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DOSSIER : SCT-7002-14

TRADUCTION OFFICIELLE

RÉFÉRENCE : 2018 TRPC 2

DATE : 20180201

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

Bande indienne de Siska

Revendicatrice

 

Me Darwin Hanna, Me Caroline Roberts, Me Mary Mollineaux et Me Rhaea Bailey, pour la revendicatrice

– et –

 

 

Sa Majesté la Reine du chef du Canada

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Me Dennis Hill, Me Rachel Enoch et Me Heather Frankson, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE : Les 17 mai 2016, 19 et 20 septembre 2016, 24 au 28 avril 2017 et 10 octobre 2017.

motifs de LA DÉCISION

L’honorable Harry Slade, président

 


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Conseil de la bande dénée de Ross River c Canada, [2002] 2 RCS 816, 2002 CSC 54; Canadien Pacifique Limitée c Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 CF 325, 1999 CanLII 9362; Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4e) 321; Canada c Première nation de Kitselas, 2014 CAF 150, [2014] 4 CNLR 6; Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 1; Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 153 DLR (4e) 193; Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511.

Lois citées :

Acte des chemins de fer de l’Etat, SC 1881 (44 Vict), c 25, art 2, 5 et 10.

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, LRC 1985, Appendice II, Nº 10, art 11 et 13.

Loi constitutionnelle de 1867, art 91.

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22, art 14 et 20.

Acte des Sauvages, SC 1876, c 18.

Acte relatif aux Sauvages, SC 1880, c 28.

Acte refondu des chemins de fer, SC 1879 (42 Vict), c 9, art 9.

Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique, SC 1881 (44 Vict), c 1, art 5, Annexe.

Proclamation royale de 1763.

Loi constitutionnelle de 1982, art 35.

Loi concernant les sauvages, LRC 1906, c 81, art 48.

Doctrine citée :

Le Grand Robert de la langue française, édition en ligne, sous l’entrée « plateforme ».

Master Linda Abrams, Kevin McGuinness et Jay Brecher, Halsbury’s Laws of Canada - Civil Procedure (réédition de 2017).

Sommaire :

Droit autochtone – revendication particulière – prises de terres – emprise de chemin de fer – création de réserves – zone des chemins de fer – obligation de fiduciaire

La présente revendication particulière découle de l’« expropriation » alléguée, en 1885, de terres de mises de côté à titre de réserves pour la bande indienne de Siska en 1878 aux fins du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP).

La revendicatrice allègue le défaut de la Couronne de respecter ses obligations légales relativement à deux réserves mises de côté en juin 1878 à l’usage et au profit de la bande indienne de Siska. Les deux réserves sont délimitées d’un côté par le fleuve Fraser, et situées dans une zone montagneuse au sud de Lytton, en Colombie-Britannique. Toutes les deux étaient traversées par une emprise ferroviaire établie en 1885 sous le régime de l’Acte des chemins de fer de l’Etat, SC 1881 (44 Vict), c 25 [Acte des chemins de fer de l’Etat] afin de permettre la construction du chemin de fer national. Des terres des réserves ont été concédées au Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) au début des années 1900.

Au soutien de sa revendication, la revendicatrice invoque plusieurs motifs fondés sur le paragraphe 14(1) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [LTRP], dont au premier chef le motif visé à l’alinéa 14(1)d) :

14 (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

[…]

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve;

La revendicatrice réclame également une indemnité en vertu des alinéas 20(1)g) et h) de la LTRP. Dans le cas où « le revendicateur a établi que les terres visées par la revendication n’ont jamais été cédées légalement, ou autrement prises par autorisation légale », ces dispositions prévoient l’octroi d’une indemnité calculée en fonction de la valeur actuelle des terres et de la perte d’utilisation de celles-ci.

La présente procédure est scindée en deux étapes, soit celle du bien‑fondé et, si la revendication est jugée fondée, celle de l’indemnisation. En l’espèce, le Tribunal conclut au bien‑fondé de la revendication, pour plusieurs motifs.

Le Tribunal a rejeté la thèse de l’intimée selon laquelle l’affectation, en 1885, de terres de la Couronne aux fins de l’établissement d’une emprise ferroviaire en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat constituait une prise des intérêts de la revendicatrice dans les réserves. Il a conclu que l’Acte des chemins de fer de l’Etat ne permettait pas la prise de terres appartenant déjà à la Couronne fédérale. Ainsi, aucune prise des intérêts de Siska dans les réserves n’a eu lieu. En réalité, l’Acte des chemins de fer de l’Etat avait plutôt pour effet de permettre la construction d’un chemin de fer qui, une fois construit, devait être transféré au CFCP, ainsi que l’exigeait le Contrat avec le CFCP. Il établissait la capacité du gouvernement de construire ce chemin de fer dans une zone communément appelée emprise.

Même si le droit de possession de la revendicatrice à l’égard des terres visées par l’emprise a été touché, tel n’a pas été le cas de son intérêt dans ces terres. La « création » ultérieure des réserves en 1911, d’après un levé d’arpentage tenant compte du plan et de la description par tenants et aboutissants qui appuyaient l’attribution de 1878, et la superficie en acres des terres demeurée inchangée, ont rendu impossible la conclusion que les terres de l’emprise ont été prises par voie d’expropriation en 1885.

Le contrat conclu entre le Canada et le CFCP prévoyait le transfert du titre sur le chemin de fer que le gouvernement avait construit à l’intérieur des limites de l’emprise. Par ailleurs, l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique, SC 1881 (44 Vict), c 1 [Acte du CFCP] autorisait l’octroi des terres au CFCP. Les concessions par lettres patentes qui étaient censées transférer le titre ont été délivrées en 1912, 1927 et 1928. Toutefois, l’Acte refondu des chemins de fer, SC 1879 (42 Vict), c 9 [Acte refondu des chemins de fer] interdisait l’aliénation d’intérêts dans des terres de la Couronne concédées aux compagnies de chemin de fer. Par conséquent, l’octroi au CFCP d’un titre absolu était dénué de fondement légal. Le CFCP n’avait droit à rien de plus qu’une servitude. Étant donné que l’Acte du CFCP ne l’emportait pas sur la restriction à l’aliénation établie par l’Acte refondu des chemins de fer, les concessions n’étaient pas autorisées par la loi. Ce fait demeurait, indépendamment de la question de savoir si les réserves tombaient sous le coup de la Loi sur les Indiens au moment de l’octroi des concessions.

Le Tribunal a conclu que, le 29 décembre 1911, le gouvernement du Canada a accepté les réserves comme relevant de sa responsabilité pour l’application de la Loi sur les Indiens. Les concessions ont donc été octroyées contrairement aux dispositions sur les cessions contenues dans cette même loi. La Loi sur les Indiens aurait autorisé la prise d’un intérêt moindre qu’un titre de propriété; dans cette hypothèse, le Canada aurait pu s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 11 des Conditions de l’adhésion, 1871, sans contravention à un texte de loi ou manquement à une obligation.

Le Tribunal a également estimé que les actes de concession étaient censés transférer une étendue de terres qui dépassait celle permise par l’Acte refondu des chemins de fer, de telle sorte qu’ils n’étaient pas autorisés par la loi. La construction du chemin de fer était, en revanche, autorisée par l’Acte des chemins de fer de l’Etat.

 Dans la mesure où une quantité de terres plus grande que celle nécessaire pour les besoins du chemin de fer a été accordée, la Couronne a manqué à son obligation fiduciaire d’agir dans l’intérêt de la bande de Siska. Cette obligation comprenait le devoir de protéger la bande et de lui garantir l’accès à ses stations de pêche.

La revendicatrice a établi le bien‑fondé de sa revendication au regard des alinéas 14(1)b), c) et d) de la LTRP. En conséquence, les dispositions sur l’indemnisation correspondantes, au paragraphe 20(1), s’appliquent.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. LA REVENDICATION  9

II. historIQUE DES PROCÉDURES  9

III. introduction  9

IV. LES MOTIFS DE LA REVENDICATION  11

V. position DES parties  14

A. La revendicatrice  14

B. L’intimée  15

VI. TÉMOIGNAGES  16

A. Témoins issus de la communauté  16

1. Le chef Fred Sampson  16

2. Maurice Michell  18

B. Exposé conjoint des faits  19

C. Les rapports d’experts  19

1. Mme Catherine Schmid  19

2. M. Derek Martin  20

VII. LES QUESTIONS EN LITIGE  23

VIII. Les actes de la Couronne (1881 À 1930) et les réserves de Siska : RÉSUMÉ  23

IX. L’établissement de l’emprise ferroviaire en 1885 ou les concessions octroyées au CFCP par la suite ont-ils eu pour effet de créer des intérêts fonciers AYANT supplanté l’intérêt DE Siska dans les réserves provisoires ou LES RÉSERVES créées?  28

A. Les intérêts autochtones à l’égard de terres mises de côté à titre de réserve  28

B. L’« achat » de réserves situées dans la zone des chemins de fer  29

C. Les réserves « créées »  31

D. L’Acte des chemins de fer de l’Etat  33

E. Les mesures prises pour l’établissement du chemin de fer en tant que propriété du CFCP  36

F. Résumé  37

G. Les concessions accordées au CFCP  38

H. Les concessions étaient-elles nulles?  41

I. Quelle forme de tenure, le cas échéant, le CFCP a-t-il obtenue?  42

X. LARGEUR EXCESSIVE  42

XI. Indemnité pour disposition illégale  45

XII. LA CRÉATION DES RÉSERVES DANS LA zone des chemins de fer  46

A. Création des réserves en général : le critère juridique  46

B. La création des réserves dans la zone des chemins de fer  48

1. La distinction d’avec Wewaykum  48

2. La création des réserves  49

a) L’intention mutuelle  49

C. Les intentions de la province et du Canada concernant la création des réserves  50

1. La Commission mixte des réserves indiennes (CMRI)  50

2. L’autorité suffisante d’un représentant de la Couronne  51

3. L’acceptation par la bande de Siska  52

4. La création unilatérale d’une réserve  52

5. L’attitude récalcitrante de la province  53

6. La Commission McKenna-McBride  56

7. L’intention mutuelle : l’examen de Ditchburn et Clark  57

8. La Convention Scott-Cathcart  60

D. Analyse et conclusion  62

XIII. L’OBLIGATION DE FIDUCIAIRE  67

A. L’intérêt autochtone à l’égard des réserves provisoires  67

B. L’obligation de fiduciaire avant la création des réserves  73

C. Les raisons justifiant l’attribution des réserves  76

D. Les concessions accordées au CFCP  76

XIV. L’INTÉRÊT NATIONAL  79

XV. ConsentEMENT, la couronne y souscrivant (2004)  80

XVI. LE BIEN‑FONDÉ de la revendication au titre de l’alinéa 14(1)d)  81

XVII. LA NÉCESSITÉ D’UNE CESSION  82

XVIII. RÉSUMÉ  83

XIX. Conclusion  85


 

I.  LA REVENDICATION

[1]  La présente revendication particulière découle de l’« expropriation » alléguée, en 1885, de terres mises de côté en 1878 à titre de réserve pour la bande indienne de Siska. Les terres en cause, soient des parties de la réserve indienne Zacht n° 5 et de la réserve indienne Nahamanak no 7 (les « réserves »), sont situées dans les limites d’une emprise ferroviaire établie en 1885 en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat, SC 1881 (44 Vict), c 25 [Acte des chemins de fer de l’Etat].

II.  historIQUE DES PROCÉDURES

[2]  En 1991, la bande indienne de Siska a déposé auprès du ministre une revendication particulière dans laquelle elle alléguait que la Couronne avait manqué à ses obligations légales relativement à l’emprise ferroviaire qu’elle avait établie pour la Compagnie de Chemin de fer du Canadien Pacifique (le « CFCP »).

[3]  Près de 20 ans plus tard, la revendication n’était toujours pas réglée. La revendicatrice l’a donc déposée au greffe du Tribunal le 1er mai 2014 (la « revendication », dans sa version modifiée le 9 février 2017).

[4]  Les parties ont consenti à diviser la revendication en deux étapes : celle du bien‑fondé et celle de l’indemnisation. Les présents motifs portent sur l’étape du bien‑fondé de la revendication.

III.  introduction

[5]  En l’espèce, il est nécessaire de concilier des intérêts garantis par deux dispositions des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique de 1871, LRC 1985, Appendice II, Nº 10 [Conditions de l’adhésion], à savoir les articles 13 et 11, qui ont tous les deux un caractère constitutionnel.

[6]  D’une part, le gouvernement fédéral s’engageait à construire un chemin de fer « en vue d’assurer la liaison entre la côte de la Colombie-Britannique et le réseau ferroviaire canadien, les travaux devant être achevés dans les dix ans suivant [la date de l’union] » (Conditions de l’adhésion, art 11).

[7]  Et, d’autre part, le gouvernement fédéral prenait en charge « [l]es affaires indiennes ainsi que la gestion en fiducie des terres réservées à l’usage et au bénéfice des Indiens » (Conditions de l’adhésion, art 13).

[8]  L’ancienne colonie de la Colombie-Britannique (la « colonie ») avait déjà, avant la Confédération, mis de côté des terres destinées à devenir des réserves. Au lendemain de l’entrée de la colonie dans la Confédération, le Canada, en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, avait désormais compétence à l’égard des « Indiens et [d]es terres réservées pour les Indiens ». La nouvelle province de la Colombie‑Britannique et le Canada ont donc entrepris un processus d’attribution des réserves ainsi que de transfert, de la province au Canada, des titres sur les terres de réserve, terres que le Canada devait détenir en fiducie pour les Indiens. De telles mesures s’imposaient, puisque le titre de la Couronne sur les terres comprises dans les limites de la province appartenait toujours à celle-ci, à une exception près.

[9]  Cette exception résidait dans les terres situées à l’intérieur des limites de la « zone des chemins de fer ». L’article 11 des Conditions de l’adhésion exigeait de la Colombie-Britannique qu’elle transfère au gouvernement fédéral « vingt (20) milles de chaque côté de cette ligne […] pour aider à la construction de ce chemin de fer ». Les terres visées, qui étaient réputées avoir été transférées au Canada en décembre 1883, étaient désignées sous le vocable de « zone des chemins de fer ». Au moment du transfert de cette zone de la province au Canada, le titre sur les terres des réserves sises le long du fleuve Fraser a été transmis au Canada, de sorte que la province n’avait plus aucun titre de propriété sur celles‑ci.

[10]  Les réserves avaient auparavant été attribuées par Gilbert Malcolm Sproat, le commissaire aux réserves indiennes nommé conjointement par la province et le Canada. En 1878, Sproat avait délimité, décrit au moyen d’un plan et attribué à la bande de Siska les réserves indiennes Zacht no 5 et Nahamanak no 7.

[11]  Le décret C.P. 1935-1886 autorisait le transfert, à la Compagnie de Chemin de fer du Canadien Pacifique (le « CFCP »), des tronçons du chemin de fer du Canadien Pacifique construits par le Canada.

[12]  Par ailleurs, des lettres patentes censées transférer au CFCP les titres en fief simple relatifs à l’emprise ferroviaire dans les réserves ont été délivrées à différents moments entre 1912 et 1928.

[13]  Depuis 1885 environ, et jusqu’à ce jour, le CFCP est en possession des terres constituant l’emprise du chemin de fer, notamment celles qui se trouvent dans les réserves situées le long du fleuve Fraser, et qui appartiennent à la revendicatrice et à d’autres Premières Nations.

[14]  Les questions que le Tribunal est appelé à trancher sont liées aux effets juridiques des mesures qui ont été prises par la Couronne, le Canada, de telle manière que le droit de la revendicatrice à l’utilisation et à la jouissance exclusives des terres de réserve de Siska s’est retrouvé entièrement écarté au profit du CFCP.

[15]  Note explicative : dans les présents motifs, les termes « Siska », « bande de Siska », « bande » et « revendicatrice » sont utilisés indifféremment; il en va de même pour les termes « RI Zacht no 5 », « RI no 5 » et, selon le contexte, « RI Nahamanak no 7 » et « RI no 7 ». Quant au terme « réserves », il s’entend des deux réserves en cause. Enfin, le terme « emprise » est utilisé pour désigner les terres des réserves sur lesquelles le Canada a construit le chemin de fer.

IV.  LES MOTIFS DE LA REVENDICATION

[16]  La revendicatrice cherche à établir les faits sur lesquels se fonde la revendication, et qui sont énoncés aux alinéas 14(1)b) à e) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, c 22 [ltrp] :

14 (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

[…]

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d’une colonie de la Grande‑Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada;

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve;

e) l’absence de compensation adéquate pour la prise ou l’endommagement, en vertu d’un pouvoir légal, de terres d’une réserve par Sa Majesté ou un organisme fédéral;

[17]  En ce qui concerne la réserve indienne Nahamanak no 7, l’intimée reconnaît le bien-fondé de la revendication au titre de l’alinéa 14(1)e), dans la mesure où l’indemnité ayant été accordée pour l’emprise du chemin de fer était insuffisante. Les parties se sont entendues sur un montant qu’elles estiment adéquat, et qui est basé sur la valeur marchande, en 1885, des terres de la RI no 7 touchées par l’emprise. L’intimée a également admis avoir manqué à son obligation de fiduciaire, obligation visée à l’alinéa 14(1)c), mais seulement pour avoir omis, en 1925, de créditer au compte en fiducie de Siska les intérêts accumulés sur l’indemnité versée à celle-ci pour l’emprise parcourant la RI no 5.

[18]  Dès lors qu’une revendication est jugée fondée, le paragraphe 20(1) de la LTRP s’applique en matière d’indemnité. En cas de prise ou d’endommagement des terres en vertu d’un pouvoir légal, sans qu’il y ait eu compensation adéquate, les dispositions applicables sont les alinéas e) et f) du même paragraphe :

20 (1) Lorsqu’il statue sur l’indemnité relative à une revendication particulière, le Tribunal :

[…]

e) dans le cas où le revendicateur a établi que certaines terres de réserve ont été prises par autorisation légale et qu’une indemnité inadéquate lui a été accordée en échange, accorde une indemnité, égale à la valeur marchande de ces terres au moment où elles ont été prises ajustée à la valeur actuelle des pertes conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires;

f) dans le cas où le revendicateur a établi que certaines terres de réserve ont été endommagées par autorisation légale et qu’une indemnité inadéquate lui a été accordée à cet égard, accorde une indemnité, égale à la valeur des dommages subis ajustée à la valeur actuelle des pertes conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires; […]

[19]  Toutefois, pour les fins de cette première des deux étapes de l’instance, la question du bien‑fondé de la revendication ne se trouve pas résolue du seul fait de l’admission, par l’intimée, du bien‑fondé de la revendication au titre de l’alinéa 14(1)e). En effet, la revendicatrice demande aussi au Tribunal de conclure au bien‑fondé de sa revendication au regard des alinéas b), c) et d) :

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d’une colonie de la Grande-Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada;

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve; […]

[20]  À la présente étape de la revendication, la question qu’il nous faut trancher est donc celle‑ci : la revendicatrice a-t-elle réussi à démontrer que la Couronne a manqué à ses obligations légales relativement à l’un ou l’autre des faits énoncés aux alinéas 14(1)b), c) et d) de la LTRP?

[21]  Selon le motif fondé sur l’alinéa 14(1)b), l’occupation des terres par l’emprise ferroviaire, de même que l’octroi de tenures au CFCP, étaient non seulement contraires à l’Acte des Sauvages, SC 1876, c 18 [Acte des Sauvages, 1876] et aux autres versions de cette loi adoptées par la suite, puisqu’il ne s’agissait pas de cessions, mais ils allaient à l’encontre des dispositions de la LTRP concernant la prise de terres. En effet, les dispositions en matière de cession de la Loi sur les Indiens exigeaient que les membres de la bande consentent à la cession de l’intérêt en fief simple censément transféré au CFCP par les lettres patentes délivrées en 1912, 1927 et 1928.

[22]  Le motif fondé sur l’alinéa 14(1)c), quant à lui, repose sur le manquement à des obligations de fiduciaire découlant de l’article 13 des Conditions de l’adhésion, de même que sur le pouvoir discrétionnaire de la Couronne et sur l’intérêt identifiable de la revendicatrice.

[23]  À supposer que les faits visés à l’alinéa 14(1)d) soient établis, la revendicatrice sollicitera l’application des alinéas 20(1)g) et h) aux fins de la détermination de l’indemnité à accorder :

g) dans le cas où le revendicateur a établi que les terres visées par la revendication n’ont jamais été cédées légalement, ou autrement prises par autorisation légale, accorde une indemnité, égale à la valeur marchande actuelle de ces terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps;

h) dans le cas où le revendicateur a établi qu’il a perdu l’usage des terres visées à l’alinéa g), accorde une indemnité, égale à la valeur de la perte de cet usage ajustée à la valeur actuelle des pertes conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires;

V.  position DES parties

A.  La revendicatrice

[24]  La revendicatrice a essentiellement adopté la position selon laquelle les réserves ont été pleinement créées en droit lors de leur attribution, en 1878. Si cette thèse est juste, c’est l’Acte des Sauvages, 1876, avec ses modifications et dans ses versions successives, qui s’appliquera à l’égard de la disposition d’intérêts détenus dans les réserves.

[25]  La revendicatrice soutient par ailleurs qu’à l’époque des faits, rien, dans l’Acte relatif aux Sauvages, SC 1880, c 28 [Acte relatif aux Sauvages, 1880] n’autorisait la prise de l’intérêt prétendument concédé au CFCP (fief simple) en l’absence de consentement de la bande. S’il est vrai que des versions ultérieures de la Loi sur les Indiens permettaient, avec le consentement du gouverneur en conseil, l’expropriation de terres de réserve par des entités ayant un pouvoir d’expropriation conféré par la loi, l’intérêt ainsi « exproprié » ne pouvait déborder les limites autorisées par la loi.

[26]  La revendicatrice ajoute que l’intérêt dans les terres censé avoir été octroyé au CFCP n’aurait pu être validement établi que par voie de cession et avec le consentement des membres de la bande, en application de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880.

[27]  Si tant est que les expropriations se soient fondées sur l’Acte refondu des chemins de fer, SC 1879 (42 Vict), c 9 [Acte refondu des chemins de fer], les concessions accordées excédaient les limites des pouvoirs attribués au gouverneur en conseil par la Loi sur les Indiens, dans la mesure où les pouvoirs prévus par l’Acte refondu des chemins de fer limitaient « l’expropriation » à l’octroi d’une servitude.

[28]  Aux dires de la revendicatrice, s’il est vrai qu’au moment de l’octroi des concessions, la RI no 5 et la RI no 7 n’avaient pas encore été établies en tant que réserves au sens de la Loi sur les Indiens, l’Acte refondu des chemins de fer n’autorisait en aucun cas l’octroi du titre en fief simple. Par conséquent, le CFCP n’était titulaire d’aucun intérêt dans les terres de l’emprise qu’il occupait au moment où les réserves avaient été « créées » au sens de la Loi sur les Indiens.

[29]  Au surplus, la revendicatrice fait valoir que l’étendue des terres concédées au CFCP excédait la largeur permise par l’Acte refondu des chemins de fer. Ainsi, en admettant que les concessions aient été autorisées par la loi, elles l’étaient seulement jusqu’à concurrence de leur largeur excessive, par ailleurs fixée sans autorisation légale.

[30]  Indépendamment de la question de savoir si la Loi sur les Indiens s’appliquait au moment de l’octroi des terres au CFCP, et de celle de savoir si l’Acte refondu des chemins de fer imposait des limites à l’intérêt concédé ou à la largeur des terres permise, la revendicatrice soutient que la Couronne, le Canada, était tenue, de par son obligation de fiduciaire envers la bande de Siska — obligation née au moment de l’attribution des réserves en 1878 —, de protéger les droits d’usage et de jouissance, par la bande, des terres situées dans l’emprise, de même que l’accès à ses postes de pêche, le long du fleuve Fraser, mais qu’elle ne l’avait pas fait.

B.  L’intimée

[31]  L’intimée fait valoir que, sur le plan juridique, la prise des terres situées dans les réserves de Siska avait eu lieu en 1885, sous le régime de l’Acte des chemins de fer de l’Etat, laquelle loi n’imposait pas de limites quant à l’intérêt susceptible d’être exproprié et à la largeur permise. Elle prétend en outre que l’Acte refondu des chemins de fer, qui limitait la prise de terres à un intérêt moindre qu’un titre sur celles-ci, ne s’appliquait pas à l’égard de la prise des terres des réserves de Siska pour les fins d’un chemin de fer.

[32]  L’intimée avance que, malgré qu’elles aient été attribuées en 1878, les réserves de Siska n’étaient pas des réserves au sens de l’Acte des Sauvages, 1876, que ce soit au moment de l’appropriation des terres aux fins du chemin de fer, en 1885, ou à n’importe quel moment où le CFCP s’était vu concéder les terres des réserves. L’intimée affirme également que ses obligations de fiduciaire à l’égard des réserves étaient circonscrites par l’Acte des chemins de fer de l’Etat et par les Conditions de l’adhésion, et qu’elle avait agi en conformité avec ces obligations.

[33]  L’intimée plaide également que les terres mises de côté à titre de réserves pour les groupes autochtones n’étaient visées par la Loi sur les Indiens que si le titre sur ces terres appartenait à la Couronne, et que celle-ci avait exprimé l’intention que les terres soient « créées » en tant que réserves. Jusqu’à ce que ce soit le cas, pareilles terres seraient, tout au plus, mises de côté à titre provisoire. Les qualificatifs « provisoires » et « créées » tirent leurs origines de la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum]. Pour l’application de la Loi sur les Indiens, il a été déterminé, dans cet arrêt, que la « création » des réserves en Colombie-Britannique avait eu lieu en 1938 (para 18, 19 et 51).

[34]  La revendicatrice fait valoir, pour sa part, que l’affaire Wewaykum se distingue de l’espèce, en raison d’une différence factuelle importante touchant les terres, qui, dans un cas, étaient situées à l’extérieur de la zone des chemins de fer, et dans l’autre, à l’intérieur de cette zone. Dans le premier cas, le titre sur les terres mises de côté à titre de réserve avait été transféré au Canada par la province en 1938, cependant que, dans le cas qui nous occupe, le transfert est réputé avoir eu lieu en 1883.

[35]  L’intimée reconnaît cette différence factuelle. Elle affirme que, dans l’hypothèse où l’année de la création des réserves ne serait pas 1938, cette création remonterait, compte tenu de l’intention mutuelle de la province et du Canada, à 1930 ou, subsidiairement, à 1913.

VI.  TÉMOIGNAGES

A.  Témoins issus de la communauté

1.  Le chef Fred Sampson

[36]  Le chef Sampson agit comme conseiller en chef de la bande indienne de Siska, un poste qu’il occupe depuis une vingtaine d’années.

[37]  Il a témoigné que sa Première Nation fait partie de la Nation Nlaka’pamux, groupe linguistico-culturel occupant traditionnellement un vaste territoire de la région. Au cours du 19e siècle et au début du 20e, l’anthropologue James Teit a cartographié le territoire en fonction des connaissances des peuples autochtones habitant la région. Des découvertes archéologiques ont en outre révélé que la présence de ces peuples sur le territoire remontait à aussi loin que 8000 ans. Les réserves se trouvent dans ce territoire traditionnel.

[38]  Depuis des millénaires, la pêche au saumon dans le fleuve Fraser assure la subsistance des peuples de la Nation Nlaka’pamux, dont le langage s’est même construit autour de termes utilisés pour exprimer leur attachement à la pêche au saumon, appelée Sc’uwen dans leur langue. Pour eux, le saumon était et demeure — bien que dans une moindre mesure qu’autrefois — leur principale source de subsistance. Les pratiques cérémonielles et la spiritualité de ces peuples sont intimement liées aux migrations saisonnières et à la pêche du saumon.

[39]  Le chef Sampson a raconté comment le commerce du saumon séché, qui formait la base de l’économie de son peuple, s’était poursuivi après la colonisation, et jusqu’à une époque aussi récente que du vivant de ses grands-parents. La grand-mère du chef Sampson troquait du saumon séché contre de la farine, du sucre et du sel au magasin de Lytton, situé à 11 milles au nord de sa communauté, Nekepmx.

[40]  Nekepmx est située sur la rive ouest du fleuve, presque au centre du territoire des Nlaka’pamux.

[41]  De l’autre côté du fleuve, dans ce qui est devenu la réserve indienne Nahamanak no 7, la communauté chassait et récoltait des champignons, des baies et du « céleri indien ». Des racines de plantes servaient à la fabrication d’infusions médicinales.

[42]  Le chef Sampson a témoigné qu’on lui avait « permis » d’être un enfant jusqu’à l’âge de six ans, après quoi il avait acquis, puis mis en application les habiletés nécessaires pour apporter sa contribution à sa famille et à la communauté, en travaillant à toutes les étapes de la pêche, depuis la fabrication des filets jusqu’au séchage du saumon à des fins de conservation et d’entreposage.

[43]  La pêche s’effectue au moyen d’un filet fixé au bout d’une longue perche. Le pêcheur s’installe sur une saillie rocheuse située au-dessus d’un contre-courant naturel du fleuve au fort débit, là où les saumons se reposent avant de continuer leur périple jusqu’à leurs lieux de frai. Le chef Sampson a fait une démonstration de la technique de la pêche à l’épuisette à l’aide d’un filet qu’il a fabriqué avec des matériaux traditionnels et modernes.

[44]  Les sites de pêche étaient associés à certaines familles, qui tiraient leur nom de ces endroits. Sa famille s’appelait « Hwioek », un nom rendu par écrit grâce à une orthographe élaborée par l’ethnographe et linguiste Randy Bouchard.

[45]  La population des réserves est d’environ 150 personnes, et un nombre équivalent de membres de la Première Nation vivent hors réserve. Au cours de la vie du chef Sampson, la population a connu un déclin, qui correspond à la diminution du retour saisonnier du saumon et à la réglementation de l’accès appliquée par le ministère fédéral des Pêches et des Océans. Les stations de pêche réparties sur les berges du fleuve ont été détruites lors de la construction du chemin de fer. Considérés comme des [traduction] « intrus », les membres de la Première Nation se sont vu refuser l’accès aux ponts de la Compagnie des chemins de fer nationaux et du CFCP, qui enjambent le fleuve et sont situés dans l’emprise.

[46]  Le chef Sampson a présenté des observations concernant la largeur de l’emprise ferroviaire traversant les réserves et les terres adjacentes. Il a témoigné que l’emprise, élargie à son point d’entrée dans la réserve, présente un rétrécissement à l’autre extrémité.

2.   Maurice Michell

[47]  Âgé de 70 ans, M. Michell est reconnu comme aîné par les membres de sa nation. Il a vécu dans la RI n° 7 avec ses parents, ses grands-parents, la famille de son oncle et ses 13 frères et sœurs. Les membres de la famille, qui possédaient des chevaux, des poules, des vaches et des porcs, cultivaient des fruits et des légumes dans un grand jardin situé au-dessus de la voie ferrée. À une date non précisée, la compagnie de chemin de fer leur a interdit de continuer à utiliser à des fins agricoles les terrains concernés, puisque ceux-ci se trouvaient dans l’emprise.

[48]  On a donc choisi de se tourner vers les activités de pêche dans les eaux limitrophes de la RI n° 7, compte tenu de l’accessibilité des sites de pêche. Or, cet accès est devenu difficile, vu l’endommagement des sentiers causé par le déversement de rochers, de traverses de chemin de fer et de rails au bas du remblai abrupt descendant jusqu’au fleuve. L’accès aux lieux leur a en outre été refusé, comme s’il s’agissait d’une violation du droit de propriété. La situation aurait cependant changé, puisque les représentants du chemin de fer ont maintenant une [traduction] « assez bonne écoute ».

[49]  Monsieur Michell a par ailleurs expliqué que le chemin de fer avait pénétré dans un lieu appelé xaxetkwu, où se trouvait une source sacrée et où seules étaient admises les « filles […], [durant] leur période du mois ». La compagnie de chemin de fer a construit des coffrages servant à prélever de l’eau de la source en vue d’une utilisation dans ses chalets, ce qui a détruit le caractère sacré de la source.

B.  Exposé conjoint des faits

[50]  Les parties ont préparé et déposé un exposé conjoint des faits (ECF), dont le contenu est généralement corroboré par le volumineux dossier documentaire produit en preuve. Ce document est d’une grande utilité pour le Tribunal, qui, à moins d’indication contraire, admet le fondement factuel de son contenu. Les conclusions de fait tirées en l’espèce reposent également sur le dossier documentaire, la preuve d’expert et les témoignages de membres de la communauté.

C.  Les rapports d’experts

[51]  L’intimée a déposé deux rapports d’experts.

1.  Mme Catherine Schmid

[52]  Madame Schmid est ingénieure en géotechnique. Voici en quoi consistait sa tâche :

[traduction]

L’objectif de ce travail était de créer des cartes illustrant les conditions topographiques diverses que l’on retrouve le long de la zone de l’emprise du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP), entre les points milliaires 97 et 104 de la subdivision Thompson. Comme il est précisé dans le contrat, les données recensées concernent notamment la topographie, les limites des titres fonciers, l’écoulement naturel des eaux de surface, la géomorphologie, les conditions géotechniques existantes et leur emplacement (lorsque les données étaient disponibles), et l’infrastructure actuelle des voies. [BGC Engineering Inc., rapport sous forme de lettre, à la p 1.]

[53]  Au cours de son témoignage, Mme Schmid a expliqué ce que signifient les diverses intensités d’estompage des zones délimitées par les courbes de niveau, lesquelles sont superposées à la carte photographique. Plus la zone est sombre, plus la pente est escarpée, tandis que plus la zone est claire, moins la pente est prononcée. L’experte a désigné des endroits où, pour la période allant de 1972 à 2014, des indices révélaient la présence de matériaux, de roches ou d’arbres et de coulisses — quatre en tout —, le long du côté est du tracé de l’emprise traversant la RI n° 7. En contre-interrogatoire, Mme Schmid a signalé l’absence de soutènement du terrain de la pente ascendante allant du niveau de la ligne de chemin de fer au sommet de la pente, lequel coïncide à peu près avec la limite est de l’emprise. Après observation, elle n’a décelé la présence d’aucun ouvrage de stabilisation de la pente entre la plateforme de la voie ferrée et le sommet du talus. Elle a convenu que le terrain était en pente raide à l’entrée du tunnel, mais a ajouté ne pas avoir été informée de cas d’instabilité du terrain dans cette zone. La profondeur de la roche, à partir du niveau de la voie ferrée jusqu’à la surface au-dessus du tunnel, était estimée à 40 mètres.

2.  M. Derek Martin

[54]  Monsieur Martin est un éminent géologue et ingénieur civil doté d’une vaste expérience dans la construction de chemins de fer et dans la détermination des risques géologiques en transport ferroviaire.

[55]  Dans son avis daté du 9 juin 2015, M. Martin répond à la question suivante : « quels sont les facteurs qui semblent avoir présidé à la sélection de l’emplacement de l’emprise aux fins de la construction du chemin de fer traversant la RI Zacht no 5 et la RI Nahamanak n° 7? » (rapport de Martin Consulting Inc. [rapport de Martin], à la p 1).

[56]  Le témoignage de M. Martin se rapporte à la question de savoir si l’emprise, ainsi que les concessions accordées par la suite au CFCP, excédait la largeur dont le CFCP avait besoin pour exercer un contrôle suffisant sur les terres situées le long de la pente ascendante du chemin de fer et le long de la pente descendant jusqu’au bord de l’eau, de manière à protéger les installations ferroviaires et les trains circulant sur la voie ferrée. Néanmoins, l’expert n’a pas émis d’opinion quant à savoir si la largeur de l’emprise dépassait la largeur nécessaire à cette fin, et il n’a pas non plus été prié de le faire.

[57]  Le rapport de M. Martin explique comme suit les « considérations liées à l’emprise » :

[traduction]

Lorsqu’il s’agit de construire un chemin de fer sur un nouveau site, on cherchera à réduire au minimum — à moins de 1,5 %, soit un dénivelé de 1,5 m par 100 m — la pente le long du chemin de fer, de même qu’à limiter le plus possible les déblais et remblais nécessaires pour mettre en place la plateforme de façon sécuritaire. D’autres facteurs liés aux courbes et aux franchissements de cours d’eau entrent en jeu, mais ils sont secondaires.

En terrain plat, une emprise ferroviaire s’étendra au moins sur une largeur d’environ 30 m (c.-à-d. une distance de 50 pi de part et d’autre de l’axe de la voie ferrée). En terrain montagneux, l’emprise sera fonction de la topographie (l’inclinaison du sol), des propriétés géologiques et géotechniques et de l’hydrologie de surface.

[…]

La largeur de l’emprise nécessaire à la construction et à l’exploitation du chemin de fer dépend du type de sol/roches dont se compose la pente, car cela influe sur l’angle de talus. À titre d’exemple, l’angle naturel de repos d’un grand nombre de sols secs et granuleux varie entre 30 et 38 degrés (ce qui se compare à l’inclinaison illustrée à la figure 1). Dans des conditions de saturation, ces angles diminueront d’environ 50 %. Dans le roc, l’angle de talus peut varier de 40 à 90 degrés, si bien que l’emprise peut s’élargir ou se rétrécir en fonction des matériaux de la pente. En terrain montagneux, la stabilité de la pente jouxtant la voie déterminera le degré de protection qu’il faudra assurer au chemin de fer. Dans bien des cas, on devra mettre en place un système de barrières de protection.

En plus de devoir maîtriser la stabilité de la pente, il faut également réguler les eaux s’écoulant sur le versant du talus, raison pour laquelle il faut habituellement creuser des fossés et installer des ponceaux au sommet de la pente, le long de la pente et au pied de la pente (figure 1). On devra donc également prévoir l’entretien de cette infrastructure de contrôle des eaux.

La largeur de l’emprise requise du côté de la voie où se trouve la pente descendante dépend également du dénivelé topographique et de ce qui se trouve au-dessous de la voie ferrée. Advenant un déraillement, l’exploitant ferroviaire doit s’assurer qu’il peut récupérer le train qui a déraillé et veiller à ce que le déraillement ne mette pas la population en danger. [Je souligne; rapport de Martin, aux pp 3–4]

[58]  Sous la rubrique « Contraintes relatives à la construction ferroviaire au cours des années 1880 à 1885 », M. Martin a expliqué que les ingénieurs s’appuient sur « [l]’ouvrage "Handbook of Railroad Construction" de G. L. Vose publié en 1857, [qui] renferme un grand nombre de ces règles empiriques qui étaient en vigueur à l’époque de la construction du chemin de fer » (rapport de Martin, aux pp 4–5).

[59]  En résumé, l’arpenteur doit déterminer le dénivelé du sol sur la totalité du tracé de l’emprise, en tenant compte du fait que la pente du chemin de fer ne doit pas dépasser le seuil au‑delà duquel les locomotives perdent de l’adhérence.

[60]  En l’espèce, l’emprise traverse du terrain montagneux.

[61]  Selon Vose, l’angle de la pente ascendante est établi en fonction des conditions de pente (terre et roches dans le sol). La limite au haut de la pente ascendante de l’emprise est définie en fonction de la « rupture de pente (sommet de la berge) ».

[62]  Monsieur Martin a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Il appert que l’on a recouru à l’approche consistant à suivre le contour du sommet du talus/de la berge/rive pour établir la limite de l’emprise en pente ascendante de la RI Zacht no 5 et de la RI Nahamanak no 7. Le choix du tracé de l’emprise suivant une pente descendante est assujetti à l’altitude du fleuve. Ces règles générales en matière d’emprise semblent refléter les lignes directrices concernant les pentes transversales énoncées par G. L. Vose dans son livre « Handbook of Railroad Construction » datant de 1857.

Lorsqu’on a procédé à l’arpentage aux fins du chemin de fer, entre 1880 et 1885, il n’existait aucune carte topographique suffisamment détaillée et précise pour sélectionner l’itinéraire du chemin de fer. L’arpentage aura sans doute été réalisé à l’aide d’une chaîne d’arpenteur, d’un niveau et d’un théodolite réitérateur. Un tel équipement permettait de déterminer à des endroits précis le profil longitudinal du terrain et d’établir les tronçons à dénivelé. On s’est probablement efforcé de suivre la ligne de la rupture de pente (sommet de la berge), mais les projections à cet égard auront inévitablement été tantôt sous-estimées, tantôt surestimées, c’est pourquoi il ne faut pas s’attendre à ce que l’emprise coïncide à tout coup avec la rupture de pente. C’est là un problème posé par les pentes hétérogènes présentes en terrain montagneux, dans les cas où l’on se fie sur un petit nombre de tronçons pour procéder à l’établissement de levés. La ligne médiane de la voie ferrée et le maintien d’un dénivelé acceptable sont sans doute les éléments que l’on a priorisés dans le cadre de l’arpentage. [Rapport de Martin, aux pp 11–12]

[63]  Lors de son interrogatoire, M. Martin a témoigné que deux considérations entraient en jeu relativement à la largeur d’une emprise située en pente descendante : la récupération de matériel roulant qui a déraillé et le fait de s’assurer qu’aucune infrastructure ne puisse être construite dans des zones dangereuses en cas de déraillement. En guise de solution, on pourra aplanir la pente ou construire des murs de soutènement.

[64]  Pour ce qui est de la limite s’étendant jusqu’aux berges du fleuve et au-delà, M. Martin a émis l’hypothèse qu’on avait utilisé le fleuve comme ligne de démarcation naturelle.

[65]  Après une série de questions portant sur le terrain plat situé au-dessus du tunnel, et la mention du fait que le commissaire Sproat en avait parlé dans ses notes comme d’une terrasse cultivée, M. Martin a été interrogé à savoir si des raisons de sécurité justifiaient l’inclusion de cette zone plate dans l’emprise. Il a répondu par la négative, sauf pour ce qui est de l’entrée du tunnel, et encore, dans le cas où quelqu’un aurait souhaité construire un édifice en hauteur, par exemple, à cet emplacement.

VII.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[66]  Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :

  1. L’établissement de l’emprise ferroviaire en 1885 ou les concessions octroyées au CFCP par la suite ont-ils eu pour effet de créer des intérêts fonciers ayant supplanté l’intérêt de Siska dans les réserves provisoires ou les réserves créées?

  2. La largeur de l’emprise était-elle excessive, compte tenu des restrictions prévues par l’Acte refondu des chemins de fer?

  3. À quel moment la RI no 5 et la RI no 7 ont-elles été pleinement créées sur le plan juridique?

  4. L’intimée était-elle tenue à des obligations de fiduciaire en ce qui a trait à l’administration des réserves et de l’emprise, et, dans l’affirmative, a-t-elle manqué à ces obligations?

  5. Les concessions octroyées au CFCP auraient-elles exigé que l’on procède par voie de cessions, conformément à la Loi sur les Indiens?

  6. La revendicatrice a-t-elle établi le bien‑fondé de sa revendication au titre des alinéas 14(1)b), c) ou d) de la LTRP?

VIII.  Les actes de la Couronne (1881 À 1930) et les réserves de Siska : RÉSUMÉ

[67]  Le résumé ci-après reflète les faits dont les parties ont convenu, et tient compte des modifications apportées aux termes paraissant attribuer au CFCP un intérêt juridique dans les terres de l’emprise préexistant à la délivrance des lettres patentes. En cas d’incompatibilité entre les faits convenus et mes conclusions de fait et de droit, celles-ci prévaudront.

[68]  Par exemple, l’Acte concernant le chemin de fer Canadien du Pacifique, SC 1881 (44 Vict), c 1, [Acte du CFCP] était accompagné, en annexe, d’un contrat avec le CFCP [Contrat avec le CFCP], lequel prévoyait le transfert des titres sur les terres de la Couronne correspondant à l’emprise et situées à l’intérieur des limites des réserves, telles que celles-ci avaient été attribuées en 1878. Il est acquis aux débats que le chemin de fer a été construit par le Canada. La tenure supposément accordée à l’égard des terres l’a été au moyen des lettres patentes délivrées entre 1912 et 1928. Ainsi, les nombreuses références, dans l’ECF, à une [traduction] « emprise ferroviaire du CFCP » remontant à une époque antérieure aux concessions faites par les lettres patentes étaient de nature à induire en erreur; elles ont donc été corrigées dans le texte ci‑dessous.

[69]  La RI no 5 et la RI no 7 ont été attribuées le 18 juin 1878 par le commissaire Sproat.

[70]  En 1880, le Canada a passé un contrat avec M. Andrew Onderdonk en vue de la construction du tronçon ouest du CFCP allant de Savona’s Ferry (près de Kamloops) à Port Moody.

[71]  En 1881, le Parlement a octroyé une charte constitutive au CFCP et entériné le contrat conclu avec la compagnie, aux termes duquel le Canada consentait à construire le tronçon ouest de la voie principale du CFCP reliant Kamloops et Port Moody, et à transférer le chemin de fer au CFCP.

[72]  Entre 1881 et 1884, le Canada, par l’entremise du ministère des Chemins de fer et Canaux, a préparé des plans de situation pour la ligne principale du chemin de fer. Les terres de la zone des chemins de fer, quant à elles, étaient réputées avoir été transférées au Canada en date du 19 décembre 1883.

[73]  Le 14 juillet 1885, un plan d’arpentage conçu par l’ingénieur du gouvernement George Keefer (plan de Keefer) a été déposé, au nom du ministre des Chemins de fer et Canaux, auprès du bureau provincial d’enregistrement des titres de propriété, à Victoria, conformément à l’Acte des chemins de fer de l’Etat.

[74]  En août 1885, M. W.S. Jemmett a procédé à l’arpentage des limites de la RI no 5 et de la RI n° 7. Son levé d’arpentage (levé de Jemmett) — aussi désigné en tant que Plan 7509, déposé au Registre d’arpentage des Affaires indiennes sous le no BC 6 —, indiquait que la RI no 5 avait une superficie de 60 acres, et la RI n° 7, de 362 acres de terres.

[75]  La RI n° 7 a été tracée sur le plan de Keefer en 1889 ou vers cette date. Quant à l’emprise traversant la RI n° 7, elle s’étendait sur 89,60 acres.

[76]  Par ailleurs, la construction du tronçon ouest du chemin de fer s’est achevée en 1885. Dès le mois de juin 1886, le chemin de fer était mis en service et, le 2 novembre 1886, par le décret C.P. 1935, le gouverneur en conseil autorisait le transfert au CFCP des sections du chemin de fer construites par le Canada, conformément aux dispositions du Contrat avec le CFCP.

[77]  Le 3 août 1885, l’agent du gouvernement Joseph Trutch a fourni des évaluations ainsi que le tracé des segments de l’emprise ferroviaire traversant 29 réserves indiennes entre Savona’s Ferry et Port Moody. Toutefois, aucune de ces évaluations ne portait sur les terres composant la RI no 5 et la RI n° 7.

[78]  Le 18 janvier 1886, le décret C.P. 53 autorisait le ministère des Chemins de fer et Canaux à acheter du ministère des Affaires Indiennes (MAI) les terres traversées par l’emprise, moyennant le versement d’une indemnité d’un montant sujet à l’approbation du MAI. Le répertoire joint au décret C.P. 53 et intitulé [traduction] « Répertoire des terres prises sur les réserves indiennes de la C.‑B. aux fins de l’emprise du CFCP » ne faisait pas mention de la RI n° 7 et de la RI n° 5.

[79]  Le 15 mars 1886, le décret C.P. 379 autorisait le transfert, au ministère des Chemins de fer et Canaux, des terres décrites dans le répertoire joint au C.P. 53, moyennant le paiement d’une indemnité au MAI.

[80]  En 1888, le MAI a soumis au ministère des Chemins de fer et Canaux une liste de réserves — au nombre desquelles la RI n° 7 — en vue d’une détermination des indemnités payables pour les réserves. L’emprise traversant la RI n° 7 a alors été tracée sur le plan de Keefer.

[81]  Le 11 mars 1890, le ministère des Chemins de fer et Canaux a présenté au MAI des évaluations de la valeur de certaines réserves indiennes de Colombie-Britannique ayant été prises aux fins du chemin de fer, notamment la RI n° 7, d’une valeur estimée à 89,60 $ pour sa superficie de 89,60 acres, ce qui représente une valeur de 1 $ l’acre.

[82]  En conformité avec le décret C.P. 2006-1891 (25 août), le gouverneur en conseil a autorisé l’acquisition des 89,60 acres de la RI n° 7 par le ministère des Chemins de fer et Canaux, mais aussi, après dépôt de la somme de 89,60 $ correspondant au prix d’achat, le transfert des terres visées au ministère des Chemins de fer et Canaux pour qu’il les transfère à son tour au CFCP, conformément au Contrat avec le CFCP.

[83]  Le 13 janvier 1892, une somme de 89,60 $ a été déposée dans le compte en fiducie de la bande de Siska administré par le MAI.

[84]  En 1904, James Garden, un arpenteur des terres du Dominion, a réalisé un nouveau levé de l’emprise parcourant les réserves (plan de Garden). Le plan de Garden a été certifié par l’ingénieur en chef du ministère des Chemins de fer et Canaux comme représentant [traduction] « les terres du gouvernement destinées à être transférées à la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique ». Le plan, déposé auprès du registre des terres indiennes de Kamloops en 1905, précisait l’étendue de l’emprise dans la RI n° 5 et dans la RI n° 7, respectivement, c.‑à‑d. 0,08 acre et 89,51 acres.

[85]  L’emprise située dans les limites de la RI n° 7 traverse celle-ci sur toute sa longueur, du nord au sud. Du côté supérieur (ouest), elle mesure environ 300 pieds de large à partir de la ligne médiane de la voie ferrée, alors que, du côté inférieur (est), elle s’étend de la ligne médiane jusqu’à la rive du fleuve Fraser. La largeur de l’emprise varie ainsi selon la distance par rapport au fleuve Fraser et selon la courbure de la rive.

[86]  Le 9 février 1912, le CFCP a écrit au MAI afin de demander des lettres patentes pour six réserves, notamment la RI n° 5 et la RI n° 7. À cette lettre étaient joints des plans de l’emprise visant six réserves (y compris la RI n° 5 et la RI n° 7), qui indiquaient que l’emprise était [traduction] « maintenant occupée ».

[87]  Au moyen du décret C.P. 953-1912 (19 avril), le gouverneur en conseil a autorisé l’émission de lettres patentes au CFCP pour 89,51 acres de terres aux fins de l’emprise du CFCP, telle qu’elle avait été construite sur le territoire de la RI no 7 et d’autres réserves indiennes particulières, de Kanaka Bar à Lytton.

[88]  Le 5 juillet 1912, le Canada a délivré des lettres patentes pour 89,51 acres de terres situées dans les limites de la RI n° 7.

[89]  La Colombie-Britannique a refusé d’enregistrer les lettres patentes auprès des bureaux d’enregistrement de titres fonciers de la province, en raison d’un différend avec le Canada concernant le statut juridique des terres des réserves indiennes dans la province. Lorsque, à la fin des années 1920, les gouvernements fédéral et provincial sont parvenus à une entente relativement à une nouvelle cession de la zone des chemins de fer à la Colombie-Britannique (à l’exception des terres des réserves indiennes), la province a permis que les lettres patentes du Dominion soient enregistrées auprès des bureaux provinciaux d’enregistrement des titres de propriété.

[90]  De nouvelles lettres patentes ont été émises le 10 avril 1928 par le Canada. Elles prévoyaient la concession au CFCP de 89,51 acres de terres comprises dans la RI n° 7.

[91]  Le 12 février 1912, le MAI a répondu à la lettre du CFCP datée du 9 février 1912 et sollicitant les lettres patentes, en indiquant à la compagnie que, bien que les plans fournis semblaient avoir été préparés de manière satisfaisante, celui concernant la RI no 5 lui était retourné, puisque les mesures de l’emprise n’y avaient pas été représentées.

[92]  Le 19 février 1912, le CFCP a fourni une description selon laquelle les terres de la RI no 5 requises aux fins de l’emprise représentaient une superficie de 0,08 acre, [traduction] « comme il était indiqué en rouge sur un plan signé par James F. Garden, A.T.F., et déposé auprès de la direction des Archives d’arpentage du ministère de l’Intérieur, sous le n° 11195 ».

[93]  Le 17 juillet 1925, par le décret C.P. 1091, le gouverneur en conseil a autorisé le paiement, au MAI, d’une indemnité supplémentaire pour les terres prises aux fins de l’emprise traversant certaines réserves indiennes en Colombie-Britannique, notamment 1,60 $ pour les terres représentant une superficie de 0,08 acre situées dans les limites de la RI n° 5. Le 30 juillet 1925, le ministère des Chemins de fer et Canaux a versé au MAI un montant de 1,60 $ pour la RI no 5, en même temps que d’autres paiements pour l’emprise visant sept réserves indiennes. Le montant de 1,60 $ a été crédité en juillet 1925 au compte en fiducie de la bande administré par le Canada.

[94]  En 1925, Canada a émis des lettres patentes datées du 11 décembre 1925 pour les terres de la RI no 5 s’étendant sur 0,08 acre. Or en raison du différend fédéral-provincial précédemment mentionné, les lettres patentes ne pouvaient être enregistrées auprès du bureau provincial d’enregistrement des titres fonciers. Une fois ce différend réglé, le Canada a annulé les lettres patentes concernant la RI no 5, pour ensuite les délivrer de nouveau le 20 juillet 1927.

[95]  Dans les lettres patentes délivrées en 1927 et 1928 au CFCP pour les terres de la RI n° 5 et de la RI n° 7, il est fait mention de l’Acte du CFCP, du Contrat avec le CFCP, des décrets C.P. 53 et C.P. 379 et des paiements versés pour les terres en cause. Ces lettres patentes sont censées accorder au CFCP un titre sur les terres formant l’emprise.

[96]  Les réserves ont été confirmées par la Commission McKenna-McBride selon le levé réalisé par Jemmett en 1885. Ditchburn et Clark n’y ont pas apporté de modifications : leurs limites sont donc restées conformes au levé d’arpentage, tout comme leur superficie en acres, à savoir 60 acres pour la RI no 5, et 362 acres pour la RI no 7.

[97]  Le plan de Garden a été déposé auprès du registre des terres indiennes de Kamloops en 1905. Selon ce qu’il indiquait, les segments de l’emprise traversant la RI no 5 et la RI n° 7 avaient respectivement une étendue de 0,08 acre et 89,51 acres.

[98]  Ainsi donc, au moment de la mise de côté en bonne et due forme des réserves en tant que réserves au sens de la Loi sur les Indiens, de même que pendant toute la période qui a précédé, les superficies respectives de ces réserves, soit 60 acres (RI no 5) et 362 acres (RI n° 7), sont restées inchangées. Les limites arpentées sont également restées les mêmes durant tout ce temps.

IX.  L’établissement de l’emprise ferroviaire en 1885 ou les concessions octroyées au CFCP par la suite ont-ils eu pour effet de créer des intérêts fonciers AYANT supplanté l’intérêt DE Siska dans les réserves provisoires ou LES RÉSERVES créées?

A.  Les intérêts autochtones à l’égard de terres mises de côté à titre de réserve

[99]  La question des obligations de fiduciaire de la Couronne sera examinée à la partie XIII des présents motifs. Elle se rapporte à la nature et à la portée de ces obligations relativement aux réserves.

[100]  Pour ce qui est de l’intérêt autochtone à l’égard de terres mises de côté aux fins de la constitution de réserves (que ce soit à titre provisoire ou définitif), l’analyse de la question de savoir si l’établissement d’une emprise ferroviaire sous le régime de l’Acte des chemins de fer de l’Etat constitue une « expropriation » peut — comme dans le cas d’une analyse des obligations de fiduciaire —, avoir comme point de départ la définition de la nature juridique d’une réserve provisoire. Mes conclusions sur ce plan, bien qu’elles puissent être pertinentes du point de vue de l’incidence sur l’intérêt détenu par Siska dans les réserves provisoires, n’ont pas été prises en compte au moment de déterminer s’il y a eu expropriation des terres au sens de l’Acte des chemins de fer de l’Etat.

[101]  Il est vrai que l’analyse des effets de l’Acte des chemins de fer de l’Etat ne repose pas sur les caractéristiques propres à l’intérêt de Siska. Toutefois, bien définir cet intérêt permettra d’établir le contexte dans lequel il s’inscrit, ce qui est important non seulement pour comprendre la position de la Couronne fédérale, mais aussi pour les fins de l’examen des obligations de fiduciaire qui sera réalisé plus loin, dans les présents motifs.

B.  L’« achat » de réserves situées dans la zone des chemins de fer

[102]  L’intimée fait valoir que l’intérêt de Siska dans les réserves est le fruit d’une opération interministérielle d’achat et de vente ayant eu lieu avant que les réserves ne tombent sous le coup de la Loi sur les Indiens.

[103]  Le sujet de la création de réserves pour l’application de la Loi sur les Indiens est traité plus loin, à la partie XII des présents motifs. Selon la conclusion que j’y tire, l’application des principes définis dans les arrêts Conseil de la bande dénée de Ross River c Canada, [2002] 2 RCS 816, 2002 CSC 54 [Ross River] et Wewaykum établit que la date de création des réserves situées dans la zone des chemins de fer est le 29 décembre 1911.

[104]  Cependant, il ressort clairement de la preuve que les terres mises de côté à titre de réserves par le commissaire Sproat, dans l’exercice du pouvoir qui lui était conféré par l’entente établissant la Commission mixte des réserves indiennes (CMRI), sont passées entièrement sous l’administration du gouvernement fédéral lors du transfert au Canada, en 1883, des terres de la zone des chemins de fer. Les couronnes provinciale et fédérale étaient parvenues à cette entente en 1883‑1884, puis l’avaient confirmée en 1897. La Couronne fédérale a également agi en vertu de ce pouvoir dans le cadre de ses transactions visant l’emprise traversant la RI no 5 et la RI n° 7.

[105]  Les parties s’entendent sur les faits suivants :

Le 18 janvier 1886, le décret C.P. 53 (C.P. 53) a autorisé le ministère des Chemins de fer et Canaux à acquérir du Ministère des Affaires indiennes (MAI) des terres traversées par le chemin de fer du CP, en contrepartie du versement d’une indemnité d’un montant approuvé par le MAI. [ECF, au para 59.]

[106]  Elles reconnaissent également :

que, conformément au décret C.P. 2006, le gouverneur en conseil a autorisé, d’une part, l’achat par le ministère des Chemins de fer et Canaux de 89,6 acres de terres de la RI n° 7, et d’autre part, sur dépôt du montant de 89,60 $ correspondant au prix d’achat, le transfert des terres au Ministère des Chemins de fer et Canaux pour qu’il les transfère à son tour au CFCP, conformément au contrat avec le CFCP. [ECF, au para 69];

et que, le 13 janvier 1892, un montant de 89,60 $ a été déposé dans le compte en fiducie de la bande de Siska administré par le MAI à titre d’indemnité pour les terres prises aux fins de l’emprise du CFCP. [ECF, au para 70.]

[107]  Le « transfert » de nombreuses réserves se trouvant dans la zone des chemins de fer a été autorisé par le décret C.P. 379, 15 mars 1886, bien que la RI no 5 et la RI n° 7 ne figuraient pas dans le répertoire annexé.

[108]  Des mesures comparables ont été prises en ce qui concerne la RI no 5.

[109]  Quoi qu’il en soit, le terme « prises » employé au paragraphe 70 de l’ECF pour qualifier les terres ne concorde ni avec la preuve, ni avec le droit.

[110]  Voici ce que la preuve révèle : le décret C.P. 208-1930 a confirmé la superficie en acres de la RI no 5 (60 acres) et de la RI n° 7 (362 acres), soit précisément le nombre d’acres visés par l’attribution en 1878. Ce même décret fixait au 25 janvier 1913 la date de confirmation des réserves. Il n’y a donc pas eu de « prise » préalable des réserves de la bande indienne de Siska. Le « transfert » prévu par le décret C.P. 2006-1891 était en fait en un transfert de l’administration des terres d’un ministère à un autre en prévision de leur concession au CFCP, ainsi que l’exigeait le Contrat avec le CFCP.

[111]  La preuve démontre clairement que les limites et la superficie des réserves étaient toujours les mêmes lorsque, le 29 décembre 1911, par le décret C.P. 2983, l’administration de ces dernières a été [traduction] « retransférée au ministère des Affaires indiennes afin qu’il délivre au Chemin de fer Canadien Pacifique les lettres patentes relatives aux zones pertinentes et à toute autre zone que l’on pourra décider de concéder » (non mentionnées dans l’ECF; recueil commun de documents (RCD), vol 3, à l’onglet 0480).

[112]  On pourra mesurer l’importance, au plan juridique, du versement au MAI d’une indemnité au crédit de la bande de Siska en se reportant aux dispositions législatives en vigueur à l’époque. L’Acte des chemins de fer de l’Etat prévoyait l’octroi d’une indemnité pour des terres qui n’appartenaient pas à la Couronne, c’est-à-dire les titres privés et les terres de la couronne provinciale prises en vertu de la loi. Il n’y a eu aucune prise des terres de réserve constituant l’emprise.

[113]  En 1885, le statut de réserve et la présence d’un chemin de fer n’étaient pas incompatibles. Cela dit, une indemnité devait être versée pour les répercussions du passage d’un chemin de fer sur le territoire d’une réserve. L’Acte relatif aux Sauvages, 1880, était libellé comme suit :

31. Si un chemin de fer ou une route passe, ou des travaux publics se font sur une réserve appartenant à une bande de Sauvages ou possédée par elle, ou s’ils y causent quelque dommage, ou si une réserve reçoit quelque dommage de l’exécution d’un acte du parlement ou de la législature d’une province, il sera payé une indemnité à cette bande, de la manière qui est prescrite relativement aux terres ou aux droits d’autres personnes.  Dans tous les cas où un arbitrage sera possible, le Surintendant-Général nommera l’arbitre de la part de Sauvages et agira pour eux en toute chose relative au règlement de cette indemnité; et la somme adjugée dans chaque cas sera remise au Receveur-Général pour l’usage de la bande de Sauvages au profit de laquelle la réserve est affectée, et pour le profit de tout Sauvage qui y aura fait des améliorations.

[114]  On ne saurait voir dans l’énoncé « passe […] sur une réserve ou […] y caus[e] quelque dommage » une allusion à la prise de l’intérêt autochtone sui generis visé. Au contraire, il suppose l’existence continue de cet intérêt. Et il doit en être ainsi également pour les réserves provisoires. Tout doute à cet égard est d’ailleurs dissipé par la « création » ultérieure des réserves pour l’application de la Loi sur les Indiens, exercice réalisé en se référant au levé d’arpentage, lequel tient compte du croquis de Sproat, des tenants et aboutissants précisés dans le rapport de décision et de la superficie estimée par ce dernier.

C.  Les réserves « créées »

[115]  S’il est possible de soutenir que les mesures prises par le Canada sous le régime de l’Acte des chemins de fer de l’Etat autorisaient la prise des terres situées dans les réserves, l’idée voulant que l’intérêt de la revendicatrice dans la réserve provisoire ait fait l’objet d’une « expropriation » en 1885 par application de l’Acte des chemins de fer de l’Etat est inconciliable avec le fait que la liste des réserves accompagnant le décret C.P. 208-1930 confirmait des superficies respectives de 60 acres pour la RI no 5 et de 362 acres pour la RI n° 7, soient les mêmes superficies que celles attribuées en 1878. Le C.P. 208‑1930 fixait la date de confirmation des réserves au 25 janvier 1913, c.‑à‑d. quelque 27 années après la prise de possession de l’emprise par le CFCP aux fins de l’exploitation du chemin de fer.

[116]  L’intimée n’a pas prétendu que l’établissement de l’emprise avait eu pour effet d’éteindre l’intérêt de Siska sur les terres concernées situées dans les réserves provisoires. Eut-elle invoqué cet argument, il n’aurait pu être retenu. L’Acte des chemins de fer de l’Etat visait la dévolution, à la Couronne fédérale, de toutes les terres formant l’emprise, en plus d’avoir pour objet d’autoriser la construction d’un chemin de fer. Des propriétés appartenant à des intérêts privés ont été prises, moyennant le versement d’une indemnité, afin que le titre de propriété sur celles-ci soit dévolu à la Couronne. Par ailleurs, l’emploi, à l’article 31 de l’Acte relatif aux Sauvages, 1880, de l’expression « pass[age] […] sur une réserve », vient réaffirmer les droits autochtones sur les réserves au sens de la Loi sur les Indiens, ce que la RI no 5 et la RI n° 7 étaient considérées être. En 1885, on ne savait pas vraiment qu’il existait un intérêt autochtone sur des terres appartenant à la Couronne dès lors que celles-ci avaient été mises de côté à titre de réserves provisoires. Ce fait n’a été reconnu qu’à partir de l’arrêt Wewaykum, où la Cour suprême a jugé que l’intérêt autochtone à l’égard de réserves provisoires était un intérêt identifiable en droit. Même si cet intérêt n’avait pas été officialisé en tant qu’intérêt au sens de la Loi sur les Indiens, il était identifiable en droit. Ainsi, pour que l’Acte des chemins de fer de l’Etat éteigne cet intérêt, il aurait fallu un libellé exprès ou nettement implicite en ce sens. Or, ce texte de loi ne fait nulle mention d’intérêts autochtones, non plus que de l’« expropriation » de quelque intérêt que ce soit, à l’exception des intérêts détenus par des colons et de l’« appropriation » des terres de la Couronne provinciale. Par conséquent, le souverain n’a pas eu l’intention claire et expresse que l’Acte des chemins de fer de l’Etat éteigne l’intérêt de Siska dans les réserves provisoires. Comme il en sera question plus loin, à la partie XIII A des présents motifs, le Contrat avec le CFCP n’exigeait pas du gouvernement qu’il éteigne les intérêts autochtones dans les terres correspondant au tronçon ouest du chemin de fer.

[117]  Qui plus est, par l’article 13 de la Convention du 20 février 1930 conclue entre le Canada et la Colombie-Britannique, les gouvernements ont convenu que les terres comprises dans les réserves indiennes situées dans la zone des chemins de fer « continuer[aient] d’appartenir au Canada en fiducie pour les Indiens aux termes et conditions énoncés dans un certain arrêté du gouverneur général du Canada en son conseil, approuvé le 3e jour de février 1930 (C.P. 208) ». L’intérêt détenu par Siska ne pouvait donc pas avoir déjà été éteint. Comme il a été mentionné ci‑dessus, le répertoire rattaché au C.P 208-1930 précisait, comme « date de confirmation » pour la RI no 5 et la RI n° 7 : [traduction] « décret - 25 janvier 1913 ».

[118]  Les dernières concessions ont été accordées au CFCP en 1927 et en 1928. Ce n’est qu’une fois les concessions octroyées qu’une incidence sur l’intérêt juridique de Siska dans les réserves aurait été possible.

D.  L’Acte des chemins de fer de l’Etat

[119]  Le principal argument de l’intimée est que les mesures prises par le gouvernement en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat se sont traduites par la prise de l’intérêt de la revendicatrice dans les terres de réserve traversées par l’emprise. Selon elle, cette prise a été suivie, en 1912, 1927 et 1928, par des lettres patentes accordant un [traduction] « titre absolu » au CFCP.

[120]  Aux dires de l’intimée, par le dépôt du plan de Keefer (1885) et du plan de Garden (1905) auprès du bureau provincial d’enregistrement des titres de propriété, il s’est opéré une prise des [traduction] « terres situées dans la RI no 5 et la RI no 7 de Siska […] en vertu de l’article 10 de l’Acte des chemins de fer de l’Etat en vue de l’établissement d’une emprise ferroviaire aux fins de la construction et de l’exploitation du chemin de fer du CP ». L’intimée soutient en outre que les terres prises à même les réserves s’étendaient sur toute la largeur de l’emprise représentée sur les plans de Keefer et de Garden.

[121]  Les pouvoirs généraux pouvant être exercés en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat par le ministre des Chemins de fer et Canaux sont énoncés à l’article 5. Ils comprennent les suivants :

(5.) De pénétrer sur tous terrains, terres et propriétés foncières, et d’en prendre possession, ainsi que de toutes rivières, ruisseaux, eaux et cours d’eau dont il croira l’appropriation nécessaire pour l’usage, la construction, l’entretien ou les réparations du chemin de fer […]

[122]  Quant à l’article 10 de l’Acte des chemins de fer de l’Etat, il se lit en partie comme suit :

10. Les terrains expropriés pour l’usage des chemins de fer de l’Etat seront délimités par tenants et aboutissants, et s’il n’en est pas donné de titre ou transport formel à la couronne par la personne ayant droit de donner ce titre ou faire ce transport, ou si une personne intéressée dans ces terrains est inhabile à donner ce titre ou faire ce transport, ou si pour quelque autre raison le ministre juge à propos de le faire, un plan et une description de ces terrains, signés par le ministre, son député ou son secrétaire, ou par le surintendant ou ingénieur du département, ou par un arpenteur juré et dûment diplômé dans la province où ces terrains sont situés, seront déposés dans les archives du bureau d’enregistrement des titres du comté ou de la division d’enregistrement où sont situés les terrains, et ces terrains deviendront et resteront ensuite, par le fait de ce dépôt, la propriété de la couronne :

[…]

(4.) Des plans et descriptions de tous terrains actuellement occupés ou possédés par la couronne et employés pour les fins d’un chemin de fer de l’Etat pourront être déposés en tout temps, de la même manière et avec le même effet que par le présent prescrit, sans préjudice, toutefois, des droits légitimes des intéressés à une indemnité :

(5.) Dans tous les cas où un plan et une description de terrains, apparemment signés par le député du ministre, ou par le secrétaire, ou par le surintendant, ou par un ingénieur du département, ou par un arpenteur dûment diplômé comme susdit, seront déposés dans les archives tel qu’il est dit plus haut, ils seront réputés et censés avoir été déposés par ordre et autorisation du ministre, et comme indiquant qu’à son avis les terrains y désignés sont nécessaires pour les fins du chemin de fer, et les dits plan et description ne pourront être contestés que par le ministre lui‑même, ou par quelque personne agissant en son nom ou au nom de la couronne :

[…]

(8.) Lorsque les terrains expropriés seront des terres de la couronne sous le contrôle du gouvernement exécutif de la province où ces terrains sont situés, un plan de ces terrains sera aussi déposé au bureau des terres de la couronne de la province [...].

[123]  Les effets de l’article 10 doivent être interprétés en fonction du contexte de l’ensemble de la loi.

[124]  L’Acte des chemins de fer de l’Etat confère des pouvoirs étendus au ministre des Chemins de fer et Canaux. Au nombre de ces pouvoirs prévus à l’article 5, on compte celui consistant à entrer sur toute terre publique ou privée afin d’exécuter tous les travaux nécessaires à la construction d’un chemin de fer.

[125]  Bien que la plupart des pouvoirs énoncés à l’article 5 s’appliquent à l’égard de tout « terrain » ou de toute « terre » — lesquels termes, selon la définition du paragraphe 3(6), englobent à la fois les terres publiques et les terres privées —, le paragraphe 5(5) s’applique uniquement aux terres « dont il [le ministre] croi[ra] l’appropriation nécessaire ». Les terres qui sont déjà la propriété de la Couronne fédérale ne nécessitent pas d’expropriation. Quant aux terres qui n’appartiennent pas déjà à la Couronne fédérale, l’article 10 permet leur appropriation effective. Le dépôt d’un plan en vertu du paragraphe 10(4) a pour effet, suivant le paragraphe 10(5), d’indiquer que le ministre est d’avis que « les terrains y désignés sont nécessaires pour les fins du chemin de fer », tout comme il a pour conséquence que ces terrains désignés, aux termes de l’article 10, « deviendront et resteront ensuite, par le fait de ce dépôt, la propriété de la couronne ».

[126]  Les terres visées par l’article 10 sont les terres situées dans les limites de l’emprise qui ne sont pas déjà la propriété de la Couronne fédérale, et à l’égard desquelles « il n’en est pas donné de titre ou transport formel à la couronne ». Ce sont ces terres qui sont « expropriées », et pour lesquelles l’article 15 prévoit le paiement d’une indemnité à la « personne ou corporation » ayant subi une telle « expropriation ».

[127]  L’objet général de l’Acte des chemins de fer de l’Etat est la dévolution à la Couronne, le Canada, de l’ensemble des terres de la Couronne provinciale et des terres privées jugées nécessaires à la construction et à l’exploitation de « tous les chemins le fer attribués à Sa Majesté et qui sont sous le contrôle et l’administration du ministre des chemins de fer et canaux » (article 2).

[128]  Par ailleurs, la raison d’être immédiate de l’Acte des chemins de fer de l’Etat était de permettre l’exécution, par le Canada, de son obligation envers la province prévue à l’article 11 des Conditions de l’adhésion, 1871, ainsi que de son obligation envers le CFCP conformément au Contrat avec le CFCP. Or, ces obligations ne pouvaient être respectées qu’à la condition que l’emprise du chemin de fer soit établie sur des terres dévolues à la Couronne. Encore une fois, je recours à l’expression « emprise du chemin de fer » tout au long des présents motifs en tant que terme technique, car j’y vois, compte tenu du cadre de l’Acte des chemins de fer de l’Etat et de l’intention du gouvernement de se prévaloir des pouvoirs inscrits dans cette loi, un descriptif des terres attribuées à la Couronne pour la construction et l’exploitation d’un chemin de fer.

E.  Les mesures prises pour l’établissement du chemin de fer en tant que propriété du CFCP

[129]  Le statut continu des terres d’emprise en tant que réserves (qu’elles soient provisoires ou pleinement créées) est donc conciliable avec les mesures prises en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat. C’est par suite de l’exécution, par le gouvernement, de son engagement de transférer le chemin de fer au CFCP conformément au Contrat avec le CFCP, que l’effet ultime de ces mesures sur les terres visées pourrait être évalué.

[130]  L’« expropriation » des terres des réserves, si tant est qu’il y ait eu expropriation, devait se faire au moyen d’un transfert de ces terres en vertu de l’article 5 de l’Acte du CFCP, qui prévoyait le transfert futur des terres sur lesquelles le chemin de fer était destiné à être construit par le gouvernement en ce qui a trait à la section ouest :

5. En attendant l’achèvement des sections de l’Est et du Centre dudit chemin de fer, telles que décrites dans ledit contrat, le gouvernement pourra aussi transférer à ladite compagne la possession et le droit d’exploitation des différentes portions du chemin de fer Canadien du Pacifique tel que décrit dans ledit acte trente-sept Victoria, chapitre quatorze, qui sont déjà construites et au fur et à mesure qu’elles seront terminées à l’avenir; et lors de l’achèvement desdites sections de l’Est et du Centre, le gouvernement pourra transporter à la compagnie, avec un nombre convenable de bâtiments de stations, et avec le service d’eau (mais sans équipement), les portions du chemin de fer Canadien du Pacifique construites ou dont la construction par le gouvernement est convenue sous l’empire dudit contrat, et qui seront alors terminées; et lors de l’achèvement du reste de la portion dudit chemin de fer que doit construite le gouvernement, cette portion pourra aussi être transportée par le gouvernement à la compagnie […].

[131]  Après que le gouvernement ait eu achevé la construction du chemin de fer (1885), pour ensuite le remettre en la possession du CFCP (1886), le « domaine ferroviaire » envisagé par l’Acte des chemins de fer de l’Etat n’était plus été nécessaire, car l’intérêt juridique du CFCP sur l’emprise était, en définitive, garanti par les lettres patentes.

[132]  Le titre de propriété sur des terres autrefois privées était désormais détenu par la Couronne, du fait de la prise de celles-ci en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat, et le chemin de fer parcourait les réserves provisoires, sur des terres qui appartenaient toujours à la Couronne. Une fois le chemin de fer construit et entré en la possession du CFCP, l’objectif visé par l’établissement de l’emprise en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat n’existait plus. Ainsi, l’Acte des chemins de fer de l’Etat n’a pas eu pour effet d’« exproprier » l’intérêt sui generis de Siska dans les réserves provisoires, dont les terres demeuraient la propriété de la Couronne.

[133]  Pour autant, cela ne signifie pas que la construction du chemin de fer par le gouvernement s’est faite en l’absence d’autorisation légale, puisque l’Acte des chemins de fer de l’Etat autorisait l’entrée sur les terres de la Couronne à des fins de construction et d’exploitation du chemin de fer. Cette disposition était préparatoire à la concession, au CFCP, du chemin de fer construit par le gouvernement, ainsi que le prévoyait le Contrat avec le CFCP.

F.  Résumé

[134]  L’Acte des chemins de fer de l’Etat permet la prise d’intérêts dans des terres autres que des terres qui, au moment du dépôt d’un plan au titre de l’article 10, appartiennent à la Couronne fédérale. Bien que cette loi envisage également la prise de terres de la Couronne provinciale (paragraphe 10(8)), les terres en cause relevaient déjà de la Couronne fédérale (loi intitulée An Act relating to the Island Railway, the Graving Dock, and Railway Lands of the Province, SBC 1883, c 14). S’agissant des terres qui étaient déjà en la possession de la Couronne fédérale, l’Acte des chemins de fer de l’Etat les plaçait simplement sous l’administration du ministère des Chemins de fer et Canaux, en les affectant à l’usage du chemin de fer.

[135]  L’entrée sur les terres ainsi que les travaux de construction sur celles-ci en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat n’avaient, par conséquent, aucune incidence formelle sur l’intérêt de la revendicatrice dans les réserves, indépendamment du fait qu’il se soit agi d’un « intérêt identifiable » dans une réserve provisoire ou d’un intérêt dans une réserve au sens de la Loi sur les Indiens pleinement confirmée. Avant et après le dépôt du plan au titre de l’article 10 de l’Acte des chemins de fer de l’Etat, la Couronne se trouvait dans la même situation juridique par rapport aux terres en cause À mon sens, il n’y a pas eu « expropriation » des terres situées dans les réserves par l’application de l’Acte des chemins de fer de l’Etat.

[136]  Par ailleurs, en ce qui concerne les concessions au CFCP, le fait qu’elles aient été octroyées avant ou après la date de la « création » des réserves au sens de la Loi sur les Indiens n’a aucune importance quant à leur validité. Dans les deux cas, la question qui se pose est celle de savoir si ces concessions ont été validement faites en vertu d’un pouvoir conféré par la loi.

[137]  Ainsi, la question suivante demeure : les concessions octroyées au CFCP ont-elles eu pour effet de créer des intérêts fonciers ayant supplanté l’intérêt de Siska dans les réserves provisoires ou les réserves « créées »?

G.  Les concessions accordées au CFCP

[138]  Il reste maintenant à déterminer si les concessions accordées au CFCP en 1912, 1927 et 1928 constituaient, selon leurs dispositions expresses, un exercice juridiquement valide de pouvoirs conférés par l’effet combiné de l’Acte du CFCP et de l’Acte refondu des chemins de fer. Dans le cas contraire, les terres ont été prises sans autorisation légale.

[139]  La réponse se trouve dans les conclusions tirées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canadien Pacific Limitée c La Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 CF 325, 1999 CanLII 9362 (CAF) [Matsqui]. Dans cette affaire, la Cour d’appel a constaté que les actes de concession prétendaient transférer le titre en fief simple. Elle a ensuite conclu que, en admettant que le CFCP détienne un titre sur l’emprise traversant les réserves, le bien-fonds visé ne pouvait être une réserve, puisqu’il aurait fallu pour cela que le titre de propriété de ce bien-fonds soit attribué à la Couronne :

En l’espèce, ce qui importe c’est que les terres ne sont situées dans la réserve que si "Sa Majesté" en est toujours "propriétaire". Cette condition est fixée par le libellé du début de la définition du terme "terres désignées". Je tiens à souligner en passant que, selon moi, et contrairement à ce qui a été décidé dans l’arrêt Leonard, en cédant une terre aux fins de la donner à bail, le cédant ne se départit pas du droit de propriété sur cette terre. Mais il s’en départit lorsqu’il y a transfert en fief simple. Ainsi, si Canadien Pacifique a valablement acquis de la Couronne le titre en fief simple sur ses droits de passage, les avis d’évaluation sont invalides. Si, au contraire, Canadien Pacifique ne peut faire valoir qu’un droit moindre sur ces terres, telle une servitude, peu importe l’objet prétendu des actes de transfert, ces terres sont "situées dans la réserve" et les évaluations sont valides. Cela s’explique par le fait que l’auteur du transfert (p. ex. la Couronne) ne se départit pas de son droit de propriété lorsqu’il procède à un transfert équivalant à une servitude ou à une permission. [Renvoi omis] [Matsqui, au para 104]

[140]  En dépit du fait que l’Acte du CFCP prévoyait le transfert d’un « titre absolu » au CFCP, il a été décidé, dans Matsqui, que les dispositions de ce texte de loi ne l’emportaient pas sur la restriction à l’aliénation imposée par l’Acte refondu des chemins de fer :

En conclusion, j’estime que la Loi du CP n’autorise pas le gouvernement à transférer à Canadien Pacifique le titre en fief simple sur les droits de passage traversant les réserves des appelants. Peu importe le prétendu transfert effectué par les lettres patentes, Canadien Pacifique n’avait et n’a toujours droit à rien de plus qu’une servitude légale ou une permission à l’égard de chacun des 15 droits de passage litigieux. Il en est ainsi en raison de la restriction à l’aliénation des terres de la Couronne acquises par les compagnies de chemin de fer édictée dans la législation sur les chemins de fer. Les dispositions de la Loi du CP et du contrat ne l’emportent pas sur cette restriction parce qu’elles ne permettent pas expressément une dérogation à la disposition pertinente de la législation sur les chemins de fer, comme l’exige cette dernière. Subsidiairement, l’obligation du gouvernement fédéral de transférer le "titre absolu" sur le chemin de fer à Canadien Pacifique ne peut pas être interprétée comme l’obligation de transférer le titre en fief simple sur les droits de passage. L’obligation relative au titre exprime uniquement l’idée que, pour ce qui est des rapports entre les parties, le gouvernement fédéral devait délaisser tous ses droits sur le chemin de fer en faveur de Canadien Pacifique. Elle ne signifie pas que le gouvernement avait l’intention d’abolir les droits des Indiens garantis par la législation sur les Indiens. De plus, l’obligation du gouvernement fédéral d’éteindre le "titre des Indiens" s’applique uniquement aux sections du centre et de l’est du chemin de fer, et non à la section de l’ouest où tous les droits de passage en cause sont situés. [Souligné dans l’original; para 173.]

[141]  Dans l’arrêt Matsqui, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur l’effet supposé des lettres patentes transférant au CFCP les intérêts situés le long de l’emprise du chemin de fer traversant les réserves indiennes, elles-mêmes sises dans le canyon du Fraser. Il a été jugé qu’à première vue, ces documents étaient censés accorder un titre en fief simple :

À l’instar de mon collègue, je ne crois pas qu’on puisse contester raisonnablement que le titre transféré à CP par le Canada dans chacun des 15 actes de transfert en cause avait l’apparence d’un fief simple absolu. [Le juge Marceau; para 4.]

[…]

Si ambiguïté il y a, c’est dans les documents à l’origine de l’opération, c’est-à-dire dans le décret. De l’aveu de tous, il n’est pas clair si le terme "droit de passage" a été utilisé dans son sens technique ou non. Toutefois, cette ambiguïté a été résolue par les lettres patentes qui attestent clairement le transfert du titre en fief simple. [Le juge Robertson; para 109.]

[142]  L’intimée n’a pas soutenu que les concessions visées en l’espèce différaient de manière importante de celles dont il était question dans Matsqui :

15 droits de passage sont en cause et, par conséquent, il faut examiner 15 transferts pour déterminer si le titre en fief simple a été transmis à Canadien Pacifique ou s’il s’agit plutôt d’un fief extinguible comme l’a conclu le juge responsable des requêtes. Par ailleurs, personne n’a soulevé d’objection relativement au fait que les actes de transfert n’ont pas tous été déposés en preuve devant la Cour. Néanmoins, il est évident que les documents produits utilisent les mots nécessaires, selon la common law, pour créer un titre en fief simple. Les termes de dévolution (words of limitation) et la clause de désignation (habendum) utilisés, par exemple dans les lettres patentes relativement au droit de passage traversant la réserve de Matsqui attestent clairement le transfert d’un titre en fief simple:

[traduction] [. . .] au moment de sceller nos présentes lettres patentes. Nous cédons, vendons, aliénons et transférons à la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, à ses successeurs et ayants cause à perpétuité, tout ce lopin de terre situé à l’intérieur de la réserve indienne de Matsqui (Sahhahcom) [. . .]

POUR, ladite Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, ses successeurs et ayants cause à perpétuité, avoir et posséder ledit lot de terre, cédé et transféré par les présentes [. . .] [Para 96.]

[143]  Bien que le juge Robertson y ait évoqué les exigences de la Loi sur les Indiens concernant la prise d’intérêts dans des terres de réserve, ses motifs — auxquels le juge Desjardins a souscrit sur la question relative aux concessions — ne reposaient pas sur la question de savoir si la Loi sur les Indiens s’appliquait à ces terres :

Si l’on fait abstraction pour l’instant des dispositions de la Loi sur les chemins de fer, il n’existe que deux façons principales d’acquérir le titre sur des terres de réserve sous le régime de la Loi sur les Indiens. Premièrement, on peut acquérir le titre au moyen d’une cession valide des terres de la Couronne effectuée par la bande indienne. Le deuxième moyen fait intervenir la disposition de la Loi sur les Indiens permettant la prise ou l’expropriation de terres. En ce qui concerne Canadien Pacifique, ces deux possibilités doivent être examinées en regard d’une restriction établie par la Loi sur les chemins de fer, qui interdit en fait aux compagnies de chemin de fer d’acquérir le titre en fief simple sur les terres de la Couronne. [Renvoi omis.] [Para 125.]

[144]  En fait, la décision de la cour avait plutôt à voir avec les limites imposées par l’Acte refondu des chemins de fer à la prise de terres appartenant à la Couronne :

Le paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 prévoit qu’aucune compagnie de chemin de fer ne peut prendre ni utiliser les terres appartenant à Sa Majesté sans le consentement du gouverneur en conseil et que les terres ainsi prises ne peuvent être aliénées. Voici ce paragraphe:

7.

3. Nulle compagnie de chemin de fer ne prendra possession, n’emploiera ou n’occupera de terrains appartenant à Sa Majesté, sans le consentement du Gouverneur en conseil; mais avec ce consentement, toute compagnie de chemin de fer pourra prendre et s’approprier, pour l’usage de son chemin de fer et de ses travaux, mais non l’aliéner, telle partie des terres incultes de la Couronne qui n’ont pas encore été vendues ou concédées, située sur la ligne du chemin de fer, et qui sera nécessaire pour le chemin de fer, ainsi que telle partie de la grève publique ou des terrains couverts par les eaux de tout lac, rivière, cours d’eau ou canal, ou de leurs lits respectifs, qui sera nécessaire pour faire, compléter et exploiter les dits chemin de fer et travaux [. . .] [Renvoi omis.] [Souligné dans l’original; para 126.]

[145]  La conclusion du juge Robertson était la suivante :

En résumé, à toutes les époques pertinentes, Canadien Pacifique n’aurait pas pu obtenir valablement le titre en fief simple sur les terres de réserve en cause en vertu de la législation sur les chemins de fer, étant donné l’interdiction d’aliéner les terres de la Couronne acquises pour les besoins d’un chemin de fer. Canadien Pacifique a obtenu tout au plus des servitudes légales sur les droits de passage ou la permission d’utiliser et d’occuper les terres de réserve nécessaires pour les besoins du chemin de fer. Pour cette raison, il faut maintenant déterminer si les dispositions de la Loi du CP de 1881 permettent une dérogation à celles de la législation sur les chemins de fer. [Para 131.]

[146]  À la suite de la décision rendue dans l’affaire Matsqui, la Cour suprême, dans l’arrêt Wewaykum, a établi que la Loi sur les Indiens ne s’était pas appliquée aux terres attribuées à titre de réserves qui étaient situées hors de la zone des chemins de fer avant 1938. Toutefois, la question de savoir si la Loi sur les Indiens s’appliquait ou non aux terres en cause n’a guère d’importance. Car si, tout comme les terres situées à l’extérieur des limites de la zone des chemins de fer, celles‑ci avaient été simplement réservées à titre provisoire, elles n’en étaient pas moins des terres situées dans la zone des chemins de fer qui étaient réputées avoir été transférées au Dominion le 19 décembre 1883. En conséquence, ces terres étaient la propriété de Sa Majesté au moment de l’octroi des concessions, de sorte que la restriction relative à l’aliénation s’appliquait à leur égard.

[147]  Les concessions consenties étaient donc invalides à première vue, puisqu’elles étaient censées octroyer des intérêts en fief simple absolu.

H.  Les concessions étaient-elles nulles?

[148]  Selon ce qu’affirme l’intimée, le fait de conclure que les concessions ont été accordées en l’absence d’autorisation légale reviendrait à conclure qu’elles étaient nulles ab initio. Je ne suis pas d’accord. La question qui se pose, ici, est celle de savoir si la présente revendication tombe sous le coup de l’alinéa 14(1)d) de la LTRP. Le Tribunal a compétence pour en juger, mais seulement aux fins de la détermination du bien‑fondé de la revendication. Il n’a pas à décider si les concessions sont entachées de nullité.

I.  Quelle forme de tenure, le cas échéant, le CFCP a-t-il obtenue?

[149]  Dans l’arrêt Matsqui, le juge Robertson a estimé, avec l’accord du juge Desjardins, que le CFCP avait obtenu « tout au plus des servitudes légales sur les droits de passage ou la permission d’utiliser et d’occuper les terres de réserve nécessaires pour les besoins du chemin de fer ». Il ne s’agit pas là d’une conclusion voulant que l’on ait obtenu une forme ou une autre de tenure. Pareille conclusion n’était pas nécessaire, puisque le CFCP était, de fait, en possession des terres, et devait donc payer de l’impôt conformément à un règlement administratif fiscal pris par la bande indienne de Matsqui.

[150]  De même, en l’espèce, il n’est pas nécessaire de chercher à savoir quelle forme de tenure, le cas échéant, a été légalement transférée au CFCP.

[151]  L’on pourrait se demander : quelle différence cela fait-il que le CFCP ait obtenu un titre en fief simple ou une servitude? Dans un cas comme dans l’autre, le droit de Siska d’user de ses terres et d’en jouir a été touché. Au départ, le Canada avait utilisé les terres pour la construction du chemin de fer. Puis, le CFCP est entré en possession de ces terres. Et enfin, des lettres patentes les concernant ont été délivrées à la compagnie.

[152]  Par ailleurs, il existe une différence de taille entre un titre en fief simple et une servitude. La servitude confère à son titulaire un droit non exclusif d’utilisation d’un bien-fonds, alors que le détenteur d’un titre en fief simple, lui, jouit d’un droit d’utilisation exclusive sur la terre visée. Les éléments de preuve présentés en l’espèce, y compris les témoignages des membres de la communauté, révèlent qu’à compter de 1886, le CFCP a vigoureusement exercé une possession exclusive sur les terres en cause, si bien que les membres de la collectivité de Siska ont été traités comme des intrus. Ils ont été totalement privés de l’utilisation et de la jouissance des terres formant l’emprise, qui ont plus tard été concédées au CFCP.

X.  LARGEUR EXCESSIVE

[153]  Les concessions, à première vue, n’ont pas été validement octroyées en vertu d’une autorisation légale.

[154]  Siska avance en outre que les terres « concédées » s’étendaient au-delà de la largeur permise par l’Acte refondu des chemins de fer.

[155]  Voici ce que prévoit l’article 9 de l’Acte refondu des chemins de fer au sujet de l’étendue des terres qu’une compagnie de chemin de fer peut se voir accorder :

9. L’étendue des terrains qui pourra être prise sans le consentement du propriétaire n’excédera pas trente-trois verges de largeur, excepté dans les endroits où le chemin de fer est élevé de plus de cinq pieds au-dessus ou abaissé de plus de cinq pieds au-dessous de la surface de la ligne, ou là où il est établi des voies de garage, ou que l’on se propose d’ériger des gares, dépôts ou autres ouvrages, ou de livrer des marchandises; et alors, pas plus de deux cent cinquante verges de longueur sur cent cinquante de largeur, sans le consentement de la personne autorisée à faire la cession des terrains; et les endroits où cette largeur supplémentaire devra être prise, seront indiqués sur la carte ou plan, ou sur les plans ou profils, en tant qu’ils seront alors constatés, mais le défaut d’indication sur les plans n’empêchera pas que cette largeur supplémentaire ne soit prise, pourvu qu’elle le soit sur la ligne indiquée ou dans les limites de la distance fixée ci-dessus : […]

[156]  L’intimée avance que les dispositions de l’Acte des chemins de fer de l’Etat l’emportent sur l’article 9 et les limites y prévues concernant la largeur des terres « expropriées ». Toutefois, la création de l’emprise traversant les réserves ne constituait pas une prise des terres.

[157]  Dans l’arrêt Matsqui, la cour a examiné comme suit la question des dispositions prépondérantes de l’Acte du CFCP :

L’aspect de l’argument de Canadien Pacifique qui me préoccupe est l’effet juridique de la clause 22 du contrat. Il ne fait aucun doute que la Loi du CP devait l’emporter sur les dispositions incompatibles de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879. En fait, l’annexe A au contrat, énonçant les pouvoirs conférés à la compagnie de chemin de fer qui devait être constituée pour la construction du chemin de fer, le prévoit à l’article 17:

17. "L’Acte refondu des chemins de fer, 1879," en tant que ses dispositions sont applicables à l’entreprise autorisée par cette charte, et en tant qu’elles ne sont pas incompatibles ou contradictoires avec les dispositions de celle-ci, et sauf et excepté tel que ci-après prescrit, est incorporé dans le présent acte. [Para 140.]

[158]  Elle a poursuivi en déclarant :

Mais il est aussi vrai que l’article 3 de l’Acte refondu des chemins de fer1879 (et les dispositions qui l’ont remplacé) dispose que toute mesure législative dérogatoire, c’est-à-dire tout "acte spécial", doit préciser les dispositions de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 sur lesquelles il l’emporte. Cette exigence explique la présence de l’article 18 dans l’annexe A du contrat, qui énumère expressément les dispositions de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 qui lui sont subordonnées ou qui sont modifiées. L’article 18 de l’annexe A dispose:

18. En ce qui concerne le dit chemin de fer, la septième section de "l’Acte des chemins de fer, 1879," relative aux pouvoirs, et sa huitième section, relative aux plans et arpentages, seront subordonnées aux dispositions suivantes: " [Para 141.]

[159]  Or, aucune des dispositions mentionnées n’écarte l’application de l’article 9 de l’Acte refondu des chemins de fer.

[160]  La cour a ainsi conclu que :

Ce qui est clair, et qui réfute l’argument de Canadien Pacifique, c’est qu’une dérogation à la restriction à l’aliénation établie par le paragraphe 7(3) de l’Acte refondu des chemins de fer, 1879 n’est pas explicitement prévue. Il est clair que l’alinéa 18a) vise le paragraphe 7(3), mais uniquement pour étendre la portée de la dernière partie de cette disposition concernant la prise, l’utilisation ou l’occupation des grèves et terrains au-dessous de la marque des hautes eaux, dont la Couronne est propriétaire. La seule inférence raisonnable que l’on peut tirer est que, lors de l’acquisition de terres de la Couronne, les autres éléments du paragraphe 7(3) s’appliqueraient. Par conséquent, Canadien Pacifique acquiert les terres de la Couronne sous réserve de la restriction quant à l’aliénation établie par le paragraphe 7(3). [Souligné dans l’original; para 142.]

[161]  En l’espèce, l’effet de l’article 9 n’est pas expressément écarté. Les conclusions de la cour règlent également de façon péremptoire la question de savoir si les dispositions de l’Acte du CFCP ont préséance sur l’article 9.

[162]  Au demeurant, l’Acte du CFCP n’appelle pas la concession de l’emprise dans son entier :

5. En attendant l’achèvement des sections de l’Est et du Centre dudit chemin de fer, telles que décrites dans ledit contrat, le gouvernement pourra aussi transférer à ladite compagne la possession et le droit d’exploitation des différentes portions du chemin de fer Canadien du Pacifique tel que décrit dans ledit acte trente-sept Victoria, chapitre quatorze, qui sont déjà construites et au fur et à mesure qu’elles seront terminées à l’avenir; et lors de l’achèvement desdites sections de l’Est et du Centre, le gouvernement pourra transporter à la compagnie, avec un nombre convenable de bâtiments de stations, et avec le service d’eau (mais sans équipement), les portions du chemin de fer Canadien du Pacifique construites ou dont la construction par le gouvernement est convenu sous l’empire dudit contrat, et qui seront alors terminées; et lors de l’achèvement du reste de la portion dudit chemin de fer que doit construire le gouvernement, cette portion pourra aussi être transportée par le gouvernement à la compagnie; et le chemin de fer Canadien du Pacifique défini tel que susdit deviendra et sera ensuite la propriété absolue de la compagnie; le tout, néanmoins, aux termes et conditions, et sauf les restrictions et réserves stipulées audit contrat. [Je souligne.]

[163]  La partie 10 du Contrat avec le CFCP prévoit le transfert des terres requises aux fins des voies (ou plateformes) et des gares :

De plus, en considération de ce que dessus, le gouvernement concèdera à la compagnie les terrains dont elle aura besoin pour la voie du dit chemin de fer, les gares et stations et leurs dépendances, les ateliers, les bassins et abords aux termini sur les eaux navigables, les édifices, cours et autres dépendances nécessaires à la construction et à l’exploitation efficace du chemin de fer, en tant que ces terrains seront la propriété du gouvernement.

[164]  Le terme « plateforme », utilisé dans le domaine ferroviaire, se définit comme suit :

3   Surface horizontale servant de base*.

  Ch. de fer. Partie de la voie préparée pour recevoir le ballast et les rails.

[Le Grand Robert de la langue française, édition en ligne, sous l’entrée « plateforme », https://gr.bvdep.com/robert.asp]

[165]  Selon les explications données par M. Martin, le terme « ballast » désigne les ouvrages sur lesquels reposent les traverses et les rails.

[166]  En l’espèce, on ne trouve pas de « gares […] et autres dépendances » sur les terres d’emprise situées dans les réserves.

[167]  Du reste, la largeur de l’emprise dépasse de beaucoup les limites de la plateforme ou du ballast servant d’assise à la ligne de chemin de fer. En utilisant l’échelle figurant sur la carte photographique, à laquelle est superposé le plan d’arpentage de l’emprise, on peut voir que l’étendue de 99 pieds ayant pour centre la ligne médiane de la voie ferrée donne une zone plane qui s’étend bien au-delà des limites de la plateforme, de part et d’autre de la voie.

[168]  J’en conclus donc que les terres concédées avaient une étendue excessive, contrairement à l’article 9 de l’Acte refondu des chemins de fer.

XI.  Indemnité pour disposition illégale

[169]  Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, l’indemnité à accorder en cas de disposition illégale de terres de réserve doit être calculée en fonction de la valeur actuelle de ces terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps.

[170]  Dès lors que le motif fondé sur l’alinéa 14(1)d) de la LTRP est établi, l’alinéa 20(1)h) s’applique également :

h) dans le cas où le revendicateur a établi qu’il a perdu l’usage des terres visées à l’alinéa g), accorde une indemnité, égale à la valeur de la perte de cet usage ajustée à la valeur actuelle des pertes conformément aux principes juridiques appliqués par les tribunaux judiciaires; [Je souligne.]

[171]  Étant donné que l’alinéa 14(1)d) de la LTRP se rapporte expressément aux « terres d’une réserve », je présume, pour les fins de l’argument fondé sur l’alinéa 14(1)d), que l’expression « terres visées » utilisée aux alinéas 20(1)g) et h) s’entend de terres de réserve au sens de la Loi sur les Indiens. La perte d’utilisation des terres visée à l’alinéa 20(1)h) est par conséquent susceptible d’indemnisation, dans la mesure où elle a été subie après que les réserves sont tombées sous le coup de la Loi sur les Indiens. Puisque les « expropriations » sans autorisation légale ont eu lieu en 1912, 1927 et 1928, il est nécessaire de traiter de la question de la date de création des réserves. Cette date est également pertinente pour l’analyse des obligations de fiduciaire susceptibles de s’être appliquées à l’égard des réserves attribuées en 1878, ainsi que je l’exposerai plus loin.

XII.  LA CRÉATION DES RÉSERVES DANS LA zone des chemins de fer

A.  Création des réserves en général : le critère juridique

[172]  L’intimée, s’appuyant sur le raisonnement tenu dans l’arrêt Wewaykum, tout en reconnaissant l’existence de différences de nature factuelle en ce qui a trait aux terres situées dans la zone des chemins de fer, soutient que les réserves sont demeurées provisoires jusqu’en 1930. C’est en effet à cette date que les deux couronnes ont conclu l’entente figurant dans le décret C.P. 208‑1930, de même que la convention, datée du 20 février 1930, et mise en vigueur par les textes de loi intitulés : An Act to approve of an Agreement which has been arrived at between the Dominion and the Province respecting the Re-Transfer of the Railway Belt and the Peace River Block, SBC 1930, 20 Geo 5, c 60 ([traduction] : Loi visant à approuver l’entente intervenue entre le Dominion et la Province concernant le retransfert de la Zone du chemin de fer et du Bloc de la rivière La Paix); et Loi de la Zone du chemin de fer et du Bloc de la rivière La Paix, SC 1930, c 37.

[173]  Dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a précisé les critères applicables au regard de la constitution en bonne et due forme des réserves :

Dans l’arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 816, 2002 CSC 54, rendu le 20 juin 2002, notre Cour a examiné les conditions légales de création d’une réserve au sens de la Loi sur les Indiens.  Parmi ces conditions, mentionnons l’existence d’un acte de la Couronne ayant pour effet de mettre de côté des terres domaniales à l’usage d’une bande indienne, l’intention de créer une réserve, manifestée par des personnes ayant le pouvoir de lier la Couronne, et l’accomplissement par celle-ci et par la bande indienne de démarches concrètes pour réaliser cette intention (par. 67).  [Para 13.]

[174]  Toujours dans Wewaykum, la Cour suprême a fait état, au moyen d’un survol, d’une partie de l’historique de la création des réserves en Colombie-Britannique :

En 1924, le gouvernement de la Colombie‑Britannique et le gouvernement fédéral ont finalement adopté les recommandations de la Commission McKenna-McBride, telles qu’elles avaient été modifiées par le rapport Ditchburn‑Clark. Le décret fédéral C.P. 1265, pris le 19 juillet 1924, précisait que l’adoption du rapport McKenna-McBride avait pour objet le [traduction] « règlement complet et final de tous les différends [sur la question] entre les gouvernements du Dominion et de la province, conformément au protocole du 24 septembre 1912 [créant la Commission McKenna-McBride] et à l’article 13 des Conditions de l’adhésion ». Le décret provincial no 911, pris le 26 juillet 1923, était au même effet. Toutes ces mesures ont finalement mené à la prise du décret provincial no 1036, le 29 juillet 1938, lequel transférait à la Couronne du chef du Canada la maîtrise et l’administration des terres visées. Bien que le ministère des Affaires indiennes considérât que les « réserves » de Colombie‑Britannique existaient déjà avant la prise de ces textes officiels, il régna beaucoup de confusion au début de la Confédération au sujet de la nature précise de la compétence fédérale prévue au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 . Ce n’est que lorsque le Comité judiciaire du Conseil privé a rendu l’arrêt St. Catherine’s Milling and Lumber Co. c. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46, qu’il a été établi clairement que le par. 91(24) avait pour effet de conférer au Dominion uniquement [traduction] « le droit d’exercer des pouvoirs de nature législative et administrative à l’égard des terres visées — alors que la propriété de celles‑ci était dévolue à la Couronne pour le bénéfice de la province et relevait de l’autorité législative de cette dernière » (voir Ontario Mining Co. c. Seybold (1899), 31 O.R. 386 (H.C.), p. 395, conf. par (1900), 32 O.R. 301 (C. div.), conf. par (1901), 32 R.C.S. 1, conf. par [1903] A.C. 73 (C.P.)). Facteur plus important encore, vu le rôle crucial de l’« intention » en matière de création de réserves (Ross River, précité, par. 67), il est clair que les plus hautes instances des deux gouvernements avaient eu l’intention d’agir par voie d’accord mutuel. On ne saurait raisonnablement imputer à la Couronne fédérale, en 1907, l’intention de créer une réserve sur des terres susceptibles d’être soustraites, à tout moment avant la conclusion d’un tel accord, de celles dont conviendraient les gouvernements fédéral et provincial en bout de ligne. [Je souligne; para 51.]

[175]  La Cour suprême a établi que la date déterminante pour ce qui est de l’intention de créer les réserves — intention qui, par ailleurs, joue un « rôle crucial » (Wewaykum, au para 51) —, était le 29 juillet 1938, soit la date du décret provincial no 1036, qui « transférait la maîtrise et l’administration des terres visées à la Couronne du chef du Canada ».

[176]  Il est important de signaler que, pour tirer sa conclusion relative à l’intention du gouvernement fédéral, le juge Binnie a tenu compte du fait que, tant et aussi longtemps que la province n’aurait pas transféré les terres, celles préalablement attribuées à titre de réserves étaient « susceptibles d’être soustraites, à tout moment avant la conclusion d’un tel accord, de celles dont conviendraient les gouvernements fédéral et provincial en bout de ligne » (para 51). Le juge faisait alors allusion au fait que la province pouvait refuser de transférer au Canada l’administration et la maîtrise des terres. En l’espèce, toutefois, les terres de la zone des chemins de fer, y compris les terres des réserves, ont été transférées au Canada en décembre 1883.

[177]  Il serait à mon avis possible, à supposer qu’il y ait des éléments de preuve en ce sens, de conclure à l’intention du gouvernement fédéral de créer une réserve sur des terres que la province n’avait aucun pouvoir de soustraire de « celles dont conviendraient les gouvernements fédéral et provincial ».

B.  La création des réserves dans la zone des chemins de fer

1.  La distinction d’avec Wewaykum

[178]  Dans l’affaire Wewaykum, la Cour suprême n’a pas examiné la situation particulière des réserves attribuées situées dans la zone des chemins de fer.

[179]  Hors les limites de la zone des chemins de fer, la création de réserves par suite de l’exercice de la compétence fédérale attribuée par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionelle de 1867 dépendait du transfert, de la province au Dominion, de la maîtrise et de l’administration des terres. Vers la fin de 1883, cependant, tel n’était plus le cas pour les terres situées dans la zone des chemins de fer. En effet, la compétence fédérale a été établie sitôt les terres transférées au Canada, le 19 décembre 1883.

[180]  Le juge Binnie a déclaré, dans Wewaykum : « il est clair que les plus hautes instances des deux gouvernements avaient eu l’intention d’agir par voie d’accord mutuel » (en italique dans l’original; para 51). Cependant, le Canada n’avait pas d’autre option, car il ne pouvait « créer » de réserve tant que la province ne lui aurait pas transféré les terres, conformément aux Conditions de l’adhésion. Or, pour ce qui est des terres situées dans la zone des chemins de fer, il n’existait aucun obstacle de la sorte.

[181]  S’agissant de la date de « création » des réserves, j’en arrive donc à la conclusion que l’affaire Wewaykum se distingue de l’espèce, pour la raison que la maîtrise et l’administration des terres de la zone des chemins de fer ont été transférées au Canada à compter du 19 décembre 1883. Si la province ne pouvait soustraire unilatéralement ces terres de « celles dont conviendraient les gouvernements fédéral et provincial », le gouvernement du Dominion, lui, était habilité à « créer » unilatéralement les réserves.

2.  La création des réserves

a)  L’intention mutuelle

[182]  Dans l’arrêt Ross River, la Cour suprême a examiné les conditions légales de création d’une réserve :

Par conséquent, tant au Yukon qu’ailleurs au Canada, il ne semble pas exister une seule et unique procédure de création de réserves, quoique la prise d’un décret ait été la mesure la plus courante et, indubitablement, la meilleure et la plus claire des procédures utilisées à cette fin.  (Voir : Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, p. 674-675; Woodward, op. cit., p. 233‑237.)  Quelle que soit la méthode utilisée, la Couronne doit avoir eu l’intention de créer une réserve.  Il faut que ce soit des représentants de la Couronne investis de l’autorité suffisante pour lier celle-ci qui aient eu cette intention.  Par exemple, cette intention peut être dégagée soit de l’exercice du pouvoir de l’exécutif — par exemple la prise d’un décret — soit de l’application de certaines dispositions législatives créant une réserve particulière.  Des mesures doivent être prises lorsqu’on veut mettre des terres à part.  Cette mise à part doit être faite au profit des Indiens.  Et, enfin, la bande visée doit avoir accepté la mise à part et avoir commencé à utiliser les terres en question.  Le processus demeure donc fonction des faits.  L’évaluation de ses effets juridiques repose sur une analyse éminemment contextuelle et factuelle.  En conséquence, l’analyse doit être effectuée au regard des éléments de preuve au dossier. [Para 67.]

[183]  Dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a mentionné le « rôle crucial de l’"intention" en matière de création de réserves » (para 51). Dans cette affaire, il était question d’intention mutuelle, dans la mesure où la province détenait le titre de la Couronne sur les terres mises de côté en vue de l’établissement de réserves.

[184]  La question de savoir si la création de réserves dans la zone des chemins de fer reposait sur la réciprocité des intentions de la province et du Canada est une question de fait, qui devra être tranchée en fonction de la preuve soumise en l’espèce.

C.  Les intentions de la province et du Canada concernant la création des réserves

1.  La Commission mixte des réserves indiennes (CMRI)

[185]  L’intention mutuelle qu’avaient la province et le Canada d’établir des réserves a été formulée pour la première fois dans l’article 13 des Conditions de l’adhésion, 1871. Le processus d’attribution des réserves, quant à lui, a été établi en 1876 avec la création de la CMRI.

[186]  En 1875-1876, le Canada et la Colombie-Britannique ont approuvé, au moyen de décrets, la constitution de la CMRI afin de régler la question des terres indiennes dans la province. La note de service jointe à l’approbation du gouverneur en conseil, en date du 10 novembre 1875, se lisait en partie comme suit :

[traduction] 1. Que, dans le but de régler avec célérité et de manière définitive et satisfaisante la question des réserves indiennes en Colombie‑Britannique, toute l’affaire est renvoyée à trois commissaires, l’un nommé par le gouvernement fédéral, le deuxième par le gouvernement de la Colombie-Britannique et le troisième conjointement par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux.

[187]  Les instructions aux commissaires étaient ainsi précisées :

[traduction] 2. Que lesdits commissaires, dès que possible après leur nomination, se réunissent à Victoria et prennent les dispositions nécessaires pour aller rencontrer dans les plus brefs délais, dans l’ordre qu’ils jugeront souhaitable, chaque nation indienne (c’est-à-dire toutes les tribus indiennes parlant une même langue) de la Colombie-Britannique et que, après une étude complète menée sur place de tous les aspects ayant une incidence sur la question, ils fixent et déterminent, pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer.

[188]  La province et le Dominion ont nommé conjointement Sproat à titre d’unique commissaire. Compte tenu du mandat confié aux commissaires, l’on peut présumer que les « nation[s] indienne[s] » auraient reçu l’assurance du caractère définitif de l’attribution de leurs réserves.

[189]  La réserve a été attribuée par le rapport de décision de Sproat daté du 18 juin 1878. On ne saurait entretenir un doute quant à la sincérité de la province et du Canada à l’époque où Sproat a été nommé comme unique commissaire de la CMRI. Le décret C.P. 170-1878 prévoyait ce qui suit :

[traduction] De cette façon, la continuité de l’actuelle Commission sera préservée et les Indiens auront une garantie que la même politique qui a guidé jusqu’à ce jour la Commission dans ses travaux concernant leurs réserves sera appliquée à l’avenir.

[190]  En avril 1878, la province a convenu que [traduction] « toutes les décisions de M. Sproat concernant les terres indiennes dans le district électoral de Yale seront considérées comme étant définitives, sauf celles que M. Teague ou M. Usher, agents du gouvernement, l’aviseront de différer ». Soulignons que la RI no 5 et la RI n° 7 se trouvaient dans le district électoral de Yale (ECF, au para 14).

[191]  La condition relative à l’approbation par le commissaire en chef des Terres et des Travaux (CCTT) de la province a été remplie lorsque, le 24 juin 1887, F.G. Vernon, alors CCTT de la province, a entériné le levé d’arpentage de la RI no 5 et de la RI n° 7 réalisé en 1885 par Jemmett. La province a, de ce fait, été privée de toute possibilité de s’opposer à la « création » des réserves en invoquant le non-respect de l’entente ayant établi la CMRI.

2.  L’autorité suffisante d’un représentant de la Couronne

[192]  L’intention de la Couronne doit être manifeste. En effet, « [q]uelle que soit la méthode utilisée, la Couronne doit avoir eu l’intention de créer une réserve. Il faut que ce soit des représentants de la Couronne investis de l’autorité suffisante pour lier celle-ci qui aient eu cette intention. Par exemple, cette intention peut être dégagée soit de l’exercice du pouvoir de l’exécutif — par exemple la prise d’un décret […] » (Ross River, au para 67).

[193]  Le juge LeBel a expliqué, dans l’arrêt Ross River, qu’il fallait tenir compte du point de vue de la Première Nation cherchant à faire reconnaître la création d’une réserve, notamment pour ce qui est de savoir si la personne représentant la Couronne dans « des fonctions très importantes d’autorité » a fait des déclarations au sujet de la création d’une réserve.

[194]  La nomination de Sproat à titre de seul commissaire de la CMRI, laquelle fut créée par décrets afin de « régler avec célérité et de manière définitive et satisfaisante la question des réserves indiennes en Colombie-Britannique », mais aussi dans l’objectif, « après une étude complète menée sur place de tous les aspects ayant une incidence sur la question, [de] fixe[r] et détermine[r], pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer », règle la question des intentions que l’on avait en juin 1878. Néanmoins, comme je le relaterai plus loin, la province est revenue sur son engagement, et le Canada a estimé qu’il n’avait guère d’autre choix que de consentir à la création d’une deuxième commission chargée d’examiner les attributions faites par la CMRI. La question de savoir si le Canada avait d’autres options n’est pas en litige en l’espèce.

3.  L’acceptation par la bande de Siska

[195]  Toujours en ce qui concerne les intentions à l’égard de la création des réserves, la bande de Siska a‑t‑elle accompli les « démarches concrètes » voulues à la suite de l’attribution des réserves? Eh bien, elle occupait les terres avant l’attribution, et cette occupation s’est poursuivie en tout temps jusqu’à ce jour.

4.  La création unilatérale d’une réserve

[196]  Se pose ensuite la question de savoir si la « création » des réserves, sur la base d’un accord mutuel et des intentions du gouvernement fédéral, mais sans qu’il y ait d’ordonnance expresse en ce sens du pouvoir exécutif provincial, serait « unilatérale », selon la signification donnée à ce terme dans l’arrêt Wewaykum.

[197]  Dans Wewaykum, la Couronne fédérale ne pouvait créer unilatéralement des réserves sur des terres se trouvant sous le contrôle et l’administration de la province. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, les terres en cause sont passées sous l’administration et le contrôle du gouvernement fédéral le 19 décembre 1883. La Couronne a ensuite exercé un contrôle exclusif sur les intérêts détenus par les bandes dans les réserves, mais aussi en ce qui a trait à la délivrance des lettres patentes au CFCP. La condition relative à l’approbation du CCTT de la province a été remplie le 24 juin 1887, date où F.G. Vernon, CCTT, a approuvé le levé d’arpentage de 1885 de Jemmett concernant la RI no 5 et la RI n° 7. Il n’y aurait donc rien eu d’« unilatéral » à ce que la Couronne ait donné effet, à partir du 24 juin 1887, à l’intention mutuelle à l’origine de la création de la CMRI en 1876 ainsi que de l’attribution des réserves par Sproat en 1878.

[198]  Il est manifeste que les fonctionnaires de la Couronne n’ont jamais cessé, après le transfert des terres, de considérer le MAI en tant que ministère responsable des réserves. Toutes les négociations tenues par le ministère des Chemins de fer et Canaux relativement aux terres de réserve situées le long de l’emprise l’ont été avec le MAI. Quoiqu’informelles au départ, ces négociations sont devenues officielles lorsque l’administration des réserves situées dans la zone des chemins de fer est passée sous l’égide du MAI, en vertu du décret C.P. 2983 daté du 29 décembre 1911. Précisons que le C.P. 2983 reprend le répertoire des réserves de 1886 qui accompagnait le C.P. 379, et que ce répertoire ne fait pas mention de la RI no 5 et de la RI n° 7. Il n’en demeure pas moins que le MAI a assuré l’administration des réserves de l’espèce tout autant que de celles figurant sur la liste de 1886, notamment en délivrant les lettres patentes sans que le ministère des Chemins de fer et Canaux n’intervienne.

5.  L’attitude récalcitrante de la province

[199]  Néanmoins, la province a mis du sable dans l’engrenage en revendiquant un intérêt réversif à l’égard des terres qu’elle avait transférées au Canada, après les avoir approuvées en tant que réserves. Ce recul est survenu à la suite de la concession d’un intérêt foncier au CFCP pour les besoins de l’emprise traversant une réserve de la bande de Skuppah. S’appuyant sur sa prétention à un intérêt réversif dans les terres de réserve situées dans la zone des chemins de fer, la province a réclamé une indemnisation de la part du CFCP, et rejeté la demande présentée par la compagnie en vue de faire enregistrer les titres auprès du bureau d’enregistrement des titres fonciers. Ce qui s’est produit par la suite a clairement fait ressortir l’intention du Canada concernant la pleine reconnaissance des réserves.

[200]  Le Canada a rejeté la demande du CFCP visant le remboursement des fonds dépensés afin de libérer le titre sur l’intérêt revendiqué par la province, au motif qu’il détenait le titre et le droit qui lui permettaient de transférer un intérêt non grevé. Cependant, la province avait une carte à abattre : elle a refusé d’enregistrer les plans de l’emprise du gouvernement fédéral auprès du bureau d’enregistrement des titres fonciers.

[201]  Une délégation provinciale s’est rendue à Ottawa pour y faire valoir la position intégrale de la province concernant les réserves attribuées par la CMRI. Même si elle les avait déjà approuvées auparavant, la province a soutenu que les attributions de réserves faites la CMRI avaient un caractère excessif, pour ensuite demander un « rajustment immédiat ». Elle a également allégué détenir un « intérêt réversif » dans toutes les terres de réserve de la province, celles situées dans la zone des chemins de fer y compris. L’extrait qui suit est tiré du rapport écrit au lieutenant‑gouverneur par le premier ministre McBride en date du 12 février 1912 (RCD, vol 3, à l’onglet 0489) :

[traduction] Le titre détenu par la Couronne du Chef de la province dans les terres de réserve indiennes de la Colombie-Britannique n’avait jamais été mis en question, jusqu’à ce que, ces dernières années, le ministère de la Justice à Ottawa ait émis certaines objections à ce sujet. Nous continuons de maintenir que l’intérêt réversif à l’égard de la totalité des terres de réserve appartient à la province, et que l’intérêt public exige que la province conserve la même attitude sur ce plan. À cet égard, il convient de signaler la superficie largement excessive des terres détenues au titre des réserves indiennes en Colombie-Britannique, de même que la nécessité, vu l’accroissement rapide de la population blanche, de procéder à un rajustement immédiat des limites de toutes les réserves afin que la superficie excédentaire puisse être cédée à la province.

[202]  Le Canada a nommé J. McKenna à titre de commissaire spécial ayant pour tâche de répondre à cette nouvelle exigence de la province. Dans un volumineux mémoire daté du 29 juillet 1912 et adressé au premier ministre McBride (RCD, vol 3, à l’onglet 0510), McKenna a mis en doute l’intérêt réversif allégué à l’égard des terres attribuées par la CMRI, puisque ces attributions étaient considérées comme définitives. S’agissant tout particulièrement des réserves situées dans la zone des chemins de fer, le mémoire indiquait que, en admettant qu’il existe un intérêt réversif à l’égard des terres situées à l’extérieur des limites de la zone des chemins de fer, cela ne pouvait être vrai dans le cas des terres se trouvant à l’intérieur de cette zone, puisque le titre sur celles-ci avait été transféré au Canada sans restriction. Le mémoire précisait en outre la position fédérale à l’égard des réserves en général, y compris celles se trouvant dans la zone des chemins de fer. McKenna a évoqué le fait que le Canada et la province avaient donné aux Indiens des garanties quant au caractère définitif des attributions, conformément au texte de l’entente ayant établi la CMRI.

[203]  À ce stade-ci, je relève que nulle part, dans la correspondance et les autres documents produits en preuve, ne trouve-t-on quoi que ce soit qui établisse un engagement qu’aurait pris le gouvernement fédéral à l’époque du transfert, en 1883, des terres composant la zone des chemins de fer, quant à la reconnaissance ou à la restitution à la province de quelque intérêt que ce soit, réversif ou autre. Le 8 mars 1927, une Commission d’enquête a été mise sur pied afin de faire la lumière sur la question : elle a conclu que la province ne pouvait à bon droit réclamer la restitution des terres de la zone des chemins de fer (addenda au RCD, à l’onglet 0139).

[204]  La position officielle du Canada défendue McKenna constitue une preuve de l’intention qu’avait la Couronne, le Canada, de traiter les réserves attribuées par la CMRI comme étant établies de façon définitive.

[205]  La province ne pouvait avoir de motif de plainte légitime, puisqu’elle avait accepté, « [e]n avril 1878 », le fait que « toutes les décisions de M. Sproat concernant les terres indiennes dans le district électoral de Yale ser[aien]t considérées comme étant définitives, sauf celles que M. Teague ou M. Usher, agents du gouvernement, l’aviser[aien]t de différer ». La RI no 5 et la RI n° 7 se trouvaient, au demeurant, dans le district électoral de Yale (ECF, au para 14).

[206]  Le Canada était habilité à « créer » les terres de réserve de la zone des chemins de fer, étant donné qu’il assumait pleinement la maîtrise et l’administration de ces terres par suite du transfert de 1883. Comme il a été mentionné précédemment, le fait de donner effet à cette intention ne saurait être considéré comme une mesure « unilatérale », selon le sens donné à ce terme dans l’arrêt Wewaykum.

[207]  Malgré tout, la province avait toujours en main la carte maîtresse concernant la création de réserves à l’extérieur de la zone des chemins de fer. En 1912, les terres attribuées à titre de réserves et situées à l’extérieur de la zone des chemins de fer n’avaient toujours pas été transférées au Canada. La province insistait pour que les limites des réserves soient rajustées, étant donné que la population de colons avait augmenté après les attributions « définitives » faites par la CMRI. La province cherchait à réduire la quantité de terres arables composant les réserves, et à mettre ces terres à la disposition des nouveaux arrivants pour qu’ils les cultivent. S’il avait rejeté la prétention de la province quant à un intérêt réversif à l’égard des terres situées dans les limites de la zone des chemins de fer, le Canada souhaitait tout de même répondre à cette prétention, dans la mesure où les terres se trouvant à l’extérieur de la zone des chemins de fer demeuraient en la possession de la province.

[208]  La province insistait en outre pour que l’on révise l’ensemble des réserves attribuées par la CMRI. En effet, sa préoccupation avait trait aux réserves plus importantes comprenant des terres arables.

6.  La Commission McKenna-McBride

[209]  Le 24 septembre 1912, le Canada et la province ont conclu la Convention McKenna‑McBride. La Commission du même nom était investie des pouvoirs suivants :

[traduction]

 2. […] modifier la superficie des réserves indiennes de la Colombie‑Britannique de la manière suivante :

a)   Si, de l’avis des commissaires, une réserve donnée, telle qu’elle est alors délimitée, couvre une superficie supérieure à ce qui est raisonnablement requis pour l’usage des Sauvages de cette tribu ou de cet endroit, la réserve est, avec le consentement des Sauvages, et en conformité avec la Loi des Sauvages, réduite à une superficie que les commissaires estiment raisonnablement suffisante pour les besoins de ces Sauvages.

b)   Si, de l’avis des commissaires, une superficie insuffisante de terres a été mise de côté pour l’usage des Sauvages de cet endroit, les commissaires fixent la superficie à ajouter. Ils peuvent en outre mettre de côté des terres pour toute tribu à l’intention de laquelle aucune terre n’a encore été réservée.

[…]

8. […] Si, au cours de la période précédant la rédaction du rapport final des commissaires, il devait être établi par l’un ou l’autre des gouvernements concernés que des terres faisant partie d’une réserve indienne étaient nécessaires aux fins du passage du chemin de fer ou à d’autres fins ferroviaires, ou pour des travaux publics du Dominion, de la province ou d’une municipalité, la question sera renvoyée aux commissaires qui la trancheront dans un rapport provisoire, et chaque gouvernement fera le nécessaire pour mettre en œuvre les recommandations des commissaires. [Mémorandum de traité conclu entre J. McKenna, commissaire spécial, et l’honorable Sir Richard McBride, premier ministre; RCD, vol 3, à l’onglet 0514].

[210]  Dans ces circonstances, voici la question qui se pose : même si, d’une part, les parties avaient mutuellement l’intention que l’attribution des réserves par la CMRI ait un caractère « définitif », et que, d’autre part, le titre sur les réserves de la zone des chemins de fer avait été transmis au Dominion, la « création » des réserves demeurait-elle sujette à des conditions prévues par un nouvel « accord mutuel » entre la province et le Canada?

[211]  La réponse est « non ». Le 29 juillet 1912, le Canada a fait savoir à la province qu’il ne saurait admettre la réduction ou le retranchement de terres de réserve de la zone des chemins de fer des terres dont on avait « convenu ». Il avait déjà, en date du 29 décembre 1911, placé l’administration des réserves — sans modification de leurs limites ni de leur superficie —, sous la responsabilité du MAI.

[212]  La position du gouvernement fédéral est demeurée constante tout au long de la suite du processus, dont l’aboutissement fut le transfert au Canada, en 1938, du titre sur les réserves situées à l’extérieur de la zone des chemins de fer. Les étapes de ce processus seront décrites ci-après.

7.  L’intention mutuelle : l’examen de Ditchburn et Clark

[213]  La Commission McKenna-McBride avait le pouvoir de modifier la superficie des réserves. En s’entendant pour établir la Commission, la province et le dominion étaient mus par l’intention mutuelle [traduction] « de résoudre tous les différends qui surgissent entre le gouvernement du Dominion et le gouvernement de la province relativement aux terres des Sauvages et, d’une façon générale, aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie-Britannique » (Memorandum de traité; RCD, vol 3, à l’onglet 0514). Néanmoins, le Canada a prévenu la province que l’on ne pourrait modifier les limites des réserves de la zone des chemins de fer. Puisque le titre sur ces terres appartenait au Canada, la province n’avait pas le pouvoir d’en reprendre possession unilatéralement.

[214]  Le rapport McKenna-McBride a été présenté aux deux ordres de gouvernement en juin 1916. Mais la province ne l’a pas accepté. De fait, la Commission y ordonnait l’ajout de terres de réserve. Le major J.W. Clark, un fonctionnaire de la province qui était responsable de l’établissement des soldats au cours de la période ayant suivi la Première Guerre mondiale, a donc réitéré les préoccupations de la province au sujet de l’attribution de terres arables.

[215]  La province souhaitait une révision de l’ensemble des attributions.

[216]  En 1924, la Colombie-Britannique et le Canada ont institué un examen conjoint fédéral‑provincial du rapport de la Commission McKenna-McBride en vertu de la loi intitulée Indian Affairs Settlement Act, SBC 1919, c 32 et de la Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie-Britannique, SC 1920, c 51. M. W.E. Ditchburn, inspecteur en chef des agences indiennes de la Colombie‑Britannique, a été nommé en tant que représentant fédéral, et le major J.W. Clark, à titre de représentant de la province pour réaliser cet examen.

[217]  À l’issue de l’examen, il a été proposé que certaines terres de réserve soient « retranchées » de la zone des chemins de fer. Les réserves de Siska, pour leur part, devaient rester telles qu’elles avaient été attribuées.

[218]  Le Canada s’est opposé aux modifications proposées concernant les réserves situées dans la zone des chemins de fer. Newcombe, le sous-ministre de la Justice, a communiqué au MAI son opinion selon laquelle le transfert des terres de la zone des chemins de fer au Canada avait réglé la question de toute prétention relative à un intérêt réversif. Cette opinion reprenait la position fédérale adoptée avant l’établissement de la Commission McKenna-McBride.

[219]  Ditchburn, l’inspecteur en chef des agences indiennes, a fait part à la province de la position du gouvernement fédéral, à savoir que, lors du transfert de 1883, les réserves de la zone des chemins de fer avaient été transférées sans restriction au Canada, comme le prescrivait l’article 13 des Conditions de l’adhésion.

[220]  Duncan Campbell Scott, surintendant adjoint au MAI, a continué de soutenir catégoriquement que l’examen de Ditchburn et Clark ne saurait avoir de répercussions sur les réserves de la zone des chemins de fer confirmées depuis longtemps par la Commission McKenna‑McBride. Dans une lettre adressée au premier ministre Patullo et datée du 9 avril 1923, Campbell Scott a ainsi fait état de son point de vue sur la question :

[traduction]

BC Lands 026076-3

MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES

CANADA

Bureau du

surintendant général adjoint

Ottawa

Le 9 avril 1923.

Monsieur Patullo,

Je confirme réception de votre lettre, rédigée à Ottawa en date du 6 avril, qui portait sur les mesures proposées relativement au rapport de la Commission royale des affaires des sauvages pour la province de la Colombie‑Britannique.

L’honorable surintendant général m’a chargé de vous faire savoir qu’il partage votre avis quant au fait que le rapport de la Commission royale devrait maintenant être accepté, sous réserve de modifications susceptibles de faire l’objet d’une entente. Monsieur W. E. Ditchburn, inspecteur en chef des agences indiennes de la Colombie‑Britannique, a fait rapport du résultat de sa rencontre avec le colonel Clark, et ses rapports concordent, dans leurs grandes lignes, avec les renseignements fournis dans votre lettre du 6 avril. Les répertoires des réserves, avec les modifications et ajouts proposés, ont été vérifiés à Ottawa par M. Cathcart, l’un de vos fonctionnaires, ainsi que par les fonctionnaires du Ministère des Affaires indiennes, et un répertoire des réserves a également été établi. Ainsi donc, rien n’empêche, semble-t-il, nos gouvernements d’invoquer leurs pouvoirs conférés par la loi pour entériner le répertoire révisé tenant compte des confirmations, des retranchements et des nouvelles réserves proposés.

Afin que les Indiens puissent avoir l’occasion d’examiner le rapport de la Commission royale et de formuler des observations à nos deux gouvernements, le Ministère a fait appel à M. J.A. Teit pour mener des entrevues avec les différentes tribus et présenter leurs points de vue. Or, Monsieur Teit est décédé avant d’avoir pu présenter un rapport final ou complet, et l’on a estimé qu’il serait judicieux de la part de notre ministère de nommer des Indiens pour poursuivre le travail. Ces derniers ont soumis une liste supplémentaire de réserves demandées, dont le major Clark a, je crois, tenu compte en partie. À la page 2 de votre rapport, vous faites référence à cette liste supplémentaire, en précisant les raisons pour lesquelles l’octroi des réserves additionnelles en question irait à l’encontre de l’intérêt public. L’honorable surintendant général tient à ce que j’insiste auprès de vous sur l’opportunité de procéder à un examen approfondi de ces demandes supplémentaires, et d’y faire droit autant que faire se peut. Comme cette étape constitue le règlement final de toutes les revendications pour des réserves indiennes entre le Dominion et la province en vertu des dispositions de l’article 13 des Conditions d’adhésion, nous croyons fermement que les demandes présentées au nom des Indiens devraient être examinées très attentivement et favorablement, et ne devraient être refusées que pour des raisons très probantes.

S’agissant des réserves situées dans la zone des chemins de fer, auxquelles il est fait référence à la page 3 de votre lettre, je me dois de vous informer qu’en 1915‑1916, lorsque la question a été soumise à l’examen du Ministère, les conseillers juridiques de la Couronne ont avisé le Ministère que, selon eux, le droit de bénéficiaire de la province dans les terres de la zone des chemins de fer, qui est intégralement passé au Dominion par voie de transfert légal, comprenait tout intérêt que la province détenait dans les terres déjà mises de côté à titre de réserves indiennes, ou susceptibles de l’être ultérieurement. Nonobstant cet avis, on a jugé bon de permettre à la Commission de faire rapport sur les réserves se trouvant dans la zone des chemins de fer. Aussi le Dr McKenna a-t-il été informé, le 2 février 191[illisible], que de l’avis du Ministère, « les parties intéressées, à défaut de profiter des fruits des travaux de la Commission royale, perdront une aide précieuse pour l’établissement des limites des réserves se trouvant à l’intérieur des limites de la zone. Je dirais donc que nous devons nous attendre à ce que la Commission royale fasse rapport sur les réserves indiennes situées à l’intérieur des limites de la zone des chemins de fer de façon tout aussi détaillée qu’en ce qui concerne d’autres régions. L’acceptation de pareil rapport ne saurait en aucun cas modifier la position juridique adoptée ».

Il n’y a aucune raison pour que l’on retienne maintenant un autre point de vue sur cette question. Par conséquent, il est proposé d’inclure au répertoire les réserves de la zone des chemins de fer. [Je souligne; RCD, vol 4, à l’onglet 0772.]

[221]  Le 26 juillet 1923, par le décret provincial n°911, la Colombie-Britannique a approuvé et confirmé le rapport final de la Commission McKenna-McBride.

[222]  Le 19 juillet 1924, par le décret C.P. 1265, le Canada a approuvé et confirmé à son tour le rapport final de la Commission McKenna-McBride, y compris les conclusions concernant les réserves situées dans la zone des chemins de fer.

[223]  Aucune réduction ni aucun retranchement des réserves de la zone des chemins de fer n’étaient prévus. Du reste, en conformité avec le transfert de la gestion des réserves au MAI, en date du 29 décembre 1911, et avec la position officielle adoptée par le Canada à compter du 29 juillet 1912, le C.P. 1265-1924 comportait le paragraphe suivant :

[traduction] Attendu que les terres situées dans la zone des chemins de fer relèvent de la compétence exclusive du Dominion, le ministre recommande que soient confirmées les conclusions de la Commission royale relativement aux réserves sises dans la zone des chemins de fer, mais qu’aucune réduction ni aucun retranchement s’applique à l’égard des réserves, conformément à la recommandation de ladite Commission royale.

[224]  Restait encore à déterminer la forme que devait prendre le transfert des terres situées à l’extérieur de la zone des chemins de fer. À cette fin, une étape supplémentaire était requise.

8.  La Convention Scott-Cathcart

[225]  En 1928, le Canada et la Colombie-Britannique ont entrepris des négociations en vue de la rétrocession, à la Colombie-Britannique, des terres de la zone des chemins de fer.

[226]  Par application d’une convention datée du 22 mars 1929, Duncan Campbell Scott, surintendant général adjoint des Affaires indiennes, et Henry Cathcart, surintendant des Terres de la province, ont été désignés par leur gouvernement respectif afin de formuler des recommandations sur les conditions de retransfert des terres formant la zone des chemins de fer. Tous deux se sont entendus sur les modalités entourant [traduction] « la tenure et le mode d’administration » des réserves indiennes situées dans la zone des chemins de fer.

[227]  Scott et Cathcart ont également convenu que les réserves indiennes situées à l’intérieur de la zone des chemins de fer seraient exclues du transfert, puis détenues en fiducie et administrées par le Canada, conformément aux conditions énoncées dans la Convention McKenna-McBride de 1912, et suivant le mode de transfert convenu relativement aux réserves indiennes situées à l’extérieur de la zone des chemins de fer.

[228]  La Convention Scott-Cathcart, conjointement avec le répertoire des réserves de la zone des chemins de fer et la formule de transfert à l’état d’ébauche, a été approuvée par un décret du gouverneur en conseil daté du 3 février 1930, le décret C.P. 208, ainsi que par un décret du lieutenant‑gouverneur en conseil daté du 24 septembre 1930.

[229]  Suivant le C.P. 208-1930, les terres de réserve doivent être détenues par le Canada selon les conditions établies dans la Convention Scott-Cathcart. Au paragraphe 6 de la Convention, qui se rapporte aux réserves de la zone des chemins de fer, on peut lire : « […] nous sommes convenus que les réserves indiennes mises de côté par le gouvernement du Dominion […] doivent être exclues du retransfert […] et doivent être détenues en fiducie et administrées par le Dominion conformément aux termes et conditions énoncés dans la Convention [McKenna-McBride] conclue en date du 24 septembre 1912 ».

[230]  Le répertoire accompagnant le C.P. 208 fournissait des renseignements tels que la description juridique, la superficie et la date de confirmation des réserves. On y trouvait ainsi, comme « date de confirmation » pour la RI no 5 et la RI n° 7, la mention « décret - 25 janvier 1913 ».

[231]  L’article 13 de la Convention du 20 février 1930 conclue entre le Canada et la Colombie‑Britannique disposait que les terres comprises dans les réserves indiennes situées dans la zone des chemins de fer devaient « continu[er] d’appartenir au Canada en fiducie pour les Indiens aux termes et conditions énoncés dans un certain arrêté du gouverneur général du Canada en son conseil, approuvé le 3e jour de février 1930 (C.P. 208) » (je souligne).

[232]  La Convention intervenue le 20 février 1930 entre le Canada et la Colombie‑Britannique au sujet de la rétrocession des terres a été mise en vigueur grâce à l’adoption de textes de loi réciproques de la province et du gouvernement fédéral (c.-à-d. la loi intitulée An Act to approve of an Agreement which has been arrived at between the Dominion and the Province respecting the Re-Transfer of the Railway Belt and the Peace River Block, SBC 1930, 20 Geo 5, c 60; et la Loi de la Zone du chemin de fer et du Bloc de la rivière La Paix, SC 1930, c 37), et, plus tard, au moyen d’une loi du Parlement du Royaume-Uni intitulée Constitution Act, 1930 (UK), 20-21 Geo V, c 26.

D.  Analyse et conclusion

[233]  Dans l’arrêt Ross River, le juge LeBel a expliqué qu’il fallait tenir compte du point de vue de la Première Nation cherchant à faire reconnaître la création d’une réserve, notamment pour ce qui est de savoir si la personne représentant la Couronne dans « des fonctions très importantes d’autorité » a fait des déclarations au sujet de la création d’une réserve. Car de telles déclarations ont pour conséquence de « renforcer » le rapport de fiduciaire existant, dans le contexte où « l’honneur de la Couronne dépend de l’empressement du gouverneur en conseil à respecter les déclarations faites à la Première nation dans le but de l’inciter à contracter certaines obligations ou à accepter un règlement relativement à une parcelle de terre donnée » (Ross River, para 64‑65).

[234]  La CMRI a été mise sur pied au moyen de décrets pris par la province de la Colombie‑Britannique et par le Canada, avec pour objectif, en consultation avec les nations indiennes, de « fixe[r] et détermine[r], pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer ». Le commissaire Sproat représentait les deux couronnes, la Couronne provinciale et la Couronne fédérale, dans cette fonction officielle du pouvoir exécutif.

[235]  L’attribution de 1878 a été réalisée par le commissaire Sproat, qui agissait ainsi sous l’autorité de la CMRI. C’est donc dire que cette attribution s’est faite grâce aux mesures conjointes de la province et du Canada, et dans le cadre d’un processus établi par voie de décrets réciproques. Le 24 juin 1887, le CCTT de la province a approuvé le levé d’arpentage de la RI no 5 et de la RI n° 7 réalisé par Jemmett. Cette approbation avait pour effet de « mettre de côté » définitivement les terres de la couronne provinciale à l’usage et au profit de la bande de Siska.

[236]  Les terres de la zone des chemins de fer ont été transférées au Canada en 1883. Rien ne permettait de croire qu’à partir du moment où il avait obtenu le titre de propriété sur ces terres, ou encore qu’il avait reçu l’approbation du CCTT en 1887, au plus tard, le Canada n’agirait pas conformément au principe de l’honneur de la Couronne en détenant les terres en fiducie pour Siska, ainsi que l’y obligeait l’article 13 des Conditions de l’adhésion, 1871. Pourtant, le Canada a par la suite consenti à un examen des attributions des terres de réserve situées à l’intérieur et à l’extérieur de la zone des chemins de fer, étant donné que la province refusait de transférer le titre de propriété sur ces dernières tant que les attributions ne seraient pas examinées par une autre Commission, et tant que ne serait pas résolue la question de son intérêt réversif allégué à l’égard des terres attribuées à titre de réserves. Ainsi fut créée la Commission McKenna-McBride.

[237]  Malgré l’intention mutuelle de la province et du Canada de tenir pour réglée la question des réserves une fois celles-ci confirmées par la Commission, la province insistait pour que l’on procède à un nouvel examen. Vint donc l’examen de Ditchburn et Clark.

[238]  Quand bien même le Canada a ratifié la Convention McKenna-McBride le 24 septembre 1912, et pris part ensuite à l’examen de Ditchburn et Clark, sa position à l’égard des attributions des réserves situées dans la zone des chemins de fer n’en est pas moins demeurée constante. En effet, depuis au moins le 29 juillet 1912, le Canada a rejeté formellement l’intérêt réversif allégué par la province relativement aux réserves de la zone des chemins de fer qui avaient fait l’objet d’une attribution. Par conséquent, son intention de considérer les réserves de la zone des chemins de fer comme pleinement « créées » était déjà évidente à cette époque.

[239]  Il restait cependant à déterminer quelle forme prendrait le transfert, au Canada, des terres attribuées à titre de réserves par la CMRI, mais situées à l’extérieur des limites de la zone des chemins de fer. Scott et Cathcart devaient répondre à cette question. Ainsi, la Convention Scott‑Cathcart est venue confirmer que les réserves indiennes situées dans la zone des chemins de fer seraient « exclues » du transfert et détenues en fiducie par le Canada, selon les conditions énoncées à la Convention McKenna-McBride de 1912 :

6. S’agissant des réserves indiennes sises dans la Zone des chemins de fer et du Bloc de la rivière La Paix, nous sommes convenus que les réserves indiennes mises de côté dans ladite Zone (comme le montre le registre ci-joint), de même que les les réserves indiennes mises de côté avant le transfert, de la province au Dominion, de la Zone des chemins de fer et du Bloc de la rivière La Paix, doivent être exclues du retransfert de la Zone des chemins de fer et du Bloc de la rivière La Paix, et doivent être détenues en fiducie et administrées par le Dominion conformément aux termes et conditions énoncés dans la Convention conclue en date du 24 septembre 1912 entre M. J.A.J. McKenna et l’hon. Sir Richard McBride (comme confirmé par le statut du Dominion, chapitre 51 des statuts de 1920, et par le statut de la Colombie-Britannique, chapitre 32 des statuts de 1919) tout comme dans le décret du Dominion n° 1265, approuvé le 9 juillet 1924, et dans le décret provincial n° 911, approuvé le 26 juillet 1923, conformément à la formule marquée « A », des réserves indiennes situées en dehors de la Zone des chemins de fer et du Bloc de la rivière La Paix. [Convention Scott-Cathcart, le 22 mars 1929; RCD, vol 5, à l’onglet 0922]

[240]  Cette disposition, dans les faits, réaffirmait ce dont la province et le Canada avaient déjà convenu en 1912. La Convention McKenna-McBride a été ratifiée sur le fondement des décrets pris à cette fin par la province et le Canada. L’impératif constitutionnel connexe réside dans l’article 13 des Conditions de l’adhésion, 1871 :

Le soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union.

Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral  […].

[241]  Dans l’hypothèse où le C.P. 208-1930 aurait été le seul décret portant sur les réserves, il serait possible d’affirmer que, pour ce qui est des réserves situées dans la zone des chemins de fer, leur création a eu lieu en 1930. Or, cet instrument a été précédé de nombreux autres décrets de la province et du Canada concernant les réserves. Les conditions selon lesquelles le Canada devait détenir les réserves en fiducie ont été établies par l’article 13 des Conditions de l’adhésion, 1871, et elles figuraient également dans les décrets autorisant la Convention McKenna-McBride. Malgré le fait que les actes et faits de la Commission McKenna-McBride demeuraient sujets à l’approbation des deux gouvernements, tel n’était pas le cas des conditions suivant lesquelles le Dominion devait détenir les réserves, puisque ces conditions étaient clairement énoncées à l’article 13.

[242]  Étant donné que le Canada a bel et bien participé aux examens des réserves de la zone des chemins de fer effectués par les McKenna-McBride et Ditchburn-Clark, une mesure du pouvoir exécutif entérinant le résultat de ces examens était nécessaire, afin que l’on puisse traiter de la question distincte de la restitution des terres restantes situées dans la zone des chemins de fer. Par conséquent, le C.P. 208‑1930 disposait que « les réserves indiennes mises de côté par le gouvernement du Dominion […] [devai]ent être exclues du retransfert ».

[243]  Ainsi, la confirmation de l’article 7 de la Convention McKenna-McBride n’a pas pour effet d’établir, mais réitère simplement, l’intention réciproque qui animait les parties le 24 septembre 1912.

[244]  La dernière question à examiner concerne la date à laquelle le Canada a exprimé son intention de délimiter et détenir les terres de réserve sur lesquelles il avait un titre de propriété, comme l’exigeait l’article 13.

[245]  Dans le répertoire joint au C.P. 208-1930, il était indiqué, comme « date de confirmation » pour la RI no 5 et la RI n° 7 : « décret - 25 janvier 1913 ». Toutefois, comme il a été conclu dans l’arrêt Ross River, la détermination de la date à laquelle une réserve particulière a été créée dans le cadre du processus d’établissement des réserves :

[…] demeure donc fonction des faits.  L’évaluation de ses effets juridiques repose sur une analyse éminemment contextuelle et factuelle.  En conséquence, l’analyse doit être effectuée au regard des éléments de preuve au dossier. [Para 67.]

[246]  Rappelons-nous les circonstances : les fonctionnaires de la Couronne n’ont jamais cessé, après 1878 de considérer le MAI en tant que ministère responsable des réserves. Toutes les négociations du ministère des Chemins de fer et Canaux concernant les terres de réserve situées le long de l’emprise ont eu lieu avec le MAI. De plus, à la suite de l’établissement de l’emprise, le ministère des Chemins de fer et Canaux a continué de traiter avec le MAI pour ce qui est des indemnités à verser et des transferts de terres. Le gouvernement, après avoir construit le chemin de fer, en a confié l’exploitation au CFCP, lequel détenait un droit contractuel, et non une tenure légale, sur les terres visées. Au moyen d’un décret daté du 29 décembre 1911, l’administration des réserves situées dans la zone des chemins de fer a été transférée de nouveau au MAI. Les réserves étaient exactement telles qu’elles avaient été mises de côté par Sproat, en 1878. Cette mesure est une manifestation de l’intention qu’avait le Canada, le 29 décembre 1911, de considérer les réserves comme ayant été « créés ». Le ministère responsable, c’est-à-dire le MAI, a ainsi pu émettre des lettres patentes au CFCP.

[247]  Il est souligné que, selon le C.P. 208-1930, le mode de transfert pouvait permettre la « reprise », par la province, de jusqu’à 1/20 des réserves confirmées en date du 25 janvier 1913. La première mention en ce sens est apparue à l’époque où les relations entre la province et le Canada se trouvaient à l’étape de Scott-Cathcart. Mais il ne s’agit pas là d’une preuve que 1930 est la date à laquelle la Couronne, le Canada, a eu l’intention de traiter les réserves comme étant « créées ». Scott et Cathcart s’intéressaient uniquement à la forme que devait prendre le transfert. Et l’intérêt à transférer était le titre de propriété.

[248]  J’arrive à la conclusion que la RI no 5 et la RI n° 7 sont devenues des réserves au sens de la Loi sur les Indiens le 29 décembre 1911, date à laquelle l’administration de la zone des chemins de fer a été transmise au MAI.

[249]  Je ne perds pas de vue le fait que, le 7 mai 1912, le ministre de l’Intérieur a recommandé au gouverneur en conseil d’exempter les terres comprises dans les réserves arpentées de l’application de l’Acte des terres fédérales, et de les réserver pour les Indiens en vertu du paragraphe 76(a) de cette loi. Le dossier n’indique pas si l’on a donné suite à cette recommandation. Quoi qu’il en soit, l’intention de la Couronne d’accepter les réserves comme relevant pleinement de la compétence fédérale avait déjà été exprimée auparavant.

[250]  Dans son mémoire des faits et du droit, l’intimée a exposé en ces termes l’importance du C.P. 205, 25 janvier 1913 :

[traduction] Subsidiairement, la RI no 5 et la RI no 7 sont devenues, au plus tôt le 25 janvier 1913, des réserves au sens de la Loi sur les Indiens. C’est à cette date que, suivant le décret C.P. 205, le gouverneur en conseil a exclu la RI no 5 et la RI no 7 de l’application des dispositions réglementaires régissant l’administration des terres situées dans la zone des chemins de fer. On peut affirmer que, ce faisant, le gouverneur en conseil a manifesté l’intention de créer les réserves. [Para 93.]

[251]  Selon le C.P. 205-1913, peuvent être soustraites à l’application des dispositions réglementaires régissant les terres de la zone des chemins de fer telles de ces terres qui [traduction] « ont été ou pourraient être réservées pour les Indiens ». L’inclusion de la mention des terres qui « ont été […] réservées » donne à penser que l’application des dispositions réglementaires ne changeait rien à la question de savoir si les réserves avaient déjà été établies. À supposer que les dispositions réglementaires aient eu pareil effet, je pencherais en faveur de l’argument de l’intimée, pour conclure que le 25 janvier 1913 était la date déterminante.

XIII.  L’OBLIGATION DE FIDUCIAIRE

A.  L’intérêt autochtone à l’égard des réserves provisoires

[252]  Les terres attribuées à Siska en 1878 par le Commissaire Sproat constituaient, à tout le moins, des réserves provisoires. La bande de Siska détenait un intérêt identifiable dans celles-ci, et la Couronne assumait des pouvoirs discrétionnaires à l’égard de cet intérêt (Wewaykum).

[253]  Nous présumons, pour les fins de la décision à rendre en l’espèce, que les terres mises de côté en Colombie-Britannique à l’usage et au profit des Premières Nations ne sont des réserves au sens de la LTRP que si le titre juridique les concernant est dévolu à la Couronne, le Canada. Aux fins de la présente analyse, il est également tenu pour acquis que, malgré le fait que le titre de propriété sur les terres de la RI n° 5 et de la RI n° 7 ait été dévolu au Canada dès décembre 1883, l’assujettissement de celles-ci à la Loi sur les Indiens dépendait d’autres mesures de la part du gouvernement.

[254]  Faut-il en conclure que Siska ne détenait aucun intérêt juridique dans les réserves tant que celles-ci demeuraient provisoires, ou que l’intérêt de Siska découlait de l’attribution des réserves à titre provisoire?

[255]  L’intérêt de la bande n’était pas un intérêt foncier qui tirait ses origines de tenures féodales, non plus qu’il n’avait sa source dans les attributions de 1878, par lesquelles la province et le Canada ont reconnu Siska comme étant en possession légale de ces terres. Comme la bande occupait les terres avant et après leur attribution à titre de réserves, elle avait à leur égard un intérêt pratique important.

[256]  Dans l’arrêt Wewaykum, le juge Binnie a tenu compte du fait que la réserve en litige ne se trouvait sur le territoire traditionnel d’aucune des deux Premières Nations ayant introduit des revendications mutuelles concernant leur réserve respective. Inversement, comme il a été souligné, le juge en chef Dickson a fait observer, dans l’arrêt Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4e) 321 [Guerin], que la réserve de la bande Musqueam était située sur le territoire ancestral de cette dernière :

En conséquence, dans l’arrêt Guerin lui‑même, où la Couronne avait omis de s’acquitter de son mandat et de négocier l’insertion de conditions précises dans un bail, portant sur 162 acres d’une réserve, qui avait été consenti au club de golf Shaugnessy Heights situé en banlieue de Vancouver, le juge Dickson (plus tard Juge en chef) a pu distinguer le pourvoi dont la Cour était saisie des affaires de « fiducie politique » et déclarer cette jurisprudence inapplicable, dans un passage qu’il convient de reproduire en entier (aux p. 378‑379) :

... le titre indien est un droit qui a une existence juridique indépendante et qui, bien que reconnu dans la Proclamation royale de 1763, existait néanmoins avant celle‑ci.  C’est pourquoi les arrêts Kinloch v. Secretary of State for India in Council et Tito v. Waddell (No 2), précités, ainsi que les autres décisions concernant les « fiducies politiques » ne s’appliquent pas en l’espèce.  La jurisprudence en matière de « fiducies politiques » porte essentiellement sur la distribution de deniers publics ou d’autres biens détenus par le gouvernement.  Dans chaque cas, la partie qui revendiquait le statut de bénéficiaire d’une fiducie s’appuyait entièrement sur une loi, une ordonnance ou un traité pour réclamer un droit sur les deniers en question.  La situation des Indiens est tout à fait différente.  Le droit qu’ils ont sur leurs terres est un droit, en common law, qui existait déjà et qui n’a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le par. 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif.  [Je souligne.]

[…]

Il est vrai que dans Guerin, p. 379, le juge Dickson a également fait l’observation suivante, relativement à la détermination de l’existence d’une obligation fiduciaire :

À mon avis, il est sans importance que la présente espèce concerne le droit d’une bande indienne sur une réserve plutôt qu’un titre aborigène non reconnu sur des terres tribales traditionnelles.  Le droit des Indiens sur les terres est le même dans les deux cas . . . 

Toutefois, il parlait dans cette affaire de l’aliénation de l’intérêt d’une bande indienne dans une réserve existante, dans le cadre d’une opération antérieure à la Loi constitutionnelle de 1982.  En l’espèce, nous sommes en présence d’un programme gouvernemental qui visait à créer des réserves sur des terres ne faisant pas partie des « terres tribales traditionnelles ». [Souligné dans l’original; Wewaykum, aux para 76–77]

[257]  La Cour suprême n’est pas connue pour mentionner avec désinvolture des faits sans rapport avec ses conclusions de droit.

[258]  Dans Wewaykum, la Cour suprême était saisie d’une revendication présentée par deux bandes au sens de la Loi sur les Indiens, dont aucune ne détenait de droit ancestral sur la réserve qu’elle affirmait être la sienne. L’affaire a été décidée sur la base de la conclusion voulant que ni l’une ni l’autre des bandes ne puisse exercer de recours en equity, et que leurs actions soient prescrites de toute manière. La Cour a tout de même traité de la question des obligations fiduciaires de la Couronne en ce qui a trait aux réserves « provisoires ». Bien que les conclusions de droit aient un caractère contraignant pour les tribunaux d’instance inférieure et pour le Tribunal, la présence de distinctions factuelles est susceptible de rendre ces conclusions inapplicables (Linda Abrams, protonotaire, Kevin McGuinness et Jay Brecher, Halsbury’s Laws of Canada - Civil Procedure (réédition, 2017), à la section HCV-31 (QL)) :

[traduction] Un énoncé de droit fait dans le cadre d’une décision précédente n’a pas force de chose jugée lorsque les faits essentiels en présence dans une affaire s’en distinguent. Dans certains cas, le tribunal de première instance conclura que les faits propres à l’affaire dont il est saisi diffèrent à ce point de ceux soumis aux juges ayant rendu les décisions précédentes, qu’il serait injuste d’appliquer la règle établie dans ces jugements. Pour qu’une telle conclusion soit possible, il faut que, dans le cas en l’espèce, des faits supplémentaires qui étaient absents d’une affaire antérieure soient présentés, ou encore, que la portée des faits établis dans le cas en l’espèce soit d’une nature très différente de celle des faits établis dans l’affaire antérieure. [Renvois omis.][Je souligne.]

[259]  Bien que la signification des références faites aux territoires traditionnels dans Guerin et Wewaykum ne soit pas explicitée, il faut bien comprendre que l’intérêt autochtone à l’égard de terres ayant été mises de côté à titre de réserves par des mesures gouvernementales entraînait, dans le cas où ces terres étaient situées sur un territoire traditionnel, des conséquences juridiques; cela revêt une dimension qui dépasse un droit d’occupation fondé sur l’attribution des terres à titre de réserves et sur l’application subséquente de la Loi sur les Indiens.

[260]  Dans l’arrêt Guerin, le juge en chef Dickson a statué que l’intérêt autochtone sur les réserves était le même que l’intérêt sur les terres visées par un titre ancestral. Cet intérêt est sui generis; il ne peut être défini par comparaison avec les intérêts fonciers conventionnels, même s’il leur ressemble sous certains aspects pratiques.

[261]  La création des réserves au Canada s’est généralement faite en vertu de traités dans lesquels la Couronne promettait la constitution des réserves. La colonie, sauf pour la rare exception que constituaient les traités de Douglas, a refusé, tout comme la province par la suite, de traiter avec les groupes autochtones, d’où la nécessité de recourir à un autre processus pour pouvoir placer les terres attribuées à titre de réserves sous le régime du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 et sous la protection de la Loi sur les Indiens.

[262]  Il demeure que la création des réserves dans la colonie et, plus tard, dans la province de la Colombie‑Britannique, repose sur la reconnaissance de l’occupation, par les Autochtones, de différents territoires par des groupes distincts (Proclamation royale de 1763). Dans l’arrêt Canada c Première Nation de Kitselas, 2014 CAF 150, [2014] 4 CNLR 6 [Kitselas CAF], la Cour d’appel fédérale a fait référence en ces termes à la décision du Tribunal visée par le contrôle judiciaire (Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 1 [Kitselas]) :

Tout en reconnaissant que les 10,5 acres exclus de la réserve n’étaient pas détenus en fiducie par les Kitselas ni considérés comme faisant partie d’une « réserve provisoire », le juge a néanmoins conclu que les Kitselas avaient un droit indien identifiable sur cette parcelle exclue au motif qu’elle était visée par l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie‑Britannique. « Les autorités coloniales », explique‑t‑il au paragraphe 143 des motifs, « ont reconnu le droit qu’avaient les Indiens à l’égard des terres qu’ils utilisaient et occupaient. Après l’adhésion à la Confédération, la politique coloniale est devenue une responsabilité constitutionnelle du Canada. » Il en déduit, au paragraphe 144 de ses motifs, « que les Nations indiennes avaient, à tout le moins, un intérêt pratique important à l’égard des terres qu’elles utilisaient habituellement » et qu’« [i]l s’agissait là d’un droit identifiable ». [Para 16.]

[263]  S’agissant des intérêts dans les réserves, la distinction à faire entre les réserves qui se trouvent sur des territoires traditionnels et celles se trouvant à l’extérieur de tels territoires a également été soulignée de la manière suivante dans Kitselas CAF :

L’arrêt Wewaykum concernait l’étendue de l’obligation fiduciaire de la Couronne relativement au processus de création de réserves indiennes en Colombie‑Britannique, sur un territoire qui, contrairement à celui qui nous occupe dans la présente instance, ne faisait pas partie des terres tribales traditionnelles (Wewaykum, aux paragraphes 5 et 77).  [Souligné dans l’original; para 46.]

[264]  L’intérêt des autochtones dans leurs territoires traditionnels, tel qu’il a été reconnu dans la décision Kitselas ainsi que dans les arrêts Guerin et Kitselas CAF, n’a pas été créé par un texte de loi. Il n’est pas non plus né d’un « programme » gouvernemental (Wewaykum, au para 77) destiné à assujettir à la Loi sur les Indiens les terres mises de côté à titre de réserves à l’usage et au profit de leurs occupants. Il a été reconnu, dans l’arrêt Guerin, que l’intérêt autochtone à l’égard des terres traditionnelles était antérieur à la Proclamation royale de 1763 ou à toute autre mesure législative ou exécutive prise par la Couronne : « Le droit qu’ils ont sur leurs terres est un droit, en common law, qui existait déjà et qui n’a été créé ni par la Proclamation royale, ni par le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens, ni par aucune autre disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif ». (Guerin, pp 378–79.)

[265]  En l’espèce, l’intimée n’a pas contesté le témoignage du chef Sampson relativement au fait que les réserves sont situées sur le territoire traditionnel commun à Siska et à d’autres communautés de la Nation Nlaka’pamux. J’accepte ce témoignage, et je tiens également son contenu pour avéré.

[266]  Citant Guerin, la Cour suprême, dans l’arrêt Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 153 DLR (4e) 193 [Delgamuukw], a conclu que le droit des autochtones sur les terres visées par un titre aborigène était un droit sui generis :

Le point de départ de la jurisprudence canadienne sur le titre aborigène est la décision du Conseil privé dans l’affaire St. Catherine’s Milling and Lumber Co. c. The Queen (1888), 14 A.C. 46, dans laquelle le titre aborigène a été décrit comme étant un [traduction] «droit personnel, de la nature d’un usufruit» (à la p. 54).  Par la suite, les tribunaux ont tenté de s’accommoder de cette définition, mais il ressort de leurs décisions que les termes choisis par le Conseil privé ne sont pas particulièrement utiles pour expliquer les différentes dimensions du titre aborigène.  Le Conseil privé a cherché à rendre l’idée que le titre aborigène est un intérêt foncier sui generis.  On a qualifié le titre aborigène de droit sui generis afin de le différencier des intérêts de propriété «ordinaires» comme le fief simple.  Toutefois, comme je vais maintenant l’expliciter, on le qualifie également de droit sui generis, dans la mesure où il est impossible d’expliquer entièrement ses caractéristiques en fonction soit des règles du droit des biens en common law soit des règles relatives à la propriété prévues par les régimes juridiques autochtones.  Tout comme d’autres droits ancestraux, le titre aborigène doit être défini en tenant compte à la fois de la common law et du point de vue des autochtones. [Para 112.]

[267]  Toujours dans Delgamuukw, la Cour suprême a repris à son compte, au paragraphe 120, la conclusion suivante ayant été tirée dans Guerin : « [à] mon avis, il est sans importance que la présente espèce concerne le droit d’une bande indienne sur une réserve plutôt qu’un titre aborigène non reconnu sur des terres tribales traditionnelles. Le droit des Indiens sur les terres est le même dans les deux cas […] » (souligné dans l’original).

[268]  En common law canadienne, l’intérêt autochtone a ses origines dans l’occupation antérieure d’un territoire traditionnel. Dans ce contexte, l’attribution de réserves situées sur un territoire traditionnel constitue un acte de reconnaissance d’un intérêt antérieur. Cet intérêt pourrait donc tout aussi bien résider dans une réserve provisoire que dans une réserve « créée ».

[269]  Dans Matsqui, le juge Robertson (avec l’appui du juge Desjardins) a fait l’analyse ci-après des exigences du gouvernement stipulées dans le Contrat avec le CFCP, dans la mesure où ces exigences se rapportaient à l’intérêt détenu par les bandes indiennes dans leurs terres de réserve :

Il serait déraisonnable de statuer que l’expression "propriété absolue" emporte l’extinction du droit des bandes indiennes sur leurs terres de réserve. Le droit des Indiens sur les terres de réserve constitue un droit en common law préexistant qui tire son origine de l’occupation du Canada par les peuples autochtones avant l’établissement des Européens. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’aliénation de ce droit est assujetti [sic] à des restrictions sévères énoncées dans la Loi sur les Indiens et reconnues en common law par application de la doctrine de l’obligation fiduciaire. Il serait déraisonnable d’ébranler ces solides protections en l’absence de termes exprès. Une telle approche porterait de plus atteinte aux principes fondamentaux de l’interprétation législative qui ont été élaborés dans le contexte des droits ancestraux.

[…]

Il ressort manifestement de ce qui précède que Canadien Pacifique, en plus de recevoir le titre sur la totalité du chemin de fer en échange de sa promesse de construire les sections de l’est et du centre, avait droit à une "subvention" de 25 millions de dollars et de 25 millions d’acres de terre. (La subvention en terres constituait une subvention pour le chemin de fer en ce qu’elle assurait la viabilité économique du projet.) De plus, la clause 9 du contrat révèle que la subvention en terre était "divisée et affectée" entre les sections de l’est et du centre. La clause 11 précise que les terres devaient être concédées comme subvention en sections de 640 acres, sur une profondeur de 24 milles, de chaque côté du chemin de fer "entre Winnipeg et Jasper House". Ces transferts étaient assujettis à la condition que les terres soient la propriété du "gouvernement" (la Couronne fédérale). La clause 11 prévoyait aussi que tout déficit quant aux terres serait comblé par des terres prises dans la région de la "zone fertile".

Par conséquent, lorsque la clause 12 parle d’éteindre le titre des Indiens sur les terres "par le présent affectées et qui seront à l’avenir concédées comme subvention au chemin de fer", elle renvoie aux terres concédées comme subvention en vertu de la clause 11. Canadien Pacifique soutient que les terres visées par la clause 12 sont aussi celles décrites dans la clause 10 compte tenu des mots "et qui seront à l’avenir concédées comme subvention au chemin de fer" figurant dans la clause 12. Cet argument pourrait avoir un certain poids, si ce n’était que la clause 10 ne vise que des terres situées dans les sections de l’est et du centre de la ligne de chemin de fer, et non dans la section de l’ouest.

La clause 10 impose une obligation additionnelle au gouvernement fédéral, soit celle de transférer des terres à Canadien Pacifique pour "la construction et [. . .] l’exploitation [. . .] du chemin de fer" en tant que ces terres "seront la propriété du gouvernement". De toute évidence, si la Couronne n’était pas propriétaire de ces terres, Canadien Pacifique était tenue de les acheter. Toutefois, la clause 10 ne précise pas, comme le soutient Canadien Pacifique, que le gouvernement avait l’obligation de transférer des terres additionnelles à Canadien Pacifique pour les besoins du chemin de fer. Si c’était le cas, il faudrait faire abstraction de la partie de la clause 10 qui mentionne les terres "nécessaires à la construction et à l’exploitation efficaces du chemin de fer". La clause 10 vise seulement les terres situées dans la section de l’est et dans la section du centre du chemin de fer parce que Canadien Pacifique n’avait pas besoin d’acquérir des terres pour la construction de la section de l’ouest"c’est le gouvernement qui avait l’obligation de construire cette section du chemin de fer. Le titre sur les terres situées dans la section de l’ouest avait été obtenu de la province de la Colombie-Britannique en vertu de l’article 11 des Conditions d’adhésion. Ces terres devaient ensuite être transférées à Canadien Pacifique lorsque la construction de cette section serait achevée, en vertu de l’article 5 de la Loi du CP et de la clause 7 du contrat.

En conclusion, les clauses 9, 10, 11 et 12 du contrat s’appliquent toutes aux terres situées dans les section [sic] de l’est et du centre du chemin de fer, et les clauses 11 et 12 ne s’appliquent qu’aux terres situées entre Winnipeg et Jasper House. Il s’ensuit que l’obligation d’éteindre le titre des Indiens ne s’applique pas aux terres en cause. Cette conclusion est éminemment logique sur le plan de l’interprétation des lois et de la nécessité historique. [Renvois omis.] [Paras 153, 164–67.]

[270]  Dans l’affaire Matsqui, l’extinction de l’intérêt ancestral en cause n’était ni requise en pratique pour les besoins du chemin de fer, ni exigée par un texte de loi. Cette conclusion est également pertinente relativement à la question qu’il faut trancher en l’espèce, à savoir s’il était nécessaire d’éteindre l’intérêt de Siska pour que puissent s’accomplir les objectifs de l’Acte des chemins de fer de l’Etat.

[271]  Les conclusions qui précèdent concernant l’intérêt de Siska dans les réserves provisoires nous amènent à nous poser la question suivante : qu’advient-il de l’intérêt autochtone dans une réserve provisoire si cette réserve n’est pas par la suite « créée », pour l’application de la Loi sur les Indiens, au moyen de mesures prises en ce sens par la Couronne? Pour les fins de l’espèce, il n’est pas nécessaire de nous pencher plus avant sur cette question, étant donné que les réserves ont finalement été confirmées et placées sous l’égide de la Loi sur les Indiens par la Couronne.

B.  L’obligation de fiduciaire avant la création des réserves

[272]  La Couronne est tenue à des obligations envers une Première Nation concernée lorsque l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est susceptible d’avoir une incidence sur l’intérêt de cette Première Nation dans une réserve provisoire (Wewaykum, para 86):

Avant de créer une réserve, la Couronne accomplit une fonction de droit public prévue par la Loi sur les Indiens, laquelle fonction est assujettie au pouvoir de supervision des tribunaux compétents pour connaître des recours de droit public.  Des rapports fiduciaires peuvent également naître à cette étape, mais l’obligation de la Couronne à cet égard se limite aux devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation. [Je souligne.]

[273]  Une telle analyse des caractéristiques de l’intérêt de Siska dans les réserves provisoires ne signifie pas pour autant qu’il soit interdit à la bande soumettre sa revendication au motif que celle‑ci est « fondée sur des droits ou titres ancestraux, ou invoque de tels droits ou titres » (LTRP, alinéa 15(1)f)). La revendicatrice n’a pas invoqué de titre ancestral, et les motifs visés au paragraphe 14(1) de la LTRP ne se fondent pas non plus sur un tel titre. Sa revendication porte sur les réserves.

[274]  Si les présents motifs prennent en considération l’occupation antérieure et continue des terres par Siska, de même que l’effet de cette occupation sur la nature de l’intérêt de Siska dans les réserves provisoires, cela s’explique par deux raisons. Premièrement, la discussion à ce sujet fournit plus ample contexte aux fins de l’analyse des effets des mesures prises par le gouvernement en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat sur une réserve provisoire. Et, deuxièmement, cette discussion est pertinente dans le cadre de l’analyse des obligations de fiduciaire qui sera effectuée ci-après. Du reste, au moment d’examiner un manquement allégué à une obligation de fiduciaire, l’utilisation et l’occupation antérieures sont susceptibles de justifier une conclusion d’intérêt identifiable (Kitselas CAF, para 53‑54). Et le Tribunal, par déduction nécessaire, a compétence pour examiner l’utilisation et l’occupation antérieures. La revendication d’un titre ancestral entraîne une analyse juridique différente, qui n’est pas nécessaire ou pertinente dans le cadre de la présente revendication.

[275]  Les obligations de fiduciaire tirent leurs origines de la Proclamation royale de 1763, qui fait de la relation entre la Couronne et les Autochtones une relation de nature fiduciaire. Le principe qui s’y rattache est celui de l’honneur de la Couronne. Voir l’arrêt Nation haïda c Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511 [Haïda] :

L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne.  L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones : voir par exemple R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456.  Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes. [Para 16.]

[276]  Dans Haïda, il était question de la revendication d’un titre ancestral. Mais il existe aussi des obligations de fiduciaire relativement à d’autres intérêts autochtones à l’égard desquels la Couronne exerce des pouvoirs discrétionnaires :

L’honneur de la Couronne fait naître différentes obligations selon les circonstances.  Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation de fiduciaire : Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, 2002 CSC 79, par. 79.  Le contenu de l’obligation de fiduciaire peut varier en fonction des autres obligations, plus larges, de la Couronne.  Cependant, pour s’acquitter de son obligation de fiduciaire, la Couronne doit agir dans le meilleur intérêt du groupe autochtone lorsqu’elle exerce des pouvoirs discrétionnaires à l’égard des intérêts autochtones en jeu. [Para 18.]

[277]  Dans le cas qui nous occupe, l’intérêt autochtone qui était en jeu en 1885 était l’intérêt de Siska dans les réserves provisoires. On se souviendra que, contrairement aux circonstances de la présente revendication, les réserves en cause dans Wewaykum n’étaient pas situées sur le territoire traditionnel des bandes revendicatrices. Voilà qui semble justifier, en l’espèce, l’application d’une norme plus élevée en matière d’obligation de fiduciaire et d’obligation de diligence. Bien entendu, la Couronne était également tenue aux obligations énoncées à l’article 11 des Conditions de l’adhésion, 1871, notamment pour ce qui est de l’achèvement des chemins de fer nationaux.

[278]  On peut affirmer qu’en 1885, les obligations de fiduciaire incombant à la Couronne relativement aux réserves provisoires de la bande de Siska situées dans la zone des chemins de fer étaient plus rigoureuses qu’elles ne l’étaient dans Wewaykum. En effet, les réserves se trouvaient sur le territoire traditionnel de Siska, et elles auraient pu être « créées » unilatéralement en tant que réserves au sens de la Loi sur les Indiens.

[279]  Néanmoins, dans l’affaire Wewaykum, les actes de la Couronne ont été mesurés à l’aune de l’accomplissement de ses « devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation » (Wewaykum, au para 86).

[280]  Dans le présent contexte, le principe de la prudence ordinaire exigeait à tout le moins de la Couronne qu’elle cherche à connaître les préoccupations de Siska, et qu’elle tienne compte de ses intérêts. Il lui fallait pour cela consulter. L’intérêt évident de la bande engloberait notamment la protection de ses terres arables, mais aussi la protection contre les dommages et l’accès continu à ses stations de pêche. Mais il n’y a pas eu de consultation.

C.  Les raisons justifiant l’attribution des réserves

[281]  Les réserves situées le long du fleuve Fraser ont été attribuées de manière à assurer un accès aux ressources halieutiques. Les réserves étaient petites, puisque les peuples autochtones de la région n’étaient pas connus pour être des agriculteurs.

[282]  La bande de Siska avait un intérêt pratique important dans les réserves provisoires, dont elle occupait les terres depuis des temps immémoriaux. En 1878, ces modestes parcelles ont été reconnues par Sproat comme appartenant à la bande. Rien n’indique que Siska ait été consultée au sujet des répercussions que l’occupation des terres de l’emprise par le CFCP aurait sur son utilisation de celles-ci de même que sur son accès à ses stations de pêche.

D.  Les concessions accordées au CFCP

[283]  Sans égard à la question de savoir si les réserves étaient visées par la Loi sur les Indiens aux dates auxquelles les concessions ont été accordées au CFCP, ni à la question connexe de savoir si une cession des terres était nécessaire, la Couronne avait, entre autres obligations à l’endroit de Siska, celle de déterminer la superficie de terres dont le CFCP avait raisonnablement besoin pour pouvoir assurer l’exploitation et la protection du chemin de fer.

[284]  Les concessions occupaient l’emprise ferroviaire sur toute sa largeur, ce qui représente en moyenne une distance de 400 pieds de part en part.

[285]  L’emprise recouvrait 25 % de la RI n° 7. Elle entravait l’accès aux stations de pêche, et utilisait le peu de terres cultivables qu’il y avait. Était-ce raisonnable?

[286]  Les normes de Vose citées dans le témoignage de M. Martin ont trait à la largeur d’emprise requise pour la construction d’un chemin de fer.

[287]  En 1885, on devait, pour des raisons d’ordre pratique, occuper les terres des réserves provisoires sur de larges étendues à certains endroits, afin de permettre l’établissement d’une plateforme sécuritaire pour le chemin de fer. L’inclinaison du sol ne devait pas dépasser le degré au-delà duquel les locomotives perdraient leur capacité de remorquage ou d’adhérence.

[288]  De profonds déblais ont dû être pratiqués le long de certaines parties de la voie, vu la forte pente décrite par le terrain. L’inclinaison de la pente ascendante, à partir de la ligne médiane, a été établie de façon à tenir compte des facteurs ayant une incidence sur la stabilité de la pente. C’est pour cette raison qu’à certains endroits, le sommet de la pente, du côté opposé au fleuve, a dû s’avancer loin dans les terres réservées à titre provisoire.

[289]  Dans son témoignage, M. Martin a indiqué que, pour permettre l’établissement d’une pente stable, l’emprise devait s’étendre sur une distance allant de la ligne médiane du chemin de fer au sommet du talus. Quant à la pente partant de la ligne médiane pour descendre jusqu’au fleuve Fraser, il en va autrement. Les courbes de niveau sur la carte révèlent en effet un écart considérable entre la ligne du chemin de fer et l’endroit où le terrain chute abruptement dans fleuve. Aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de la largeur de terrain requise pour pouvoir remettre sur les rails du matériel roulant qui a déraillé. Cette largeur varierait en fonction de la gravité du déraillement et de la position d’immobilisation des wagons et locomotives déraillés.

[290]  Une fois qu’il aurait dépassé le dénivelé correspondant à l’endroit où, sur la carte, les courbes de niveau du côté du fleuve se resserrent, un train qui déraillerait terminerait sa course dans le fleuve. L’objectif serait alors de récupérer le train, et non simplement de le remettre sur les rails.

[291]  Quant à la prévention contre d’éventuels dommages causés à des infrastructures situées sous la ligne du chemin de fer, l’escarpement du terrain milite contre l’installation de structures à un tel endroit.

[292]  Aux dires de M. Martin, il était important que le propriétaire de la voie ferrée possède aussi la pente montant vers le sommet du talus pour être en mesure d’en maintenir la stabilité. Toutefois, Mme Schmid a témoigné, en contre-interrogatoire, que la pente n’avait pas été stabilisée : sa surface était toujours telle qu’au moment de l’aménagement du talus. Or, celui-ci a été aménagé il y a de cela 145 ans. À l’évidence, l’ingénieur en construction ne considérait pas nécessaire de prendre des mesures pour maintenir en place la surface de la pente.

[293]  Aux entrées des tunnels traversant les réserves et tout au long de ceux-ci, la largeur de l’emprise demeurait constante. Même si les entrées devaient être protégées contre les éboulements, les éléments de preuve n’établissent pas que la concession au CFCP des champs cultivés situés au‑dessus du tunnel était une nécessité.

[294]  Ils ne démontrent pas non plus qu’il était indispensable, pour le CFCP, de posséder et de tenir sous son pouvoir toute la largeur de l’emprise à l’époque où il a obtenu les concessions par lettres patentes.

[295]  Dans les faits, il y avait un débat entre le CFCP et les ministres de l’Intérieur et de la Justice concernant la largeur de terrain à accorder en vertu du Contrat avec le CFCP et de l’Acte du CFCP. Les discussions à ce sujet ont été précipitées par les colons, dont les terres avaient été prises sous le régime de l’Acte des chemins de fer de l’Etat. La question a été soulevée en 1912, et les discussions se sont poursuivies jusque vers 1928.

[296]  Certains fonctionnaires comme Newcombe, le sous-ministre de la Justice, étaient portés à considérer que la limite de 99 pieds de large s’appliquait. Le problème a finalement été résolu de manière pratique : en définitive, le CFCP, qui préférait ne pas porter devant les tribunaux son litige avec le gouvernement, a réglé [traduction] « pratiquement tous les dossiers » avec les [traduction] « colons » du territoire entre Savona et Port Moody, en acceptant que l’emprise soit rétrécie conformément aux conclusions de l’ingénieur de la compagnie et du gouvernement.

[297]  Aucune concession de la sorte n’a été faite relativement aux terres des réserves indiennes imparties au CFCP, dont celles qui appartenaient à Siska. D’après le dossier, le MAI était au courant que les ministères de l’Intérieur et des Chemins de fer et Canaux examinaient les préoccupations des colons. Cependant, rien ne porte à croire que les bandes qui vivaient le long de l’emprise ont été consultées.

[298]  Il ressort de la preuve documentaire que les terres visées, en tant que terres de la Couronne « inhabitées » (en ce sens qu’elles n’étaient pas occupées par les colons), étaient considérées comme non peuplées. Voilà qui explique pourquoi on n’a nullement pris en considération les intérêts de Siska.

[299]  La Couronne aurait pu, si elle avait consulté Siska et agi avec la prudence ordinaire requise, déterminer s’il était possible de prendre certaines mesures sans compromettre l’intérêt national dans la construction du chemin de fer. En 1885, avant la « création » définitive des réserves, la largeur de l’emprise s’étendait jusque dans le fleuve Fraser, et recouvrait les stations de pêche de Siska. Avec pour effet de contrecarrer la raison d’être même de l’attribution des réserves. À partir du moment où la construction du chemin de fer était terminée, et où le Contrat avec le CFCP exigeait la concession de terres au CFCP, le « transfert » de toute la largeur de l’emprise n’était ni une exigence prévue par le Contrat avec le CFCP, ni une nécessité pour maintenir la sécurité de la voie ferrée.

[300]  Au stade des réserves provisoires, la Couronne a omis d’agir dans l’intérêt de la bande de Siska. Elle n’a pas réussi à établir qu’il était nécessaire, pour préserver l’intérêt national dans la construction du chemin de fer, d’ignorer les répercussions sur les terres mises de côté à titre de réserves et d’entraver l’accès de Siska aux ressources halieutiques qui assuraient sa subsistance.

[301]  Dès lors que les réserves sont devenues assujetties à la Loi sur les Indiens, la Couronne avait l’obligation de veiller au respect des dispositions de protection contenues dans cette loi, et de protéger l’intérêt de la bande de Siska dans les réserves contre l’exploitation (Wewaykum, au para 86). Avoir agi en fonction des intérêts de Siska n’aurait pas nécessairement nui à la progression du chemin de fer, puisque celui-ci était en exploitation depuis longtemps. Et en admettant que l’expropriation ait été nécessaire aux fins de l’établissement d’un titre de propriété à l’égard du Chemin de fer du Pacifique, le gouverneur en conseil aurait pu s’autoriser de l’art 35 de la Loi sur les Indiens pour permettre la prise des terres selon une forme de tenure non exclusive, par exemple une servitude.

[302]  Tout au long des événements qui se sont déroulés entre 1885 et 1928, la Couronne a manqué à ses obligations de fiduciaire envers Siska.

XIV.  L’INTÉRÊT NATIONAL

[303]  L’intimée soutient qu’il était dans l’intérêt national de construire un chemin de fer s’étendant jusqu’à la côte ouest. La revendicatrice ne conteste pas cette affirmation.

[304]  Si l’on devait soutenir que l’intérêt national, dans la mesure où il est servi par l’exercice des pouvoirs conférés au gouvernement par l’Acte des chemins de fer de l’Etat, a pour effet de supplanter les intérêts autochtones à l’égard des réserves, le principe de l’honneur de la Couronne ne trouverait aucune application. Dans le contexte des droits des Autochtones, l’intérêt public peut être considéré comme justifiant une atteinte à ces droits (Delgamuukw; Haïda). Si elle plaide que l’atteinte était justifiée, la Couronne doit établir qu’elle a respecté ses obligations de fiduciaire (Haïda).

[305]  Des obligations de fiduciaire à l’égard des intérêts autochtones existent relativement à des intérêts qui n’ont pas été déclarés comme protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. En effet, la Couronne a des obligations de fiduciaire en ce qui a trait aux réserves, celles provisoires comme celles « créées » (Wewaykum). Les obligations fiduciaires de la Couronne peuvent même continuer d’exister à la suite d’une cession (Guerin).

[306]  L’intérêt national aurait pu être servi sans que la Couronne se garde complètement d’agir en conformité avec le principe de l’honneur de la Couronne, et de s’acquitter des obligations inhérentes aux rapports fiduciaires qui existent entre la Couronne et les Autochtones. Son plus grand devoir à cet égard consistait à obtenir le consentement de la bande relativement à l’octroi, par voie de cession, des intérêts qu’elle détenait dans les réserves visées par la Loi sur les Indiens. Si, comme dans le cas d’une atteinte à un droit reconnu par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ce consentement ne pouvait être obtenu, le gouvernement disposait des moyens nécessaires pour surmonter pareil obstacle tout en respectant ses obligations de fiduciaire. L’article 35 de la Loi sur les Indiens, dans sa version alors en vigueur, permettait à la compagnie de chemin de fer d’exercer un pouvoir d’expropriation, sous réserve des dispositions limitatives prévues par l’Acte refondu des chemins de fer.

XV.  ConsentEMENT, la couronne y souscrivant (2004)

[307]  Le 15 juillet 2003, Siska, le CFCP et le Canada ont signé une entente en vue de résoudre le litige entre la bande et le CFCP. Aux termes de l’entente, le CFCP a consenti à transférer et à céder son intérêt dans l’emprise au Canada à l’usage et au profit de la bande, en échange de l’octroi d’un droit de passage sur les terres de réserve. Le 11 mars 2004, les électeurs de la bande ont voté en faveur de la cession, à certaines conditions, des terres de l’emprise ferroviaire traversant les réserves.

[308]  Le 23 septembre 2004, au moyen du décret C.P. 1040‑2004 pris au titre de l’article 40 de la Loi sur les Indiens, le gouverneur en conseil a accepté la désignation faite par la bande des terres composant l’emprise ferroviaire.

[309]  Le 5 octobre 2004, le Canada a concédé au CFCP un droit d’emprise sur les terres de la RI no 5 et la RI n° 7, emprise qui, conformément aux conditions de l’entente, s’étendait sur 0,032 hectares (0,08 acres) de la superficie de la RI no 5, et sur 36,22 hectares (89,51 acres) de la superficie de la RI n° 7.

XVI.  LE BIEN‑FONDÉ de la revendication au titre de l’alinéa 14(1)d)

[310]  Le motif de revendication visé à l’alinéa 14(1)d) se lit comme suit :

14 (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

[…]

d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve;

[311]  Pour les besoins de l’espèce, le terme « réserve » s’entend d’une réserve « créée ».

[312]  L’alinéa 20(1)g) de la même loi vient préciser le sens de l’énoncé « la location ou la disposition, sans droit » :

20 (1) Lorsqu’il statue sur l’indemnité relative à une revendication particulière, le Tribunal :

[…]

g) dans le cas où le revendicateur a établi que les terres visées par la revendication n’ont jamais été cédées légalement, ou autrement prises par autorisation légale, accorde une indemnité, égale à la valeur marchande actuelle de ces terres, sans égard aux améliorations qui ont pu y être apportées entre-temps; [Je souligne.]

[313]  Conséquemment, l’expression « disposition, sans droit » (alinéa 14(1)d)) englobe la prise de terres sans autorisation légale.

[314]  En l’espèce, l’octroi des titres en fief simple sur les terres outrepassait les limites des pouvoirs attribués par l’Acte refondu des chemins de fer. Le motif fondé sur l’alinéa 14(1)d) est donc établi.

XVII.  LA NÉCESSITÉ D’UNE CESSION

[315]  Le 5 juillet 1912, le Canada a délivré des lettres patentes concernant une emprise dont la superficie couvrait 89,51 acres des terres de la RI n° 7. En raison d’un différend avec le Canada concernant le statut juridique des terres de réserve indiennes dans la province, la Colombie‑Britannique a refusé d’enregistrer les lettres patentes du Dominion auprès des bureaux d’enregistrement de titres fonciers de la province,

[316]  Une fois le différend résolu, de nouvelles lettres patentes ont été délivrées par le Canada le 10 avril 1928 relativement à une emprise du CFCP totalisant 89,51 acres des terres de la RI n° 7.

[317]  S’agissant de la RI no 5, des lettres patentes visant 0,08 acre de terres de celle-ci ont été délivrées par le Canada, qui les a ensuite annulées pour les délivrer de nouveau le 20 juillet 1927.

[318]  Les réserves ont été « créées » en 1911. La Loi concernant les sauvages, 1906, s’applique à l’égard de la disposition d’intérêts dans des terres de réserve.

[319]  Ainsi qu’il a été établi dans Matsqui, les dispositions sur l’expropriation contenues dans la Loi sur les Indiens limitaient les octrois d’intérêts à ceux autorisés par l’Acte refondu des chemins de fer. Les supposées concessions d’intérêts en fief simple n’étaient donc pas autorisées par les dispositions sur l’expropriation de l’Acte refondu des chemins de fer.

[320]  Reste donc la question de savoir si une cession des terres était nécessaire.

[321]  L’intimée fait valoir que l’application des dispositions de la Loi sur les Indiens concernant les cessions a été suspendue par proclamation de 1876 jusqu’en 1907, au moins. Elle affirme ce qui suit :

[traduction]

En 1876, la Couronne fédérale a adopté une proclamation qui a fait l’objet d’une publication dans la Gazette du Canada. Cette proclamation, qui suspendait l’application en Colombie-Britannique des dispositions de la Loi sur les Indiens concernant les cessions, est demeurée en vigueur au moins jusqu’en 1907. [Renvoi omis.] [Mémoire des faits et du droit de l’intimée, au para 106.]

[322]  L’article 48 de la Loi concernant les sauvages, 1906, dispose que :

48. Sauf les restrictions prévues par la présente Partie, nulle réserve ou portion de réserve ne peut être vendue, aliénée ou affermée, avant d’avoir été cédée ou abandonnée à la Couronne pour les objets prévus en la présente Partie; mais le surintendant général peut donner à bail, au profit de tout sauvage, sur sa demande, le terrain auquel celui-ci a droit, sans formalité préalable de cession ou d’abandon, et il peut sans qu’il y ait eu abandon, disposer de la manière la plus avantageuse possible pour les sauvages, des graminées sauvages et du bois mort ou abattu par le vent.

[323]  L’inclusion, dans la Loi concernant les sauvages, 1906, des dispositions concernant les cessions, de même que l’absence de tout décret ultérieur suspendant l’application de ces dispositions, crée une ambiguïté quant à l’effet continu de la Proclamation de 1876. Cette ambiguïté doit être dissipée en faveur de la revendicatrice. De surcroît, la preuve révèle que le gouvernement considérait les dispositions sur les cessions comme étant en vigueur lorsque, en 1920, la Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie-Britannique, SC 1920, c 51, fut adoptée. L’article 3 de cette loi a eu pour effet de supprimer l’exigence relative à la cession, dans la mesure où il s’appliquait aux terres retranchées des réserves par la Commission McKenna-McBride. Si la proclamation était demeurée en vigueur après l’édiction de la Loi concernant les sauvages, 1906, une telle disposition n’aurait pas été nécessaire.

[324]  Étant donné que les réserves sont devenues des réserves au sens de la Loi sur les Indiens en 1911, les concessions prétendument accordées au CFCP en 1925 et en 1928 auraient dû prendre la forme d’une cession, conformément à cette même loi. Mais il n’y a eu aucune cession. Puisque les actes de concession visaient à transférer un titre juridique au CFCP, ils ont été faits sans autorisation légale, au sens de l’alinéa 14(1)d) de la LTRP.

XVIII.  RÉSUMÉ

[325]  L’affectation, en 1885, de terres de la Couronne aux fins de l’établissement d’une emprise ferroviaire en vertu de l’Acte des chemins de fer de l’Etat ne constituait pas une prise des intérêts de la revendicatrice à l’égard des réserves. L’Acte des chemins de fer de l’Etat ne permettait pas la prise de terres appartenant déjà à la Couronne fédérale. Ainsi, aucune prise des intérêts de Siska dans les réserves n’a eu lieu. En réalité, l’Acte des chemins de fer de l’Etat avait plutôt pour effet de permettre la construction d’un chemin de fer qui, une fois construit, devait être transféré au CFCP, ainsi que l’exigeait le Contrat avec le CFCP. Il établissait la capacité du gouvernement de construire ce chemin de fer dans une zone communément appelée emprise.

[326]  Même si le droit de possession de la revendicatrice à l’égard des terres visées par l’emprise a été touché, tel n’a pas été le cas de son intérêt dans ces terres.

[327]  Vu la confirmation des réserves en 1930 — avec date de prise d’effet le 25 janvier 1913 — d’après le levé d’arpentage tenant compte du plan et de la description par tenants et aboutissants qui accompagnaient l’attribution de 1878, et compte tenu du fait que leur superficie en acres est demeurée inchangée, il était impossible de tirer la conclusion que les terres de l’emprise ont été prises par voie d’expropriation en 1885.

[328]  L’application de l’alinéa 14(1)d) de la LTRP dépend d’une conclusion selon laquelle les terres de réserve ont été prises sans autorisation légale.

[329]  Le Contrat avec le CFCP prévoyait le transfert du titre sur les installations ferroviaires construites par le gouvernement à l’intérieur des limites de l’emprise. L’Acte du CFCP autorisait le transfert des terres au CFCP, et les concessions censées transférer le titre sur ces terres ont été octroyées en 1912, 1927 et 1928. Cependant, l’Acte refondu des chemins de fer interdisait l’aliénation d’intérêts dans des terres de la Couronne concédées aux compagnies de chemin de fer. Par conséquent, le CFCP ne pouvait se voir accorder un intérêt plus important qu’une servitude dans ces terres. Étant donné que l’Acte du CFCP ne l’emportait pas sur la restriction à l’aliénation établie par l’Acte refondu des chemins de fer, les concessions n’étaient pas autorisées par la loi. Ce fait demeurait, indépendamment de la question de savoir si les réserves tombaient sous le coup de la Loi sur les Indiens au moment de l’octroi des concessions.

[330]  Le 29 décembre 1911, le gouvernement du Canada a accepté de prendre les réserves sous sa responsabilité pour l’application de la Loi sur les Indiens. Les concessions ont donc été octroyées contrairement aux dispositions sur les cessions contenues dans cette même loi. La Loi sur les Indiens aurait autorisé la prise d’un intérêt moindre qu’un titre de propriété; dans cette hypothèse, le Canada aurait pu s’acquitter des obligations imposées par l’article 11 des Conditions de l’adhésion, 1871, sans contravention à un texte de loi ou manquement à une obligation.

[331]  Les actes de concession visaient également le transfert de terres dont l’étendue excédait celle permise par l’Acte refondu des chemins de fer, de sorte qu’ils n’étaient pas autorisés par la loi.

[332]  Que les restrictions en matière de largeur prévues par l’Acte refondu des chemins de fer se soient appliquées ou non aux concessions octroyées en vertu de l’Acte du CFCP, une quantité de terres plus grande que celle nécessaire pour les besoins du chemin de fer a été accordée. Dans un cas comme dans l’autre, la Couronne a manqué à son obligation fiduciaire d’agir dans l’intérêt de la bande de Siska en omettant de la consulter, de chercher à connaître ses besoins et de prendre des mesures pour préserver ses intérêts. Cette obligation comprenait également le devoir de protéger la bande et de lui garantir l’accès à ses stations de pêche.

XIX.  Conclusion

[333]  La revendication est bien fondée au regard des alinéas 14(1)b), c), et d) de la LTRP.

[334]  Les parties sont autorisées à demander au Tribunal des directives en vue de l’étape de l’instance portant sur l’indemnisation.

HARRY SLADE

L’honorable Harry Slade, président

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, trad. a.


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20180201

Dossier : SCT-7002-14

OTTAWA (ONTARIO), le 1er février 2018

En présence de l’honorable Harry Slade, président

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE SISKA

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

aux :

Avocats de la revendicatrice BANDE INDIENNE DE SISKA

Représentée par MDarwin Hanna, MCaroline Roberts, Me Mary Mollineaux et Me Rhaea Bailey

Callison & Hanna, avocats

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Me Dennis Hill, Me Rachel Enoch et Me Heather Frankson

Ministère de la Justice

 

 

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