Motifs de la décision

Informations sur la décision

Contenu de la décision

DOSSIER : SCT-7004-11

RÉFÉRENCE : 2014 TRCP 3

DATE : 20140228

TRADUCTION OFFICIELLE

TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

ENTRE :

 

 

BANDE INDIENNE DE WILLIAMS LAKE

Revendicatrice

 

Clarine Ostrove et Leah Pence, pour la revendicatrice

– et –

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU  CANADA

Représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

 

Brian McLaughlin et Shelan Miller, pour l’intimée

 

 

Audience tenue du 16 au 19 octobre 2012 et du 4 au 6 juin 2013, observations écrites supplémentaires déposées en septembre 2013

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’honorable Harry Slade


Note : Ce document fera l’objet de retouche de forme avant la parution de sa version définitive.

Jurisprudence :

Mentionnés : Conseil de bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54, [2002] 2 RCS 816; Guérin c R, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245; Manitoba Metis Federation c Canada, 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623; Nation Haïda c Colombie Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511; Delgamuukw c Colombie Britannique, [1997] 3 RCS 101, 153 DLR (4th) 193; Peepeekisis Band c Canada, 2013 CAF 191, 232 ACWS (3d) 1; Première nation de Kitselas c SMR du chef du Canada, 2013 TRPC 1; Nowegijick c La Reine, [1983] 1 RCS 29, 144 DLR (3d) 193; R c Jack, [1980] 1 RCS 294; 100 DLR (3d) 193.

Lois et règlements cités :

Land Act, SBC 1875, ch 3, art 50, de la Colombie Britannique.

Conditions de l’adhésion de la Colombie Britannique, LRC 1985, app II, n° 10.

Loi constitutionnelle de 1867 (R. U.), 30 & 31 Vict, ch 3, art 91, reproduite dans LRC 1985, app II, n° 5.

Loi sur les Indiens, LRC 1952, ch 149, par 18(1).

Proclamation royale de 1763, LRC 1985, app II, n° 1.

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22, al 14(1)b), 14(1)c), 15(1)f) et par 14(2).

Mots clés

Droit autochtone – Revendication particulière – Obligation légale – Création de réserves – Colombie Britannique – Obligation fiduciaire – Établissements indiens – Honneur de la Couronne.


 

TABLE DES MATIÈRES

I. Aperçu historique  5

II. revendication  8

III. questions en litige  8

IV. décision  9

V. preuve, analyse et conclusions  10

A. Politique coloniale et établissements indiens  10

1. Politique coloniale relative à la création de réserves  10

2. Fondement de la politique coloniale : immigration et menace de guerre  14

3. Caractéristiques d’un « établissement »  17

B. Les Indiens de Williams Lake avaient-ils un village au pied du lac Williams, dans les régions connues sous le nom de « Comer » et de « Glendale », quand la colonie de la Colombie Britannique a été établie en 1858?  19

1. Preuve  19

2. Résumé et conclusion  29

C. Les préemptions qui ont eu lieu dans la région de Comer et de Glendale contrevenaient-elles aux lois coloniales?  30

1. Établissements indiens et préemptions  30

2. Terres acquises par préemptions à Williams Lake  33

3. Conclusion  34

D. Loi sur le Tribunal des revendications particulières : violation d’une obligation légale d’une colonie  34

1. Loi sur le Tribunal des revendications particulières, aliéna 14(1)b)  34

2. Interprétation de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, aliéna 14(1)b)  36

3. La Proclamation no 15 imposait-elle une obligation aux responsable de la colonie?  38

E. Sa Majesté a-t-elle manqué à son obligation d’agir honorablement et à son obligation fiduciaire lors de la période coloniale?  39

1. L’alinéa 14(1)b) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières rend-il Sa Majesté (Canada) responsable du manquement de la colonie à l’obligation fiduciaire?  39

2. Textes législatifs et obligations fiduciaires en common law  41

3. Relation fiduciaire  42

4. Honneur de la Couronne et obligation fiduciaire  43

5. Affirmation de la souveraineté de la Couronne en Colombie-Britannique  44

F. L’honneur de la Couronne était-il en jeu dans les rapports que celle-ci avait avec les Autochtones è l’époque coloniale?  45

1. Quelle norme s’appliquait à l’obligation de se conduire honorablement avec les peuples autochtones de la colonie?  48

2. La Couronne (la colonie) s’est-elle acquittée honorablement de ses obligations envers les Indiens de Williams Lake?  49

3. Un manquement au principe de l’honneur de la Couronne constitue-t-il une violation d’une obligation légale aux termes de l’article 14 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières?  50

a) Engagement unilatéral  51

b) Wewaykum : réserves provisoires et obligations fiduciaires  53

c) Les établissements indiens étaient-ils « provisoires » à l’époque coloniale?  54

G. La présente revendication vise-t-elle un titre ancestral du fait que la revendicatrice se fonde sur l’occupation des terres du village?  55

H. Alinéa 14(1)b) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières et article premier des Conditions de l’adhésion  56

VI. revendicaitons postérieures à la confédération  57

A. Revendication déposée en vertu de l’alinéa 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières  57

B. La revendication fondée sur une violation postérieure à la Confédération est-elle théorique?  58

C. Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, 1871  58

1. Article premier des Conditions de l’adhésion  58

2. Article 13 des Conditions de l’adhésion et compétence fédérale  58

3. Engagement unilatéral  59

4. Pouvoir discrétionnaire  61

D. Honneur de la Couronne et obligation fiduciaire  63

1. Ligne de conduite libérale  63

2. Mesures exigées par l’article 13 des Conditions de l’adhésion  68

3. Situation après la Confédération  69

4. Honneur de la Couronne et obligation fiduciaire  72

5. La Couronne a-t-elle manqué son obligation?  74

6. O’Reilly et l’attribution des réserves  75

7. Obligation fiduciaire et Commission mixte des réserves indiennes  76

8. Les attributions d’O’Reilly ont-elles remédié au manquement?  77

 

I.  Aperçu historique

[1]  La présente revendication découle d’événements qui remontent à l’époque coloniale en Colombie Britannique. La question qu’elle soulève découle quant à elle de la politique de la colonie et des mesures sur l’établissement des réserves qu’elle prévoyait. La période dont il est question s’étend jusqu’à l’époque postcoloniale, alors que le Canada a été chargé de la création des réserves dans la province.

[2]  La Bande indienne de Williams Lake (« revendicatrice ») affirme que la colonie a manqué à son obligation légale d’empêcher les colons d’acquérir par préemption les terres où elle avait des établissements. Elle soutient que le Canada était principalement responsable, en droit, de l’attribution des réserves en Colombie Britannique après la Confédération et qu’il ne s’est pas acquitté de l’obligation qu’il avait envers elle.

[3]  La revendication n’est pas fondée sur les droits et titres ancestraux. Cependant, pour expliquer le contexte dans lequel elle se situe, il convient de décrire brièvement l’utilisation et l’occupation que faisait traditionnellement la revendicatrice des terres en cause. Cette dernière est l’une des 17 communautés de la nation Secwepemc (Shuswap), qui occupait un vaste territoire dont elle faisait une utilisation traditionnelle pour subvenir à ses besoins. Les membres de la nation Secwepemc suivaient un cycle saisonnier, c’est à dire qu’ils s’installaient pendant l’hiver dans des habitations semi souterraines (appelées « kickwillies »), construites dans des lieux stratégiques où ils avaient accès à une variété de ressources, et qu’ils se déplaçaient sur l’ensemble du territoire pour pêcher, chasser et cueillir des plantes, des racines et des fruits pendant les autres saisons. Le territoire utilisé par la revendicatrice couvrait une vaste étendue allant de l’ouest du fleuve Fraser, vers le sud, au-delà de Sheep Creek, vers le sud est en direction du Lac La Hache, vers l’est en direction de Horsefly, et vers le nord en direction de Soda Creek.

[4]  Les terres visées par la présente revendication se trouvent au pied du lac Williams. Le secteur couvre Williams Creek, l’île Scout, l’emplacement actuel du Stampede, le centre-ville de Williams Lake et un plateau au nord du centre-ville. Dans les observations de la revendicatrice, ce secteur est désigné par l’expression [traduction] « terres du village ».

[5]  Pendant les périodes coloniale et postconfédérative, l’attribution des réserves tenait compte de l’utilisation des terres que faisaient alors les différentes collectivités autochtones. Au cours de la période coloniale, les politiques gouvernementales prévoyaient l’attribution de réserves là où il y avait des établissements indiens sur les terres de la Couronne. Aux termes des lois en vigueur à l’époque, les colons disposaient de droits de préemption sur les terres de la Couronne. Compte tenu de la croissance de la population coloniale, des lois ont été adoptées pour empêcher l’acquisition par préemption des établissements indiens.

[6]  La revendicatrice s’est établie à divers endroits sur le territoire qu’elle utilisait traditionnellement. L’importance de l’occupation variait selon les saisons. À l’instar des autres collectivités indiennes, la bande a été durement touchée par la variole et d’autres maladies introduites par les Européens, de sorte que sa population a grandement diminué, ce qui a eu une incidence sur la mesure dans laquelle certaines terres — occupées de façon saisonnière — étaient utilisées.

[7]  Le commissaire de l’Or Nind était chargé de jalonner les établissements indiens. Si des terres préemptées empiétaient sur un établissement, il était possible d’obtenir l’annulation de la préemption. Le 4 mai 1861, le commissaire Nind signale la situation désespérée des Indiens de Williams Lake qui souffraient de la pénurie de saumon dans le fleuve Fraser et a demandé [traduction] « qu’une réserve soit délimitée à leur intention ». Il note que [traduction] « [...] la majeure partie des terres agricoles disponibles avaient été préemptées et autrement acquises [...] ».

[8]  En juin 1861, dans le cadre de la politique de la colonie relative à l’attribution des réserves, le commissaire en chef des Terres et des Travaux publics ordonne au commissaire de l’Or Nind de [traduction] « [...] délimiter une réserve de 400 ou 500 acres à l’usage des Indiens à l’endroit où ils souhaitent posséder une section de terrain ». Le commissaire Nind ne le fera pas. La preuve ne renferme aucune explication directe quant à la raison pour laquelle le commissaire Nind ne s’est pas conformé à cette instruction.

[9]  Entre juillet et novembre 1861, une bonne partie des terres qui, selon la revendicatrice, étaient des terres du village sont préemptées par les colons. Les cartes des terres acquises par préemption, qui ont été établies en 1883, montrent six lots, et chacune d’elles fait état de plusieurs terres acquises par préemption, pour un total d’environ deux mille acres. Parmi ces terres, celles acquises par préemption avant novembre 1861 représentent environ la moitié. La preuve ne permet pas d’établir avec précision la superficie qui empiétait sur les terres du village. Les récits oraux laissent croire que les terres du village formaient un territoire plus grand que celui des terres préemptées jusqu’en 1883.

[10]  Lorsque la Colombie Britannique adhère à la Confédération, le Canada s’engage à négocier avec la province l’attribution des réserves. Le Canada et la Colombie Britannique conviennent d’un processus d’attribution. La Commission mixte des réserves indiennes (« CMRI ») est établie en 1876.

[11]  Les commissaires, nommés par le Canada et la province, doivent attribuer des réserves dans les régions habituellement utilisées par les collectivités autochtones. Le commissaire O’Reilly est le seul commissaire en poste au moment où les réserves sont attribuées en territoire secwepmc.

[12]  Le fait qu’aucune réserve ne soit attribuée à Williams Lake suscite une controverse publique en 1880.

[13]  Le chef William se plaint au commissaire O’Reilly de ce que des terres de la bande ont été préemptées. Le commissaire O’Reilly refuse d’envisager la possibilité d’attribuer les terres d’établissement puisque cela porterait atteinte aux [traduction] « droits des hommes blancs ».

[14]  Le 22 septembre 1881, le commissaire O’Reilly signale au surintendant général du ministère des Affaires indiennes qu’il a [traduction] « remis » à la revendicatrice une parcelle de terre « d’environ 4 100 acres », et deux autres parcelles d’une superficie de 280 acres. Les terres attribuées par le commissaire O’Reilly sont situées à la tête du lac, et non à l’endroit où, selon la revendicatrice, était l’établissement au moment où les réserves ont été attribuées par la colonie.

[15]  L’annexe au décret no 1036, daté du 29 juillet 1938, dresse la liste des parcelles de terre, totalisant 4 608,63 acres, qui ont été transférées au Canada en fiducie à l’usage et au profit de la revendicatrice.

II.  revendication

[16]  La revendicatrice soutient que la colonie de la Colombie Britannique entretenait une relation de nature fiduciaire avec les Indiens de Williams Lake depuis sa création en 1858, puisque l’affirmation du titre et de la souveraineté de la Couronne plaçait les territoires traditionnels de la bande sous le contrôle du gouvernement colonial.

[17]  La revendicatrice ne revendique pas, aux fins de la présente instance, un droit foncier fondé sur un titre ancestral. Sa revendication repose plutôt sur le fait que la colonie n’a pas agi dans l’intérêt de la bande en appliquant ses propres politiques et lois; d’abord, en empêchant que les terres — où se trouvait l’établissement de la revendicatrice au pied du lac Williams — soient préemptées, et en ne récupérant pas à son profit les terres illégalement préemptées (Loi sur le Tribunal des revendications particulières, LC 2008, ch 22, al 14(1)b) [LTRP]).

[18]  La colonie a adhéré à la fédération canadienne en 1871. La revendicatrice affirme que, par la suite, le Canada n’a pas rempli son obligation légale de mettre à part les terres du village à titre de réserve (LTRP, al 14(1)c)).

III.  questions en litige

  1. Les Indiens de Williams Lake avaient-ils un village au pied du lac Williams, dans les régions connues sous le nom de « Comer » et de « Glendale », quand la colonie de la Colombie Britannique a été établie en 1858?

  2. Dans l’affirmative, le village de Williams Lake constituait-il un « établissement indien »au sens des politiques coloniales?

  3. Si le village constituait un « établissement indien », les politiques et les lois coloniales le protégeaient elles contre l’acquisition par préemption?

