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 DOSSIER: SCT-7004-12     

RÉFÉRENCE: 2015 TRPC 5

DATE: 20151019

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

NATION DE LAKE BABINE

Revendicatrice

 

Maria Morellato, c.r., et Leah Pence, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Tanya Jorgenson et Micheal Mladen, pour l’intimée

 

 

Audience tenue les 15 et 16 octobre 2014 et les 11 et 12 février 2015

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Harry Slade, président


Note : Le présent document pourrait faire l’objet de modifications de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Canada c Première Nation de Kitselas, 2014 CAF 150, [2014] 4 CNLR 6; Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 1; Bande indienne de Williams Lake c Canada, 2014 TRPC 3; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Manitoba Métis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623; Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25; Première Nation de Lac Seul c Canada, 2009 CF 481, 348 FTR 258 (CAF); Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321.

Lois et règlements cités :

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22, art 14.

Loi des Indiens, SRC 1927, ch 98.

Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, 1871, art 13.

Land Act, RSBC 1908, ch 30.

Indian Affairs Settlement Act, SBC 1919, ch 32.

Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie-Britannique, SC 1920, ch 51.

Loi constitutionnelle, 1867, art 91.

Doctrine cité :

Black’s Law Dictionary, 10e éd, sub verbo « cognizable » (identifiable)  

Sommaire :

Droit autochtone – Revendications particulières – Loi sur le Tribunal des revendications particulières – Obligation fiduciaire – Commission McKenna-McBride – Création de réserves – Réserves provisoires – Histoire orale – Utilisation et occupation – Droit identifiable –Intérêt

La présente revendication particulière découle du fait que des représentants du gouvernement ont omis de constituer en réserve certaines terres situées au sud de la rivière Fulton au profit de la nation de Lake Babine. Une réserve avait été mise de côté sur la rive nord de la rivière, mais la nation de Lake Babine affirme que les terres situées sur la rive sud devaient aussi faire partie de la réserve. La Première Nation revendicatrice cherche à être indemnisée des pertes résultant de la « violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve », en application de l’alinéa 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières.

La revendicatrice soutient qu’elle avait un droit identifiable sur les terres situées au sud de la rivière du fait qu’elle les utilisait et les occupait depuis longtemps et que la Commission royale (McKenna-McBride) avait reconnu ce droit. La Commission avait ordonné que les terres situées au nord et au sud de la rivière Fulton soient protégées contre l’aliénation en attendant qu’elle rende sa décision finale sur les demandes de la revendicatrice visant à obtenir des terres de réserve, mais le lot nord faisait l’objet d’une demande d’achat et la Commission, dans son rapport final de 1916, a ordonné la création d’une réserve sur le lot sud seulement. Avant que la réserve soit arpentée, le lot nord a été rétrocédé à la province et l’arpenteur a reçu instruction d’arpenter le lot nord au lieu du lot sud. La revendicatrice affirme que le rapport final de la Commission a eu pour effet de créer une réserve provisoire sur le lot sud pour son usage et son profit et qu’il prouve que la Couronne avait l’intention de fournir des terres au nord et au sud de la rivière à titre de réserve. Elle prétend que la Couronne a manqué à son obligation fiduciaire en omettant de contester la demande d’achat qui visait le lot nord en 1916, en omettant de s’assurer qu’une réserve soit établie sur les terres situées des deux côtés de la rivière Fulton, en omettant de contester l’arpentage des terres situées au nord et en omettant de corriger l’erreur de ne pas inclure le lot sud quand elle s’est rendu compte de l’erreur.

La Couronne s’est acquittée de ses obligations en l’espèce. Aucune preuve fiable ne permet d’établir que les terres situées au sud de la rivière étaient occupées à des fins résidentielles entre 1915 et 1927, et la Commission n’a reçu aucune preuve selon laquelle les terres situées au sud étaient réellement utilisées, et pas seulement pour couper du bois afin de construire des maisons. La province et le Canada ont agi dans l’intérêt de la revendicatrice en créant une réserve au nord de la rivière Fulton puisque c’est là que les membres de la nation avaient, depuis longtemps, établi leur résidence et qu’ils avaient accès aux pêcheries. Si la Couronne avait contesté la demande d’achat avec succès, le résultat aurait été le même, soit la création d’une réserve là où les Autochtones avaient depuis longtemps établi leur résidence.

Il n’était pas prévu ni envisagé que les terres situées des deux côtés de la rivière Fulton constituent des terres de réserve. La Commission avait pris des mesures pour que les terres situées sur la rive nord soient disponibles pour l’établissement d’une réserve si la demande d’achat était abandonnée. Le lot nord est devenu disponible de sorte que les terres situées au sud de la rivière n’étaient plus nécessaires. 

Arrêt : La Couronne n’a pas manqué à son obligation légale de fournir des terres de réserve à la revendicatrice.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. historique  7

A. La revendication  7

B. Preuve  7

1. Exposé conjoint des faits  7

2. Preuve documentaire  8

3. Histoire orale et souvenirs des événements  8

4. Les journaux du fort Kilmaurs  12

5. Réserves établies  13

6. Demandes de terres des colons  14

7. Demandes et arpentages  15

8. Accord McKenna-McBride de 1912  16

9. Réserves identifiées jusqu’ en 1913  17

10. Ordonnances de la Commission et décisions définitives  17

11. Examen par Ditchburn et Clark  26

12. Arpentage de 1927 : « relocalisation » du lot 1353  27

13. Occupation des terres situées au sud de la rivière Fulton  31

a) 1915  31

b) 1928  31

14. Tachet et Topley Landing  36

15. Recours aux déclarations solennelles de 1948  36

a) Thèse de la revendicatrice  36

b) Les déclarations solennelles de 1948  36

i) Rosie Leon  36

ii) Daniel Leon  37

iii) Paddy Leon  37

iv) Jim Charley  37

C. Analyse de la preuve et conclusions de fait  37

1. Résidences à Tachet, 1915-1927  37

2. Utilisation et occupation traditionnelles  38

3. L’attribution de la Commission McKenna-McBride  40

4. La « relocalisation » du lot 1353  42

5. Désignation des terres arpentées comme lot 1353  43

II. questions en litige  44

A. Principale question en litige  44

B. Manquements  44

III. obligation légale  45

IV. obligations fiduciaires et faits  46

A. Défaut de contester la demande présentée par Cronin afin que la Couronne lui cède le lot 1610A et de s’assurer qu’une réserve soit établie sur les terres situées des deux côtés de la rivière Fulton  46

B. Défaut de s’assurer que la réserve comprenait les terres du sud  47

1. Droit identifiable fondé sur l’utilisation et l’occupation traditionnelles  47

2. Titre ancestral et droit identifiable  49

3. Pouvoir discrétionnaire  49

C. Territoires et réserves traditionnels  49

D. Obligations de la Couronne et réserves provisoires  50

E. Intérêt de la revendicatrice  50

F. Défaut de corriger son erreur  51

V. décision  52


 

I.  historique

A.  La revendication

[1]  La revendication découle du fait que des représentants du gouvernement, y compris ceux qui représentaient la Couronne (Canada), ont omis de constituer en réserve certaines terres situées juste au sud de la rivière Fulton. La Première Nation revendicatrice cherche à être indemnisée des pertes résultant de la « violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non-fourniture de terres d’une réserve », en application de l’alinéa 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22 [LTRP].

[2]  Une réserve, située au nord de la rivière, avait été mise de côté pour l’usage et le profit de la tribu d’Hagwilget. Cette tribu a ensuite été divisée en sous-groupes de manière à relever de l’administration fédérale en vertu de la Loi des Indiens, RSC 1927, ch 98. La bande de Lake Babine est l’un de ces sous-groupes. Par conséquent, la réserve actuelle qui se trouve à l’embouchure de la rivière Fulton est détenue par le Canada à l’usage et au profit de cette bande. La revendication porte sur les terres situées au sud de la rivière Fulton (les « terres du sud »). Selon elle, ces terres devaient faire partie de la réserve et le fait qu’elles n’en fassent pas partie constitue un manquement aux obligations légales de la Couronne.

[3]  La nation de Lake Babine a présenté une revendication particulière au ministre en juin 1997, faisant valoir que la Couronne avait manqué à son obligation fiduciaire envers elle en ne protégeant pas le lot 1610A, le lot 1353 et la moitié est du lot 1354 et en ne faisant pas de ces lots une réserve.

[4]  Le 25 mai 2011, le ministre a avisé par écrit la nation de Lake Babine de son refus de négocier le règlement de la revendication.

B.  Preuve

1.  Exposé conjoint des faits

[5]  Les parties ont conclu une entente exhaustive sur les faits relatifs aux événements entourant la création d’une réserve là où la rivière Fulton se déverse dans le lac Babine. Bien que les faits y soient exposés avec un niveau de détail qu’il n’est pas nécessaire de reprendre dans les motifs de la décision, j’ai tout de même intégré une bonne partie des renseignements contenus dans l’entente. Certains éléments de la preuve sont textuellement tirés de l’exposé conjoint des faits alors que d’autres sont simplement résumés.

2.  Preuve documentaire

[6]  Le recueil conjoint des documents (RCD) renferme 328 documents. Les parties ont déposé des listes supplémentaires comptant 37 documents. Le rapport de 1916 de la Commission royale des affaires des sauvages pour la province de la Colombie-Britannique (le rapport McKenna-McBride) a été déposé séparément. Les documents appuient généralement les faits énoncés dans l’exposé conjoint et ajoutent un nombre considérable de détails. Certains d’entre eux portent sur les coutumes et protocoles de la collectivité revendicatrice.

3.  Histoire orale et souvenirs des événements

[7]  Warner Adam a témoigné pour la revendicatrice. Il est membre de la nation de Babine Lake, la revendicatrice, depuis sa naissance en 1965. À l’instar de ses parents et de ses grands-parents, M. Adam a grandi sur les terres utilisées et occupées par le peuple de Lake Babine. Grâce aux enseignements des aînés, transmis oralement, et à sa participation aux fêtes et aux potlachs, il a acquis des connaissances quant aux traditions, à la gouvernance et à l’utilisation des terres et des ressources.

[8]  Après avoir terminé ses études secondaires, M. Adam a fait des études universitaires en administration des affaires et il a ensuite obtenu un certificat en administration des gouvernements autochtones.

[9]  M. Adam a occupé divers postes en administration des bandes. En 1984 et en 1985, il travaillait pour le Conseil tribal des Carrier Sekani en tant que chercheur dans le cadre d’une étude sur l’utilisation traditionnelle des terres. À ce titre, il a interrogé des aînés, y compris des chefs héréditaires, à propos de l’utilisation et de la gouvernance traditionnelles des terres et des ressources.

[10]  Dans le système de clans, les chefs héréditaires ont des pouvoirs et des responsabilités à l’égard de certaines parties distinctes du territoire considéré comme étant le territoire traditionnel du groupe autochtone dont les membres sont unis par une langue et une culture communes. Aujourd’hui, l’ordre dans lequel les membres du groupe s’assoient et les protocoles qu’ils adoptent à la maison témoignent de leur place dans la hiérarchie traditionnelle et ce leur lien avec certains endroits sur le territoire. Pour s’acquitter de leurs rôles, ils recueillent l’histoire de leur tribu et les paroles des chefs, des aînés et d’autres personnes respectées lors des fêtes et des potlachs, puis ils les partagent avec leur famille.

[11]  M. Adam a expliqué comment le territoire était divisé entre les quatre clans — les sous-clans — et les responsabilités des chefs de clans. Les terres en cause se trouvent sur le territoire du clan de l’Ours. Il a décrit la région qui se trouve juste au nord et au sud de l’embouchure de la rivière Fulton comme étant « Tachet », un des cinq villages actuellement occupés par le peuple de Lake Babine. Dans sa jeunesse, la région était connue sous le nom de « Topley Landing ». 

[12]  Quand il était enfant, M. Adam a visité Louise Michell, une amie et contemporaine de sa grand-mère. Sa cabane existe encore aujourd’hui et se trouve juste à côté d’une passerelle qui mène à l’île située à l’embouchure de la rivière Fulton. John Baptiste (Paddy) Leon avait une maison, un fumoir et une cache à poisson sur cette île.

[13]  Certains individus sont actuellement connus comme étant les chefs responsables du village de Tachet. Ils sont par ailleurs des descendants de Charlie Pice, qui a témoigné devant la Commission en 1915, et de ses enfants, Rosie Leon et Lazalle Charlie.

[14]  M. Adam a identifié plusieurs familles ayant un lien ancestral avec le village de Tachet et ses maisons, notamment Louise Michell, Lawrence Tom et Lazalle Charlie. Daniel Leon, un haut chef du peuple de Lake Babine, a épousé une femme de la communauté locale de Tachet et y résidait avec sa famille.

[15]  En 1984, alors qu’il avait 19 ans, M. Adam a interrogé Mary Williams et Lazalle Charlie, le fils de Charlie Pice, en carrier. Il a procédé à ces interrogatoires dans le cadre de sa recherche sur les traditions ainsi que sur l’utilisation et l’occupation du territoire traditionnel. Les deux personnes interrogées étaient des octogénaires et elles sont décédées depuis. La traduction anglaise des interrogatoires a été déposée en preuve en l’espèce.

[16]  Mme Williams et M. Charlie ont parlé des méthodes de pêche traditionnelles utilisées à Tachet et ailleurs sur le territoire. Ils ont raconté comment les colons avaient épuisé les ressources en poisson et en gibier qui assuraient leur subsistance et de quelle façon l’ingérence des représentants du gouvernement dans la récolte avait nui à leurs activités de pêche.

[17]  La rivière Fulton favorise le frai de plusieurs espèces de poissons, dont le saumon. Les terres entourant Tachet étaient des territoires de chasse.

[18]  Mme Williams et M. Charlie ont parlé de leur lien ancestral et personnel avec le village, Tachet.

[19]  Mme Williams a dit entre autres :

[traduction]

Depuis comment de temps habitez-vous à Tachet?

Quoi?

Depuis comment d’années habitez-vous là?

Depuis assez longtemps, depuis que j’ai épousé mon premier mari. Vous connaissez le père de Madeline? Je pense que j’ai déménagé ici quand j’avais quatorze ans et j’y suis toujours. Mon oncle Charlie C’o habitait ici avant moi. Il était ici pour s’occuper de ses parents quand nous avons déménagé. Ce sont là les principales raisons pour lesquelles nous sommes venus ici. Nous avons toujours habité ici, et nulle part ailleurs.

Il y a longtemps, nos ancêtres utilisaient aussi ces terres?

Oui[.] Il y a de nombreuses années, notre peuple utilisait toutes ces terres, mais comme je vous l’ai déjà dit, ce vieil homme, mon oncle Charlie C’o, il était le seul à habiter ici avec ses parents. Ils habitaient ici à l’année longue. Ils avaient une maison sur le bord du lac. [Pièce 5, à l’onglet 10]

[20]  L’oncle de Mme Williams était Charlie Pice, aussi connu sous le nom de Charlie C’o. Comme nous le verrons plus loin, Charlie Pice occupe une place importante dans l’histoire de l’occupation de Tachet au début des années 1900.

[21]  M. Adam croit que Lazalle Charlie avait près de 90 ans quand il l’a interrogé en 1984. Il avait donc à peine vingt ans en 1917.

[22]  Lazalle Charlie a dit qu’il savait, en 1917, qu’une grande réserve avait été promise près de Tachet. Voici ce qu’il a dit :

[traduction]

Je suis sur cette terre depuis bien des années et je me souviens, cette terre où nous habitons aujourd’hui, nous y avons déménagé le 28 janvier 1928. Mon père Charlie, aujourd’hui décédé, habitait sur cette terre bien avant tout le monde, aimeriez-vous entendre cette histoire?

[...]

[...] mon père s’appelait Charlie et bob Charlie est mon frère, tout comme Jim Charlie et Pierre Charlie. Pierre Charlie a grandi sur cette terre et il y réside toujours. En 1917, quand la terre est devenue une réserve, personne n’utilisait de bateau à moteur. Nous n’avions que des pagaies et nous nous déplacions en ramant. Il y avait un homme appelé M. Hyde, et un autre, M. Loring ils étaient des agents des Indiens de Hazelton. M. Loring était un agent adjoint et, lorsqu’ils sont arrivés par bateau à Topley Landing, ils ont ramé jusqu’ici, c’était le 18 août 1917. Ils ont rencontré mon frère Bob Charlie à Four mile et ils en ont parlé. Bob pouvait parler anglais et ils ont parlé de créer une réserve à partir de l’autre côté du ruisseau jusqu’à Four mile, toute la région de Topley Landing, cinq milles en direction du lac et quatre milles vers le nord. Cette réserve devait avoir une superficie de huit milles carrés et à cause des gens de la compagnie forestière, la réserve était plus petite que ce qui avait été convenu. Il y avait un homme, appelé M. Moore, qui travaillait pour la compagnie forestière, il a commencé à récolter le bois qui se trouvait sur notre réserve et l’agent des Indiens, M. Loring, l’a rencontré et lui a dit de ne pas faire ça et que cette réserve était trop petite, même pas 160 acres, regarde tous ces gens, ils doivent survivre et travailler, soit en pêchant ou en récoltant le bois. Ces ressources appartiennent à notre peuple. Voilà ce que j’ai dit à cet agent des Indiens. Cette réserve devait appartenir à notre peuple. Est-ce que cela n’inclut pas aussi les ressources? Voilà ce que j’ai dit à cet agent et je suis toujours sur cette terre aujourd’hui […] [Pièce 5, à l’onglet 11; je souligne.]

[23]  Lors du contre-interrogatoire, M. Adam a convenu que Mary Williams avait dit que [traduction] « mon oncle, Charlie C’o (“Pice”), il était le seul à habiter ici avec ses parents […] » (je souligne). Il a également convenu que Lazalle Charlie avait dit ceci : [traduction] « cette terre où nous habitons aujourd’hui, nous y avons déménagé le 28 janvier 1928. Mon père Charlie, aujourd’hui décédé, habitait sur cette terre bien avant tout le monde » (je souligne). Les éléments de preuve sont contradictoires quant à l’emplacement du « ici » dont parlent Mary Williams et Lazalle Charlie. S’agissait-il des terres au nord de la rivière Fulton ou des terres du sud?  

[24]  De façon plus générale, le témoignage de Warner Adam et les interrogatoires de Mary Williams et Lazalle Charlie révèlent que le peuple d’Hagwilget était présent sur la rive ouest du lac Babine depuis longtemps et qu’il utilisait la rivière Fulton de façon saisonnière pour pêcher, surtout durant le frai. C’est à cet endroit qu’était situé le village de Tachet.

[25]  Aucune réserve n’a été attribuée à cet endroit lors de la première série d’attributions de réserves ayant eu lieu après la Confédération, bien qu’en 1891, des réserves ont été attribuées à la tribu d’Hagwilget ailleurs le long du lac Babine.

4.  Les journaux du fort Kilmaurs

[26]  En 1822, l’agent principal de la Compagnie de la Baie d’Hudson, William Brown, a établi le fort Kilmaurs à l’extrémité nord du lac Babine. Dans ses journaux, il appelle « Tatchy » le premier village de la région du lac Babine qu’il a croisé quand, le 23 octobre 1822, il a campé sur la rive ouest du lac Babine. Il a décrit Tatchy de la façon suivante : 

[traduction]

À propos des Babine du lac

Il y a trois villages sur les rives de ce lac et ils comptent environ deux cent cinquante personnes […] Ces trois villages sont les suivants : Tatchy qui est situé à l’entrée d’une petite rivière sur la rive sud, à environ soixante milles de Portage. Anciennement, cet endroit était le lieu de rassemblement de nombreuses bandes de Sauvages, mais depuis les dernières années, il ne reste que quatre familles et quelques traînards qui y résident occasionnellement – les saumons remontent cette rivière en grand nombre et sont beaucoup plus faciles à pêcher que dans la rivière Babine. [Pièce 4, à l’onglet 16; je souligne]

[27]  Brown souligne qu’au cours des quelques années suivantes, les occupants du village faisaient le commerce du poisson, de la martre et du castor. Les noms des chefs de famille ont été enregistrés, de même que les déplacements saisonniers des occupants du village qui allaient chasser. Il est donc possible de faire remonter les origines des membres actuels de la nation de Lake Babine, plus particulièrement du clan de l’Ours, aux personnes nommées dans les journaux. 

[28]  Le fort Kilmaurs a été fermé en 1891.

[29]  Le père A.G. Morice des Oblats de Marie Immaculée a indiqué, sur une carte datant de 1907, que « Tachek » se trouvait sur la rive sud-ouest du lac Babine, à l’embouchure de la rivière Fulton.

[30]  Ni la description du village faite par Brown en 1822 ni la carte de Morice ne limitent le site du village à la rive nord de la rivière Fulton.

5.  Réserves établies

[31]  La Colombie-Britannique a adhéré à la Confédération en 1871 aux conditions énoncées dans les Conditions d’adhésion de la Colombie-Britannique de 1871. L’article 13 porte sur les Sauvages et les terres des Sauvages :

Le soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union.

Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans les cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les colonies. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 8]

[32]  Le commissaire des réserves, Peter O’Reilly, s’est rendu dans la région du lac Babine en 1891. Il a attribué 12 réserves à la tribu d’Hagwilget vers l’extrémité nord du lac Babine. Il n’a attribué aucune réserve à l’embouchure de la rivière Fulton. 

[33]  Un document provincial, soit la carte des terres pouvant être acquises par préemption, établie en 1913, décrit une petite parcelle de terre située juste au sud de la rivière Fulton comme étant une [traduction] « Rés. ind. », et une lettre de l’arpenteur en chef provincial datée de 1913 renvoie à un [traduction] « plan » préparé par un arpenteur — Gray — montrant une « réserve indienne sur la rive sud, à l’embouchure de la rivière Fulton ». Le plan n’a pas été retrouvé.

[34]  En dépit des indices de l’existence d’une réserve sur la carte et le plan susmentionnés, rien ne permet de croire que les représentants provinciaux ou fédéraux aient eu l’intention de mettre de côté des terres à l’embouchure de la rivière Fulton avant 1915, alors que la Commission McKenna-McBride a ordonné que des terres des deux côtés de la rivière demeurent disponibles afin qu’une réserve puisse être établie.

[35]  En 1916, une partie des terres du sud, soit le lot 1353 non classé, a été mise de côté par la Commission McKenna-McBride afin qu’elle soit transférée au Canada au profit de la [traduction] « bande de Fort Babine de la tribu d’Hagwilget ». Ces terres font l’objet de la revendication. Il s’est avéré que des terres situées sur la rive nord, et non sur la rive sud, ont été transférées au Canada à titre de réserve. Ce changement s’explique par les événements entourant la désignation et la tenure des terres de la région entre 1916 et 1927.

[36]  La bande de Fort Babine et la bande d’Old Fort ont fusionné en 1958 pour former la nation de Lake Babine. Aucune raison de traiter différemment les deux bandes aux fins de la présente revendication ne nous a été donnée.

6.  Demandes de terres des colons

[37]  En octobre 1909, James Cronin a présenté une demande en vue d’acquérir 640 acres de terres situées au nord et au sud de la rivière Fulton, y compris les terres du sud. On peut voir sur un croquis des terres que Cronin cherchait à acquérir un carré (80 chaînes par 80 chaînes) qui couvre des terres s’étendant sur les deux côtés de ce qui est considéré comme la [traduction] « rivière Fulton ou Tachek ».

[38]  Comme l’exige la Land Act, RSBC 1908, ch 30 [Land Act], Cronin a fait une déclaration solennelle selon laquelle, entre autres :

[traduction]

1. Je […] James Cronin, prévois demander l’autorisation d’acheter six cent quarante acres de terres non occupées et non arpentées de la Couronne (qui ne font pas partie d’un établissement indien) situées près du lac Babine à […] rivière Fulton ou Tachek. [RCD volume 1, aux onglets 53 et 54; je souligne]

[39]  Le passage souligné ci-dessus met en évidence l’interdiction d’acquérir par préemption les terres d’un établissement indien prévue par la loi.

[40]  J. Brownlee, arpenteur provincial, a arpenté une terre de 340,2 acres située au nord de la rivière, qu’il a désignée comme étant le lot 1610A. Sur le croquis dessiné dans son carnet de notes, il a écrit [traduction] « cabanes d’Indiens » à l’intérieur du lot. Un [traduction] « sentier vers le lac Babine » figure aussi sur le plan.

[41]  Le croquis fait par Brownlee du lot 1610A montrait qu’un autre colon, John Davidson, avait présenté une demande en vue d’acquérir certaines des terres situées au sud de la rivière Fulton, lesquelles étaient visées par la demande de Cronin. Brownlee a arpenté ces terres pour le compte de Davidson, les 30 et 31 octobre 1909, et les a désignées comme étant le lot 1611A. Les terres du sud, situées à côté du lot 1611A, faisaient aussi l’objet de la demande de Cronin; Brownlee a exclu cette parcelle des terres qu’il a arpentées pour Cronin.

[42]  En décembre 1909, Cronin a donné suite à sa demande visant à acheter 640 acres de terres situées [traduction] « près de l’embouchure de la rivière Fulton […] ». Le 14 février 1910, l’agent provincial des terres a envoyé la demande de Cronin à Victoria. En 1917, la Couronne a cédé à Cronin le lot 1610A. Le croquis joint à la concession ne faisait pas mention de la présence de [traduction] « cabanes d’Indiens ».

7.  Demandes et arpentages

[43]  En 1910, l’arpenteur des terres de la Colombie-Britannique J.H. Gray a arpenté trois lots au sud de la rivière Fulton : le lot 1353, situé juste au sud de la rivière Fulton dans la région du lac Babine, le lot 1354, situé juste au sud du lot 1353, et le lot 1355 situé à l’est du lot 1354 et s’étendant jusqu’à la rive du lac Babine. Le lot 1353 était situé juste au sud de la rivière Fulton.

[44]  L’arpentage du lot 1353 a été rejeté par l’arpenteur général de la Colombie-Britannique en raison d’une irrégularité dans la limite du lot arpenté 1611A.

[45]  Les demandes relatives aux lots 1354 et 1355 ont été, tout comme celle relative au lot 1353, rejetées. Ainsi, en 1913, les seules terres situées à l’embouchure de la rivière Fulton qui faisaient toujours l’objet de la demande d’achat (de Cronin) étaient celles formant le lot 1610A. L’arpentage du lot 1610A a été publié dans la Gazette de la Colombie-Britannique en 1911. Les arpentages des lots 1354 et 1355 ont été publiés en octobre 1913.

[46]  En résumé, en 1913, les terres situées juste au nord de l’embouchure de la rivière Fulton faisaient l’objet d’une demande d’achat (de la part de Cronin) de validité douteuse, alors que d’autres parcelles définies situées au sud de la rivière n’étaient plus visées par les demandes de concession par la Couronne. 

[47]  En 1912, le différend qui opposait la province et le Canada quant à l’établissement de réserves indiennes en Colombie-Britannique a franchi une étape importante.

8.  Accord McKenna-McBride de 1912

[48]  Entre 1876 et le début des années 1900, le Canada et la Colombie-Britannique avaient désigné conjointement les terres qui devaient être transférées conformément à l’article 13 des Conditions d’adhésion de la Colombie-Britannique, et ces terres, y compris d’autres terres de réserve destinées à la nation de Lake Babine, avaient été mises de côté par la province afin que les colons ne puissent les acquérir par préemption. La province a toutefois refusé d’effectuer le transfert parce que trop de terres étaient attribuées. Par conséquent, environ 41 ans après l’engagement commun consacré par l’article 13, il a été convenu qu’une commission royale serait constituée et formulerait des recommandations visant à régler le différend relatif aux terres devant être transférées. L’accord McKenna-McBride, daté du 24 septembre 1912, prévoyait ce qui suit :

[traduction]

1.   Une Commission sera constituée comme suit : deux commissaires seront nommés par le Dominion et deux, par la province. Les quatre commissaires ainsi nommés choisiront un cinquième commissaire, qui sera le président de la Commission.

2.   La Commission ainsi constituée aura le pouvoir de modifier la superficie des réserves indiennes en Colombie-Britannique de la façon suivante :

a)  [...]

b)   Si, de l’avis des commissaires, une superficie insuffisante de terres a été mise de côté pour l’usage des Indiens de la localité touchée, les commissaires décideront de la superficie additionnelle à accorder à ces Indiens. Ils pourront en outre réserver des terres pour l’usage d’une bande indienne à qui des terres n’auront pas encore été attribuées.

3.   La province prendra toutes les mesures nécessaires pour procéder légalement à la mise en réserve des terres additionnelles que les commissaires attribueront à un groupe d’Indiens, conformément aux pouvoirs énoncés ci-dessus.

[...]

6.   Toutes les dépenses engagées par la Commission seront partagées également entre la province et le Dominion.

7.   Les terres comprises dans les réserves, établies de façon définitive par les commissaires, seront transférées par la province au gouvernement du Dominion, et le gouvernement du Dominion aura plein pouvoir pour en disposer de la manière qu’il jugera préférable pour les Indiens, [...]

 8.   En attendant le dépôt du rapport final de la Commission, la province s’abstiendra d’accorder par préemption ou de vendre des terres qu’elle a le pouvoir d’aliéner et qui ont fait l’objet d’une demande du Dominion à titre de réserves indiennes additionnelles, ou que les commissaires, pendant la durée de leurs travaux, pourraient désigner comme terres à réserver pour les Indiens. [Exposé conjoint des faits, au paragraphe 12; je souligne]

[49]  Par arrêté en conseil du Dominion daté du 27 novembre 1912 et par arrêté en conseil de la Province daté du 18 décembre 1912, les gouvernements fédéral et provincial ont approuvé l’accord McKenna-McBride, sous réserve d’une modification, à savoir que les actes et faits de la Commission royale soient sujets à l’approbation des deux gouvernements. Les gouvernements ont aussi convenu « d’accueillir favorablement les rapports, soit définitifs soit provisoires, de la commission, dans l’intention d’assurer, autant qu’il peut être raisonnable, l’exécution des actes, faits et recommandations de la commission royale, et de prendre toutes les mesures qui peuvent être raisonnablement nécessaires pour mettre à exécution, selon son esprit et son sens véritables, la solution stipulée par ledit traité ».

9.  Réserves identifiées jusqu’ en 1913

[50]  Selon le répertoire des réserves indiennes du Dominion établi en 1913 pour l’agence de Babine et d’Upper Skeena, il y avait 16 réserves pour la tribu d’Hagwilget. Ces réserves ont été attribuées aux trois bandes indiennes qui formaient la tribu d’Hagwilget, à savoir la bande de Morricetown, la bande d’Old Fort Babine et la bande de Fort Babine. Aucune de ces réserves n’était située au confluent de la rivière Fulton et du lac Babine. 

10.  Ordonnances de la Commission et décisions définitives

[51]  Le 13 juillet 1915, la Commission royale a tenu une audience à Hazelton. Les Indiens qui y assistaient, y compris le chef William de la tribu de Fort Babine, le chef Michel d’Old Fort Babine, Antoine Williams, Bob Charlie, et Charlie Pice, ont présenté à la Commission royale des témoignages au sujet des endroits où ils habitaient. Charlie Pice a aussi produit la carte provinciale des terres pouvant être acquises par préemption, établie en 1913, qui portait la mention [traduction] « Rés. Ind. ». L’agent des Indiens R.E. Loring a aussi assisté à l’audience. Voici une transcription de cette audience (les modifications d’origine inconnue inscrites à la main figurent entre crochets) :

[traduction]

COMMISSION ROYALE DES AFFAIRES DES SAUVAGES POUR LA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

RENCONTRE À HAZELTON (C.-B), LE MARDI 13 JUILLET 1915, AVEC LES BANDES INDIENNES DE BABINE, KI[U]LDOES ET KISG[I]GA[S]

EMILE WILLIAMS EST ASSERMENTÉ EN TANT QU’INTERPRÈTE, 

MONSIEUR LE COMMISSAIRE MACDOWALL EXPLIQUE CE QUI SUIT AUX INDIENS PRÉSENTS

LE MANDAT ET LES POUVOIRS DE LA Commission, […]

[…]

Page 19

CHARLIE PICE EST APPELÉ À TÉMOIGNER ET PRÊTE SERMENT

M. le commissaire McKenna :   Où habitez-vous?

R.   Dans la région de la rivière Tachet.

Q.   (Examinant la carte) Sur cette rivière, il y a deux petits lacs, alors où habitez-vous?

R.   J’habite là où le ruisseau Tachet [illisible] se déverse dans la rivière.

Q.   De quel côté du ruisseau habitez-vous?

R.   Sur la rive nord du ruisseau.

Q.  Connaissez-vous le nom de ce lac?

R.    Le lac Fulton.

Q.   Et il y un ruisseau qui va du lac Cpamian [Chapman] jusqu’au lac Fulton?

R.   Oui.

(NOTE : Carte des terres pouvant être acquises par préemption, région de Bulkley, 1913, la réserve est située là où le ruisseau prend sa source, dans le lac Fulton, pour se jeter au sud de la rivière Babine _ ne figure pas à l’annexe.)

M. le commissaire Macdowall : À qui appartient cette carte?

R.   À l’un des Indiens.

Q.   Si nous apportons cette carte à Victoria et que nous demandons à M. Loring de vous en envoyer une copie, est-ce que ça vous irait?

Page 20

R.   Oui.

M. le commissaire McKenna: Où habitez-vous?

R.   J’habite de l’autre côté de la rivière Fulton, vis-à-vis l’endroit désigné (R.I.X).

Q.   Y a-t-il des Indiens qui habitent de l’autre côté?

R.   Non.

Q.   Comment sont les terres vis-à-vis l’endroit où vous habitez?

R.   Montagneuses et très boisées.

Q.   Est-ce que ces terres (examinant la carte) s’élèvent brusquement à partir de la rivière?

R.   Oui.

Q.   Quelle sorte de bois y trouve-t-on?

R.   Épinette blanche et pin noir.

Q.   Et il n’y a aucune terre à cet endroit que vous pourriez cultiver?

R.   Non.

Q.   Utilisez-vous le bois?

R.   Oui.

Q.   À quelles fins?

R.   Nous l’utilisons comme bois de chauffage, bois de sciage et aussi comme bois de construction pour nos maisons.

Q.   Y trouvez-vous du bois pour construire des canots?

R.   Oui.

Q.  Utilisez-vous du cèdre pour construire les canots?

R.   Oui.

Q.   Et vous habitez de l’autre côté du ruisseau Fulton?

R.  Oui.

Q.   Combien de personnes habitent là?

R.  Huit hommes en tout.

Q.   Êtes-vous marié?

R.   Oui.

Q.   Combien d’enfants avez-vous?

R.   Six enfants.

Q.  Votre père habite-t-il à cet endroit?

R.   Oui.

Q.   Et votre mère?

R.   Oui.

Q.   Combien de frères et sœurs?

R.   Quatre frères et deux sœurs.

 

Page 21

Q.   Combien de vos frères sont mariés?

R.   Un seul est marié à part moi.

Q.   Combien d’enfants a-t-il?

R.   Trois enfants.

Q.   Vous avez dit que vous aviez deux sœurs – sont-elles mariées?

R.   Oui.

Q.   Combien d’enfants ont-elles?

R.   Une en a quatre et l’autre en a un.

Q.   Combien de maisons possédez-vous en tout?

R.    Trois. 

Q.  Est-ce votre foyer permanent?

R.   Oui.

Q.   Y cultivez-vous des pommes de terre?

R.   Oui, nous avons un jardin.

Q.   Combien de jardins y a t-il?

R.   Trois.

Q.  Cultivez-vous suffisamment de pommes de terre pour l’hiver?

R.   Oui.

Q.   Avez-vous des bovins ou des chevaux?

R.   Je n’ai aucun bovin, mais j’ai des chevaux.

Q.   Combien de chevaux avez-vous?

R.   J’ai six chevaux.

Q.   Où sont les pâturages pour vos chevaux?

R.   Là où nous habitons.

Q.   Demeurent-ils à l’extérieur pendant l’hiver?

R.   Oui.

Q.   Vous n’engrangez pas le foin pour eux chaque hiver?

R.   Oui, nous engrangeons le foin pour l’hiver.

Q.   Où fauchez-vous le foin?

R.   Là où nous habitons, à environ deux milles au nord-ouest de l’endroit où la rivière Fulton se déverse dans la rivière Babine.

Q.   Vos maisons sont-elles près de la rivière Fulton?

R.   Oui, à la jonction même. 

Q.   Quelle est la superficie des terres que vous utilisez?

R.   Vingt acres en tout.

Page 22

Q.   Fauchez-vous du foin plus loin?

R.   Oui, à environ deux milles de là où nous habitons.

Q.   Qu’y a-t-il à cet endroit?

R.   Un marécage.

Q.   Quelle est la superficie du marécage?

R.  Environ quinze acres.

Q.   Depuis combien de temps habitez-vous là?

R.   Il y a longtemps, mon grand-père et mon père y habitaient et j’y habite depuis.

Q.   Pourquoi ont-ils créé une réserve pour vous de l’autre côté de la rivière (examinant la carte)?

R.   Parce que nous avons demandé des terres à bois à cet endroit.

Q.   Pourquoi n’avez-vous pas demandé une réserve boisée sur la rive nord de la rivière Fulton?

R.  Je croyais que ces terres m’appartenaient puisque mon grand-père et mon père y habitaient. Je croyais en être propriétaire. La terre où j’habite est la terre où je pêche et où je chasse. C’est chez-moi et j’y habite en tout temps.

Q.   Où vos enfants vont-ils à l’école?

R.   À Babine.

Q.   Dites-le à M. Loring et il nous le montrera quand il viendra à Victoria.

Q.   Est-ce que des hommes blancs y habitent?

R.   Non. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 18; souligné dans l’original.]

[52]  Entre le 4 et le 12 novembre 1915, la Commission royale a interrogé l’agent des Indiens Loring à Victoria. Voici la transcription de cet entretien :

[traduction]

COMMISSION ROYALE DES AFFAIRES DES SAUVAGES POUR LA PROVINCE DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

RENCONTRE AVEC L’AGENT RE. LORING DE L’AGENCE BABINE, DANS LA SALLE DE MUSIQUE, À VICTORIA (C. B.), LE 4 NOVEMBRE 1915

Le témoin est assermenté par monsieur le commissaire MacDowall.

[…]

Page 58 [Le vendredi 12 novembre 1915]

LE PRÉSIDENT : Maintenant, la demande nº 84 – qu’en est-il?

M. le commissaire McKenna : Connaissez-vous une réserve boisée d’environ le quart d’une [mot supprimé] section juste au sud de la rivière Fulton, là où elle se déverse dans le lac Babine?

R.   Non, je n’en connais aucune.

Q.   Avez-vous entendu le témoignage de l’Indien?

R.   Oui.

Q.   Avez-vous fait d’autres recherches depuis ce témoignage?

R.   Il est impossible de la trouver – il n’a jamais été fait mention d’une réserve à cet endroit.

La transcription contient les notes suivantes :

NOTE.   Ashdown H. Green va se renseigner.

NOTE.   La moitié est du lot 1354, le terrain juste au nord du lot 1354 et la saillie de terre à l’extrémité est du lot 1610A, laquelle sera, à notre demande, exclue de la demande d’achat relative au lot 1610A. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 19; souligné dans l’original]

[53]  Le 16 novembre 1915, C.H. Gibbons, secrétaire de la Commission royale, a écrit à R.A. Renwick, sous-ministre des Terres de la C.-B., pour l’aviser que la Commission souhaitait que le ministère provincial des Terres protège certaines terres contre l’aliénation en attendant qu’elle rende une décision définitive [traduction] « sur les demandes présentées par les Indiens de l’agence de Babine ou en leur nom, y compris en ce qui concerne l’article nº 84 : – la moitié est du lot 1354 et le lot juste au nord de celui-ci; aussi la saillie de terre à l’est du lot 1610A, laquelle doit être exclue des terres du lot 1610A visées par la demande d’achat ». Ces lots comprennent certaines des terres situées des deux côtés de la rivière Fulton.

[54]  Le 23 novembre 1915, Renwick a avisé le secrétaire de la Commission Gibbons du statut de certaines parcelles de terre, y compris :

[traduction]

Item nº 84 – la moitié est du lot nº [...]

Tout le lot 1610A fait l’objet d’une demande d’achat de Jas. Cronin, laquelle semble en règle.

De plus, « les terres vacantes susmentionnées ne seront pas aliénées tant que la Commission royale des affaires des sauvages n’aura pas rendu une décision définitive ». [exposé conjoint des faits, au paragraphe 22]

[55]  Le 23 novembre 1915, Renwick a informé l’agent du gouvernement provincial de la circonscription foncière de Fort Fraser que les terres mentionnées dans la lettre avaient été demandées par la Commission au nom des Indiens, et que [traduction] « si une des demandes d’achat était abandonnée, ni les lots faisant l’objet de la demande ni les lots vacants à ce moment-là ne pourront être aliénés tant que la Commission royale des affaires des sauvages n’aura pas rendu une décision définitive dans le dossier ». Les terres mentionnées dans la lettre étaient les suivantes :

[traduction]

Rang 5. District côtier

Lot 1353 – non classé, vacant.

Lot 1354 – moitié est -- vacant.

Lot 1610A – Demande d’achat de Jas. Cronin. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 23; souligné dans l’original]

[56]  En résumé, les lots ne pouvant être visés par les demandes d’achat des colons comprenaient des terres situées des deux côtés de la rivière Fulton et, si Cronin abandonnait sa demande quant à l’achat du lot 1610A, ce lot ne pouvait pas non plus être aliéné tant que la Commission n’aurait pas rendu une décision définitive sur la demande de réserve.

[57]  Le lot 1610A était situé au nord de la rivière, là où Charlie Pice et sa famille résidaient.

[58]  Cronin attendait toujours que la Couronne lui cède le lot 1610A, mais sa demande était toujours valide lorsque la Commission a finalement examiné la demande nº 84. Le lot 1353 était toujours vacant.

[59]  Le 22 mai 1916, le secrétaire de la Commission Gibbons a transmis un répertoire des [traduction] « demandes de terres supplémentaires de l’agence de Babine » au sous-ministre Renwick et lui a demandé de prendre toutes les mesures nécessaires pour « accélérer le traitement des demandes ». Dans le répertoire, l’article nº 84 était décrit comme suit : [traduction] « “Réserve” (citations dans l’original) située au confluent de la rivière Babine et d’un ruisseau coulant vers le sud depuis le lac Fulton, laquelle figure sur la carte des terres pouvant être acquises par préemption établie en 1913 pour la région de Bulkley, mais n’apparaît pas comme réserve dans le répertoire officiel […] vingt (20) acres plus ou moins, non classé, lot 1353 - apparemment vacant ».

[60]  Le 29 mai 1916, Renwick a avisé Gibbons que la demande nº 84 de l’agence de Babine [traduction] « vis[ait] le lot 1353, rang 5, district côtier, apparemment vacant ». Le lot 1354 n’était pas mentionné dans la réponse.

[61]  Le rapport final de la Commission royale daté du 30 juin 1916 (le « rapport ») incluait un répertoire révisé intitulé [traduction] « Agence de Babine — Demandes de terres supplémentaires ». Voici la description des terres visées par la demande nº 84 présentée par la bande de Fort Babine : 

[traduction]

Terres demandées

« Réserve » [citations dans l’original] située au confluent de la rivière Babine et d’un ruisseau coulant vers le sud depuis le lac Fulton, laquelle figure sur la carte des terres pouvant être acquises par préemption établie en 1913 pour la région de Bulkley, mais n’apparaît pas comme réserve dans le répertoire officiel. 

Objet : Jardinage et général

[...]

Statut des terres désirées 

Visées par le lot 1353, r. 5, district côtier, non classé, vacant et disponible. (Voir la lettre du sous-ministre des Terres, 29/5/1916 versée au dossier de la Commission royale nº 560A)

Décision de la Commission

Acceptée : lot non classé 1353, r. 5, district côtier, d’une superficie de cent cinq (105) acres plus ou moins » [exposé conjoint des faits, au paragraphe 26]

[62]  Le rapport contenait un compte rendu de décision, daté du 30 mai 1916, qui était ainsi rédigé :

[traduction]

La Commission, après avoir examiné la demande nº 84 de la bande de Fort Babine de la tribu d’Hagwilh, qui relève de l’agence de Babine, visant à obtenir une « réserve » située au confluent de la rivière Babine et d’un ruisseau coulant vers le sud depuis le lac Fulton, laquelle figure sur la carte des terres pouvant être acquises par préemption établie en 1913 pour la région de Bulkley, mais n’apparaît pas comme réserve dans le répertoire officiel des réserves indiennes utilisées à des fins de jardinage et à des fins de réserve générales,

A ORDONNÉ qu’il soit autorisé, dans le cadre de la présente demande, d’établir et de constituer une réserve à l’usage et au profit de la demanderesse, la bande de Fort Babine de la tribu d’Hagwilget, sur le lot non classé numéro mille trois cent cinquante-trois (1353), rang cinq (5), district côtier, d’une superficie de cent vingt-huit (128) acres, plus ou moins. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 27]

[63]  Le répertoire des [traduction] « Nouvelles réserves de l’agence de Babine » joint à ce rapport indiquait ce qui suit en ce qui concerne la bande de Fort Babine de la tribu d’Hagwilget, au regard de la demande nº 84, désignée comme la réserve indienne nº 25 : « Description : Au confluent de la rivière Babine et d’un ruisseau coulant vers le sud depuis le lac Fulton, le lot non classé 1353, r. 5, district côtier. Superficie : 128 acres plus ou moins ».

[64]  Au début du mois d’octobre 1917, la province a cédé à Cronin le lot 1610A.

[65]  Le 29 mars 1919, la province a adopté la Indian Affairs Settlement Act, SBC 1919, ch 32, et le 1er juillet 1920, le Canada a adopté la Loi du règlement relatif aux terres des sauvages de la Colombie-Britannique, SC 1920, ch 51. Tant la province que le Canada ont approuvé le rapport, sous réserve de tout autre examen que le lieutenant-gouverneur en conseil de la Colombie-Britannique et le gouverneur en conseil du Canada pourraient juger nécessaire.

11.  Examen par Ditchburn et Clark

[66]  Bien que la province ait donné l’assurance de sa pleine participation en ce qui concerne les recommandations de la Commission, elle n’était toujours pas prête à transférer au Canada les terres mises de côté à titre de réserve, telles qu’elles avaient été modifiées par la Commission. Par conséquent, les terres attribuées conjointement par les représentants provinciaux et fédéraux ont fait l’objet d’un nouvel examen.

[67]  En 1919, W.E. Ditchburn, le commissaire des Indiens pour la Colombie-Britannique, représentant le Canada (« commissaire des Indiens Ditchburn »), et le major J.W. Clark, représentant la Colombie-Britannique, ont été chargés d’examiner le rapport. Ditchburn et Clark, examen qu’ils ont effectué entre 1919 et 1923 et à l’issue duquel ils n’ont apporté aucune modification à la décision de la Commission en ce qui concerne la demande de terres supplémentaires nº 84 faite par l’agence de Babine. Par conséquent, les terres situées à l’embouchure de la rivière Fulton qui devaient être transférées au Canada à titre de réserve pour la tribu d’Hagwilget étaient le lot 1353, soit les terres du sud.

12.  Arpentage de 1927 : « relocalisation » du lot 1353

[68]  Les recommandations formulées dans le rapport, telles que modifiées par le commissaire des Indiens Ditchburn et Clark, y compris le répertoire des nouvelles réserves destinées à l’agence de Babine joint au rapport, ont été approuvées par le décret de la C.-B. nº 911 daté du 26 juillet 1923 et par le décret du Dominion nº 1265 daté du 19 juillet 1924, sous réserve que toutes les nouvelles réserves soient arpentées.

[69]  Toutes les nouvelles réserves devaient être arpentées et délimitées par les arpenteurs des terres de la Colombie-Britannique, sous la direction du gouvernement du Dominion. La nomination des arpenteurs était assujettie à l’approbation de l’arpenteur général de la province. Les arpentages devaient être effectués conformément aux dispositions de la Land Act. Les notes et les plans d’arpentage devaient également être soumis à l’approbation de l’arpenteur général de la province.

[70]  Une fois les arpentages terminés et approuvés, la province devait transférer au Dominion les terres répertoriées.

[71]  Avant que des directives ne soient données quant à l’arpentage nécessaire à la mise en œuvre du rapport de décision nº 84 de la Commission, dont l’effet était d’attribuer le lot 1353 à titre de réserve, un changement important s’est produit et a eu des répercussions sur la disponibilité des terres situées au nord de la rivière Fulton où Charlie Pice et d’autres personnes habitaient. En janvier 1927, le lot 1610A a été rétrocédé à la Couronne provinciale pour défaut de paiement des impôts. 

[72]  En avril 1927, le sous-ministre adjoint et secrétaire du ministère des Affaires indiennes (« MAI »), J.D. McLean, a demandé à l’arpenteur des terres de la Colombie-Britannique, V. Schjelderup, d’arpenter notamment [traduction] « les terres visées par la demande nº 84, soit la réserve nº 25, située au confluent de la rivière Babine et d’un ruisseau coulant vers le sud depuis le lac Fulton, c’est-à-dire le lot non classé 1353, r. 5, district côtier, d’une superficie de 128 acres plus ou moins ». Les terres que le Canada voulait faire arpenter étaient situées au sud de la rivière Fulton.

[73]  La lettre rédigée par McLean à l’intention de Schjelderup a aussi été transmise à J.W. Umbach, l’arpenteur général de la Colombie-Britannique, et au commissaire des Indiens Ditchburn. McLean demandait à Schjelderup de communiquer avec Ditchburn et Umbach afin d’obtenir des renseignements précis, plus particulièrement [traduction] des « “renseignements sur l’emplacement exact des parcelles devant faire l’objet de travaux d’arpentage”. Puis, le commissaire des Indiens Ditchburn doit vous remettre des “copies des croquis et l’original des notes d’arpentage des réserves adjacentes” […] ».

[74]  L’arpenteur général provincial Umbach devait attribuer des numéros de lot aux nouvelles réserves. Schjelderup devait donc lui fournir les plans et notes d’arpentage dont il avait besoin. Les plans et les notes d’arpentage, y compris les copies pour le MAI, devaient être examinés et approuvés par Umbach qui, s’il les approuvait, devait les transmettre au MAI. 

[75]  Le secrétaire McLean a aussi dit à Schjelderup qu’il devait, [traduction] « dans la mesure du possible, employer des Indiens de la région » et qu’il devait « consulter l’agent des Indiens [Edgar Hyde] si les renseignements obtenus de Victoria ne permett[aient] pas de bien identifier les parcelles à arpenter ».

[76]  Le 21 mai 1927, Umbach a demandé à Schjelderup d’arpenter les terres de la réserve indienne nº 25 situées au nord de la rivière Fulton :

[traduction] [...] Permettez-moi de vous dire que, suite à notre conversation, il a été décidé d’annuler l’arpentage du lot 1610-A, rang 5, district côtier. Il a été convenu que la région désirée pour la réserve indienne est la partie est du lot 1610 A, situé au nord de la rivière, et que cette réserve, que vous arpenterez, sera désignée comme étant le lot 1353, rang 5, district côtier.

Compte tenu de ce qui précède, je serais heureux si vous pouviez arpenter la partie restante de la région anciennement connue comme étant le lot 1610-A et la diviser en une ou plusieurs parcelles auxquelles vous attribuerez un numéro de lot distinct. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 39; je souligne].

[77]  Le dossier n’indique pas si le représentant provincial, Umbach, a discuté de ce changement avec le représentant du MAI, Ditchburn, ou si l’arpenteur de la province en a discuté avec l’agent des Indiens Hyde. Il est probable qu’Umbach et Ditchburn aient discuté de la possibilité qu’offrait l’annulation de la demande d’achat de Cronin puisque le MAI devait donner des directives à l’arpenteur et que les directives qu’Umbach a données à ce dernier venaient de quelque part.

[78]  L’arpenteur devait consulter l’agent des Indiens Hyde au sujet des terres à arpenter, ce qu’il n’a probablement pas fait puisque Hyde croyait que la réserve se situait sur les terres du sud.

[79]  Au début de novembre 1927, Schjelderup a arpenté les terres situées au nord de la rivière Fulton, au confluent du lac Babine. Selon les notes d’arpentage de Schjelderup, l’arpentage a été effectué [traduction] « conformément aux directives du 13 avril 1927 ». Les terres ont été désignées par Umbach comme étant le lot 1353, rang 5, district côtier, et elles comptaient 116,2 acres. Voici les [traduction] « remarques » qui figuraient sur la page couverture du carnet de notes : « Tribu d’Hagwilget, bande de Fort Babine, RI 25, lac Babine RI 25, agence de Babine, demande nº 84 ».

[80]  Dans le [traduction] « Rapport de l’arpenteur sur l’examen des terres » qui se trouve dans le carnet de notes de l’arpentage des terres situées au nord de la rivière Fulton, il est indiqué que [traduction] « [l]e village de Tachek est très vieux. À l’heure actuelle, il y a trois cabanes en bois rond, deux étables, deux fumoirs (île) et quelques caches. Environ deux acres sont dégagées et partiellement cultivées. Chaque été, une petite quantité de foin des marais est habituellement récoltée dans les marécages ».

[81]  En résumé, suivant les directives d’Umbach, une partie du lot 1610A d’une superficie de 128 acres a été arpentée et cette partie a été désignée comme étant le lot 1353.

[82]  Le 16 novembre 1927, Schjelderup a informé le secrétaire McLean qu’il avait terminé les arpentages de la saison.

[83]  Le 24 novembre 1927, Schjelderup a écrit à l’arpenteur général de la province Umbach et il a joint à sa lettre ses notes d’arpentage pour les lots 2173, 2174 et 2175. Il a indiqué que les [traduction] « Indiens [avaient] très hâte d’obtenir une parcelle de terre [le long] de la limite ouest du lot 2176 ». Ce lot se trouvait au nord de la rivière Fulton.

[84]  Le 9 février 1928, Schjelderup a remis à l’arpenteur général deux copies de ses notes d’arpentage modifiées pour le lot 1353. Ces notes avaient été modifiées conformément aux directives données par Umbach, le 2 février 1928, afin de montrer que l’île située à l’embouchure de la rivière Fulton faisait partie du lot 1353.

[85]  Le 30 avril 1928 ou vers cette date, Umbach a avisé le sous-ministre adjoint et secrétaire du MAI, A.F. MacKenzie, qu’il avait reçu, examiné et approuvé les notes portant sur les travaux d’arpentage effectués par Schjelderup pendant la saison 1927 et que deux copies de ces notes seraient transmises au MAI. MacKenzie a accusé réception des notes et plans d’arpentage de Schjelderup pour la saison 1927 dans une lettre datée du 14 mai 1927 qu’il a envoyée à Umbach (la lettre ne portait pas la bonne date; il s’agit plutôt du 14 mai 1928).

[86]  L’approbation de l’arpentage en 1928 marquait l’achèvement des travaux préparatoires au transfert, en faveur du Canada, des terres désignées comme étant la réserve indienne nº 25.

[87]  Le 29 juillet 1938, en vertu du de l’arrêté en conseil 1036, la province de la Colombie-Britannique a transféré l’administration et le contrôle des terres de la réserve au Canada. Le répertoire de l’agence de Babine joint à l’arrêté en conseil décrit comme suit la réserve indienne nº 25 destinée à la bande de Fort Babine de la tribu d’Hagwilget : [traduction] « À l’embouchure de la rivière Fulton sur le lac Babine, connue comme étant le lot 1353, rang 5, district côtier, 116,20 acres ». 

13.  Occupation des terres situées au sud de la rivière Fulton

a)  1915

[88]  Les commissaires McKenna et McBride ont interrogé Charlie Pice en 1915. Ce dernier a alors déclaré que lui et les membres de sa famille vivaient dans trois maisons situées au nord de la rivière. Il y gardait des chevaux et utilisait environ 20 acres de terre. La rive sud de la rivière était inoccupée et les terres qui y étaient situées étaient incultivables.

b)  1928

[89]  En 1928, après que l’agent des Indiens lui eût dit qu’une réserve avait été établie au sud de la rivière Fulton pour la tribu d’Hagwilget, Daniel Leon, un de ses membres, y a construit une maison et d’autres bâtiments. L’agent des Indiens avait raison puisqu’il s’agissait des terres décrites dans le rapport de décision nº 84 de la Commission. Toutefois, il semble que l’agent des Indiens ne savait pas que le lot, auparavant désigné comme étant le lot 1353, attribué par la Commission, se trouvait maintenant au nord de la rivière. 

[90]  Dans une lettre datée du 4 septembre 1931, Daniel Leon a demandé de l’aide au MAI. Il a indiqué que le ministère provincial des Forêts voulait qu’il déplace sa maison située à Topley Landing, au sud de la rivière Fulton. Selon Leon, l’agent des Indiens à Hazelton lui avait dit que Topley Landing était une réserve indienne. Il implorait le MAI de l’aider à faire en sorte que sa maison ne soit pas déplacée des terres du sud.

[91]  Le 24 septembre 1931, G.C. Mortimer, l’agent des Indiens à Hazelton, informait le commissaire des Indiens Ditchburn qu’un [traduction] « [...] différend avait pris naissance entre les Indiens quant à savoir quels lots formaient la nouvelle réserve située à l’embouchure de la rivière Fulton sur le lac Babine ». Il lui demandait des renseignements sur le lot situé au sud de l’embouchure de la rivière Fulton. La lettre indiquait également ce qui suit :

[traduction]

J’attire votre attention sur cette affaire pour les raisons suivantes. En 1928, le regretté agent, M. Hyde, a demandé à quelques familles indiennes d’Old Fort et de Fort Babine de construire leurs maisons sur le lot situé juste au sud de l’embouchure de la rivière Fulton — lot qui, selon lui, était une réserve indienne — et de défricher la terre. Par conséquent, trois familles indiennes ont construit des maisons confortables et un petit magasin.

En juillet 1931, ces trois familles ont été avisées par le ministère des Forêts de la Colombie-Britannique que le lot où elles avaient construit leurs maisons n’était pas une réserve indienne. Si cela est vrai, ces Indiens ont alors été mal informés par le regretté agent. Ils sont donc bien mécontents en ce moment.

Je dois souligner que la réserve indienne nº 25 — le lot 1353 selon la petite carte susmentionnée — est occupée par plusieurs familles indiennes. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 51; je souligne]

[92]  Le 30 septembre 1931, le commissaire des Indiens Ditchburn a avisé l’agent des Indiens Mortimer de ce qui suit :

[traduction]

En réponse, je dois dire qu’il n’y avait pas d’ancienne réserve aux abords de la rivière Fulton et que je ne sais pas comment il se fait qu’une carte montrant, en rouge, une telle réserve a été établie. La Commission royale a bel et bien mis de côté une réserve aux abords de la rivière Fulton, laquelle réserve était généralement considérée comme étant située au sud de la rivière. Cependant, quand l’arpenteur, M. Schjelderup, s’est rendu sur place, il a vu que plusieurs familles indiennes s’étaient établies au nord de la rivière Fulton et a arpenté 116 acres, soit le lot 1353 […]

Récemment, M. Morris, arpenteur général adjoint, m’a téléphoné et m’a fait remarquer que, même si quelques Indiens habitent sur le lot portant maintenant le numéro 2173 au sud de la rivière Fulton, la terre qu’ils occupent est louée à la Compagnie de la Baie d’Hudson et que, tant et aussi longtemps que la Compagnie ne se plaint pas, notre ministère ne peut, bien entendu, prendre aucune mesure. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 52]

[93]  Dans une lettre datée du 15 octobre 1931, le directeur, Terres et bois des Indiens, a transmis à l’agent des Indiens Mortimer la lettre écrite par Daniel Leon et lui a demandé de lui faire rapport.

[94]  Le 22 octobre 1931, l’agent des Indiens Mortimer a envoyé la lettre et la réponse du commissaire aux Indiens Ditchburn au secrétaire du MAI, à Ottawa. Il a indiqué que Daniel Leon et deux autres Indiens habitaient dans des maisons situées sur le lot 2173, à Topley Landing, à l’embouchure de la rivière Fulton. L’agent des Indiens Mortimer a recommandé au secrétaire du MAI d’acquérir les terres occupées par les Indiens au sud de la rivière Fulton. Voici un extrait de cette lettre :

[traduction] J’estime que la terre occupée par l’Indien susmentionné et deux autres personnes, située sur la rive sud de la rivière Fulton et donnée — apparemment par erreur — par le regretté agent des Indiens Hyde de cette agence, devrait être acquise par le ministère afin d’écarter tout problème que les Indiens pourraient causer à cet égard. Je peux affirmer que la terre a été très peu défrichée, voire pas du tout, mais qu’il y a plusieurs maisons bien construites et un petit magasin. Le magasin et une des maisons ont été construits par Daniel Leon. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 54]

[95]  A.F. MacKenzie, secrétaire du MAI à Ottawa, a avisé l’agent des Indiens Mortimer que le MAI avait appris que le lot 2173 était loué à la Compagnie de la Baie d’Hudson et que, par conséquent, tant que la Compagnie ne se plaignait pas de l’occupation du lot par D.J. Leon et deux autres Indiens, il ne semblait pas nécessaire que le MAI prenne des mesures. Il a ajouté que [traduction] « [c]es Indiens devraient toutefois être informés qu’ils ne doivent pas apporter d’autres améliorations puisque leur réserve comprend, à l’heure actuelle, le lot 1353, au nord de la rivière Fulton, et une petite île à l’embouchure de la rivière ». 

[96]  Mortimer a informé le secrétaire MacKenzie que M. Wm. Ware, inspecteur des postes de traite des fourrures de la Compagnie de la Baie d’Hudson pour cette partie de la Colombie-Britannique, lui avait assuré que la Compagnie ne s’opposait pas à l’occupation du lot 2173 par Daniel Leon et sa famille et que la Compagnie aviserait le MAI si elle mettait fin à son bail afin qu’il puisse prendre les dispositions voulues.

[97]  Le 27 novembre 1931, le secrétaire MacKenzie a aussi demandé à l’agent Mortimer d’informer les Indiens qui occupaient le lot 2173 de ne pas apporter d’autres améliorations et d’informer les autres Indiens de la bande qu’ils ne devaient pas s’établir sur le lot 2173.

[98]  Dans les années qui ont suivi, le forestier provincial, le sous-ministre des Terres Cathcart et le commissaire des Indiens MacKay se sont renvoyé le dossier. MacKay a demandé au nouvel agent des Indiens Mallinson de lui faire rapport.

[99]  Le 30 mai 1940, Mallinson a fait rapport au commissaire des Indiens MacKay au sujet de l’utilisation historique et actuelle par les Indiens des terres situées au sud de la rivière Fulton, et il s’est informé de la possibilité d’obtenir une partie du lot 2173 — laquelle était occupée par les Indiens et mesurait [traduction] « environ 200 pieds de long par 75 à 100 pieds de large », à titre de réserve.

[100]  Le 6 juin 1940, MacKay a écrit au sous-ministre provincial Cathcart pour lui donner un aperçu de l’historique de l’attribution de terres faite par la Commission royale, de l’arpentage de la réserve indienne nº 25 effectué par Schjelderup et des terres que les Indiens croyaient qu’on leur avait réservées. Le commissaire des Indiens MacKay a fait remarquer que, comme les Indiens occupaient le terrain de bonne foi et qu’ils avaient apporté des améliorations importantes, la solution serait [traduction] « […] de mettre de côté et d’arpenter suffisamment de […] terres de manière à inclure la petite partie actuellement occupée par les Indiens ». Dans son mémoire sur l’arpentage de la réserve indienne nº 25 de Babine, rédigé le 2 octobre 1940 à l’intention du chef forestier provincial, l’arpenteur général de la province, F.C. Green, a donné l’explication suivante :

[traduction]

En ce qui concerne les déclarations que le commissaire des Indiens D.M. MacKay a faites dans une lettre datée du 6 juin dernier, il est admis que la région arpentée par M. Schjelderup pour la réserve indienne susmentionnée [réserve indienne nº 25, lac Babine, rang 5, district côtier] ne correspondait pas tout à fait à la région décrite dans la demande de transfert de titre. Dans un certain nombre de cas, comme dans celui-ci, il a été conclu que, si l’arpenteur respectait strictement la région décrite, des zones occupées par les Indiens seraient laissées de côté et, suivant les directives données à l’arpenteur, ce dernier pouvait apporter des modifications dans de tels cas. Dans le présent cas, l’arpenteur a conclu que les Indiens occupaient des terres au nord de la rivière et, comme il s’agissait de terres de la Couronne, il les a arpentées au lieu d’arpenter celles situées au sud de la rivière. Des copies des notes et du plan d’arpentage ont été transmises à notre ministère, ainsi qu’au ministère des Affaires indiennes en 1928, et le temps venu, l’arpentage a été accepté sans que ni l’un ni l’autre des ministères ne s’y oppose.

Compte tenu des circonstances, il a respectueusement été suggéré que la petite zone occupée par les Indiens soit vendue au ministère des Affaires indiennes. Cette zone devra être arpentée et exclue de la forêt provinciale. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 64; je souligne]

[101]  Le chef forestier a rejeté la proposition judicieuse de son collègue. Le MAI a suggéré d’acquérir les deux acres où se trouvaient les maisons. Cette proposition a aussi été rejetée.

[102]  Dans une lettre datée du 12 juillet 1944, le commissaire des Indiens MacKay a demandé au sous-ministre provincial Cathcart que le MAI puisse louer la petite partie occupée par les Indiens dans la réserve forestière provinciale située à Topley Landing. Cette proposition a aussi été rejetée.

[103]  Le 28 août 1944, le directeur de la division des Affaires indiennes (DAI) a écrit au commissaire des Indiens MacKay pour lui faire savoir qu’il avait fait tout ce à quoi il était possible de s’attendre pour que des mesures satisfaisantes puissent être prises à l’égard des personnes habitant sur les terres du sud, qu’il semblait que la province n’allait ni louer ni vendre les terres et qu’elle n’accepterait rien d’autre que le déplacement des Indiens établis à Topley Landing vers la réserve située au nord de la rivière Fulton. Selon le directeur, la DAI [traduction] « ne devrait pas déplacer ces gens tant que la province ne nous obligera pas à le faire ».

[104]  Le commissaire des Indiens MacKay a dit à la DAI à Ottawa et à l’agent des Indiens Mallinson que, si le ministère des Terres allait jusqu’à évincer les Indiens établis sur le lot 2173, [traduction] « nous pourrions, en dernier recours, tenter d’obtenir un sursis en vertu de l’article 48 de la loi sur la prescription de la C.-B. […] si nous pouvons démontrer que les occupants actuels et leurs ancêtres ont été en possession continue des terres pendant soixante ans ». Il a demandé à l’agent des Indiens Mallinson d’interroger les Indiens établis sur le lot 2173 et d’autres afin de recueillir leurs témoignages sur la durée de l’occupation et de la possession des terres où se trouvaient leurs maisons, et celles de leurs ancêtres, et de présenter ces témoignages sous forme de déclarations solennelles.

[105]  Le 3 février 1948, dans une lettre adressée au commissaire des Indiens W.S. Arneil, l’agent des Indiens J.V. Boys a présenté les déclarations solennelles faites en date du 20 janvier 1948 par quelques Indiens résidant à Topley Landing, dont Daniel Leon, Rosie Leon, John Baptiste (Paddy) Leon et Jim Charley, tous des membres de la bande d’Old Fort [Babine]. Ces déclarations solennelles ont été faites, en application de l’article 48 de la loi sur la prescription de la Colombie-Britannique, pour appuyer l’affirmation de Leon selon laquelle il habitait à cet endroit de façon continue depuis plus de 60 ans.

[106]  Chacune des déclarations solennelles confirmait que le déclarant résidait à « Topley Landing » bien avant 1928. Cependant, aucune demande n’a été présentée à la cour et la province n’a pas insisté davantage pour que la famille de Leon soit déplacée. Des certificats de décès provinciaux confirment que Rosie Leon est décédée à Topley Landing en 1963, et que Daniel Leon est décédé à Topley Landing en 1966.   

14.  Tachet et Topley Landing

[107]  Les terres au sud de la rivière Fulton ont pris le nom de Topley Landing. La preuve ne permet pas de savoir quand ce changement a eu lieu. De toute évidence, il ne s’agit pas d’un nom provenant de la langue carrier utilisée par la tribu d’Hagwilget.

[108]  Selon Warner Adam, [traduction] « Tachet est la prononciation babine de Topley Landing ».

15.  Recours aux déclarations solennelles de 1948

a)  Thèse de la revendicatrice

[109]  La revendication repose sur la preuve d’un droit identifiable à l’égard des terres du sud au moment où la Commission a attribué le lot 1353, le 30 mai 1916.

[110]  La revendicatrice voit dans les déclarations solennelles de 1948 la preuve de l’usage résidentiel des terres du sud avant et après que la Commission eût décidé, en 1916, d’attribuer le lot 1353, non classé, à la tribu d’Hagwilget.

[111]  Selon la revendicatrice, les déclarations prouvent que les membres habitaient sur les terres du sud avant l’arpentage de 1927 et la « réattribution » du lot 1353 au nord de la rivière. Elle soutient que, si les représentants du MAI avaient fait preuve de diligence, les terres au sud de la rivière attribuées par la Commission auraient été transférées au Canada. Les représentants du MAI étaient au courant de l’erreur que constituait la « réattribution » du lot 1353, mais ils ont manqué à leur obligation en omettant de la corriger. 

[112]  La revendicatrice soutient également que l’usage résidentiel des terres du sud en 1915 et 1916 étaye l’argument selon lequel la Commission voulait que la revendicatrice ait une réserve comprenant des terres situées des deux côtés de la rivière. 

b)  Les déclarations solennelles de 1948

i)  Rosie Leon

[113]  Mme Leon était mariée à Daniel. Elle était âgée de 66 ans. M. Hyde lui avait dit que l’endroit où elle vivait allait devenir une réserve. Elle est née à Topley Landing et, bien qu’elle se soit parfois absentée, elle y a vécu toute sa vie. Son père, Charley, a habité là avant elle et il y est décédé le 9 mai 1927.

ii)  Daniel Leon

[114]  M. Leon, âgé de 75 ans, est né à Topley Landing où sa maison existe toujours. Une réserve avait été promise. Son père, Leon, a habité là-bas avant lui. Bien qu’il se soit parfois absenté, il a toujours eu une résidence à Topley Landing.

iii)  Paddy Leon

[115]  M. Leon, âgé de 42 ans, est né à Topley Landing où vivaient ses parents, Rosie et Daniel, et il a vécu là toute sa vie. Il a été élevé par son grand-père, Charley, et sa grand-mère.

iv)  Jim Charley

[116]  M. Charley, âgé de « plus de 43 ans », est né à Topley Landing où son père, Charley, et sa mère ont vécu et sont décédés. Charley est décédé le 9 mai 1927.

C.  Analyse de la preuve et conclusions de fait

1.  Résidences à Tachet, 1915-1927

[117]  Charlie Pice était le père de Rosie Leon et de Jim Charley, qui sont tous deux nés avant 1900. Ces derniers habitaient avec leur père et mère. Paddy Leon est né vers 1902. Il a été élevé par Charlie Pice.

[118]  Charlie Pice a témoigné devant la Commission en 1915 et a déclaré que lui et sa famille vivaient au nord de la rivière Fulton et que les terres situées au sud de la rivière étaient inoccupées. L’agent des Indiens Hyde et d’autres représentants du MAI ont été interrogés par la Commission, mais ils n’ont parlé d’aucune résidence située au sud de la rivière.

[119]  De leur propre aveu, Rosie Leon, Jim Charley et Paddy Leon ont habité, du moins au cours de leurs premières années de vie, avec Charlie Pice qui, en 1915, vivait au nord de la rivière Fulton. Ils auraient donc aussi vécu au nord de la rivière.

[120]  Il est possible que Charlie Pice ait déménagé à Topley Landing avec sa famille quelque temps après juin 1915, mais il est plus probable que sa famille ait déménagé après son décès, en mai 1927, laquelle date correspond au moment où l’agent des Indiens Hyde a encouragé Daniel Leon à construire des maisons au sud de la rivière. Il se trouve que Lazalle Charlie, un autre fils de Charlie Pice, a dit à Warner Adams, lorsqu’il s’est entretenu avec lui en 1984, qu’il avait déménagé à « Topley Landing » en janvier 1928. Il est probable qu’il parlait des terres situées au sud de la rivière puisqu’il s’agit de la région que les colons appelaient « Topley Landing ».

[121]  Il est impossible de concilier les déclarations solennelles de 1948 présentées à l’appui de l’affirmation des Leon – selon laquelle ils résidaient à Topley Landing (ce qui voudrait dire les terres au sud de la rivière) avant 1915 et qu’ils ont continué d’y vivre au moins jusqu’en 1927 – avec la preuve selon laquelle personne n’habitait au sud de la rivière Fulton en 1915. Il n’est pas plus possible de concilier ces déclarations avec l’affirmation selon laquelle ils ont habité avec leur père, Charlie Pice, car si l’on prête foi au témoignage de ce dernier, ils habitaient au nord de la rivière. Les déclarants faisaient peut-être référence à la longue période pendant laquelle la tribu a occupé la région en général ou, vu le témoignage de Warner Adam, peut-être utilisaient-ils le nom de Topley Landing pour désigner Tachet, sans faire de distinction entre les rives nord et sud de la rivière Fulton.

[122]  Les lots non classés qui se trouvent au sud de la rivière ont été arpentés en 1927. L’arpenteur n’a pas parlé d’habitations sur ces terres. Selon ses notes d’arpentage, les habitations se trouvaient au nord de la rivière.

[123]  J’estime que la preuve, examinée dans son ensemble, n’appuie pas l’affirmation de la revendicatrice selon laquelle elle a occupé les terres du sud entre 1915 et 1927. La meilleure preuve, soit le témoignage de Charlie Pice devant la Commission, indique le contraire. La preuve révèle que ces habitations ont été construites en 1927 ou après.

2.  Utilisation et occupation traditionnelles

[124]  Lorsqu’il s’agit de revendications fondées sur les obligations de la Couronne en matière de création de réserves, l’utilisation et l’occupation habituelles d’une parcelle de terre par un groupe autochtone peuvent permettre de conclure à l’existence d’un droit identifiable (Canada c Première nation de Kitselas, 2014 CAF 150, [2014] 4 CNLR 6; Première Nation de Kitselas c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2013 TRPC 1; Bande indienne de Williams Lake c Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 2014 TRPC 3 [Williams Lake]) .

[125]  Les villages autochtones et les terres environnantes habituellement utilisées pour subvenir aux besoins des villages ne sont pas délimités avec la précision des arpentages « modernes ». Pourtant, il n’est pas nécessaire qu’ils soient délimités de façon aussi précise pour conclure à l’existence d’un droit identifiable. Imposer une telle exigence reviendrait à imposer un critère auquel il est impossible de satisfaire et à ne pas tenir compte des pratiques et points de vue des Autochtones.  

[126]  La preuve relative à l’utilisation et à l’occupation en l’espèce démontre que Tachet était un endroit où résidaient les membres de la tribu d’Hagwilget ainsi qu’un endroit où ils pêchaient et avaient accès au gibier. Les journaux de Kilmaurs corroborent l’histoire orale pour une certaine période pendant les années 1800.

[127]  Les journaux de Kilmaurs révèlent également que l’étendue de l’utilisation et de l’occupation de Tachet était variable et que le site était moins utilisé dans les années 1820.

[128]  Les traditions entourant l’association des sites avec les clans et les chefs n’étaient bien entendu pas tributaires des variations dans l’utilisation et l’occupation, pas plus que les droits de propriété sur le territoire en général. Ces préoccupations se rapportent toutefois à la question du titre ancestral. La Commission McKenna-McBride n’a pas été établie pour traiter de cette question.

[129]  Les interrogatoires menés par M. Adam en 1984 permettent de conclure que, pendant toute leur vie, les aînés qui ont été interrogés ont activement utilisé le site de Tachet pour la pêche et la chasse au gibier. Ils étaient alors des octogénaires. D’après leurs souvenirs, l’établissement d’étrangers a eu des répercussions sur les pêcheries et leur capacité à capturer du gibier.

[130]  Cependant, le seul témoignage d’une présence sur le territoire au moment où la Commission McKenna-McBride s’est penchée sur la nécessité d’établir une réserve à Tachet est celui offert par Charlie Pice en 1915. Comme la rive nord de la rivière Fulton était utilisée à des fins résidentielles, elle donnait principalement accès aux pêcheries. Les terres du sud étaient inhabitées et la Commission n’a été saisie d’aucune preuve quant à l’utilisation réelle de ces terres, outre la récolte du bois nécessaire à la construction d’habitations pour la famille élargie de Charlie Pice et de canots.

[131]  Lazalle Charlie s’est souvenu que son frère lui avait dit que les agents Hyde et Loring avaient parlé d’une réserve de huit milles carrés dans la région de la rivière Fulton. Les commissaires ont interrogé Loring. Rien n’indique que la Commission était au courant de cette réserve.

[132]  Si la tribu d’Hagwilget avait des droits fondés sur l’utilisation et l’occupation traditionnelles des terres, ceux-ci ne ressortaient pas à l’évidence des renseignements fournis à la Commission. À moins de se rendre sur place, les commissaires n’auraient pas pu savoir que la tribu d’Hagwilget détenait un droit, fondé sur l’usage traditionnel, sur les terres du sud. Et, même s’ils y étaient allés, les commissaires n’auraient probablement rien vu puisque, comme l’a dit Charlie Pice, les terres étaient inoccupées.

3.  L’attribution de la Commission McKenna-McBride

[133]  La revendicatrice voit dans les mesures prises par la Commission pour protéger les terres situées des deux côtés de la rivière Fulton contre l’aliénation une intention d’attribuer des terres des deux côtés.

[134]  L’intimée affirme que ces mesures ont été prises pour s’assurer que des terres demeurent disponibles et puissent être attribuées en tant que terres de réserve lorsque la Commission aurait rendu une décision définitive et pour conserver la possibilité d’attribuer les terres situées au nord de la rivière où habitaient les Indiens. Selon moi, l’intimée a raison.

[135]  L’article 13 des Conditions d’adhésion, et les facteurs dont les commissaires des réserves devaient tenir compte avant d’attribuer des terres, reconnaissaient le droit des Indiens sur les terres qu’ils occupaient de façon continue. C’était la politique coloniale, qui était de mettre de côté des réserves pour les nations indiennes sur les terres qu’elles utilisaient.

[136]  Les directives données aux commissaires des réserves par décrets du Canada et de la Colombie-Britannique, en 1876, sont l’expression de la politique coloniale appliquée au moment de la Confédération :

[traduction]

4. Que les commissaires se laissent généralement guider par l’esprit des conditions d’adhésion conclues entre le Canada et les gouvernements locaux, qui prévoyaient l’application d’une « politique générale » à l’égard des Indiens; et que, pour chaque nation, ils tiennent compte des habitudes, des souhaits et des activités de la nation, de l’étendue du territoire disponible dans la région qu’elle occupe, et des revendications des colons blancs. [5 novembre 1875, mémoire joint au décret du Dominion daté du 10 novembre 1875, C.P. 1088; je souligne]

[137]  L’alinéa 2b) de l’entente McKenna-McBride prévoit ce qui suit :  

[traduction] Si, de l’avis des commissaires, une superficie insuffisante de terres a été mise de côté pour l’usage des Indiens de la localité touchée, les commissaires décideront de la superficie additionnelle à accorder à ces Indiens. Ils pourront en outre réserver des terres pour l’usage d’une bande indienne à qui des terres n’auront pas encore été attribuées. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 12]

[138]  Si la Commission McBride-McKenna devait tenir compte des [traduction] « habitudes, des souhaits et des activités » de la tribu d’Hagwilget au moment de désigner les terres devant être mises de côté à titre de terres de réserve, elle devait alors se renseigner au sujet de cette tribu, ce qu’elle a fait.

[139]  La Commission était au courant de la demande de Cronin visant à acheter le lot 1610A, lequel englobait les terres occupées par la famille Pice. Après avoir reçu des directives de la Commission, le sous-ministre de la Colombie-Britannique a avisé l’agent du gouvernement provincial de la circonscription foncière de Fort Fraser que les terres avaient été demandées par la Commission royale au nom des Indiens, et que [traduction« si une des demandes d’achat était abandonnée, ni les lots faisant l’objet de la demande ni les lots vacants à ce moment-là ne pourront être aliénés tant que la Commission royale des affaires des sauvages n’aura pas rendu une décision définitive dans le dossier ».

[140]  À ce stade de l’analyse de la Commission quant à la nécessité pour les Indiens d’obtenir d’autres terres que celles déjà été mises de côté à titre de terres de réserve — vu que des membres de la tribu d’Hagwilget habitaient dans les environs immédiats —, le fait que la Commission ait ordonné de protéger les terres disponibles (c.-à-d. les terres qui ne sont pas visées par la demande d’achat) des deux côtés de la rivière ne révèle pas nécessairement une intention d’attribuer des terres des deux côtés.  

[141]  La directive qui consistait à protéger le lot 1610A, s’il devenait disponible, ne révèle pas une intention d’attribuer une réserve sur des terres déjà occupées avant qu’une décision définitive ne soit rendue. Cependant, les terres ne sont devenues disponibles que longtemps après la fin des travaux de la Commission.

[142]  Par conséquent, le rapport de décision daté du 30 mai 1916 prévoyait ce qui suit :

[traduction]

La Commission, après avoir examiné la demande nº 84 de bande de Fort Babine de la tribu d’Hagwilhet, qui relève de l’agence de Babine, visant à obtenir une « réserve » située au confluent de la rivière Babine et d’un ruisseau coulant vers le sud depuis le lac Fulton, laquelle figure sur la carte des terres pouvant être acquises par préemption établie en 1913 pour la région de Bulkley, mais n’apparaît pas comme réserve dans le répertoire officiel des réserves indiennes utilisées à des fins de jardinage et à des fins de réserve générales,

A ORDONNÉ qu’il soit autorisé, dans le cadre de la présente demande, d’établir et de constituer une réserve à l’usage et au profit de la demanderesse, la bande de Fort Babine de la tribu d’Hagwilget, sur le lot non classé numéro mille trois cent cinquante-trois (1353), rang cinq (5), district côtier, d’une superficie de cent vingt-huit (128) acres, plus ou moins. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 27]

[143]  La superficie de la terre attribuée est indiquée : 128 acres. Comme d’autres terres vacantes étaient disponibles, il est peu probable que, si le lot 1610A était devenu disponible, la Commission aurait attribué ce lot et les terres situées au sud de la rivière puisque cela aurait doublé la superficie indiquée.  

[144]  Ma conclusion sur ce point n’a aucune incidence sur la question de savoir si l’attribution des terres du sud, dans le rapport de décision nº 84, créait un droit identifiable en droit et donnait naissance à des obligations de la Couronne à l’égard de la revendicatrice.

4.  La « relocalisation » du lot 1353

[145]  Ma conclusion ci-dessus est renforcée par les mesures prises par les représentants provinciaux et fédéraux après l’examen fait par Ditchburn et Clarke relativement aux terres attribuées par la Commission. Ces mesures ont mené à la création d’une réserve au nord de la rivière, là où résidaient les Indiens. Cela témoigne de leur compréhension des intentions qu’avait la Commission de protéger les terres de la région, plus particulièrement le lot 1610A s’il devenait vacant.

[146]  Il est évident qu’Umbach a donné ses directives d’arpenter le territoire situé au nord de la rivière parce que le lot 1610A était devenu disponible. Dans sa lettre du 21 mai 1927, il a demandé à Schjelderup d’arpenter les terres de la réserve indienne nº 25 situées au nord de la rivière Fulton : [traduction] « […] Permettez-moi de vous dire que, suite à notre conversation, il a été décidé d’annuler l’arpentage du lot 1610-A, rang 5, district côtier. Il a été convenu que la région désirée pour la réserve indienne est la partie est du lot 1610-A, situé au nord de la rivière, et que cette réserve, que vous arpenterez, sera désignée comme étant le lot 1353, rang 5, district côtier. » (je souligne).

[147]  Il est évident qu’Umbach et Schjelderup ont eu cette « conversation » du fait que Cronin avait retiré sa demande d’acheter le lot 1610A et que, par conséquent, les terres pouvaient être transférées au Canada à titre de terres de réserve. Umbach savait certainement que les membres de la tribu vivaient sur les terres situées au nord de la rivière. Les représentants du MAI qui se trouvaient sur les lieux et leurs supérieurs le savaient probablement aussi. Il aurait été clairement indiqué dans les dossiers de la Commission qu’elle aurait attribué ces terres n’eût été la demande d’achat de Cronin. 

[148]  S’agissant des terres situées au nord de la rivière, il est indiqué dans les notes du [traduction] « Rapport de l’arpenteur sur l’examen des terres » que les occupants de Tachet voulaient les terres sur lesquelles ils vivaient. L’arpenteur a écrit ce qui suit : [traduction] « [l]e village de Tachek est très vieux. À l’heure actuelle, il y a trois cabanes en bois rond, deux étables, deux fumoirs (île) et quelques caches. Environ deux acres sont dégagées et partiellement cultivées. Chaque été, une petite quantité de foin des marais est habituellement récoltée dans les marécages ». Les occupants rencontrés par l’arpenteur ont affirmé qu’ils voulaient vivre sur la rive nord.

[149]  En conclusion, la création d’une réserve au nord de la rivière donnait effet à l’intention exprimée par la Commission dans son rapport de décision nº 84.

5.  Désignation des terres arpentées comme lot 1353

[150]  La nouvelle désignation des terres composant autrefois le lot 1610A comme étant le lot 1353 a fait en sorte que la description des terres devant être transférées au Canada concordait avec la description présentée dans le rapport de décision nº 84 de la Commission et dans le répertoire joint au rapport :

[traduction]

Description : Au confluent de la rivière Babine et d’un ruisseau coulant vers le sud depuis le lac Fulton, le lot non classé 1353, r. 5, district côtier.

Superficie : 128 acres plus ou moins. [exposé conjoint des faits, au paragraphe 28]

[151]  Cette solution pratique permettait de s’assurer que les occupants de Tachet obtiennent les terres qu’ils souhaitaient avoir à titre de terres de réserve.

II.  questions en litige

A.  Principale question en litige

[152]  La revendicatrice soutient :

[traduction] La principale question de droit soulevée dans le cadre de la présente revendication est celle de savoir si le Canada a « manqué à une obligation légale découlant de la […] non-fourniture de terres d’une réserve » en application de l’alinéa 14(1)c) de la Loi [LTRP]. [mémoire des faits et du droit de la revendicatrice, au paragraphe 133]

B.  Manquements

[153]  Voici les manquements reprochés au Canada :

  1. Le défaut de contester la demande présentée par Cronin afin que la Couronne lui cède le lot 1610A.

  2. Le défaut de s’assurer qu’une réserve soit établie sur les terres situées des deux côtés de la rivière Fulton.

  3. Le défaut de contester l’arpentage de 1927 et la désignation du lot 1353 comme étant des terres situées au nord de la rivière Fulton.

  4. Le défaut de prendre les mesures nécessaires pour corriger l’erreur de ne pas inclure les terres situées au sud de la rivière Fulton quand la province a cherché à déplacer Daniel Leon et sa famille de Topley Landing.

III.  obligation légale

[154]  L’obligation alléguée tire son origine de l’obligation fiduciaire. Une obligation prend naissance quand, dans le contexte de la création de réserves : (1) il existe un droit indien spécifique ou identifiable; et que (2) la Couronne exerce des pouvoirs discrétionnaires à l’égard de ce droit (Bande indienne de Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, aux paragraphes 81 à 83, [2002] 4 RCS 245 [Wewaykum]; Manitoba Métis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14, au paragraphe 51, [2013] 1 RCS 623).

[155]  Dans le processus de création de réserves, le Canada agit en tant qu’intermédiaire exclusif auprès de la province. C’est le Canada qui a la responsabilité constitutionnelle à l’égard des « Indiens et des terres réservées aux Indiens » en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, et c’est le Canada qui, suivant l’article 13 des Conditions d’adhésion de 1871, assurait le « soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réserves pour leur usage et bénéfice ».

[156]  Dans diverses situations, les tribunaux ont reconnu que la Couronne, en tant que fiduciaire, doit :

(a)  agir uniquement dans l’intérêt du bénéficiaire;

(b)  faire preuve de loyauté absolue et de diligence;

(c)  agir de bonne foi dans l’exécution de son mandat;

(d)  communiquer toute l’information eu égard aux circonstances;

(e)  agir avec le soin et la prudence qu’un bon père de famille apporte à l’administration de ses propres affaires;

(f)  faire montre de diligence raisonnable à l’égard du droit en cause des Indiens; et

(g)  corriger les erreurs dans l’intérêt du bénéficiaire. [Wewaykum, aux paragraphes 86 à 94; Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1995] 4 RCS 344, [1996] 2 CNLR 25, au paragraphe 104; Première Nation de Lac Seul c Canada, 2009 CF 481, aux paragraphes 23 et 24, 348 FTR 258 (CAF)]

IV.  obligations fiduciaires et faits

A.  Défaut de contester la demande présentée par Cronin afin que la Couronne lui cède le lot 1610A et de s’assurer qu’une réserve soit établie sur les terres situées des deux côtés de la rivière Fulton

[157]  Les première et deuxième questions se chevauchent puisqu’elles reposent toutes deux sur la prémisse que la Commission a reconnu le droit des Indiens sur les terres situées des deux côtés de la rivière Fulton et qu’elle a agi de manière à protéger ce droit en attribuant des terres sur les deux rives. Cette prémisse n’est pas étayée par la preuve.

[158]  Quand Charlie Pice a témoigné, il a dit qu’il souhaitait avoir une réserve boisée au sud de la rivière. Il a produit une carte des terres pouvant être acquises par préemption, laquelle avait été établie en 1913, sur laquelle une zone située au sud de la rivière était délimitée et désignée comme étant une [traduction] « Rés. Ind. ». Pice a affirmé que la région au sud de la rivière était inoccupée et qu’il pêchait là où il vivait, c’est-à-dire au nord de la rivière. Il n’avait pas besoin de la région marquée « Rés. Ind. » pour pêcher.

[159]  Les terres situées au sud de la rivière étaient décrites comme étant montagneuses et boisées. M. Pice avait demandé qu’une réserve boisée lui soit attribuée à cet endroit. Il utilisait du bois pour construire des maisons et des canots. Il pensait alors à la zone désignée comme étant une [traduction] « Rés. ind. » sur la carte des terres pouvant être acquises par préemption établie en 1913. M. Pice n’a pas dit à qui il avait parlé à propos de la réserve. Interrogé sur la raison pour laquelle il n’avait pas demandé une réserve boisée au nord de la rivière, il a répondu qu’il pensait déjà être propriétaire des terres situées au nord.

[160]  Les terres situées au sud de la rivière étaient incultivables.

[161]  Des réserves avaient été mises de côté pour la tribu d’Hagwilget en 1891. Aucune terre n’avait été attribuée dans les environs de la rivière Fulton. Des renseignements obtenus auprès des représentants du MAI révèlent que le gouvernement n’aurait pris aucune mesure visant à délimiter, encore moins à établir, une réserve à l’embouchure de la rivière Fulton.

[162]  La Commission a reconnu que le lieu de résidence de la tribu s’étendait au nord des berges de la rivière. Elle a demandé à la province de protéger contre l’aliénation les lots non classés et vacants situés à proximité de la rivière jusqu’à ce qu’elle termine ses travaux. Elle n’a pas agi ainsi parce qu’elle avait reconnu un droit indien, puisqu’il n’y avait apparemment aucun droit. Personne n’habitait à cet endroit. Elle l’a fait pour s’assurer que les terres demeurent disponibles jusqu’à ce que ses travaux soient terminés.

[163]  Les terres constituant le lot 1610A, principalement situées au nord de la rivière, étaient habitées par les Indiens, mais elles étaient visées par la demande d’achat de Cronin. La Commission ne pouvait pas directement rejeter la demande. Elle a donc demandé à la province d’exclure de cette demande une partie du lot 1610A situé sur la rive nord, à l’extrémité est (rives du lac), et de ne pas permettre l’achat de plusieurs lots, y compris le lot vacant 1353.

[164]  Le sous-ministre des Terres de la province a aussi dit à l’agent des terres de protéger le lot 1610A contre l’aliénation advenant que Cronin abandonne sa demande d’achat tant que la Commission n’aurait pas produit son rapport. Dans les circonstances, cette mesure ne révélait pas une intention d’attribuer des terres des deux côtés de la rivière.

[165]  La Commission a consenti à la demande nº 84, portant sur le lot 1353 d’une superficie de 128 acres au sud de la rivière Fulton.

[166]  En ce qui concerne la revendication fondée sur le défaut de contester la demande de Cronin parce qu’elle contrevenait à la Land Act de la Colombie-Britannique, j’estime qu’une contestation couronnée de succès aurait conduit au même résultat, soit la création d’une réserve là où les Indiens avaient depuis longtemps établi leur résidence.

B.  Défaut de s’assurer que la réserve comprenait les terres du sud

1.  Droit identifiable fondé sur l’utilisation et l’occupation traditionnelles

[167]  La revendicatrice soutient qu’elle avait un droit identifiable sur les terres situées sur la rive sud de la rivière Fulton en tout temps avant et après le rapport de décision nº 84 de 1916, selon lequel le lot 1353 (ainsi désigné à l’époque) était attribué à la bande de Fort Babine de la tribu d’Hagwilget. Elle se fonde notamment sur des éléments de preuve de l’utilisation et de l’occupation des terres faisant partie du territoire traditionnel occupé par le peuple d’Hagwilget depuis des temps immémoriaux.

[168]  La revendicatrice se fonde plus particulièrement sur une utilisation et une occupation prolongées du village de Tachet situé à l’embouchure de la rivière Fulton, lieu d’accès aux pêcheries et de chasse au gibier, pour étayer sa thèse du droit identifiable.

[169]  L’utilisation historique de certaines parcelles de terre est un élément pertinent au regard des obligations de la Couronne en matière de création de réserves. Comme je l’ai déjà indiqué, l’identification de ces parcelles ne nécessite pas l’établissement de limites précises. Elle pourrait fonder une conclusion d’utilisation et d’occupation habituelles au moment où des obligations de la Couronne en matière de création de réserves prenaient naissance.

[170]  La question consiste toutefois à savoir si l’utilisation traditionnelle des terres était évidente pour les représentants de la Couronne et la Commission en place au moment où la décision d’attribuer une réserve a été prise. Dans la décision Williams Lake, le commissaire O’Reilly, le seul membre de la Commission mixte des réserves indiennes établie en 1876, savait que les terres en cause avaient été occupées par les Indiens durant la période précédant immédiatement le moment où la décision d’attribuer une réserve devait être prise. Dans Williams Lake, les représentants fédéraux et O’Reilly savaient et reconnaissaient que les Indiens avaient habituellement utilisé les terres pour l’habitation et pour la cueillette d’aliments jusqu’à ce qu’ils soient expulsés par des colons. Dans ces circonstances, les obligations imposées à la Couronne par l’article 13 des Conditions d’adhésion entraient en jeu. Le droit de la revendicatrice était identifiable en droit puisqu’il était reconnu dans les lois coloniales et provinciales postérieures à la Confédération qui interdisaient l’acquisition par préemption des établissements indiens. La reconnaissance du droit indien dans les établissements a été confirmée par l’entente de 1876, qui prévoyait l’établissement de la Commission mixte des réserves indiennes. Les commissaires devaient mettre de côté les terres habituellement utilisées par les Indiens en tant qu’établissements.

[171]  En l’espèce, il n’aurait pas été évident pour les représentants de la Couronne et les commissaires McKenna et McBride que les terres situées au sud de la rivière Fulton formaient un village. Ils ne disposaient d’aucune preuve d’une occupation actuelle ou récente de ces terres. Il y avait des habitations sur les terres situées au nord. Les résidents avaient accès aux pêcheries. En définitive, leur droit, tant dans les terres que dans les pêcheries, était protégé.

2.  Titre ancestral et droit identifiable

[172]  Au sens juridique, le terme « identifiable » signifie [traduction] « qui peut être identifié ou reconnu » [Black’s Law Dictionary, 10e éd, sub-verbo « cognizable » (identifiable)].

[173]  En l’espèce, la conclusion selon laquelle une preuve d’utilisation et d’occupation historiques traditionnelles permettait, à elle seule, d’établir un droit identifiable en droit et, par conséquent, de justifier une revendication fondée sur la LTRP équivaudrait à une conclusion selon laquelle les obligations de la Couronne sont fondées sur le titre ancestral.

3.  Pouvoir discrétionnaire

[174]  La Couronne a continué à agir comme intermédiaire exclusif des Indiens en 1916 et au cours des années suivantes, alors que les obligations fédérales et provinciales imposées par l’article 13 des Conditions d’adhésion subsistaient.

[175]  La preuve en l’espèce ne permet pas d’établir que les terres du sud étaient utilisées ou occupées en 1916 ni que les Indiens venaient d’être expulsés des terres qu’ils utilisaient habituellement pour l’habitation et d’autres utilisations locales. Leur droit n’était pas évident, en ce qu’il n’était pas visible pour les commissaires ou autrement connu d’eux. Il n’est donc pas nécessaire de tenir compte du deuxième facteur touchant au contrôle discrétionnaire sur le processus de création des réserves.

C.  Territoires et réserves traditionnels

[176]  L’utilisation et l’occupation traditionnelles peuvent avoir une certaine pertinence au regard des obligations de la Couronne relatives à l’administration des réserves. Ce facteur semble avoir été pris en compte dans l’arrêt Guerin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321 [Guerin], puisque la Cour suprême du Canada a affirmé que la réserve qui avait été établie se trouvait sur le territoire traditionnel de la bande Musqueam. Cette observation se rattache à la conclusion que le droit indien à l’égard de réserves établies est un droit sur les terres visées par un titre ancestral.

[177]  Dans l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême du Canada a mentionné que les réserves « provisoires » en cause ne se trouvaient pas sur les terres tribales traditionnelles des deux bandes assujetties à la Loi sur les Indiens qui revendiquaient un droit sur les mêmes réserves provisoires. Cela ne semble pas avoir eu d’incidence sur l’analyse et les conclusions touchant aux obligations de la Couronne quant aux réserves provisoires. 

[178]  La preuve en l’espèce permet d’établir que Tachet se trouve sur le territoire traditionnel d’un groupe culturel et linguistique dont fait partie la revendicatrice. Tout comme dans l’arrêt Wewaykum, le titre ancestral n’est pas en cause. Si un autre tribunal arrive à la conclusion que la tribu d’Hagwilget détient un titre ancestral, la question de savoir si elle possède aussi une réserve pourrait être théorique puisque le droit est le même (Guerin).

D.  Obligations de la Couronne et réserves provisoires

[179]  La revendicatrice se fonde également sur le rapport de décision de 1916 pour étayer sa thèse voulant qu’elle détienne un droit identifiable puisque la Commission a établi une réserve provisoire sur le lot 1353. Elle fonde son argument sur la conclusion tirée dans l’arrêt Wewaykum selon laquelle la Couronne a des obligations envers les Indiens lorsque des terres de la Couronne provinciale ont été mises de côté afin d’être transférées au Canada à titre de réserve, mais qu’elles n’ont pas encore été transférées. À ce stade du processus de création de réserves, les terres peuvent être considérées comme étant « provisoires ». Le groupe autochtone intéressé par les terres peut avoir un droit identifiable. La Couronne aura des obligations fiduciaires si elle exerce un contrôle discrétionnaire sur l’avancement du processus de création des réserves jusqu’à l’obtention du statut recherché.

[180]  Pour répondre à l’argument de la revendicatrice sur l’application du droit des fiducies, je supposerai que le lot 1353, tel que décrit dans le rapport de décision nº 84, était une réserve provisoire à l’égard de laquelle la revendicatrice avait un droit identifiable. Je supposerai également que la Couronne exerçait un contrôle sur l’avancement des droits de la revendicatrice. 

E.  Intérêt de la revendicatrice

[181]  Si l’on suppose que la Couronne avait des obligations fiduciaires envers la revendicatrice en ce qui concerne les terres attribuées par la Commission, la Couronne avait des « obligations additionnelles : loyauté, bonne foi, communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et devoir d’agir de façon raisonnable et diligente dans l’intérêt du bénéficiaire de l’obligation » (Wewaykum, au paragraphe 94).

[182]  En l’espèce, la Couronne s’est acquittée de ses obligations. La province et le Canada ont agi dans l’intérêt de la revendicatrice en créant une réserve au nord de la rivière Fulton, puisque c’est là que les membres de la tribu d’Hagwilget avaient depuis longtemps établi leur résidence et qu’ils avaient accès aux pêcheries. À ce dernier égard, l’île située au milieu de la rivière Fulton, à l’embouchure, faisait partie de la réserve.

[183]  La Commission avait pris des mesures pour que les terres situées au nord soient disponibles pour créer une réserve si la demande de Cronin devait être abandonnée. Cronin a mis fin à sa demande et les terres sont devenues disponibles.

[184]  Il n’était pas prévu que les terres des deux côtés de la rivière Fulton seraient mises de côté en tant que terres de réserve.

[185]  Les terres du sud ont été attribuées puisque les terres situées au nord n’étaient pas disponibles en 1916 du fait que la province avait accepté la demande d’achat de Cronin. Les terres au nord de la rivière sont ensuite devenues disponibles, de sorte que les terres du sud n’étaient plus nécessaires.

[186]  Certains éléments de preuve démontrent que le changement — de la rive sud à la rive nord — a été divulgué. L’arpenteur a parlé avec quelques résidents de la rive nord qui voulaient que les terres qu’ils occupaient leur soient réservées. Même si la Première Nation avait été officiellement avisée, rien ne permet de croire que le résultat aurait été différent.

[187]  Il est regrettable que l’agent des Indiens, M. Hyde, ait mal informé M. Leon. Il ne cherchait pas à l’induire en erreur. Quand ils s’en sont rendu compte, les hauts fonctionnaires du MAI ont pris des mesures raisonnables pour reprendre les terres inhabitées situées au sud de la rivière. La province a fait preuve d’intransigeance en refusant de prendre des mesures d’accommodement. Le MAI a envisagé de s’adresser aux tribunaux, mais il ne l’a pas fait. Le bien-fondé de l’affaire n’aurait probablement pas pu être établi sur le fondement de 60 années d’occupation.

F.  Défaut de corriger son erreur 

[188]  Il n’est pas nécessaire d’examiner la quatrième question soulevée par la revendicatrice. La mise en réserve des terres situées au nord de la rivière plutôt que des terres du sud était voulue. Il ne s’agissait pas d’une erreur. La Couronne n’a pas manqué à son obligation et il n’y a rien à corriger. 

V.  décision

[189]  La Couronne (Canada) n’a pas manqué à l’obligation légale qu’elle avait envers la revendicatrice. Cette dernière n’a pas établi une revendication valide en vertu des dispositions de la LTRP. 

HARRY SLADE

L’honorable Harry Slade, président

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20151019

Dossier : SCT-7004-12

OTTAWA (ONTARIO), le 19 octobre 2015

En présence de l’honorable Harry Slade

ENTRE :

NATION DE LAKE BABINE

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocats de la revendicatrice NATION DE LAKE BABINE

Représentée par Maria Morellato, c.r., et Leah Pence

Mandell Pinder LLP Barristers & Solicitors

ET AUX:

Avocats de l’intimée

Représentée par Tanya Jorgenson et Michael Mladen

Ministère de la Justice

 

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