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DOSSIER: SCT-7006-12

RÉFÉRENCE: 2016 TRPC 3

DATE: 20160205

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

PREMIÈRE NATION D’AKISQ’NUK

Revendicatrice

 

Me Darwin Hanna, Me Adam Munnings et Me Katrina Harry, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Me Christa Hook, Me Deborah McIntosh et Me Brett Nash, pour l’intimée

 

 

ENTENDUE: Du 23 au 25 septembre 2014.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Harry Slade, président


Note : Le Tribunal a publié un corrigendum le 23 février 2016. Les corrections ont été ajoutées au présent document, lequel pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Manitoba Métis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623; Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 1; Canada c Première Nation de Kitselas, 2014 CAF 150, [2014] 4 CNLR 6; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321; Conseil de la bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54, [2002] 2 RCS 816; Nation Tsilhqot’in c Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 RCS 257; Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 RCS 261; Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22, art 14, 22.

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, 1871, art 11, 13.

Proclamation royale, 1763.

Loi constitutionnelle, 1867, art 91, 109.

Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie-Britannique, SC 1920, ch 51, préambule, art 2, 3.

Doctrine cité :

Robert E Cail, Land, Man, and the Law, The Disposal of Crown Lands in British Columbia, 1871-1913 (The University of British Columbia, 1974).

  Cole Harris, Making Native Space, Colonialism, Resistance, and Reserves in British Columbia (University of British Columbia Press, 2002).

E Brian Titley, A Narrow Vision, Duncan Campbell Scott and the Administration of Indian Affairs in Canada (University of British Columbia Press Vancouver, 1969).

The Canadian Oxford Dictionary, sub verbo « final » (définitif).

Donovan W M Waters, Waters’ Law of Trusts in Canada, 4éd (Toronto : Carswell, 2012).

Sommaire :

Droit autochtone – Revendications particulières – Loi sur le Tribunal des revendications particulières – LTRP 14(1)b) – LTRP 14(1)c) – Création de réserves – Obligation fiduciaire – Honneur de la Couronne – Réserve provisoire – Intérêt identifiable – Pouvoir discrétionnaire – Diligence ordinaire – Engagements de la Couronne – Article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique – Engagements du gouvernement envers les peuples autochtones – Promesses constitutionnelles – Interposition à titre d’intermédiaire exclusif – Renonciation expresse aux autres intérêts – Obligation de corriger

La présente revendication particulière découle de la création de la réserve indienne nº 3 du lac Columbia (« RI 3 ») au profit de la Première Nation d’Akisq’nuk revendicatrice. Le litige porte sur les obligations fiduciaires qu’avait la Couronne envers la revendicatrice lors de deux transactions distinctes. L’une de ces transactions se rapporte à des « terres arpentées » qui ont été attribuées par un commissaire des réserves indiennes en 1884, mais qui n’ont pas été incluses dans la réserve en raison d’une modification des points de levé par rapport à ceux prévus à l’origine. L’autre se rapporte à des terres (« terres additionnelles ») dont l’ajout a été recommandé par la Commission royale fédérale-provinciale des affaires des sauvages — la Commission McKenna-McBride —, mais qui ont été exclues de la RI 3, la province ayant rejeté ladite recommandation. La revendicatrice cherche à obtenir une indemnité en vertu des alinéas 14(1)b) et c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières.

Vu les origines historiques de l’obligation de création de réserves, le contexte historique de la présente revendication s’étend de la colonisation britannique du territoire maintenant connu comme l’île de Vancouver jusqu’au transfert, par la province au Canada, du titre de propriété des terres réservées en 1938. Le Tribunal a consulté certains extraits d’ouvrages publiés par plusieurs historiens compétents en plus des documents historiques produits par les parties afin de mieux cerner le contexte de l’affaire. Le dossier historique révèle que le gouvernement fédéral a eu tendance à capituler devant les pressions de la province et que certaines attributions, que l’on croyait définitives, ont été reconsidérées. Du point de vue de la revendicatrice, chaque attribution était définitive et ne pouvait pas être modifiée sans son consentement.

Les parties exposent leurs arguments selon le cadre d’analyse en matière d’obligation fiduciaire établi dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245. Les obligations de la Couronne doivent être examinées à la lumière des décisions rendues par la Cour suprême du Canada après l’arrêt Wewaykum et à la lumière des faits particuliers de l’espèce. Les questions en litige sont donc examinées en fonction de plusieurs cadres d’analyse différents, lesquels conduisent tous à la même conclusion.

Les terres additionnelles étaient adjacentes à la RI 3. Il ressort clairement de la description faite par la Commission qu’il s’agissait d’une parcelle de terre située sur le territoire utilisé par la revendicatrice. L’intérêt de la revendicatrice sur les terres additionnelles était donc identifiable. Une fois les terres mises de côté par la Commission à titre de réserve provisoire, la Couronne a exercé son pouvoir discrétionnaire dans le cadre du processus qui consistait à transférer les terres au Canada conformément à l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique. La Couronne avait, à tout le moins, une obligation de diligence ordinaire de protéger les intérêts de la revendicatrice lors du transfert des terres additionnelles. Il est impossible de s’acquitter d’une obligation de diligence ordinaire en ne faisant rien. Dans les circonstances, la façon la plus simple de régler ce désaccord avec la province aurait été de s’en remettre à la décision du secrétaire d’État pour les colonies, en application de l’article 13. Or, cela n’a pas été fait ni envisagé.

Contrairement à l’affaire Wewaykum, il n’y a aucune concurrence entre des bandes dans la présente affaire. La preuve ne permet pas d’établir qu’il était nécessaire pour la Couronne de mettre en balance les intérêts des Indiens et ceux des non-Indiens dans le processus de création des réserves. Les intérêts des non-Indiens étaient représentés par la province et ont été pris en considération dans le cadre des processus suivis par les commissions chargées de la création des réserves et dans le cadre des processus internes de la province. Lorsque la Commission McKenna-McBride a publié son rapport, en 1916, le Dominion était l’intermédiaire exclusif des Indiens.

Les décisions subséquemment rendues par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511, et Manitoba Métis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623, révèlent que les obligations fiduciaires, le cas échéant, tirent leur origine du principe selon lequel la Couronne doit agir honorablement. L’obligation fiduciaire découle du principe suivant lequel la Couronne doit agir honorablement lorsqu’une promesse constitutionnelle se rapporte à un intérêt autochtone. La question qui se pose dans le cadre de l’analyse des obligations fiduciaires fondée sur les sources des obligations fiduciaires est celle de savoir si la Couronne a défendu avec diligence l’intérêt des Indiens au moment de la rédaction et de la mise en œuvre de l’article 13. La diligence a un caractère temporel. Les colons s’approchaient des territoires qui permettaient aux Indiens d’assurer leur subsistance. La diligence nécessitait également une certaine vigilance dans le processus d’identification des terres devant être réservées puisqu’elles devaient être utilisées par le groupe indien et qu’elles devaient être suffisantes, sur le plan de la quantité et de la qualité, pour subvenir aux besoins du groupe.

Le Dominion s’est buté à l’opposition de la province en s’acquittant de son obligation fiduciaire. Cependant, une mise en œuvre diligente de l’article 13 lui imposait de recourir à tous les moyens disponibles pour remédier à cette situation. Elle lui imposait également de procéder à une évaluation des besoins raisonnables de la revendicatrice. Le dossier historique laisse voir des erreurs, un acte de trahison absolue et de l’inaction alors que des mesures auraient pu être prises pour accélérer le processus d’identification et de transfert des terres devant servir de réserves. Le Dominion n’a pas agi de façon diligente pour protéger les intérêts qu’avaient les Indiens sur les terres mises de côté, provisoirement, à titre de réserves. Chaque fois qu’il y avait un désaccord, le Dominion cédait aux pressions de la province. Le manque de diligence et le non-respect des promesses ont porté atteinte à l’honneur de la Couronne pendant presque toute la période allant de 1871 à 1938.

La Cour suprême du Canada a également conclu qu’un engagement clair et fondé sur la Constitution, pris par le gouvernement envers les peuples autochtones, peut donner naissance à une obligation fiduciaire sans qu’il y ait renonciation expresse à tous les autres intérêts susceptibles d’être touchés. Il est satisfait aux exigences d’un engagement si, par les actes clairs du gouvernement, il y a eu engagement, semblable à ceux du secteur privé, envers les peuples autochtones.

L’article 13, qui est l’une des conditions de l’adhésion de l’ancienne colonie au Dominion, a une valeur constitutionnelle. Il visait à faire à sorte que la Couronne fédérale agisse comme intermédiaire exclusif des Indiens. La Couronne avait, de par ses actes, promis d’agir dans l’intérêt de ceux pour l’usage et le bénéfice de qui elle détiendrait des terres « en fiducie ». La promesse était un engagement unilatéral qui, dans les circonstances, ressemblait à une obligation de droit privé. Même s’il faut qu’il y ait eu renonciation à tous les autres intérêts pour établir les obligations liées à un engagement, c’est exactement ce qu’établit l’article 13 dans les circonstances.

En droit des fiducies, lorsqu’un pouvoir est conféré par un acte de fiducie, le fiduciaire doit se demander s’il devrait ou non exercer le pouvoir qui lui est conféré lorsque les circonstances le justifient. Selon l’une ou l’autre des analyses de l’obligation fiduciaire dont il est question dans l’arrêt Manitoba Métis Federation, la Couronne était tenue de proposer que le désaccord entre la province et le Dominion au sujet de l’ajout des terres additionnelles à la RI 3 soit soumis au secrétaire d’État pour les colonies, comme le prévoyait l’article 13. Elle ne l’a pas fait.

En ce qui concerne les terres arpentées, la revendicatrice avait un intérêt identifiable. Les terres initialement attribuées étaient habituellement utilisées et identifiables puisqu’elles étaient décrites par leurs tenants et aboutissants. La province en avait approuvé l’attribution. La Couronne avait à leur égard un pouvoir discrétionnaire.

Les conséquences de l’arpentage étaient connues puisque l’arpenteur avait signalé le rajustement des lignes de levé à la province, qui en a certainement informé le Dominion. L’agent régional des Indiens a affirmé devant la Commission qu’il s’agissait d’une erreur. Il appartenait au Dominion de demander qu’elle soit corrigée, ce qu’il n’a pas fait.

Arrêt : La Première Nation d’Akisq’nuk revendicatrice a démontré qu’il y avait eu un manquement à l’obligation légale de la Couronne en ce qui concerne les terres arpentées et les terres additionnelles.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. Revendication  11

II. Historique procédural  11

III. apperçu historique  12

IV. portée historique de la revendication  14

V. contexte  18

A. Politique coloniale et Proclamation royale de 1763  18

1. Le Dominion et les traités numérotés  18

2. Les traités dans la colonie de la Colombie-Britannique  19

3. La priorité des intérêts durant la période coloniale  19

4. La Confédération et l’article 13  22

B. L’article 13 et la ligne de conduite «libérale » de la colonie  23

1. Attentes fédérales, 1871  23

2. La Commission mixte des réserves indiennes  28

3. Commentaire  30

4. Les commissaires  30

5. Attribution de la RI 3  31

6. Achèvement des travaux de la Commission; questions en suspens  32

C. Caractère définitif  34

1. Commission mixte des réserves indiennes  34

2. Convention McKenna-McBride  35

3. Commentaire  35

4. Caractère définitif, deuxième étape  36

5. Réductions et ajouts recommandés par la Commission  40

6. Les terres additionnelles  41

7. Les terres arpentées et les terres additionnelles  42

8. Élimination de l’exigence du consentement nécessaire à la réduction des réserves  43

9. Commentaire sur l’élimination du consentement des Indiens  45

10. Esprit et sens véritables de la convention et prérogatives du gouvernement  45

11. Commentaire sur le changement d’objet  46

12. Caractère définitif, étape 3 : examen effectué par Ditchburn et Clark  47

13. Commentaire sur la capitulation du gouvernement fédéral  51

14. Caractère définitif  51

VI. point de vue des indiens  52

A. Réserves, usage et occupation traditionnels  52

B. Connaissance du droit  53

C. Assurance quant au caractère définitif  53

D. Au courant de l’annulation de l’ajout  55

VII. positions des parties  56

A. Revendicatrice (Première Nation)  56

B. Intimée (Couronne)  57

VIII. questions en litige  59

IX. analyse  59

A. Wewaykum et obligation fiduciaire  60

1. Intérêt identifiable  60

a) Reconnaissance de l’usage courant  60

b) Occupation antérieure  61

c) Conclusion  63

2. Pouvoir discrétionnaire  63

3. Critère de la « diligence ordinaire »  63

4. Conclusion  64

B. Après Wewaykum  64

1. Distinctions factuelles  65

2. Engagement à agir avec loyauté en renonçant à tous les autres intérêts  66

C. Honneur de la Couronne  66

1. Création des réserves : objectif et promesse  68

2. Obligation de diligence  69

3. Obligation d’exécution diligente  70

a) Caractère temporel  71

b) Diligence sur le plan de la qualité et de la quantité  72

c) Obligation d’exécution diligente et la Couronne (Canada)  72

4. Non-respect de la promesse  74

D. Honneur de la Couronne et obligation fiduciaire  75

E. Manitoba Métis Federation : aucune obligation fiduciaire  76

F. Promesse ayant la valeur constitutionnelle  78

X. Question des terres additionnelles  78

XI. question du levé d’arpentage  80

XII. décision  81

A. Terres additionnelles  81

B. Terres arpentées  81

XIII. post-scriptum  82


 

I.  Revendication

[1]  La présente revendication découle de la création de la réserve indienne nº 3 du lac Columbia (« RI 3 »). Le litige porte sur les obligations fiduciaires qu’avait la Couronne (« intimée ») à l’égard de la Première Nation d’Akisq’nuk (« revendicatrice ») pendant le processus de création de la réserve, lequel a commencé au début des années 1880 pour se terminer en 1938.

[2]  La RI 3 s’étend le long de la rive est du lac Windermere, auparavant le Lower Columbia Lake, qui se trouve dans la région de Kootenay, dans le sud-est de la Colombie-Britannique. Dans les années 1880, la revendicatrice, alors connue sous le nom de bande indienne du lac Columbia*, vivait dans cette région, y élevait des bovins et des chevaux et s’y livrait à certaines activités agricoles. La revendicatrice soutient que certaines terres qui devaient faire partie de sa réserve ont été exclues.

[3]  La revendication découle de deux transactions distinctes. La première concerne des terres qui ont été attribuées par le commissaire des réserves indiennes Peter O’Reilly en 1884, mais qui n’ont pas incluses dans la réserve en raison d’un changement aux points de levé (« question du levé d’arpentage »). La deuxième concerne des terres dont la Commission royale des affaires des sauvages, une commission fédérale-provinciale, (« Commission McKenna-McBride », « Commission » ou « CMM ») avait recommandé l’inclusion en 1915 (« question relative aux terres additionnelles »), mais qui ont été exclues.

II.  Historique procédural

[4]  La revendicatrice a déposé la présente revendication auprès de la Direction générale des revendications particulières du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en mars 1999. Le 21 février 2011, le ministre a refusé de négocier le règlement de la revendication.

[5]  La revendicatrice a déposé sa déclaration de revendication auprès du Tribunal le 14 mars 2013. Elle soutient que les manquements de la Couronne à ses obligations fiduciaires sont visés par les alinéas 14(1)b) et c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22 [LTRP], lesquels prévoient ce qui suit :

  14. (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

  […]

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d’une colonie de la Grande-Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada;

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation; […]

[6]  Le Canada intimé a déposé sa réponse, le 6 juin 2013, et a réfuté toutes les allégations de responsabilité formulées par la revendicatrice. 

[7]  Le 5 novembre 2013, le Tribunal a délivré un avis au procureur général de la Colombie-Britannique en vertu de l’article 22 de la LTRP. La province n’a pas profité de cette occasion pour intervenir ou se constituer partie à la procédure.

III.  apperçu historique

[8]  L’histoire de la création des réserves en Colombie-Britannique remonte à l’expansion coloniale de l’Empire britannique sur la côte nord-ouest du continent.

[9]  Aux termes de la politique coloniale britannique, il fallait négocier des traités avec les Indiens dans leurs collectivités. L’un des aspects abordés dans le cadre de ce processus était la création de réserves destinées à l’usage et au profit perpétuels des nations indiennes. Sir James Douglas, facteur en chef de la Compagnie de la Baie d’Hudson et gouverneur de la colonie de l’île de Vancouver, avait commencé à conclure des traités, mais cette pratique a été abandonnée avant la colonisation de la partie continentale en 1858. Cependant, la pratique qui consistait à attribuer des terres afin qu’elles soient mises de côté à titre de réserve s’est poursuivie et elle s’inspirait de politiques qui ont été appliquées — en théorie, mais pas en pratique — à partir du moment où Douglas a pris sa retraite en 1864 jusqu’à la Confédération, et par la suite.

[10]  Au moment de la Confédération, le Canada est devenu responsable « des Indiens et des terres réservées aux Indiens » dans la province. La province devait nécessairement collaborer avec le Canada afin de mettre de côté des terres à titre de réserve puisqu’elle détenait le titre de la Couronne.

[11]  La nouvelle province et le Canada sont devenus liés par les dispositions de l’article 13 des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique de 1871 : 

Le soin des Sauvages et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera constituée par le Gouvernement Fédéral après l’Union. Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les colonies. 

[12]  La quantité des étendues de terre devant être transférées au Dominion par la province a vite posé problème.

[13]  En 1876, le Dominion et la province ont créé la Commission mixte des réserves indiennes (« CMRI »), dont le mandat consistait à « fixer et déterminer » l’emplacement et la superficie des réserves dans les plus brefs délais. Huit années se sont écoulées avant que des réserves soient attribuées dans la région de Kootenay. Le commissaire des réserves, Peter O’Reilly, est arrivé dans la région à dos de cheval en août 1884.

[14]  O’Reilly a parlé avec des colons de la région et des représentants de la bande du lac Columbia (maintenant connue sous le nom de Première Nation d’Akisq’nuk, la revendicatrice). Il a ensuite produit un rapport de décision, auquel était joint le croquis d’un arpenteur, dans lequel il attribuait une réserve d’environ 8 320 acres à la revendicatrice. En septembre 1885, après une correspondance de plus d’un an avec le commissaire O’Reilly, dans laquelle ce dernier défendait la superficie de la réserve proposée, le commissaire en chef des Terres et Travaux de la Colombie-Britannique (« CCTT ») a approuvé l’attribution.

[15]  La réserve a été arpentée en septembre 1886. L’arpenteur a relevé plusieurs écarts par rapport aux limites établies dans le rapport de décision d’O’Reilly, dont deux faisaient en sorte que les terres attribuées par O’Reilly étaient exclues de la réserve. La question du levé d’arpentage repose sur ces écarts. Les plans de l’arpenteur ont finalement été approuvés par les gouvernements provincial et fédéral et ils établissent les limites actuelles de la RI 3.

[16]  La province a contesté le transfert de certaines des terres attribuées par la CMRI.

[17]  En septembre 1912, en vue de [traduction] « régler tous les différends » concernant les réserves, les gouvernements fédéral et provincial ont constitué la CMM. Cette commission était chargée de déterminer les besoins des bandes (groupes d’Indiens selon la définition figurant dans la Loi sur les Indiens) et de recommander des modifications et des ajouts aux terres de réserve. En juin 1916, après avoir entendu le chef Arbel, des membres de la bande et l’agent des Indiens de la région, la CMM a recommandé l’ajout d’une parcelle de 2 960 acres à la RI 3.

[18]  Le Canada a appuyé la mise en œuvre des recommandations de la CMM. La province ne l’a pas fait. En 1920, W.E. Ditchburn et le major J.W. Clark ont été nommés par le Canada et la Colombie-Britannique, respectivement, pour examiner les recommandations de la CMM.

[19]  L’ajout recommandé par la CMM en 1916 était une source de mésentente et a fait l’objet d’une abondante correspondance entre les représentants provincial et fédéral. Le représentant fédéral, Ditchburn, défendait l’ajout alors que le représentant provincial, Clark, s’y opposait. Tous les deux ont fait part de leur désaccord dans leurs rapports finaux. C’est finalement la province qui l’a emporté et la version du rapport de la CMM, telle que modifiée par suite de l’examen de Ditchburn et de Clark — qui annulait l’ajout —, a été approuvée par les deux ordres de gouvernement.

[20]  La Colombie-Britannique a transféré le titre de propriété au Canada au moyen du décret 1036/1938.

IV.  portée historique de la revendication

[21]  La présente revendication, qui se rapporte tant aux terres arpentées qu’aux terres additionnelles, est fondée sur des principes d’equity de sorte qu’elle relève de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP : 

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale […] 

[22]  L’equity sert de fondement à certaines obligations et à certains recours lorsqu’une partie est vulnérable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une autre partie, la condition sine qua non d’une relation fiduciaire.

[23]  En ce qui a trait aux intérêts indiens, les obligations de la Couronne sont désormais définies à l’intérieur du cadre établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Manitoba Métis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623 [Manitoba Métis Federation].

[24]  En soi, la vulnérabilité ne donne pas lieu à une obligation fiduciaire :

Dans le contexte autochtone, une obligation fiduciaire peut naître du fait que la « Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers » (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, par. 18). Il est alors nécessaire de s’attacher à l’intérêt particulier qui est l’objet du différend (Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 R.C.S. 245, par. 83). Le contenu de l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones varie selon la nature et l’importance des intérêts à protéger (Wewaykum, par. 86).

Une obligation fiduciaire peut également découler d’un engagement si les trois éléments suivants sont réunis :

(1) un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable. 

(Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 R.C.S. 261, par. 36) [Manitoba Métis Federation, par 49, 50]

[25]  La revendicatrice soutient que la preuve permet de tirer des conclusions de fait qui établissent que la Couronne avait des obligations fiduciaires à son égard, compte tenu de ses intérêts dans les terres additionnelles et dans les terres arpentées, et qu’elle a contrevenu à ces obligations.

[26]  Les obligations particulières invoquées par la revendicatrice découleraient d’une obligation constitutionnelle, à savoir la création de réserves imposée par l’article 13. La Cour suprême a établi la règle d’interprétation et l’obligation fondamentale que la Couronne est tenue d’observer lorsque l’honneur de la Couronne est en jeu :

En appliquant les précédents et les principes qui encadrent le comportement honorable, nous estimons que, lorsqu’il est question de la mise en œuvre d’une obligation constitutionnelle envers un peuple autochtone, le principe de l’honneur de la Couronne oblige la Couronne : (1) à adopter une approche libérale et téléologique dans l’interprétation de la promesse; (2) à agir avec diligence pour s’acquitter de la promesse. [Manitoba Métis Federation, par 75]

[27]  Les terres additionnelles ont été attribuées en mars 1915, soit 44 ans après la Confédération. Le processus d’attribution des réserves de la Colombie-Britannique a pris naissance sur l’île de Vancouver en 1850. La colonie avait pour politique de traiter avec les Indiens. Il s’agissait là d’un aspect de la politique coloniale britannique, comme l’indique la Proclamation royale du 7 octobre 1763.

[28]  La même politique s’appliquait au Canada et a été mise en œuvre lorsque le mouvement de colonisation s’est déplacé du centre à l’ouest du Canada. Au Canada et dans la colonie de la Colombie-Britannique, les traités prévoyaient la création de réserves. L’attribution de réserves s’est poursuivie dans la colonie après 1854, alors que la conclusion de traités a pris fin. Au moment de la Confédération, la politique coloniale sur la quantité des étendues de terre mises de côté à titre de réserve s’appliquait tant à la nouvelle province qu’au Dominion.

[29]  Le contexte historique de la présente revendication s’étend donc de la colonisation britannique du territoire maintenant connu comme l’île de Vancouver jusqu’au transfert, par la province au Canada, du titre de la Couronne sur les terres réservées en 1938. Le point de départ de l’analyse remonte à une époque encore plus lointaine, soit à la Proclamation royale, qui est la pierre d’assise du principe de l’honneur de la Couronne et des autres obligations de la Couronne.

[30]  L’incident qui a mis fin à la création des réserves en Colombie-Britannique a eu lieu en 1938, soit 67 ans après la Confédération. Le retard à résoudre la question de l’identification des terres devant être transférées au Dominion, qui a persisté jusqu’en 1915, et même après, est expliqué dans les documents historiques versés au dossier pour la période de 1871 à 1938. Parmi ces documents, notons les diverses ententes conclues entre le Dominion et la province, ainsi que les décrets, les lois et les lettres qui s’y rapportent.

[31]  Cependant, l’histoire ne se limite pas aux renseignements tirés des ententes officielles, des lois et des décrets. Si ces documents existent, c’est parce que les deux gouvernements ont pris des mesures qui ont abouti aux ententes conclues en 1876 et en 1912. Ces deux ententes visaient à déterminer, de manière définitive, la quantité des étendues de terre qui devaient être établies comme réserves et détenues en fiducie par le Canada au profit des Indiens de la province. Ni l’une ni l’autre n’a atteint cet objectif. Une troisième entente, conclue en 1920, ne l’a pas non plus atteint, mais le rapport rédigé par le représentant provincial dans le cadre du processus établi par cette troisième entente, qui privait la revendicatrice des terres additionnelles, a finalement été accepté par les deux gouvernements. La revendicatrice soutient que les circonstances entourant la perte de ces terres constituent un manquement à l’obligation fiduciaire.

[32]  J’ai consulté certains ouvrages rédigés par des historiens compétents afin de mieux cerner le contexte général dans lequel l’attribution des terres additionnelles de 1915 et l’annulation de 1923 ont eu lieu :

  1. Robert E Cail, Land, Man, and the Law, The Disposal of Crown Lands in British Columbia, 1871-1913 (The University of British Columbia 1974), chapitres 11 à 13 (« Cail »).

  2. Cole Harris, Making Native Space, Colonialism, Resistance, and Reserves in British Columbia (University of British Columbia Press, 2002), p 241 à 261 (« Harris »).

  3. E Brian Titley, A Narrow Vision, Duncan Campbell Scott and the Administration of Indian Affairs in Canada (University of British Columbia Press, Vancouver 1969), chapitre 8.

[33]  Ensemble, ces ouvrages couvrent la période allant de la colonisation de la côte nord-ouest du continent en 1850 jusqu’à la Confédération, et par la suite jusqu’en 1938. Chaque auteur s’est exclusivement fondé sur des documents primaires pour rédiger un texte dans lequel il décrit les événements qui sont survenus pendant la période d’attribution des réserves en Colombie-Britannique. Tous les documents invoqués sont tirés des archives publiques.

[34]  J’ai aussi examiné le rapport des comités spéciaux de la Chambre des communes chargés d’enquêter sur les demandes des tribus indiennes alliées de la Colombie-Britannique (session 1926-1927). Ce rapport passe en revue les événements survenus à compter de la période de colonisation jusqu’à l’attribution des réserves par la CMRI, par la Commission McKenna-McBride et par Ditchburn et Clark. Il comprend un rapport et un témoignage de Duncan Campbell Scott, surintendant des Affaires indiennes.

[35]  Mon analyse de la politique coloniale antérieure à la Confédération est aussi fondée, en partie, sur les événements historiques dont il est question dans la jurisprudence canadienne, notamment dans la décision que le Tribunal a rendue dans l’affaire Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 1, et dans la décision sur la demande de contrôle judiciaire rendue par la Cour d’appel fédérale (Canada c Première Nation de Kitselas, 2014 CAF 150, [2014] 4 CNLR 6).

V.  contexte

A.  Politique coloniale et Proclamation royale de 1763

[36]  La politique coloniale impériale concernant les peuples indiens et leurs terres a été confirmée par la Proclamation royale. En résumé, il fallait « prendre des mesures pour assurer aux nations ou tribus sauvages […] la possession entière et paisible des parties de Nos possessions et territoires qui ont été ni concédées ni achetées et ont été réservées pour ces tribus […] comme territoires de chasse » (je souligne). 

[37]  La Proclamation royale interdisait à tout gouverneur des colonies d’accorder un titre de propriété « sur [les terres] qui ont été ni cédées ni achetées par Nous, tel que susmentionné, et ont été réservées pour les tribus sauvages susdites […] ». Il était également défendu de « posséder [une] terre ci-dessus réservée […] sans avoir au préalable obtenu Notre Permission spéciale […] » (je souligne).

1.  Le Dominion et les traités numérotés

[38]  La pratique fédérale fondée sur le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 consistait à conclure des traités avec les peuples indiens à mesure que les colons s’établissaient dans l’Ouest et que l’idée de sir John A. MacDonald de construire un chemin de fer transcontinental se concrétisait.

[39]  La création de réserves à l’extérieur des territoires cédés en application des traités numérotés était une promesse faite par traité, et il s’agissait d’une pratique courante. La superficie de terres de réserve attribuée par habitant était, selon le gouvernement, suffisante pour permettre aux peuples indiens de passer à une économie de subsistance fondée sur l’agriculture. Par exemple, la superficie des terres réservées en application des traités nos 1 (1871), 2 (1871) et 3 (1873) variait de 160 à 640 acres par famille de cinq (Cail, p 197).

2.  Les traités dans la colonie de la Colombie-Britannique

[40]  La politique coloniale de la Colombie-Britannique respectait à l’origine la Proclamation royale, selon laquelle les territoires des nations indiennes ne devaient pas être colonisés à moins d’être cédés à la Couronne.

[41]  Le gouverneur James Douglas a conclu, entre 1850 et 1854, des traités avec 14 tribus établies dans le sud de l’île de Vancouver. Ces traités prévoyaient la mise de côté, à titre de réserve, de certaines parties des territoires de ces tribus. Le gouvernement impérial ayant cessé tout financement, la pratique qui consistait à conclure des traités a pris fin. Cependant, Douglas a continué de mettre de côté des terres sur l’île de Vancouver et sur le continent pour en faire des réserves.

3.  La priorité des intérêts durant la période coloniale

[42]  Entre 1850 et 1854, les intérêts indiens avaient, en théorie et, dans une certaine mesure, en pratique, la priorité que leur accordait la Proclamation royale.

[43]  Bien entendu, l’immigration s’est poursuivie après 1854. Les terres de peuples indiens étaient, contrairement aux exigences de la Proclamation royale, occupées par des colons sans le consentement des nations et tribus indiennes qui les occupaient comme ils avaient coutume de le faire.

[44]  Certains vestiges de l’objectif visé par la Proclamation royale ont continué, dans les faits, à être respectés. Les colons pouvaient faire valoir un droit de préemption sur les terres non cédées, alors que les établissements indiens étaient protégés contre l’acquisition par préemption. Dans cette mesure, l’intérêt des Indiens l’emportait sur les intérêts des colons. Douglas a continué d’attribuer des réserves là où les Indiens pouvaient délimiter leurs [traduction] « [...] villages, champs cultivés et lieux de villégiature favoris […] sans tenir compte des demandes des colons » (Harris, p 42).

[45]  Comme Harris l’indique, aux pages 30 à 44 de son ouvrage, la politique foncière coloniale en vigueur à l’époque de Douglas était « libérale » en ce sens qu’elle était axée sur la survie des peuples indiens, du moins pendant leur intégration à la société coloniale. On appliquait une interprétation extensive à ce qui pouvait constituer les villages, les champs et lieux de villégiature.

[46]  Le colonel Moody, commandant du Corps royal du génie, a reçu des directives de Douglas en ce qui concerne la mise en œuvre de ses politiques. Moody a notamment reçu, en 1859, une directive selon laquelle il devait réserver des terres [traduction] « couvrant une superficie de plusieurs centaines d’acres autour de chaque village » (Harris, p 34). Douglas voulait ainsi établir une assise territoriale qui allait permettre aux collectivités indiennes de subvenir à leurs besoins pendant leur conversion aux manières européennes.

[47]  Il semble que de petites réserves aient été mises de côté jusqu’au canyon du Fraser, en violation des directives générales de Douglas. De grandes réserves de terres agricoles ont été délimitées dans les vallées de l’Okanagan et de la Thompson et dans la vallée du Fraser, près de Chilliwack.

[48]  Il n’y avait, pendant le mandat de Douglas, aucune formule fixe permettant de déterminer la superficie des terres délimitées à des fins de réserve. 

[49]  Douglas a pris sa retraite en avril 1864 et le gouverneur Seymour lui a succédé.

[50]  Joseph Trutch, ingénieur et homme d’affaires, est devenu le commissaire en chef des Terres et Travaux en avril 1864. 

[51]  Après que Douglas eût pris sa retraite, Trutch a reformulé la politique coloniale relative aux terres et aux intérêts indiens. La colonie a catégoriquement nié l’existence du [traduction] « […] droit de propriété des Indiens sur les terres publiques […] » (Cail, p 184, tiré de Trutch, 28 janvier 1870, « Report on Indian Reserves », p 66 à 69).

[52]  La politique coloniale serait dorénavant axée sur l’accessibilité des terres ayant acquis une certaine valeur dans la nouvelle économie, que les colons pourraient acquérir par préemption. Quelques semaines après le départ de Douglas, l’assemblée législative de la colonie a adopté une résolution selon laquelle les réserves intérieures étaient [traduction] « inutilement grandes » et qu’elles « nui[saient] gravement au développement des ressources agricoles de la colonie » (Harris, p 56).

[53]  Les Indiens n’avaient pas vraiment adopté un mode de vie agricole, sinon qu’ils cultivaient des pommes de terre pour leur propre consommation. Du point de vue des colons, les terres étaient gaspillées.

[54]  La résolution rejoignait l’opinion de Trutch, qui a entrepris d’annuler les attributions de réserves dans les vallées de l’Okanagan et de la Thompson ainsi que dans la vallée du bas Fraser. On a expliqué aux Indiens de chaque village que les représentants chargés de délimiter les réserves avaient agi sans autorisation légale (Harris, p 57).

[55]  Bien que les terres identifiées comme des réserves étaient toujours protégées contre l’acquisition par préemption, leur superficie a grandement été réduite et celle des parcelles de terre arable encore plus (Harris, p 58). Les terres alors disponibles pouvaient être acquises par préemption. Par conséquent, l’idée de créer une assise territoriale suffisante pour permettre aux groupes indiens de subvenir à leurs besoins dans le futur a assuré aux colons un accès à des terres cultivables.

[56]  À l’automne 1867, les arpenteurs ont reçu la directive de nuire le moins possible aux terres occupées par les Blancs et de laisser aux Indiens leurs villages et les terres qu’ils cultivaient [traduction] « […] jusqu’à concurrence de dix acres de terre arable par homme adulte de la tribu, ainsi qu’une quantité modérée de pâturages pour les tribus qui possèdent des bovins et des chevaux ». L’été suivant, cette directive a été modifiée de manière à attribuer [traduction] « […] dix acres de bonnes terres à chaque famille, plutôt que dix acres de terres arables, en plus des pâturages, à chaque homme adulte » (Harris, p 58).

[57]  En 1871, 76 réserves avaient été mises de côté par la colonie. La moitié de ces réserves avaient été arpentées, pour un total de 28 437 acres. Plusieurs d’entre elles n’avaient pas été annoncées dans la Gazette, et plusieurs régions éloignées de tout établissement n’avaient pas encore été visitées à des fins d’établissement de réserves (Cail, p 189 et 190).

[58]  En ce qui concerne le titre ancestral reconnu par la Proclamation royale, son existence a été expressément niée dans un mémoire préparé par Trutch et envoyé au comte Granville, secrétaire d’État pour les colonies, le 29 janvier 1870 (Cail, p 182 et 183).

4.  La Confédération et l’article 13

[59]  Le gouvernement impérial a d’abord privilégié une approche passive à l’égard de la résolution des conflits opposant, après la Confédération, la province et le Dominion au sujet des intérêts indiens. Par dépêche transmise au gouverneur Musgrave, le 14 août 1869, le comte Granville, secrétaire d’État pour les colonies, a indiqué que [traduction] « la Constitution de la Colombie-Britannique obligera le gouverneur à intervenir personnellement pour régler plusieurs questions — comme celle de la condition des tribus indiennes […] dont il n’aurait pas à se préoccuper dans le cas d’une négociation entre deux gouvernements responsables ». Suivant les directives de Granville, Musgrave [traduction] « a délibérément omis de parler des [Indiens] dans les termes proposés au conseil législatif […] » (Cail, p 186).

[60]   Aucune mention n’est faite des Indiens dans les résolutions originales de l’assemblée législative de la Colombie-Britannique relatives à la Confédération. L’article 13 a été ajouté plus tard pour répartir les responsabilités entre les deux gouvernements (Cail, p 186 et 187, rapport du comité spécial, p 4 et 5). 

[61]  Cette répartition était nécessaire puisque, si le gouvernement fédéral avait compétence sur les « Indiens et les terres réservées aux Indiens » aux termes du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, il demeure que les terres domaniales de la Colombie-Britannique appartenaient à la province.

[62]  L’article 13 est libellé comme suit :

Le soin des Sauvages et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera constituée par le Gouvernement Fédéral après l’Union. Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les colonies.

[63]  Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada, au paragraphe 16 de l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum] :

La mise en œuvre de l’article 13 requérait donc l’accomplissement de certaines démarches préalables à la mise en branle du processus fédéral-provincial de création des réserves décrit dans l’arrêt Ross River. D’abord, des commissaires nommés par le gouvernement fédéral délimitaient et arpentaient les réserves proposées, puis, munis de ces plans, les gouvernements fédéral et provincial négociaient la taille, l’emplacement et le nombre de réserves. La maîtrise et l’administration de ces terres devaient ensuite être cédées (ou « transférées », suivant les termes de l’article 13) par la nouvelle province de la Colombie-Britannique au gouvernement fédéral, lequel devait les mettre de côté à l’usage et au bénéfice d’une bande : L’Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, ch. 18, par. 3(6); Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, par. 2(1) « réserve ».

[64]  Cinq ans se sont écoulés avant que la province et le Canada s’entendent sur le mandat de la Commission mixte des réserves indiennes. Pendant ce temps, la population des colons augmentait alors que la population indienne continuait à être décimée par la maladie.

B.  L’article 13 et la ligne de conduite «libérale » de la colonie

[65]  L’article 13 invitait le Dominion à adopter « [...] une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu[e-là] par le gouvernement de la Colombie-Britannique […] après l’Union ».

1.  Attentes fédérales, 1871

[66]  Les conclusions suivantes sont étayées par l’examen approfondi des éléments de preuve documentaire contemporains fait par Cail :

  1. Les représentants du Dominion ne se sont pas informés, lorsque les modalités de l’article 13 ont été établies, de la politique coloniale relative à la superficie des réserves attribuées.

  2. Pour le gouvernement du Canada, l’expression « ligne de conduite libérale »s’entendait d’une politique foncière aussi libérale que pouvait l’être sa propre politique.

[67]  Les documents sur lesquels sont fondées les conclusions susmentionnées seront ci-après examinés.

[68]  Le Dominion a reçu l’information sur le statut des réserves en 1871, mais n’a pris aucune mesure pour favoriser la création de réserves avant que I. W. Powell soit nommé à titre de surintendant des Affaires indiennes de la province en novembre 1872 (Cail, p 190).

[69]  Un deuxième surintendant, James Lenihan, a été nommé un an plus tard.

[70]  Le CCTT de la province, Robert Beaven, a insisté pour que Powell commence à délimiter les réserves dans la région de Chilcotin, où des colons acquéraient par préemption des terres que les Indiens considéraient comme les leurs. La situation était la même dans les régions d’Alberni et de Cowichan. Powell ne savait pas comment agir puisqu’il n’avait pas encore reçu de directives d’Ottawa sur l’exercice de ses fonctions (Cail, p 192 et 193).

[71]  Entretemps, l’acquisition de terres par préemption par les colons, en lots de 160 acres et de 320 acres à l’est de la chaîne de montagnes des Cascades, allait bon train.

[72]  Après avoir signalé que des colons blancs tentaient d’acquérir des terres indiennes par préemption, Powell a reçu l’ordre d’Ottawa de discuter avec le gouvernement local de la possibilité d’attribuer à chaque famille de [traduction] « […] 80 acres de terre de qualité moyenne […] », d’élargir les réserves existantes et de mettre de côté de nouvelles réserves. Il s’agissait d’une directive officielle établie par décret, le 21 mars 1873, dont voici le texte : [traduction] « [...] il est extrêmement important de convaincre les Indiens de cette province que le gouvernement du Dominion rendra pleinement justice aux droits de la population indienne » et de répondre « […] aux attentes de ces Indiens » (Cail, p 194).

[73]  Beaven a répondu en demandant à Powell de fournir des renseignements sur les membres de chaque famille de la province, le nom et l’emplacement de toutes les réserves indiennes revendiquées au profit des tribus, le nombre d’Indiens habitant à l’extérieur des réserves et la superficie requise, et ce, pour environ 28 500 Indiens dans la province. Powell a répondu qu’il était impossible d’obtenir ces renseignements (Cail, p 195).

[74]  Selon Cail, cette demande de renseignements était l’un des divers moyens utilisés pour nuire au travail de Powell (Cail, p 194).

[75]  En réponse à la directive du Dominion selon laquelle Powell devait attribuer 80 acres à chaque famille de cinq personnes, la province a proposé d’attribuer 20 acres à chaque famille de cinq personnes. Cette proposition était inscrite dans un procès-verbal du conseil exécutif daté du 25 juillet 1873. Powell aurait, à ce moment-là, été au courant de la directive donnée en 1867 par Trutch à ses arpenteurs, selon laquelle ils ne devaient pas mettre de côté plus de 10 acres par famille. Informé par le procès-verbal du conseil exécutif que les 20 acres proposées excédaient la superficie des terres attribuées par la colonie pour chaque famille avant la Confédération, Powell a jugé que le Dominion devait se conformer à la proposition en vertu de l’article 13 (Cail, p 195).

[76]  Le 1er mars 1874, David Laird, ministre de l’Intérieur, a, dans un mémoire au cabinet fédéral, confirmé la décision de réduire la superficie des terres attribuées de 80 à 20 acres (Cail, p 196).

[77]  Il n’a pas échappé aux Indiens de la Colombie-Britannique que les terres réservées en vertu des traités nos 1 (1871), 2 (1871) et 3 (1873) avaient une superficie qui variait entre 160 et 640 acres par famille de cinq personnes (Cail, p 197).

[78]  En 1874, la rumeur voulait que les Indiens déclenchent une guerre. Selon Powell, la seule raison pour laquelle cette guerre n’a pas eu lieu était que les Indiens, divisés en bandes, n’étaient pas suffisamment unis (rapport du comité spécial, p 119).

[79]  Le gouvernement fédéral n’a pas tardé à réagir quand la province a adopté la Land Act en 1874. Cette loi ne contenait aucune disposition relative à la création de réserves indiennes ou à la mise de côté de terres à cette fin. Fournier, ministre de la Justice, l’a donc désavouée. Pour ce faire, il s’est fondé sur l’insatisfaction des Indiens et le risque d’hostilités. Il a souligné l’obligation imposée par la Proclamation royale de rencontrer les Indiens en conseil et d’obtenir les cessions de terres nécessaires à la colonisation, et le renvoi aux « territoires indiens » dans la Loi impériale de 1849 régissant l’administration de la colonie.

[80]  Fournier a également parlé de la réserve prévue à l’article 109 de la Loi constitutionnelle de 1867, suivant laquelle les terres domaniales de la province restaient soumises aux « […] charges dont [elles] sont grevé[e]s, ainsi qu’à tous intérêts autres que ceux que peut y avoir la province », et de sa pertinence par rapport aux intérêts des Indiens dans les terres (Cail, p 199).

[81]  Réagissant au mécontentement des Indiens dans la province, Laird, ministre de l’Intérieur, a désavoué, à titre de politique fédérale, la superficie maximale des terres proposée par la province au motif qu’elle était injustifiée. Naturellement, Trutch s’en est tenu rigoureusement à la lettre des Conditions de l’adhésion. L’article 13 faisait mention de la ligne de conduite « libérale » de la colonie, c’est à dire de l’attribution de 10 acres de terre à chaque famille.

[82]  Dans son mémoire du 2 novembre 1874, Laird a dit à propos des négociations du gouvernement du Dominion avec la province qu’elles s’étaient déroulées [traduction] « […] dans un esprit de libéralité dépassant largement ce que les termes stricts de l’entente leur imposaient » et a demandé à la province de faire preuve de cette même libéralité (Cail, p 199).

[83]  Le Dominion a rétorqué que, jusqu’en 1871, au moment où l’article 13 a été rédigé, la politique relative aux Indiens suivie au Canada différait de celle de la colonie. La province a répliqué que les 20 acres qu’elle avait offertes à chaque famille dépassaient largement les 10 acres attribuées sur la base des dispositions de l’article 13. De toute évidence, le Dominion ne connaissait pas la politique coloniale provinciale qu’il avait accepté de suivre et avait supposé qu’elle était aussi « libérale » que sa propre politique.

[84]  J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que le fait que le Dominion ne se soit pas renseigné sur les pratiques et politiques de la colonie avant de s’engager et d’engager ses pupilles à les suivre témoigne d’un certain manque de prudence — prudence à laquelle se serait attendue une personne raisonnable dans les circonstances. 

[85]  Pour poursuivre, il semble que la province n’ait pas été intimidée par les propos de Laird. Powell s’est fait dire que la province n’autoriserait pas l’agrandissement des réserves existantes sur la base de la politique selon laquelle chaque chef de famille avait droit à vingt acres de terre. Cette politique s’appliquerait seulement aux nouvelles attributions.

[86]  Et cela s’est poursuivi, dans les deux sens, chacun blâmant l’autre, jusqu’à ce que George Walkem, procureur général de la province, intègre les suggestions du révérend William Duncan, un résident de la péninsule Tsimpsean de la côte nord du Pacifique, dans une proposition visant à résoudre cette impasse. Le Dominion et la province se sont ensuite officiellement engagés.

[87]  Le décret du gouvernement fédéral daté du 10 novembre 1875, qui se trouve en annexe, prévoyait ce qui suit :

[traduction]

1. Que, dans le but de régler avec célérité et de manière définitive et satisfaisante la question des réserves indiennes en Colombie-Britannique, toute l’affaire est renvoyée à trois commissaires, l’un nommé par le gouvernement fédéral, le deuxième par le gouvernement de la Colombie-Britannique et le troisième conjointement par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux.

2. Que lesdits commissaires, dès que possible après leur nomination, se réunissent à Victoria et prennent les dispositions nécessaires pour aller rencontrer dans les plus brefs délais, dans l’ordre qu’ils jugeront souhaitable, chaque nation indienne (c’est-à-dire toutes les tribus indiennes parlant une même langue) de la Colombie-Britannique et que, après une étude complète menée sur place de tous les aspects ayant une incidence sur la question, ils fixent et déterminent, pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer.

[…]

4. Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, qui prévoient l’adoption d’une « ligne de conduite libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération les habitudes, les besoins et les activités de chacune, le territoire disponible dans la région qu’elle occupe, et les revendications des colons blancs. [Je souligne.]

[88]  Le décret provincial daté du 6 janvier 1876 prévoyait ce qui suit :

[traduction]

1. Que la question soit renvoyée à trois commissaires, l’un nommé par le gouvernement fédéral, le deuxième par notre gouvernement et le troisièmement conjointement par les deux gouvernements.

2. Que lesdits commissaires, dès que possible après leur nomination, se réunissent à Victoria et prennent les dispositions nécessaires pour aller rencontrer dans les plus brefs délais, dans l’ordre qu’ils jugeront souhaitable, chaque nation indienne (c’est-à-dire toutes les tribus indiennes parlant une même langue) de la Colombie-Britannique et que, après une étude complète menée sur place, de tous les aspects ayant une incidence sur la question, ils fixent et déterminent, pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer.

3. Que, pour la détermination de l’étendue des réserves à attribuer, il n’y ait pas de critère de détermination de la superficie, et que chaque nation soit traitée séparément.

4. Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, qui prévoient l’adoption d’une « ligne de conduite libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération les habitudes, les besoins et les activités de chacune, le territoire disponible dans la région qu’elle occupe, et les revendications des colons blancs.

5. Que chaque réserve soit détenue en fiducie à l’usage et au profit de la nation indienne à laquelle elle a été attribuée et, en cas de hausse ou de baisse importante du nombre de membres d’une nation occupant une réserve, la superficie de celle-ci sera augmentée ou abaissée, selon le cas, de façon à demeurer équitablement proportionnelle au nombre des membres de la nation qui l’occupe. Les terres supplémentaires requises pour toute réserve seront attribuées à même les terres de la Couronne et toute terre prise à même une réserve doit revenir à la province.

[…]

Le procureur général fait remarquer que toutes les propositions, à l’exception des deux premières, sont sensiblement les mêmes que celles présentées par notre gouvernement dans sa dernière minute. S’agissant de la nomination des commissaires, tel que suggéré, au lieu des agents, le comité estime que, à proprement parler, la province ne devrait pas être responsable de quelconque partie des dépenses liées à l’administration des affaires indiennes, qui, aux termes des Conditions de l’adhésion, relève du gouvernement fédéral. Cependant, s’agissant du règlement final de la question des terres — qui est de la plus haute urgence et importance pour la paix et la prospérité de la province —, le comité est d’avis que toutes les propositions, numérotées de un à sept, devraient être acceptées.

Par conséquent, si la présente Minute est approuvée, le comité demande que Votre Excellence informe le gouvernement fédéral que les propositions susmentionnées ont été sanctionnées et fasse en sorte qu’une copie de ces propositions soit transmise au très honorable secrétaire d’État pour les colonies.

2.  La Commission mixte des réserves indiennes

[89]  Le Canada et la Colombie-Britannique ont entrepris de négocier les modalités d’application de la politique, énoncée à l’article 13 des Conditions de l’adhésion, voulant que des terres soient mises de côté pour les Indiens. En définitive, le Canada et la Colombie-Britannique ont approuvé, par décrets, la création d’une commission mixte des réserves indiennes chargée de traiter de la question des terres indiennes en Colombie-Britannique. Le mémoire (l’« entente de la CMRI »), joint à l’approbation du gouverneur en conseil datée du 10 novembre 1875, prévoyait notamment ce qui suit :

[traduction]

1. Que, dans le but de régler avec célérité et de manière définitive et satisfaisante la question des réserves indiennes en Colombie-Britannique, toute l’affaire est renvoyée à trois commissaires, l’un nommé par le gouvernement fédéral, le deuxième par le gouvernement de la Colombie-Britannique et le troisième conjointement par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux

2. Que lesdits commissaires, dès que possible après leur nomination, se réunissent à Victoria et prennent les dispositions nécessaires pour aller rencontrer dans les plus brefs délais, dans l’ordre qu’ils jugeront souhaitable, chaque nation indienne (c’est-à-dire toutes les tribus indiennes parlant une même langue) de la Colombie-Britannique et que, après une étude complète menée sur place, de tous les aspects ayant une incidence sur la question, ils fixent et déterminent, pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer.

3. Que, pour la détermination de l’étendue des réserves à attribuer aux Indiens de la Colombie-Britannique, il n’y ait pas de critère de détermination de la superficie pour les Indiens de l’ensemble de la province, et que chaque nation regroupant les Indiens qui parlent la même langue soit traitée séparément.

4. Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, qui prévoient l’adoption d’une « ligne de conduite libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération les habitudes, les besoins et les activités de chacune, le territoire disponible dans la région qu’elle occupe, et les revendications des colons blancs.

5. Que chaque réserve soit détenue en fiducie à l’usage et au profit de la nation indienne à laquelle elle a été attribuée et, en cas de hausse ou de baisse importante du nombre de membres d’une nation occupant une réserve, la superficie de celle-ci sera augmentée ou abaissée, selon le cas, de façon à demeurer équitablement proportionnelle au nombre des membres de la nation qui l’occupe. Les terres supplémentaires requises pour toute réserve seront attribuées à même les terres de la Couronne et toute terre prise à même une réserve doit revenir à la province. [Je souligne.]

3.  Commentaire

[90]  Le paragraphe 5 de l’entente de la CMRI a été soumis par la province. Il vise les réserves existantes et les réserves non encore attribuées. Aucune disposition semblable ne s’applique aux réserves établies en vertu des traités numérotés conclus par le Canada et les peuples indiens. Ce paragraphe respecte l’objectif de la province, qui était de faire en sorte que le plus de terres possible puissent être acquises par préemption.

[91]  Le paragraphe 5 reflète aussi la position adoptée par la province sur la question du titre ancestral. Advenant que ce titre n’existe pas, les terres mises de côté à titre de terres de réserve retourneraient évidemment, du point de vue des colons, au gouvernement représentant les intérêts des colons. Comme les représentants du Dominion ne se sont pas opposés à l’inclusion de ce paragraphe, on peut supposer qu’ils partageaient le point de vue des colons.

[92]  Les paragraphes 1 à 4, lus conjointement avec l’article 13, couvrent tout ce qui devait être fait et permettent d’établir un équilibre entre les intérêts du Dominion (représentant les intérêts des Indiens) et ceux de la province. Aucune contrepartie n’a apparemment été versée en échange du compromis sur les intérêts réversifs.

4.  Les commissaires

[93]  En 1876, la Commission mixte des réserves indiennes était constituée d’une personne nommée par la province, d’une personne nommée par le Canada et d’une personne nommée conjointement, soit Gilbert Sproat. La CMRI ainsi constituée a été dissoute en 1877 et, en mars 1878, Sproat était le seul commissaire en poste.

[94]  Sproat a fait rapport des efforts qu’il avait déployés pour assurer la subsistance des Indiens établis dans le secteur longeant le chemin de fer proposé. Il a ensuite orienté ses efforts vers le nord de l’île de Vancouver. Lorsque les autorités provinciales ont eu vent de la situation, elles ont tenté d’empêcher Sproat d’augmenter la superficie des réserves de cette région parce que cela était [traduction] « imprudent » et « pour des raisons dont [il] ne pouvai[t] pas se douter » (Cail, p 216 et 217).

[95]  Sproat a démissionné en mars 1880.

[96]  Peter O’Reilly a été nommé commissaire des réserves indiennes en 1880, poste qu’il a occupé jusqu’à sa retraite en 1898.

[97]  O’Reilly avait reçu instruction de s’inspirer de la ligne de conduite libérale consacrée par les Conditions de l’adhésion et énoncée dans l’entente établissant la CMRI :

[traduction] Lors de l’attribution de terres de réserve à une bande, vous devez vous inspirer de façon générale de l’esprit des Conditions de l’adhésion entre le Dominion et le gouvernement local, qui prévoient l’adoption d’une « ligne de conduite libérale » à l’égard des Indiens. Vous devez en particulier tenir compte des habitudes, des besoins et des activités de la bande, de l’étendue du territoire où elle vit, ainsi que des demandes des colons blancs (s’il en est). [RCD, onglet 14]

[98]  Dans le décret le nommant commissaire, soit le décret nº 1334, on demandait à O’Reilly de déterminer les besoins des bandes indiennes à qui aucune terre n’avait été attribuée et de leur attribuer [traduction] « […] des terres appropriées à des fins de culture ou de pâturage ». 

[99]  Les attributions d’O’Reilly devaient faire l’objet d’une confirmation par le CCTT et le surintendant fédéral des Indiens de la province.

5.  Attribution de la RI 3

[100]  Les Indiens étaient très présents dans la région de Kootenay. En 1886, le commissaire aux Indiens Powell a visité la région et a indiqué que [traduction] « [l]es Kootenays occupent toute la région du lac Columbia, jusqu’aux plaines de Tobacco [au sud de Cranbrook] ».

[101]  O’Reilly a rencontré les colons et les membres de la Première Nation d’Akisq’nuk en août 1884. Il a noté ceci : 

[traduction] […] Par le passé, les Indiens de la région de Kootenay avaient des habitudes migratoires. Ils se déplaçaient d’un endroit à l’autre, selon les saisons, et selon leurs activités et leurs besoins […] [Avant mon arrivée,] les Indiens prétendaient être en possession, et l’étaient presque, de tout le district, où ils cultivaient certaines terres à leur guise et utilisaient certains emplacements choisis pour le pâturage de leurs bovins et de leurs chevaux. [RCD, onglet 55]

[102]  Dans les années 1880, il était relativement nouveau d’utiliser une partie du territoire pour le pâturage. L’agent des Indiens A. W. Vowell a rapporté que les Indiens de la région de Kootenay [traduction] « traversaient [les Rocheuses] en grands groupes environ trois fois par année » à la recherche de bisons (RCD, onglet 60). En 1883, ils avaient [traduction] « complètement abandonné leur vieille habitude qui consistait à traverser les montagnes à la recherche de gibier […] [et] comptaient principalement sur leurs bovins, et sur le gibier et le poisson qu’ils pouvaient attraper dans les cours supérieurs de la rivière Kootenay et du fleuve Columbia », pour assurer leur survie (RCD, onglet 35). « Comme le nombre de bisons a[vait] chuté, les Indiens de Kootenay tent[aient], par tous les moyens, d’accroître leur cheptel » (RCD, onglet 43).

[103]  Le 9 août 1884, après avoir rencontré les Akisq’nuk, le commissaire O’Reilly a rédigé un rapport de décision concernant l’attribution des terres qui ont par la suite fait partie de la RI 3, auquel étaient joints une description par tenants et aboutissants des terres attribuées et un croquis montrant les limites de ces terres. La superficie estimée était de 8 320 acres.

[104]  Le 2 septembre 1885, le commissaire O’Reilly a été informé que le CCTT avait accepté l’attribution des réserves indiennes dans le district de Kootenay, telles que décrites dans ses rapports de décision et ses croquis.

[105]  La réserve a été arpentée en 1886 et 1887 et elle s’étendait sur 8 456 acres. Cependant, l’arpenteur a modifié la limite est figurant dans la description par tenants et aboutissants et dans le croquis d’O’Reilly. L’arpenteur a expliqué que les terres attribuées en 1885 compteraient ainsi moins de terres montagneuses et plus de terres de pâturage. La superficie de la réserve s’en trouvait donc réduite le long de la limite est.

6.  Achèvement des travaux de la Commission; questions en suspens

[106]  Le commissaire O’Reilly a pris sa retraite en 1898. Il a été remplacé par Vowell, qui a également continué d’agir à titre de commissaire des Indiens.

[107]  En 1908, R.G. Tatlow, CCTT sous le gouvernement provincial de McBride, a mis fin aux travaux du commissaire des réserves indiennes, jugeant insatisfaisantes les relations entre le Dominion et la province en ce qui concerne les réserves. Le Dominion avait contesté la demande de la province qui cherchait à obtenir un intérêt réversif dans les réserves et l’affaire était devant les tribunaux.

[108]  À la même époque, un avocat, Arthur O’Meara, représentait les tribus alliées en vue d’obtenir une reconnaissance du titre ancestral. O’Meara et les dirigeants indiens, Peter Kelly de la nation haïda et Andy Paull de la nation de Squamish, exerçaient des pressions sur le gouvernement fédéral afin qu’il soulève la question du titre ancestral auprès du Conseil privé. Ils ont donc commencé à dresser une liste de questions.

[109]  En 1912, le premier ministre McBride a fait part au gouvernement fédéral de ses préoccupations au sujet des contestations que soulevaient la demande de la province quant à un intérêt réversif et l’attribution d’[traduction] « autres » terres à titre de réserves. Les négociations intervenues entre la province et le Dominion visaient à résoudre ces trois questions.

[110]  J.A.J. McKenna, un représentant du MAI, a été chargé d’examiner les questions relatives au titre ancestral, à l’intérêt réversif et à la superficie des réserves et de représenter le Canada dans ses négociations avec la province.

[111]  McKenna s’est penché sur la question du titre et a discuté avec McBride de sa crainte de soumettre la question aux tribunaux, car cela pourrait jeter un doute sur la validité du titre sur les terres situées dans la province. Les négociations à ce sujet ont été abandonnées. Ne restaient que les questions de la réversion et de l’attribution des réserves.

[112]  McKenna a parcouru la Colombie-Britannique pour consulter les Indiens et a rapporté que l’intérêt réversif qu’avait la province sur leurs terres en vertu du paragraphe 5 de l’entente de la CMRI était devenu une source importante d’insatisfaction :

[traduction]

5. Que chaque réserve soit détenue en fiducie à l’usage et au profit de la nation indienne à laquelle elle a été attribuée et, en cas de hausse ou de baisse importante du nombre de membres d’une nation occupant une réserve, la superficie de celle-ci sera augmentée ou abaissée, selon le cas, de façon à demeurer équitablement proportionnelle au nombre des membres de la nation qui l’occupe. Les terres supplémentaires requises pour toute réserve seront attribuées à même les terres de la Couronne et toute terre prise à même une réserve doit revenir à la province.

[113]  McKenna a recommandé l’établissement d’une commission royale composée de membres des deux gouvernements dans le but de régler les questions de l’intérêt réversif et de la superficie des réserves.

[114]  Les tribus alliées ont continué d’essayer de convaincre le gouvernement fédéral de renvoyer la question du titre ancestral au Conseil privé. Les négociations ont toutefois été rompues, en novembre 1914, devant l’insistance du gouvernement à l’égard de certaines conditions, du genre « face je gagne, pile tu perds », voulant que :

  1. si la cour faisait droit à la revendication du titre, ce dernier serait cédé en contrepartie de l’acceptation des conclusions de la Commission McKenna-McBride

  2. si la cour arrivait à la conclusion que le titre n’existait pas, [traduction] « […] la politique du Dominion à l’égard des Indiens [serait] fondée sur leurs intérêts et leur développement futur »(rapport du comité spécial).

C.  Caractère définitif

[115]  L’histoire de la création des réserves en Colombie-Britannique soulève la question suivante : quand y a-t-il vraiment « caractère définitif »?

1.  Commission mixte des réserves indiennes

[116]  En résumé, en 1875 et 1876, les gouvernements de la province et du Dominion ont, en vertu de la loi, pris des décrets par lesquels ils se sont engagés à donner effet à l’article 13 en acceptant d’établir une commission des réserves (la CMRI) chargée, [traduction] « après une étude complète menée sur place de tous les aspects ayant une incidence sur la question, [de fixer et déterminer], pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer » (je souligne).

[117]  Cette mesure visait à régler [traduction] « avec célérité et de manière définitive […] la question des réserves indiennes en Colombie-Britannique » (je souligne).

[118]  Le terme « définitif » ne nécessite aucune interprétation. La définition du dictionnaire nous rappelle son importance : [traduction] « 2 concluant, décisif, irrévocable, qui met fin au doute » (The Canadian Oxford Dictionary, sub verbo « final » (définitif)).

[119]  Cependant, le terme « définitif », aux fins de l’entente établissant la CMRI, comportait une réserve : les attributions faites par la commission étaient assujetties à l’approbation du commissaire en chef des Terres et des Travaux (CCTT) pour la province et du surintendant adjoint des Affaires indiennes. Dans l’exercice de leurs fonctions, les commissaires devaient régulièrement obtenir l’approbation du CCTT.

[120]  En 1912, un répertoire des réserves avait été établi. Toutes les attributions avaient reçu les approbations requises. La condition avait donc été remplie. Le caractère définitif exigé par l’entente avait, du moins sur papier, été atteint.

2.  Convention McKenna-McBride

[121]  Or, le caractère définitif n’avait pas en fait été atteint. La province s’est opposée même si les attributions avaient été faites par les commissaires qu’elle avait conjointement nommés avec le Canada et qu’elles avaient toutes été approuvées par le CCTT. C’était en 1912. Le nombre de colons avait augmenté après l’approbation des pouvoirs de la CMRI en 1876 et le nombre d’Indiens avait baissé. Les colons blancs, et leur gouvernement élu (les Indiens n’avaient pas le droit de vote), avaient les yeux rivés sur les terres que la CMRI avait mises de côté pour les Indiens. 

[122]  Certains groupes indiens se sont opposés à l’intérêt réversif qu’avait la province en vertu du paragraphe 5 de l’entente établissant la CMRI. La province a donc perdu son droit de réversion et a convenu avec le Dominion de mettre sur pied la Commission McKenna-McBride (la « convention M-M » ou « convention »).

3.  Commentaire

[123]  Il ne faudrait pas penser que les négociateurs du Dominion, en convenant d’établir une autre commission des réserves, défendaient l’intérêt qu’avaient les Indiens à obtenir une assise territoriale. Il faut se rappeler que :

  1. Le Dominion a participé à l’introduction du paragraphe 5, qui prévoyait l’érosion de l’assise territoriale attribuée par la Commission mixte des réserves indiennes alors que la population indienne diminuait de façon importante.

  2. Aux termes de l’entente de la CMRI, les commissaires devaient régler la question de l’attribution des réserves de manière définitive. Les Indiens avaient coopéré puisque les personnes nommées par la province et le Dominion — lequel représentait leurs intérêts — leur avaient assuré que les attributions leur permettraient de rester sur leurs terres. Cependant, la nouvelle Commission pouvait recommander des réductions.

  3. Au cours des 41 années où la province a retardé ou entravé le processus de négociation, le Dominion n’a pas eu recours au mécanisme de règlement des différends prévu par l’article 13, soit d’en référer à la décision du secrétaire d’État pour les colonies.

4.  Caractère définitif, deuxième étape

[124]  Le caractère définitif auquel aspiraient les deux gouvernements en établissant la CMRI a cédé le pas au pouvoir que celle-ci avait de recommander des réductions et des ajouts aux réserves déjà attribuées. Les groupes indiens occupaient toutefois des terres attribuées par la CMRI et savaient que leur intérêt était protégé. Il était donc prévu que les Indiens consentent aux réductions.

[125]  Voici le libellé :

[traduction]

MÉMORANDUM DE TRAITÉ CONCLU ENTRE J.A.J. McKENNA, COMMISSAIRE SPÉCIAL NOMMÉ PAR LE GOUVERNEMENT DU DOMINION POUR S’ENQUÉRIR DE L’ÉTAT DES AFFAIRES INDIENNES EN COLOMBIE-BRITANNIQUE, ET L’HONORABLE SIR RICHARD McBRIDE, PREMIER MINISTRE DE LA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE.

ATTENDU QU’il est souhaitable de résoudre tous les différends qui surgissent entre le gouvernement du Dominion et le gouvernement de la province relativement aux terres des Sauvages et, d’une façon générale, aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie-Britannique, les parties désignées ci-dessus adhèrent, sous réserve de ratification par les gouvernements du Dominion et de la province, aux propositions suivantes à titre de solution finale à toutes les questions relatives aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie-Britannique :

1. Une Commission est constituée comme suit : deux commissaires sont nommés par le Dominion et deux par la province. Les quatre commissaires ainsi nommés choisissent un cinquième commissaire, lequel devient président du conseil.

2. La Commission ainsi constituée a le pouvoir de modifier la superficie des réserves indiennes de la Colombie-Britannique de la manière suivante :

a) Si, de l’avis des commissaires, une réserve donnée, telle qu’elle est alors délimitée, couvre une superficie supérieure à ce qui est raisonnablement requis pour l’usage des Sauvages de cette tribu ou de cet endroit, la réserve est, avec le consentement des Sauvages, et en conformité avec la Loi des Sauvages, réduite à une superficie que les commissaires estiment raisonnablement suffisante pour les besoins de ces Sauvages.

b) Si, de l’avis des commissaires, une superficie insuffisante de terres a été mise de côté pour l’usage des Sauvages de cet endroit, les commissaires fixent la superficie à ajouter. Ils peuvent en outre mettre de côté des terres pour toute tribu à l’intention de laquelle aucune terre n’a encore été réservée.

3. La province prend toutes les mesures nécessaires pour réserver, aux termes de la loi, les terres additionnelles que les commissaires attribuent à un groupe de Sauvages en conformité avec les pouvoirs énoncés précédemment.

4. Les terres qui, selon les commissaires, ne sont pas jugées nécessaires pour les Sauvages sont subdivisées et vendues par la province dans le cadre d’une vente aux enchères.

5. Le produit net de ces ventes est réparti également entre la province et le Dominion, et toute somme reçue par le Dominion en vertu de la présente disposition est détenue ou utilisée, par lui, au profit des Sauvages de la Colombie-Britannique.

6. Toutes les dépenses engagées par la Commission sont réparties également entre la province et le Dominion.

7. Les terres comprises dans les réserves établies de façon définitive par les commissaires sont transférées par la province au gouvernement du Dominion et ce dernier a plein pouvoir pour disposer des terres de la manière qu’il juge opportune pour les besoins des Sauvages, ce qui inclut le droit de les vendre et d’utiliser le produit de la vente au profit des Sauvages, à la seule condition que, si une tribu ou une bande indienne de la Colombie-Britannique s’éteint dans l’avenir, toutes les terres situées sur le territoire de la province qui ont été transférées au gouvernement du Dominion au profit de cette tribu ou bande de la manière prévue dans les présentes, et qui n’ont pas été vendues ou aliénées selon les modalités énoncées aux présentes, ou tous les fonds inutilisés provenant de la vente d’une réserve indienne située dans la province de la Colombie-Britannique, soient transférés à la province.

8. En attendant le dépôt du rapport final de la Commission, la province s’abstient d’accorder par préemption ou de vendre des terres qu’elle a le pouvoir d’aliéner et qui ont fait l’objet d’une demande du Dominion à titre de réserves indiennes additionnelles ou que les commissaires, pendant la durée de leurs travaux, pourraient désigner comme terres à réserver pour les Indiens. Si, au cours de la période précédant la rédaction du rapport final des commissaires, il devait être établi par l’un ou l’autre des gouvernements concernés que des terres faisant partie d’une réserve indienne étaient nécessaires aux fins du passage du chemin de fer ou à d’autres fins ferroviaires, ou pour des travaux publics du Dominion, de la province ou d’une municipalité, la question sera renvoyée aux commissaires qui la trancheront dans un rapport provisoire, et chaque gouvernement fera le nécessaire pour mettre en œuvre les recommandations des commissaires.

Signé en double exemplaire à Victoria (Colombie-Britannique), ce 24e jour de septembre 1912. [Je souligne; RCD, onglet 237]

[126]  Les modalités sont considérées comme des propositions : [traduction] « […] les parties désignées ci-dessus adhèrent, sous réserve de ratification par les gouvernements du Dominion et de la province, aux propositions suivantes à titre de solution finale à toutes les questions relatives aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie-Britannique […] » (je souligne).

[127]  L’objet visé par la convention M-M est toutefois clair. Le Commission avait le pouvoir de [traduction] « modifier » la superficie des réserves précédemment attribuées. Elle avait également le pouvoir de « fixer » la superficie à ajouter. Les modifications et ajouts ordonnés par la Commission devaient lier les parties : [traduction] « Les terres comprises dans les réserves établies de façon définitive par les commissaires sont transférées par la province au gouvernement du Dominion » (je souligne).

[128]  L’utilisation du mot « propositions » ne concorde pas avec les pouvoirs conférés à la Commission. La décision de qualifier les modalités de la convention de « propositions », sous réserve de ratification par les deux gouvernements, est expliquée dans le décret autorisant les signataires à conclure la convention :

[traduction]

C.P. 3277.

Copie certifiée d’un rapport du comité du Conseil privé approuvé par Son Excellence le gouverneur général le 27 novembre 1912.

……………

Le comité du Conseil privé a pris en considération un rapport daté du 26 octobre 1912 du surintendant général des Affaires indiennes, lequel présentait une entente conclue par le commissaire spécial de Sa Majesté et l’honorable premier ministre de la Colombie-Britannique en ce qui concerne les réserves indiennes de cette province, ainsi qu’un rapport du commissaire.

Le ministre de la Justice à qui ledit rapport a été présenté observe que l’entente prévoit l’établissement d’une commission dotée de certains pouvoirs dont les actes sont approuvés par les deux gouvernements;

Que le pouvoir de Sa Majesté en conseil de constituer cette commission se trouve à la partie 1 de la Loi sur les enquêtes, Statuts révisés du Canada, 1906, chapitre 104, et il apparaît au ministre que, vu les dispositions de la loi, les actes de la Commission doivent être approuvés.

Le ministre de la Justice recommande donc que l’entente soit assujettie à une disposition additionnelle devant être acceptée par le gouvernement de la Colombie-Britannique avant l’entrée en vigueur de l’entente et portant que, indépendamment des autres dispositions de ladite entente, les actes et faits de la Commission soient sujets à l’approbation des deux gouvernements, et que les gouvernements conviennent d’accueillir favorablement les rapports de la Commission, qu’ils soient définitifs ou provisoires, afin d’assurer, autant qu’il peut être raisonnable, l’exécution des actes, faits et recommandations de la Commission, et de prendre toutes les mesures et les décisions qui pourraient être jugées raisonnablement nécessaires pour mettre à exécution la solution stipulée par ladite entente, conformément à son objet et à son esprit véritables.

Le comité, qui souscrit à cette recommandation, propose qu’une copie des présentes, approuvant l’entente sous réserve de la modification susmentionnée, soit transmise au lieutenant-gouverneur de la Colombie-Britannique afin qu’il en informe le gouvernement et obtienne son approbation.

Le comité propose en outre que, comme la question relative aux Sauvages de la Colombie-Britannique a fait l’objet de communications provenant du bureau des Colonies, Votre Majesté transmette une copie des présentes au très honorable secrétaire d’État pour les colonies.

Le tout respectueusement soumis à des fins d’approbation.

(signé) Rodolphe Boudreau,

Greffier du Conseil privé [Je souligne; RCD, onglet 236]

[129]  Le décret provincial nº 1341 est semblable au C.P. 3277 :

[traduction]

Décret nº 1341

À son Excellence

Le lieutenant-gouverneur en conseil : 

Le soussigné a l’honneur de recommander que le mémorandum de traité conclu entre l’honorable premier ministre et J.A.J. McKenna, commissaire spécial nommé par le gouvernement du Dominion pour s’enquérir de l’état des Affaires indiennes en Colombie-Britannique, soit approuvé sous réserve d’une disposition portant que, indépendamment des autres dispositions dudit traité, les actes et faits de la Commission sont sujets à l’approbation des deux gouvernements, et que les gouvernements conviennent d’accueillir favorablement les rapports de la Commission, qu’ils soient définitifs ou provisoires, afin d’assurer, autant qu’il peut être raisonnable, l’exécution des actes, faits et recommandations de la Commission, et de prendre les mesures et les décisions qui pourraient être jugées raisonnablement nécessaires pour mettre à exécution la solution stipulée par ledit traité, selon son objet et à son esprit véritables.

  ET qu’une copie du présent décret, s’il est approuvé, soit transmise à l’honorable ministre de la Justice, à Ottawa. [Je souligne; RCD, onglet 237]

[130]  En résumé, le ministre de la Justice a recommandé de soumettre l’entente à l’approbation du gouvernement afin de respecter les dispositions de la Loi sur les enquêtes, ce qui, dans circonstances, était une formalité. Les parties avaient toutes les deux l’intention d’accepter le rapport de la Commission à titre de [traduction] « solution finale à toutes les questions relatives aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie-Britannique » (la convention M-M, préambule) conformément aux obligations constitutionnelles des deux gouvernements énoncées à l’article 13 des Conditions de l’adhésion de 1871.

[131]  Aux termes des deux décrets, les recommandations de la Commission devaient être appliquées conformément à [traduction] « l’objet et à l’esprit véritables » du traité, et ce, en vue de « résoudre tous les différends qui surgissent entre le gouvernement du Dominion et le gouvernement de la province relativement aux terres des Sauvages et, d’une façon générale, aux affaires des Sauvages de la province de la Colombie-Britannique ».

[132]  Puisque l’article 13 disposait que les différends devaient être soumis à la décision du secrétaire d’État pour les colonies, le décret du Conseil privé lui a été transmis. Il a donc été avisé qu’une entente avait été conclue.

[133]  Cependant, les recommandations de la Commission n’ont pas permis de résoudre tous les différends. La Commission a présenté son rapport en 1916. La province n’a pris aucune mesure visant à mettre en œuvre les recommandations et le Dominion n’a rien fait pour lui forcer la main.

5.  Réductions et ajouts recommandés par la Commission

[134]  La Commission avait pour pratique, en attendant la confirmation ou la modification des réserves attribuées par la CMRI, d’ordonner que les terres attribuées ou les terres dont l’ajout était envisagé soient soustraites à la préemption par les colons blancs. La Direction provinciale des terres s’est pliée à cette pratique en ce qui concerne l’ajout à la RI 3. Lorsqu’une attribution était confirmée ou qu’une nouvelle attribution était faite, les terres en question demeuraient soustraites à la préemption.

[135]  La Commission a présenté son rapport en juin 1916. Cependant, le rapport n’a été rendu public qu’en 1919.

[136]  Le rapport recommandait cinquante-cinq réductions, pour un total de 47 085 acres, dont la valeur allait de 1 247 000 à 1 522 000 $. La création de 484 nouvelles réserves était aussi recommandée, lesquelles couvraient 87 306 acres d’une valeur de 444 838 $ (Harris, p 244). Ces terres étaient destinées à des bandes à qui aucune réserve n’avait été attribuée et aux bandes à qui on en avait attribué une.

6.  Les terres additionnelles

[137]  La Commission n’a pas ordonné la réduction de la RI 3 attribuée par la CMRI. Au contraire, les membres de la Première Nation d’Akisq’nuk avaient déjà bénéficié des travaux de la Commission établie par la convention M-M.

[138]  Les commissaires ont rencontré les membres de la Première Nation d’Akisq’nuk le 21 septembre 1914. Un porte-parole, Ignatius Eaglehead, a déclaré que la bande dépendait du gibier qu’elle chassait à l’est des montagnes depuis la disparition du bison en Alberta. Ensuite, des saisons de chasse ont été imposées et son peuple a dû se résigner à manger ses chevaux et ses bovins. Il a demandé à ce qu’on leur accorde [traduction] « […] une étendue de terre un peu plus grande pour nous et pour nos animaux d’élevage […] [c]’est tout ce que je vous demande — plus de terres pour mes animaux » (RCD, onglet 121).

[139]  En mars 1915, les commissaires ont ordonné l’ajout de 3 040 acres à la RI 3 (ensuite réduit à 2 960 acres).

[140]  Le 10 avril 1915, le sous-ministre provincial des Terres a avisé la Commission McKenna-McBride que la parcelle de terre dont l’octroi était recommandé ne serait pas aliénée tant que la Commission n’aurait pas rendu sa décision. La terre est demeurée vacante et disponible jusqu’au 30 juin 1916, alors que la Commission a publié son rapport définitif. Le rapport prévoyait l’ajout de 2 960 acres à la RI 3.

[141]  La description des terres additionnelles faite par la Commission indiquait clairement le point de départ, les distances et les changements directionnels des limites. 

[142]  Il est à présumer que l’attribution des terres additionnelles n’entrait pas en conflit avec une demande de préemption ou une attribution par la Couronne, auquel cas l’attribution n’aurait pas pu avoir lieu ou le rapport de décision ordonnant l’ajout en aurait fait état. Après la nouvelle attribution, l’acquisition par préemption n’était pas permise.

7.  Les terres arpentées et les terres additionnelles

[143]  Les terres additionnelles se trouvaient à l’est de la RI 3. Elles la jouxtaient à deux endroits le long de sa limite orientale arpentée. Après que la RI 3 eut été arpentée, mais avant que les terres additionnelles ne soient attribuées, certaines terres avaient été acquises par préemption juste à l’est de la limite orientale de la RI 3. Les terres additionnelles partageaient donc leurs limites septentrionale, méridionale et occidentale avec les terres ainsi acquises par préemption. Comme la limite orientale des terres additionnelles se trouvait à l’est des terres acquises par préemption, ces dernières étaient entourées par les terres additionnelles (RCD, onglet 122).

[144]  La perte de terres résultant de l’écart entre la description par tenants et aboutissants faite par O’Reilly et les limites établies par l’arpenteur était connue de l’agent des Indiens, R.L.T. Galbraith, qui a témoigné devant la Commission en octobre 1914. Il a attribué cette perte [traduction] « […] à une erreur […] lorsque la réserve a d’abord été définie […] » (RCD, onglet 122). Il a porté à l’attention de la Commission certaines terres disponibles. 

[145]  Selon le témoignage du chef Arbel, une bonne partie de la RI 3 a été inondée quand le niveau de la rivière a monté. Lorsque l’eau s’est retirée, la réserve était devenue un marécage. La province connaissait la situation depuis longtemps, puisque le CCTT avait demandé à l’arpenteur Ashdown Green de lui fournir un rapport, en août 1885, et qu’il avait alors appris que 1 200 acres de la réserve se trouvaient dans des zones inondables. 

[146]  Le fait que les membres de la Première Nation d’Akisq’nuk utilisaient les terres situées à l’est de la réserve pour faire paître leur bétail, qu’ils avaient perdu des terres à la suite de l’arpentage et qu’une bonne partie de la réserve n’avait aucune utilité, tous ces facteurs semblent avoir joué dans la décision de la Commission d’attribuer 2 960 acres supplémentaires.

[147]  En fin de compte, les membres de la Première Nation d’Akisq’nuk n’ont pas obtenu les terres additionnelles attribuées par la Commission McKenna-McBride. L’ajout a été annulé lors de la ronde suivante de négociations visant à parvenir un consensus entre les gouvernements fédéral et provincial au sujet des terres devant être transférées en vertu de l’article 13. Le manque de détermination dont le Dominion a fait preuve lorsqu’il s’est agi de forcer la province à respecter ses engagements s’est d’abord manifesté au moment des attributions faites par la CMRI. Puis, il y a eu la convention M-M et l’attribution par la Commission M-M de terres additionnelles à plusieurs groupes indiens. A ensuite suivi, encore une fois, un examen des attributions dont les deux gouvernements avaient convenu qu’elles étaient. L’attribution de terres additionnelles faite par la Commission M-M a été annulée par Clark, le représentant de la province chargé de l’examen.

[148]  Le fait que le Dominion n’ait pas contraint la province à respecter les engagements qu’elle avait pris dans l’entente de la CMRI a mené à la conclusion de la convention M-M. L’honneur de la Couronne a toutefois été préservé grâce à la disposition selon laquelle les terres attribuées ne seraient pas aliénées sans le consentement des Indiens.

8.  Élimination de l’exigence du consentement nécessaire à la réduction des réserves

[149]  La dérogation législative à l’exigence du consentement prévue dans la convention M-M n’a eu aucune incidence sur les intérêts des membres de la Première Nation d’Akisq’nuk. Elle illustrait toutefois le manque de déloyauté du plus haut fonctionnaire du Dominion, Duncan Campbell Scott. C’est Scott qui a demandé au Dominion d’accepter que Clark annule l’attribution, recommandée par la CMM, de terres à diverses bandes de la région de Kootenay. Cela incluait les terres additionnelles. 

[150]  La convention M-M prévoyait qu’aucune terre ne devait être retranchée des réserves précédemment attribuées sans le consentement des Indiens, et c’est ce qu’on avait promis aux Indiens au moment où ils ont été consultés à propos de leurs besoins. Les Indiens auraient naturellement compris que cette promesse s’appliquait aux terres nouvellement attribuées par la Commission puisque celle-ci était chargée de déterminer [traduction] « de façon définitive » les terres qui devaient être réservées et transférées au Canada.

[151]  Le Dominion était prêt à accepter le rapport de la Commission McKenna-McBride, mais l’approbation de la province se faisait attendre. Peu de temps après que la Commission eut présenté son rapport, Duncan Campbell Scott, surintendant adjoint des Affaires indiennes, a appris que la province approuverait rapidement le rapport si des retranchements pouvaient être faits sans le consentement des Indiens (Harris, p 248 et 249).

[152]  Ditchburn, l’inspecteur en chef des agences indiennes, appuyait l’idée que le surintendant puisse décréter des retranchements afin d’en arriver à un règlement avec la province (Harris, p 251).

[153]  Les tribus alliées ont contesté la mise en œuvre du rapport quand, en 1919, son contenu est devenu public. Elles s’inquiétaient principalement des conséquences que pourrait avoir la mise en œuvre du rapport sur le titre ancestral (Harris, p 249).

[154]  En 1919, la province a adopté une loi permettant au gouvernement de régler la question du rapport. En 1920, le Parlement a fait de même, adoptant une disposition selon laquelle des retranchements pouvaient être effectués sans l’abandon prévu à la Loi des sauvages.

Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie-Britannique S.C.1920, ch. 51

Pouvoir conféré au Gouverneur en conseil de régler les différends entre le Canada et la Colombie-Britannique relativement aux affaires des sauvages.

2. Dans la pleine mesure où il peut le juger nécessaire et opportun, le Gouverneur en conseil peut faire, exécuter et accomplir tout acte, contrat, ou toute chose indispensable à l’exécution dudit traité entre les gouvernements du Dominion du Canada et de la province de la Colombie-Britannique, selon son esprit véritable, et pour donner suite au rapport de ladite commission royale, en tout ou en partie, et pour la révision et la solution entière et finale de tous les différends entre lesdits gouvernements concernant les terres et les affaires des sauvages de la province.  

Pouvoir de décréter des réductions ou retranchements sur les réserves sans abandon de la part des sauvages.

3. Aux fins du règlement, de la révision ou de la ratification des réductions ou retranchements opérés sur les réserves, suivant les recommandations de la commission royale, le Gouverneur en conseil peut décréter les réductions ou retranchements à effectuer sans leur abandon par les sauvages, nonobstant toutes dispositions contraires de la Loi des sauvages, poursuivre, avec le gouvernement de la province de la Colombie-Britannique, d’autres négociations et conclure les nouveaux traités qui peuvent paraître nécessaires en vue de la solution complète et définitive des différends entre lesdits gouvernements. [Je souligne.]

9.  Commentaire sur l’élimination du consentement des Indiens

[155]  La convention M-M exigeait le consentement des bénéficiaires de la fiducie qui, suivant les modalités de l’entente de la CMRI, était créée par suite d’une attribution de terres, à titre de réserve, à l’usage et au profit d’un groupe indien particulier.

[156]  En 1912, il aurait été manifeste pour les représentants fédéraux que les Indiens ne consentiraient pas d’emblée, voire jamais, à abandonner des terres qui, suivant les modalités de l’entente de la CMRI, leur avaient été attribuées [traduction] « de façon définitive » et qui devaient être détenues « en fiducie à l’usage et au profit de la nation indienne à laquelle elle[s] [ont] été attribuée[s] ». Ce n’est pas être cynique que de supposer que l’exigence du consentement a été ajoutée à la convention M-M dans le but de gagner la collaboration des Indiens alors que ces derniers discutaient de leurs besoins avec les commissaires.

10.  Esprit et sens véritables de la convention et prérogatives du gouvernement

[157]  Le préambule de la Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie-Britannique renvoie à la convention M-M. Il y est question de l’objectif qui consiste à « […] mettre à exécution, selon son esprit et son sens véritables, la solution stipulée par ledit traité », mais seulement « autant qu’il peut être raisonnable ». Voici le préambule :

CONSIDÉRANT que par un mémorandum de traité portant la date du vingt-quatrième jour de septembre mil neuf cent douze, établi entre J.A.J. McKenna, commissaire spécial nommé par le Gouverneur en conseil pour s’enquérir de l’état des affaires des sauvages de la Colombie-Britannique, et l’honorable sir Richard McBride, en qualité de premier ministre de la province de la Colombie-Britannique, un traité a été conclu, sous réserve de ratification par les gouvernements du Dominion et de la province, dans le but de régler tous les différends entre lesdits gouvernements, relativement aux terres des sauvages et, d’une façon générale, aux affaires des sauvages de la province de la Colombie-Britannique, et pour la solution définitive de toutes les questions qui s’y rattachent, par la nomination d’une commission royale pour les fins mentionnées audit traité; et considérant qu’en vertu des arrêtés en conseil subséquemment adoptés par les gouvernements respectifs du Dominion et de la province, ledit traité a été ratifié subordonnément à la stipulation nouvelle que, par dérogation à toute disposition dudit traité, les actes et faits de la commission royale sont sujets à l’approbation des deux gouvernements, et que les gouvernements conviennent d’accueillir favorablement les rapports, soit définitifs soit provisoires, de la commission royale, dans l’intention d’assurer autant qu’il peut être raisonnable, l’exécution des actes, faits et recommandations de la commission royale, et de prendre toutes les mesures qui peuvent être raisonnablement nécessaires pour mettre à exécution, selon son esprit et son sens véritables, la solution stipulée par ledit traité; et considérant qu’une commission royale des affaires des sauvages pour la province de la Colombie-Britannique a été dûment nommée pour donner suite audit traité; et considérant que ladite commission royale a depuis fait rapport de ses recommandations au sujet des terres réservées et à réserver pour les sauvages de la province de la Colombie-Britannique, et à d’autres égards pour la solution de tous les différends entre lesdits gouvernements, relativement aux terres des sauvages et, d’une façon générale, aux affaires des sauvages de ladite province : À ces causes, Sa Majesté, sur l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes du Canada, décrète : […][Je souligne.]

11.  Commentaire sur le changement d’objet

[158]  En concluant la convention M-M, les deux gouvernements ont établi le mécanisme permettant de fixer la quantité des étendues de terre que la province concèderait au Canada (article 13, « […] et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées […] » (je souligne).

[159]  La convention M-M prévoyait qu’une quantité de terre raisonnablement requise pour l’usage des Indiens pouvait être mise de côté, comme en témoigne le pouvoir conféré à la Commission de retrancher des terres qui avaient été précédemment attribuées :

[traduction]

2. La Commission ainsi constituée a le pouvoir de modifier la superficie des réserves indiennes de la Colombie-Britannique de la manière suivante :

a) Si, de l’avis des commissaires, une réserve donnée, telle qu’elle est alors délimitée, couvre une superficie supérieure à ce qui est raisonnablement requis pour l’usage des Sauvages de cette tribu ou de cet endroit […] [je souligne].

[160]  L’ajout à la RI 3 décrété par la Commission était fondé sur l’évaluation faite par cette dernière, après enquête auprès des Indiens et de l’agent des Indiens, de ce qui était raisonnable pour les Indiens de cet endroit.

[161]  Le préambule de la Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie-Britannique révèle que l’exigence de la raisonnabilité ne renvoyait plus aux besoins des Indiens, mais plutôt à la discrétion dont disposait le gouvernement dans l’exercice de son pouvoir d’accepter ou de rejeter, en tout ou en partie, le rapport de la Commission. Ce n’est évidemment pas ce que les commissaires avaient dit aux Indiens lorsqu’ils les ont consultés à propos de leurs besoins. 

[162]  En outre, le gouvernement fédéral s’est attribué le pouvoir de retrancher des terres qui avaient été précédemment attribuées par la CMRI sans le consentement de la nation à l’intention de laquelle la réserve avait été attribuée. La promesse faite aux Indiens dans le but de les amener à collaborer avec la Commission pouvait être rompue, manifestement pour donner effet à l’esprit et au sens de la convention. En mars 1919, la province a adopté l’Indian Affairs Settlement Act, qui avait essentiellement le même effet que la loi fédérale de 1920.

[163]  Les deux lois prévoyaient la tenue d’autres négociations entre les parties signataires de la convention au sujet des terres à transférer au Canada à l’usage et au profit des Indiens de la Colombie-Britannique. 

[164]   La porte était alors grande ouverte à ce qui allait suivre.

12.  Caractère définitif, étape 3 : examen effectué par Ditchburn et Clark

[165]  En avril 1920, le premier ministre Pattullo a écrit au premier ministre Meighen pour lui proposer de passer en revue le rapport McKenna-McBride. Il prétendait que le rapport contenait des erreurs et a affirmait que, s’agissant de l’objectif de fournir une étendue de terres suffisante aux Indiens, [traduction] « […] l’intention n’était pas que ces terres soient situées à des endroits stratégiques, là où elles pourraient freiner l’établissement des Blancs et acquérir une valeur spéculative » (Harris, p 251).

[166]  Pattullo a proposé que l’examen soit fait par deux hommes, et il a proposé le major J.W. Clark, le surintendant provincial de l’établissement des soldats, pour représenter son gouvernement. La proposition a été acceptée et le ministère des Affaires indiennes a nommé Ditchburn pour représenter le Canada.

[167]  Scott a offert à James Teit, un Indien et ethnographe des tribus salish de l’intérieur, un poste à titre d’assistant de Ditchburn. Teit avait déjà été secrétaire des tribus alliées. Après avoir consulté les chefs indiens, Teit a accepté.

[168]  Ditchburn et Clark ont convenu de confirmer les attributions de la Commission dans les agences du Nord.

[169]  L’agence du lac Stuart recommandait d’annuler les nouvelles attributions de la Commission. Ditchburn en était ravi puisque cette recommandation aurait [traduction] « pour effet de montrer aux autorités provinciales que nous souhaitons agir équitablement et que nous demandons seulement ce que nous jugeons raisonnablement nécessaire pour les Indiens » (Harris, p 252).

[170]  Teit devait s’occuper de la région de l’Intérieur-Sud. Il a consulté les chefs de tribus. Il a rapporté à plusieurs reprises que les Indiens de cette région avaient besoin de plus de pâturages. Ditchburn a raconté que Clark et lui désiraient, autant que possible, répondre aux demandes de Teit (Harris, p 252).

[171]  Teit est tombé malade en 1921 et est décédé en octobre 1922.

[172]  La province déplorait les ajouts qui avaient été faits dans la région de Kootenay. Selon Ditchburn, négocier avec Clark revenait à [traduction] « […] livrer une lutte acharnée dans le but de faire bonne figure » (Harris, p 253).

[173]  Au milieu de 1922, la province a envoyé Clark, alors ministre de l’Immigration, en Inde pendant quatre mois pour encourager les officiers britanniques démobilisés à venir s’établir en Colombie-Britannique (Harris, p 253).

[174]  Le 11 mars 1923, Ditchburn a informé Scott que Clark avait refusé les ajouts consentis dans les régions de Kootenay et de Shuswap. Selon lui, cela était injuste. Il y avait jusqu’à 255 chevaux et 359 bovins. Il fallait plus de pâturages. Voici ce qu’il a dit à Scott :

[traduction]

Je considère personnellement que l’attitude adoptée par le commissaire aux pâturages fait en sorte que le gouvernement de la Colombie-Britannique manque à sa parole quant à la convention de 1912.

[…]

Il est important, autant pour les Blancs que pour les Indiens, de régler la question des pâturages, car il va sans dire que les Indiens n’accepteront pas de gaieté de cœur de perdre les prés qu’ils utilisent depuis toujours et de les voir attribuer à des éleveurs blancs.

[175]  Le 27 mars 1923, Ditchburn a dit ceci à Scott :

[traduction]

Vous trouverez ci-dessous les résultats de nos négociations, dont l’adoption a été recommandée au ministre par le major Clark :

[…]

Agence de Kootenay

[…]

L’attribution de la nouvelle réserve nº 3A, laquelle couvrait une superficie de 2 960 acres, aux Indiens du Lower Columbia Lake a été annulée au motif qu’elle n’était pas raisonnablement nécessaire pour les Indiens et qu’elle faisait grandement obstacle à la colonisation par les Blancs. La nouvelle réserve qui était proposée entourait entièrement les terres attribuées par la Couronne.

[…]

Les décisions concernant ces nouvelles réserves étaient prises par le major Clark, selon les recommandations du commissaire aux pâturages. Je m’y suis opposé parce que les ajouts étaient nécessaires pour répondre aux besoins raisonnables des Indiens, et des statistiques ont été citées pour appuyer mon argument. Le major Clark a toutefois recommandé que le commissaire aux pâturages autorise l’établissement d’un pâturage communal (pas une réserve) pour l’usage conjoint des tribus de Shuswap et de Lower Columbia Lake, lequel serait destiné exclusivement au bétail des Indiens et libre de toute taxe de pâturage. [Je souligne.]

[176]  Le 6 avril 1923, Pattullo a avisé Scott que, à l’exception des ajouts dans les régions de Kootenay et de Shuswap :

[traduction] [...] Je suis prêt, sous réserve de sa ratification par le lieutenant-gouverneur en conseil, à confirmer le rapport, avec les modifications, ajouts et réductions recommandés par M. Ditchburn et le major Clark, dès que vous aurez déposé une liste révisée des confirmations, des retranchements et des nouvelles réserves […]

[177]  Scott a écrit à Ditchburn :

[traduction] J’ai très fortement insisté, auprès de M. Patullo, sur le fait qu’il était souhaitable de nous accorder toutes les réserves indiquées sur la liste supplémentaire, et vous remarquerez ses observations à cet égard. Dans ma réponse à M. Patullo, j’ai l’intention d’insister encore sur l’attribution de ces réserves, mais ni le ministre ni moi-même n’estimons qu’il soit judicieux de reporter la conclusion d’une entente sur le rapport de la Commission à cause d’un arrangement qui pourrait être subséquemment pris en rapport avec ces demandes supplémentaires. [Je souligne.]

[178]  Les raisons qui ont poussé Scott à accepter les modifications apportées par la province au rapport de la Commission McKenna-McBride peuvent être dégagées du compte rendu que Scott a préparé en octobre 1923 à l’intention du surintendant général des Affaires indiennes Charles Stewart :

[traduction] Malgré cette protestation vigoureuse des Indiens quant à l’acceptation du rapport de la Commission royale, je ne puis, parce que je suis soucieux de mes responsabilités et que j’ai les intérêts de ces personnes à cœur, recommander d’autre mesure que l’adoption du rapport en question. Dans l’ensemble, les Indiens recevront une importante superficie de terres de réserve, libre de toute réclamation vexatoire de la province, comme l’a été dans le passé le soi-disant « intérêt réversif ». S’il est vrai que dans certains districts, il aurait mieux valu mettre de côté de plus grandes réserves, les conditions propres à la Colombie-Britannique ont rendu la chose presque impossible […]

[…]

Si notre gouvernement refuse [illisible] d’examiner de façon plus exhaustive le rapport de la Commission royale et [illisible] d’utiliser le pouvoir que lui confère la loi pour confirmer le [illisible], je crains que cela ne compromette le bien-être futur des Indiens de la Colombie-Britannique. Le rapport constitue le fruit de longues négociations entre les gouvernements, d’un [illisible] examen des besoins des Indiens sur le terrain, pendant lequel nous avons recueilli les témoignages des Indiens et cherché à obtenir leur avis et leur collaboration — un processus qui s’est soldé par un nouvel examen de l’ensemble du rapport par les représentants des gouvernements et des Indiens. [Italiques dans l’original; mémoire des faits et du droit de l’intimée, par 106]

[179]  Clark a convenu d’attribuer aux éleveurs des régions de Kootenay et de Shuswap un vaste pâturage communal. Ditchburn était satisfait, pourvu que la province accepte d’attribuer le pâturage dans la région de Kootenay (Harris, p 254).

[180]  À part écrire des lettres, les représentants fédéraux n’ont pris aucune mesure pour protéger l’ajout à la RI 3. Scott s’est engagé, avec le ministre, à approuver le rapport McKenna-McBride dans la mesure où les ajouts pouvaient être annulés sans accord préalable afin que les pâturages puissent ensuite devenir disponibles.

[181]  Aucun pâturage communal n’a été attribué.

13.  Commentaire sur la capitulation du gouvernement fédéral

[182]  À titre de surintendant de l’établissement des soldats, le major Clark devait naturellement préserver la disponibilité des terres en vue d’assurer la colonisation.

[183]  Rien n’empêchait la province de concéder des terres publiques autour des terres de réserve. En fait, c’était inévitable.

[184]  Ditchburn n’était pas d’accord avec Clark en ce qui concerne l’annulation de l’ajout à la RI 3. Ils ont produit des rapports distincts. Le 25 juillet 1923, la province a accepté le rapport de la Commission, quoique modifié de la façon proposée par Clark. Il y avait donc un désaccord au sujet de la quantité des étendues de terre que la province devait « concéder » en vertu de l’article 13.

[185]  Ditchburn a signalé ce désaccord à son supérieur, Duncan Campbell Scott. Rien dans la preuve au dossier ou dans les écrits n’indique que Scott a pensé s’en référer à la décision du secrétaire d’État pour les colonies, soit pour ce désaccord ou pour tout désaccord au sujet de la quantité des étendues de terre devant être concédées — un recours prévu par l’article 13 des Conditions de l’adhésion de 1871.

14.  Caractère définitif

[186]  La Commission a publié son rapport le 30 juin 1916. Sept ans plus tard, le 25 juillet 1923, le gouvernement provincial a approuvé le rapport tel que Clark l’avait modifié par l’annulation des ajouts dans la région de Kootenay.

[187]  Le 19 juillet 1924, le gouverneur en conseil a approuvé le rapport de la Commission McKenna-McBride tel que modifié. La superficie additionnelle de 2 960 acres dont il était question dans le rapport de la Commission McKenna-McBride était biffée et portait la mention [traduction] « annulée ».

[188]  Par conséquent, cinq des plus petits retranchements de la Commission ont été écartés. Vingt des nouvelles réserves ont été annulées, dont trois réserves de terres à pâturage — 6 000 acres — dans la région de Kootenay. Ditchburn avait demandé à Clark de les préserver, mais ce dernier a refusé [traduction] « […] sur la recommandation du commissaire provincial des pâturages, qui a conclu qu’elles nuiraient aux intérêts des éleveurs blancs » (Harris, p  253 et 254).

VI.  point de vue des indiens

A.  Réserves, usage et occupation traditionnels

[189]  Des réserves ont été établies dans les régions occupées par des groupes indiens distincts.

[190]  Les représentants gouvernementaux ont reconnu que les Indiens de Kootenay étaient depuis longtemps dans la région où la RI 3 avait été mise de côté en 1885, et fait l’objet d’ajouts en 1915.

[191]  A.S. Farwell (juge stipendiaire de la région de Kootenay) a indiqué ce qui suit dans son rapport du 31 décembre 1883 intitulé « Report on the Kootenay Indians » (rapport sur les Indiens de Kootenay) :

[traduction] […] 300 Indiens considèrent les terres situées le long du cours supérieur de la rivière Kootenay, depuis la limite territoriale des plaines de Tobacco [au sud de Cranbrook] vers le nord jusqu’au Lower Columbia Lake [maintenant le lac Windermere], comme étant les leurs. La majorité d’entre eux passent l’hiver à la mission de St. Mary [près de la ville actuelle de Cranbrook] […] Tout près de l’église et des bâtiments de la mission, les Indiens ont érigé cinquante-cinq habitations, lesquelles sont occupées par leurs familles durant l’hiver. [Description du changement de mode de vie depuis l’extinction du bison] Depuis, les Indiens ont peu à peu acquis de petits troupeaux de bovins, qu’ils gardaient durant l’hiver sans subir des pertes importantes […] [sauf en 1879-1880]. Les Kootenays ont complètement abandonné leur vieille habitude qui consistait à traverser les montagnes à la recherche de gibier, depuis que le bison a quitté son ancien lieu de prédilection sur le versant est des montagnes. Les Indiens comptaient principalement sur leurs bovins, et sur le gibier et le poisson qu’ils pouvaient attraper dans les cours supérieurs de la rivière Kootenay et du fleuve Columbia, pour assurer leur survie. Ils possèdent actuellement environ 400 bœufs et 500 chevaux. La plupart de leurs bovins ont passé l’hiver à l’est des lacs Columbia. C’est là que se trouvent les pâturages favoris des Indiens […] [RCD, onglet 35]

[192]  O’Reilly a noté, en 1884 :

[traduction] Par le passé, les Indiens de la région de Kootenay avaient des habitudes migratoires. Ils se déplaçaient d’un endroit à l’autre, selon les saisons, et selon leurs activités et leurs besoins […] [Avant mon arrivée,] les Indiens prétendaient être en possession, et l’étaient presque, de tout le district, où ils cultivaient certaines terres à leur guise et utilisaient certains emplacements choisis pour le pâturage de leurs bovins et de leurs chevaux. [RCD, onglet 35]

[193]  En 1886, le commissaire aux Indiens Powell a visité la région et a noté que [traduction] « [l]es Kootenays occupent toute la région du lac Columbia, jusqu’aux plaines de Tobacco [au sud de Cranbrook] » (RCD, onglet 89).

[194]  Le chef Arbel a témoigné devant la Commission en 1914. Il a parlé de l’occupation des terres de la région par son peuple et des incursions des colons blancs. Le juge Farwell avait aussi fait état dans son rapport de plaintes au sujet du droit de préemption.

B.  Connaissance du droit

[195]  L’Acte des sauvages a commencé à être appliqué en Colombie Britannique en 1876. En 1914, les Indiens de la province y étaient donc assujettis depuis 38 ans. Des réserves avaient été attribuées depuis la période coloniale jusqu’à la période de travaux de la Commission McKenna-McBride, en passant par les attributions effectuées par la CMRI en 1876 et le premier répertoire complet établi en 1912.

[196]  Les terres attribuées à titre de réserve étaient considérées comme étant assujetties à la Loi des sauvages, et étaient de fait administrées par les représentants fédéraux depuis au moins 1907 (Wewaykum, par 89). Les Indiens auraient pu croire que l’on ne pouvait pas, en vertu de la Loi, retrancher des terres de leurs réserves par voie d’abandon, sans leur consentement.

[197]  Les commissaires avaient besoin de la collaboration des Indiens pour terminer leur travail. Les rédacteurs de la convention savaient que les Indiens étaient au courant de l’exigence relative à l’abandon, d’où la disposition de la convention McKenna-McBride, c’est-à-dire l’alinéa 2a), selon lequel les terres couvrant une superficie supérieure à ce qui est [traduction] « raisonnablement requis » pour leur usage seraient enlevées avec leur consentement, « en conformité avec la Loi des Sauvages […] » (RCD, onglet 237).

[198]  On peut dire sans se tromper qu’il était d’usage pour les commissaires McKenna et McBride d’assurer aux Indiens que les terres mises de côté par la CMRI ne seraient pas retranchées sans leur consentement.

C.  Assurance quant au caractère définitif

[199]  Le principe du caractère définitif était prévu par la convention M-M :

7. Les terres comprises dans les réserves établies de façon définitive par les commissaires sont transférées par la province au gouvernement du Dominion et ce dernier a plein pouvoir pour disposer des terres de la manière qu’il juge opportune aux fins des Sauvages […] [je souligne; RCD, onglet 237].

[200]  C’était la deuxième fois que les membres de la Première Nation d’Akisq’nuk avaient affaire aux commissaires des réserves. En 1884, la CMRI avait, après les avoir consultés, attribué une réserve, soit la RI 3.

[201]  Les commissaires ont rencontré des membres de la Première Nation d’Akisq’nuk (qui s’appelait alors la bande de Columbia-Kootenay) le 21 septembre 1914. Le chef Arbel et d’autres membres ont pris la parole. Leurs témoignages ont été transcrits contrairement au discours d’ouverture du président. Il est indiqué que [traduction] « [l]e président parle aux Indiens réunis de la portée et de l’objectif de la Commission » (RCD, onglet 121).

[202]  Le chef Arbel a commencé en disant ceci : [traduction] « J’ai entendu que vous êtes venus ici pour régler (to fix) la question de mes terres […] » (je souligne; RCD, onglet 121).

[203]  L’emploi du mot anglais « fix » par le chef Arbel indique que le président reprenait les termes de la convention pour expliquer le mandat de la Commission. Dans la langue courante, le mot « fix » renvoie au caractère définitif. C’est ce qui ressort de la conversation, telle qu’elle a été transcrite.

[204]  Le chef Arbel et Ignatius Eaglehead ont dit aux commissaires qu’il n’y avait pas suffisamment de pâturages sur la réserve pour leurs chevaux et bovins. La plus grande partie des terres qui leur avaient déjà été attribuées ne convenaient ni à l’agriculture ni au pâturage. Leurs animaux paissaient sur les terres adjacentes à la réserve.

[205]  Le chef Arbel était confiant que les commissaires attribueraient les terres additionnelles dont son peuple avait grandement besoin :

[traduction] Vous devez savoir où se trouvent les terres du gouvernement encore disponibles. Vous voyez, la vallée est étroite. Vous savez comment doit fonctionner une réserve. C’est vous qui devez me donner des terres pour établir ma réserve. Vous avez dit que le gouvernement du Dominion vous avait envoyé ici. C’est parce qu’il m’aime et qu’il est mon père autant que le vôtre. C’est la raison pour laquelle il vous a envoyé ici et qu’il vous a demandé d’aider les Indiens autant que vous le pouvez et de voir si vous pouviez corriger la situation. Vous dites vrai quand vous affirmez que vous faites partie du gouvernement et que je fais aussi partie du gouvernement. [RCD, onglet 121]

[206]  Certaines terres non grevées étaient disponibles. Les commissaires ont ordonné l’ajout de 3 040 acres à la RI 3 (ensuite réduit à 2 960 acres).

[207]  Ces nouvelles terres étaient utilisées par les membres de la Première Nation d’Akisq’nuk avant d’être ajoutées à la réserve et maintenant, elles leur appartenaient.

[208]  Le chef Arbel et les autres personnes présentes à l’assemblée de septembre 1914 auraient compris que les décisions de la Commission étaient définitives. Naturellement, ils auraient aussi compris que les terres ajoutées par les commissaires, comme celles attribuées par la CMRI, ne leur seraient pas enlevées sans leur consentement. Ce caractère définitif, s’agissant des terres additionnelles, signifiait donc que ces terres ne pouvaient être prises sans leur consentement.

D.  Au courant de l’annulation de l’ajout

[209]  Rien n’indique que les membres de la Première Nation d’Akisq’nuk savaient que l’ajout avait été annulé en juillet 1923, suivant la recommandation de Clark, et que les représentants fédéraux avaient capitulé face à la province.

[210]  Le 28 décembre 1939, le chef Louie Arbel, un descendant du chef qui avait pris la parole devant la Commission en 1914, a écrit à la Division des affaires indiennes du ministère des Mines et des Ressources pour lui demander une carte de la RI 3 et pour lui faire part de ses préoccupations quant au fait que des [traduction] « hommes blancs » s’appropriaient des terres indiennes :

[traduction]

J’aimerais que vous m’envoyiez une carte de ma réserve, de Windermere à Fairmont, en Colombie-Britannique.

Les premiers hommes blancs qui sont venus dans notre pays ont parlé à mon père et aux autres Indiens et leur ont dit : « Nous prenons votre pays, mais vous nous dites quelle partie vous voulez garder à titre de réserve. Ils [ont répondu] qu’ils voulaient garder les terres de la rivière Windermere jusqu’à la rivière Fairmont [...] [A]ujourd’hui, l’homme blanc vient nous dire où est notre réserve aujourd’hui et prend la moitié des terres appartenant aux Indiens. Il y a maintenant beaucoup d’enfants devenus adultes qui n’ont pas de terre, de couples mariés qui ne savent pas comment subvenir à leurs besoins […] aucun cheval, rien du tout […] nous n’avons maintenant qu’un petit lopin de terre pour subvenir à nos besoins, beaucoup trop petit pour le nombre d’Indiens qu’il y a ici. [Je souligne; RCD, onglet 181.]

[211]  Le 8 mars 1943, le chef Michel a écrit au major Donald McKay, commissaire des Indiens pour la Colombie-Britannique, pour demander la tenue d’une enquête sur les coupes de bois effectuées sur les terres adjacentes à la RI 3 qui, selon la bande indienne du lac Columbia — tel était alors son nom —, lui appartenaient. Le chef s’est également plaint de la pénurie de pâturages :

[traduction] Pendant plusieurs années, cette bande a affirmé n’avoir jamais cédé aucune parcelle de terre. Par conséquent, elle affirme que toutes les terres adjacentes à la réserve appartiennent toujours à la bande du lac Columbia […] il y a plusieurs années, quand cette réserve a été arpentée, les Indiens croyaient que la réserve prenait naissance à la rivière Windermere et s’étendait vers le sud jusqu’aux sources thermales près de Fairmont. Il avait été convenu que les terres ne seraient pas clôturées et qu’elles seraient utilisées pour le pâturage — les bovins et les chevaux [...] [Je souligne; exposé conjoint des faits, par 78]

[212]  Il est difficile de savoir si ces plaintes se rapportent à la réduction de la superficie de la réserve attribuée par O’Reilly en 1884 par suite de l’écart constaté dans la description par tenants et aboutissants de l’arpenteur, ou bien à l’annulation de l’ajout ordonné par la Commission McKenna-McBride. La plainte de décembre 1939 renvoie à [traduction] « […] l’homme blanc [qui] prend la moitié des terres appartenant aux Indiens » (RCD, onglet 181). La superficie ajoutée par la Commission était bien plus importante que la superficie perdue par suite de l’arpentage, ce qui donne à penser que les plaintes se rapportaient plutôt à la deuxième situation indiquée ci-dessus.

[213]  Selon la plainte de mars 1943, la bande n’a [traduction] « [...] jamais cédé […] toutes les terres adjacentes à la réserve […] » (RCD, onglet 183). Le renvoi à la cession rappelle la promesse qu’ont faite les commissaires, selon laquelle leurs décisions relatives aux attributions étaient définitives. 

VII.  positions des parties

A.  Revendicatrice (Première Nation)

[214]  La revendicatrice se fonde sur les obligations fiduciaires invoquées dans les arrêts de la Cour suprême du Canada, notamment Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321, Wewaykum, Conseil de la bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54, [2002] 2 RCS 816, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale sur le contrôle judiciaire de la décision rendue par le Tribunal dans l’affaire Kitselas et la décision rendue par le Tribunal dans Kitselas.

[215]  La revendicatrice soutient que la preuve relative à la question du levé d’arpentage et à la question des terres additionnelles établit ce qui suit :

  1. qu’elle a un intérêt identifiable sur les terres visées par les deux questions, et

  2. que la Couronne (Canada) dispose d’un pouvoir discrétionnaire suffisant pour fonder une obligation de prendre toutes les mesures disponibles pour s’assurer que les terres étaient considérées comme des réserves aux termes de la Loi sur les Indiens.

[216]  La revendicatrice affirme que la Couronne était, dans les circonstances, tenue de renvoyer le désaccord sur les terres additionnelles au secrétaire d’État pour les colonies afin qu’il rende une décision et qu’elle ne l’a pas fait, ni même envisagé.

[217]  La revendicatrice affirme que la Couronne a manqué à son obligation et qu’une indemnité devrait lui être versée.

B.  Intimée (Couronne)

[218]  La position de l’intimée est énoncée aux paragraphes 13 à 20 et 53 de son mémoire des faits et du droit. En résumé :

  1. L’article 13 énonce, [traduction] « en termes généraux »,la façon dont les réserves devaient être établies, et prévoit que des terres devaient être « transférées » au Canada.

  2. La coopération fédérale-provinciale était nécessaire, comme l’explique la Cour suprême du Canada :

La coopération fédérale-provinciale était nécessaire dans le cadre du processus de création des réserves, étant donné que, si le gouvernement fédéral avait compétence à l’égard des « Indiens et [d]es terres réservées aux Indiens » aux termes du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, les terres domaniales en Colombie-Britannique, où serait nécessairement établie toute réserve, appartenaient à la province. Toute tentative unilatérale du gouvernement fédéral de créer une réserve sur des terres publiques de la province aurait été invalide : Ontario Mining Co. c. Seybold (1902), [1903] A.C. 73 (C. P.). Par ailleurs, la province ne pouvait établir une réserve indienne au sens de la Loi sur les Indiens, car elle aurait alors empiété sur la compétence exclusive du fédéral sur « [l]es Indiens et les terres réservées aux Indiens ». [Wewaykum, par 15]

  1. En Colombie-Britannique, le processus de création des réserves a pris fin le 29 juillet 1938 lorsque des terres mises de côté et approuvées à titre de terres de réserve ont été transférées au Canada par le décret provincial 1036.

  2. L’intention de la Couronne fédérale dans la création des réserves est [traduction] « essentielle »et, en Colombie-Britannique, elle constituait la [traduction] « la dernière étape »du transfert susmentionné. Comme ni l’un ni l’autre des transferts n’a eu lieu, il n’est pas possible que la Couronne fédérale ait voulu que l’une ou l’autre des parcelles de terre devienne une réserve.

  3. La jurisprudence a établi le concept des [traduction] « réserves provisoires »pour décrire les terres qui avaient été attribuées, arpentées et approuvées par la province, mais qui n’avaient pas encore été transférées au Canada.

  4. Les terres qui ont été exclues de la description par tenants et aboutissants de la RI 3 faite par O’Reilly en 1884 à la suite de l’arpentage de 1886 n’ont jamais été approuvées en vue de leur inclusion dans la réserve par la province.

  5. Les terres additionnelles, dont la Commission McKenna-McBride avait recommandé l’ajout à la RI 3, n’ont jamais été approuvées par la province.

  6. Par conséquent, aucune des parcelles en cause n’est devenue une réserve provisoire.

  7. Si la revendicatrice avait un intérêt identifiable sur les terres additionnelles recommandées par la Commission, le Canada avait peu de pouvoir discrétionnaire, voire aucun, [traduction] « à l’égard de l’intérêt non reconnu de la revendicatrice […] » compte tenu du rôle joué par les provinces dans le processus de création des réserves.

  8. L’obligation fiduciaire de la Couronne, s’il en est, à l’égard des terres additionnelles a laissé place à l’obligation qui incombait à la Couronne de « fixer »la quantité des étendues de terre devant être transférées au Dominion.

VIII.  questions en litige

[219]  Voici les questions en litige :

  1. Quels principes du droit des fiducies doit on appliquer pour déterminer si la Couronne avait des obligations fiduciaires envers la revendicatrice à l’égard des terres additionnelles attribuées par la Couronne et des terres exclues de l’attribution de 1884?

  2. Si les principes applicables exigent la preuve de l’intérêt identifiable de la revendicatrice et du pouvoir discrétionnaire de la Couronne, la revendicatrice a-t-elle satisfait à cette exigence en ce qui concerne les terres additionnelles et les terres arpentées?

  3. Les circonstances exigent-elles également que l’on applique les principes relatifs aux obligations fiduciaires, compte tenu de l’engagement de la Couronne d’agir avec loyauté au mieux des intérêts des bénéficiaires, qui est de la nature d’une obligation de droit privé?

  4. Si la réponse à la question 2 ou à la question 3 est « oui »,la Couronne s’est-elle acquittée des obligations fiduciaires qu’elle avait envers la revendicatrice?

IX.  analyse

[220]  Les parties ont exposé leurs arguments selon le cadre d’analyse en matière d’obligation fiduciaire établi dans l’arrêt Wewaykum. Les obligations de la Couronne doivent être examinées à la lumière des décisions rendues par la Cour suprême du Canada après l’arrêt Wewaykum et à la lumière des faits particuliers de l’espèce. Les questions en litige seront donc examinées en fonction de plusieurs cadres d’analyse différents, lesquels conduisent tous à la même conclusion.

A.  Wewaykum et obligation fiduciaire

[221]  L’intimée soutient que les terres additionnelles n’étaient pas suffisamment décrites ou protégées de l’acquisition par préemption pour entrer dans la définition de « réserve provisoire » établie par la Cour suprême dans l’arrêt Wewaykum.

[222]  Le rapport de décision attribuant les terres additionnelles comprenait une description précise de leurs limites. La Commission s’est assurée auprès du ministre provincial des Terres de la disponibilité des terres avant d’ordonner qu’elles soient mises de côté à titre de réserve. Aucune acquisition par préemption n’a eu lieu sur les terres additionnelles avant que leur ajout à la RI 3 soit annulé par Clark.

[223]  Il semble que les terres additionnelles aient constitué une réserve provisoire à l’époque. Les terres additionnelles satisfont également à l’analyse de l’intérêt identifiable et du pouvoir discrétionnaire établie dans l’arrêt Wewaykum, comme nous le verrons ci-dessous.

1.  Intérêt identifiable

a)  Reconnaissance de l’usage courant

[224]  L’intimée soutient que la preuve ne permet pas de conclure que la revendicatrice avait un intérêt identifiable sur les terres de la RI 3 qui ont été exclues à la suite de l’arpentage, ou sur les terres additionnelles.

[225]  La détermination des intérêts autochtones sur les terres aux fins de la création de réserves en Colombie-Britannique est contextuelle.

[226]  Comme je l’ai longuement expliqué ci-dessus, bien que les gouverneurs et représentants subséquents de la Colombie-Britannique n’aient pas reconnu les intérêts des Indiens sur les terres, les représentants gouvernementaux compétents devaient, chaque fois que des mesures étaient prises pour établir des réserves en Colombie-Britannique entre 1854 et 1907, et ce pour chaque groupe autochtone, désigner et attribuer les villages et les terres habituellement utilisés.

[227]  La politique coloniale exigeait que les réserves soient créées sur des « établissements indiens » et sur les terres attenantes où les groupes autochtones puisaient les ressources nécessaires à leur survie. Cette politique a continué de s’appliquer après la Confédération, mais les participants au processus d’attribution de réserves et la situation sur le terrain avaient changé. La compétence fédérale prévue au paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 s’appliquait. Les responsabilités fédérales et provinciales en matière de réserves étaient énoncées à l’article 13 des Conditions de l’adhésion. 

[228]  La CMRI devait, aux termes de l’article 4 de l’entente de la CMRI :

[traduction] [être] guidé[e] de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, qui prévoient l’adoption d’une « ligne de conduite libérale » envers les Indiens; et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’[elle prenne] en considération les habitudes, les besoins et les activités de chacune, l’étendue du territoire disponible dans la région qu’elle occupe, et les revendications des colons blancs. [Je souligne.]

[229]  En 1912, la Commission McKenna-McBride devait examiner les attributions antérieures pour déterminer si les terres attribuées étaient d’une superficie supérieure ou inférieure à ce qui était [traduction] « […] raisonnablement requis pour l’usage des Sauvages de cette tribu ou de cet endroit […] » et apporter les corrections qu’elle jugeait nécessaires.

[230]  En 1915, les commissaires ont consulté les membres de la Première Nation d’Akisq’nuk. Ces derniers leur ont fait savoir qu’ils avaient besoin de plus de terres et qu’ils faisaient paître leurs animaux sur des terres situées à l’extérieur de la réserve attribuée par O’Reilly en 1885. Les commissaires ont alors ordonné l’attribution supplémentaire de 2 960 acres de terres. Ces terres additionnelles étaient décrites suffisamment en détail pour apparaître sur les cartes à titre de « nouvelle réserve ». Comme l’attribution de ces terres a par la suite été « annulée » par la province, les terres n’ont jamais été arpentées.

[231]  O’Reilly, le juge Farwell, Fouget et le chef Arbel ont reconnu que les Kootenays étaient présents depuis longtemps sur le territoire où la RI 3 et les terres additionnelles avaient été attribuées.

b)  Occupation antérieure

[232]  La revendicatrice soutient qu’il faut déterminer son intérêt sur les terres en question en appliquant les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nation Tsilhqot’in c Colombie-Britannique, 2014 CSC 44, [2014] 2 RCS 257.

[233]  Il n’est pas nécessaire d’appliquer le critère permettant d’établir le titre ancestral pour conclure à l’existence d’un intérêt identifiable.

[234]  Il est indiqué dans l’arrêt Wewaykum que les réserves provisoires en cause ne se trouvaient pas sur le territoire historiquement occupé par les bandes contestantes. L’importance de l’utilisation et de l’occupation antérieures, s’agissant des obligations de la Couronne dans le cadre du processus de création de réserves, n’a pas été expliquée dans l’arrêt Wewaykum, mais la Cour semble en avoir tenu compte. À mon avis, l’utilisation et l’occupation antérieures sont pertinentes pour déterminer s’il existe un intérêt identifiable ou un intérêt pratique important, mais elles ne sont pas déterminantes en soi.

[235]  Quoi qu’il en soit, en l’espèce, de nombreux éléments de preuve confirment que les Kootenays utilisaient et occupaient les terres de la région depuis longtemps. 

[236]  Les Kootenays vivaient dans la région du lac Columbia avant qu’O’Reilly attribue la RI 3. Selon ses propres mots, [traduction] « [...] les Indiens prétendaient être en possession, et l’étaient presque, de tout le district, où ils cultivaient certaines terres à leur guise et utilisaient certains emplacements choisis pour le pâturage de leurs bovins et de leurs chevaux » (RCD, onglet 55).

[237]  En 1927, Duncan Campbell Scott a témoigné devant le comité spécial mixte de la Chambre des communes chargé d’enquêter sur les demandes des tribus indiennes alliées de la Colombie-Britannique. Il a déposé un rapport intitulé [traduction] « Rapport sur la situation des Indiens en Colombie-Britannique » (“Report on the British Columbia Indian Question”). Quand un membre du comité lui a demandé si des terres de réserve avaient été choisies pour les Indiens, il a répondu ce qui suit : [traduction] « Ils ont eux-mêmes soigneusement choisi les terres puisque ce sont des terres qu’ils occupaient et utilisaient et sur lesquelles ils détenaient un titre ancestral » (je souligne).

[238]  Les terres ajoutées à la RI 3 par la Commission McKenna-McBride étaient, tout comme les terres attribuées par O’Reilly, utilisées au moment de l’attribution.

c)  Conclusion

[239]  Les terres additionnelles étaient adjacentes à la RI 3, telle qu’elle avait précédemment été attribuée. Les Kootenays utilisaient et occupaient le territoire quand la Commission a ajouté des terres à la RI 3. La description définissait clairement une parcelle de terre à l’intérieur du territoire qu’ils utilisaient alors. Leur intérêt sur les terres additionnelles était donc identifiable.

2.  Pouvoir discrétionnaire

[240]  Il ressort de la preuve que la Couronne a participé à chacune des étapes du processus de création des réserves de la Colombie-Britannique après la Confédération. Sa participation tenait à l’intérêt des Indiens mis en cause par la création des réserves. L’utilisation antérieure des terres était l’un des facteurs reconnus dans l’exercice de mise de côté de terres à titre de réserves auquel elle se livrait conjointement avec la province. Une fois les terres mises de côté, la Couronne exerçait son pouvoir discrétionnaire dans le cadre de chacune des mesures prises pour réaliser l’objet de l’article 13. Pour reprendre les propos du juge Binnie, les bandes, y compris la revendicatrice, étaient « entièrement tributaires de la Couronne pour que le processus de création des réserves aboutisse » [Wewaykum, par 89]. Bien qu’elle n’eût pas compétence pour créer des réserves sur les terres domaniales de la province, elle avait, à tout le moins, l’obligation « […] de faire montre de loyauté et de bonne foi, de communiquer l’information de façon complète, eu égard aux circonstances, et d’agir avec diligence “ordinaire” requise dans ce qu’elle considérait raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation » (je souligne; Wewaykum, par 97).

[241]  Il faut maintenant se demander quelles étaient les mesures que devait prendre la Couronne pour s’acquitter de son obligation et si ces mesures ont été prises.

3.  Critère de la « diligence ordinaire »

[242]  La revendicatrice avait un intérêt identifiable sur les terres additionnelles. La Couronne exerçait un pouvoir discrétionnaire dans le cadre du processus visant à obtenir le transfert des terres au Canada conformément à l’article 13. La Couronne avait donc, à tout le moins, une obligation de diligence ordinaire. Le bénéficiaire dont l’intérêt était directement mis en cause était la bande maintenant connue comme étant la Première Nation d’Akisq’nuk, c’est-à-dire la revendicatrice. Son intérêt résidait dans les terres additionnelles devant être transférées au Canada, ainsi que dans les terres attribuées par O’Reilly. Le Canada aurait au moins dû faire preuve d’une diligence ordinaire au moment de protéger cet intérêt.

[243]  L’intimée soutient que l’obligation qu’elle avait de régler de façon définitive la [traduction] « question des terres indiennes » dans l’intérêt de toutes les « bandes » à qui des réserves avaient été attribuées l’emportait sur toute obligation qu’elle aurait pu avoir de défendre l’intérêt de la revendicatrice, par exemple, en renvoyant la question au secrétaire d’État pour les colonies pour qu’il rende une décision. Toutefois, rien ne prouve que tel aurait été le résultat. Il se pourrait que ce ne soit pas le cas, puisque le Dominion ne l’a pas fait.

[244]  La thèse de l’intimée repose sur la proposition, dégagée par inférence, selon laquelle les mesures prises pour défendre l’intérêt de la revendicatrice auraient nui à la réussite du transfert ou aurait empêché le transfert, lequel a finalement eu lieu 14 ans plus tard.

[245]  Les traités présentent un portrait des événements survenus au fil des six dernières décennies. Dans cet esprit, l’argument de l’intimée semble avoir un certain fondement, mais il ne résiste pas à un examen attentif. L’inférence proposée par la Couronne n’est pas la seule inférence raisonnable pouvant être tirée de la preuve et des renseignements contenus dans les traités. Elle ne tient pas compte du fait que la province a atteint son principal objectif, soit qu’elle a réussi à retrancher des terres de grande valeur déjà attribuées par la CMRI des terres devant être transférées au Canada. Il n’aurait pas été dans l’intérêt de la province de rouvrir de façon générale la question des terres.

4.  Conclusion

[246]  Il est impossible de s’acquitter d’une obligation de diligence ordinaire en ne faisant rien. Dans les circonstances, pour régler le désaccord relatif aux terres additionnelles, il fallait en référer à la décision du secrétaire d’État pour les colonies, en application de l’article 13. Pourtant, cela n’a pas été fait ni envisagé.

B.  Après Wewaykum

[247]  Les faits en l’espèce soulèvent la question de savoir si la lourde obligation d’agir avec loyauté, en renonçant à tout autre intérêt, pouvait s’appliquer à la Couronne avant que la province transfère au Canada les terres attribuées à titre de réserve, comme l’exigeait l’article 13 des Conditions de l’adhésion.

[248]  Dans l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême a conclu que les obligations liées à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire s’appliquaient relativement aux réserves provisoires revendiquées par chacune des bandes. Ces obligations consistaient à « […] faire montre de loyauté et de bonne foi, de communiquer l’information de façon complète, eu égard aux circonstances, et d’agir avec la diligence “ordinaire” requise dans ce qu’elle considérait raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation » (par 97). La lourde obligation qu’impose « […] un engagement à agir avec loyauté au mieux des intérêts des bénéficiaires, qui est de la nature d’une obligation de droit privé […] relativement à l’intérêt juridique particulier en jeu, […] [en renonçant] aux intérêts de toutes les autres parties en faveur de ceux du bénéficiaire » (Guerin, p 383 et 384, et Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, par 31, [2011] 2 RCS 261, cité dans Manitoba Métis Federation, par 61) ne s’appliquait pas.

[249]  La raison pour laquelle l’obligation moins lourde s’appliquait était que, avant la création des réserves, « […] la Cour ne p[ouvait] faire abstraction du fait que le gouvernement était aux prises avec des demandes conflictuelles, émanant et des bandes rivales elles-mêmes et de non-Indiens » (Wewaykum, par 96).

1.  Distinctions factuelles

[250]  Il n’y a aucune concurrence entre les bandes dans la présente affaire.

[251]  La preuve produite en l’espèce ne permet pas d’établir qu’il était nécessaire pour la Couronne (Canada) de mettre en balance les intérêts des Indiens et ceux des non-Indiens dans le processus de création des réserves. Les intérêts des non-Indiens étaient représentés par la province, laquelle détenait la carte maîtresse puisqu’elle pouvait refuser de transférer les terres que le Canada souhaitait obtenir pour en faire des réserves. La province a agi avec vigilance, se rendant presque coupable d’entrave, en veillant à ce que le moins de terres possible soient réservées.

[252]  Les intérêts des colons ont été pris en considération dans les processus de la CMRI et de la Commission McKenna-McBride et dans les processus internes de la province. Les attributions faites par la CMRI devaient être approuvées par le CCTT. Les attributions de la Commission McKenna-McBride étaient faites en consultation avec le ministère des Terres de la province. Une fois faite l’attribution « définitive » des terres par l’une ou l’autre commission, le gouvernement avait rempli son rôle, lequel consistait à agir comme interlocuteur des colons dans le processus de création des réserves (à supposer que le gouvernement du Dominion ait déjà eu un tel rôle).

2.  Engagement à agir avec loyauté en renonçant à tous les autres intérêts

[253]  Quand la Commission McKenna-McBride a rendu son rapport en 1916, tous les intérêts susceptibles d’entrer en conflit avec les intérêts indiens à l’issue du processus de création des réserves avaient été pris en compte. Le Dominion était l’intermédiaire exclusif des Indiens. Il avait, seulement à leur égard, l’obligation de voir à ce que le processus aboutisse. Cette obligation était donc de la nature d’une obligation de droit privé.

[254]  Aux termes de l’article 13, il fallait en référer à la décision du secrétaire d’État pour les colonies lorsqu’il y avait un désaccord sur la quantité des étendues de terre devant être transférées. Ditchburn et Clark ne s’entendaient pas sur l’ajout à la RI 3 et sur les ajouts faits en faveur d’autres bandes. La Couronne n’a pas songé à défendre l’intérêt de la revendicatrice en invoquant cette disposition sur le règlement de différends.

C.  Honneur de la Couronne

[255]  Au stade où en était rendu le droit des fiducies dans l’arrêt Wewaykum, le principe de l’honneur de la Couronne ne constituait pas encore un précepte fondamental dans les relations de la Couronne avec les peuples autochtones :

L’obligation de préserver [traduction] « l’honneur de l’État » est liée d’une certaine façon aux normes éthiques que doit respecter un fiduciaire dans le contexte des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones : R. c. Taylor (1981), 34 O.R. (2d) 360 (C.A.), le juge en chef adjoint MacKinnon, p. 367, autorisation d’appeler refusée, [1981] 2 R.C.S. xi; Van der Peet, précité, le juge en chef Lamer, par. 24; Marshall, précité, par. 49-51. [Je souligne; Wewaykum, par 80.]

[256]  Les décisions subséquemment rendues par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511, et Manitoba Métis Federation révèlent que les obligations fiduciaires, le cas échéant, tirent leur origine du principe selon lequel la Couronne doit agir honorablement. Le « lien » entre l’honneur de la Couronne et l’obligation fiduciaire est que l’obligation découle du principe voulant que l’honneur de la Couronne soit engagé lorsqu’une promesse constitutionnelle se rapporte à un intérêt autochtone.

[257]  Dans l’arrêt Manitoba Métis Federation, la Cour suprême du Canada indique ce qui suit :

  1. La source de l’honneur de la Couronne.

  2. Les facteurs nécessaires pour engager l’honneur de la Couronne : obligation constitutionnelle (promesse) envers un groupe autochtone.

  3. Lorsque l’honneur de la Couronne est engagé, il doit être appliqué dans des situations concrètes : il fait naître différentes obligations selon les circonstances.

  4. L’approche interprétative et l’obligation d’exécution diligente.

  5. La simple question.

[258]  Les conclusions :

  1. La source

L’obligation de la Couronne de se conduire honorablement tire son origine « de l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur un peuple autochtone et [de] l’exercice de fait de son autorité sur des terres et ressources qui étaient jusque-là sous l’autorité de ce peuple » (Nation haïda, par. 32). En droit des Autochtones, le principe de l’honneur de la Couronne remonte à la Proclamation royale de 1763, qui renvoie aux « nations ou tribus sauvages qui sont en relations avec Nous et qui vivent sous Notre protection » : voir Beckman c. Première nation Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, par. 42. Cette « protection », toutefois, ne procédait pas d’un désir paternaliste de protéger les peuples autochtones; elle traduisait plutôt une reconnaissance de leur force. L’honneur de la Couronne n’est pas non plus un concept paternaliste. [Manitoba Métis Federation, par 66]

  1. Quand est-il engagé?

L’honneur de la Couronne impose une lourde obligation et n’entre pas en jeu dans toutes les interactions entre la Couronne et les peuples autochtones. Dans le passé, il a été reconnu que l’honneur de la Couronne est engagé lorsqu’il s’agit de concilier les droits ancestraux et la souveraineté de la Couronne. Comme la Cour l’a dit dans l’arrêt Badger :

[...] l’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsqu’elle transige avec les Indiens. Les traités et les dispositions législatives qui ont une incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités doivent être interprétés de manière à préserver l’intégrité de la Couronne. [par 41] [Manitoba Métis Federation, par 68]

[...]

Enfin, il doit être explicite que le créancier de l’obligation est un groupe autochtone. L’honneur de la Couronne ne saurait être engagé par une obligation constitutionnelle ayant simplement une grande importance pour les peuples autochtones. [Je souligne; par 72.]

  1. Une précepte fondamental

L’honneur de la Couronne n’est « pas simplement […] une belle formule, mais […] un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes », et il « fait naître différentes obligations selon les circonstances » (Nation haïda, par. 16 et 18). Il ne s’agit pas d’une cause d’action en soi, mais d’un principe qui a trait aux modalités d’exécution des obligations dont il emporte l’application. [Manitoba Métis Federation, par 73]

  1. Obligations en découlant

Ainsi, l’obligation découlant du principe de l’honneur de la Couronne varie en fonction de la situation. Ce en quoi consiste un comportement honorable variera selon les circonstances.

En appliquant les précédents et les principes qui encadrent le comportement honorable, nous estimons que, lorsqu’il est question de la mise en œuvre d’une obligation constitutionnelle envers un peuple autochtone, le principe de l’honneur de la Couronne oblige la Couronne : (1) à adopter une approche libérale et téléologique dans l’interprétation de la promesse; (2) à agir avec diligence pour s’acquitter de la promesse. [Je souligne; Manitoba Métis Federation, par 74, 75.]

  1. Atteinte des objectifs de l’obligation

En l’espèce, la question se résume à savoir si, compte tenu de la conduite de la Couronne dans son ensemble, la Couronne a agi avec diligence pour atteindre les objectifs de l’obligation? [Manitoba Métis Federation, par 83]

1.  Création des réserves : objectif et promesse

[259]  En résumé :

  1. Le « titre »de la Couronne appartenait à la colonie avant la Confédération et a continué d’appartenir à la province après la Confédération.

  2. La colonie était tenue par l’honneur de satisfaire aux exigences de la Proclamation royale, mais ce n’est pas ce qu’elle a fait en permettant aux colons blancs de s’établir sur la majeure partie de l’île de Vancouver et sur le continent.

  3. La colonie avait, bien avant 1871, cessé de mettre en œuvre l’exigence de la Proclamation royale selon laquelle la question relative aux intérêts fonciers des Indiens devait être réglée avant l’établissement des colons, et avait nié l’existence du titre ancestral. La province a fait de même.

  4. Les Indiens ne pouvaient pas revendiquer des intérêts fonciers fondés sur l’utilisation et l’occupation sans la coopération désintéressée de la Couronne. Cela n’était pas possible. Ce que les groupes indiens pouvaient revendiquer, c’était une réserve. Les obligations qui incombent à la Couronne en ce qui concerne la mise de côté des terres dans le processus menant à la « création » des réserves découlent de la valeur constitutionnelle des Conditions de l’adhésion de 1871 et de l’intervention de la Couronne à titre d’intermédiaire exclusif entre la province et les Indiens.

  5. Aux termes de l’article 13 des Conditions de l’adhésion de 1871, le Canada était chargé, à titre d’intermédiaire exclusif auprès de la province, de défendre les intérêts des Indiens quant à la mise de côté de terres domaniales dans la province à titre de terres de réserve (Wewaykum). Ainsi, il s’acquittait d’une obligation qui découlait de la compétence fédérale et de l’article 13, une disposition législative à caractère constitutionnel.

  6. La province et le Dominion avaient tous les deux l’intention de créer des réserves. Ce vestige de la politique coloniale — lequel nécessitait le règlement de la « question des terres »— était un mal nécessaire qui visait notamment à éviter une « guerre indienne ».Il était fondé sur les politiques fédérales et provinciales et sur une promesse faite aux Indiens.

2.  Obligation de diligence

[260]  Voici la question soulevée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Manitoba Métis Federation :

En l’espèce, la question se résume à savoir si, compte tenu de la conduite de la Couronne dans son ensemble, la Couronne a agi avec diligence pour atteindre les objectifs de l’obligation? [par 83]

[261]  Le Dominion ne pouvait pas unilatéralement créer une réserve sur des terres appartenant à la province. Cependant, la Couronne (Canada) a-t-elle défendu avec diligence l’intérêt des Indiens au moment de la rédaction et de la mise en œuvre de l’article 13?

[262]  Le fait qu’il a fallu 53 ans, de 1871 à 1924, pour conclure une entente sur la quantité des étendues de terre devant être transférées en fiducie au Dominion laisse naturellement soupçonner un manque de diligence à défendre l’intérêt des Indiens. Cependant, le Dominion s’est buté à des obstacles de la part de la province, laquelle : 

  1. a entravé les efforts de Powell en lui demandant l’impossible entre 1872 et 1875.

  2. a refusé d’accepter les attributions faites par la CMRI, malgré qu’elle ait été représentée dans un processus qui exigeait un examen des intérêts des colons immigrants et que les attributions aient été approuvées par le commissaire en chef des Terres et Travaux.

  3. a refusé d’accepter le rapport rédigé par la Commission McKenna-McBride en 1916, malgré qu’elle ait été représentée dans un processus décisionnel conjoint qui tenait compte de ses préoccupations quant à la disponibilité des terres pour les colons blancs.

  4. a insisté pour que le rapport soit approuvé par le gouvernement, même s’il était clairement indiqué que les confirmations, réductions et ajouts devaient revêtir un caractère définitif.

3.  Obligation d’exécution diligente

[263]  À l’époque, la « diligence » avait un caractère temporel. Les Indiens s’étaient vu refuser une assise territoriale sûre et les colons s’approchaient des territoires qui assuraient leur subsistance. Leur frustration grandissait devant l’appropriation par les colons blancs de terres qu’ils occupaient depuis longtemps. Des menaces de guerre ont été proférées.

[264]  La diligence supposait également une certaine vigilance dans le processus d’identification des terres devant être réservées. Il était convenu que des terres seraient mises de côté là où les Indiens avaient leurs habitudes, et qu’elles seraient suffisantes, sur le plan de la quantité et de la qualité, pour subvenir aux besoins raisonnables des Indiens.

a)  Caractère temporel

[265]  La CMRI a été constituée « dans le but de régler avec célérité et de manière définitive et satisfaisante la question des réserves indiennes en Colombie-Britannique […] » (je souligne). Il était clair qu’il fallait procéder avec diligence.

[266]  Au moment de la Confédération, la population autochtone se chiffrait entre 70 000 et 100 000 personnes, selon différents comptes rendus. En 1910, elle avait baissé à 50 000 personnes et, en 1927, à 23 000 personnes. Cette diminution n’aurait pas échappé à la province, qui a refusé en 1910, et encore en 1922, d’accepter les rapports des commissions des réserves malgré qu’elle ait également été représentée dans le processus décisionnel relatif aux attributions.

[267]  En 1910, la province a refusé de mettre en œuvre les attributions de la CMRI. En 1912, le Dominion et la province ont convenu d’examiner les attributions antérieures, et la Commission McKenna-McBride a été créée.

[268]  La Commission a été mise sur pied pour régler de manière définitive la question des attributions des réserves. Tout comme la CMRI, elle a examiné les besoins locaux des groupes autochtones qui vivaient alors sur les terres.

[269]  La Commission a présenté son rapport en 1916. Aucune action n’a alors été prise. En 1920, la province a soulevé une objection et a pu invoquer les dispositions de la convention, laquelle avait été déposée sur les conseils du ministre de la Justice pour assurer le respect des lois. Le véritable objet de la convention McKenna-McBride avait été contrecarré.

[270]  Quatre années se sont écoulées avant qu’un autre examen ne soit fait. Enfin, en 1925, cinquante-quatre ans après la Confédération, un répertoire révisé des terres mises de côté à titre de réserves a été établi. Treize autres années se sont écoulées avant que les terres ne soient transférées conformément à l’article 13 et que les premiers habitants puissent bénéficier d’une certaine protection, en vertu de la Loi des Sauvages, contre l’érosion de l’assise territoriale limitée qui leur avait été accordée.

[271]  La mise en œuvre diligente de l’article 13 nécessitait l’utilisation de tous les moyens disponibles pour régler l’affaire.

b)  Diligence sur le plan de la qualité et de la quantité

[272]  Pendant le mandat de Douglas, la politique de la colonie consistait à attribuer des réserves s’étendant sur des centaines d’acres autour des établissements indiens. Pendant le règne de Trutch à titre de CCTT, la politique prévoyait une attribution de dix acres par famille de cinq. Les représentants du Dominion n’étaient pas au courant des modestes attributions fondées sur la politique coloniale et ont convenu de maintenir la « ligne de conduite libérale » suivie par la colonie après la Confédération.

[273]  À cause de ce manque de diligence de la part du Dominion, il a fallu quatre décennies pour arriver à l’entente prévue à l’article 13. Il a finalement été convenu en 1912 qu’il n’y aurait plus d’attributions selon une superficie fixe par personne. La Commission McKenna-McBride devait déterminer les besoins raisonnables de chacun des groupes autochtones dans les différents lieux où ils étaient établis. Les Kootenays du lac Columbia formaient l’un de ces groupes. Après avoir évalué leurs besoins, la Commission a mis de côté 2 960 acres additionnelles.

[274]  Le rejet de la proposition d’ajout par le major Clark n’était pas fondé sur une évaluation des besoins raisonnables des Indiens. Ditchburn a, quant à lui, pris en considération les besoins raisonnables des Indiens établis par la Commission lorsqu’il a approuvé l’ajout. Clark et Ditchburn ont produit des rapports distincts. Clark a tenu bon et le patron de Ditchburn, Duncan Campbell Scott, a cédé.

c)  Obligation d’exécution diligente et la Couronne (Canada)

[275]  Le contexte dans lequel s’inscrivent les mesures particulières qui ont été prises relativement à ces terres était celui de la création des réserves de 1850 à 1938. La preuve et les extraits d’ouvrages cités permettent de faire une analyse éclairée de la question de savoir si l’honneur de la Couronne a été préservé lors de la mise en application des exigences constitutionnelles de l’article 13.

[276]  Des erreurs ont été relevées, un acte de trahison absolue a été commis et rien n’a été fait alors que des mesures auraient pu être prises pour faire progresser l’identification et le transfert des terres devant servir de réserves :

  1. La Couronne n’a pas vérifié quelle était la ligne de conduite « libérale »de la colonie avant d’accepter, aux termes de l’article 13, de la respecter, ce qui a donné lieu à des décennies de conflit sur la quantité des étendues de terres devant être transférées .

  2. La Couronne a permis l’inclusion du paragraphe 5 de l’entente de la CMRI portant sur l’intérêt réversif de la province, donnant ainsi à la province une monnaie d’échange si elle refusait les attributions de la CMRI et souhaitait qu’il y ait entente sur certaines modifications.

  3. La Couronne a incité les groupes autochtones qui occupaient les terres attribuées par la CMRI à coopérer en leur promettant que, suivant les recommandations de la Commission McKenna-McBride, aucune terre ne serait retranchée sans leur consentement, puis a brisé sa promesse.

  4. La Couronne a accepté, sans protester, que l’exigence légale selon laquelle les gouvernements devaient approuver le rapport de la Commission permettait à la province de demander un autre examen des attributions alors que les examens devaient manifestement être définitifs.

  5. La Couronne a accepté que le rapport soit examiné alors qu’elle aurait pu en référer à la décision du secrétaire d’État pour les colonies pour résoudre le désaccord quant à la mise en œuvre du rapport McKenna-McBride.

  6. La Couronne a accepté le choix du major Clark fait par la province et n’a soulevé aucune objection fondée sur le conflit entre le rôle joué par ce dernier dans la promotion de l’immigration en vue de l’avancement de l’agriculture et la responsabilité qui lui incombait de prendre en considération les besoins raisonnables des peuples indiens.

4.  Non-respect de la promesse

[277]  La revendicatrice a bénéficié des travaux de la Commission McKenna-McBride, qui a ordonné un ajout de 2 960 acres à la RI 3. C’est plutôt sur l’annulation par Clark de cet ajout et le défaut d’agir du Dominion que repose la présente revendication.

[278]  La façon dont le Dominion a réagi à l’annulation s’inscrivait dans la ligne de conduite adoptée jusqu’alors. Il n’a pas agi de manière diligente dans le but de protéger les intérêts qu’avaient les Indiens sur les terres mises de côté, provisoirement, à titre de réserves. Chaque fois qu’il y avait un désaccord, le Dominion cédait aux pressions de la province. Le Dominion avait déjà trahi les groupes auxquels la CMRI avait attribué des réserves en renonçant à la condition voulant qu’ils consentent aux réductions ordonnées par la Commission McKenna-McBride. Les terres attribuées étaient occupées par des groupes indiens particuliers et étaient en fait administrées par un ministère du gouvernement fédéral. Voilà un exemple flagrant de mauvaise foi.

[279]  Le fait que la Loi des sauvages ne s’appliquait pas à l’époque n’a aucune incidence sur le degré de culpabilité du gouvernement fédéral. Ce fait n’a été connu qu’en 2002, alors que l’arrêt Wewaykum de la Cour suprême du Canada a été publié.

[280]  Il n’est pas nécessaire d’examiner les ouvrages pour constater que la Couronne avait éliminé l’exigence selon laquelle les Indiens devaient consentir aux réductions ordonnées par la Commission McKenna-McBride. Les documents pertinents sont au dossier.

[281]  L’exigence de consentement s’appliquait aux réductions ordonnées par la Commission McKenna-McBride. Si les dispositions de la Loi des sauvages relatives à la cession des terres s’appliquaient aux réductions de la Commission McKenna-McBride, les Akisq’nuk devaient s’attendre à ce qu’elles s’appliquent aussi aux terres additionnelles attribuées par la Commission. 

[282]  Le manque de diligence et le non-respect de la promesse dont il a été question ont eu pour effet de déshonorer la Couronne pendant presque toute la période allant de 1871 à 1938.

[283]  Ma décision n’est toutefois pas fondée sur autre chose que la preuve au dossier, laquelle permet, lorsqu’on l’examine dans le contexte établi par les ouvrages cités, de procéder à l’analyse des obligations fiduciaires fondée sur les sources des obligations fiduciaires qui est expliquée dans l’arrêt Manitoba Métis Federation.

D.  Honneur de la Couronne et obligation fiduciaire

[284]  Toujours en ce qui concerne l’honneur de la Couronne, la Cour suprême du Canada a apporté des précisions sur l’obligation fiduciaire fondée sur les engagements pris « […] à l’égard des peuples autochtones […] » :

Dans le contexte autochtone, une obligation fiduciaire peut naître du fait que la « Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers » (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, par. 18). Il est alors nécessaire de s’attacher à l’intérêt particulier qui est l’objet du différend (Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 R.C.S. 245, par. 83). Le contenu de l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones varie selon la nature et l’importance des intérêts à protéger (Wewaykum, par. 86).

Une obligation fiduciaire peut également découler d’un engagement si les trois éléments suivants sont réunis : 

(1) un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable.

(Alberta c. Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 R.C.S. 261, par. 36) [Manitoba Métis Federation, par 49, 50]

[285]  En résumé, un engagement clair et fondé sur la Constitution, pris par le gouvernement envers les peuples autochtones, peut donner naissance à une obligation fiduciaire sans qu’il y ait renonciation expresse à tous les autres intérêts susceptibles d’être touchés.

[286]  La revendicatrice a demandé au Tribunal, au paragraphe 75 de son mémoire des faits et du droit, de conclure à l’existence d’une obligation fiduciaire sur ce fondement précis.

[287]  S’agissant de l’obligation fiduciaire, la question en l’espèce consiste à savoir s’il y avait un engagement « […] à l’égard des peuples autochtones compte tenu des obligations de la Proclamation royale de 1763 […] et la Loi constitutionnelle de 1982 imposent au gouvernement et des facteurs semblables à ceux que l’on trouve dans le secteur privé […] » (Elder Advocates, par 48). Dans l’affirmative, les conditions d’un engagement sont « remplies ».

E.  Manitoba Métis Federation : aucune obligation fiduciaire

[288]  S’agissant de la présente affaire, il est utile de se demander pourquoi, dans l’arrêt Manitoba Métis Federation, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’existait aucune obligation fiduciaire. Il a été conclu que le retard dans la mise en œuvre de la Manitoba Act équivalait à un manquement à l’honneur de la Couronne. Il y a eu manquement à l’obligation d’exécuter avec diligence une promesse constitutionnelle et il n’y avait aucun recours fondé sur l’equity puisque : 

Le fait que les Métis soient des Autochtones et qu’ils aient un intérêt sur les terres ne suffit pas à établir l’existence d’un intérêt autochtone sur les terres. L’intérêt (qu’il s’agisse d’un titre ou de tout autre droit) en question doit être distinctement autochtone; il doit s’agir d’un intérêt autochtone collectif sur les terres qui fait partie intégrante du mode de vie distinctif des Métis et de leurs rapports avec le territoire : voir R. c. Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 R.C.S. 207, par. 37. La principale question à trancher est donc celle de savoir si, en tant que collectivité, les Métis avaient un intérêt autochtone particulier ou identifiable sur les terres visées aux art. 31 ou 32. [Italiques dans l’original; Manitoba Métis Federation, par 53]

[289]  En l’espèce, l’intérêt sur les terres additionnelles revendiqué par la revendicatrice est un intérêt autochtone collectif. L’intérêt autochtone sur les réserves est le même que l’intérêt sur les terres visées par un titre ancestral (Guerin, p 379).

[290]  Dans l’arrêt Manitoba Métis Federation, la Cour s’est ensuite penchée sur la question de savoir si la Couronne était tenue à des obligations fiduciaires même s’il avait été conclu que l’intérêt revendiqué n’était pas un intérêt autochtone.

[291]  Comme l’intérêt revendiqué dans l’arrêt Manitoba Métis Federation n’était pas de nature autochtone, un autre facteur devait être pris en considération :

Il s’agit en premier lieu de déterminer si un engagement a été établi. Pour que les obligations de la Couronne acquièrent le statut d’obligations fiduciaires, le pouvoir assumé par la Couronne doit être assorti d’un engagement à agir avec loyauté au mieux des intérêts des bénéficiaires, qui est de la nature d’une obligation de droit privé (Guerin, p. 383-384). De plus, « [l]a partie invoquant l’obligation doit pouvoir démontrer que, relativement à l’intérêt juridique particulier en jeu, le fiduciaire a renoncé aux intérêts de toutes les autres parties en faveur de ceux du bénéficiaire » : Elder Advocates, par. 31. [Je souligne; par 61]

[292]  La Cour a conclu ce qui suit :

Bien que l’art. 31 révèle une intention de procurer un avantage aux enfants des Métis, il ne démontre l’existence d’aucun engagement à agir au mieux de leurs intérêts, qui aurait préséance sur toute autre préoccupation légitime — telle que la préoccupation de disposer des terres nécessaires pour la construction d’un chemin de fer et celle d’ouvrir davantage le Manitoba à la colonisation. De fait, le pouvoir discrétionnaire de déterminer « le mode et [les] conditions d’établissement et autres conditions » conféré par l’art. 31 est incompatible avec l’obligation de loyauté et l’intention d’agir au mieux des intérêts du bénéficiaire en renonçant à tous les autres intérêts. [Manitoba Métis Federation, par 62]

[293]  Contrairement à ce que prévoit l’article 31, il n’y a rien dans l’article 13 qui obligeait le Dominion à tenir compte des intérêts des colons. Contrairement au Manitoba, le Canada n’avait aucun intérêt juridique sur les terres. En ce qui concerne le Canada et la colonie, le titre appartenait à cette dernière. Il incombait à la nouvelle province, établie en 1871, d’attribuer des terres destinées à la colonisation. L’ouverture des terres à la colonisation était entièrement laissée à la discrétion de la province.

[294]  Bien que la question du titre ancestral ait plané sur la colonie — et après la Confédération, sur la province — l’existence de ce titre a été expressément niée. Le Dominion ne s’est pas préoccupé de cette question, même s’il avait reconnu que les Indiens avaient un intérêt dans les terres des Prairies.

[295]  Contrairement au Dominion, la province était tenue, en vertu des Conditions de l’adhésion, de donner effet à l’intérêt autochtone. L’article 13 a donné lieu à une obligation constitutionnelle selon laquelle la province devait transférer des terres « […] au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral […] ». L’obligation concomitante du Dominion qui consistait à détenir les terres en fiducie ne laissait aucune place à une loyauté partagée. L’article 13 a eu pour effet de constituer la Couronne fédérale comme intermédiaire exclusif des Indiens (Wewaykum, par 93). S’il était nécessaire de renoncer à tous les autres intérêts pour établir l’existence des obligations liées à un engagement, c’est exactement ce que faisait l’article 13 dans les circonstances.

[296]  Dans l’arrêt Manitoba Métis Federation, l’intérêt qu’avait le Dominion dans l’établissement d’un chemin de fer transcontinental militait contre l’existence d’une obligation fiduciaire. Cependant, en Colombie-Britannique, l’arrangement constitutionnel était énoncé à l’article 11 des Conditions de l’adhésion. La province devait transférer au Dominion les terres nécessaires, connues sous le nom de « zone de chemin de fer », ce qu’elle a fait. Le Dominion devait construire le chemin de fer. La Couronne fédérale n’avait pas à négocier avec la province pour créer des réserves dans la zone de chemin de fer puisque ces terres lui appartenaient.

F.  Promesse ayant la valeur constitutionnelle

[297]  L’article 13, comme condition de l’union de l’ancienne colonie avec le Dominion, a valeur constitutionnelle.

[298]  Les terres devant servir à l’établissement de réserves devaient être transférées au Canada « au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral ».

[299]  La Couronne agissait comme intermédiaire exclusif auprès de la province. Les groupes autochtones de la Colombie-Britannique étaient « […] entièrement tributaires de la Couronne pour que le processus de création des réserves aboutisse » (Wewaykum, par 89). La Couronne (Canada) avait, par ses actes, promis d’agir dans l’intérêt de ceux à l’usage et au profit de qui elle allait détenir les terres « en fiducie ». La Couronne devait représenter les intérêts des Autochtones pour s’acquitter de son obligation constitutionnelle.

[300]  La promesse était un engagement unilatéral qui, dans les circonstances, ressemblait à une obligation de droit privé. La revendicatrice fait partie du groupe autochtone qui a le droit de tirer avantage de l’engagement.

X.  Question des terres additionnelles

[301]  En droit des fiducies, quand un pouvoir est conféré par un acte de fiducie, le fiduciaire doit se demander s’il devrait ou non exercer le pouvoir qui lui est conféré lorsque les circonstances le justifient (voir Donovan W M Waters, Waters’ Law of Trusts in Canada, 4e éd (Toronto : Carswell, 2012) p 988 à 991). Les circonstances envisagées par l’article 13 — un désaccord entre les gouvernements fédéral et provincial — se sont présentées à maintes reprises. Rien n’indique que le Dominion a songé à soumettre ses désaccords avec la province au secrétaire d’État pour les colonies.

[302]  Il n’y a aucune raison apparente qui explique pourquoi ce recours, s’il avait été envisagé, n’aurait pas pu ou n’aurait pas dû être exercé.

[303]  Le Dominion pouvait soumettre le désaccord relatif aux terres additionnelles attribuées à la Première Nation d’Akisq’nuk et aux autres bandes au secrétaire d’État pour les colonies jusqu’au 19 juillet 1924, soit la date du décret acceptant le rapport de la Commission tel que modifié. Il est indiqué dans le rapport du comité spécial que [traduction] « […] M. le juge Newcombe, qui était alors le sous-ministre de la Justice […] » était d’avis que l’acceptation officielle du rapport le 19 juillet 1924 aurait pour effet « […] d’exclure les demandes présentées par l’un ou l’autre gouvernement en vue d’obtenir de meilleures conditions ou d’autres conditions ».

[304]  Rien dans l’article 13 ne laisse entendre que la « question des terres indiennes » devait être soumise au secrétaire dans sa totalité. Au contraire, l’article 13 précise que les « désaccords » devaient lui être soumis Le Dominion aurait pu soumettre la question de l’ajout des 2 960 acres de terre à la RI 3 au secrétaire tout en prenant les mesures nécessaires pour « finaliser » le transfert des réserves qui ne faisaient pas l’objet d’un désaccord. Rien dans le dossier ou dans les ouvrages n’indique que le gouvernement du Dominion ait songé à proposer cette solution à la province dans le but de régler le désaccord. 

[305]  S’agissant de l’obligation fiduciaire, laquelle peut naître dans les deux cas précisés aux paragraphes 49 et 50 de l’arrêt Manitoba Métis Federation, j’estime que la Couronne était tenue de proposer que le désaccord entre Ditchburn et Clark au sujet de l’ajout de 2 960 acres de terre à la RI 3 soit soumise à la décision du secrétaire d’État pour les colonies, comme le prévoyait l’article 13. Au lieu de cela, elle a troqué l’obligation qu’elle avait envers la revendicatrice contre ce qui pourrait bien avoir été un compromis politique inutile.

[306]  On peut conclure, au regard des négociations tenues entre les gouvernements fédéral et provincial, que la province n’aurait pas accepté de renvoyer l’affaire au secrétaire, mais le gouvernement fédéral aurait pu le faire seul.

[307]  Il ne suffit pas de répondre que le Dominion, à titre de fiduciaire, avait songé à en référer à la décision du secrétaire et avait décidé de ne pas le faire, ou que le secrétaire n’aurait peut-être pas résolu le désaccord en sa faveur. Donner au fiduciaire le bénéfice du doute aurait pour effet de récompenser l’inaction lorsqu’il y a une obligation d’agir.

[308]  En outre, il faut se rappeler que Ditchburn était prêt à accepter le fait que Clark ait annulé l’attribution des terres additionnelles à la condition qu’un pâturage communal soit établi pour les Kootenays et les Shuswaps, comme l’avait promis Clark. Cependant, cette promesse ne s’est jamais concrétisée. Le Dominion n’a pas exercé de pressions sur la province pour que celle-ci remplisse sa promesse et, après le 19 juillet 1924, il ne pouvait plus le faire. Ce fait n’a pas été invoqué pour justifier la présente revendication. Je le mentionne simplement parce qu’il s’inscrit dans la ligne de conduite adoptée la plupart du temps par le Dominion au cours de la période s’étalant de 1871 à 1923.

XI.  question du levé d’arpentage

[309]  Les terres attribuées par O’Reilly en 1885 servaient habituellement pour l’élevage du bétail et l’accès au bois. Elles étaient identifiables puisqu’elles étaient décrites par tenants et aboutissants. Le CCTT, bien qu’il ait initialement été réticent, a donné son approbation. La revendicatrice avait un intérêt identifiable.

[310]  La Couronne avait un pouvoir discrétionnaire à l’égard des terres attribuées. Les conséquences de l’arpentage de 1887 étaient connues puisque l’arpenteur avait signalé le rajustement des lignes de levé au CCTT, qui en a certainement informé son homologue fédéral. L’agent des Indiens savait que le changement apporté par l’arpenteur avait pour effet de réduire la superficie de la réserve et a affirmé devant la Commission qu’il s’agissait d’une erreur.

[311]  Les terres perdues du coté est de la réserve provisoire formaient deux parcelles, totalisant 960 acres. Il y a eu un gain de 219 acres au sud, d’où une perte nette de 741 acres à l’est. Or, la superficie inscrite dans le rapport de décision préparé par O’Reilly était de 8 320 acres alors que, selon l’arpentage, la région occupait une superficie de 8 456 acres, ce qui représentait un gain net de 136 acres. Cet écart n’est pas expliqué dans la preuve. Peut-être que le calcul d’une superficie fondé sur un arpentage est plus précis que celui fondé sur une description par tenants et aboutissants.

[312]  La superficie du territoire perdue était facilement identifiable. L’erreur aurait pu être corrigée tout aussi facilement.

[313]   L’arpenteur a rajusté les lignes de levé en toute bonne foi, car il était convaincu que ce rajustement se traduirait par un plus grand nombre de pâturages dans la réserve, et ce fut le cas. L’arpenteur a indiqué que les membres locaux étaient satisfaits de la zone qu’il avait délimitée.

[314]  La conversation que l’arpenteur a eue avec les membres de la bande ne signifiait pas que la bande approuvait officiellement les changements apportés aux limites. Les représentants gouvernementaux étaient au courant de l’erreur. Il appartenait au Dominion de demander une correction. On peut supposer que la province aurait été d’accord. Le commissaire O'Reilly (CMRI), qui a attribué la réserve décrite par tenants et aboutissants, avait été nommé conjointement par le Dominion et la province, et le CCTT avait approuvé l’attribution.

[315]  Il convient toutefois de souligner que c’est en partie à cause de la réduction de la superficie des terres attribuées du côté est de la réserve à la suite de l’arpentage que la Commission McKenna-McBride a ordonné l’ajout. Les terres additionnelles étaient composées de 360 acres de terres « perdues » à la suite de l’arpentage, et de 2 600 acres de terres additionnelles.

[316]  La possibilité qu’il y ait double indemnisation, si l’indemnité est fondée sur la perte de terres par suite de l’arpentage et sur la perte des terres additionnelles, est une question dont il faudra traiter à l’étape de l’indemnisation.

XII.  décision

A.  Terres additionnelles

[317]  La revendicatrice a démontré qu’il y avait eu manquement à l’obligation légale au sens de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP. La revendication est valide.

B.  Terres arpentées

[318]  La revendicatrice a démontré qu’il y avait eu un manquement à l’obligation légale au sens de l’alinéa 14(1)c) de la LTRP. La revendication est valide.

XIII.  post-scriptum

[319]  Voici un post-scriptum à l’histoire, lequel n’a aucune incidence sur les conclusions susmentionnées.

[320]  En 1978, sous les ordres de feu George Watts, chef de la nation Nuu-Chah-Nulth, et de feu Joe Mathias, chef de la nation Squamish, les 22 bandes qui ont perdu des terres parce que le Canada a accepté les recommandations de la Commission McKenna-McBride ont conclu une entente avec la province de la Colombie-Britannique et le Canada dans le but de régler leurs revendications. Les terres qui se trouvaient en la possession de la province devaient retourner à leurs bandes respectives. Dans les cas où les terres ont été vendues à des intérêts privés, le Canada devait verser une indemnité.

[321]  Toutes les revendications ont été réglées. Le dernier règlement a eu lieu en novembre 2008.

HARRY SLADE

L’honorable Harry Slade, président

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20160205

Dossier : SCT-7006-12

OTTAWA (ONTARIO), le 5 février 2016

En présence de l’honorable Harry Slade

ENTRE :

PREMIÈRE NATION D’AKISQ’NUK

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX:

Avocats de la revendicatrice PREMIÈRE NATION D’AKISQ’NUK

Représentée par Me Darwin Hanna, Me Adam Munnings et Me Katrina Harry

Callison & Hanna, avocats

ET AUX:

Avocats de l’intimée

Représentée par Me Christa Hook, Me Deborah McIntosh et Me Brett Nash

Ministère de la Justice

 



* Remarque sur la terminologie : les termes « Autochtone », « Sauvage » et « Indien » sont utilisés dans la présente décision, selon le contexte. Le terme « Indien » est utilisé tel qu’il l’était en droit et dans l’histoire, mais cela ne signifie pas que le Tribunal souscrit au fait qu’il soit utilisé de nos jours.

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