  4. Les préemptions contrevenaient elles aux lois coloniales?

  5. Le principe de l’honneur de la Couronne s’appliquait il à la colonie dans son rapport avec les peuples autochtones?

  6. Dans l’affirmative, Sa Majesté (colonie) a-t-elle manqué à son obligation d’agir honorablement en ne jalonnant pas les terres d’établissement des Indiens de Williams Lake?

  7. Sa Majesté (colonie) avait-elle une obligation fiduciaire envers les Indiens de Williams Lake relativement aux terres sur lesquelles ceux-ci étaient établis?

  8. Dans l’affirmative, Sa Majesté a-t-elle manqué à son obligation en ne jalonnant pas les terres d’établissement et en ne reprenant pas les terres préemptées?

  9. Dans l’affirmative, Sa Majesté (colonie) a-t-elle violé une obligation légale au sens de l’al 14(1)b) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières?

  10. Dans l’affirmative, le Canada est-il devenu responsable, lors de la Confédération, du manquement survenu à l’époque coloniale, puisqu’il s’agissait d’une « obligation »au sens de l’article premier des Conditions de l’adhésion?

  11. Le principe de l’honneur de la Couronne s’appliquait il au Canada relativement aux terres du village des Indiens de Williams Lake?

  12. Le Canada avait-il envers les Indiens de Williams Lake une obligation fiduciaire de prendre des mesures pour que leurs terres d’établissement leur soient attribuées à titre de réserve?

  13. Dans l’affirmative, le Canada a-t-il manqué à son obligation d’agir honorablement et à son obligation fiduciaire en ne prenant pas des mesures pour empêcher que les terres d’établissement des Indiens de Williams Lake soient préemptées?

  14. Dans l’affirmative, Sa Majesté (Canada) a-t-elle violé une obligation légale au sens de l’al 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières?

IV.  décision

[19]  La revendication a été scindée et sera instruite en deux phases : la validité et l’indemnisation (si nécessaire). 

[20]  J’estime que la validité des revendications présentées en vertu des al 14(1)b) et 14(1)c) de la LTRP a été établie.

V.  preuve, analyse et conclusions

A.  Politique coloniale et établissements indiens

1.  Politique coloniale relative à la création de réserves

[21]  En 1849, le gouvernement impérial donne la colonie de l’île de Vancouver à la Compagnie de la Baie d’Hudson. James Douglas, agent principal de la compagnie sur l’île de Vancouver, élabore alors une politique coloniale à l’égard des Indiens suivant les instructions d’Archibald Barclay, secrétaire de la compagnie à Londres. En septembre 1849, Douglas écrit ce qui suit à Barclay :

[traduction] Il faudrait, dès que possible, que des ententes soient conclues avec les tribus indiennes en ce qui concerne l’acquisition de leurs terres, et je recommanderais de payer les terres en leur versant une allocation annuelle plutôt qu’en leur donnant la totalité de la somme; les tribus tireront donc un avantage permanent de la vente de leurs terres et la colonie sera, jusqu’à un certain point, assurée de leur bonne conduite dans le futur. Je recommanderais également, comme mesure de justice et pour ne pas ébranler la paix future de la colonie, que les villages et les prés des Indiens, soient réservés pour leur bénéfice et leur soient entièrement assurés par la loi. [Je souligne.]

[22]  Barclay répond à Douglas par les instructions suivantes :

[traduction] S’agissant des droits des Indiens, vous devrez négocier avec les chefs de tribus et, lors de ces négociations, vous devrez considérer les Indiens comme étant les propriétaires légitimes des terres, dans la mesure où ils ont cultivé les terres ou qu’ils y ont bâti des maisons, au moment où l’île a été soumise à la souveraineté exclusive de la Grande Bretagne en 1846. Toutes les autres terres seront considérées comme étant incultes et seront disponibles pour fins de colonisation. [Je souligne.]

Et :

Les Indiens se verront confirmer la possession de leurs terres tant qu’ils les occuperont et les cultiveront eux-mêmes.

[23]  Douglas applique, à titre d’agent principal et, à partir de mai 1851, à titre de gouverneur de la colonie de l’île de Vancouver, une politique de conclusion de traités avec les tribus autochtones se trouvant sur l’île de Vancouver. Il conclut quatorze traités avec les tribus établies à divers endroits de l’île. Chaque traité prévoit ce qui suit :

[traduction] Nos villages et nos prés resteront à notre usage personnel, à l’usage de nos enfants et à l’usage de ceux qui pourront venir après nous.

[24]  Après 1854, Douglas met fin à la politique de conclusion de traités. Il poursuit cependant la politique de réserve des villages et des établissements indiens.

[25]  Douglas est nommé gouverneur de la colonie de la Colombie Britannique en septembre 1858. Il reçoit de l’office des colonies des instructions sur les politiques applicables.

[26]  Le 2 septembre 1858, E.B. Lytton, secrétaire d’État pour les colonies, demande à Douglas d’assurer [traduction] « la protection du gouvernement de Sa Majesté au nom de ces peuples. Je vous le répète, tâchez d’atteindre cet objectif. » Douglas lui répond ce qui suit :

[traduction] Je verrai à donner plein effet à vos instructions à ce sujet, dès que les pressions qui sont actuellement exercées se seront quelque peu atténuées. Je veux toutefois souligner que tous les intérêts des tribus indiennes sont protégés du mieux possible avec les ressources actuellement disponibles.

[27]  En décembre 1858, Lytton demande à Douglas d’envisager la mise en œuvre d’une politique visant l’établissement permanent des Indiens dans les villages. Le 14 mars 1859, Douglas informe Lytton de son intention de mettre en œuvre une telle politique. Il lui expose les points essentiels de sa politique relative aux réserves des Indiens :

[traduction]

7. Le soin des Indiens deviendra donc chose facile, partout où les terres ont de la valeur, et dans les endroits où la population blanche est clairsemée et où les terres sont stériles, les Indiens pourront quasiment être laissés à eux-mêmes et, tout en gagnant leur vie, poursuivre en paix leur activité préférée de pêche et de chasse.

8. À cette fin, des réserves de terres seront établies à l’avance au profit et au soutien des races indiennes dans tous les districts de la Colombie Britannique où vivent des tribus autochtones.

Chaque réserve doit inclure leurs champs cultivés et leur village, pour lequel ils éprouvent invariablement un fort attachement, fruit de l’habitude et de leur association avec lui, et qu’ils prisent davantage, pour cette raison, que l’étendue ou de la valeur des terres. [Je souligne.]

[28]  Le 11 avril 1859, en l’absence de Lytton, lord Carnarvon demande à Douglas de faire preuve de [traduction] « libéralité et de justice ». Carnarvon dit aussi ce qui suit :

[traduction] Malheureusement, les preuves de la négligence dont sont victimes les Indiens lorsque les Blancs prennent possession de leur pays sont encore trop fréquentes, et leurs revendications sont oubliées alors que l’équité voudrait que le protecteur tende la main pour les aider. [Je souligne.]

[29]  Dans son discours du 5 février 1859 à l’Assemblée législative, Douglas déclare que [traduction] « le gouvernement a promis que l’occupation [des Indiens] ne serait pas perturbée ».

[30]  En février 1859, Douglas adopte la Proclamation no 13 selon laquelle la Couronne détient en fief simple [traduction] « toutes les terres en Colombie Britannique, avec les mines et minéraux qu’elles renferment ». La Proclamation no 13 prévoit également ce qui suit :

[traduction] L’exécutif a aussi le pouvoir de réserver, à tout moment, toute partie des terres inoccupées de la Couronne à toutes fins qu’il juge utiles.

[31]  Le 11 avril 1859, alors que Carnarvon demande à Douglas de faire preuve de [traduction] « libéralité et de justice », il reconnaît ce qui suit :

[traduction]  Malheureusement, les preuves de la négligence dont sont victimes les Indiens lorsque les Blancs prennent possession de leur pays sont encore trop fréquentes et leurs revendications sont oubliées alors que l’équité voudrait que le protecteur tende la main pour les aider. [Je souligne.]

[32]  Le 20 mai 1859, lord Carnarvon ordonne à Douglas de prendre [traduction] « toutes les dispositions nécessaires pour assurer la subsistance future des tribus indiennes et améliorer leur sort » tout en prenant « toutes précautions [...] pour ne pas entraver les progrès futurs des colons blancs ».

[33]  Le 1er octobre 1859, Douglas envoie une circulaire aux commissaires de l’Or et magistrats de la Colombie Britannique pour les aviser de l’adoption imminente d’une loi qui autorisera les sujets britanniques et ceux ayant prêté le serment d’allégeance à la Couronne à enregistrer des préemptions sur les terres non arpentées de la Couronne. Douglas précise que certaines terres seront soustraites à la préemption :

[traduction] Vous ferez également le nécessaire pour réserver les emplacements de tous les villages des Indiens et les terres que ceux-ci ont l’habitude de cultiver, jusqu’à concurrence de plusieurs centaines d’acres autour de ces villages pour leur usage et leur profit particulier.

[34]  Le 7 octobre 1859, Douglas donne les instructions suivantes au commissaire en chef des Terres et des Travaux, R.C. Moody :

[traduction] les lotissements urbains, avec les terres suburbaines et rurales adjacentes, ainsi que les emplacements de tous les villages des Indiens et les terres que ceux-ci ont l’habitude de cultiver, à raison de plusieurs centaines d’acres autour de chaque village, ont été réservés et ne sont pas assujettis au projet de loi en matière de préemption. [Je souligne.]

[35]  Le 4 janvier 1860, Douglas adopte la Proclamation n° 15 qui règlemente la colonisation sur la partie continentale de la Colombie Britannique et fixe les conditions auxquelles les colons peuvent enregistrer un droit sur les terres non arpentées de la colonie. L’article premier de ce texte législatif soustrait certaines terres à la préemption et prévoit le droit d’acquérir des : [traduction] « terres qui sont inoccupées, qui ne sont pas arpentées et qui ne sont pas réservées en Colombie Britannique (et qui ne sont pas à l’emplacement d’une ville existante ou proposée, ou qui ne sont pas des terres aurifères [...] ni une réserve indienne ou un établissement indien ». (Je souligne.)

[36]  Le 12 janvier 1860, Douglas envoie au duc de Newcastle la Proclamation no 15, qui donne force de loi à ses instructions précédentes. Il écrit ce qui suit :

[traduction]

8. La Loi réserve expressément, au profit de la Couronne, tous les villages, terres aurifères, établissements indiens et droits publics, quels qu’ils soient. Ainsi, d’une part, les émigrants jouiront d’une liberté de choix totale à l’égard des terres vacantes [...] et, d’autre part, les droits de la Couronne seront entièrement protégés étant donné que les terres ne seront pas aliénées et que les titres ne seront pas accordés avant réception du paiement. 

[37]  Douglas informe les Indiens de la politique coloniale. Dans une dépêche envoyée au duc de Newcastle, en octobre 1860, Douglas décrit le voyage qu’il vient de faire à Cayoosh et Lytton, où il a rencontré des Indiens. Il précise qu’il a expliqué aux Indiens, en des termes compatibles avec la circulaire de 1859 et la Proclamation no 15, que :

[traduction]

35. J’ai eu l’occasion de communiquer personnellement avec les membres des tribus indiennes qui se sont rassemblés en grand nombre à Cayoosh lors de mon séjour [...]

Je leur ai aussi expliqué que les magistrats avaient reçu comme instructions de jalonner et de réserver à l’usage et au profit des Indiens tous les villages qu’ils habitaient et les champs qu’ils cultivaient, ainsi que toutes les terres adjacentes qu’ils étaient en mesure de cultiver ou qui étaient nécessaires pour assurer leur subsistance; je les ai aussi informés qu’ils pouvaient exercer librement leur droit de pêcher dans les lacs et les rivières, et celui de chasser dans toutes les terres inoccupées de la Couronne dans la colonie [...]

Les Indiens se sont rassemblés en grand nombre lors de mon séjour à Lytton. Les échanges que j’ai eus avec eux allaient dans le même sens que ceux que j’ai eus avec les tribus indiennes qui s’étaient rassemblées à Cayoosh, et ils ont exprimé leur gratitude, loyauté et dévotion de façon chaleureuse et sincère. [Je souligne.]

[38]  Lorsqu’il constate, après la Confédération, que le Canada et la province ne s’entendent pas sur la façon de régler la question des terres appartenant aux Indiens, le commissaire des Indiens Powell demande conseil à Douglas au sujet de la superficie que devraient avoir les réserves dans la colonie. Le 14 octobre 1874, Douglas lui répond que les Indiens devaient déterminer l’emplacement et la superficie de leurs villages, et que les réserves devaient inclure ce qui suit :

[traduction] Dans tous les cas, un même principe était à respecter : laisser toute liberté de choisir la nature et la superficie des terres aux Indiens que la réserve intéressait au premier chef. Les agents d’arpentage avaient l’ordre de respecter jusqu’à leurs moindres souhaits et d’englober dans chaque réserve les villages permanents, les postes de pêche, les lieux de sépulture, les terres cultivées et tous les lieux de rassemblement favoris des tribus — bref, d’inclure tout terrain sur lequel ils avaient acquis un droit équitable par voie d’occupation continue, de travail du sol ou d’autres travaux.

[39]  En résumé, la politique coloniale visait à protéger les villages et toutes les terres environnantes dont les Indiens avaient besoin pour subvenir à leurs besoins en interdisant leur acquisition par préemption.

2.  Fondement de la politique coloniale : immigration et menace de guerre

[40]  Au cours des premières années d’existence de la colonie de la Colombie Britannique, Douglas s’intéresse à la colonisation des vastes étendues de terres non arpentées de la Couronne. À cette époque, des mineurs participant à la ruée vers l’or le long du fleuve Fraser poursuivaient leurs recherches jusqu’à l’intérieur des terres de la Colombie Britannique, et plusieurs s’établissaient sur des terres non arpentées. Il fallait agir de toute urgence pour contrôler l’établissement et s’assurer que les lieux que les Indiens utilisaient et dont ils avaient besoin étaient protégés à leur usage et à leur profit – tant pour des raisons de justice que pour éviter que les Indiens ne déclenchent une guerre. Comme le souligne Cole Harris, un historien et géographe de la Colombie Britannique, quand [traduction] « les mineurs ont commencé à converger vers le fleuve Fraser, certains chefs ont conseillé de déclencher une guerre ». (Cole Harris, Making Native Space : Colonialism, Resistance, and Reserves in British Columbia (Vancouver : UBC Press, 2002) p. 82).

[41]  Dans son exposé, Alex P. McInnes relate le récit qu’a fait le mineur Peter Dunlevy du rassemblement qui a eu lieu en 1859 lorsque plusieurs nations se sont réunies à Lac La Hache pour discuter de stratégies visant à empêcher les mineurs d’entrer sur leurs terres. Selon Dunlevy, plusieurs chefs étaient en faveur de la guerre alors que le chef William conseillait de maintenir la paix.

[42]  Douglas a rassuré les Indiens rassemblés à Cayoosh et à Lytton à un moment où l’arrivée des immigrants par le fleuve Fraser poussait les tribus indiennes à vouloir déclencher une guerre pour protéger leurs terres.

[43]  La menace de guerre a continué de planer après la Confédération. La « question des terres indiennes » n’était toujours pas réglée.

[44]  En raison de l’impasse survenue entre le Canada et la province au cours des premières années suivant l’adhésion de la Colombie Britannique à la Confédération, un certain temps s’est écoulé avant que la question des terres indiennes soit examinée, ce qui a donné lieu à une avalanche de plaintes par les Indiens et en leur nom. Voici ce qu’Harris a dit à ce sujet :

[traduction] Derrière toutes ces critiques contre les Blancs, se cachent essentiellement les protestations des Indiens qui se sentaient lésés et qui ressentaient de plus en plus de colère. Ces protestations étaient suffisamment claires et constantes pour ceux qui, contrairement au gouvernement provincial, étaient disposés à les écouter. Ces protestations ont été immortalisées dans divers discours, lettres et pétitions que les Indiens ont adressés aux représentants qui, leur avait on dit, étaient responsables de leur bien-être. Le gouvernement provincial croyait que les protestations étaient l’œuvre de certains agitateurs étrangers, surtout les missionnaires, et c’était peut-être vrai dans certains cas. Cependant, les missionnaires ne peuvent pas avoir provoqué cette vague de mécontentement qui a déferlé sur les communautés indiennes au début des années 1870. [Harris, op. cit., p. 81 82]

[45]  Harris a ajouté ce qui suit :

[traduction] Les nouvelles sur les politiques en matière de propriété foncière se propageaient rapidement parmi les Indiens. Les missionnaires diffusaient l’information, mais selon Sproat, l’information provenait surtout des Métis qui habitaient à Victoria et qui savaient lire. Ces derniers lisaient les journaux à des Indiens, lesquels transmettaient l’information de vive voix aux autres Indiens. Selon lui, ces nouvelles voyageaient plus rapidement que le courrier. De cette façon, les Indiens détenaient des renseignements à jour à propos des politiques en matière de propriété foncière dans le Nord-Ouest et dans les États américains adjacents et avaient une idée des arguments invoqués par le Dominion et la province à propos de la question des terres indiennes en Colombie Britannique. [Harris, op. cit., p. 82]

[46]  Parmi les missionnaires qui écrivaient aux représentants fédéraux au nom des Indiens était le père Grandidier, qui faisait alors partie de la mission de l’Okanagan. En octobre 1874, un représentant fédéral, Lenihan, a écrit au secrétaire provincial de la Colombie Britannique, et a joint à son envoi les lettres de deux missionnaires, notamment celle du père Grandidier datée du 28 août 1874, laquelle avait été publiée dans le journal de Victoria, le Standard. Lenihan indiquait que [traduction] « les renseignements que détenaient ces messieurs ont été obtenus grâce à la longue et étroite relation qu’ils ont entretenue avec les Indiens de cette province, ce qui leur donne le droit de parler en leur nom ». Le père Grandidier a évoqué les conditions épouvantables dans lesquelles vivaient de nombreux Indiens du continent, y compris à Williams Lake :

[traduction] Les Blancs sont venus, ont pris possession des terres, les ont clôturées et ont, peu à peu, astreint les Indiens à vivre dans leurs petites réserves. Ils leur ont loué des terres qu’ils n’avaient pas achetées et ont éloigné le bétail de leur ancien pâturage. Plusieurs réserves ont été arpentées sans le consentement des Indiens et parfois même sans qu’ils aient reçu d’avis, de sorte qu’ils ne pouvaient pas exprimer leurs besoins et leurs souhaits. Les réserves ont été divisées à maintes reprises au profit des Blancs, et les meilleures terres ont été prises jusqu’à ce que les tribus soient restreintes à une petite partie de la réserve, comme à Canoe Creek ou qu’elles n’aient plus aucune terre, comme à Williams Lake. Dès le début, les Indiens ont protesté contre ces actes de spoliation. Ils se sont plaints avec véhémence du traitement qu’ils ont reçu, mais ils n’ont pas encore obtenu réparation. [Je souligne.]

[47]  Dans le mémoire qu’il a rédigé en novembre 1874, le ministre fédéral de l’Intérieur, David Laird, fait référence à la lettre du père Grandidier, datée d’août 1874 et fait état des nombreuses plaintes des Indiens, qui menaçaient la paix de la province. Il mentionne que, selon le commissaire des Indiens Powell, [traduction] « [s’]il n’y a pas eu de guerre, ce n’est parce que les Indiens n’ont pas été victimes d’injustices, mais parce que les Indiens n’étaient pas suffisamment unis ».

3.  Caractéristiques d’un « établissement »

[48]  La politique de Douglas reconnaissait que les collectivités indiennes occupaient divers territoires au fil des saisons. Toutes les terres ainsi occupées devaient être mises à part pour que les Indiens puissent continuer à les utiliser.

[49]  Le 14 mai 1862, Douglas approuve les acquisitions de terres proposées dans la région de Bute Inlet, dans la mesure où [traduction] « elles ne visent pas des terres sur lesquelles se trouvent actuellement, ou se trouvaient récemment, des champs ou des villages indiens ». (Je souligne.)

[50]  En octobre 1864, l’arpenteur général par intérim de la colonie de l’île de Vancouver, le procureur général par intérim et le trésorier de la colonie communiquent au secrétaire colonial intérimaire les résultats de leur enquête sur la préemption des terres revendiquées par les Indiens de Chemainus sur l’île de Vancouver. Ils font savoir que le préempteur, Scott, a obtenu de la colonie l’autorisation de coloniser les terres en 1859, dans la mesure où celles-ci n’ont pas « été, à un moment donné, occupées par les Indiens » (je souligne). Ils donnent dans leur rapport leur interprétation officielle du mot « établissement » :

[TRADUCTION] D’après ce que nous comprenons, un établissement indien n’est pas un village permanent, mais un village ou un lieu de résidence où les Indiens ont toujours vécu, et il semble être commun pour les Indiens de ce district, ainsi que pour bien d’autres, de quitter leur lieu de résidence ou leur village pendant plusieurs mois, et d’emporter avec eux leur maison.

D’un côté, il est allégué qu’il n’existait aucun établissement en 1859 sur le territoire qui constitue maintenant une réserve indienne, mais qu’il en existe un depuis. De l’autre côté, il est allégué que le territoire en question a toujours constitué un établissement indien au sens donné par les Indiens, c’est à dire un endroit que les Indiens considéraient comme leur chez soi, un endroit qu’ils habitaient de temps à autre, et il est admis qu’aucune maison n’était habitée au moment où les terres ont été prises. 

Nous croyons que le fait qu’il ait existé un établissement indien à un endroit particulier ne peut être établi de façon satisfaisante que par le témoignage d’Indiens crédibles de la tribu ou d’hommes blancs qui ont fréquenté l’endroit pendant quelques années, et plus particulièrement, par un examen attentif de l’endroit lui-même qui, avons-nous appris, aux yeux d’une personne ayant de l’expérience sur les questions indiennes, dénote incontestablement une occupation et une résidence continues, si jamais ce fut le cas, pendant une période de temps plus ou moins longue, même avant 1859.

Nous croyons que Scott doit pouvoir établir qu’il a été privé des terres qui répondent à ce que nous considérons comme étant la définition raisonnable d’un « établissement indien », comme il est expliqué ci-dessus. [Je souligne.]

[51]  Douglas a toujours donné instruction au commissaire en chef des Terres et des Travaux (« CCTT ») et aux magistrats, commissaires de l’Or, commissaires adjoints et arpenteurs, instruction de délimiter les réserves indiennes selon les besoins des Indiens eux-mêmes, et d’y inclure dans tous les cas, les villages indiens et les terres adjacentes nécessaires à leur subsistance. Le 5 mars 1861, Charles Good, secrétaire aux colonies, dit au CCTT Moody de :

[traduction] [...] prendre des mesures, dès que possible, pour délimiter clairement les emplacements des villes proposées et des réserves indiennes dans l’ensemble de la colonie.

2. L’étendue des réserves indiennes à délimiter devra être conforme aux indications respectives des Indiens eux-mêmes. [Je souligne.]

[52]  Good écrit aussi à Cox, commissaire adjoint de l’Okanagan, pour lui donner les instructions suivantes :

[traduction]

7. Vous recevrez du commissaire en chef des Terres et des Travaux l’ordre de tracer les limites des réserves indiennes conformément aux indications des habitants de chaque village et de chaque établissement, ce qui doit constituer la règle pour délimiter ces réserves. Il faut aussi avertir les gens de ne pas franchir ces limites.

[53]  Les instructions qui suivent sont données au CCTT Moody, le 4 mars 1862 :

[traduction] Les terres autour des villages indiens, qui ne sont en aucun cas susceptibles de préemption, doivent être clairement identifiées sur les cartes officielles comme étant réservées, à raison de 300 acres ou plus autour de chaque village. [Je souligne.]

[54]  Les instructions ci-dessus traitaient des conséquences d’un empiétement sur des terres qui ne pouvaient être acquises par préemption :

[traduction] Toute ville existante ou proposée, ou les terres aurifères,  les établissements indiens – et les terres publiques, ne peuvent pas être acquises par préemption en vertu de la Pre emption Act, et s’il se trouve qu’on a empiété sur ces territoires, il est possible de les reprendre sans accorder d’indemnisation. [Je souligne.]

[55]  La politique coloniale n’a pas changé durant le mandat de Douglas. Quand il a pris sa retraite en 1864, Douglas a résumé sa politique lors d’un discours devant l’Assemblée législative de la Colombie Britannique : 

[traduction] [...] nous avons à dessein constitué des réserves renfermant les villages mêmes, les champs cultivés et les lieux de rassemblement favoris des différentes tribus, les protégeant ainsi des empiétements des colons et éliminant à jamais la cause fertile de troubles agraires, plan qui a produit les meilleurs effets sur l’esprit des Autochtones.

B.  Les Indiens de Williams Lake avaient-ils un village au pied du lac Williams, dans les régions connues sous le nom de « Comer » et de « Glendale », quand la colonie de la Colombie Britannique a été établie en 1858?

1.  Preuve

[56]  Les Indiens de Williams Lake occupaient de nombreux emplacements lors des premiers contacts avec les Européens. Kristy Palmantier a affirmé ce qui suit lors de son témoignage dans lequel elle relatait l’histoire orale de son peuple : 

[traduction] Bien, nous avions des villages – notre tribu était très grande; il existe beaucoup de documents dans les dossiers de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Vous savez, nous occupions un autre site de l’autre côté, juste ici, appelé RI 5, près de Chimney Creek, juste en haut, il y avait un autre village. Nous occupions des villages à différents endroits.

[57]  Dans le volume VII du Memoir of American Museum of Natural History, l’ethnographe, James Teit, traite de l’ethnologie des peuples autochtones du sud de la Colombie Britannique et de Washington. Les travaux de Teit s’inscrivaient dans le cadre de l’expédition Jesup North Pacific, laquelle s’est déroulée vers 1909, c’est à dire environ trois (3) décennies après l’attribution des réserves aux Indiens de Williams Lake, y compris la réserve connue sous le nom de « Sugar Cane » (James Teit, « The Shuswap » (1909) 2:7 Memoir of the American Museum of Natural History : Jessup North Pacific Expedition, p. 458).

[58]  Teit décrit comme suit les Indiens de Williams Lake :

[traduction] La bande de Williams Lake ou de Sugar Cane, ou le « peuple de Skola/ten » (Williams Lake), ou « peuple de Eka/kaike » (lieu près de Williams Lake).

[59]  Au sujet du territoire qu’ils occupaient et avaient occupé, Teit dit :

[traduction] Dans la vallée de Williams Lake, à l’est du fleuve Fraser, tout près de la 150e borne milliaire (à partir de Lillooet), et à environ 140 milles au nord d’Ashcroft. C’était une grande bande. Autrefois, ils vivaient dans sept villages et avaient, en plus, d’autres campements d’hiver. Ils vivaient principalement autour de Williams Lake, mais certains passaient l’hiver aux abords du fleuve Fraser jusqu’à Chimney Creek, et d’autres allaient jusqu’à la vallée de San José, au lac la Hache.

Ils ont presque été exterminés par la variole en 1862 ou 1863. [Je souligne.]

[60]  L’intimée prétend que le village des Indiens de Williams Lake se trouvait à Chimney Creek, à une certaine distance des terres en question.

[61]  Les Shuswap habitaient principalement dans des maisons semi souterraines appelées « kickwillies ». De nombreuses kickwillies se trouvaient à Chimney Creek. Il y a des traces de kickwillies à Glendale et à Comer, mais la région n’a pas fait l’objet d’études approfondies.

[62]  La revendicatrice et la Couronne accordent une grande importance à la présence d’une église qui a été construite dans les années 1840, puisqu’elle dénote la présence d’un établissement des Indiens de Williams Lake en 1858 et au cours des quelques années qui ont suivi.

[63]  La revendicatrice se fonde sur les dossiers conservés par la première mission catholique, plus particulièrement les mémoires du père Demers, pour établir l’occupation des « terres du village » par les Indiens de Williams Lake.

[64]  Dans les lettres qu’il adresse à l’évêque de Québec, le père Demers décrit les relations qu’il entretenait avec les Atnans (Shuswap). Il raconte une expédition qu’il a faite à « Alexandria » et à un autre endroit non désigné, où il a demandé aux Indiens de construire une église. Le 5 janvier 1843, il a écrit ce qui suit :

Je vous ai dit, Monseigneur, quelques mots d’une expédition chez les Atnans. Ce n’était qu’une préparation à une mission plus complète que je devais y faire bientôt. Ce fut le 3 janvier 1843 que je quittai Alexandria, et, le 5, j’étais au milieu de mes sauvages qui me revirent avec des démonstrations extraordinaires de joie. Leur chapelle était bâtie, et une large cheminée permettait d’y faire du feu. Malheureusement il n’y avait pas de fenêtres, et il me fallut faire plusieurs instructions à l’air glacial du mois de Janvier. Enfin l’on réussit à se procurer des peaux en guise de vitres et de châssis, et nous voilà bien, très bien. Cependant, ô contre temps fâcheux, ne voilà-t-il pas que de misérables chiens affamés se mettent à manger nos fenêtres [...]

Les sauvages de ce poste se sont bâtis des maisons depuis quelques années. Le vieux chef m’avait réservé la sienne, et s’était retiré chez le jeune chef William. J’étais donc dans une maison assez digne de ce nom, commode, très propre, mais sans ameublements [...]

Le jeune chef William, qui s’était montré si généreux et si zélé pour la bâtisse de la chapelle, en reçut une ample récompense par les lumières dont Dieu éclaira son intelligence, et la docilité avec laquelle il se soumit aux pratiques de la foi. La chapelle qu’il a construite à 41 pieds de longueur sur 19 de largeur.

[65]  Le compte rendu des expéditions du père Demers révèle que ce dernier a rencontré les « Atnans » à la fin de l’automne et à l’hiver. L’intimée soutient qu’il doit avoir visité les Atnans à Chimney Creek. C’était l’endroit où, selon Teit, certains se rendaient pour pêcher le saumon dans le fleuve Fraser à l’automne, et où ils passaient l’hiver.

[66]  Le point de vue de l’intimée est confirmé par les mémoires du père Thomas, un oblat, qui est allé à Williams Lake en 1897 et qui y a passé près de 60 ans. Le père Thomas parle de l’expédition du père Demers, qui est parti de la rive nord du fort Vancouver pour se rendre au « fort Alexandria » :

[traduction] Si je mentionne qu’en chemin, près de Williams Lake, le père Demers a passé quelques jours à Chimney Creek (probablement les 10 et 11 octobre), c’est notamment parce que je peux expliquer l’origine de ce nom. Pendant sa visite, il a construit une cheminée [chimney] rudimentaire en pierre dans sa maison semi souterraine et cela était tellement innovateur que l’endroit a été nommé « Chimney Creek ». Après avoir demandé aux Shuswap de construire une petite église et leur avoir promis de les visiter sur le chemin du retour, lui et la brigade se sont rendus au fort Alexandria [...]

[67]  Le père Thomas a aussi noté ce qui suit :

[traduction] Il [le père Demers] donnait des instructions aux Indiens à tous les jours et, après leur avoir demandé de construire une église en bois rond, il s’est rendu à Chimney Creek où, le 21 novembre 1842, il a entrepris une mission de seize jours auprès des Shuswap de l’endroit et de certains membres des bandes d’Alkali Lake et de Soda Creek [...] Le 3 janvier 1843, le père Demers était de retour à Chimney Creek, où il a constaté qu’une petite église et une maison avaient été construites pour lui. Il n’y avait pas de vitres et des peaux étaient utilisées pour couvrir les fenêtres. Cependant, pendant la nuit, les chiens ont mangé les peaux. Il a alors fallu les attraper pour éviter qu’ils ne recommencent. Il faisait un froid cinglant cet hiver-là [...] À Chimney Creek, une grande croix a été érigée pour commémorer la mission du père Demers. Vers 1863, ces Indiens se sont rendus à Williams Lake; certains se sont établis à l’embouchure, et d’autres, au ranch Gomer. Ils ont emporté la croix avec eux. [Je souligne.]

[68]  L’extrait ci-dessus n’est pas seulement invoqué pour confirmer l’emplacement de l’église à Chimney Creek, mais aussi pour confirmer la thèse selon laquelle les Indiens de Williams Lake se sont installés à Williams Lake « vers 1863 ». La référence au « ranch Gomer » est probablement une référence au ranch Comer, situé sur la terre préemptée qui est ensuite devenue le lot 72.

[69]  La preuve ne révèle pas la source sur laquelle le père Thomas s’est fondé pour affirmer que les Indiens étaient partis de Chimney Creek pour aller à Williams Lake « vers 1863 ».

[70]  Le père Thomas a vraisemblablement lu les mémoires du père Demers. Cependant, l’affirmation du père Thomas selon laquelle le père Demers a demandé aux Indiens de Williams Lake de construire une église à Chimney Creek n’est pas corroborée par les mémoires du père Demers, qui n’indiquent pas où était l’église.

[71]  Dès 1843, certains Indiens de Williams Lake avaient adopté les méthodes de construction des immigrants. Dans une lettre en date du 5 janvier 1843 envoyée à l’évêque de Québec, le père Demers note ce qui suit :

Les sauvages de ce poste se sont bâtis des maisons depuis quelques années. Le vieux chef m’avait réservé la sienne, et s’était retiré chez le jeune chef William. J’étais donc dans une maison assez digne de ce nom, commode, très propre, mais sans ameublements.

[72]  Il y avait au moins deux maisons dans le secteur où l’église a été construite. L’une appartenait au « vieux chef » et l’autre, au « jeune chef William ».

[73]  Le « jeune chef William » dont il est question dans la lettre de 1843 du père Demers est devenu le chef des Indiens de Williams Lake, et l’est resté jusqu’à ce qu’il meure de la variole en 1862. Son fils lui a succédé, le deuxième chef William, qui a assumé la fonction de chef de 1862 jusqu’à 1884, et de 1888 à 1896.

[74]  Le dossier fait état de plusieurs déclarations faites par des représentants du gouvernement après la Confédération au sujet de la présence des Indiens de Williams à Comer et à Glendale avant 1859.

[75]  En novembre 1879, le chef William a écrit à un journal, le British Colonist, une lettre dans laquelle il expose les doléances de la bande :

[traduction] Je suis un chef indien, et mon peuple est menacé par la famine. Les Blancs ont pris toutes les terres et tout le poisson. Nous possédions un vaste pays. Il a complètement disparu [...] La terre sur laquelle mon peuple a vécu pendant cinq cents ans a été prise par un Blanc; celui-ci a beaucoup de blé et des troupeaux de bétail. Nous n’avons rien, même pas un acre. Un autre homme blanc a clôturé les tombes dans lesquelles reposent les cendres de nos pères, et nous verrons peut être un jour leurs os retournés par sa charrue!

[76]  Comme ils ne possédaient aucune réserve, les Indiens de Williams Lake résidaient sur les terres appartenant à l’Église catholique à la mission St. Joseph. Le père Charles Grandidier était le chef de la mission. Le 20 janvier 1880, Grandidier a écrit à John A. MacDonald, surintendant général des Affaires indiennes : 

[traduction] Un homme nommé Davidson est venu voir, peu de temps après 1859, le père du présent chef William pour lui demander la permission de construire une cabane et de cultiver un petit potager sur sa terre. Le chef ne s’y est pas opposé. Cet homme, Davidson, a alors présenté une demande de préemption pour toutes les terres occupées par les Indiens. On y trouvait une petite chapelle construite par le premier missionnaire catholique, feu l’évêque Demers de Victoria, ainsi que la cabane du chef. Le chef a été autorisé à vivre dans sa cabane près de la chapelle, mais les Indiens ont été chassés. Davidson a offert vingt dollars au chef, mais celui-ci a refusé de se défaire de la terre de son père et n’a pas accepté l’argent, selon les dires de l’homme qui a servi d’interprète à cette occasion. Peu de temps après, le reste de la vallée a été préemptée par d’autres parties, et les Indiens ont été chassés jusqu’au sommet des collines, où la culture n’est pas envisageable. [Je souligne.]

[77]  Davidson se trouvait dans la région de Glendale Comer en 1861. Il s’agit de la région située au pied du lac, qui est plus tard devenue les lots 71 et 72.

[78]  Dans sa lettre, Grandidier fait référence au « père du présent chef William ». Le chef William (Wesemaist) est décédé en 1862. Son fils, le deuxième chef William, était donc chef au moment où Grandidier se trouvait dans la région. Le chef William qui a raconté à Grandidier ce que Davidson avait fait serait alors le deuxième chef William. C’était son père, que Demers appelait « le jeune chef William », qui avait offert sa maison à Demers en 1843.

[79]  Selon Grandidier, le chef William habitait à Glendale lorsqu’il a reçu la visite de Davidson. Bien que la preuve ne révèle pas la source d’information de Grandidier, il est fort probable qu’il s’agisse du chef William, puisque les Indiens de Williams Lake vivaient sur les terres de la mission dirigée par Grandidier. Le chef William savait sans doute où son père habitait et que ce dernier avait eu affaire à Davidson. De plus, la présence de Davidson dans la région a été attestée par Nind et Begbie en 1861.

[80]  Quant à la déclaration du père Thomas selon laquelle les Indiens se sont établis à Williams Lake en 1863, l’information ne pouvait provenir de Demers, qui est décédé en 1871.

[81]  Après la Confédération, des représentants de la Couronne s’intéressent à l’occupation, par les Indiens de Williams Lake, des terres prises par Davidson, puis acquises par Pinchbeck. Le 7 mars 1879, le juge de paix William Laing Meason écrit au commissaire de réserve Sproat :

[traduction] À Williams Lake, il n’y a pas de réserve indienne et les Indiens ne possèdent pas un seul acre de terre. Ils vivent sur les terres appartenant à la mission catholique située à cet endroit [...]

[82]  Le 21 avril 1879, Laing Meason écrit de nouveau à Sproat :

[traduction] Le chef de cette tribu m’a demandé, de manière officielle, de vous écrire et vous informer :

1.  Qu’à moins que vous ne veniez et leur attribuiez des terres d’ici deux (2) mois, nous pouvons nous attendre à de l’agitation. 

2.  Que sa tribu n’a rien à manger parce qu’elle ne dispose d’aucune terre à cultiver. 

3.  Qu’un grand nombre de ses chevaux et de ses têtes de bétail ont péri cet hiver parce que la bande ne possédait aucune terre où elle aurait pu récolter du foin l’été dernier.

J’ai appris — de source sûre — que si aucune terre convenable n’est attribuée à la bande, elle prendra par la force les terres qu’elle possédait et cultivait autrefois, et qui lui ont été enlevées en vertu d’un droit de préemption exercé en 1861 (environ). Les terres en question se trouvent au pied du lac Williams et appartiennent aujourd’hui à M. Pinchbeck. On peut y voir des maisons indiennes encore aujourd’hui. [Je souligne.]

[83]  L’intimée se fonde aussi sur l’ouvrage de Margaret Whitehead, Cariboo Mission : A History of the Oblates (Victoria : Sono Nis Press, 1981), et sur celui d’Irene Stangoe, Looking Back at the Cariboo Chilcotin (Surrey : Heritage House Publishing, 1997), pour établir que l’église construite suivant les instructions du père Demers se trouvait à Chimney Creek, et que les Indiens de Williams Lake s’étaient déplacés dans la région de Glendale et Comer en 1863. Les deux auteures se sont appuyées sur les récits du père Thomas.

[84]  Dans un article publié dans l’édition du journal Tribune du 24 août 1996, Irene Stangoe a fait un compte rendu des préoccupations soulevées par les membres de la bande de Williams Lake selon lesquelles l’aménagement d’un parc de maisons mobiles dans la région de Glendale risquait de détruire ce qui restait de leurs ancêtres. En voici un extrait :

[traduction] Il existe en en effet des documents attestant que cette région a déjà été un village indien et qu’une petite église y avait été construite en 1842. Plus tard, c’est devenu le lieu du premier établissement de Williams Lake.

[85]  Les aspects de l’article de Stangoe qui touchent à l’emplacement du village et à l’église ne concordent pas avec les renseignements que l’intimée a tirés du livre de Strangoe et sur lesquels elle se fonde.

[86]  Le père Thomas est né en 1868, trois ans avant le décès du père Demers. Il est arrivé à la mission St. Joseph en 1897. Il a écrit ses mémoires vers 1949, à l’âge de 81 ans, à partir de ses notes et sans l’aide du codex historicus, qui avait été égaré. Le père Thomas a qualifié son récit, non pas d’histoire, mais de [traduction] « souvenirs personnels ». Il n’a cité aucun document ni aucune source.

[87]  Il y a des divergences entre la description faite par le père Demers de ses voyages parmi les Shuswap et la version du père Thomas.

[88]  L’intimée se fonde aussi sur le fait que, dans ses notes, le juge Begbie n’a jamais mentionné la présence d’Indiens au pied du lac Williams.

[89]  Le juge Begbie est parti du lac Vert et est arrivé tout près de l’endroit où se trouvait Davidson, le 19 septembre 1860. Le 20 septembre, Nind, Pinchbeck et Begbie sont partis pour aller, entres autres, à Quesnel Forks. Begbie voulait reconnaître les champs aurifères qui bordaient le fleuve Fraser et ceux de la chaîne Cariboo. Des cartes ont été élaborées en 1860 sur la foi de ses observations. Begbie a rencontré Davidson à Williams Lake, mais il n’a observé la présence d’aucun indien à cet endroit-là. Il a noté la présence d’Indiens à un seul endroit, à une certaine distance de Williams Lake.

[90]  Les cartes élaborées sur la foi des observations de Begbie ne signalent aucun établissement indien, à une exception près. Cependant, Begbie n’avait pas pour but de relever tous les établissements indiens.

[91]   Une autre carte de Williams Lake, élaborée vers 1875, indique que des « Indiens » vivaient sur la rive nord du lac Williams, à mi-chemin entre les emplacements actuels de la réserve Sugar Cane et la ville de Williams Lake. À cette époque, selon Grandidier, les Indiens avaient été chassés des terres occupées par Davidson.

[92]  La carte de 1875 signale la présence d’un bâtiment, qui semble désigné sous le nom [traduction] « vieille église indienne », au sud-est d’un endroit associé à Pinchbeck. C’était Pinchbeck qui avait acquis par préemption les terres de Davidson dans la région de Comer Glendale.

[93]  Selon l’intimée, la mention des vestiges d’une église sur la carte de 1875 et l’absence d’une telle mention sur la carte de 1860 concordent avec la version des faits du père Thomas selon laquelle les Indiens ont quitté Chimney Creek et se sont établis à Glendale en 1863. L’intimée prétend que l’église a probablement été déplacée, de Chimney Creek à Glendale.

[94]  Comme les cartes ne signalent habituellement pas les bâtiments érigés sur les terres, elles ne peuvent pas étayer la conclusion selon laquelle il n’y avait aucune église dans la région de Glendale en 1860. La mention d’une vieille église indienne, sur la carte de 1875, ne saurait dans ces circonstances permettre de conclure que l’église en question avait été déplacée.

[95]  Le 5 mars 1861, Charles Good, secrétaire intérimaire aux colonies, a demandé au commissaire en chef des Terres et des Travaux de délimiter les « réserves indiennes » dans l’ensemble de la colonie. De plus, l’étendue des réserves indiennes devait être définie par les Indiens eux-mêmes.

[96]  Je le rappelle, Douglas avait informé les « tribus indiennes » de Cayoosh et de Lytton que :

[traduction] [...] les magistrats avaient reçu comme instructions de jalonner et de réserver à l’usage et au profit des Indiens tous les villages qu’ils habitaient et les champs qu’ils cultivaient, ainsi que toutes les terres adjacentes qu’ils étaient en mesure de cultiver ou qui étaient nécessaires pour assurer leur subsistance; [...]

[97]  Nind a été nommé magistrat et commissaire de l’Or en juillet 1860. Il était responsable de la mise en œuvre locale des politiques coloniales. Il a établi ses bureaux à Williams Lake quelques mois plus tard. Bien qu’aucune preuve directe ne révèle qu’il a été informé à l’avance qu’il aurait à jalonner des réserves indiennes là où les terres étaient occupées par des Indiens, on peut croire qu’il connaissait cette politique, qui constituait un aspect important de ses responsabilités.

[98]  Nind savait que les Indiens de Williams Lake occupaient les terres situées au pied du lac. Dans son rapport daté du 4 mai 1861, Nind écrit : [traduction] « Les Indiens de la région changent très souvent de domicile : ils campent parfois à la tête du lac, parfois au pied du lac et parfois près de la résidence de M. Davidson et de celle du gouverneur. » La maison du gouverneur se trouvait dans la région de Glendale Comer. Nind n’a relevé la présence d’Indiens qu’au pied du lac, pas ailleurs.

[99]  Dans sa lettre du 4 mai 1861, Nind a demandé à recevoir des instructions sur l’établissement d’une réserve pour les Indiens de Williams Lake. Selon lui, [traduction] « la plupart des terres agricoles disponibles ont été préemptées et achetées, et il est probable qu’avant la fin de l’été, toutes les terres auront été prises ».

[100]  Charles Good a répondu à la lettre de Nind, le 10 juin 1861. Il a avisé Nind du désir de Son Excellence que [traduction] « vous délimit[iez] une réserve de 400 ou 500 acres à l’usage des Indiens à l’endroit où ils souhaitent posséder une section de terrain ». Il a ajouté qu’un [traduction] « village peut aussi être délimité à Williams Lake [...] » (je souligne).

[101]  Nind n’a pas suivi les instructions de Good. Ses lettres révèlent que l’acquisition par préemption des terres de la région allait bon train. Il faisait vraisemblablement référence aux terres préemptées dans la région où il avait rencontré des Indiens au pied du lac. Des préemptions ont été enregistrées dans cette région par Telford en avril 1860, et par Davidson en décembre 1860. Davidson a occupé les terres préemptées par Telford et y a travaillé.

[102]  Ce n’est qu’en 1879 que les autorités fédérales et provinciales ont remarqué qu’aucune réserve n’avait encore été attribuée aux Indiens de Williams Lake. Il semble que cette prise de conscience soit attribuable à la lettre du chef William et aux protestations formulées par Grandidier au nom de la bande. La correspondance échangée au cours de cette année-là et des années subséquentes laisse voir que les représentants fédéraux et provinciaux avaient compris que les Indiens occupaient des terres à Williams Lake et que ces terres avaient été préemptées.

[103]  O’Reilly n’était pas le seul représentant du gouvernement postconfédératif à reconnaître que les Indiens de Williams Lake avaient été chassés de leur établissement. En 1879, Laing Meason affirme que [traduction] « les terres qu’ils possédaient et cultivaient autrefois, et qui leur ont été enlevées en vertu d’un droit de préemption exercé en 1861 (environ) [...] se trouvent au pied du lac Williams et appartiennent maintenant à M. Pinckbeck. On peut y voir des encore aujourd’hui maisons indiennes » (je souligne). En 1879, O’Reilly réserve sept cimetières [traduction] « sur la ferme et dans les enclos ». Si leur présence était évidente en 1879, elle aurait aussi été évidente pour Nind en 1860.

[104]  Dans un affidavit souscrit le 29 novembre 1885, à l’appui de sa demande visant à obtenir de la Couronne qu’elle lui concède les lots 71 et 72, William Pinchbeck fait état de la présence d’Indiens à Comer :

[traduction] En 1862, une épidémie de variole s’est propagée parmi les Indiens de Chilcotin; la situation était très grave. Lorsqu’ils se sont installés à Comer, ils vivaient près d’Indiens qui sont morts dans la neige. Ces Indiens habitaient dans des kickwillies. Ils creusaient un trou dans le sol ou choisissaient un endroit où il y avait un trou naturel, ils le recouvraient de perches, puis de branches ou de nattes, en guise de toit, et ils y descendaient à l’aide d’une échelle. Il y en avait beaucoup dans les environs; des dépressions sont encore visibles. Le toit était percé, au milieu, d’un trou par lequel la fumée s’échappait. Ces maisons avaient une profondeur de quatre à huit pieds. Longtemps après, il arrivait que des habitants trouvent les restes d’Indiens morts dans la neige, ou, parfois, une famille entière était trouvée morte dans son kickwillie. [Je souligne.]

[105]  Ce compte rendu donne à penser qu’il y a eu une migration vers Comer après l’épidémie de variole. Cependant, les récits oraux et le rapport de Teit indiquent que les Indiens de Williams Lake occupaient notamment des terres au pied du lac.

[106]  Le rapport Seymour traite des effets des maladies étrangères sur les Indiens de Williams Lake :

[traduction] La maladie ravageait la colonie depuis les années 1830. La fièvre, la malaria, la rougeole et la dysenterie ont touché autant les Premières nations que les Blancs. Le coup de grâce a toutefois été l’épidémie de variole qui est survenue en 1862. Elle a réduit de beaucoup la population des Premières nations. Selon les projections démographiques pour la période de 1835 à 1890, il y a eu une baisse générale pouvant aller jusqu’à 66 %. On dit que jusqu’à 90 % de cette baisse pourrait être attribuable aux décès causés par l’épidémie de variole.

[107]  Comme Teit le mentionnait, les Indiens de Williams Lake s’étaient établis à divers endroits. Chimney Creek était un grand village. Comer, apparemment moins peuplé, en était un autre. Les Indiens de Williams Lake formaient autrefois une tribu importante. 

[108]  La preuve confirme l’existence d’une occupation indienne sur les terres de Comer et de Glendale à l’arrivée de Nind en octobre 1860. Il y avait des Indiens, des kickwillies et certains éléments témoignent de la présence de maisons indiennes et d’une chapelle. Il n’y avait peut-être pas beaucoup d’Indiens au moment où Nind est arrivé. En octobre 1860, les maladies européennes ont décimé la tribu et, comme le deuxième chef William l’a dit à Grandidier, les Indiens ont été chassés des terres occupées par Davidson peu après 1859.

[109]  D’après les récits oraux, une région beaucoup plus grande que les terres préemptées était occupée notamment pour l’habitation, la cueillette de plantes et de baies et le piégeage de gibier. Cette région comprend l’emplacement actuel du moulin de West Fraser, le centre commercial Boitanio, un parc de maisons mobiles et le bar de Comer. Des études archéologiques ont permis de découvrir des traces de l’occupation indienne.

2.  Résumé et conclusion

[110]  Il ressort des documents concernant Nind et des échanges intervenus entre le chef Williams et le père Grandidier, que Davidson occupait les terres en question en 1859. Grandidier était en poste à Williams Lake en 1880, quand il a écrit à propos du chef William et du fait que les Indiens de Williams Lake avaient été chassés des terres préemptées. Cette preuve est autrement plus fiable que les écrits du père Thomas, qui est arrivé à Williams Lake en 1897 et qui ne précise pas qu’il a obtenu ses renseignements de certains membres de la tribu, encore moins du fils du premier chef William.

[111]  Teit était ethnographe. À titre de professionnel à l’emploi d’un établissement distingué, ses conclusions sur les endroits où habitaient les Indiens de Williams Lake ont plus de poids que celles de Stangoe et Whitehead. 

[112]  D’après les récits oraux, l’ensemble des terres occupées dans la région, et utilisées pour l’habitation et la cueillette de baies et de plantes, correspond aux lots 71 et 72 et aux terres attenantes dont la superficie est indéterminée.

[113]  À la fin des années 1870, O’Reilly et Laing Meason ont reconnu que les Indiens de Williams Lake occupaient les terres en question. Cet élément de preuve, ainsi que d’autres éléments, étaye la prétention de la bande selon laquelle l’église et la maison du chef William étaient situées dans la région de Glendale et de Comer. J’en conclus qu’il s’agit de l’endroit visité par le père Demers, de l’emplacement de l’église et d’un lieu fréquenté par les Indiens de Williams Lake avant 1858. Ces derniers ont été chassés de leurs terres par les préempteurs, mais sont demeurés dans la région de Glendale Comer. On a pu y trouver des signes visibles d’occupation. Nind savait où ils habitaient.

[114]  J’estime que la région de Comer et de Glendale, qui a ensuite constitué les lots 71 et 72 et les terres attenantes, était un « établissement indien » au sens que lui donnaient les Proclamations no 13 et 15.

C.  Les préemptions qui ont eu lieu dans la région de Comer et de Glendale contrevenaient-elles aux lois coloniales?

1.  Établissements indiens et préemptions

[115]  Le plan de la colonie qui visait à rendre les terres disponibles pour les préemptions tenait compte de la politique de protection des établissements indiens. La Proclamation no 13 conférait à l’exécutif le pouvoir de [traduction] « réserver toute partie des terres inoccupées de la Couronne à toutes fins qu’il juge utiles ».

[116]   Selon les instructions données au commissaire en chef des Terres et des Travaux, ainsi qu’à tous les magistrats et commissaires de l’Or, les villages indiens et les terres que les Indiens avaient toujours « cultivées » devaient être réservés. 

[117]  Le 4 janvier 1860, Douglas a adopté la Proclamation n° 15. L’article premier, qui soustrayait certaines terres à la préemption, prévoyait le droit d’acquérir :

[traduction] des terres de la Couronne en Colombie Britannique, ces terres étant inoccupées, n’étant pas arpentées et n’étant pas réservées, et ne devant pas être à l’emplacement d’une ville existante ou proposée, ou ne devant pas être des terres aurifères [...] ni être une réserve indienne ou un établissement indien [...] [Je souligne.]

[118]  La Loi n’exigeait pas à première vue que les terres soustraites à la préemption soient délimitées, arpentées ou officiellement désignées pour bénéficier de la protection. Imposer une telle exigence aurait exposé les Indiens occupant ces établissements au risque d’être chassés par les immigrants dont les préemptions étaient enregistrées. Comme nous le verrons, c’est ce qui s’est produit dans le cas des Indiens de Williams Lake. 

[119]  L’effet de la « Loi » a été expliqué dans une dépêche envoyée au duc de Newcastle, le 12 janvier 1860. Douglas a transmis la Proclamation n° 15, qui donnait force de loi à ses instructions antérieures. Il a écrit ce qui suit : 

[traduction]

8. La Loi réserve expressément, au profit de la Couronne, tous les villages, terres aurifères, établissements indiens et droits publics, quels qu’ils soient. Ainsi, d’une part, les émigrants jouiront d’une liberté de choix totale à l’égard des terres vacantes [...] et, d’autre part, les droits de la Couronne seront entièrement protégés étant donné que les terres ne seront pas aliénées et que les titres ne seront pas accordés avant réception du paiement.

[120]  Les instructions qui suivent ont été données au CCTT Moody, le 4 mars 1862 :

[traduction] Les terres autour des villages indiens, qui ne sont en aucun cas susceptibles de préemption, doivent être clairement identifiées sur les cartes officielles comme étant réservées, à raison de 300 acres ou plus autour de chaque village. [Je souligne.]

[121]  Ces instructions traitaient des conséquences d’un empiétement sur des terres ne pouvant pas être acquises par préemption :

[traduction] Toute ville existante ou proposée, ou les terres aurifères,  les établissements indiens – et les terres publiques, ne peuvent pas être acquises par préemption en vertu de la Pre emption Act, et s’il se trouve qu’on a empiété sur ces territoires, il est possible de les reprendre sans accorder une indemnisation. [Je souligne.]

[122]  On retrouve au paragraphe 49 des présents motifs un exemple des conséquences d’un empiètement sur un établissement indien causé par l’exercice d’un droit de préemption. Le préempteur, Scott, a été dépouillé des terres qui empiétaient sur l’établissement indien.

[123]  La protection que la proclamation de 1860 conférait aux établissements indiens n’aurait pas été efficace si elle ne s’était appliquée qu’aux terres qui avaient été désignées par les représentants de la colonie. Rien n’indique que la colonie avait relevé et délimité tous les établissements indiens de la Colombie Britannique avant l’entrée en vigueur de la Proclamation no 15. La preuve permet plutôt de penser le contraire puisqu’il restait beaucoup à faire après la Confédération. Cela faisait partie du mandat de la CMRI de relever les terres habituellement utilisées par les tribus indiennes dans le but de les mettre de côté à titre de réserves.

[124]  Les Proclamations no 13 et no 15 étaient en vigueur quand Nind a été nommé magistrat et commissaire de l’Or dans le district d’Alexandria en juillet 1860. Comme il était chargé de l’application des lois et politiques coloniales, il était certainement au courant des proclamations.  

[125]  Le 4 mai 1861, Nind a demandé au secrétaire intérimaire aux colonies à recevoir des instructions sur l’établissement d’une réserve pour les Indiens de Williams Lake. Il savait qu’il y avait là des Indiens : [traduction] « ils campent parfois à la tête du lac, parfois au pied du lac et parfois près de la résidence de M. Davidson et de celle du gouverneur », écrivait-il, ajoutant que [traduction] « la plupart des terres agricoles disponibles ont été préemptées et autrement acquises, et il est probable qu’avant la fin de l’été, toutes les terres auront été prises »  (je souligne).

[126]  Le 10 juin 1861, Nind a reçu instruction de délimiter une réserve [traduction] « [...]à l’usage des Indiens à l’endroit où ils souhaitent posséder une section de terrain » (je souligne). Le commissaire en chef des Terres et des Travaux a dit aussi que, comme la région de Williams Lake n’avait pas été arpentée, les colons pouvaient acquérir des terres par préemption seulement en vertu de la loi. La loi empêchait d’acquérir par préemption les établissements indiens. Quand il a donné instruction à Nind de délimiter une réserve, Charles Good a dit : [traduction] « Son Excellence désire que je vous informe que les terres de votre district qui n’ont pas été officiellement arpentées ne peuvent faire l’objet d’aucun acte de vente », et que « les terres non arpentées ne peuvent être préemptées qu’en conformité avec la Pre-emption Act ». Nind, qui était sur place, devait veiller à ce que les terres des établissements indiens ne soient pas préemptées.

[127]  Nind savait que les Indiens de Williams Lake « campaient » au pied du lac. Il estimait que, bien qu’ils aient été déplacés par les préempteurs, leur présence suffisait pour justifier l’établissement d’une réserve de 400 à 500 acres.

[128]  Il est évident que Nind n’a pas demandé aux Indiens quelles terres ils souhaitaient réserver, ni remis en question la légalité des préemptions survenues entre avril 1860 et la date de son départ de Williams Lake.

[129]  Comme des Indiens vivaient au pied du lac, et que des maisons indiennes y étaient encore toujours visibles en 1879, il est raisonnable d’inférer, à la lumière de la lettre qu’il a envoyée au commissaire en chef, que Nind n’a pas délimité de réserve puisque les [traduction] « [...] terres agricoles disponibles [avaient] été acquises par préemption, et qu’il [était] probable qu’avant la fin de l’été, toutes les terres [aient] été prises ». En fait, Nind est allé à l’encontre des politiques et des lois coloniales. Les préemptions ont eu préséance sur l’attribution de réserves aux endroits occupés par les Indiens de Williams Lake. La région de Glendale Comer, qui se trouve au pied du lac, était l’un de ces endroits. Bien qu’il ne soit pas visé par la présente revendication, l’important établissement de Chimney Creek où, selon Strangoe, les terres qui sont devenues un « grand ranch » ont été préemptées au début des années 1860, pourrait aussi être un autre de ces endroits.

2.  Terres acquises par préemptions à Williams Lake

[130]  Dans le rapport daté du 17 octobre 1860 qu’il a envoyé au secrétaire intérimaire aux colonies depuis son poste à Williams Lake, Nind faisait référence aux terres préemptées par Davidson.

[131]  Dans les faits, Davidson n’avait pas enregistré de préemption au moment où Nind a rédigé son rapport, le 17 octobre 1860. Les premières préemptions survenues dans la région ont été enregistrées le 28 avril 1860. L’une d’elles était au nom de Moses Dancerault. L’autre était au nom de John Telfer. Les deux terres visées par les préemptions couvraient 160 acres. Telfer a « acheté » 160 acres supplémentaires, le 1er juillet 1861.

[132]  Il semble que Davidson occupait des terres préemptées par d’autres, en avril 1860, ou des terres non encore préemptées. Davidson était dans la région depuis assez longtemps pour avoir construit [traduction] « une maison en bois rond spacieuse et confortable », entamé la construction de bâtiments de ferme et cultivé la terre.

[133]  Les transferts de droits de préemption se succèdent. Telfer a vendu plus tard ses droits dans les deux parcelles de 160 acres à Davidson. Le 23 septembre 1861, Davidson a vendu 320 acres à Thomas Menefee et à D.G. Moreland. Pinchbeck a préempté une parcelle de 160 acres le 28 mars 1862. Dancerault a vendu ses droits à Davidson à une date indéterminée, lequel les a ensuite transférés à Menefee et à T.W. Woodward également à une date indéterminée. En 1873, Pinchbeck a acquis les droits de Menefee et de Woodward. Les trois autres lots du bloc 71 et trois lots du bloc 72 ont aussi été préemptés. Ces deux blocs couvraient la majeure partie des régions de Glendale et de Comer.

[134]  Certains éléments tendent à démontrer que les préemptions survenues à Williams Lake contrevenaient aux exigences de la loi, d’une manière qui n’a rien à voir avec l’interdiction relative aux établissements indiens. Certains colons détenaient plusieurs droits de préemption, certains en ont détenu de façon intermittente et certains auraient vendu leurs droits de préemption avant d’avoir reçu les certificats d’amélioration.

[135]  Pinchbeck, l’agent de police qui a accompagné Nind à Williams Lake en 1860, s’est finalement vu accorder un droit de propriété sur les terres de Comer et Glendale, qui ont ensuite été désignées comme étant les blocs 71 et 72. La présence des Indiens sur les terres aurait été aussi évidente pour Pinchbeck qu’elle l’a été pour Nind. On peut supposer qu’à l’instar de Nind, il connaissait les lois régissant les préemptions.

3.  Conclusion

[136]  Les préemptions contrevenaient aux dispositions de la Proclamation no 15 puisque les terres qui ont par la suite été arpentées et désignées comme étant les blocs 71 et 72 faisaient partie d’un établissement indien au sens des politiques et lois coloniales.

[137]  Or, cela revient-il à violer une obligation légale de la colonie?

D.  Loi sur le Tribunal des revendications particulières : violation d’une obligation légale d’une colonie

1.  Loi sur le Tribunal des revendications particulières, aliéna 14(1)b)

[138]  La violation d’une obligation légale par une colonie peut justifier une revendication en vertu de la LTRP :

14. (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d’une colonie de la Grande Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada;

[139]  La revendicatrice prétend que la colonie n’a pas respecté les dispositions de la Proclamation no 15, laquelle protégeait les établissements indiens des préemptions. Elle soutient également que le fait que la colonie n’ait pas appliqué la proclamation contrevenait à l’honneur de la Couronne et constituait une violation de l’obligation fiduciaire. La revendicatrice prétend que ces motifs justifient une revendication fondée sur l’al. 14(1)b) de la LTRP.

[140]  L’intimée convient que, en vertu de cet alinéa, Sa Majesté peut être tenue responsable de la violation par une colonie d’une obligation légale « découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens », mais non de la violation d’une obligation fiduciaire.

[141]  La revendicatrice n’a pas expressément fait référence à cet alinéa dans ses observations écrites initiales, mais elle a signalé, en réponse à une question du Tribunal, que la revendication reposait sur des violations commises pendant les périodes coloniale et postconfédérative.

[142]  L’intimée avait traité de l’al. 14(1)b) de la LTRP dans ses observations déposées en réponse.

[143]  À la demande du Tribunal, d’autres observations sur la disposition en question ont été déposées le 26 juillet (revendicatrice), le 20 août (intimée) et le 20 septembre 2013 (réplique de la revendicatrice).

[144]  À première vue, l’al. 14(1)b) de la LTRP peut constituer le fondement d’une revendication particulière lorsque la revendicatrice prétend qu’il y a eu violation par une colonie d’une obligation légale découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif « relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens ». L’intimée soutient que la phrase « aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens » est tirée du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R. U.), 30 & 31 Vict, ch 3, reproduite dans LRC 1985, app II, no 5 [Loi constitutionnelle de 1867] et que, par conséquent, ces mots commandent une analyse du caractère véritable de la loi relative aux préemptions (Proclamation no 15). L’intimée renvoie aux autres exceptions prévues par la proclamation en ce qui concerne les terres pouvant être acquises par préemption, notamment [traduction] « toute ville existante ou proposée [...] », pour montrer que le caractère véritable ne se rapporte pas aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens.

[145]  Les affaires portant sur le partage des compétences exigent une analyse du caractère véritable; il s’agit de déterminer si une loi provinciale empiète sur un domaine de compétence fédérale, ou le contraire. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans le cas qui nous occupe, nous devons déterminer si les proclamations sont des textes législatifs relatifs aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens, notamment des textes législatifs dont une partie est relative aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens.

2.  Interprétation de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, aliéna 14(1)b)

[146]  Voici la disposition en question :

14. (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultant :

b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif — relatif aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens — du Canada ou d’une colonie de la Grande Bretagne dont au moins une portion fait maintenant partie du Canada; 

[147]  En interprétant l’al. 14(1)b) de la LTRP, il faut tenir compte des mots « relatif aux ».

[148]  Le mot « relatif » signifie [traduction] « qui présente une relation, qui a un rapport » et qui « fait partie d’un tout ou est accessoire à quelque chose » (The Canadian Oxford Dictionary, 2e éd, sub verbo « pertain » (relatif)). La question est de savoir si la Proclamation no 15 présente une relation ou a un rapport avec les Indiens ou les terres réservées pour les Indiens. Voilà le texte :

[traduction] En foi de quoi, je, James Douglas, gouverneur de la Colombie Britannique, en vertu du pouvoir susmentionné, proclame, ordonne et promulgue : 1. À compter de la date ici précisée, les sujets britanniques et les étrangers qui prêteront serment d’allégeance à Sa Majesté et à Ses Successeurs, pourront acquérir le droit de détenir et d’acheter, en fief simple, des terres de la Couronne en Colombie Britannique, ces terres étant inoccupées, n’étant pas arpentées et n’étant pas réservées, et ne devant pas être à l’emplacement d’une ville existante ou proposée, ou ne devant pas être des terres aurifères destinées à l’exploitation minière, ni être une réserve indienne ou un établissement indien, aux conditions suivantes : [je souligne]

[149]  En l’espèce, l’expression « réserve indienne » signifie que les terres sont réservées au sens de la politique coloniale. Le sens de cette expression ressort clairement des documents officiels où elle apparaît. Elle n’est pas utilisée dans le sens envisagé par l’arrêt Conseil de la bande dénée de Ross River c Canada, 2002 CSC 54, [2002] 2 RCS 816 [Ross River]. Dans cet arrêt, la Cour a examiné une revendication selon laquelle une réserve indienne avait été établie et qu’elle constituait une réserve au sens de la Loi sur les Indiens.

[150]  Le sens des mots « réserve » et « réservé » utilisés dans les politiques et lois coloniales ressort de la Proclamation no 13 : [traduction] « Il relève aussi de la compétence de l’exécutif de réserver, à tout moment, toute partie des terres inoccupées de la Couronne à toutes fins qu’il juge utiles » (je souligne). Dans la dépêche qu’il a envoyée à Lytton, Douglas parle de [traduction] « réserves anticipées ». Le 7 octobre 1859, Douglas a avisé le CCTT que [traduction] « les emplacements de tous les villages des Indiens et les terres que ceux-ci ont l’habitude de cultiver, jusqu’à concurrence de plusieurs centaines d’acres autour de ces villages, ont été réservés et ne sont pas assujettis au projet de loi en matière de préemption » (je souligne). Dans la Proclamation no 15, les sujets britanniques et les étrangers ont le droit [traduction] « [...] d’acheter, en fief simple, des terres de la Couronne en Colombie Britannique, ces terres étant inoccupées, n’étant pas arpentées et n’étant pas réservées, et ne devant pas être à l’emplacement d’une ville existante ou proposée, ou ne devant pas être des terres aurifères destinées à l’exploitation minière, ni être une réserve indienne ou un établissement indien, aux conditions suivantes : » [je souligne].

[151]  Douglas utilise le mot « réservé » suivant son sens ordinaire, c’est à dire [traduction] « mis à part, destiné à un usage particulier » (The Canadian Oxford Dictionary, 2e éd, sub verbo « reserved » (réservé)).

[152]  La Proclamation no 15 avait pour effet juridique d’empêcher que certaines catégories de terres soient acquises par préemption. Les terres visées étaient protégées afin que certaines utilisations actuelles et projetées puissent avoir lieu. Aux termes de la proclamation, les établissements indiens étaient soustraits à la préemption afin que les Indiens puissent continuer à occuper leurs villages conformément à la politique coloniale qui consistait à laisser les Indiens vivre dans leurs villages. La proclamation est donc une « loi relative aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens » au sens de cette expression à l’al 14(1)b) de la LTRP.

3.  La Proclamation no 15 imposait-elle une obligation aux responsable de la colonie?

[153]  L’intimée prétend que la Proclamation no 15 n’obligeait pas expressément les responsables de la colonie à veiller à ce que les terres acquises par préemption n’empiètent pas sur les établissements indiens. Par conséquent, le défaut de le faire ne constitue pas une violation d’une obligation légale découlant « de tout autre texte législatif » au sens de l’al 14(1)b). Selon l’intimée, [traduction] « il ne suffit pas que le texte législatif fait partie d’un ensemble de faits qui donne lieu à un autre type d’obligation légale, p. ex. une obligation fiduciaire ». Elle affirme que, sans obligation positive, il ne saurait y avoir de violation.

[154]  L’argument de l’intimée selon lequel la Proclamation no 15 fait partie d’un ensemble de faits est erroné. Il s’agit d’un texte législatif, et si la colonie a manqué à une obligation, la responsabilité de Sa Majesté est engagée aux termes de l’al 14(1)b) de la LTRP. La colonie a manqué à son obligation.

[155]  De toute évidence, l’objectif de la proclamation ne pouvait être atteint sans qu’on ne prenne les mesures nécessaires pour relever les établissements indiens en consultation avec les Indiens. L’objectif, et les moyens de l’atteindre, étaient clairement indiqués.

[156]  Avant l’adoption de la proclamation, la politique était de faire participer les Indiens à l’identification des terres. Les responsables de la colonie avaient reçu des instructions à cet effet. Le 5 mars 1861, Charles Good, secrétaire aux colonies, a demandé au CCTT Moody de :

[traduction] [...] prendre des mesures, dès que possible, pour délimiter clairement les emplacements des villes proposées et des réserves indiennes dans l’ensemble de la colonie.

2. L’étendue des réserves indiennes à délimiter devra être conforme aux indications respectives des Autochtones eux-mêmes. [Je souligne.]

[157]  Good a aussi envoyé à Cox, commissaire adjoint des Terres dans la région de l’Okanagan, les instructions suivantes :

[traduction]

7. Vous recevrez du commissaire en chef des Terres et des Travaux l’ordre de tracer les limites des réserves indiennes conformément aux indications des habitants de chaque village et de chaque établissement, ce qui doit constituer la règle pour délimiter ces réserves. Il faut aussi avertir les gens de ne pas franchir ces limites.

[158]  Nind, magistrat, commissaire de l’Or et commissaire adjoint des Terres pour le district d’Alexandria, a reçu des instructions semblables en juin 1861 en ce qui concerne les « Indiens de Williams Lake » :

[traduction] Son Excellence désire que vous délimit[iez] une réserve de 400 ou 500 acres à l’usage des Indiens à l’endroit où ils souhaitent posséder une section de terrain. Aucun arpentage n’est requis; il suffit de marquer clairement les lignes.

[159]  Je le rappelle, Nind n’a pas exécuté les instructions qu’il avait lui-même demandées, car les préemptions avaient déjà eu lieu. Nind était chargé d’appliquer la politique coloniale sur le terrain. Il s’agissait d’une obligation. Bien qu’on lui ait rappelé que les terres acquises par préemption pouvaient être reprises sans indemnisation, il n’a rien fait.

[160]  La colonie a violé la Proclamation no 15. Comme il s’agissait d’une loi relative aux Indiens ou aux terres réservées pour les Indiens au sens de la politique coloniale et de la Loi, la revendicatrice a établi l’existence des faits prévus à l’al 14(1)b) de la LTRP en ce qui concerne la revendication particulière.

E.  Sa Majesté a-t-elle manqué à son obligation d’agir honorablement et à son obligation fiduciaire lors de la période coloniale?

1.  L’alinéa 14(1)b) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières rend-il Sa Majesté (Canada) responsable du manquement de la colonie à l’obligation fiduciaire?

[161]  Le Canada reconnaît qu’il ressort clairement de l’al 14(1)b), lu à la lumière du par 14(2), qu’il est possible de saisir le Tribunal de revendications relatives à la période préconfédérative, mais il prétend que les causes d’action se limitent au non-respect des obligations législatives. 

[162]  Le paragraphe 14(2) régit l’application de l’al 14(1)b) « [...] à l’égard d’une obligation légale qui devait être exécutée sur un territoire situé à l’intérieur des limites actuelles du Canada avant l’entrée de ce territoire au sein du Canada ». Il dispose que :

[...] la mention de Sa Majesté vaut également mention du souverain de la Grande Bretagne et de ses colonies, dans la mesure où cette obligation, ou toute responsabilité en découlant, a été imputée à Sa Majesté, ou aurait été imputée à celle-ci [...]

[163]  Sa Majesté (LTRP, art 2 : « Sa Majesté » Sa Majesté du chef du Canada) est donc dans la même position juridique que le « souverain de la Grande Bretagne et de ses colonies », mais pas en ce qui concerne toutes les obligations potentielles de la Couronne impériale pendant la période préconfédérative.

[164]  L’obligation légale qui a été « imputée à Sa Majesté, ou aurait été imputée à celle-ci » est devenue l’obligation du Canada lors de la Confédération et celle que le Canada, s’il avait été à la place de la colonie, aurait violée.

[165]  La bande soutient essentiellement qu’il existe une obligation fiduciaire dès lors qu’une loi confère un pouvoir discrétionnaire sur un droit ancestral. Elle prétend que c’est exactement ce qu’a fait la Proclamation no 15.

[166]  En l’espèce, la question est de savoir si, aux termes de la politique — qui est devenue une loi par l’adoption de la Proclamation no 15 —, la colonie devait agir dans l’intérêt des Indiens, et si elle conservait le pouvoir discrétionnaire de décider comment elle s’acquitterait de cette obligation.

[167]  Si la colonie n’a pas violé les dispositions expresses de la proclamation qui est un texte législatif « relatif aux Indiens et aux terres réservées pour les Indiens », il reste à déterminer si elle avait une obligation fiduciaire et si elle a manqué à cette obligation.

[168]  Si la protection des établissements indiens en vertu de la Proclamation no 15 dépendait de la prise d’autres mesures par Sa Majesté, notamment délimiter ou arpenter les terres, la façon d’atteindre cet objectif était discrétionnaire. L’exercice du pouvoir discrétionnaire est au cœur de l’obligation fiduciaire.

2.  Textes législatifs et obligations fiduciaires en common law

[169]  J’ai conclu que la colonie avait violé un texte législatif relatif aux terres réservées pour les Indiens. J’examinerai maintenant l’argument de la revendicatrice sur l’obligation fiduciaire.

[170]  Dans Guerin c R [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4th) 321 [Guerin], le juge Dickson, s’exprimant au nom de la majorité, a énoncé plusieurs motifs pour lesquels Sa Majesté pourrait devenir un fiduciaire dans ses relations avec les Indiens. L’élément commun est le pouvoir discrétionnaire.

[171]  Dans Guerin, le pouvoir discrétionnaire qui a donné naissance à l’obligation fiduciaire était prévu par la loi, plus précisément par le par 18(1) de la Loi sur les Indiens, LRC 1952, ch 149, qui « confère à Sa Majesté un large pouvoir discrétionnaire relativement aux terres cédées » (Guerin, précité, p. 385).

[172]  La Cour suprême a conclu que la Loi sur les Indiens confirmait que Sa Majesté agissait en tant qu’intermédiaire exclusif par l’entremise duquel les immigrants pouvaient acquérir un droit sur des terres indiennes, rôle que lui confiait la Proclamation royale de 1763.

[173]  Le paragraphe 18(1) ne conférait pas expressément à Sa Majesté la qualité de fiduciaire. Il lui conférait un pouvoir discrétionnaire qui, en common law, faisait d’elle un fiduciaire.

[174]  L’affirmation d’un titre de la Couronne plaçait la colonie dans une relation fiduciaire avec les Autochtones. L’adoption d’un texte législatif portant sur des droits fonciers reconnus, — en l’espèce, un droit fondé sur l’occupation, reconnu et protégé par la loi — donne effet à la règle de droit applicable lorsque, comme en l’espèce, il existe une relation fiduciaire. Il s’agit d’une obligation légale au sens du par 14(2) si les facteurs permettant de conclure à l’existence d’une obligation fiduciaire sont réunis.

[175]  Je souligne en passant que, si l’interprétation proposée par le Canada est correcte en droit, les seules revendications fondées sur des obligations fiduciaires dont le Tribunal pourrait être saisi seraient celles qui découlent de « la fourniture ou de la non fourniture de terres d’une réserve » (LTRP, al 14(1)c)), puisqu’il s’agit de la seule disposition à l’art 14 où il est fait mention des obligations fiduciaires. Le Tribunal ne pourrait pas se prononcer sur une revendication semblable à celle présentée dans l’arrêt Guerin.

3.  Relation fiduciaire

[176]  Dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, [2002] 4 RCS 245 [Weywaykum], le juge Binnie a abordé la relation entre les Autochtones et la Couronne. L’affirmation de la souveraineté de la Couronne fondait une relation fiduciaire et imposait à la Couronne d’agir de façon honorable :

L’aspect positif de l’établissement de ces rapports sui generis fut, historiquement, la protection des intérêts des peuples autochtones (qu’il suffise de rappeler, par exemple, le passage de la Proclamation royale de 1763, L.R.C. 1985, App. II, no 1, précisant « qu’il s’est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages »), mais l’étendue de l’autorité et des pouvoirs discrétionnaires assumés par la Couronne à l’égard des populations autochtones sur les plans économique, social et foncier a également eu pour effet d’exposer ces populations aux risques de faute et d’ineptie de la part de la Couronne. L’importance de cette autorité et de ces pouvoirs en tant qu’ingrédients fondamentaux de relations fiduciaires a été soulignée par le professeur E. J. Weinrib dans la phrase suivante, citée dans l’arrêt Guerin, précité, p. 384 : [traduction] « la marque distinctive d’un rapport fiduciaire réside dans le fait que la situation juridique relative des parties est telle que l’une d’elles se trouve à la merci du pouvoir discrétionnaire de l’autre ». Voir aussi : Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, le juge Sopinka, p. 599 600; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, le juge La Forest, p. 406; Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, madame la juge Wilson, dissidente, p. 135 136. L’obligation de préserver [traduction] « l’honneur de l’État » est liée d’une certaine façon aux normes éthiques que doit respecter un fiduciaire dans le contexte des rapports entre la Couronne et les peuples autochtones : R. c. Taylor (1981), 34 O.R. (2d) 360 (C.A.), le juge en chef adjoint MacKinnon, p. 367, autorisation d’appel refusée, [1981] 2 R.C.S. xi; Van der Peet, précité, le juge en chef Lamer, par. 24; Marshall, précité, par. 49 51. [par 80]

[177]  Ce ne sont pas tous les aspects de la relation fiduciaire qui donnent naissance à une obligation fiduciaire. Pour déterminer si une telle obligation existe, il faut prendre en compte les intérêts en jeu :

Je ne ferai aucun commentaire sur le bien-fondé, eu égard aux faits qui leur sont propres, des décisions rendues dans les affaires susmentionnées, dont aucune ne fait actuellement l’objet d’un pourvoi devant nous, mais il convient selon moi que la Cour confirme le principe, mentionné plus tôt, selon lequel les obligations liant des parties ayant des rapports fiduciaires n’ont pas toutes un caractère fiduciaire (Lac Minerals, précité, p. 597), et que ce principe s’applique aux rapports entre la Couronne et les peuples autochtones. Par conséquent, il est nécessaire de s’attacher à l’obligation ou droit particulier qui est l’objet du différend et de se demander si la Couronne exerçait ou non à cet égard un pouvoir discrétionnaire suffisant pour faire naître une obligation de fiduciaire. [Je souligne; Wewaykum, précité, par 83.]

4.  Honneur de la Couronne et obligation fiduciaire

[178]  Dans l’arrêt Manitoba Metis Federation c Canada, 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623 [Manitoba Metis Federation], la Cour suprême du Canada a poussé la réflexion sur le rapport entre l’honneur de la Couronne et l’obligation fiduciaire :

L’obligation de la Couronne de se conduire honorablement tire son origine « de l’affirmation par la Couronne de sa souveraineté sur un peuple autochtone et [de] l’exercice de fait de son autorité sur des terres et ressources qui étaient jusque-là sous l’autorité de ce peuple » : Nation haïda, par. 32. En droit des Autochtones, le principe de l’honneur de la Couronne remonte à la Proclamation royale de 1763, qui renvoie aux « nations ou tribus sauvages qui sont en relation avec Nous et qui vivent sous Notre protection » : voir Beckman c. Première nation Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, par. 42. Cette « protection », toutefois, ne procédait pas d’un désir paternaliste de protéger les peuples autochtones; elle traduisait plutôt une reconnaissance de leur force. L’honneur de la Couronne n’est pas non plus un concept paternaliste. Les commentaires de Brian Slattery à propos de l’obligation fiduciaire vont dans le même sens : 

[traduction] L’obligation fiduciaire générale ne tire donc pas ses origines d’un souci paternaliste de protéger un peuple « primitif » ou « plus faible », comme on l’a parfois laissé entendre, mais plutôt de la nécessité de convaincre des peuples autochtones, à une époque où ils avaient encore un potentiel militaire considérable, que l’État protégerait mieux leurs droits qu’ils ne sauraient le faire eux-mêmes.

(« Understanding Aboriginal Rights » (1987), 66 R. du B. can. 727, p. 753.) [Je souligne; par 66.]

[179]  Dans la présente affaire, le gouvernement colonial était conscient du risque imminent de soulèvement quand il a promis aux Indiens de protéger leurs terres. 

[180]  L’honneur de la Couronne est un concept pratique et concret. Il fait naître une obligation fiduciaire lorsque la Couronne assume un pouvoir discrétionnaire sur des intérêts autochtones particuliers :

L’obligation du gouvernement de consulter les peuples autochtones et de prendre en compte leurs intérêts découle du principe de l’honneur de la Couronne. L’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsque cette dernière transige avec les peuples autochtones : voir par exemple R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 41; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456. Il ne s’agit pas simplement d’une belle formule, mais d’un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes. [Je souligne.]

Les origines historiques du principe de l’honneur de la Couronne tendent à indiquer que ce dernier doit recevoir une interprétation généreuse afin de refléter les réalités sous-jacentes dont il découle. Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir [page 523] honorablement. Il s’agit là du minimum requis pour parvenir à « concilier la préexistence des sociétés autochtones et la souveraineté de Sa Majesté » : Delgamuukw, précité, par. 186, citant Van der Peet, précité, par. 31.

L’honneur de la Couronne fait naître différentes obligations selon les circonstances. Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation fiduciaire : Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, 2002 CSC 79, par. 79. [Nation haïda c Colombie Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, par 16 à 18, [2004] 3 RCS 511]

[181]  Dans l’arrêt Manitoba Metis Federation, la Cour suprême donne deux exemples de situations où une obligation fiduciaire peut prendre naissance. Dans le premier :

la Couronne administre des terres ou des biens sur lesquels les Autochtones ont un intérêt : Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, p. 384. L’obligation prend naissance (1) s’il existe un intérêt autochtone particulier ou identifiable, et (2) si la Couronne exerce un pouvoir discrétionnaire à l’égard de cet intérêt : Wewaykum, par. 79 83; Nation haïda, par. 18. [par 51]

[182]  Dans le deuxième exemple de situation exposé dans l’arrêt Manitoba Metis Federation, l’obligation découle d’un engagement, si les conditions suivantes sont réunies :

(1) un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable. [par 50]

5.  Affirmation de la souveraineté de la Couronne en Colombie-Britannique

[183]  Dans l’arrêt Delgamuukw c Colombie Britannique, la Cour suprême a conclu que l’Angleterre avait affirmé sa souveraineté sur le territoire qui est ensuite devenu la colonie de la Colombie Britannique en 1846 : ([1997] 3 RCS 101, par 45, 153 DLR (4th) 193 [Delgamuukw], adoptant la conclusion de la CAC B, p 225, dans l’opinion concordante du juge Wallace).

[184]  La colonie de l’île de Vancouver a été établie en 1849, quand le gouvernement impérial l’a donnée à la Compagnie de la Baie d’Hudson. James Douglas était alors l’agent principal de la Compagnie. En 1858, Douglas a été nommé gouverneur de la colonie de la Colombie Britannique.

[185]  En février 1859, Douglas a adopté la Proclamation no 13, qui dispose que la Couronne est propriétaire, en fief simple, de l’ensemble des terres, des mines et des minéraux en Colombie Britannique.

F.  L’honneur de la Couronne était-il en jeu dans les rapports que celle-ci avait avec les Autochtones è l’époque coloniale?

[186]  Le principe de l’honneur de la Couronne exige une affirmation de la souveraineté britannique : Manitoba Metis Federation, précité, par 9. Cet élément est présent en l’espèce.

[187]  Dans l’arrêt Manitoba Metis Federation, la Cour suprême a insisté sur les obligations constitutionnelles :

En appliquant les précédents et les principes qui encadrent le comportement honorable, nous estimons que, lorsqu’il est question de la mise en œuvre d’une obligation constitutionnelle envers un peuple autochtone, le principe de l’honneur de la Couronne oblige la Couronne : (1) à adopter une approche libérale et téléologique dans l’interprétation de la promesse; (2) à agir avec diligence pour s’acquitter de la promesse. [par 75]

[188]  Dans l’arrêt Manitoba Metis Federation, la Cour s’est intéressée à l’effet juridique des promesses explicites faites aux Métis dans un document constitutionnel. Cependant, elle n’a pas limité l’obligation de la Couronne d’agir honorablement à l’exécution de ses obligations constitutionnelles :

L’honneur de la Couronne n’est « pas simplement [...] une belle formule, mais [...] un précepte fondamental qui peut s’appliquer dans des situations concrètes », et il « fait naître différentes obligations selon les circonstances » : Nation haïda, par. 16 et 18. Il ne s’agit pas d’une cause d’action en soi, mais d’un principe qui a trait aux modalités d’exécution des obligations dont il emporte l’application. Jusqu’à ce jour, le principe de l’honneur de la Couronne a été appliqué dans au moins quatre cas :

1. Le principe de l’honneur de la Couronne fait naître une obligation fiduciaire lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’un intérêt autochtone particulier (Wewaykum, par. 79 et 81; Nation haïda, par. 18);

[...]

4.Le principe de l’honneur de la Couronne exige qu’elle agisse de manière à ce que les traités conclus avec les Autochtones et les concessions prévues par la loi en leur faveur atteignent leur but (R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, par. 43, citant les arrêts The Case of The Churchwardens of St. Saviour in Southwark (1613), 10 Co. Rep. 66b, 77 E.R. 1025, et Roger Earl of Rutland’s Case (1608), 8 Co. Rep. 55a, 77 E.R. 555; Première nation crie Mikisew, par. 51; Badger, par. 47). [par 73]

[189]  Les obligations fiduciaires relatives aux intérêts autochtones découlent de l’honneur de la Couronne, mais ne sont pas tributaires de la preuve des droits établis par l’art. 35 ou de l’existence d’une réserve. Ces obligations peuvent naître avant la création d’une réserve :

Dans l’arrêt Ross River, précité, la Cour a affirmé que « [b]ien qu’il ne s’agisse pas là d’une question en litige dans le présent pourvoi, il ne faut cependant pas oublier que l’exercice de ce pouvoir particulier [création de réserves] demeure évidemment assujetti au respect des obligations et droits constitutionnels établis par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ainsi qu’aux obligations de fiduciaire de la Couronne (le juge LeBel, par. 62). La Cour a ajouté ceci, au par. 77 : « il ne faut pas oublier que les actes accomplis par la Couronne relativement aux terres occupées par la Bande sont régis par les rapports de fiduciaire qui existent entre cette dernière et la Couronne [...] ».

[...]

En l’espèce, il faut définir, dans la mesure nécessaire pour statuer sur les présents pourvois, en quoi consiste, à l’étape de la création de la réserve, l’obligation de fiduciaire « relativement aux terres occupées par la Bande » (Ross River, précité, par. 77).

[Wewaykum, précité, par 88, 90]

[190]  La mention, au paragraphe 90, de « l’étape de la création de la réserve » renvoie à ce qui précède la « création » d’une réserve. Dans la présente affaire, les proclamations protégeaient les établissements indiens de la préemption. Cette protection était dans l’intérêt du peuple autochtone qui occupait les terres. La politique coloniale était de réserver les terres du village.

[191]  Le principe de l’honneur de la Couronne peut faire naître des obligations fiduciaires (Manitoba Metis Federation, précité, par 49, 50). Il est toutefois possible de conclure à un manquement à ce principe en l’absence d’une obligation fiduciaire. Voilà ce qui ressort de la décision dans l’arrêt Manitoba Metis Federation.

[192]  Agir honorablement consiste essentiellement à tenir une promesse :

Cette obligation a surgi principalement dans le contexte des traités, où l’honneur de la Couronne garantit l’exécution diligente de ses promesses : Première nation crie Mikisew, par. 51; Little Salmon, par. 12; voir aussi Nation haïda, par. 19. Dans son expression la plus fondamentale, le droit tient pour acquis que la Couronne entend toujours respecter ses promesses solennelles, notamment ses obligations constitutionnelles : Badger; Nation haïda, par. 20. [Manitoba Metis Federation, précité, par 79]

[193]  La promesse doit être faite à un groupe autochtone, « [e]nfin, il doit être explicite que le créancier de l’obligation est un groupe autochtone » (Manitoba Metis Federation, précité, par 72).

[194]  Comme je l’ai mentionné, l’obligation de la Couronne d’agir honorablement remonte à la Proclamation royale de 1763, LRC 1985, App II, no 1. La proclamation prévoyait le règlement des intérêts fonciers des Indiens avant l’occupation par les colons.

[195]  Les traités visaient à concilier la souveraineté de la Couronne et l’occupation antérieure des terres par les peuples autochtones. Les traités prévoyaient l’attribution de réserves. Douglas a continué à conclure des traités dans la colonie de l’île de Vancouver. Cependant, il s’agit d’un fait notoire que cette pratique ne s’est pas poursuivie dans l’ensemble de la colonie de la Colombie Britannique. Néanmoins, celle qui consistait à créer des réserves s’est poursuivie.

[196]  L’attribution de réserves était une exigence des autorités de la colonie, sur ordre du gouvernement impérial. Les proclamations ont donné force de loi à cette politique, ce qui a établi la promesse. Il s’agissait d’une promesse faite aux Indiens de la colonie dans le but d’éviter une guerre, et parce que, selon les normes de l’époque, on estimait juste de le faire. Douglas a communiqué la politique aux Indiens à Cayoosh et à Lytton en 1860.

[197]  L’établissement de réserves dans la colonie et, après la Confédération, dans l’ensemble du Canada, était important eu égard à la colonisation des terres par les étrangers. Que ce soit dans le cadre de traités ou autres, la création de réserves assurait une certaine sécurité à la population croissante de colons et reconnaissait le droit qu’avaient les Indiens sur leurs terres. Il s’agissait d’un droit important, qualifié d’« équitable » par Douglas. Dans le contexte de l’affirmation de la souveraineté de la Grande Bretagne sur la Colombie Britannique, la loi qui a donné effet aux proclamations obligeait la colonie à exercer sa compétence souveraine à l’égard des peuples autochtones de la colonie d’une façon qui reconnaissait et donnait effet, bien que de façon limitée, à leurs intérêts.

1.  Quelle norme s’appliquait à l’obligation de se conduire honorablement avec les peuples autochtones de la colonie?

[198]  Dès le début du mandat de Douglas à titre d’agent principal de la Compagnie de la Baie d’Hudson sur l’île de Vancouver, et tout au long de son mandat à titre de gouverneur de la colonie de la Colombie Britannique, la politique coloniale exigeait la mise en réserve des établissements indiens. Alors que l’objectif de la Couronne consistait à faire croître la colonie en permettant aux nouveaux arrivants d’acquérir des terres, les intérêts qu’avaient les Indiens sur leurs terres étaient reconnus et avaient préséance sur la politique et le régime législatif applicables à l’acquisition de terres par préemption.

[199]  Dans l’arrêt Manitoba Metis Federation, la Cour suprême du Canada a dit que l’honneur de la Couronne est engagé dans certaines circonstances particulières. Lorsqu’il est engagé, l’obligation qui en découle varie aussi selon les circonstances.

Ainsi, l’obligation découlant du principe de l’honneur de la Couronne varie en fonction de la situation. Ce en quoi consiste un comportement honorable variera selon les circonstances. [par 74]

[200]  La Cour a traité des obligations liées à l’application du principe de l’honneur de la Couronne :

En appliquant les précédents et les principes qui encadrent le comportement honorable, nous estimons que, lorsqu’il est question de la mise en œuvre d’une obligation constitutionnelle envers un peuple autochtone, le principe de l’honneur de la Couronne oblige la Couronne : (1) à adopter une approche libérale et téléologique dans l’interprétation de la promesse; (2) à agir avec diligence pour s’acquitter de la promesse. [Manitoba Metis Federation, précité, par 75]

[201]  La politique qui consistait à réserver à l’usage des Indiens des parcelles de terre sur un territoire où la colonie avait affirmé sa souveraineté visait à faciliter une colonisation ordonnée et pacifique des immigrants dans la colonie, et était également une question de justice. À cet égard, la politique et la loi visaient le même objectif que la conclusion des traités, c’est à dire la conciliation d’un intérêt autochtone reconnu avec la souveraineté de la Couronne. Devant l’arrivée massive de colons qui misaient sur leur capacité à acquérir des terres par préemption, la diligence exigeait la délimitation rapide des établissements indiens et, lorsque certaines terres des établissements indiens avaient déjà été préemptées, l’exercice du pouvoir de les reprendre.

2.  La Couronne (la colonie) s’est-elle acquittée honorablement de ses obligations envers les Indiens de Williams Lake?

[202]  Toutes les préemptions mentionnées précédemment ont été enregistrées après l’entrée en vigueur de la Proclamation no 15.

[203]   Nind n’a pas délimité de réserve parce que la majeure partie des terres agricoles de la région avaient été prises par les préempteurs et que d’autres préempteurs allaient bientôt prendre toutes les terres agricoles des environs. Nind avait le pouvoir d’annuler les préemptions.

[204]  À titre de magistrat et de commissaire de l’Or, Nind devait chercher à savoir où étaient situés les établissements indiens afin de les délimiter et de les mettre de côté à titre de réserves.

[205]  Le bureau principal de Nind était situé sur une terre que Davidson occupait sur autorisation du chef William. Si Nind n’était pas au courant de cette entente, il l’aurait appris en posant des questions au chef William puisque ce dernier était le chef à ce moment-là. Il devait s’informer auprès des Indiens au sujet des terres qu’ils occupaient.

[206]  Nind a signalé, le 4 mai 1861, que les Indiens [traduction] « campaient » à la tête du lac, au pied du lac et « parfois » près de la résidence du gouverneur à proximité de la « préemption » de Davidson. Il avait remarqué, à cette époque, la présence d’Indiens à Williams Lake. Il y avait des maisons indiennes et d’autres éléments qui indiquaient que le secteur était occupé par les Indiens à cette époque.

[207]  Nind était au courant que les Indiens occupaient des terres au pied du lac Williams.

[208]  Aucun établissement des Indiens de Williams Lake n’a été délimité pendant le court mandat de Nind, non plus que durant l’époque coloniale. Nind était au courant des préemptions, mais il n’a ni exercé ni cherché à exercer son pouvoir de reprendre les terres préemptées.

[209]  Nind n’a pas été remplacé. Les préemptions se sont poursuivies. Comme aucune de leurs terres n’avait été jalonnée, les Indiens de Williams Lake se sont réfugiés à la mission de St. Joseph. Telle était la situation pendant tout le reste de la période coloniale.

[210]  La colonie n’a pas satisfait à la norme applicable.

3.  Un manquement au principe de l’honneur de la Couronne constitue-t-il une violation d’une obligation légale aux termes de l’article 14 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières?

[211]  Dans l’arrêt Bande de Peepeekisis c Canada, 2013 CAF 191, 232 ACWS (3d) 1 [Peepeekisis], le juge Mainville a examiné s’il était possible de procéder par voie d’action en jugement déclaratoire dans le cas d’une bande qui invoquait un manquement au principe de l’honneur de la Couronne dans une revendication relative à des terres de réserve. Il a conclu qu’elle n’y avait pas droit puisque la LTRP prévoit un autre recours :

Il ne m’est toutefois pas nécessaire de trancher cette question, car je suis d’avis que les principes énoncés dans l’arrêt Manitoba Métis ne peuvent s’appliquer dans les cas où le demandeur dispose d’un autre mécanisme efficace de règlement des différends. