaire envers la BFSJB?

  4. Si l’intimée n’avait pas réussi à s’acquitter de son fardeau, que serait‑il vraisemblablement arrivé?

  1. Est‑ce que le Canada, au nom de la BFSJB, aurait demandé et reçu les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement?

  2. Si la province refusait de modifier son offre et d’inclure les droits tréfonciers, est‑ce que la BFSJB et le Canada auraient révoqué la cession de la réserve de Montney?

[32]  L’intimée a initialement soulevé une autre question, qu’elle a ensuite retirée. L’intimée a prétendu qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’être entendue à l’étape du bien‑fondé sur la question de savoir si la réserve des droits tréfonciers par la province avait placé la BFSJB dans une situation de vulnérabilité relativement à l’usage qu’elle avait prévu faire des réserves de remplacement (observations écrites de l’intimée, au para 124). Lorsque le Tribunal a constaté que le dossier de l’audience relative au bien‑fondé contenait une discussion sur la question, l’intimée a retiré cette prétention.

[33]  L’intimée a également présenté une preuve qui, selon elle, démontrait que la réserve des droits tréfonciers par la province n’avait en fait pas nui à l’usage que les revendicatrices avaient prévu faire des réserves de remplacement. Par conséquent, les revendicatrices n’avaient subi aucune perte découlant du manquement aux obligations de l’intimée.

[34]  Cette preuve soulève une autre question, à savoir si, à cette étape de l’instance, le Tribunal peut valablement déterminer le montant de la perte découlant des incidences de l’exploration et de l’exploitation minières sur la chasse et le piégeage, le cas échéant. L’importance de cette preuve sera évaluée dans la partie intitulée « Analyse ».

III.  Positions DES PARTIES

A.  Position des revendicatrices

[35]  Selon les revendicatrices, la perte d’occasion ouvrant droit à indemnisation était la perte de l’occasion d’obtenir l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement, dont les droits tréfonciers, lorsque le Canada a acquis ces réserves au profit de la BFSJB. Les revendicatrices ont fait valoir que, sans manquement, le Canada aurait non seulement informé la BFSJB que les droits tréfonciers avaient été réservés, mais il aurait également négocié avec la province l’acquisition de tous les droits afférents aux réserves de remplacement. Les revendicatrices ont également fait remarquer qu’avec l’exécution en 1938 de la Convention Scott‑Cathcart, le Canada et la Colombie‑Britannique avaient peu de temps avant réglé un long conflit concernant le transfert de terres provinciales au gouvernement fédéral aux fins de réserves indiennes. Elles ont soutenu que les deux ordres de gouvernement subissaient des pressions pour fournir des terres aux anciens combattants démobilisés et que la province aurait eu des motifs suffisants de déroger à sa politique générale et d’inclure les droits tréfonciers dans la vente.

[36]  Subsidiairement, les revendicatrices ont également soutenu que si le Canada ne réussissait pas à convaincre la province, il était dans l’obligation de conserver la réserve de Montney, ce qui aurait été dans l’intérêt de la BFSJB, selon l’interprétation faite par les revendicatrices de la preuve par histoire orale et du témoignage de M. Ridington. Compte tenu de la réserve des droits tréfonciers par la province au moyen du formulaire no 11 et de toutes ses dispositions, le Canada ne pouvait garantir à la bande que les réserves de remplacement satisfaisaient aux conditions sous‑jacentes de la bande (sans parler de satisfaire à sa propre politique de longue date consistant à conserver ou à demander les droits tréfonciers afférents aux réserves). Les revendicatrices ont affirmé que la décision relative au bien‑fondé avait déjà établi que la BFSJB était vulnérable aux perturbations et à l’imprévoyance. Selon les revendicatrices, il était peu probable que, devant la perspective que la BFSJB révoque la cession de la réserve de Montney, la province aurait renoncé aux possibilités que cette cession offrait pour le développement de la région. Elle aurait ainsi probablement accepté de transférer les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents à ces réserves de remplacement relativement petites.

[37]  En réponse à l’argument de l’intimée selon lequel la BFSJB aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers si elle avait été bien informée, les revendicatrices ont soutenu que c’était plutôt à l’intimée qu’il incombait de fournir une preuve concrète de ce qu’elle avancait, ce qu’elle n’avait pas fait. Une telle preuve ne devrait pas consister à revenir sur les conclusions de la décision relative au bien‑fondé concernant les lacunes liées à l’acceptation par le Canada des réserves de remplacement sous réserve du formulaire no 11, y compris sur les conclusions selon lesquelles la transaction était déraisonnable et plaçait les revendicatrices dans une situation de vulnérabilité relativement à l’usage qu’elles avaient prévu faire des terres.

[38]  En ce qui a trait à l’approche appropriée pour trancher la question de savoir si le Canada aurait probablement convaincu la province de transférer les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement, les revendicatrices ont soutenu que la preuve devait être appréciée en fonction de la date du manquement – autrement dit, en tenant compte des circonstances de l’époque. Elles ont fait valoir que la consultation qu’a menée le Canada et l’avis qu’il a donné auraient reposés sur les circonstances de l’époque et sur l’information alors disponible et que la décision de la BFSJB aurait été prise de la même manière. Les futures modifications législatives, la mesure dans laquelle la BFSJB s’était ensuite livrée à ses pratiques traditionnelles, la manière dont elle avait réagi aux règlements entrés en vigueur des années plus tard et le degré de contrôle qu’elle pouvait exercer à l’égard de l’accès aux ressources minières dans les décennies suivantes (éléments présentés et invoqués par l’intimée) sont des éléments qu’il était impossible de connaître en 1947 et qui n’ont donc aucun rapport avec ce que la BFSJB aurait fait à l’époque s’il n’y avait pas eu de manquement.

[39]  En fait, les actes de la BFSJB après le manquement ont été teintés par celui-ci. Par exemple, dans un échange de lettres entre des fonctionnaires fédéraux, il est question de la capacité qu’avait la bande de permettre, grâce à ses droits de superficie, des activités pétrolières et gazières, comme d’un moyen rapide de récolter beaucoup d’argent (CCD, volume 3, onglet 147). À l’époque, la bande amassait des fonds pour intenter une poursuite contre le Canada, qui s’est finalement conclue par l’arrêt Blueberry. Les revendicatrices ont fait valoir que le fiduciaire qui a manqué à ses obligations ne peut être autorisé à s’appuyer sur une histoire teintée par ses propres manquements. Le fait que les bandes aient donné accès aux réserves de remplacement lorsqu’on leur a plus tard demandé la permission ne prouvait pas qu’elles étaient d’accord avec la réserve des droits tréfonciers par la province ou que l’exploration et l’exploitation pétrolières et gazières n’avaient aucune incidence sur les terres ou leur mode de vie. L’approbation ultérieure par la bande de concessions pétrolières et gazières dans les réserves de remplacement était en fait étroitement liée à divers motifs de l’époque, y compris les manquements en cause.

[40]  De plus, ce n’est pas parce que la bande avait cédé les droits miniers afférents à la réserve de Montney en 1940, et de nouveau en 1950 pour les réserves de remplacement, qu’elle considérait les droits tréfonciers comme inutiles et qu’elle ne se serait donc pas opposée à la réserve des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement par la province. Dans le cas des cessions de 1940 et de 1950, la bande était protégée, ou croyait l’être, par l’obligation de fiduciaire qui incombait au Canada de gérer les ressources dans son intérêt. Elle pouvait également contrôler l’existence et l’étendue de l’exploitation minière dans ses réserves. Ce qu’elle ne pouvait faire avec la réserve prévue au formulaire no 11, alors qu’elle est devenue vulnérable au droit d’accès qui permettait à la province d’exploiter les ressources minières dans les réserves de remplacement.

[41]  Les revendicatrices ont également réfuté l’argument de l’intimée selon lequel le Tribunal pouvait déterminer l’intention probable de la bande au moment de la cession ou de l’attribution en se fondant sur sa conduite ultérieure. L’intimée s’est appuyée par analogie sur la décision Lac La Ronge Indian Band c Canada, 2001 SKCA 109, 206 DLR (4e) 638 [Lac La Ronge], qui tenait compte des conclusions tirées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Marshall, [1999] 3 RCS 456, 177 DLR (4e) 513. La Cour d’appel de la Saskatchewan s’est demandé s’il convenait d’interpréter un traité en comparant la conduite des parties après la signature du traité à l’intention exprimée dans les documents et de l’interpréter selon la conduite des parties à l’époque, ou avant et depuis la signature. Les revendicatrices ont soutenu que l’analogie n’était pas appropriée et ne s’appliquait pas en l’espèce.

[42]  Les revendicatrices ont affirmé que, dans la décision relative au bien‑fondé, le Tribunal avait conclu que l’objectif de la cession était double : conserver les activités traditionnelles de la bande et générer des revenus, et que cet objectif n’avait pas été atteint, l’intimée n’ayant pas réussi à obtenir les droits tréfonciers. Elles ont soutenu que l’intimée ne pouvait pas rouvrir la décision relative au bien‑fondé sur ces points. Elles ont également fait valoir que l’intimée avait tenté de dissocier l’objectif des droits tréfonciers et que, ce faisant, elle s’était concentrée presque uniquement sur les pratiques traditionnelles, sans tenir compte de l’objectif de générer des revenus. De plus, les conclusions relatives à la vulnérabilité ainsi que la nécessité d’inclure les droits tréfonciers pour conclure une transaction raisonnable dans les circonstances liaient encore davantage le manquement à la perte des droits tréfonciers. Les besoins et les objectifs de la bande décrits par le Tribunal dans la décision relative au bien‑fondé démontrent qu’il était nécessaire pour elle d’obtenir l’ensemble des droits. Selon les revendicatrices, cela suffisait à considérer la perte des droits tréfonciers comme un type de perte indemnisable. C’est pourquoi la preuve et l’analyse en profondeur portant sur le développement de pratiques traditionnelles au nouvel emplacement n’étaient pas pertinentes et ne devaient pas être prises en compte à cette étape. Si, toutefois, le Tribunal a tenu compte de la preuve de l’intimée quant aux pratiques traditionnelles après la date de la transaction, alors l’ensemble de cette preuve n’étayait pas la prétention de l’intimée voulant que l’absence des droits tréfonciers avait eu peu ou pas d’incidence sur la capacité de la bande à poursuivre ses pratiques traditionnelles.

[43]  Le Tribunal ayant déjà conclu que l’intimée avait manqué à ses obligations, notamment de ne pas avoir pris acte du formulaire no 11 et de ne pas l’avoir divulgué, la question était maintenant de déterminer si la BFSJB et le Canada auraient décidé d’aller de l’avant même en étant bien informés. Si l’intimée n’était pas en mesure de s’acquitter de son fardeau à cet égard, alors la question était de savoir s’il était probable que la Colombie‑Britannique aurait transféré les droits tréfonciers. Si le Tribunal décidait qu’elle ne l’aurait probablement pas fait, alors la seule autre possibilité était que le Canada aurait révoqué la transaction avant sa conclusion et que la BFSJB aurait conservé la réserve de Montney. Non seulement la BFSJB aurait conservé ce qu’elle avait en raison d’une proposition inacceptable, mais le Canada n’aurait pas pu accepter la réserve des droits tréfonciers par la Colombie‑Britannique sans manquer à ses obligations envers la bande. La décision du Tribunal sur le résultat le plus probable permettrait d’orienter la question de la quantification de la perte qui sera examinée à la prochaine phase de l’étape de l’indemnisation, le cas échéant.

[44]  Les revendicatrices ont rappelé au Tribunal que, compte tenu du régime de réglementation en vigueur dans les années 1940 et 1950, le Canada avait reconnu la vulnérabilité de la BFSJB, comme l’a conclu la décision relative au bien‑fondé. Il avait accepté la décision à cet égard et n’avait pas demandé de contrôle judiciaire. Par conséquent, l’atteinte de l’objectif de la BFSJB passait par l’obtention de l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement. Il s’agissait du lien de causalité nécessaire à une indemnisation en equity. Les revendicatrices ont souligné que l’absence de prévisibilité des événements futurs influant sur le montant de la perte ne dégageait pas de sa responsabilité un fiduciaire ayant manqué à ses obligations. Ainsi, le fait que le renforcement ultérieur des régimes de réglementation, l’importance de la croissance de l’industrie pétrolière et gazière ainsi que la hausse ultérieure de la valeur des droits miniers étaient imprévisibles ne devrait pas signifier qu’une indemnité tenant compte de ces éventualités constituerait un avantage injuste et inattendu ou nuirait par ailleurs au processus d’indemnisation.

[45]  En réponse à l’argument de l’intimée selon lequel de longues négociations n’auraient pas été dans l’intérêt des revendicatrices, ces dernières soutiennent que la négociation du transfert des droits tréfonciers n’aurait pas causé de retard. Le Canada avait établi le dialogue avec la Colombie‑Britannique au cours de l’année 1945, avant de demander la cession qui a été accordée le 22 septembre 1945. Le Canada aurait dû se renseigner sur le titre au moment où il a accepté l’offre de vente de la province, le 26 novembre 1947. Le transfert n’a eu lieu qu’en juillet 1950, et les réserves de remplacement n’ont été mises de côté qu’en août 1950. Rien n’empêchait de négocier l’acquisition des droits tréfonciers pendant cette période et, si cette négociation n’avait pas eu lieu, rien n’expliquait pourquoi une telle négociation aurait causé un autre retard important. La Colombie‑Britannique avait un grand intérêt à ce que la réserve de Montney puisse être aménagée et elle s’était montrée coopérative à cette fin, ce qui nécessitait également la conclusion de la transaction visant les réserves de remplacement. Entre‑temps, la bande tirait des revenus de la location de terres à des fins de culture du foin et d’exploration minière dans la réserve de Montney. De plus, rien ne démontrait que l’attribution de tous les droits afférents aux réserves de remplacement aurait fait augmenter le prix d’achat et, le cas échéant, que cette attribution aurait eu une grande incidence. Posséder les droits tréfonciers offrait à la bande un potentiel de production de revenus beaucoup plus grand.

B.  Position de l’intimée

[46]  Selon l’intimée, la perte d’occasion en cause résidait dans la question de savoir si les revendicatrices avaient été capables d’exercer leurs activités et mode de vie traditionnels sans détenir ou contrôler les droits tréfonciers, puisqu’il s’agissait de l’usage qu’elles avaient prévu faire des réserves de remplacement. L’intimée a estimé qu’elles en avaient été capables. Elle a soutenu que la preuve démontrait que rien n’avait perturbé ces activités traditionnelles, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des réserves de remplacement. L’absence de droits miniers n’avait également eu aucune incidence sur l’autre objectif sous‑jacent de tirer des revenus d’intérêts du produit de la vente de la réserve de Montney.

[47]  L’intimée a également affirmé que si le manquement aux obligations de fiduciaire établi dans la décision relative au bien‑fondé n’avait pas eu lieu et que la BFSJB avait été informée de l’absence des droits tréfonciers, elle aurait tout de même conclu la transaction (observations écrites de l’intimée, aux para 10-11). L’intimée a souligné l’avantage que présentaient les réserves de remplacement, lesquelles étaient situées [traduction] « plus près des territoires de piégeage de la bande, où cette dernière passait la plus grande partie des saisons » (observations écrites de l’intimée, au para 12). En revanche, la réserve de Montney n’était utilisée que pendant une courte période chaque année et était située à une certaine distance des territoires de piégeage.

[48]  L’intimée a également fait valoir que la BFSJB avait un motif sérieux d’accepter les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers. Laisser tomber l’achat des réserves de remplacement faute d’obtenir les droits tréfonciers et révoquer ou annuler la cession de la réserve de Montney auraient entraîner la perte du produit de la vente qui devait générer des revenus à un moment où la BFSJB était [traduction] « dans une situation financière difficile et où le potentiel de revenus provenant des ressources souterraines était loin d’être certain » (observations écrites de l’intimée, aux para 15, 166).

[49]  De plus, une lutte chronophage avec la province concernant les droits tréfonciers n’aurait pas été dans l’intérêt de la BFSJB (observations écrites de l’intimée, au para 16). Si le Canada avait tenté d’obtenir l’ensemble des droits, la bande se serait trouvée dans une situation incertaine pendant une longue période, sans terres et, par conséquent, sans pouvoir se livrer à ses activités traditionnelles ou générer des revenus dont elle avait grandement besoin. En acceptant les réserves de remplacement, comme elle l’a fait, la bande a également maximisé le produit de la vente, qui aurait par ailleurs peut‑être été moindre que si elle avait acquis l’ensemble des droits. Il était peu probable que la bande dépense plus d’argent pour acquérir les droits tréfonciers de façon à bloquer les activités pétrolières et gazières et de préserver ainsi ses pratiques traditionnelles. Une telle conduite ne cadrait pas avec l’habitude qu’elle avait de céder les droits tréfonciers pour permettre l’exploration pétrolière. De plus, nombre des activités traditionnelles de la bande se déroulaient à l’extérieur des réserves de remplacement. Le fait que la bande a cédé les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney en 1940 et qu’elle a tenté de céder ceux afférents aux réserves de remplacement montre qu’elle était disposée à permettre l’exploration pétrolière et gazière dans ses réserves.

[50]  L’intimée a également contesté que la Colombie‑Britannique souhaitait permettre l’établissement d’anciens combattants dans la réserve de Montney à un point tel qu’elle aurait accepté de transférer les droits tréfonciers. Selon elle, rien ne prouvait une telle affirmation. Les pressions politiques pour aménager la réserve de Montney s’exerçaient presque entièrement à l’échelle locale. Elles provenaient par exemple des chambres de commerce et des groupes d’anciens combattants et visaient presque uniquement le gouvernement fédéral. Bien que la Colombie‑Britannique fût prête à aider la population locale à communiquer ses souhaits au Canada, et même à coopérer avec le Canada lorsqu’il aurait décidé d’aller de l’avant, la preuve n’étayait pas la thèse que la province était [traduction] « engagée dans l’avancement des objectifs d’un programme fédéral d’établissement » (observations écrites de l’intimée, au para 173).

[51]  La force de l’engagement de la Colombie‑Britannique quant à sa politique de conservation des droits tréfonciers était également illustrée par son refus, en 1958, de vendre les droits tréfonciers afférents à des terres de la Couronne provinciale accordées à la bande esclave de Fort Nelson, qui était également une Première Nation visée par le Traité no 8 sous l’administration de l’agence de Fort St. John, et ce, malgré les demandes du Canada de transférer ces droits tréfonciers (observations écrites de l’intimée, au para 169).

[52]  L’intimée a conclu qu’accepter l’offre de la province, sans les droits tréfonciers, était [traduction] « la transaction la plus avantageuse pour les revendicatrices dans les circonstances » (observations écrites de l’intimée, aux para 17, 167). Ces droits n’étaient pas nécessaires à l’exercice par la bande de ses activités traditionnelles de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette de baies ou à son utilisation des herbes de prairie pour nourrir les chevaux. Ils n’étaient pas non plus nécessaires, ni en fait avantageux, pour générer des intérêts sur les revenus tirés de la vente de la réserve de Montney. À l’appui de cette affirmation, l’intimée a soumis un examen exhaustif des preuves testimoniale et documentaire déposées.

[53]  L’intimée a également fait valoir que les décisions et la conduite de la BFSJB après l’achat des réserves de remplacement permettaient de déduire l’état d’esprit et l’intention de la bande au moment de la cession et de l’achat. Elle a justifié cette proposition en établissant une analogie avec les principes de droit applicables à l’interprétation des traités (Lac La Ronge), faisant valoir que la cession des droits tréfonciers par la BFSJB, peu après l’acquisition des réserves de remplacement, [traduction] « donnait à penser que la bande ne considérait pas le fait de ne pas détenir ces droits comme une éventuelle entrave à son usage des réserves de remplacement » (observations écrites de l’intimée, aux para 14, 164-65).

[54]  À l’audience, l’intimée a admis qu’au moment de l’acquisition des réserves de remplacement, la bande n’aurait aucunement été en mesure d’en contrôler l’accès aux fins d’activités pétrolières, et le Canada n’aurait pas pu garantir un tel contrôle. De plus, compte tenu du formulaire no 11, la compétence du Canada était difficile à déterminer, bien que cette question ne fût étayée par aucune preuve. Selon l’intimée, le Canada avait compétence, mais les règlements fédéraux étaient sans conteste peu contraignants et superficiels au moins jusqu’en 1958. Jusque là, le Canada exerçait une compétence élargie, et la BFSJB avait un certain contrôle, puisque son approbation était obligatoire.

[55]  De toute façon, la preuve a révélé que la bande n’avait pas dit « non » de façon systématique aux demandes d’exploration. L’intimée a souligné que la bande avait rarement refusé l’accès aux réserves, citant deux exemples. Pour mettre les choses plus en perspective, seul un puits avait été foré dans la RI no 205 entre 1950 et 1960, et aucun dans les RI nos 204 et 206. Plus de 80 % des puits forés dans les trois réserves l’avaient été après 1977, et, bien sûr, tous avaient nécessité l’approbation de la BFSJB ou de l’une des revendicatrices. De plus, l’intimée a affirmé que chaque fois que l’une de ces bandes approuvait une demande d’exploration ou de forage, elle aurait reçu une indemnité, y compris une redevance prioritaire de 2 % après 1977.

[56]  En 1994, les bandes ont conclu une entente de partage des revenus avec la province, en vertu de laquelle elles recevaient une indemnité de 3 millions de dollars pour le pétrole extrait avant la conclusion de l’entente ainsi que la moitié des revenus gagnés par la suite. L’entente de partage des revenus accordait également aux bandes le pouvoir de consentir ou non aux activités en question. L’intimée a fait valoir que tous ces éléments démontraient la volonté des revendicatrices de permettre le développement souterrain, développement auquel, en fait, les bandes n’avaient jamais semblé s’opposer. Par conséquent, ces éléments démontraient aussi ce que la bande aurait probablement fait et aidaient à établir les intentions réelles de la BFSJB en 1947. Il s’ensuit que si la BFSJB était favorable aux activités pétrolières et ne s’y opposait pas après 1947, elle aurait probablement conclu la transaction sans obtenir les droits tréfonciers en 1945 ou en 1947. Si tel était le cas, les activités pétrolières et gazières n’auraient pas pu entraver la poursuite de ses activités traditionnelles, si c’était là une intention fondamentale.

[57]  L’intimée a souligné que l’indemnisation en equity découle du [traduction] « préjudice réel » causé par le manquement, déterminé par suite d’un [traduction] « examen méticuleux des faits » (observations écrites de l’intimée, aux para 104-05, citant la décision Whitefish, au para 51, et l’arrêt Hodgkinson, au para 37). La perte réelle peut être établie en procédant à un examen approfondi de l’histoire de la BFSJB (et de ses successeures) avant, pendant et après le manquement, afin de déterminer ce qu’elle aurait probablement fait si le Canada s’était acquitté de ses obligations de fiduciaire.

[58]  Conformément à son opinion selon laquelle, n’eût été le manquement aux obligations de fiduciaire, la BFSJB aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers, l’intimée a fait valoir qu’il n’existait [traduction] « pas de perte d’occasion d’obtenir les droits tréfonciers, et que les revendicatrices n’avaient subi aucune perte » (observations écrites de l’intimée, au para 110).

[59]  L’intimée a dit que, même si elle ne pouvait convaincre le Tribunal que la BFSJB aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers, la perte d’occasion devait être appréciée en fonction de ce que les revendicatrices avaient l’intention de faire, mais qu’elles n’avaient pu faire en raison de la réserve des droits miniers afférents aux réserves de remplacement par la province. La perte découlant du manquement, le cas échéant, était la perte de l’occasion de [traduction] « poursuivre les activités traditionnelles de chasse et de piégeage plus près des territoires de piégeage de la bande, de cultiver du foin pour nourrir les chevaux et de générer des intérêts de la vente de la réserve de Montney » (observations écrites de l’intimée, au para 2).

[60]  L’intimée a soutenu que rien ne prouvait que la réserve des droits tréfonciers par la province avait empêché la BFSJB, ou ses successeures, d’atteindre ses objectifs. De plus, les réserves de remplacement n’étaient pas censées être les seuls endroits où des activités traditionnelles pouvaient s’exercer. Ces activités s’étaient poursuivies à l’extérieur de la réserve après la cession de la réserve de Montney, tout comme avant. La preuve montrait que les activités traditionnelles s’étaient poursuivies, en suivant notamment le cycle saisonnier, bien que peut‑être de façon différente. La preuve ne montrait pas que l’exploration ou l’extraction pétrolière et gazière dans les réserves de remplacement avaient entravé ces activités de quelque façon que ce soit. Par conséquent, l’intimée a conclu que [traduction] « les revendicatrices n’avaient subi aucune perte du fait que le Canada a manqué à ses obligations de fiduciaire et que les revendicatrices n’avaient droit à aucune indemnité correspondant à la valeur des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement » (observations écrites de l’intimée, au para 180).

[61]  Selon l’intimée, indemniser les revendicatrices pour la valeur des droits tréfonciers serait démesuré et injuste en plus de constituer un avantage inattendu.

[62]  L’intimée a également affirmé que si la Colombie‑Britannique ou des tiers autorisés par la province [traduction] « ont pu entrer dans les réserves de remplacement sans consultation appropriée et en contravention de la loi », le Canada ne pouvait en être tenu responsable, compte tenu de l’alinéa 20(1)i) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP] (observations écrites de l’intimée, au para 177).

IV.  FAITS ADMIS

A.  Généralités

[63]  Doig et Blueberry sont les Premières Nations descendantes actuelles de la BFSJB et sont principalement d’ascendance dane‑zaa.

[64]  Le Traité no 8 a initialement été signé en 1899 au Petit lac des Esclaves, puis ratifié par le décret no 363 le 20 février 1900. Le 30 mai 1900, la BFSJB a adhéré au Traité no 8.

[65]  Aux termes du Traité no 8, le Canada devait mettre de côté des terres pour l’usage et le profit des Premières Nations signataires d’une superficie de 128 acres par personne, ou une terre en particulier d’une superficie de 160 acres par personne.

[66]  Le 15 mai 1907, par le décret no 450, la province a transféré au Canada l’administration et le contrôle de trois millions et demi d’acres de terres, connues sous le nom de « Bloc de la rivière La Paix ». Ce transfert d’administration et de contrôle comprenait les droits tréfonciers, mais pas les droits visant les métaux précieux.

[67]  En 1916, le Canada a mis de côté la réserve de Montney (RI no 172), située dans le Bloc de la rivière La Paix, pour l’usage et le profit de la BFSJB.

[68]  La réserve de Montney, d’une superficie de 18 168 acres de terres, était située à environ dix kilomètres au nord de Fort St. John.

[69]  À l’exception des droits visant les métaux précieux, le Canada détenait en fiducie, pour l’usage et le profit de la BFSJB, les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney.

[70]  En 1930, le Canada a de nouveau transféré les terres restantes du Bloc de la rivière La Paix à la province. Ce transfert d’administration et de contrôle ne comprenait pas la réserve de Montney, que le Canada a continué de détenir en fiducie pour l’usage et le profit de la BFSJB.

[71]  À l’audience, les parties ont convenu que les Premières Nations signataires du Traité no 8 avaient accès aux terres dominiales situées en Colombie‑Britannique qui n’étaient pas réellement occupées et qu’elles pouvaient les utiliser.

B.  Cession de la réserve de la réserve de Montney

[72]  Le 22 septembre 1945, à la suite d’un vote sur la cession, la BFSJB a cédé la réserve de Montney.

[73]  Le 16 octobre 1945, par le décret no 6506, le Canada a accepté que la bande cède la réserve de Montney.

[74]  Le 30 mars 1948, le directeur de la division des Affaires indiennes a transféré la réserve de Montney au Directeur des terres destinées aux anciens combattants pour 70 000 $, dont le produit net a été déposé dans le compte en fiducie de la BFSJB.

[75]  En 1948, le Directeur des terres destinées aux anciens combattants a commencé à transférer aux anciens combattants des intérêts en fief simple absolus dans les terres de l’ancienne réserve de Montney. À la fin de 1950, il avait transféré en fief simple aux anciens combattants tous les lots de l’ancienne réserve de Montney, sauf six. Il a transféré un lot à un ancien combattant en 1951, puis un autre en 1956. En 1952, aux enchères publiques, il a disposé des quatre derniers lots, jugés excédentaires.

C.  Achat des terres de remplacement

[76]  Le 6 novembre 1947, le ministre provincial des Terres et des Forêts a écrit au ministre fédéral des Mines et des Ressources pour lui indiquer que les levés d’arpentage des réserves de remplacements choisies par le ministère des Affaires indiennes pour la bande avaient été reçus et cartographiés et pour l’informer du prix que la province était prête à accepter pour transférer les terres, renvoyant à l’article 47 de la Land Act de 1948 de la Colombie‑Britannique.

[77]  Le 26 novembre 1947, le Canada a accepté l’offre de la province de lui vendre les terres qui deviendraient par la suite les réserves de remplacement (les terres de remplacement) pour une somme de 4 932,50 $, en plus d’une somme de 30 $ au titre des droits de concession de la Couronne.

[78]  En juin 1948, la BFSJB a adopté une résolution du conseil de bande autorisant une dépense n’excédant pas 5 000 $ pour l’achat des réserves de remplacement.

[79]  Par le décret no 9/2300 daté du 6 mai 1950, le Canada a approuvé la dépense de 4 932,50 $ à même le compte en capital de la bande pour l’achat des terres de remplacement.

[80]  Le 8 juin 1950, dans une lettre adressée au surintendant des terres de la province pour le ministère des Terres et des Forêts, le directeur de la division fédérale des Affaires indiennes a confirmé l’approbation de l’achat des terres de remplacement et a joint un chèque d’un montant équivalant au prix d’achat convenu.

[81]  La province a approuvé la vente des terres de remplacement par le décret no 1655 daté du 25 juillet 1950, lequel précisait que la province transférerait au Canada l’administration et le contrôle des terres de remplacement [traduction] « sous réserve des dispositions et des restrictions prévues dans le formulaire no 11 de l’annexe 175 des statuts révisés de 1948 de la Colombie‑Britannique » (exposé conjoint des faits, au para 18).

[82]  Une copie certifiée du décret no 1655 a été transmise au Canada le 26 juillet 1950.

[83]  Le 25 août 1950, par le décret no 4092, le Canada a mis de côté les terres de remplacement pour l’usage et le profit de la bande, soit la réserve indienne Beaton River no 204 (RI no 204), la réserve indienne Blueberry River no 205 (RI no 205) et la réserve indienne Doig River no 206 (RI no 206) – les réserves de remplacement.

[84]  Le 8 septembre 1950, la BFSJB a cédé les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement au Canada pour que celui‑ci les loue au profit de la BFSJB.

[85]  Le 11 octobre 1950, par le décret no 4875, le Canada a accepté la cession des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement à des fins de location.

[86]  Le 26 octobre 1950, le Canada a délivré à Halfway des permis d’exploration minière relatifs aux réserves de remplacement.

[87]  Dans une lettre datée du 19 janvier 1952, Halfway a informé M. D.J. Allan, surintendant des réserves et des fiducies de la division fédérale des Affaires indiennes, que la province lui avait indiqué que les permis d’exploration délivrés par le Canada étaient invalides, car la province détenait les droits tréfonciers afférents aux terres.

[88]  Le 26 janvier 1952, le surintendant provincial des terres a informé le Canada que la province détenait les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement.

[89]  Le 26 janvier 1952, le sous‑ministre fédéral du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a écrit ce qui suit au sous‑ministre provincial du ministère des Mines :

[traduction]

Les terres de ces trois réserves situées dans le district de la rivière La Paix ont été transférées à la Couronne du chef du Canada par le décret nº 1655 de la Colombie‑Britannique, le 25 juillet 1950. Une copie certifiée du décret a été transmise au ministère, avec la lettre du secrétaire provincial adjoint datée du 26 juillet 1950.

À l’époque, il n’avait pas été compris que le formulaire nº 11 de l’annexe de la Land Act prévoyait une réserve des droits miniers.

[…]

Après avoir examiné notre titre, nous devons admettre que les droits miniers, y compris les droits d’exploitation du pétrole et du gaz naturel, ont fait l’objet d’une réserve en faveur de la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique.

[…]

Veuillez excuser l’erreur qui nous a amenés à vouloir louer les droits d’exploitation du pétrole et du gaz naturel, qui appartiennent toujours à la province. J’espère que la délivrance des permis – lesquels ont été résiliés – ne constitue pas un inconvénient majeur pour votre ministère. [Exposé conjoint des faits, au para 26]

[90]  Dans une lettre datée du 25 février 1952 adressée aux avocats de Halfway, le ministre des Affaires indiennes a indiqué que son directeur avait déjà informé Halfway que les droits miniers afférents aux réserves de remplacement appartenaient à la province et que d’accorder des droits miniers relatifs aux réserves de remplacement excédait son pouvoir. Le ministre des Affaires indiennes a précisé que toute demande pour obtenir de tels droits devrait être présentée à la province.

D.  Scission de la bande

[91]  Le 8 août 1977, le Canada a approuvé la scission de la BFSJB en deux, soit Doig et Blueberry.

[92]  Selon les modalités de la scission, Doig a obtenu environ 2 890 acres des réserves de remplacement, soit la RI no 206 et la moitié nord de la RI no 204. Blueberry a obtenu environ 3 240 acres des réserves de remplacement, soit la RI no 205 et la moitié sud de la RI no 204.

V.  Témoins Experts

A.  M. Robin Ridington

[93]  M. Robin Ridington a été reconnu comme expert en anthropologie et en ethnographie spécialisé dans le peuple Dane‑zaa. Il a commencé ses études en vivant auprès des Dane‑zaa en 1964. En 1968, il a terminé un doctorat et a poursuivi ses travaux, au cours desquels il a établi une relation de travail étroite avec la BFSJB et ses bandes successeures.

[94]  L’ethnographie est l’observation et la consignation d’information culturelle par un observateur expérimenté qui participe aux activités d’une communauté afin de les décrire avec exactitude, sans idées préconçues. M. Ridington s’est appuyé sur plusieurs sources, notamment sur ses propres observations, entrevues et dossiers documentaires à titre de chercheur. La preuve qu’il a présentée n’a pas été sérieusement contestée ou contredite. Je n’en ferai donc qu’un résumé général, en renvoyant au minimum à son rapport (rapport de M. Ridington) ou à son témoignage.

[95]  Dans son témoignage, M. Ridington a affirmé que les Dane-zaa incluaient la BFSJB et, bien sûr, ses bandes successeures. Les membres de la bande de la rivière Halfway étaient également des Dane-zaa. Ils étaient établis un peu au nord de la réserve de Montney et étaient étroitement apparentés à la BFSJB. Il y avait d’autres bandes d’ascendance dane‑zaa, notamment à l’ouest de l’Alberta. La BFSJB a vécu dans la réserve de Montney et aux alentours depuis le moment de son attribution jusqu’à sa cession.

[96]  Les Dane‑zaa étaient des chasseurs et des cueilleurs nomades qui vivaient de la terre sur un territoire d’une superficie d’environ 250 milles par 300 milles (75 000 milles carrés) s’étendant au nord‑est de la Colombie‑Britannique. M. Ridington a décrit leur mode de vie comme étant une [traduction] « adaptation par écotone », où ils avaient accès à plus d’un type de zone écologique, passaient d’une zone à une autre et exploitaient les ressources de chaque zone :

[traduction]

En fait, c’est le propre d’une adaptation par écotone : Vous ne restez pas seulement à un endroit fixe. Vous passez d’une zone de ressources à une autre. C’est le ‑‑ c’est le sens premier d’un écotone. Vous passez d’un endroit à un autre. Ensuite, pendant la saison de piégeage, vous vous déplacez le long des territoires de piégeage. [Transcription de l’audience, 26 juin 2017, à la p 141]

[97]  Il a comparé les écotones à des secteurs de piégeage, [traduction] « lesquels constituent essentiellement une zone écologique ». Habituellement, il y avait suffisamment d’orignaux dans les secteurs de piégeage pour subvenir aux besoins de plus petits groupes s’adonnant à la chasse de subsistance (transcription de l’audience, 26 juin 2017, aux pp 96-97).

[98]  Bien que la BFSJB eût accès aux ressources du versant est des montagnes, sa vie tournait principalement autour de la réserve de Montney et des secteurs voisins, qui fournissaient une abondance de ressources.

[99]  M. Ridington a décrit comment la BFSJB passait les mois de printemps, d’été et d’automne à exercer des [traduction] « activités saisonnières ». Pendant ces mois, elle passait d’une zone écologique à une autre, choisissant de chasser pour la fourrure ou pour le gibier, pêchant des poissons et cueillant des plantes d’une manière qui permettait d’assurer et de maximiser la disponibilité potentielle des ressources pour subvenir à ses besoins actuels et futurs.

[100]  À l’arrivée du printemps en avril, la bande délaissait ses sentiers de piégeage hivernaux pour aller chasser le castor, qui lui fournissait de la viande et des fourrures. Elle se rendait ensuite aux lacs, aux rivières et aux ruisseaux entourant la réserve de Montney, pêchant le meunier lors de la montaison près du Charlie Lake. D’autres poissons pouvaient également être pêchés plus tard au cours du printemps et de l’été au Charlie Lake, au Cecil Lake et aux autres lacs du secteur. Les membres de la bande pêchaient d’autres poissons frais pour leur alimentation quotidienne, mais la montaison du printemps était importante pour approvisionner la bande en vue de ses activités futures. Au printemps, la bande récoltait également l’écorce interne de peuplier et la berce laineuse, qui étaient riches en vitamine C.

[101]  Puis, à mesure que l’été avançait, elle cueillait une grande variété de baies, dont l’amélanche, la dernière baie à cueillir à l’automne. Tout au long de l’été, les hommes chassaient l’orignal et le cerf, qui étaient nombreux dans la région de la réserve de Montney. Les femmes ramassaient les œufs d’oie et de canard. Les lapins étaient également nombreux et constituaient une source de nourriture et de fourrure pour les vêtements. À l’automne, la réserve de Montney regorgeait également d’ours, lesquels fournissaient de la viande, de la graisse et de la fourrure. Durant les mois de printemps, d’été et d’automne, les femmes préparaient les ressources récoltées pour faire et conserver de la viande sèche, des baies sèches et du pemmican afin de subvenir aux besoins de la bande pendant l’hiver.

[102]  La bande passait d’une zone à une autre pendant les mois autres que les mois d’hiver, établissant des campements de tipis. La réserve de Montney était la plaque tournante de l’économie par écotone de la BFSJB et était au cœur des ressources variées réparties tout autour, comme les rayons d’une roue. Il arrivait parfois que la BFSJB campe dans la réserve de Montney, mais pas à un endroit fixe. La bande campait également dans les zones environnantes. Elle se déplaçait constamment.

[103]  Comme les chevaux étaient le principal moyen de transport de la BFSJB (même en 1945), elle possédait d’assez grands troupeaux. La bande ne cultivait pas le foin. Les chevaux se nourrissaient plutôt d’herbes de prairie qui poussaient en abondance dans les plaines de la réserve de Montney et de la région environnante. Lorsque la neige commençait à tomber, la bande se divisait en plus petits groupes, qui gagnaient des endroits boisés plus reculés, où leurs territoires de piégeage étaient situés près des éventuelles réserves de remplacement. Ils relâchaient les chevaux et continuaient en raquette, en toboggan et en traîneau à chiens jusqu’à leurs territoires de piégeage. Les chevaux retournaient vers des territoires où ils pouvaient trouver des herbes de prairie à manger sous la neige.

[104]  Au cours de la décennie précédant la cession de la réserve de Montney, la bande a loué des secteurs de la réserve à des colons pour la culture du foin. Lorsque les colons récoltaient le foin, il n’y avait plus d’herbe de prairie sur la terre. Par conséquent, la bande a perdu des chevaux, ce qui a entraîné certaines difficultés, malgré les revenus gagnés.

[105]  La réserve de Montney était une parcelle de terre assez grande d’une superficie de 18 168 acres (28,4 milles carrés). En raison de son emplacement central et des ressources abondantes des environs immédiats, elle pouvait répondre de manière fiable aux besoins d’un grand nombre de personnes pendant deux à trois semaines pendant l’été sans nuire aux besoins de la BFSJB. Les Dane‑zaa s’y réunissaient pendant quelques semaines chaque été, campant dans des tipis et partageant une langue et une culture communes.

[106]  Les Dane‑zaa avaient un système de parenté préexistant qui ne faisait aucune distinction selon l’appartenance à une bande. Les personnes se rencontraient à la réserve de Montney, puis se mariaient, et des liens familiaux se formaient pour la vie. Ces rassemblements estivaux annuels revêtaient une importance fondamentale pour préserver l’identité sociale des Dane‑zaa. C’était là qu’ils développaient, préservaient et partageaient la langue, la culture, la spiritualité et les autres valeurs qui les définissaient en tant que peuple. M. Ridington a également mis l’accent sur l’importance de leur système de parenté.

[107]  Les Dane‑zaa croyaient en des chefs spirituels particuliers connus sous le nom de [traduction] « rêveurs », qui étaient reconnus pour leur pouvoir de voyager sur la [traduction] « piste de la chanson » ou la [traduction] « piste vers le paradis », aussi appelée « Tagatunne » (transcription de l’audience, 26 juin 2017, aux pp 86-87). Ils croyaient que les aînés décédés transmettaient des chansons aux rêveurs, qui à leur tour aidaient les personnes sur Terre à se rendre au paradis. Chaque rêveur avait reçu une ou plusieurs de ces chansons paradisiaques.

[108]  Le rêveur Guayaan avait reçu une chanson au sujet de la réserve de Montney, qui était ensuite devenue connue sous le nom de [traduction] « L’endroit où réside le bonheur » (transcription de l’audience, 26 juin 2017, à la p 87). La réserve de Montney occupait donc une place centrale dans la vie spirituelle des Dane‑zaa et était reconnue comme un endroit où règne un grand bonheur. M. Ridington a expliqué que les rassemblements estivaux à la réserve de Montney étaient [traduction] « festifs », car la réserve était en mesure de subvenir aux besoins d’un grand groupe de personnes pendant plusieurs semaines. Grâce à une quantité suffisante de nourriture, les personnes se sentaient en sécurité et heureux. Elles étaient à l’aise de parler leur langue, de se conter des histoires, de conclure des alliances, de se marier, de partager de la nourriture et de participer à des activités spirituelles où les chants et la danse étaient à l’honneur. Ces rassemblements leur permettaient également d’affirmer leur identité en tant que communauté dane‑zaa élargie. Pour ces motifs, la réserve de Montney était importante, non seulement en tant que plaque tournante de l’économie par écotone de la BFSJB, mais également en tant que centre de la vie sociale et spirituelle des Dane‑zaa.

[109]  Le piégeage avait toujours fait partie du mode de vie des Dane‑zaa, bien que son importance avant l’arrivée de la traite des fourrures fût inconnue. Cependant, l’établissement du premier poste de traite des fourrures par M. Alexander Mackenzie, en 1794, à la confluence de la Moberly River et de la rivière de la Paix a eu de grandes répercussions sur le mode de vie des Dane‑zaa. En s’adonnant au piégeage et à la traite des fourrures (le castor, le lynx, la martre et le pékan), les Dane‑zaa pouvaient acquérir des produits, tels des couteaux, des fusils, des lampes et des poêles, qui les aidaient à subsister dans les écotones. Par conséquent, ils sont devenus plus actifs dans leurs activités de piégeage, qui avaient lieu en hiver.

[110]  Grâce au piégeage, les membres de la bande passaient l’hiver à un seul endroit, et il leur était dorénavant possible de vivre dans des habitations munies de lampes et chauffées par des poêles. Cela rendait leur vie plus confortable pendant les hivers rigoureux, et ce, à un seul endroit. Les fourrures étaient échangées contre des crédits, et non contre de l’argent. Ce n’est qu’au vingtième siècle, lorsque des commerçants privés se sont établis dans le secteur de la réserve de Montney, que des membres de la BFSJB ont commencé à échanger les fourrures contre de l’argent, ce qui leur permettait d’acheter des denrées alimentaires, comme de la farine, du sel, du sucre, du thé et du saindoux.

[111]  Les documents historiques produits par le Canada traitaient également du mode de vie de chasseurs et de trappeurs de la bande et de l’importance de le préserver et de le soutenir. Par exemple, dans son rapport du 29 octobre 1943, l’inspecteur des agences indiennes a décrit la BFSJB comme étant [traduction] « nomade » et comme ayant une certaine difficulté à obtenir un nombre suffisant de sentiers de piégeage (CCD, volume 3, onglet 114). Le 21 juillet 1944, l’agent des Indiens M. H.A.W. Brown a également rapporté à la division des Affaires indiennes que les membres de la bande étaient des trappeurs, et non des fermiers (CCD, volume 3, onglet 116). Le 8 août 1945, M. J.L. Grew a signalé à M. D.J. Allan, surintendant des réserves et des fiducies, que la bande céderait probablement la réserve de Montney si elle recevait une terre ailleurs, et a fait référence aux nouvelles réserves proposées comme étant [traduction] « au‑delà de la limite d’établissement prévisible » (CCD, volume 3, onglet 117). Il était clair que le Canada voulait que la BFSJB soit en mesure de poursuivre son mode de vie traditionnel après la transaction visant les terres, comme c’était le cas lorsqu’elle possédait la réserve de Montney, et qu’il voulait s’assurer qu’elle soit capable de subvenir à ses besoins. Dans une lettre datée du 13 août 1945, le ministre fédéral des Mines et des Ressources a écrit au ministre provincial des Terres :

[traduction]

La question de savoir si nous pouvons convaincre les Indiens de céder cette réserve, en totalité ou en partie, et si nous devons tenter de le faire, dépendra largement des autres genres de dispositions qui pourront être prises à leur égard et qui garantiront leur subsistance. Étant donné que la bande a toujours vécu de chasse et de piégeage, nous pouvons probablement chercher une solution en ce sens. [CCD, volume 1, onglet 50]

Bien entendu, le gouvernement avait une compréhension des pratiques traditionnelles de la bande fondée sur les rapports réguliers faits par les agents et les inspecteurs des Indiens fédéraux au cours des nombreuses années précédant 1947.

[112]  Pendant le contre‑interrogatoire, on a posé des questions à M. Ridington sur les pratiques traditionnelles des revendicatrices après l’aliénation de la réserve de Montney. Son témoignage a fourni un contexte plus étoffé.

[113]   Il a souligné à quel point la pêche dans les lacs entourant la réserve de Montney et leurs affluents – particulièrement le Charlie Lake – constituait une [traduction] « ressource très, très productive » et permettait de faire de la viande sèche pour apporter dans les territoires de piégeage l’hiver (transcription de l’audience, 26 juin 2017, aux pp 126, 129). Alors que la bande a continué à pêcher le meunier après la cession, les colons le pêchaient également en grande quantité, s’en servant comme nourriture pour chien et engrais. Un barrage construit à l’extrémité du Charlie Lake a également mis un frein à la montaison (transcription de l’audience, 26 juin 2017, aux pp 129‑130). Par conséquent, cette importante ressource a été épuisée.

[114]  En réponse à des questions concernant une entrevue de M. Tommy Attachie en 2006 (rapport de M. Ridington, aux pp 19-20), M. Ridington a confirmé qu’après la cession de la réserve de Montney, la bande a continué de se déplacer dans des camps d’été, y compris à Sweeney Creek, près de la frontière albertaine. La bande chassait et pêchait de son mieux, compte tenu des ressources disponibles à cette époque. Cependant, les cycles saisonniers étaient différents (transcription de l’audience, 26 juin 2017, aux pp 133-34). M. Ridington a expliqué :

[traduction]

Ils ont donc ‑‑ autant que possible, ils ont essayé de conserver leur mode de vie traditionnel, mais c’était rendu difficile en raison de l’externat qui avait été établi à Petersen’s Crossing. Comme l’a mentionné Tommy dans l’entrevue, ils devaient revenir pour aller à l’école. Ils ont néanmoins essayé le plus possible d’aller dans les camps de chasse pendant l’été. Les familles, à tout le moins les pères, allaient dans les cabanes pour le piégeage et dans les secteurs de piégeage l’hiver. Mais les enfants, eux, devaient rester à l’école. [Transcription de l’audience, 26 juin 2017, à la p 138]

B.  M. Paul Precht

[115]  L’intimée a présenté un économiste de l’énergie, M. Paul Precht, qui a été reconnu comme expert pour livrer un témoignage sur les régimes de réglementation en matière d’administration des activités pétrolières et gazières au Canada et en Colombie‑Britannique.

[116]  M. Precht a obtenu une maîtrise ès arts en économie de l’Université de l’Alberta. Il a ensuite travaillé au sein du ministère de l’Énergie de l’Alberta à titre d’analyste et de cadre dans les domaines de l’économie de l’énergie et de la politique énergétique. À ce titre, il a participé directement à l’élaboration de politiques de haut niveau et aux négociations concernant les politiques énergétiques nationales et la réalisation de projets de très grande envergure.

[117]  Sous‑discipline de l’économie, l’économie de l’énergie est axée sur la manière dont les membres d’une société ou d’une économie prennent des décisions et s’organisent relativement à la production et à la consommation de biens – en l’espèce, le pétrole et le gaz. En 2000, M. Precht a lancé sa propre entreprise de consultation, travaillant depuis pour le gouvernement fédéral, plusieurs gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que des gouvernements en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Il a également été consultant pour plusieurs organisations et grandes entreprises autochtones. Il se spécialise entre autres dans l’analyse et la formulation de conseils en matière de cadres de réglementation de l’énergie. M. Precht a rédigé et déposé un rapport, intitulé « Surface Resource Management on Indian Lands with a Focus on IRs 204, 205, and 206 » (le rapport de M. Precht).

[118]  M. Precht a reconnu que le rôle qu’a joué le Canada dans la réglementation des RI nos 204, 205 et 206 a été [traduction] « quelque peu différent de celui qu’il a joué pour la plupart des autres réserves » (transcription de l’audience, 28 juin 2017, à la p 83). Il a également reconnu que la majorité des réserves des Premières Nations comprenaient les droits de superficie et les droits tréfonciers, que le Canada administrait ensuite en leur nom (transcription de l’audience, 28 juin 2017, aux pp 83-84; rapport de M. Precht, à la p 10). La réglementation fédérale en vigueur à l’époque de l’attribution des réserves de remplacement était intégrée à la Loi sur les Indiens et ne s’appliquait qu’aux réserves qui comprenaient l’ensemble des droits. Le Canada ne disposait pas d’un régime de réglementation régissant l’accès à des fins d’exploration et d’extraction pétrolières et gazières dans les cas où la réserve ne comprenait pas les droits tréfonciers. M. Precht a reconnu ce point à la page 23 de son rapport :

[traduction]

Les dossiers comportent des lacunes relativement à la nature et à l’étendue de la réglementation relative à l’accès aux réserves indiennes à des fins d’exploration et d’exploitation minières dans les réserves indiennes nos 204, 205 et 206. Ces lacunes sont particulièrement présentes dans les premières années suivant l’établissement de ces réserves. Les réserves ont été établies en 1950, et le premier puits y a été foré en 1952. À cette époque, les exigences réglementaires en matière de pétrole et de gaz dans les terres indiennes étaient généralement « minimales » et peu contraignantes, tout comme celles applicables à l’accès aux terres en surface et aux baux de superficie.

[119]  Par conséquent, l’intimée a admis que, dans les années 1940, le Canada n’aurait pas pu assurer à la BFSJB une protection contre les activités pétrolières et gazières menées dans les RI nos 204, 205 et 206. Le Canada a également reconnu à l’époque qu’il n’aurait pas pu refuser à la province l’accès aux réserves pour mener de telles activités. Cependant, au fil du temps, la réglementation a évolué au point où la bande pouvait en limiter l’accès en imposant une exigence d’autorisation. M. Precht a décrit cette évolution, tout en soulignant également les incertitudes du régime juridique à l’égard de l’étendue des pouvoirs de la bande.

[120]  La première disposition règlementaire fédérale exigeant l’autorisation du conseil de bande pour effectuer des travaux de recherches pétroliers et gaziers figurait au paragraphe 5(2) du Règlement concernant le pétrole et le gaz des Indiens de 1958 (DORS/58‑90, CP 1958‑339) (règlement de 1958). Toute entreprise souhaitant obtenir la permission de faire de tels travaux devait également effectuer un « versement initial » à titre d’indemnité contre l’endommagement de la surface causé par les recherches, en plus du loyer pour l’année complète.

[121]  Le règlement de 1958 a été révisé en 1966, puis à nouveau en 1977, avec le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes (CRC 1978, c 963). Selon le paragraphe 28(3) de ce règlement, toute personne désirant accéder à une réserve pour y mener des activités pétrolières et gazières devait négocier les modalités de la permission et les versements directement avec la bande, laquelle donnait ensuite son approbation en adoptant une résolution du conseil de bande. Il ressort du paragraphe 29(2) que si la demande de permission n’était pas approuvée dans les 45 jours suivant sa réception, le conseil de la bande était réputé ne pas l’avoir approuvée. Si la bande approuvait la demande, elle avait droit à une redevance prioritaire de 2 %. Le ministère devait également être convaincu que l’accès proposé ne porterait pas atteinte aux intérêts de la bande. Au sujet du règlement de 1977, M. Precht a mentionné à la page 17 de son rapport : [traduction] « Il n’est toujours pas clair si, compte tenu des répercussions du formulaire no 11, la bande devrait décider de refuser l’accès. »

[122]  Le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes a de nouveau été mis à jour en 1981 (DORS/81‑340), puis en 1995 (DORS/94‑753), établissant le même régime que celui établi par le règlement de 1977, mais de façon plus détaillée. Là encore, les entreprises demandant l’accès aux réserves pour y mener des activités pétrolières et gazières devaient négocier directement avec la bande, qui confirmait son approbation en adoptant une résolution du conseil de bande. Le règlement a été élargi afin que l’approbation de la bande soit exigée pour mettre fin à l’accès aux terres en surface et qu’une indemnité visant à couvrir les frais d’abandon et de régénération soit versée.

[123]  En 1987, suivant les recommandations d’une assemblée de chefs autochtones, Pétrole et gaz des Indiens du Canada (PGIC) a été mis sur pied en tant qu’organisme spécialement orienté vers les entreprises au sein du ministère. En 1993, PGIC est devenu une unité distincte relevant du ministère et assurait une prestation de services axée sur les clients. Les services étaient liés à la gestion et à la réglementation des ressources pétrolières et gazières dans les réserves indiennes. Suivant ce cadre réglementaire beaucoup plus rigoureux, les Premières Nations ont continué d’être consultées, les approbations étant confirmées au moyen de résolutions du conseil de bande (rapport de M. Precht, aux pp 20-23).

[124]  M. Precht a souligné qu’en vertu de la Constitution, la province de la Colombie‑Britannique a compétence en matière de réglementation des activités pétrolières et gazières dans la province, ce qui comprend la gestion des droits tréfonciers détenus par la province. L’accès aux droits tréfonciers provinciaux est habituellement obtenu à l’aide d’un système de demandes par adjudication. La province est également responsable de la gestion des ressources pétrolières et gazières qui lui sont réservées dans des réserves indiennes, comme en l’espèce. M. Precht a indiqué que la Colombie‑Britannique s’est dotée d’un processus d’examen et de consultation axé sur les conflits éventuels avec les propriétaires des droits de superficie, sur les risques de dommages ou de préjudices à l’environnement ou à la faune ou sur les risques de dommages aux ressources historiques ou culturellement sensibles, y compris ceux des Premières Nations (rapport de M. Precht, à la p 9). Il ne savait pas à quel moment la première consultation avait eu lieu entre la province et les Premières Nations ou s’il y avait eu des consultations dans les premières années relativement aux RI nos 204, 205 et 206.

[125]  M. Precht a décrit les RI nos 204, 205 et 206 comme ayant [traduction] « évidemment été établies dans un endroit présentant une prospectivité pétrolière et gazière, puisque l’intérêt pour acquérir les droits pétroliers et gaziers afférents à ces terres s’était manifesté dès qu’elles avaient été établies » (rapport de M. Precht, à la p 12). Il importe de rappeler que la Colombie‑Britannique avait accordé un permis d’exploration dans les réserves de remplacement environ deux mois avant leur transfert au Canada. La BFSJB avait ensuite cédé les droits tréfonciers afférents aux réserves peu après leur attribution, et le Canada avait accordé un permis d’exploration peu de temps après, ce qui avait mené à la découverte de la réserve des droits tréfonciers par la Colombie‑Britannique.

[126]  M. Precht a indiqué que le premier puits, foré dans la RI no 205 en 1952, est encore en exploitation et que c’était le seul puits actif avant 1958. Au total, 88 puits avaient été forés dans la RI no 205 depuis sa création, et 60 d’entre eux demeurent actifs. Un total de dix puits avaient été forés dans la RI no 204 et la RI no 206. Seul l’un de ces puits (foré dans la moitié nord de la RI no 204) avait été en exploitation. M. Precht a déclaré que tous les baux relatifs à la RI no 206 avaient été annulés (rapport de M. Precht, aux pp 12-13). Plus de 80 % des puits forés dans l’ensemble des trois réserves l’avaient été après 1977, lorsque la réglementation fédérale applicable exigeait l’autorisation de la bande pour donner accès aux réserves. Vingt‑six puits avaient été forés dans les RI nos 204, 205 et 206 entre 1977 et 1995, et quarante‑neuf l’avaient été alors que la réglementation fédérale de 1995 était en vigueur (rapport de M. Precht, aux pp 13-14).

[127]  En 1994, la Colombie‑Britannique a conclu une entente de partage des revenus avec les bandes (CCD, volume 3, onglet 157). Le préambule de l’entente reconnaissait que la province s’était réservé toutes les ressources en pétrole et en gaz naturel se trouvant dans le sous‑sol des réserves, sans toutefois faire expressément référence au formulaire no 11. L’article 4.2 de l’entente prévoyait que l’autorisation des bandes était obligatoire lorsque [traduction] « le Canada est tenu, en vertu d’une loi en vigueur, d’obtenir l’autorisation de Blueberry ou de Doig afin de permettre l’accès dans les réserves ou lorsque le Canada choisit de demander ces autorisations ». L’article 4.3 prévoyait également qu’une bande pouvait refuser d’autoriser l’accès si :

[traduction]

a)  Blueberry ou Doig a des motifs raisonnables d’affirmer qu’un tel accès perturberait :

(i)  l’exercice des droits de chasse, de piégeage et de pêche prévus au Traité no 8 ou de tout autre droit existant prévu au Traité no 8 par les membres de Blueberry ou de Doig dans la ou les réserves;

(ii)  les usages résidentiels de la ou des réserves;

(iii)  les sites ayant une valeur spirituelle, historique ou archéologique connue dans la ou les réserves;

b)   Blueberry ou Doig avise par écrit la Colombie‑Britannique d’une telle affirmation et de ses motifs dans les 21 jours suivant la réception d’un avis conformément à l’article 4.1.

[128]  En vertu des articles 5.1 et 5.3, les bandes ont reçu un versement initial de 3 millions de dollars à titre d’indemnité pour leur part des revenus provenant de l’extraction du pétrole et du gaz dans les réserves avant le 31 décembre 1992. Selon l’article 6, la Colombie‑Britannique a accepté de verser aux bandes la moitié des revenus provenant de l’extraction du pétrole et du gaz dans les réserves après le 31 décembre 1992.

[129]  M. Precht a fait remarquer que des 61 puits actifs dans les réserves après la signature de l’entente de partage des revenus, 40 d’entre eux (65,6 %) avaient été forés après la signature de l’entente (rapport de M. Precht, à la p 19). Il a également donné son opinion sur l’incidence de cette entente sur la réserve de la Colombie‑Britannique prévue au formulaire no 11 : [traduction] « […] il semble que, par cette entente, la Colombie‑Britannique annule volontairement sa propre réserve législative prévue au formulaire no 11 de la Lands Act » (rapport de M. Precht, à la p 19).

[130]  M. Precht a conclu à la page 24 de son rapport :

[traduction]

Malgré un départ plutôt flou, mal documenté et faiblement réglementé, au moment où les activités pétrolières et gazières les plus importantes ont été menées dans ces réserves, il semble que les bandes indiennes ont eu des occasions raisonnables de prendre part aux décisions liées à l’usage des terres aux fins des activités pétrolières et gazières. Blueberry et Doig ne se contentaient pas de recevoir passivement le loyer afférent aux baux de superficie. Il existe de la correspondance indiquant que Blueberry et Doig participaient au processus visant à tirer profit des baux de superficie liés à leurs terres. Elles ont réussi à renégocier une augmentation des loyers afférents aux baux de superficie, ont commencé à recevoir des redevances prioritaires en 1978 et ont été en mesure d’obtenir d’autres avantages précis découlant de certains baux de superficie liés à leurs terres.

VI.  PREUVE PAR Histoire orale et témoignage direct de profane

[131]  Les revendicatrices ont appelé un chef et des aînés à témoigner. Ces témoignages par histoire orale ont confirmé nombre d’éléments du récit fait par M. Ridington concernant les pratiques traditionnelles de la BFSJB. C’est pour cette raison que je ne la répéterai pas. Les témoins ont semblé spontanés, directs et assez cohérents entre eux dans leur témoignage. Leur cohérence entre eux et la preuve d’expert de M. Ridington ont ajouté du poids à l’ensemble de leur témoignage.

[132]  Ces témoins ont également livré un témoignage direct de ce qu’ils avaient personnellement observé et vécu jusqu’au moment de l’attribution des réserves de remplacement. Nombre d’entre eux ont également relaté des histoires de parents, de grands‑parents et d’autres membres de leur famille maintenant décédés au sujet d’événements qui se sont produits de leur vivant. Compte tenu du caractère assez récent des sources, techniquement, il ne s’agit peut‑être pas d’histoire orale, mais plutôt d’histoire orale en devenir, et certains pourraient considérer qu’il s’agit de pur ouï‑dire. Dans tous les cas, aucune des deux parties n’ont contesté ces témoignages, et les deux parties s’y sont fiées. Aux termes de l’alinéa 13(1)b) de la LTRP, le Tribunal peut « recevoir des éléments de preuve […] qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire ». Dans ce cas, l’application de ce pouvoir discrétionnaire est appropriée. Il n’existe aucune autre manière de faire la lumière sur la situation pendant la période visée. Il était donc nécessaire de procéder ainsi. Les témoignages peuvent également être vérifiés et soupesés en comparant leur contenu et leur cohérence avec les témoignages livrés par plusieurs autres témoins similaires et avec ceux d’experts qualifiés. Encore une fois, les témoins étaient généralement cohérents entre eux, directs, coopératifs et crédibles.

[133]  L’avocat des revendicatrices a interrogé les aînés surtout sur les histoires orales et les pratiques traditionnelles de la BFSJB jusqu’à la fin des années 1940 afin de faire ressortir l’importance de la réserve de Montney et des pratiques traditionnelles qui avaient cours en 1947. Dans leurs observations, les revendicatrices ont expliqué que ces témoignages visaient à démontrer que, si la bande avait été mise au courant du formulaire no 11 à cette époque et si la province n’avait pu être convaincue de transférer les droits tréfonciers, il aurait alors été préférable pour la BFSJB de conserver la réserve de Montney. En revanche, lors du contre‑interrogatoire, l’intimée a surtout cherché à savoir si et dans quelle mesure la bande a continué de se livrer à ses pratiques traditionnelles après la cession de la réserve de Montney et l’attribution des réserves de remplacement. Le Canada s’est appuyé sur cette partie des témoignages pour étayer sa position selon laquelle la bande aurait conclu la transaction, et ce, indépendamment de la réserve des droits tréfonciers, puisque ces droits ne l’intéressaient pas compte tenu de l’usage qu’elle avait prévu faire des réserves de remplacement. L’intimée a également soutenu que la réserve des droits tréfonciers n’avait pas en réalité perturbé les pratiques traditionnelles des revendicatrices ou entraîné une perte. Les revendicatrices ont répliqué que ce dernier point n’était pas en litige dans le cadre de la présente sous‑étape de l’instance et que, dans tous les cas, la preuve était loin d’étayer l’affirmation de l’intimée. Il est nécessaire de passer en revue les témoignages pour pouvoir apprécier sur les positions opposées.

[134]  Tous les témoins de la bande sont nés entre 1940 et 1952. Seuls deux d’entre eux étaient vivants avant la cession (Mme May Apsassin, née le 7 mai 1940, et Mme Margaret Davis, née le 3 juillet 1944). Par conséquent, la connaissance personnelle des témoins à l’égard des pratiques de la bande avant la cession était limitée, et une bonne partie de leur information provenait de parents proches ou d’aînés. Toutefois, ils avaient tous des souvenirs assez clairs de la vie après la cession et l’attribution des réserves de remplacement.

[135]  Après l’aliénation de la réserve de Montney, de nombreuses familles de la bande ont construit des habitations un peu plus au nord‑ouest, près de Petersen’s Crossing (la ville actuelle de Rose Prairie). Il y avait un magasin tout près et une école pour les enfants de la bande. Comme en a témoigné M. Ridington, les membres de la bande squattaient l’un des quelques endroits où ils pouvaient habiter après le transfert de la réserve de Montney (transcription de l’audience, 26 juin 2017, à la p 136). M. Sam Acko (né le 25 mars 1952) a témoigné que sa famille achetait de la farine, de la levure chimique, du saindoux de Tenderflake, de la soupe poulet et nouilles, du macaroni et du riz au magasin, et il a relaté qu’il s’agissait des principaux composants de leur alimentation. Il y avait également un ou deux petits établissements d’habitations près de ce qui est aujourd’hui la réserve de la Première Nation de Doig River. Ils étaient probablement situés près de territoires de piégeage. Ils avaient également l’avantage d’avoir accès à du bois, à de la viande provenant de la chasse et à un endroit où garder les chevaux, ce qui était rare à Petersen’s Crossing (M. Sam Acko, transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 84-85). Les souvenirs de M. Acko datent probablement du milieu des années 1950 ou après, compte tenu de sa date de naissance. À cette époque, les membres de la bande fonctionnaient davantage dans une économie monétaire afin de complémenter les cycles traditionnels.

[136]  MM. Billy Attachie et Sam Acko ont tous deux affirmé qu’ils n’avaient aucune connaissance de l’anglais avant de commencer l’école à Petersen’s Crossing. Il semble s’agir d’une expérience courante, puisque la plupart des témoins ont indiqué avoir grandi dans des maisons où l’on ne parlait peu ou pas l’anglais. Cet élément est important, car la langue et les chansons assuraient une cohésion sur le plan culturel. Comme M. Billy Attachie l’a clairement indiqué, la langue castor avait presque disparu avec le temps après l’aliénation de la réserve de Montney. Quelques personnes, dont lui‑même, ont consacré beaucoup de temps et d’effort pour tenter de retrouver et de préserver cette langue. La perte de la langue était un signe de grand bouleversement culturel.

[137]  Il semble que l’école à Petersen’s Crossing ait ouvert en 1950. Mme Margaret Davis a témoigné que l’agent des Indiens avait dit aux membres de la bande que les enfants devaient fréquenter l’école, sinon ils leur seraient enlevés et envoyés loin (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 66). Il s’agissait d’une autre raison pour laquelle les gens s’installaient près de Petersen’s Crossing. Les enfants fréquentaient l’école de septembre à juin, jusqu’à l’âge de 16 ans. Ils vivaient avec leur mère et leurs frères et sœurs alors que les hommes partaient pendant les mois d’hiver pour s’occuper des territoires de piégeage, revenant à la maison lorsqu’ils le pouvaient. Une école a finalement été construite dans la réserve de la Première Nation de Doig River en 1962, ouvrant ses portes en 1963. Au même moment, des habitations ont commencé à être accessibles. Les membres de la bande ayant des enfants ont alors commencé à emménager dans les réserves.

[138]  Des rassemblements se tenaient à Petersen’s Crossing parce qu’il n’y avait nulle part ailleurs où se réunir, mais ils ne ressemblaient pas à ceux qui avaient lieu dans la réserve de Montney (Mme Madeline Davis, transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 33). Il y avait également des rassemblements dans les réserves de remplacement. M. Billy Attachie a parlé de pow‑wow dans la réserve de la Première Nation de Doig River, auxquels participaient [traduction] « de nombreuses personnes » (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 9). Mme May Apsassin a également témoigné qu’il y avait des rassemblements dans la réserve des Premières Nations de Blueberry River, où les gens chantaient, dansaient, priaient, jouaient à des jeux et racontaient des histoires (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 59).

[139]  Tous les témoins ont déclaré que la ou les bandes ont continué, jusqu’à aujourd’hui, de se livrer à leurs pratiques traditionnelles après la vente de la réserve de Montney, notamment dans les réserves de remplacement. M. Billy Attachie, âgé de 76 ans, a dit [traduction] « qu’ils ont grandi en chassant et en pêchant, et qu’ils le faisaient encore aujourd’hui » (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 9; voir également : Mme Madeline Davis, transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 35; Mme May Apsassin, transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 60; M. Sam Acko, transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 97; M. Marvin Yahey, transcription de l’audience, 28 juin 2017, à la p 34).

[140]  M. Billy Attachie s’est souvenu que le secteur entourant la réserve de la Première Nation de Doig River était peuplé de castors et d’autres animaux (notamment des cerfs et des orignaux), mais seulement lorsqu’ils sortaient piéger en hiver (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 9). Mme Madeline Davis s’est également souvenue que son père chassait et piégeait au campement d’hiver, alors que sa famille vivait à Petersen’s Crossing (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 25). Lorsqu’ils ont déménagé dans la réserve de Doig, ils chassaient [traduction] « partout », y compris dans la réserve (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 35). Mme May Apsassin s’est rappelé qu’ils piégeaient et chassaient le coyote, la belette, le loup, l’orignal, le cerf et l’ours, sans toutefois indiquer où (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 58). Mme Margaret Davis a affirmé que, pendant les dix années où elle a vécu à Petersen’s Crossing, les hommes allaient chasser et piéger dans le bois, alors que les femmes et les enfants restaient à la maison (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 66). M. Sam Acko a expliqué qu’alors que ses parents et lui vivaient à Petersen’s Crossing (jusqu’en 1958 ou 1959), ils dépendaient de son frère aîné pour apporter du bois et de la viande d’un secteur situé près de ce qui deviendrait la réserve de Doig, parce que c’était impossible d’en trouver à Petersen’s Crossing. Il n’y avait pas non plus d’endroit où garder les chevaux à Petersen’s Crossing. Il a témoigné qu’ils piégeaient et mangeaient du castor et de l’écureuil dans la réserve et qu’ils devaient chasser et piéger pour survivre (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 84-85, 97-98).

[141]  Les membres de la ou des bandes ont également continué à cueillir des baies pendant qu’ils vivaient à Petersen’s Crossing, mais Mme Madeline Davis a souligné que la cueillette de baies dans le secteur était différente de celle dans la réserve de Montney et aux alentours, la variété de baies à cueillir y étant beaucoup plus grande. Elle a aussi précisé que, dans la réserve de Doig, les baies se limitaient principalement aux bleuets (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 36-37). Mme Margaret Davis a indiqué qu’il n’y avait que des bleuets et des canneberges dans la réserve de Doig et qu’ils ne s’éloignaient pas beaucoup de la réserve pour chercher des baies (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 79-80). Mme Madeline Davis a également affirmé que la cueillette de baies n’était pas pareille que celle dans la réserve de Montney et qu’ils ne ramassaient plus d’œufs de canard et d’oie (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 36-37).

[142]  Bien que certains poissons se trouvaient dans les cours d’eau et les rivières des réserves de remplacement et aux alentours, la plupart des activités de pêche se passaient au Charlie Lake. La rivière de la Paix ne comptait pas beaucoup de poissons (M. Billy Attachie, transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 11). Mme May Apsassin a confirmé qu’il n’y avait pas beaucoup de poissons dans la réserve de Blueberry ou à proximité de celle‑ci et qu’ils pêchaient principalement au Charlie Lake (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 58-59). Le Charlie Lake et les autres eaux de pêche traditionnelles n’étaient pas aussi bien situés près des réserves de remplacement qu’ils l’avaient été de la réserve de Montney.

[143]  Membre de Doig, M. Billy Attachie a témoigné que l’agriculture aurait pu être une solution dans la RI no 204 et qu’ils avaient défriché un terrain, fait paître du bétail et cultivé la terre à cet endroit. Cependant, ils n’ont pas poursuivi dans cette voie, car les chaussées avaient été emportées par l’eau et qu’il [traduction] « était difficile de cultiver quoi que ce soit » (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 10-11).

[144]  M. Attachie, conseiller de la BFSJB de 1968 à 1970, pensait que la bande avait reçu des demandes d’accès à la réserve pour forer afin de trouver du pétrole ou du gaz. Il pensait également qu’il y avait toujours eu ce genre de demandes, bien qu’il ne se rappelait pas que la bande ait déjà reçu un paiement découlant des activités pétrolières et gazières. À titre de conseiller, il n’avait pas traité de demandes pour entrer dans la réserve. Il s’agissait de la responsabilité du chef en poste (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 17-19). En revanche, Mme Margaret Davis, qui avait été chef de la BFSJB de 1970 à 1972, ne se souvenait d’aucune entreprise ayant déjà déposé des demandes pour entrer dans la réserve en vue de faire de l’exploration pétrolière et gazière (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 80-81). M. Sam Acko, qui avait déménagé dans la réserve de la Première Nation de Doig River en 1958 ou 1959, a témoigné qu’il n’avait jamais vu personne entrer dans la réserve pour chercher du pétrole et du gaz pendant qu’il y habitait (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 100).

[145]  M. Billy Attachie a témoigné au sujet de ses efforts pour préserver la langue castor et les histoires. Outre lui‑même, seul un autre membre de la bande savait lire, écrire et traduire la langue. M. Attachie a indiqué qu’environ la moitié de la langue avait été perdue et qu’il travaillait avec d’autres à la préserver (transcription de l’audience, 26 juin 2017, aux pp 180-92). Il a fait remarquer qu’une application langagière numérique avait été conçue pour les tablettes et les ordinateurs afin d’essayer d’inciter les jeunes à apprendre leur langue. Il était difficile de capter leur attention et de susciter leur intérêt.

[146]  Le chef Marvin Yahey (né le 29 octobre 1968) était chef des Premières Nations de Blueberry River depuis décembre 2013 et, avant cela, avait été conseiller de 2003 à 2009. Il s’est souvenu que, quand il était enfant, il y avait des puits et des pipelines en exploitation dans la réserve de Blueberry. Il a désigné trois endroits où ils étaient situés (transcription de l’audience, 28 juin 2017, aux pp 49-51). Il a affirmé que ses parents et les aînés avaient dit aux enfants de se tenir loin des puits parce qu’ils pourraient devenir malades ou mourir. Néanmoins, il a admis avoir joué près des puits à quelques reprises et il a remarqué qu’ils étaient bruyants, [traduction] « qu’ils puaient » et que de la vapeur ou du gaz en sortait (transcription de l’audience, 28 juin 2017, à la p 57).

[147]  Il a également relaté l’explosion d’un puits en juillet 1979. Un nuage de gaz avait été observé se déplaçant vers la communauté, qui avait alors rapidement été évacuée. Par conséquent, le chef Yahey et sa famille avaient campé loin de la communauté et de leur maison pendant environ un mois. Il a dit qu’à un certain moment, lorsqu’ils ont pu revenir, l’eau dans les fossés et les gamelles pour chien était vert jaunâtre, que tout dans la maison puait le gaz, que la nourriture avait pourri et que les animaux laissés derrière étaient morts. À la suite de cet indicent, la communauté avait été déplacée plusieurs kilomètres en amont de la rivière (transcription de l’audience, 28 juin 2017, aux pp 35-41). Le déménagement a eu lieu en 1983 ou 1984, et a pris environ trois ans (transcription de l’audience, 28 juin 2017, aux pp 43, 55-56). Un système de surveillance de gaz n’a été fourni que plusieurs années plus tard (probablement dans les années 2000). Lorsque son alarme sonnait, un représentant de l’entreprise venait voir les gens pour leur dire que tout allait bien. Malgré cela, la communauté avait dû être évacuée à quelques reprises, notamment lorsqu’une explosion était survenue dans une grande usine à gaz située près de la réserve (transcription de l’audience, 28 juin 2017, aux pp 44-46). Le chef Yahey a également témoigné que les puits avaient contaminé l’eau à deux endroits dans la réserve (transcription de l’audience, 28 juin 2017, à la p 53). Les revendicatrices n’ont pas renvoyé au témoignage du chef Yahey dans leurs observations, et l’intimée ne l’a pas contesté. Je le trouve très convaincant.

[148]  Tant à titre de conseiller qu’à titre de chef, le chef Yahey ne se souvenait d’aucune demande ayant été déposée auprès de la bande pour avoir le droit de mener des activités pétrolières et gazières dans la réserve. Il savait que des puits étaient toujours en exploitation dans la réserve, mais sans savoir combien. À sa connaissance, la bande ne touchait des revenus tirés du pétrole et du gaz qu’en vertu de l’entente de partage des revenus de 1994 conclue avec la Colombie‑Britannique (CCD, volume 3, onglet 157).

VII.  APERÇU DU DROIT APPLICABLE

[149]  Le Tribunal ne peut accorder qu’une indemnité pécuniaire, et ce, seulement pour un dommage pécuniaire (LTRP, alinéa 20(1)a) et sous‑alinéa 20(1)d)(ii)). Le Tribunal n’a pas le pouvoir d’accorder des « dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs » (LTRP, sous‑alinéa 20(1)d)(i)).

[150]  L’alinéa 20(1)c) de la LTRP s’applique à la présente revendication :

20(1) Lorsqu’il statue sur l’indemnité relative à une revendication particulière, le Tribunal :

[…]

c) sous réserve des autres dispositions de la présente loi, accorde une indemnité qu’il estime juste, pour les pertes en cause, en fonction des principes d’indemnisation sur lesquels se fondent les tribunaux judiciaires;

[151]  Les parties ont convenu que le droit relatif à l’indemnisation en equity s’applique, et elles ont cité plusieurs des mêmes précédents. Elles ne se sont cependant pas entendues sur la manière dont l’indemnité en equity devrait être déterminée compte tenu des faits de la présente revendication.

[152]  Les parties ont invoqué l’arrêt Guerin c La Reine, [1984] 2 RCS 335 (QL) [Guerin], et l’arrêt Canson Enterprises Ltd c Boughton & Co, [1991] 3 RCS 534 (QL) [Canson], à l’appui du principe selon lequel les revendicatrices doivent, autant que faire se peut, être placées dans la situation dans laquelle elles auraient été s’il n’y avait pas eu manquement aux obligations de fiduciaire (observations écrites des revendicatrices, au para 127; observations écrites de l’intimée, au para 106). Dans l’arrêt Guerin, les juges Dickson et Wilson ont conclu que le montant des dommages‑intérêts correspond à « la perte réelle que les actes ou omissions ont fait subir au patrimoine confié en fiducie et que les demandeurs ont le droit, autant que faire se peut, d’être replacés dans la même situation que s’il n’y avait pas eu manquement aux obligations de fiduciaire » (aux para 75, 117, le juge Dickson; ainsi qu’aux para 43, 54, la juge Wilson).

[153]  Le Tribunal procède à l’évaluation des dommages‑intérêts en fonction de la date du procès, et non de la date du manquement, en bénéficiant pleinement de la rétrospective, mais sans tenir compte de la prévisibilité de la perte. Dans l’arrêt Canson, dans des motifs concordants distincts et influents, la juge McLachlin a conclu :

En résumé, l’indemnisation est une mesure de redressement pécuniaire fondée sur l’equity à laquelle on peut avoir recours lorsque les redressements d’equity que sont la restitution et la reddition de comptes ne conviennent pas. Par analogie avec la restitution, elle tente de rendre au demandeur ce qu’il a perdu par suite du manquement, c’est‑à‑dire la possibilité qu’il a perdue. La perte réelle du demandeur par suite du manquement doit être évaluée en bénéficiant pleinement de la rétrospective. La prévisibilité n’intervient pas dans le calcul de l’indemnité, mais il est essentiel que les pertes compensées soient seulement celles qui, selon une conception normale du lien de causalité, ont été causées par le manquement. [Au para 27]

[154]  De plus, un lien de causalité ou, en d’autres mots, un lien logique doit exister entre le manquement et la perte. Cependant, la causalité, la prévisibilité et l’éloignement « n’entrent pas aisément en ligne de compte » (Guerin, au para 50). La juge McLachlin a expliqué comme suit pourquoi il est inutile de tenir compte de la prévisibilité de la perte :

[…] il n’appartient pas non plus au fiduciaire qui a assumé la responsabilité particulière de la fiducie de dire que la perte n’aurait pas pu être raisonnablement prévue. C’est là un principe logique. Dans le cas de la négligence, nous voulons protéger une liberté raisonnable d’action du défendeur et il est possible de juger du caractère raisonnable de son action par les conséquences qui sont prévisibles. Dans le cas d’un manquement à une obligation fiduciaire, comme dans le cas du dol, nous n’avons pas à examiner les conséquences pour juger du caractère raisonnable des actions. Un manquement à une obligation fiduciaire est un méfait en soi, indépendamment de la question de savoir si une perte est prévisible. De plus, l’obligation importante assumée et la difficulté de déceler ces manquements rendent équitable et pratique l’adoption d’une méthode de calcul de l’indemnité qui assure que les personnes soumises à une obligation fiduciaire restent « à la hauteur de leur tâche ». [Canson, au para 21]

[155]  La déclaration de la juge McLachlin sur la prévisibilité en equity a été retenue par la Cour suprême du Royaume‑Uni dans l’arrêt AIB Group (UK) Plc c Mark Redler & Co Solicitors, [2014] UKSC 58, aux para 86, 133-35 (le lord Reed), et semble faire consensus dans les pays de common law. Le lord Reed a écrit :

[traduction]

Malgré certaines différences, il semble qu’un large consensus se soit dégagé dans de nombreux ressorts de common law quant à l’approche générale à appliquer à l’évaluation de l’indemnité en equity à accorder en cas de manquement à l’obligation de fiduciaire. Cette approche a été exposée par la juge McLachlin dans l’arrêt Canson Enterprises et adoptée par le juge Browne‑Wilkinson dans l’arrêt Target Holdings. Au Canada, l’approche de la juge McLachlin semble largement reconnue dans la jurisprudence récente, et il est bien établi que l’indemnité en equity et les dommages‑intérêts fondés sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle peuvent différer dans les cas où des objectifs de politique différents peuvent s’appliquer. [Au para 133]

[156]  Le professeur Leonard I. Rotman a souligné la différence entre les approches en common law et en equity quant au lien nécessaire entre l’acte préjudiciable et le préjudice ou la perte indemnisable, et il en a expliqué les raisons, aux pages 634-36 de son livre intitulé Fiduciary Law (Toronto, Thomson Carswell, 2005) :

[traduction]

En common law comme en equity, il doit y avoir un certain lien entre le préjudice ou la perte causé et les actes de la personne qui en est prétendument responsable. De plus, chacun de ces systèmes fait appel à une certaine forme de logique pour permettre cette détermination. Cependant, la manière dont la common law et l’equity évaluent le lien nécessaire entre le préjudice ou la perte causé et les actes de la personne qui en est prétendument responsable diffère considérablement.

  En règle générale, en common law, le lien entre le préjudice et la responsabilité doit être mieux établi qu’en equity. Chacun des systèmes part du principe de la causalité fondée sur un [traduction] « facteur déterminant », de la [traduction] « causalité factuelle » ou de la causalité « sine qua non ». En equity, cela est habituellement suffisant, mais en common law, il faut plus; il faut une conclusion quant à l’existence d’une cause réelle ou substantielle permettant de lier l’activité contestée au préjudice subi par le demandeur. De plus, en common law, les notions de prévisibilité (ou d’envisagement raisonnable) et d’éloignement sont intégrées à l’évaluation de la causalité. L’atténuation du préjudice est une autre considération pertinente dont il faut tenir compte en common law dans l’évaluation des dommages‑intérêts à accorder pour le préjudice ou la perte, tout comme la négligence contributive. En equity, ces autres considérations ne font pas d’emblée partie de l’évaluation de la responsabilité fiduciaire.

  Jusqu’à tout récemment, la notion d’obligation de fiduciaire et d’autres doctrines en equity ne tenaient pas compte des facteurs de prévisibilité, d’éloignement et d’autres considérations qui ont longtemps eu une incidence sur le montant de la réparation en common law […]

  Cela ne veut pas dire pour autant que la notion d’obligation de fiduciaire n’exige pas l’existence d’un quelconque lien concret entre le préjudice ou la perte reproché et les actes des fiduciaires. Elle en exige certainement un, mais un qui répond à ses propres conditions et qui est conforme à ses propres exigences. En règle générale, le lien exigé en equity pour satisfaire aux exigences visant à démontrer la responsabilité fiduciaire pour le préjudice ou la perte allégué n’a pas à être aussi direct que ce qui est exigé en common law. La justification sous‑tendant l’exclusion de la causalité en common law peut être mieux comprise en illustrant l’objet de la réparation en matière fiduciaire.

  La réparation en matière fiduciaire vise tout d’abord à respecter la raison d’être du principe d’obligation fiduciaire, à savoir la préservation de l’intégrité des rapports – socialement et économiquement utiles ou nécessaires – qui supposent un degré élevé de confiance et qui, non seulement facilitent les liens d’interdépendance entre êtres humains, mais en découlent également. Elle ne vise pas à rendre justice entre les parties ayant des liens fiduciaires, ce qui est lié à l’objectif principal illustré. [Notes en bas de page omises.]

[157]  La juge McLachlin craignait également que le critère de la prévisibilité de la perte ne soit introduit subrepticement dans l’analyse concernant l’obligation de fiduciaire. Aux paragraphes 96 à 103 de l’arrêt Blueberry, elle a examiné la conclusion du juge de première instance selon laquelle les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney étaient de faible valeur en 1948 et que, pour cette raison, il n’y avait aucun avantage prévisible à les conserver. Elle a estimé que la preuve démontrant la connaissance qu’avait alors la Couronne de la valeur qu’étaient susceptibles de prendre les droits miniers était pertinente, mais pas la prévisibilité de la hausse réelle de la valeur de ces droits. Ainsi, elle a rejeté la conclusion du juge de première instance concernant l’absence d’avantage prévisible à détenir les droits miniers et a déclaré que « [l]a constatation du juge de première instance que la Couronne ne pouvait pas savoir, en 1948, que les droits miniers pourraient avoir de la valeur est incompatible avec la preuve figurant au dossier » (Blueberry, au para 98). Cette preuve comprenait les éléments suivants : un permis de prospection pétrolière et gazière avait été délivré dans la réserve de Montney en 1940, générant d’importants revenus; le Canada avait déjà pris conscience, bien longtemps auparavant, de la valeur qu’étaient susceptibles de prendre les droits miniers, et, en conséquence, il avait mis en œuvre une politique consistant à les exclure habituellement des concessions qu’il accordait; le Canada se réservait les droits miniers dans les concessions de terres accordées aux anciens combattants démobilisés en 1919 après la Première Guerre mondiale; en vertu de la Loi des terres fédérales, SRC 1927, le Canada se réservait les droits miniers à l’égard de toutes les terres fédérales dans les Prairies et dans le district de la rivière de la Paix; l’intérêt manifesté en vue de l’exploration de la réserve de Montney en 1949 pour y chercher du pétrole et du gaz a donné lieu à des négociations par les anciens combattants d’accords de mise en commun, lesquels ont été conclus en 1952; et, en raison de la découverte en 1948 de gaz à 40 milles au sud de la réserve de Montney, le ministère fédéral des Mines et des Minéraux a recommandé de procéder à une exploration géologique minutieuse de la réserve de Montney .

[158]  La juge McLachlin a ajouté que, même si les droits miniers n’avaient qu’une valeur minimale en 1948, il ne s’ensuit pas qu’une personne prudente en aurait fait cadeau pour autant : « Il est plus logique de prétendre que, comme on ne pouvait rien en tirer à l’époque et qu’il n’en coûtait rien pour les conserver, il fallait les garder au cas où par l’effet de quelque chance, si mince soitelle, ils prendraient une certaine valeur par la suite » (Blueberry, au para 102). C’est pourquoi le Canada avait adopté une politique de réserve des droits tréfonciers. Dans le cadre de l’analyse concernant l’obligation de fiduciaire, elle a conclu ce qui suit, au paragraphe 103, relativement à la prévisibilité de la perte :

L’insistance du juge de première instance sur la valeur apparemment peu élevée des droits miniers tend à indiquer qu’il craint qu’il y ait injustice à accorder, aux frais de la Couronne, des profits inattendus aux Indiens. Cette crainte est déplacée, car elle revient à introduire subrepticement le critère de la prévisibilité dans l’analyse concernant l’obligation de fiduciaire. Ceci constitue une erreur de droit. Le bénéficiaire d’une obligation de fiduciaire a droit à ce qu’on lui rende son bien ou la valeur de ce bien, et ce même si cette valeur se révèle beaucoup plus élevée que ce qu’il était possible de prévoir au moment du manquement à l’obligation : Hodgkinson c. Simms, précité, à la p. 440, le juge La Forest. [Italiques ajoutés; Blueberry, au para 103.]

[159]  Le risque de conséquences disproportionnées et trop sévères pour le fiduciaire est écarté par l’exercice du pouvoir discrétionnaire des tribunaux, l’attention qu’ils doivent porter aux subtilités de la relation fiduciaire, de l’obligation fiduciaire et du manquement à une telle obligation, ainsi que par l’examen souple et méticuleux qu’ils feront des faits et du contexte de l’affaire (Hodgkinson, aux para 37, 81). Cependant, le fait que les variations des valeurs marchandes pourraient entraîner des pertes imprévues n’empêche pas en soi la personne qui prétend avoir subi une perte d’être indemnisée, comme il ressort des arrêts Guerin et Hodgkinson.

[160]  L’examen méticuleux des faits recommandé dans l’arrêt Hodgkinson guide l’examen de la relation fiduciaire et des engagements pris par le fiduciaire, ainsi que le redressement accordé pour la perte d’occasion découlant du manquement aux obligations dont l’existence est reconnue. Les parties ont donc axé une grande partie de leur argumentation sur les différentes caractéristiques de la perte d’occasion ouvrant droit à indemnisation. En passant en revue les principes généraux à l’appui de son argumentation, l’intimée a souligné que l’examen repose en grande partie sur les faits, qu’il porte sur la [traduction] « perte réelle » et que ce ne sont pas tous les manquements qui donnent lieu à une indemnisation, par exemple lorsque la preuve démontre qu’aucune perte ne découle du manquement.

[161]  Dans la présente revendication, l’une des voies possibles pour conclure à [traduction] « l’absence de perte » serait d’appliquer la « règle Brickenden ». Lorsque le manquement à l’obligation consiste à ne pas communiquer au bénéficiaire des aspects importants de la transaction contestée, le principe énoncé dans la décision Brickenden, tel qu’il est interprété dans l’arrêt Hodgkinson, s’applique. À la page 469 de la décision Brickenden, la Cour a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Lorsqu’une partie à une relation fiduciaire manque à son obligation en ne divulguant pas des faits substantiels que son commettant avait le droit de connaître au sujet de la transaction, elle ne peut pas prétendre que cette divulgation n’aurait pas influé sur la décision de donner suite à la transaction puisque le commettant aurait simplement agi en fonction d’un autre facteur, tel que l’évaluation effectuée par une autre partie du bien visé par l’hypothèque. Dès lors que la Cour a déterminé que les faits non divulgués étaient substantiels, toute supposition au sujet de ce que le commettant aurait fait, s’ils lui avaient été divulgués, n’est que théorique.

[162]  Dans l’arrêt Hodgkinson, la Cour suprême du Canada a défini le principe énoncé dans la décision Brickenden comme étant un renversement du fardeau : « […] il appartient au défendeur de prouver que la victime innocente aurait subi la même perte indépendamment du manquement […] »; le défendeur doit présenter une « preuve concrète »; et une « simple “conjecture” » est inadéquate (Hodgkinson, au para 76). L’examen est ainsi axé sur la question de savoir si le « commettant » mal informé aurait été de l’avant avec la transaction s’il avait été bien informé.

[163]  Comme dans l’affaire Hodgkinson, les parties à la présente instance ont convenu qu’il appartenait à l’intimée de prouver que, même si le Canada avait informé les revendicatrices de la réserve des droits tréfonciers par la province, celles­-ci auraient accepté les réserves de remplacement offertes par la Colombie‑Britannique.

[164]  Les revendicatrices ont invoqué un autre principe, soit celui selon lequel, en equity, le bénéficiaire est censé vouloir conclure la meilleure transaction possible (Guerin, au para 52; Canson, aux para 24, 27). Dans l’affaire Guerin, le juge de première instance a conclu que, n’eût été le manquement aux obligations de fiduciaire, le club de golf n’aurait pas loué les terres en cause aux conditions approuvées par la bande indienne Musqueam à son assemblée de la cession. Le Canada aurait dû retourner devant la bande indienne Musqueam et la consulter, ce qu’il n’a pas fait. La bande indienne Musqueam avait droit au bénéfice de la présomption selon laquelle elle aurait utilisé les terres de la façon la plus avantageuse possible :

En l’espèce, la bande a cédé les terres à Sa Majesté pour qu’elle les loue à des conditions précises. Le juge de première instance a conclu qu’en réalité un tel bail était impossible à obtenir. Sa Majesté aurait dû, à ce moment‑là, retourner devant la bande, la consulter et obtenir d’autres directives. Plutôt que de le faire, elle est allée de l’avant et a loué les terres à des conditions non autorisées. À mon avis, elle a, de ce fait, manqué à ses obligations de fiduciaire et les dommages‑intérêts doivent être évalués en fonction des principes énoncés par le juge Street. La perte de possibilité d’aménager les terres pendant une période allant jusqu’à soixante‑quinze ans doit être compensée selon sa valeur à la date du procès même si la valeur marchande a pu augmenter depuis la date du manquement. Les bénéficiaires profitent d’une telle augmentation. Je considère non fondé l’argument de Sa Majesté selon lequel [traduction] « si un fiduciaire a l’obligation de céder des terres par bail ou autrement, la date à considérer pour évaluer l’indemnisation d’un manquement à cette obligation est celle où la cession aurait dû avoir lieu et non celle du procès ou du jugement ». Puisque le bail autorisé par la bande était impossible à obtenir, le manquement de Sa Majesté à ses obligations en l’espèce n’est pas de ne pas avoir loué les terres, mais de les avoir louées alors qu’elle ne pouvait pas le faire aux conditions approuvées par la bande. La bande a ainsi été privée de ses terres et de toute utilisation qu’elle aurait pu vouloir en faire. Tout comme il faut présumer qu’un bénéficiaire aurait voulu vendre ses valeurs mobilières au meilleur prix possible pendant la période où le fiduciaire les détenait illégitimement (voir McNeill v Fultz (1906), 38 RCS 1981) de même il faut présumer que la bande aurait voulu aménager ses terres de la façon la plus avantageuse possible pendant la période visée par le bail non autorisé. À cet égard aussi, les principes applicables à la détermination des dommages‑intérêts pour le manquement à des obligations de fiduciaire doivent être différenciés de ceux applicables à la détermination des dommages‑intérêts pour l’inexécution d’un contrat. En droit des contrats, la bande aurait dû prouver qu’elle aurait aménagé les terres; en equity, il y a présomption qu’elle l’aurait fait : voir Waters, Law of Trusts in Canada, à la p. 845. [Au para 52]

[165]  Dans l’arrêt Canson, la juge McLachlin a confirmé que cette présomption reste pertinente dans le contexte de l’indemnisation en equity :

Le danger de procéder par analogie avec le droit en matière de responsabilité délictuelle est que cela peut nous amener à choisir des réponses qui, tout en étant faciles, peuvent ne pas convenir dans le contexte d’un manquement à une obligation fiduciaire. Le juge La Forest a évité un tel piège en indiquant que l’indemnisation pour manquement à une obligation fiduciaire ne sera pas limitée par la prévisibilité, mais qu’en est‑il des autres questions? Par exemple, l’analogie avec le droit en matière de responsabilité délictuelle pourrait laisser supposer que les présomptions qui jouent en faveur de la partie lésée dans une action pour manquement à une obligation fiduciaire ne joueront plus, comme, par exemple, la présomption que les fonds en fiducie seront utilisés de la façon la plus profitable. [Au para 8]

[166]  Dans l’affaire Guerin, la présomption n’était pas que, n’eût été le manquement aux obligations, le bail voulu par la bande indienne Musqueam au moment de la cession aurait été signé. Le juge de première instance a conclu que le bail du club de golf n’aurait pas été signé aux conditions plus favorables approuvées par la bande indienne Musqueam. Les demandeurs ont plutôt eu droit au bénéfice de la présomption selon laquelle ils auraient utilisé les terres d’une autre manière plus avantageuse, compte tenu, en rétrospective, de la preuve recueillie et à la lumière des risques et des coûts réalistes liés à cette utilisation. Il semble que la Cour n’était pas limitée dans sa conclusion et son évaluation relatives à la perte par le fait que la bande indienne Musqueam avait décidé d’aménager un terrain de golf.

[167]  Bien que certaines présomptions puissent être avantageuses pour des bénéficiaires lésés, l’indemnisation en equity est un redressement souple qui, comme je l’ai déjà mentionné, nécessite que le tribunal procédant à l’évaluation soit équitable et exerce son pouvoir discrétionnaire, de sorte que les résultats ne soient pas exagérément disproportionnés ou punitifs. Par exemple, dans l’affaire Guerin, le juge de première instance a tenu compte, dans le calcul de l’indemnité, des risques et coûts inhérents qu’aurait probablement occasionnés l’aménagement des terres en cause de la manière dont, selon la Cour, elles auraient vraisemblablement été aménagées n’eût été le manquement aux obligations. Il a ensuite calculé un montant global. Dans la décision Bande Beardy’s et Okemasis nos 96 et 97 c Sa Majesté la Reine chef du Canada, 2016 TRPC 15, le Tribunal a appliqué, dans le contexte de l’affaire, un taux d’intérêt raisonnable, et non le rendement le plus élevé possible.

[168]  Les indemnités pour manquement à des obligations de fiduciaire sont ainsi calculées, puisque, comme l’a expliqué le professeur Rotman ci‑dessus, le droit reconnaît le caractère distinctif et la valeur sociale des relations fiduciaires et les encadre de manière à indemniser les bénéficiaires lésés et à décourager de futurs manquements. Dans l’arrêt Canson, la juge McLachlin a traité de l’importance de la différence entre une telle indemnisation et le droit en matière de responsabilité délictuelle :

Ma première préoccupation en ce qui concerne la façon de procéder par analogie avec le droit en matière de responsabilité délictuelle tient au fait qu’elle fait abstraction du fondement et des objectifs uniques de l’equity. Le fondement de l’obligation fiduciaire et la raison d’être de l’indemnité fondée sur l’equity se distinguent du délit civil de négligence et du domaine contractuel. Dans les cas de négligence et en matière contractuelle, les parties sont considérées comme des acteurs égaux et indépendants, soucieux principalement de leur propre intérêt personnel. Par conséquent, la loi recherche l’équilibre entre faire respecter des obligations en accordant une indemnité et préserver une liberté optimale pour ceux qui sont impliqués dans le rapport en question, qu’il soit collectif ou autre. Par contre, le rapport fiduciaire réside essentiellement dans le fait que l’une des parties s’engage à agir dans le meilleur intérêt de l’autre. Le rapport fiduciaire repose sur la confiance et non sur l’intérêt personnel, et lorsqu’il y a manquement, la balance penche en faveur de la personne lésée. La personne soumise à une obligation fiduciaire voit sa liberté restreinte par la nature de l’obligation qu’elle a assumée, savoir une obligation qui « commande […] la loyauté, la bonne foi et l’absence de conflits d’intérêts et d’obligations » : Canadian Aero Service Ltd c O’Malley, [1974] RCS 592, à la p. 606. En résumé, l’equity se préoccupe non seulement d’indemniser l[e] demandeur, mais encore de faire respecter la confiance qui est au cœur de ce système. [Au para 3]

[169]  Dans la présente revendication à deux volets, il importe de rappeler que les obligations auxquelles le Canada a manqué ont déjà été déterminées. Le fait qu’en 1947, le Canada ignorait ce que la province aurait fait si la réserve des droits tréfonciers prévue dans l’offre avait été contestée n’exonère pas l’intimée de sa responsabilité. Ce point a également été soulevé dans la décision Première nation de Fairford c Canada (Procureur général) (1998), [1999] 2 CF 48, au para 228 (QL), [1999] 2 CNLR 60 (CFPI) [Fairford] :

Bien sûr, si le Canada avait agi en temps opportun, le Manitoba n’aurait peut‑être pas consenti à une opération qui n’était pas déraisonnable pour la bande. Toutefois, cela n’absout pas le Canada de sa responsabilité. Dans l’arrêt Guerin, précité, le juge Dickson dit ceci, à la page 388 :

Lorsqu’il s’est révélé impossible d’obtenir le bail promis, Sa Majesté, au lieu de procéder à la location des terres à des conditions différentes et défavorables, aurait dû retourner devant la bande pour lui expliquer ce qui s’était passé et demander son avis sur ce qu’il lui fallait faire.

[170]  Le Canada avait la même obligation en l’espèce. Il aurait dû déterminer rapidement que l’offre de la province était inacceptable, expliquer ses motifs à la bande et lui demander des directives sur la manière de procéder. En n’agissant pas ainsi, le Canada a manqué à ses obligations de fiduciaire envers la bande.

[171]  La distinction établie dans la décision Fairford fait ressortir la différence entre établir le bien‑fondé d’un manquement à une obligation et déterminer la réparation. Cela est conforme à la récente déclaration faite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Williams Lake Indian Band c Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, 417 DLR (4e) 239 [Williams Lake], voulant qu’une obligation de fiduciaire concerne la norme de conduite prescrite, sans toutefois garantir un résultat précis :

La Couronne s’acquitte de son obligation fiduciaire en respectant la norme de conduite prescrite, non en assurant l’obtention d’un résultat précis (voir Guerin, p. 385 et 388389; Bande et nation indiennes d’Ermineskin c. Canada, 2009 CSC 9, [2009] 1 R.C.S. 222, par. 57). [Au para 48]

La déclaration dans l’arrêt Canson voulant qu’un manquement à la norme de conduite soit un méfait en soi va également dans le même sens (au para 22).

[172]  Or, maintenant que la présente instance est rendue à l’étape de l’indemnisation, la question de savoir ce qui serait vraisemblablement arrivé si l’intimée n’avait pas manqué à ses obligations devient pertinente pour évaluer la perte d’occasion découlant des manquements établis.

[173]  L’analyse qui suit porte également sur une autre question. L’intimée a invoqué la décision Lac La Ronge à l’appui de sa position selon laquelle les principes d’interprétation des traités devraient s’appliquer par analogie en l’espèce, de sorte que la conduite de la BFSJB et des revendicatrices après la transaction visant les réserves de remplacement devrait guider le Tribunal dans son interprétation de ce que la BFSJB aurait fait si elle avait été bien informée en 1947.

[174]  Dans la décision Lac La Ronge, la bande indienne Lac La Ronge (BILLR) avait adhéré au Traité no 6 en février 1889 et devait recevoir des terres de réserve selon une formule énoncée dans ledit traité. Le sens du traité était en litige. Le traité prévoyait l’envoi d’une personne pour consulter la BILLR, délimiter les terres de réserve et s’occuper de leur attribution. Le Canada a attribué à la BILLR les premières terres de réserve en 1897, puis d’autres terres de temps à autre au fil des ans jusque dans les années 1970. La question était de savoir si le droit de la BILLR reposait sur sa population actuelle, sur le premier recensement ou sur sa population lorsque les terres de réserve auxquelles elle avait droit lui ont finalement été attribuées.

[175]  Selon le juge de première instance, la date de la dernière attribution devait être retenue. La Cour d’appel a infirmé cette décision, concluant que l’événement déclencheur était la date où le représentant désigné du Canada avait été envoyé pour délimiter et attribuer les premières terres de réserve.

[176]  La Cour d’appel s’est appuyée sur l’approche en deux étapes en matière d’interprétation des traités établie par la juge McLachlin :

[traduction]

Je souhaite appliquer l’approche utilisée par la juge McLachlin dans l’arrêt Marshall pour interpréter le traité. Elle a adopté une approche en deux étapes, car il faut examiner tant le texte du traité que le contexte historique et culturel qui prévalait au moment de sa négociation. La première étape consiste à examiner le texte du traité « pour en déterminer le sens apparent, dans la mesure où il peut être dégagé, en soulignant toute ambiguïté et tout malentendu manifestes pouvant résulter de différences linguistiques et culturelles ». La deuxième étape consiste à examiner le sens apparent sur la toile de fond historique et culturelle de la négociation des traités. La juge McLachlin a indiqué que, confronté à une gamme d’interprétations, « le tribunal doit s’appuyer sur le contexte historique pour déterminer laquelle traduit le mieux l’intention commune des parties ». Comme le mentionne le juge Lamer dans l’arrêt Sioui, pour faire cette détermination, le tribunal doit choisir, « parmi les interprétations […] qui s’offrent à [lui], celle qui concilie le mieux les intérêts des parties ». [Notes en bas de page omises; Lac La Ronge, au para 53]

[177]  La Cour d’appel s’est ensuite demandé si la conduite ultérieure des parties pouvait servir à interpréter l’intention initiale révélée par suite de l’application de l’approche en deux étapes. Adoptant les conclusions du juge de première instance sur la question, la Cour d’appel a convenu que la conduite ultérieure pouvait servir, mais pas dans la présente affaire. La conduite ultérieure peut être un indicateur approprié lorsqu’elle confirme la conduite antérieure. La Cour a également souligné l’importance de se servir de la conduite ultérieure avec beaucoup de prudence et de ne s’en servir que lorsque la conduite est cohérente au cours de toute la période ultérieure en cause :

[traduction]

Il reste à déterminer si la conduite ultérieure du Canada dans l’attribution des terres de réserve visées par le traité est incohérente avec l’interprétation susmentionnée. Clairement, aucune ligne de conduite cohérente ne permettait de déduire l’intention des parties concernant la date en fonction de laquelle calculer la population de la bande aux fins de l’octroi des terres de réserve. Je partage l’avis du juge de première instance lorsqu’il conclut que la preuve de la conduite ultérieure doit être utilisée avec une extrême prudence. Il a affirmé :

 [51] […] Si la conduite est cohérente, l’ensemble de la ligne de conduite est admissible. Lorsque les parties initiales ont agi d’une certaine manière et que leurs successeures ont continué d’agir de la même manière, alors l’ensemble de la conduite devrait être admise. Vous bénéficiez de la conduite initiale, qui explique l’intention, confirmée par la pratique en cours. Il peut en être autrement lorsque la conduite ultérieure diffère de la conduite de départ. Dans ce cas, une personne qui n’était pas partie à l’instance applique une nouvelle interprétation qui n’est pas fondée sur ce qui s’est passé avant et qui est donc hautement discutable.

[…]

[53] Il est très utile de lire ce qu’un signataire a dit à propos de la disposition d’un traité au moment de la signature du document. Il est tout aussi utile de savoir si la conduite ultérieure d’autres personnes correspondait ou non à ce qui a été dit. Il n’est cependant d’aucune utilité de savoir que certaines personnes, cinquante ans plus tard, ont agi différemment en raison de leur propre interprétation de la disposition du traité. Cette conduite n’a aucun lien avec les circonstances historiques de la même époque et ne devrait dont pas être admise. [Note en bas de page omise; Lac La Ronge, au para 103] 

[178]  La question de savoir si l’analogie avec la décision Lac La Ronge proposée par l’intimée est appropriée dans le cadre de la présente revendication sera analysée ci‑après.

VIII.  AnalysE

[179]  Les revendicatrices demandent une indemnité fondée sur ce qu’elles estiment que l’intimée aurait dû faire pour s’acquitter de ses obligations. Les questions sont les suivantes : Que serait‑il vraisemblablement arrivé si le Canada avait agi comme il aurait dû? La perte d’occasion ouvrant droit à indemnisation comprend‑elle la perte de l’occasion d’acquérir les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement ou est‑elle limitée par l’usage qu’avait prévu faire la bande des réserves de remplacement au moment de l’achat?

[180]  Le Tribunal a conclu dans la décision relative au bien‑fondé que le Canada n’avait pas respecté la norme de conduite prescrite dans l’exécution de la transaction qui a eu pour effet de donner des réserves de remplacement à la bande. Comme l’intimée ne s’était pas renseignée adéquatement et, du coup, n’avait pas informé adéquatement la BFSJB, la bande était vulnérable et sujette à l’exploitation. Au cours des plaidoiries, les revendicatrices ont mis l’accent sur les parties de la décision relative au bien‑fondé qui portaient sur le fait que le manquement avait rendu la bande vulnérable et sujette à l’exploitation :

Le problème réside dans le fait que la Couronne provinciale a conservé les droits tréfonciers, y compris un accès étendu à ces droits, comme il en a été question aux paragraphes 117, 118 et 119 ci‑dessus. […]

Cependant, dans les faits, la bande était toujours vulnérable face au pouvoir discrétionnaire stratégique de la Couronne provinciale. La Colombie‑Britannique pouvait à son gré utiliser les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement pour l’exploration de minéraux, y compris le pétrole et le gaz, ou assujettir leur utilisation à la délivrance d’un permis. […]

[…]

Si, à l’instar de la réserve de Montney, les réserves de remplacement avaient inclus les droits tréfonciers, la bande aurait pu les céder à des fins de location, comme elle l’avait d’ailleurs fait. Cependant, ce faisant, elle aurait pu imposer des limites ou des restrictions. Qui plus est, elle aurait bénéficié du produit d’une telle cession et, si elle avait jugé que la vie de la collectivité s’en trouvait perturbée, elle aurait demandé à la Couronne de mettre fin à la location ou de révoquer la cession. Rien de cela n’était possible étant donné que la Couronne provinciale s’était réservé les droits tréfonciers en plus de la jouissance et des privilèges étendus qui s’y rattachent. [Aux para 161-62, 165]

[181]  Les revendicatrices ont fait valoir que la décision relative au bien‑fondé signifiait que le défaut de transmettre l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement faisait en sorte (peut‑être pas directement, mais implicitement) que l’occasion perdue était celle de posséder les droits tréfonciers. Par conséquent, l’audience relative à l’indemnisation devrait être axée sur la perte que représente le fait de ne pas avoir les droits tréfonciers, laquelle perte ferait ensuite l’objet d’une indemnisation. Cependant, je suis d’accord avec l’intimée, qui affirme que la décision relative au bien‑fondé n’est pas allée aussi loin.

[182]  Encore une fois, l’étape du bien‑fondé visait à déterminer s’il y avait eu un ou plusieurs manquements aux obligations de fiduciaire de la part du Canada et à établir ces manquements. L’examen portait donc sur des questions de conduite et de procédure, et non de perte en résultant. Cela est conforme à l’observation du juge Wagner (plus tard Juge en chef) au paragraphe 48 de l’arrêt Williams Lake : « La Couronne s’acquitte de son obligation fiduciaire en respectant la norme de conduite prescrite, non en assurant l’obtention d’un résultat précis. » La réparation privilégiée par les revendicatrices est l’indemnisation pour les droits tréfonciers qu’elles n’ont pas reçus avec les réserves de remplacement. Cependant, comme il a été démontré au cours de l’audience, ce n’est qu’un des résultats possibles à examiner.

[183]  Après avoir conclu que le Canada avait manqué à ses obligations de fiduciaire envers les revendicatrices (c.‑à‑d., qu’il n’avait pas respecté la norme de conduite prescrite d’un fiduciaire), l’objectif de l’étape de l’indemnisation est de placer les revendicatrices dans la situation dans laquelle elles auraient été s’il n’y avait pas eu manquement aux obligations de fiduciaire (voir le para 152 ci‑dessus). Pour déterminer la manière de placer les revendicatrices dans cette situation, il est nécessaire de réfléchir à ce qui serait vraisemblablement arrivé, n’eût été le manquement. Comme l’a indiqué le juge Laskin dans la décision Whitefish Lake Band of Indians c Canada (AG), 2007 ONCA 744, (2007) 87 OR (3e) 321, au para 68 :

[traduction] Pour indemniser Whitefish pour perte d’occasions, la question fondamentale que doit trancher le tribunal est de savoir ce qui serait vraisemblablement arrivé si la Couronne avait agi comme elle aurait dû et qu’elle n’avait pas manqué à son obligation fiduciaire.

[184]  Pour répondre à cette question, il est habituellement nécessaire de créer un scénario de rechange ou un scénario hypothétique. Le Tribunal a examiné cette avenue en tirant des exemples de la décision Premières Nations Huu‑Ay‑Aht c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2016 TRPC 14, aux para 270-273.

A.  Scénarios de rechange proposés

[185]  Dans la présente revendication, les parties ont proposé trois scénarios de rechange possibles pour la transaction relative aux réserves de remplacement. Elles ont demandé au Tribunal d’examiner ces scénarios de rechange et de décider lequel se serait vraisemblablement produit, n’eût été le manquement :

  1. La BFSJB aurait‑elle accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers, comme elles avaient été transférées au Canada? L’intimée soutient qu’il s’agit du scénario le plus plausible.

  2. Si le scénario de rechange de l’intimée n’est pas retenu, le Canada aurait‑il probablement réussi à convaincre la province de transférer l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement? Il s’agit de la principale prétention des revendicatrices.

  3. Si le Tribunal décide que la Colombie‑Britannique n’aurait probablement pas transféré les droits tréfonciers, le Canada aurait‑il alors refusé l’offre de la Colombie‑Britannique et annulé la transaction visant la réserve de Montney, de sorte que la bande aurait conservé cette réserve? Il s’agit de la prétention subsidiaire des revendicatrices. Elles affirment que le Canada aurait eu l’obligation de rejeter l’offre de la province si cette dernière avait insisté pour réserver les droits miniers. Elles soutiennent également que ce résultat devrait être considéré comme le résultat « par défaut » ou le résultat probable si les autres scénarios de rechange sont rejetés, conformément à la décision Brickenden.

  1. Compte tenu de la règle Brickenden (voir les para 161 et 162 ci‑dessus), lorsque le fiduciaire commet un certain type de manquement et soutient que la transaction aurait été conclue quoi qu’il en soit, il lui appartient de prouver cette probabilité grâce à des éléments de preuve concrets et selon la prépondérance des probabilités. C’est à l’intimée qu’incombe ce fardeau en l’espèce, compte tenu de sa position selon laquelle la BFSJB aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers. L’intimée a accepté ce fardeau.

[186]  Il s’agit de la première question à trancher. Si l’intimée est convaincante, alors le scénario de rechange des revendicatrices n’a pas à être examiné. Si l’intimée n’est pas convaincante et qu’il est établi que la Colombie‑Britannique se serait vraisemblablement laissée convaincre de transférer l’ensemble des droits, il ne sera alors pas nécessaire d’examiner la prétention subsidiaire des revendicatrices. Si le Tribunal n’est pas convaincu que la Colombie‑Britannique aurait transféré les droits tréfonciers, alors l’annulation de la transaction visant la réserve de Montney et la conservation de cette réserve est la seule autre option mise de l’avant par les parties. À l’audience, ces dernières ont accepté ces options et cette approche.

B.  Approche pour déterminer l’autre transaction la plus probable

1.  Connaissance des parties à la date déterminante

[187]  Afin de déterminer ce qui serait vraisemblablement arrivé en 1947, alors que le Canada procédait à l’achat de terres destinées à remplacer la réserve de Montney, il est nécessaire d’examiner l’intention des parties au moment où la décision d’achat a été prise. Les revendicatrices ont fait valoir que si le Canada s’était renseigné pleinement et avait consulté adéquatement la bande, ce processus aurait eu lieu au plus tard le 26 novembre 1947, soit lorsque le Canada a accepté l’offre de la province de vendre les réserves de remplacement. J’en conviens. La décision sur ce qu’il convenait de faire aurait été prise en tenant compte des circonstances connues des parties au moment où elle a été prise.

[188]  La province a offert de vendre les réserves de remplacement au Canada le 6 novembre 1947. Le Canada a accepté l’offre le 26 novembre 1947. Le 8 juin 1950, le Canada a envoyé à la province un chèque du montant convenu. La province a ensuite approuvé la vente par décret le 25 juillet 1950, précisant qu’elle transférerait l’administration et le contrôle des terres au Canada [traduction] « sous réserve des dispositions et des restrictions prévues dans le formulaire nº 11 de l’annexe du chapitre 175 des statuts révisés de 1948 de la Colombie‑Britannique ». Le Canada aurait dû se renseigner et consulter la bande avant d’accepter l’offre. Par conséquent, la date de référence proposée par les revendicatrices est adéquate.

[189]  Ainsi, afin de placer les revendicatrices dans la situation dans laquelle elles auraient été s’il n’y avait pas eu manquement aux obligations, nous devons nous mettre dans la position où se trouvaient les parties au plus tard le 26 novembre 1947. Le point de vue du Canada aurait été fondé sur l’information dont il disposait ou dont il aurait dû disposer sur toutes les circonstances de l’époque. Le point de vue et la réaction probable de la bande auraient également été fondés sur ses connaissances et sa compréhension des circonstances de l’époque.

[190]  Comme je l’ai déjà mentionné, dans l’arrêt Blueberry, la Cour suprême du Canada a reconnu nombre des circonstances influant sur le point de vue qui auraient dû façonner l’opinion et l’obligation du Canada à l’époque (voir le para 157 ci‑dessus).

[191]  Les documents produits et déposés à l’audience comprennent également de nombreuses pièces de correspondance internes fédérales relatant et analysant les conditions de vie et le mode de vie de la bande, ainsi que les circonstances et la situation à l’échelle locale. Nombre de ces documents ont été mentionnés par les parties dans leurs observations écrites et orales. Ils présentaient beaucoup de renseignements sur le niveau de sensibilisation des parties à l’époque en cause, en particulier celui du Canada.

[192]  Par exemple, la correspondance interne montrait que le gouvernement fédéral était au courant de l’exploration pétrolière dans le secteur. Dans une lettre datant du 29 octobre 1943, M. C.P. Schmidt, inspecteur des agences indiennes, a fait rapport à M. H. McGill, directeur des Affaires indiennes, sur les activités d’exploration pétrolière dans le secteur (CCD, volume 3, onglet 114). La bande avait cédé les droits miniers afférents à la réserve de Montney en 1940, et le Canada les avait donnés à bail à des fins d’exploration pétrolière, ce qui avait produit des revenus pour la bande. L’exploration de pétrole dans la région n’était pas un phénomène nouveau pour les parties, que ce soit à l’automne 1945, lorsque la réserve de Montney a été cédée, ou le 26 novembre 1947, date à laquelle le Canada a accepté l’offre de la Colombie‑Britannique.

[193]  La correspondance a également démontré que le Canada tenait régulièrement compte de la situation de la bande et des événements locaux pour déterminer l’intérêt de la bande. Les fonctionnaires du Canada sur le terrain produisaient des rapports annuels exhaustifs sur les événements locaux et la situation de la bande. D’autres correspondances ont donné un aperçu contemporain de la connaissance et du raisonnement du Canada après que la population locale a commencé à faire pression pour permettre l’aménagement de la réserve de Montney et lorsque le Canada et la province ont également commencé à s’intéresser à l’idée. Ce point de vue est utile pour déterminer ce qui serait arrivé, n’eût été le manquement.

2.  Recours à la conduite après 1947 pour déterminer ce que la BFSJB aurait probablement décidé si elle avait été bien informée

[194]  Une autre question préliminaire est de savoir si le Tribunal devrait considérer les décisions et la conduite de la bande après 1947 comme une indication des intentions de celle‑ci au moment de l’acceptation de l’offre. Cette question a été sommairement abordée aux paragraphes 53, 55 et 56 ci‑dessus. L’application du principe de la conduite après la cession découle, par analogie, de la décision rendue par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’affaire Lac La Ronge. Dans cette affaire, la Cour d’appel a analysé les circonstances où la conduite après la signature d’un traité peut guider l’interprétation du tribunal d’une disposition du traité. La Cour d’appel a expliqué que les tribunaux devraient faire preuve d’une grande prudence lorsqu’ils se livrent à une telle interprétation et ne devraient le faire que lorsque la conduite ultérieure confirme la conduite antérieure et est cohérente avec celle‑ci.

[195]  L’intimée a fait valoir que la cession des droits tréfonciers par la bande en 1940 et en 1950 indiquait que cette dernière était disposée à donner accès à ses réserves aux fins d’activités pétrolières et gazières et que de telles activités n’étaient pas répréhensibles. L’intimée a souligné que la bande acceptait habituellement les demandes d’accès à des fins d’exploitation pétrolière et gazière, mais qu’elle en avait également refusé à plusieurs reprises (observations écrites de l’intimée, au para 87). Selon elle, il s’agissait d’une conduite qui confirmait la disposition de la bande à accepter l’exercice d’activités pétrolières et gazières en 1940 et en 1950, et même d’y participer, et ce, alors qu’elle se livrait toujours à ses pratiques traditionnelles. Si la bande acceptait alors de telles activités, celles-ci ne devaient pas constituer une menace ou être perçues comme telle à l’égard de ses pratiques traditionnelles. Il serait donc possible de déduire que l’absence de droits tréfonciers n’était pas un obstacle et que ces droits ne se voulaient pas un élément essentiel des réserves de remplacement.

[196]  Bien qu’il s’agisse d’un argument intéressant, après réflexion, je ne suis pas convaincu qu’il s’applique en l’espèce. À la présente étape de l’instance, nous n’interprétons pas un traité ni ne réinterprétons la cession. Les objectifs de la cession ont été décrits dans la décision relative au bien‑fondé et ne se prêtent pas une redéfinition en l’espèce. La question de la cession de la réserve de Montney a été tranchée dans l’arrêt Blueberry. Il s’agit maintenant de déterminer si la conduite après la cession peut être prise en compte dans l’évaluation de l’hypothèse de l’intimée selon laquelle la BFSJB aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers si elle avait été bien informée.

[197]  Le fait que la BFSJB ait cédé les droits tréfonciers en 1940 pour permettre à une entreprise d’exercer des activités d’exploration pétrolière et gazière ne saurait suffire à démontrer que, de façon générale, elle approuvait ces activités dans sa réserve. Ce fait ne prouve pas non plus que la BFSJB croyait en 1947 que de telles activités d’exploration et tout développement ultérieur n’auraient aucune incidence importante sur les autres usages que la bande envisageait pour les réserves de remplacement à cette époque. Il n’existe aucune preuve ni aucun dossier indiquant ce qui incitait la bande à procéder à cette cession ou ce qui expliquait ses intentions ou ses préoccupations à l’égard de cette cession, sinon qu’elle souhaitait en tirer certains revenus. Il n’existe pas non plus de preuve de la façon dont ce permis d’exploration a été exercé, du résultat de l’exploration (si elle a eu lieu) ou des inconvénients qu’elle pourrait avoir causés. Il n’y a guère d’éléments de preuve relatifs à des paroles ou à d’actes qui permettent de déterminer comment c’est arrivé, pourquoi c’est arrivé, ce que la bande en pensait, comment ça s’est passé ou ce que la bande (ou le Canada) en a pensé après coup.

[198]  Dans l’arrêt Blueberry, la juge McLachlin a souligné que personne n’avait contesté que la bande ne comprenait pas les subtilités du partage de la propriété en droits de superficie et en droits tréfonciers, et que ces détails n’avaient pas fait l’objet de discussion ou d’explication au moment de la cession de la réserve de Montney :

Il faut ajouter à ce résumé deux autres faits incontestés. Premièrement, à l’époque où les droits miniers ont été transférés, d’abord au DTAC puis aux anciens combattants, les Indiens n’étaient pas des gens avertis, et il est possible qu’ils n’aient pas bien compris les principes concernant l’existence de droits fonciers distincts et la façon dont de tels droits pouvaient être perdus. Deuxièmement, ils n’ont jamais été informés du transfert des droits miniers au DTAC. Ils ne l’ont découvert qu’en 1977, lorsqu’un employé du MAI les a informés de la découverte de pétrole et de gaz sur leurs anciennes terres et a cherché à savoir comment les droits miniers étaient passés de la bande aux anciens combattants.

[…]

En fait, la seule personne dont le témoignage a été retenu par le juge de première instance a dit : [traduction] « Aucune allusion à des droits miniers n’a été faite à l’assemblée » (p. 201 F.T.R.). De même, les notes de l’agent des Indiens, Galibois, indiquent qu’il n’a pas été question des droits miniers. À la page 184 F.T.R., le juge de première instance affirme « qu’à compter de la cession en 1945 […] on n’a jamais fait allusion d’une manière ou d’une autre aux droits miniers ou on n’a jamais examiné cette question ». [Aux para 62, 86]

[199]  Par conséquent, il semble que la question des droits tréfonciers n’ait pas été abordée durant les discussions du Canada avec la bande au moment de la cession en 1945. Comme le Canada ne savait pas que la Colombie‑Britannique s’était réservé les droits tréfonciers, il n’y a aucune raison de croire que la question a été soulevée lorsque le Canada a évalué et accepté l’offre de la province visant les réserves de remplacement. Il a été question des droits tréfonciers peu après, lorsque la bande les a cédés en 1950, mais cet événement indique plutôt que le Canada et la bande croyaient que les réserves de remplacement comprenaient les droits tréfonciers. La conduite ultérieure ne peut servir à créer ou à établir une intention inexistante ou ambiguë à une date antérieure. Il n’est possible de le faire que lorsque la conduite ultérieure confirme une intention démontrée par la conduite antérieure. Même en supposant que l’on puisse, en l’espèce, établir une analogie avec la décision Lac La Ronge, ce que je ne crois pas, la preuve présentée dans la présente affaire ne suffirait pas à démontrer la prétention selon laquelle la bande était d’avis, en 1947, que les droits tréfonciers n’étaient pas importants pour l’usage qu’elle avait prévu faire du sol et que, par conséquent, la réserve par la province aurait été acceptable si elle en avait été informée.

[200]  Dans la décision Lac La Ronge, il est également question de [traduction] « parties ». Le paradigme théorique appliqué dans cette affaire n’a pas servi à évaluer l’intention d’une seule partie, mais plutôt de toutes les parties au litige, soit la Première Nation Lac La Ronge et le Canada. Dans l’affaire qui nous occupe, le Canada avait clairement l’intention de conserver les droits tréfonciers afférents à la réserve de Montney et d’acquérir ceux afférents aux réserves de remplacement (voir les para 6 et 22). En effet, comme il l’a reconnu, le Canada pensait avoir acquis l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement, ce qui semblerait confirmer l’intention du Canada en 1945, en 1947 et en 1950, tout comme sa conduite et la lettre transmise à la Colombie‑Britannique dans laquelle il a admis son erreur. Malheureusement, l’intention du Canada n’a finalement pas correspondu à sa conduite ultime, qui, à son tour, a sous‑tendu le manquement. De plus, comme la source d’information de la BFSJB était son fiduciaire, on ne peut supposer qu’elle en savait davantage et avait des intentions plus éclairées sur le sujet que sa source d’information, et ce, surtout compte tenu de la conclusion de la Cour suprême dans l’arrêt Blueberry concernant le niveau de compréhension de la bande.

[201]  Par ailleurs, en tenant compte de la conduite ultérieure, le Tribunal se trouverait à faire en sorte que la connaissance actuelle d’événements inconnus de la BFSJB ou du Canada en 1947 ait une incidence sur son analyse de l’état d’esprit de ces parties en 1947. Selon l’intimée, comme la bande a cédé les droits tréfonciers en 1940 et en 1950, elle l’aurait fait dans la mesure où elle y a consenti au cours d’années subséquentes, lorsque son consentement est devenu nécessaire conformément au règlement. Il s’agit d’une affirmation hasardeuse qui est illogique et fausse. L’examen visant à déterminer ce que la BFSJB aurait fait si elle avait été bien informée porte essentiellement sur le processus, la relation et le contexte au moment du manquement.

[202]  La plus grande protection accordée par les régimes de réglementation adoptés au cours des années suivantes ne peut rétroagir à 1947 de façon à s’appliquer à la BFSJB ou au Canada, car la bande n’aurait jamais pu prévoir que ces régimes entreraient en vigueur. De plus, comme l’ont démontré les revendicatrices, les activités pétrolières autorisées ultérieurement l’ont été pour d’autres motifs. Les bandes ont accordé l’accès à leurs réserves pour recueillir de l’argent afin de poursuivre le Canada pour avoir manqué à ses obligations de fiduciaire dans le cadre de la vente de la réserve de Montney. Ces mêmes manquements sous‑tendent les présentes revendications, et il est impossible de démontrer qu’ils aient eu un quelconque rapport avec l’intention de la bande (ou l’absence d’une telle intention) en 1940 et en 1950. Il serait abusif d’attribuer à la bande l’intention alléguée par l’intimée à l’égard de telles autorisations lorsque ces manquements constituaient un facteur de motivation. De toute façon, après 1958, pouvait‑on vraiment s’attendre à ce que les bandes soient altruistes au point de refuser des revenus potentiels tirés de droits tréfonciers qu’elles ne comprenaient pas et dont elles n’ont découvert l’histoire juridique qu’après 1977? Cela est particulièrement vrai au regard de la faible protection réglementaire du Canada et des incertitudes juridiques entourant la force exécutoire du formulaire no 11 de la Colombie‑Britannique. Il est plus probable que les bandes aient pris des décisions en fonction des outils dont elles disposaient, de leurs besoins, des possibilités et des circonstances à un moment donné. Pendant des années, elles ont été mal informées, peu d’options s’offraient à elles et elles étaient aux prises avec le fait accompli du formulaire no 11.

[203]  Compte tenu des cessions de 1940 et de 1950, il est incontestable que la BFSJB était en faveur d’une certaine exploration pétrolière dans ses réserves. Cependant, il s’agissait d’activités d’exploitation menées sous le contrôle et la supervision de la Loi sur les Indiens, qui régissait l’accès aux réserves dont elles détenaient l’ensemble des droits. La bande pouvait s’attendre à ce que le Canada protège ses intérêts. Par l’intermédiaire du Canada, la bande avait le contrôle total sur les activités pétrolières qui pouvaient être menées dans la réserve de Montney et elle s’attendait sûrement à la même chose à l’égard de toute autre réserve. Elle pouvait mettre fin à toute activité d’exploration dérangeante ou indésirable et contrôler l’accès à ses réserves. Par suite de la cession de 1940, la BFSJB a accepté de donner un accès limité à ses terres et a maintenu avec le Canada la relation de fiduciaire que suppose une cession. Le formulaire no 11 était permanent et exposait la BFSJB à des risques à l’égard desquels celle‑ci ne pouvait alors exercer aucune surveillance ni aucun contrôle. Les deux situations ne sont pas équivalentes. L’acceptation de l’une ne signifie pas l’acceptation de l’autre.

[204]  L’intimée a contesté la déclaration du Tribunal figurant au paragraphe 162 de la décision relative au bien‑fondé selon laquelle « [l]a Colombie‑Britannique pouvait à son gré utiliser les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement pour l’exploration de minéraux, y compris le pétrole et le gaz, ou assujettir leur utilisation à la délivrance d’un permis » ainsi que celle du paragraphe 164 selon laquelle « [l]a province, y compris ses titulaires de permis, n’avait pas à consulter la bande à propos de l’utilisation des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement, et elle n’avait pas à partager les profits ou autres avantages qui pouvaient découler des droits tréfonciers, même si elle devait indemniser la bande pour certains usages » (observations écrites de l’intimée, aux para 122‑23). Cependant, si l’on se place dans la situation dans laquelle se trouvaient les parties jusqu’au 26 novembre 1947 et qu’on adopte leur point de vue, on constate qu’aucun règlement fédéral n’était en place pour protéger la bande ou lui donner voix au chapitre en ce qui concerne l’accès à ses terres en vue d’en exploiter le sous‑sol. Ce n’est pas avant au moins 1958 qu’un mécanisme réglementaire fédéral est venu remédier à la situation particulière. En fait, d’après la preuve présentée, jusqu’à cette date, la province pouvait exercer ses droits prévus au formulaire no 11 comme elle l’entendait.

[205]  Je conclus donc qu’il n’est pas approprié de tenir compte de la conduite après la cession pour déterminer si la BFSJB, pleinement informée, aurait accepté l’offre de la province. La conduite des bandes à l’égard des régimes de réglementation ultérieurs du Canada n’est pas pertinente. Elle pourrait être pertinente au moment de la quantification lors de l’étape de l’indemnisation, mais pas pour l’instant.

C.  Objection retirée de l’intimée

[206]  L’intimée a également contesté les observations du Tribunal figurant au paragraphe 163 de la décision relative au bien‑fondé quant à savoir si l’absence de droits tréfonciers a fait échec à l’intention de la bande de pouvoir continuer à se livrer à ses pratiques traditionnelles dans les réserves de remplacement :

Comment la bande aurait‑elle pu chasser, piéger et cultiver le foin si des activités d’exploitation pétrolière ou autres avaient eu lieu dans les réserves, que ce soit à des fins d’exploration ou d’extraction minière, y compris le défrichement, la construction de routes et l’utilisation à cette fin des autres ressources des réserves de remplacement?

[207]  L’intimée a exprimé son objection comme suit (observations écrites de l’intimée, aux para 124‑25) :

[traduction]

Les revendicatrices n’ont pas plaidé ni fait valoir ce type d’obligation à l’étape du bien‑fondé, et le Canada n’a pas eu l’occasion d’être entendu sur la question de savoir si les droits conférés par le formulaire no 11 rendaient les réserves de remplacement impropres à l’usage que la bande avait prévu en faire. C’est ce que révèle le fait que le Tribunal a tiré sa conclusion à partir d’une question rhétorique : « Comment la bande aurait‑elle pu chasser, piéger et cultiver le foin si des activités d’exploitation pétrolière ou autres avaient eu lieu dans les réserves, que ce soit à des fins d’exploration ou d’extraction minière, y compris le défrichement, la construction de routes et l’utilisation à cette fin des autres ressources des réserves de remplacement? »

La réponse implicite à cette question dans la décision relative au bien‑fondé est « d’aucune manière ». Cependant, comme le Canada le démontrera à la prochaine section, la législation fédérale empêchait la province d’accéder aux réserves de remplacement de manière à nuire à l’usage de ces terres et des terres avoisinantes pour le piégeage et la chasse, et la preuve étaye la conclusion selon laquelle il n’y a eu aucune nuisance. [Note en bas de page omise.]

[208]  À l’audience, l’intimée a retiré son objection selon laquelle elle n’avait pas eu l’occasion d’être entendue, et elle a précisé sa position :

[traduction]

Entre le moment de la cession de la réserve de Montney et l’acquisition et la mise de côté des réserves de remplacement […], le Canada ne pouvait pas garantir à la bande que la législation fédérale lui permettrait de restreindre l’accès aux réserves de remplacement par des titulaires de droits tréfonciers.

[…] Nous acceptons la conclusion tirée par le Tribunal [à] l’étape du bien‑fondé selon laquelle, parce que le Canada a manqué à ses obligations, la bande n’a pas atteint son objectif en acquérant les réserves de remplacement. Nous le reconnaissons. Nous acceptons que la question a déjà été tranchée. Nous ne demandons pas au Tribunal de revenir sur ce point. Nous reconnaissons également que, parce que la Colombie‑Britannique a conservé les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement […], l’usage des réserves de remplacement par la bande aux fins prévues, c.‑à‑d. à des fins traditionnelles, était susceptible d’être perturbé par la Colombie‑Britannique. Je vais donc l’inscrire au dossier. J’admets que nos observations écrites ne pouvaient pas vraiment être interprétées ainsi. [Enregistrement audio de l’audience, observations orales de l’intimée, 21 novembre 2017, à environ 14 h 41 et 14 h 52.]

[209]  La question commençant par « Comment la bande aurait‑elle pu chasser […] » est l’une des questions que le Canada aurait dû se poser à titre de fiduciaire diligent. Ses réponses et ses conseils éclairés auraient été fondés sur la proposition de la Colombie‑Britannique de se réserver les droits tréfonciers.

[210]  L’intimée a convenu que le Canada n’aurait pu garantir à la bande qu’elle pourrait contrôler l’accès aux réserves de remplacement compte tenu de la réserve prévue par le formulaire no 11. Le régime de réglementation fédéral en vigueur en novembre 1947 était peu contraignant, non éprouvé et, jusqu’alors, s’appliquait aux réserves qui comprenaient les droits de superficie et les droits tréfonciers. Il ne couvrait pas la situation particulière de la bande. Par conséquent, le Canada n’aurait pas pu garantir que les activités pétrolières et gazières ne perturberaient pas la vie de la bande ou ses pratiques traditionnelles connexes.

[211]  La question plus précise aurait certainement été la suivante : « Comment la bande aurait‑elle pu chasser, piéger et cultiver le foin si des activités d’exploitation pétrolière ou autres avaient eu lieu dans les réserves, que ce soit à des fins d’exploration ou d’extraction minière, y compris le défrichement, la construction de routes et l’utilisation à cette fin des autres ressources des réserves de remplacement? » Personne ne pouvait répondre à cette question avec une quelconque certitude – ni même y répondre. En effet, à l’époque et en raison du vide réglementaire fédéral qui régnait, la grande crainte aurait été que la province permette un accès sans entrave à ses titulaires de permis. Si tel avait été le cas, la BFSJB aurait été vulnérable à des perturbations aux proportions inconnues, même au point de menacer sa qualité de vie et sa possession simple et calme des terres.

[212]  Le fait qu’à l’époque, l’intimée n’a pas posé cette question ou fourni l’information appropriée et exacte à la bande à propos du formulaire no 11 et qu’elle a, finalement, accepté la réserve des droits tréfonciers par la province a rendu la BFSJB vulnérable et sujette à l’exploitation. Les manquements consistaient à ne pas avoir respecté la norme de conduite prescrite et, enfin, à avoir permis que la bande soit placée dans une situation de vulnérabilité. Une réponse quantitative à la question des incidences réelles (c.‑à‑d. à la question « Comment la bande aurait‑elle pu chasser […] » posée au paragraphe 163 de la décision relative au bien‑fondé) peut s’avérer pertinente pour évaluer la perte à la prochaine étape de la présente instance, mais ne l’était pas pour déterminer le bien‑fondé. Le Canada ne s’est pas posé la question avant d’accepter l’offre de la province et, même s’il l’avait fait, le contexte réglementaire de l’époque était tel qu’aucune garantie n’aurait pu être donnée de toute façon.

D.  Autre transaction la plus probable : BFSJB et Canada

[213]  Pour que le Canada se soit acquitté de ses obligations, il aurait fallu qu’il communique ses points de vue éclairés à la bande. S’il l’avait fait, je suis convaincu qu’il lui aurait probablement recommandé de ne pas accepter les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers. Cela est particulièrement vrai compte tenu de sa politique de réserver les droits tréfonciers afférents à ses propres terres et du long conflit qu’il avait vécu et qui semblait s’être réglé à son avantage avec la conclusion de la Convention Scott‑Cathcart. En effet, compte tenu des vastes pouvoirs et responsabilités que lui conférait la Loi sur les Indiens, le Canada aurait peut‑être refusé l’offre de son propre chef, indépendamment des souhaits de la bande. Si la bande avait été informée, conseillée et consultée, je doute qu’elle ait voulu aller de l’avant. Il faut également se rappeler que la bande n’était pas à l’origine de la proposition de cession et qu’elle avait encore l’option, en 1947, de révoquer la cession.

[214]  Bien que la bande souhaitait gagner des revenus, au milieu des années 1940, la pauvreté ne semblait pas constituer pas un facteur aussi important qu’il l’avait été une ou deux décennies auparavant. Dans une lettre datant du 29 octobre 1943, M. C.P. Schmidt, inspecteur des agences indiennes, a rapporté au directeur des Affaires indiennes à Ottawa (CCD, volume 3, onglet 114) :

[traduction]

Plusieurs Indiens achètent certains produits utiles, mais dans l’ensemble, ils jouissent d’un niveau de vie très élevé et gaspillent beaucoup d’argent. La conséquence, si elle a lieu et quand elle aura lieu, pourrait être une dure leçon pour eux. Actuellement, ils suivent l’exemple donné par des étrangers : « Facile à obtenir – facile à dépenser! » La valeur ou le prix ne sont pas pris en considération : « Je le veux » ‑‑ et non « J’en ai besoin. »

[…]

M. Brown a fait remarquer qu’en règle générale, les choses vont très bien en ce qui a trait à l’emploi et au revenu. […] Il n’y a actuellement aucune inquiétude à avoir quant à leurs besoins matériels […].

[215]  La bande recevait déjà des revenus en raison du permis d’exploration pétrolière accordé pour la réserve de Montney. Elle avait également loué des terres à un fermier pour la culture du foin. L’agent des Indiens a relaté que ce fermier avait l’intention de demander un élargissement et une prolongation de son bail. Un autre fermier avait exprimé le souhait de louer une zone de pâturage assez grande pour y exploiter une assez grosse entreprise d’élevage de bovins (de 700 à 800) (lettre datée du 29 octobre 1943 écrite par l’inspecteur des agences indiennes, M. C.P. Schmidt, au directeur des Affaires indiennes à Ottawa, CCD, volume 3, onglet 114). La réserve de Montney générait déjà des revenus et avait le potentiel d’en générer encore plus.

[216]  Si le Canada l’avait su, la seule chose qu’il aurait pu garantir à la bande, en novembre 1947, était que les droits tréfonciers n’offriraient aucune possibilité de revenus s’ils n’étaient pas compris dans les réserves de remplacement. Compte tenu de l’état de la réglementation fédérale à l’époque, il n’aurait pas non plus été possible de tirer des revenus des permissions accordées pour accéder aux terres en surface en lien avec des activités pétrolières et gazières souterraines. Telle était la situation au moins jusqu’en 1958, lorsque le consentement de la bande pour donner accès aux terres en surface a commencé à être exigé. Même alors, le potentiel de revenus était limité à l’accès aux terres en surface jusqu’à ce que l’entente de partage des revenus soit signée en 1994 et que les bandes aient droit à la moitié des revenus tirés des activités pétrolières et gazières menées dans ses réserves. Si les droits tréfonciers avaient été compris dans les réserves, la bande n’aurait pas eu à partager avec la province les revenus tirés des activités pétrolières et gazières et aurait pu contrôler l’accès plus ou moins grand autorisé. Dans la situation, la bande ne pouvait gagner que les intérêts sur le produit net de la vente de la réserve de Montney.

[217]  L’intimée a fait valoir que la négociation de l’acquisition des droits tréfonciers avec la Colombie‑Britannique aurait retardé la conclusion de la transaction et, à terme, le transfert des terres. Cela aurait entraîné une perte de revenus, car le produit net de la vente de la réserve de Montney n’aurait pas pu être utilisé pour gagner des intérêts. Cela aurait également pu faire augmenter le prix d’achat des réserves de remplacement et, du coup, réduire le montant du capital provenant de la vente de la réserve de Montney qui est susceptible de produire des intérêts. Voilà les raisons pour lesquelles l’intimée a laissé entendre que la bande aurait choisi de procéder au transfert, et ce, même sans les droits tréfonciers. Je ne suis pas d’accord.

[218]  Le prix de vente des terres domaniales était fixé par la loi. Le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d’accorder la réduction maximale permise par la loi, soit une réduction de moitié, ce qui a permis à la bande d’économiser la somme de 4 932,50 $ qu’il aurait par ailleurs eu à payer. Au taux d’intérêt des comptes en fiducie de 5 % en vigueur selon la Loi sur les Indiens, cela représentait des intérêts annuels de moins de 250 $. En vendant la réserve de Montney, la bande perdrait ses revenus tirés du permis d’exploration pétrolière déjà délivré, ainsi que de la location de terres pour la culture du foin et l’élevage de bovins qui était envisagé à l’époque. Les réserves de remplacement n’étaient pas situées à un emplacement central et n’étaient pas constituées de riches plaines agricoles. Sans les droits tréfonciers, la bande n’aurait accès à aucun revenu de location tiré d’une quelconque source dans les réserves de remplacement. En ce qui concerne les revenus potentiels provenant d’activités pétrolières et gazières, la BFSJB pouvait s’attendre à ne tirer aucun revenu dans les réserves de remplacement, et ce, pour toujours si l’on se replace en novembre 1947 (ou plus tôt). Ces sources de revenus continues provenant de la réserve de Montney et l’absence de revenu potentiel provenant des réserves de remplacement doivent être prises en compte dans l’appréciation du potentiel de génération d’intérêts que représentait le produit de la vente de la réserve de Montney.

[219]  De toute façon, je crois qu’il est probable que la Colombie‑Britannique aurait transféré les droits tréfonciers selon les mêmes modalités, y compris le prix de vente initial. La somme de 4 932,50 $ était minime dans le contexte, en raison du besoin urgent de réinstaller de nombreux anciens combattants et de la réaction politique à laquelle la Colombie‑Britannique et le Canada auraient vraisemblablement eu à faire face si la transaction avait échoué à la dernière minute, compte tenu des demandes et des attentes à l’échelle locale. Il aurait pu y avoir un certain retard supplémentaire, mais je doute qu’il ait été important compte tenu de la controverse politique qu’un retard aurait causé chez les anciens combattants et la population locale. Le retard n’aurait également eu qu’une légère incidence sur la bande si le Canada avait permis (comme il se devait) à la BFSJB de continuer à vivre dans la réserve de Montney et aux alentours jusqu’à ce que les réserves de remplacement soient prêtes à être aménagées. De plus, bien qu’il ne fasse aucun doute que la bande voulait gagner des revenus pour subvenir à ses besoins, sa pauvreté semblait avoir reculé, comme l’a rapporté l’inspecteur des agences indiennes en 1943 (voir les para 214 et 215 ci‑dessus).

[220]  Les revendicatrices ont également souligné que la conservation de la réserve de Montney aurait été une option envisageable pour la BFSJB. Cela aurait guidé l’approche de la bande à l’égard des négociations concernant les réserves de remplacement. De nombreux éléments de preuve ont été présentés relativement au mode de vie traditionnel de la BFSJB et à son degré d’attachement à la réserve de Montney au milieu des années 1940. En effet, le mode de vie traditionnel de la bande s’est révélé être plus complexe et nuancé que ce qui est ressorti à l’audience relative au bien‑fondé, ou même des comptes rendus judiciaires passés. Dans son témoignage d’expert, le professeur Ridington a expliqué comment la bande avait conservé son mode de vie nomade fondé sur la chasse et la cueillette. Il a décrit l’économie par « écotone », dans le cadre de laquelle la bande passait d’une zone de ressources à une autre, profitant de façon mesurée des ressources de chaque zone de sorte à les maintenir et à les préserver. L’objectif était de recueillir assez de nourriture pour subvenir aux besoins de la bande dans ses déplacements, mais également de préparer et d’entreposer assez de nourriture pour survivre à l’hiver dans ses sentiers de piégeage. Le professeur Ridington a également décrit comment certaines ressources dépendaient des saisons et influençaient les déplacements et les pratiques de cueillette de la bande dans les diverses zones.

[221]  Il a clairement indiqué que la réserve de Montney était la plaque tournante de la région d’où la bande tirait ses ressources, que ce soit en pêchant, en chassant, en cueillant des baies ou en ramassant des œufs de gibier à plumes. L’importance centrale que revêtait la réserve de Montney dans la vie nomade traditionnelle de la BFSJB constituait une information nouvelle qui révélait le caractère intégré des pratiques traditionnelles de la bande.

[222]  Il en était ainsi pour deux raisons. Premièrement, ce mode de vie permettait à la BFSJB de subvenir à ses besoins physiques. Deuxièmement, c’était l’endroit de rassemblement annuel général du grand peuple Dane‑zaa. La réserve de Montney convenait parfaitement à cette fonction élargie parce qu’elle était située au centre des territoires traditionnels dane‑zaa et qu’on y trouvait suffisamment de ressources, sur place et aux alentours, pour subvenir aux besoins d’un grand groupe de personnes pendant facilement deux à trois semaines, sans tarir les ressources nécessaires à la BFSJB.

[223]  En raison de l’abondance de ses ressources, la réserve de Montney était un endroit où les gens se sentaient heureux et en sécurité – [traduction] « L’endroit où réside le bonheur ». Plus important encore, en raison de ces caractéristiques, la réserve de Montney était considérée comme le moyen par lequel les Dane‑zaa maintenaient leur langue, leur culture, leurs relations et leurs croyances spirituelles. Ils partageaient la nourriture, chantaient et dansaient ensemble à l’occasion de [traduction] « danses du thé » et suivaient leurs [traduction] « rêveurs ». La réserve de Montney assurait la cohésion sociale et spirituelle du peuple Dane‑zaa, y compris de la BFSJB. Je suis persuadé que les deux à trois semaines dont parlaient régulièrement les fonctionnaires fédéraux dans leurs rapports concernaient le moment où, chaque été, les bandes Dane-zaa se rassemblaient à la réserve de Montney.

[224]  Je suis également convaincu que, même si la BFSJB n’était pas établie dans la réserve de Montney de façon permanente, elle passait probablement d’autres moments dans la réserve, notamment pendant ses cycles saisonniers du printemps, de l’été et de l’automne, pour amasser de la nourriture. Ses membres ne construisaient pas d’habitations, puisque leur mode de vie nomade pendant les mois plus chauds ne l’exigeait pas. Les tipis étaient la forme de logement standard et faisaient également partie du mode de vie traditionnel de la bande. Pour la BFSJB, la réserve de Montney était au cœur de tout, sans toutefois être un endroit d’établissement permanent.

[225]  L’arrivée de la traite des fourrures a fait en sorte que la bande s’est concentrée davantage sur le piégeage pour assurer sa subsistance. Bien que la bande les utilisait sans doute pour ses propres besoins (p. ex., les vêtements, les mocassins, les couvertures), les fourrures sont devenues un bien d’échange. La bande récoltait les types de fourrures en demande en Europe et, en échange, recevait des crédits d’échange (pas de l’argent) avec lesquels elle achetait des fusils, des couteaux, des poêles, du saindoux et d’autres articles semblables qui l’aidaient dans ses pratiques de subsistance. Pour avoir des fourrures afin d’en faire la traite, la bande passait les hivers dans des régions boisées plus reculées, où ses membres établissaient des territoires de piégeage. La bande se divisait en plus petits groupes, qui vivaient dans des habitations hivernales situées près de leur territoire de piégeage respectif. Ils subvenaient à leurs besoins en chassant les animaux qui étaient présents, mais moins nombreux, se nourrissant aussi beaucoup d’aliments séchés recueillis, préparés et entreposés pendant le printemps, l’été et l’automne. En 1943, il a été rapporté qu’en hiver, la bande vivait en groupes séparés de cinq ou six personnes (lettres de l’inspecteur des agences indiennes, M. C.P. Schmidt, datées du 3 septembre 1941 et du 29 octobre 1943, CCD, volume 3, onglets 113‑14). Comme l’a indiqué le professeur Ridington, les membres de la bande acquéraient des poêles et des lampes grâce à leur commerce, de sorte qu’ils étaient en mesure de rester dans des habitations plus permanentes pendant l’hiver. Les habitations n’étaient pas pratiques lorsqu’ils se déplaçaient pendant l’été. Les chevaux étaient relâchés dans la plaine pour se nourrir d’herbes de prairie pendant l’hiver, et la bande se servait d’attelages de chiens et de raquettes dans les territoires de piégeage.

[226]  Ainsi, la BFSJB suivait des cycles annuels : elle vivait une vie relativement sédentaire pendant les mois d’hiver et faisait des rondes par « écotone » pendant les autres mois. Elle assistait notamment au rassemblement des Dane‑zaa pendant plusieurs semaines en été. Ces éléments de preuve démontrent clairement que les activités traditionnelles et le cycle saisonnier demeuraient des aspects fondamentaux du mode de vie de la BFSJB, et ce, même au milieu des années 1940. Ils montrent aussi clairement que la réserve de Montney demeurait un endroit très important pour les revendicatrices à cette époque. Si des réserves de remplacement adéquates ne pouvaient être trouvées, alors la conservation de la réserve de Montney était une bonne option pour la BFSJB, d’autant plus que la disposition de la réserve n’était pas l’idée ou l’initiative de la bande.

[227]  Pourquoi la bande aurait‑elle accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers si elle avait été mise au courant du formulaire no 11, de son objet et de son effet? Si elle en avait été informée avant le 26 novembre 1947, elle n’aurait pas pu être certaine que son mode de vie traditionnel n’aurait pas été perturbé; elle aurait su que le sous‑sol ne permettrait de générer aucun revenu pour elle, mais qu’il pourrait en générer pour d’autres un jour; et elle aurait su que les perturbations prévues au formulaire no 11 pourraient tout à fait se produire lorsque la province accorderait des permis aux producteurs pétroliers et gaziers. Elle n’aurait pas pu prévoir les régimes de réglementation qui entreraient un jour en vigueur et qui n’étaient donc pas pertinents à ce moment. La réserve de Montney était assez importante pour la BFSJB que, si elle avait été bien informée, elle aurait eu des raisons de vouloir conclure une meilleure transaction en demandant les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Si la bande avait été informée, l’annulation de la cession de la réserve de Montney aurait été préférable à une mauvaise transaction visant les réserves de remplacement. Les conditions auxquelles la bande a cédé la réserve de Montney étaient, après tout, indissociables de sa volonté de la céder. Selon moi, la preuve montre clairement que les activités traditionnelles comprenant les cycles saisonniers par écotone demeuraient un aspect fondamental du mode de vie de la BFSJB au milieu des années 1940. La preuve montre aussi clairement que la réserve de Montney demeurait un endroit très important pour les revendicatrices à cette époque. Si des réserves de remplacement adéquates ne pouvaient être trouvées, alors la conservation de la réserve de Montney était la meilleure option pour la bande.

[228]  Je conclus donc que la BFSJB n’aurait pas accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers si elle avait été informée de la nature du transfert proposé par la province. Elle aurait demandé au Canada d’essayer d’obtenir les droits tréfonciers en négociant avec la Colombie‑Britannique et, en cas d’échec, elle aurait choisi de conserver la réserve de Montney.

E.  Autre transaction la plus probable : Colombie‑Britannique

[229]  Il faut ensuite déterminer ce qui serait arrivé lors des négociations du Canada avec la Colombie‑Britannique si le Canada et la bande avaient été informés de l’existence de la réserve et qu’il n’y avait eu aucun manquement. La province se serait‑elle laissée convaincre de transférer l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement proposées?

[230]  L’intimée a soutenu que la Colombie‑Britannique n’aurait pas assoupli sa politique législative consistant à réserver les droits tréfonciers afférents aux terres de la Couronne provinciale. Cette politique a été reconnue dans la décision relative au bien‑fondé (aux para 121‑23). L’intimée a souligné qu’en 1958, la Colombie‑Britannique a refusé de transférer les droits tréfonciers à la bande esclave de Fort Nelson aux fins de la mise de côté de réserves, malgré les demandes expresses du Canada. Ces réserves devaient permettre de satisfaire à l’obligation imposée par le Traité no 8 quant à l’attribution de terres à la bande esclave de Fort Nelson. Tout comme la BFSJB, la bande esclave de Fort Nelson était également sous l’administration de l’agence de Fort St. John (CCD, volume 3, onglets 131‑38). Selon l’intimée, la situation des revendicatrices ressemblait à celle de la bande esclave de Fort Nelson, mais elle n’était pas aussi complexe, car les réserves de remplacement ne permettaient pas de satisfaire directement à l’obligation imposée par le Traité no 8 quant à l’attribution de terres à la BFSJB. La Colombie‑Britannique avait néanmoins refusé de transférer les droits tréfonciers.

[231]  L’intimée a également souligné que le projet d’établissement des anciens combattants dans la réserve de Montney était un projet fédéral, et non provincial. Elle a insisté sur le fait qu’il s’agissait de la mise en œuvre d’un programme fédéral de compétence fédérale lancé par le gouvernement fédéral. C’est le Directeur des terres destinées aux anciens combattants fédéral qui était entré en contact avec le ministère concernant l’utilisation de la réserve de Montney pour établir les anciens combattants démobilisés, et toutes les interactions avaient eu lieu au sein du gouvernement canadien, entre le ministère et le Directeur des terres destinées aux anciens combattants. Le programme n’avait pas été mis sur pied par la province.

[232]  L’intérêt provincial se situait principalement à l’échelle locale : des organisations locales, telles que la chambre de commerce de Rose Prairie ainsi que la chambre de commerce de Montney et du district, et des organisations locales d’anciens combattants exerçaient des pressions sur le Canada pour permettre l’aménagement de la réserve de Montney. L’intimée a renvoyé à la correspondance transmise par ces organisations locales ainsi qu’à des articles de journaux locaux faisant la promotion de l’aménagement de la réserve de Montney (voir les observations écrites de l’intimée, au para 173 et aux notes en bas de page 190 et 191; voir également CCD, volume 1, onglets 43, 51). La province était prête à aider les organisations locales à faire part de leurs intérêts au gouvernement fédéral, mais [traduction] « rien n’indiquait que les fonctionnaires provinciaux s’employaient à faire progresser les objectifs d’un programme fédéral d’établissement » (observations écrites de l’intimée, au para 173). L’intimée a fait valoir que la Colombie‑Britannique était prête à faciliter les choses et à coopérer, mais sans plus.

[233]  Les revendicatrices ont fait remarquer que les pressions locales exercées sur Ottawa avaient commencé avant la Seconde Guerre mondiale (lettres datant de 1933, CCD, volume 1, onglets 26‑27). Dans une lettre datant du 13 août 1945, le ministre fédéral des Mines et des Ressources a écrit au ministre provincial des Terres pour lui proposer d’aménager la réserve de Montney si la province pouvait fournir des terres de remplacement. Dans sa lettre, le Canada a reconnu qu’il avait subi des pressions pour permettre l’aménagement de la réserve de Montney, et ce, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et a laissé entendre que le Canada et la Colombie‑Britannique faisaient actuellement l’objet de pressions (CCD, volume 1, onglet 50). Le 8 septembre 1945, le ministre provincial des Terres a répondu, reconnaissant que l’aménagement de la réserve de Montney serait [traduction] « grandement dans l’intérêt public » (CCD, volume 1, onglet 52).

[234]  Il ne fait aucun doute que la Colombie‑Britannique était prête à faciliter les choses et à coopérer. Cependant, une preuve abondante tend à indiquer que la province souhaitait en fait vivement que la proposition d’Ottawa se concrétise et qu’elle [traduction] « s’investissait » beaucoup dans le projet.

[235]  Premièrement, l’affaire de la bande esclave de Fort Nelson se distingue, à des égards importants, de la présente affaire. Il est vrai que, dans cette affaire, la province avait refusé la demande du Canada visant à obtenir l’ensemble des droits. Toutefois, il semble que la Colombie‑Britannique avait déjà accordé des permis pour l’exploration ou l’extraction pétrolière et gazière dans les terres en cause avant leur transfert. Même si le Canada était prêt à prendre en charge ces permis, la province était peut‑être préoccupée par sa responsabilité envers des tiers. Les permis généraient peut‑être également des revenus importants auxquels la Colombie‑Britannique hésitait à renoncer ou qu’elle hésitait à transférer au Canada. Surtout, le Canada avait consulté la bande et l’avait mise au courant de la réserve des droits tréfonciers. Ainsi informée, la bande avait décidé d’aller de l’avant sans obtenir l’ensemble des droits. Ce n’était pas le cas dans la présente revendication.

[236]  L’intérêt de la Colombie‑Britannique à permettre l’établissement d’anciens combattants dans la réserve de Montney ressort également des communications échangées entre des représentants provinciaux et fédéraux aussi loin qu’en mai 1935. Dans une lettre datée du 27 mai 1935, l’agent local des Indiens, M. H.A.W. Brown, a écrit à l’inspecteur des agences indiennes pour lui rapporter que le commissaire des Terres de la Colombie‑Britannique avait communiqué avec lui l’année précédente au sujet de la possibilité de vendre la réserve de Montney au ministère des Terres de la Colombie‑Britannique [traduction] « en échange d’une plus grande parcelle de terrain dans une autre région située plus au nord qui servirait de réserve indienne ». M. Brown a expliqué qu’il n’en avait pas fait rapport plus tôt parce que ce n’était qu’une idée et qu’il n’y avait pas eu de réelle proposition (CCD, volume 1, onglet 31). M. Brown a expliqué qu’il en parlait maintenant, car le commissaire provincial des Terres avait encore communiqué avec lui dans une lettre du 20 mai 1935, dans laquelle il lui demandait de soumettre la question au ministère le plus rapidement possible. Dans sa lettre, le commissaire provincial rappelait à M. Brown une conversation qu’ils avaient eue à l’automne précédent et laissait entendre que M. Brown était [traduction] « très favorable » à l’idée (CCD, volume 1, onglet 30). Je ne suis pas certain que M. Brown y était aussi favorable, car il n’avait pas soulevé la question auprès de ses supérieurs avant de faire l’objet de pressions de la part du fonctionnaire provincial. En revanche, le commissaire provincial était clairement intéressé et souhaitait donner suite à la proposition. L’inspecteur des agences indiennes fédéral a répondu dans une lettre datant du 6 juin 1935 que la proposition n’intéressait pas le Canada, car une telle transaction ne procurerait pas un gain important et qu’il faudrait obtenir de la bande qu’elle cède la réserve. Il a également souligné qu’un prolongement anticipé de la ligne de chemin de fer pourrait faire augmenter la valeur des terres et rendre alors la proposition plus facile à réaliser. Il semble que la Colombie‑Britannique soit à l’origine de la proposition de vente et de remplacement, mais à un moment où elle n’intéressait pas le Canada.

[237]  De plus, il s’est avéré que les pressions exercées à l’échelle locale ne visaient pas seulement à permettre à des fermiers non autochtones d’avoir accès à plus de bonnes terres agricoles. Dans une lettre datée du 5 octobre 1945, le directeur intérimaire du ministère des Affaires indiennes a écrit à M. E.J. Paling, secrétaire de la Légion canadienne de Fort St. John, pour l’informer que la réserve de Montney avait été cédée et qu’elle servirait à établir d’anciens combattants démobilisés, mais sous réserve que la province offre des terres de remplacement. Il a également reconnu que cela réglerait le problème des fermiers non autochtones et des colons établis au nord de la réserve de Montney qui étaient coupés de Fort St. John par la réserve (CCD, volume 1, onglet 55).

[238]  Un autre avantage de permettre le développement agricole de la réserve de Montney était la proximité de la réserve avec la route de l’Alaska, qui était alors en construction. L’aménagement de la réserve de Montney profiterait manifestement au développement régional par des habitants non autochtones, notamment en créant des déplacements dans la région et à l’extérieur. La cession et l’aménagement prévu de la réserve de Montney ont également été rapportés dans l’édition du 20 septembre 1945 du journal Alaska Highway News (CCD, volume 1, onglet 53).

[239]  Dans l’édition du 5 avril 1945, le journal Alaska Highway News rapportait que [traduction] « les autorités provinciales ont offert un cadeau de un million d’acres au Dominion pour l’établissement de soldats, avec la clause en béton prévoyant que les terres doivent aller aux anciens combattants de la Colombie‑Britannique » (CCD, volume 1, onglet 47). Les terres proposées seraient situées [traduction] « dans la région de la rivière de la Paix, au nord du pont de la rivière de la Paix ». Ces extraits montrent clairement le vif intérêt de la province à réinstaller d’anciens combattants dans la région. Je conclus que la question de permettre l’établissement d’anciens combattants dans la réserve de Montney était, du point de vue de la province, une question de besoins en matière de services provinciaux et de développement régional, plutôt qu’une question de compétence. Les anciens combattants démobilisés se réinstalleraient dans les villes et cités de la Colombie‑Britannique, chercheraient du travail et une maison et auraient recours aux services provinciaux. Le fait que le projet de la réserve de Montney était un projet fédéral était avantageux pour la province, car il répondait à des besoins provinciaux à même des fonds fédéraux. Je conclus que la Colombie‑Britannique était très engagée dans la réinstallation d’anciens combattants et donc grandement intéressée par la cession et l’aménagement de la réserve de Montney.

[240]  Il importe de noter que la rumeur de la cession et de l’aménagement prévu de la réserve de Montney pour les anciens combattants a été rendue publique en avril 1945 lorsque la Légion canadienne en a été informée, et elle a été plus largement diffusée par l’article de journal du 20 septembre 1945 que je viens de citer. Il faut se rappeler que la Colombie‑Britannique a présenté son offre de vendre les réserves de remplacement au Canada plus de deux ans après, soit le 6 novembre 1947, et que le Canada a accepté l’offre le 26 novembre 1947. À l’échelle locale, les attentes et les efforts de planification avaient dû augmenter pendant cette période. La province et le Canada avaient aussi sûrement fait avancer le projet d’aménagement. Je conclus qu’en date du 26 novembre 1947, la Colombie‑Britannique était effectivement déterminée à ce que la réserve de Montney soit aménagée et qu’elle était très motivée à conclure la transaction. Je conclus également qu’à cette date, le projet avait progressé au‑delà du point de non‑retour sur le plan politique. Si la transaction avait échoué en novembre 1947, il y aurait eu un tel tollé général que les gouvernements auraient été obligés de résoudre leurs différends. La pression exercée sur la province aurait été trop grande pour qu’elle refuse de transférer les droits tréfonciers. Une très petite étendue de terre était en jeu comparativement à l’intérêt public général. Je conclus qu’il était fort probable que la Colombie‑Britannique aurait accepté de transférer au Canada les droits de superficie et les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Si le Canada avait été bien informé et qu’il avait consulté la BFSJB, il est peu probable que la bande aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers. Malgré l’erreur du Canada commise par négligence, la Colombie‑Britannique avait un grand intérêt dans la réinstallation des anciens combattants et, par conséquent, dans l’utilisation de la réserve de Montney à cette fin. La province n’avait pas vraiment de raison de refuser de transférer les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement, d’autant plus que les attentes des citoyens et plusieurs années de planification dans les secteurs privé et public en ce sens auraient été menacées une fois l’erreur découverte.

[241]  Comme l’ont également fait valoir les revendicatrices, le Canada et la Colombie‑Britannique avaient mis fin à une longue période de désaccord concernant les droits tréfonciers en signant la Convention Scott‑Cathcart, en mars 1929, ce qui avait mené la Colombie‑Britannique à transférer au Canada un grand nombre de réserves avec l’ensemble des droits en juillet 1938. Ces transferts ont eu lieu seulement sept ans avant la cession de la réserve de Montney. Le Canada avait refusé de renoncer à exiger cette forme de transfert dans ces cas précédents. Il avait persévéré jusqu’à ce qu’il gagne. Je ne vois pas pourquoi sa position aurait été différente s’il avait été au courant de la réserve des droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement proposée par la Colombie‑Britannique. Comme la Colombie‑Britannique avait cédé sur ce point dans la Convention Scott‑Cathcart, je ne vois pas pourquoi elle aurait finalement refusé la demande du Canada dans le cas d’une étendue de terre relativement petite située dans une région isolée et non propice à l’agriculture et à la croissance démographique. Cela étant, et pour tous les autres motifs exposés, je conclus que l’option d’annuler la transaction visant la réserve de Montney n’entre pas en ligne de compte.

F.  Arguments de l’intimée à l’appui de l’« absence de perte »

[242]  L’intimée a fait des observations détaillées quant à l’effet du transfert des réserves de remplacement sur la capacité des revendicatrices à continuer de se livrer à leur mode de vie traditionnel. Ces observations venaient appuyer son allégation selon laquelle la BFSJB aurait accepté les réserves de remplacement sans les droits tréfonciers, puisque leur conduite après 1947 confirmait qu’elle ne considérait pas le développement souterrain comme étant incompatible avec son mode de vie, ainsi que son allégation voulant que l’absence de droits tréfonciers n’avait pas en fait nui à la capacité de la bande à se livrer à ces pratiques traditionnelles. La première allégation, qui porte sur la question de savoir si la conduite après 1947 devrait guider l’évaluation de la volonté de la bande à accepter la réserve des droits tréfonciers par la province, a déjà été réglée.

[243]  L’affirmation de l’intimée voulant qu’il n’existait aucune preuve de la perte liée aux usages traditionnels nécessite certains éclaircissements. L’intimée a fait valoir que, comme la bande avait conservé son mode de vie traditionnel dans les réserves de remplacement et aux alentours, ce qui, selon elle, était l’objet des réserves de remplacement tel qu’il est établi dans la décision relative au bien‑fondé, elle n’avait, quant à cet objet, subi aucune perte découlant du fait qu’elle n’avait pas les droits tréfonciers. Si aucune perte n’avait été subie relativement à cet objet, alors la perte d’occasion de tirer profit des droits tréfonciers ne constitue ni une catégorie ni un type de perte indemnisable compte tenu des faits particuliers de la présente revendication. Autrement dit, il n’existait peut‑être aucun lien de causalité « logique » entre les actes de l’intimée et la perte alléguée qui justifiait une indemnité en equity.

[244]  Sur le plan des faits, les objectifs de la BFSJB sont énoncés dans la décision relative au bien‑fondé. J’ai déjà conclu qu’en 1947, la BFSJB voulait générer des revenus et conserver son mode de vie traditionnel. Mais, même si la BFSJB n’avait pas eu pour objectif de générer des revenus, aucun précédent n’a été présenté à l’appui de l’idée que les objectifs de la BFSJB devraient limiter les catégories possibles de perte indemnisable de la manière proposée par l’intimée. L’approche adoptée par les revendicatrices est encore plus convaincante : l’intimée avait une norme de conduite à respecter et un mandat à remplir afin de s’acquitter de ses obligations sans y manquer, ce qui, dans les circonstances et si l’intimée s’en était acquittée, aurait donné lieu à l’acquisition de l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement ou, sinon, à l’annulation de la cession de la réserve de Montney. Dans les circonstances et pour les motifs exposés ci‑dessus, la perte d’occasion découlant du manquement est la perte de l’occasion d’acquérir l’ensemble des droits.

[245]  Le lien est clair. En raison des manquements établis, la BFSJB est devenue vulnérable aux décisions et aux actes de la province et de ses titulaires de permis. Il s’agissait d’une conséquence négative grave des manquements du Canada. Le fait que la BFSJB ne soit pas devenue propriétaire des droits tréfonciers en 1947, lorsque leur valeur était relativement faible, est une autre conséquence négative.

[246]  La question de savoir comment quantifier la perte, y compris quelles éventualités réalistes prendre en considération, sera tranchée à la prochaine étape de l’instance. Par conséquent, la question de savoir quelle incidence réelle a eu la propriété des droits tréfonciers par la province sur les activités traditionnelles de la bande depuis l’acquisition des réserves de remplacement n’est pas une question devant être tranchée dans le cadre de la présente sous‑étape.

[247]  Bien que j’aie conclu que ce qui s’est passé concernant la capacité réelle de la bande à continuer de se livrer à ses pratiques traditionnelles au cours des années qui ont suivi n’est pas pertinent pour la décision qui nous concerne, je commenterai la proposition de l’intimée selon laquelle la preuve permet de conclure à l’absence de perte et me pencherai sur le caractère suffisant de la preuve à l’appui de cette proposition, au cas où l’affaire irait plus loin.

[248]  L’intimée s’est fondée sur le témoignage des aînés et du professeur Ridington pour faire valoir que la bande a continué de se livrer à ses pratiques traditionnelles sans interruption ou perturbation après l’attribution des réserves de remplacement. Ainsi, aucune perte de ce type n’a été subie. Les revendicatrices n’avaient pas demandé au professeur de se concentrer sur le mode de vie de la bande après l’attribution des réserves de remplacement, alors il n’y avait aucune analyse à ce sujet dans son rapport écrit ou dans son témoignage principal. Cependant, il a répondu à quelques questions posées par l’intimée, principalement lors du contre‑interrogatoire.

[249]  Il est vrai que les membres de la bande ont continué de chasser, de pêcher et de cueillir des baies après novembre 1947. Je suis certain qu’ils croyaient ainsi poursuivre leurs pratiques traditionnelles. Encore à ce jour, ils respectent leurs traditions en matière de chasse et de cueillette du mieux qu’ils peuvent. Ils continuent également à transmettre d’une génération à une autre les histoires traditionnelles sur la manière de survivre dans le bois, de chasser et de pêcher. Toutefois, je suis assez certain que le mode de vie traditionnel a changé rapidement et considérablement après l’aliénation de la réserve de Montney. D’après le résumé des témoignages ci‑dessus, il semble évident que, bien que la bande pratiquait la pêche, ce n’était pas pareil. Les poissons n’étaient pas nombreux dans les nouvelles réserves. Le Charlie Lake et le Cecil Lake étaient encore les endroits où les poissons étaient les plus accessibles et nombreux. Mais désormais, ces lacs n’étaient plus situés juste à côté des réserves. Bien qu’il y avait des baies dans les réserves de remplacement, leur quantité et leur variété étaient limitées. Il était possible de chasser certains animaux dans les réserves, mais encore là, ils n’étaient pas aussi nombreux et il fallait sortir des réserves et s’éloigner quelque peu pour les trouver. Il n’y avait pas d’ours dans les réserves. Ceux‑ci (utilisés pour leur viande et leur graisse) étaient particulièrement nombreux dans la réserve de Montney, mais n’étaient plus chassés régulièrement après l’aliénation de la réserve de Montney.

[250]  L’aîné de Doig, M. Billy Attachie, a témoigné que des membres de la bande avaient défriché des terres sur la RI no 204 à des fins agricoles. Ils ont essayé d’élever du bétail, ce qui n’a apparemment pas fonctionné. Ils ont également tenté de cultiver la terre, ce qui n’a pas non plus été fructueux. Au moment du témoignage de M. Attachie, aucun effort ne semblait être consacré à l’agriculture. M. Attachie a expliqué que l’accès à la région était difficile en raison des chaussées qui avaient été emportées par l’eau et il a parlé de la difficulté à [traduction] « cultiver quoi que ce soit » (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 10‑11).

[251]  La bande a continué d’organiser des rassemblements, à Petersen’s Crossing et aux réserves de remplacement, après le transfert de la réserve de Montney au Directeur des terres destinées aux anciens combattants. Je ne suis toutefois pas convaincu que ces rassemblements étaient pareils aux grands rassemblements de la nation Dane‑zaa qui étaient coutumes dans la réserve de Montney. Il était question de [traduction] « pow‑wow », où les gens dansaient, chantaient et avaient du plaisir. Mais, il n’y avait aucune preuve des plus grands rassemblements de Dane‑zaa, avec des [traduction] « danses du thé » rassemblant toute la communauté, comme c’était le cas auparavant dans la réserve de Montney. Selon toute vraisemblance, les rassemblements réunissaient la BFSJB et quelques membres des bandes Dane‑zaa habitant à proximité, ou les membres de la bande Blueberry et de la bande de Doig après la division de la BFSJB en deux bandes distinctes. À quel endroit un groupe d’une certaine importance se serait‑il réuni avant que les bandes aient commencé à s’installer dans les réserves de remplacement? Les bandes ont continué de profiter de la présence et du leadership d’un rêveur lors de leurs rassemblements, car le dernier rêveur, M. Charlie Yahey (1884‑1976), est né au sein de la BFSJB et était membre de la bande Blueberry lorsque la BFSJB s’est divisée (rapport de M. Ridington, à la p 10).

[252]  Je ne suis pas persuadé qu’un peu de chasse, un peu de pêche, un peu de cueillette de baies et quelques rassemblements représentaient le mode de vie traditionnel tel qu’il était compris et pratiqué alors que la réserve de Montney était encore la réserve de la BFSJB. Après la perte de la réserve de Montney et alors qu’elle vivait principalement près de Petersen’s Crossing, la bande a continué ses cycles du mieux qu’elle le pouvait, mais pas dans la réserve de Montney et principalement durant les mois de juillet et d’août. Comme l’a déclaré le professeur Ridington dans son témoignage, il s’agissait de cycles différents, et la bande tirait parti des ressources du mieux qu’elle le pouvait.

[253]  Après la cession de la réserve de Montney, la bande s’est installée sur des terres dans la région de Petersen’s Crossing, qui était située pas très loin de la réserve de Montney et des lacs de pêche. Le professeur Ridington a témoigné qu’il n’y avait réellement nulle part d’autre où elle pouvait s’établir. Petersen’s Crossing était un pont. Un magasin était également situé tout près. M. Sam Acko s’est rappelé que sa famille achetait de la farine, de la levure chimique, du saindoux de Tenderflake, de la soupe poulet et nouilles, du macaroni et du riz au milieu des années 1950. Selon lui, il s’agissait des principaux composants de leur alimentation (transcription de l’audience, 27 juin 2017, aux pp 84‑85). Cela laisse supposer que la famille s’éloignait des aliments de subsistance dont elle se nourrissait traditionnellement. Pour ce faire, la bande a dû compter davantage sur les revenus de piégeage. Comme l’indique également la correspondance ministérielle interne, les gens ont dû aller chercher du travail dans des fermes ou d’autre travail dans la région (p. ex., la construction de la route de l’Alaska tout près) pour gagner un revenu.

[254]  Mais surtout, en 1950, le Canada a construit un externat à Petersen’s Crossing et a exigé que les enfants de la bande le fréquentent jusqu’à l’âge de 16 ans, de septembre à juin. Mme Margaret Davis a témoigné qu’on avait dit aux gens que leurs enfants leur seraient enlevés et envoyés loin s’ils ne fréquentaient pas l’externat à Petersen’s Crossing (transcription de l’audience, 27 juin 2017, à la p 66). Par conséquent, les femmes et les enfants devaient rester là pendant neuf à dix mois de l’année. Les hommes s’occupaient des territoires de piégeage pendant les mois d’hiver et revenaient à la maison de temps à autre dès qu’ils le pouvaient. Ils chassaient et pêchaient de la même façon pendant les mois autres que les mois d’hiver. Pendant deux mois, ils pouvaient faire des cycles en groupe et chassaient et cueillaient des baies aussi loin à l’est qu’à la frontière de l’Alberta. Par nécessité, cependant, il s’agissait d’un mode de vie très différent, et les cycles étaient grandement modifiés et limités.

[255]  Après l’aliénation de la réserve de Montney, la bande a continué d’avoir des habitations hivernales près des territoires de piégeage, et certains membres de la bande y habitaient probablement pendant une grande partie de l’année s’ils n’avaient pas d’enfants d’âge scolaire. Ils avaient choisi d’y habiter, car peu de ressources étaient accessibles près de Petersen’s Crossing. Par exemple, M. Sam Acko a témoigné que son frère aîné vivait près de ce qui deviendrait la réserve de Doig. La famille de Sam dépendait de ce fils aîné pour rapporter du bois de chauffage, ce qu’on ne trouvait pas à Petersen’s Crossing, et pour garder les chevaux, ce qui était également impossible à Petersen’s Crossing.

[256]  Le Canada a transféré la réserve de Montney au Directeur des terres destinées aux anciens combattants en 1948, et en 1950, ce dernier avait transféré tous les lots, sauf six, aux anciens combattants. Le Canada n’a mis de côté les réserves de remplacement que le 25 août 1950. La bande aurait ainsi probablement commencé à se réinstaller près de Petersen’s Crossing en 1947, en 1948 ou plus tôt. Ce n’est pas avant 1962 que les membres de la bande ont commencé à déménager dans les réserves de remplacement, lorsque le Canada a construit une école dans la réserve de Doig et a commencé à construire des logements. Jusqu’alors, les gens vivaient principalement près de la région de Petersen’s Crossing, squattant les terres (ils n’avaient réellement nulle part ailleurs où aller) et envoyant leurs enfants à l’externat, comme ils le devaient. Tout comme la nature des cycles traditionnels du printemps, de l’été et de l’automne a changé considérablement après la cession de la réserve de Montney, il en va de même pour les grands rassemblements du peuple Dane‑zaa, qui ont cessé. Rien n’indique que les grands rassemblements traditionnels d’été des Dane‑zaa aient continué après la cession de la réserve de Montney.

[257]  En consentant à la cession, la bande a sûrement cru qu’elle serait capable de se rassembler dans les réserves de remplacement. Cependant, le délai entre le moment où les réserves ont été attribuées et le moment où les membres de la bande ont concrètement pu y emménager (étant donné que les enfants devaient fréquenter l’école à Petersen’s Crossing) a nui à l’usage des réserves par la bande. Il ne servait à rien de s’établir dans les nouvelles réserves avant la construction de l’école en 1962.

[258]  Je conclus que le long délai entre le moment où la bande a été déplacée de la réserve de Montney et le moment où elle a pu s’établir dans les réserves de remplacement a eu une grande incidence négative sur les pratiques et le mode de vie traditionnels de la bande. Si le déménagement de la réserve de Montney aux réserves de remplacement s’était déroulé sans heurts, son incidence aurait peut‑être été beaucoup moins grave, et la bande aurait peut‑être pu s’adapter, comme elle devait sûrement s’attendre à devoir faire. L’obligation pour les enfants de la bande de fréquenter l’école à Petersen’s Crossing a également gêné le processus de déménagement et de transition. C’était comme si ce qu’elle recevait d’un côté lui était enlevé de l’autre. L’attitude du ministère a été attestée par la recommandation formulée en octobre 1943 par l’inspecteur des agences indiennes, M. C.P. Schmidt (CCD, volume 3, onglet 114) :

[traduction]

Un pensionnat, qui devrait être situé dans ce quartier de la ville de Fort St. John, améliorerait la situation. On y prendrait soin des enfants, on leur enseignerait les mesures sanitaires, autant pour les gens que pour la nourriture, et on les sensibiliserait à la tuberculose et aux autres maladies. Selon moi, un pensionnat est la meilleure manière pour que ces Indiens deviennent de bons citoyens en santé.

[259]  Il ne fait aucun doute que la BFSJB a vécu d’importants changements dans son mode de vie. Le mode de vie traditionnel décrit par le professeur Ridington et étayé par le témoignage des aînés s’est transformé en raison des divers facteurs exposés par la Couronne lors de son contre‑interrogatoire des témoins et par le chef Yahey dans son témoignage.

[260]  Il est clair que la croissance de la population non autochtone, la colonisation et le développement de la région ont également eu un effet sur le mode de vie traditionnel de la bande. Dans une entrevue enregistrée en 2006 par le professeur Ridington (CCD, volume 2, onglet 107), M. Tommy Attachie a décrit les cycles de la bande après 1950. Il a également brièvement commenté les changements dont il a été témoin au cours des années, parlant notamment de la présence de puits de pétrole et de fermiers à des endroits où la bande campait autrefois. Manifestement, le temps et la modernisation ont changé le mode de vie de la bande. À un certain moment, les chevaux ont cédé leur place aux automobiles, probablement de façon progressive. En raison de l’aménagement des terres et de l’agriculture dans la région, il est devenu de plus en plus difficile de vivre selon les cycles traditionnels. Comme l’a mentionné M. Tommy Attachie, les terrains de campement traditionnels sont devenus occupés par des colons. Selon le professeur Ridington, les colons ont également épuisé l’approvisionnement en poissons dans le Charlie Lake, et la construction d’un barrage à l’extrémité du lac a nui encore plus à la situation.

[261]  Dans son témoignage, le chef Yahey de la bande de Blueberry a relaté [traduction] « l’explosion » d’un puits survenue dans la RI no 205 en juillet 1979, laquelle avait forcé l’évacuation de la communauté et causé de sérieux dommages environnementaux. Par conséquent, la communauté de Blueberry a été déplacée de plusieurs kilomètres en amont de la rivière en 1983 ou en 1984. Plus tard, une autre explosion dans une usine à gaz située près de la réserve a obligé encore une fois la communauté à quitter les lieux. Même après ces incidents, plusieurs autres évacuations ont eu lieu, et le système d’alarme de la communauté se faisait parfois entendre lorsque le pétrole ou le gaz causaient des problèmes environnementaux. Le chef Yahey s’est également rappelé qu’on avait averti les enfants de ne pas jouer près des installations pétrolières et gazières situées dans la réserve. En tout, 88 puits ont été forés dans la RI no 205, et 10 dans les RI nos 204 et 206. Il y avait également des indices de forage sous la RI no 205 à partir de terres adjacentes situées à l’extérieur de la réserve. Bien que 80 % des puits aient été forés après 1977, leur présence doit avoir été importante. Il est impossible de croire que les activités pétrolières et gazières n’ont eu aucune incidence importante sur le mode de vie, traditionnel ou pas, dans les réserves.

[262]  Le temps a également constitué une menace pour l’identité culturelle des bandes. Bien que certains aînés travaillent fort pour préserver les chansons, les tambours et les danses traditionnels, ils font face à un grand défi. Il n’y a actuellement aucun rêveur au sein des bandes. M. Billy Attachie a également parlé de la perte de la langue castor et de ses nombreuses années d’efforts à essayer de la retrouver, de la préserver et de la transmettre. Il a également témoigné qu’il essaie avec d’autres de concevoir une application informatique pour tenter d’inciter les jeunes à apprendre la langue. Autrement dit, les jeunes s’identifient dorénavant au monde numérique, ce qui nuit certainement aux pratiques traditionnelles. Comme les temps ont changé depuis novembre 1947!

[263]  Je n’ai pas fait ces observations pour préjuger de la nature des changements, de leur cause ou de leur effet, notamment parce que cela pourrait avoir des incidences sur l’indemnisation. Selon moi, la preuve ne visait pas à évaluer la ou les causes des changements examinés. Les revendicatrices ont présenté leur expert et d’autres témoins pour établir d’importance centrale de la réserve de Montney dans le mode de vie de la BFSJB et des Dane‑zaa en général. En contre‑interrogeant ces témoins, l’intimée a tenté d’établir que la bande a continué en fait de se livrer à son mode de vie traditionnel pour venir appuyer ses observations ultérieures voulant qu’aucune perte n’a été subie du fait que les réserves de remplacement ne comprenaient pas les droits tréfonciers. Je reconnais que la réserve de Montney était au centre du mode de vie de la BFSJB, comme je l’ai déjà dit. Mais pour les motifs exposés, la preuve ne me permettait pas de conclure qu’aucune perte n’avait été subie. Pour trancher cette question, un examen des faits plus approfondi serait nécessaire. Le mode de vie des revendicatrices a changé considérablement, et il semble que de nombreuses raisons pourraient expliquer ces changements. La vie de la BFSJB a beaucoup changé après l’aliénation de la réserve de Montney. Dans tous les cas, cette question n’était pas pertinente pour l’enquête tenue par le Tribunal dans le cadre de la présente sous‑étape relative à l’indemnisation. Elle pourrait être importante pour l’évaluation et la quantification de la perte à la prochaine étape. Mais, ce sera pour un autre jour.

IX.  Conclusion

[264]  Pour ces motifs, je conclus que la bande et ses successeures ont reçu sans le savoir moins que ce qu’elles auraient vraisemblablement accepté si elles avaient été pleinement informées. S’il n’avait pas manqué à ses obligations, le Canada aurait probablement convaincu la Colombie‑Britannique de transférer les droits tréfonciers afférents aux réserves de remplacement. Pour les motifs exposés, je conclus également que, sans ce manquement et selon la prépondérance des probabilités, les revendicatrices auraient obtenu les droits tréfonciers. Le fait de ne pas avoir acquis les droits tréfonciers est directement lié au manquement. La perte d’occasion découlant des manquements constatés dans la décision relative au bien‑fondé est la perte de l’occasion d’obtenir l’ensemble des droits afférents aux réserves de remplacement, y compris les droits tréfonciers. La perte à quantifier à la prochaine étape peut donc inclure les pertes liées au fait de ne pas avoir acquis les droits tréfonciers en plus des droits de superficie.

W. L. WHALEN

L’honorable W. L. Whalen

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid‑Triantafyllos


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20180814

Dossier : SCT‑7007‑11

OTTAWA (ONTARIO), le 14 août 2018

En présence de l’honorable W. L. Whalen

ENTRE :

PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Revendicatrice

et

PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocates de la revendicatrice PREMIÈRE NATION DE DOIG RIVER

Représentée par Me Allisun Rana, Me Patricia MacIver et Me Emily Grier

Rana Law

ET AUX :

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER

Représentée par Me James Tate et Me Peter Millerd

Ratcliff & Company LLP

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Me Mary French et Me Josef Rosenthal

Ministère de la Justice

 

 

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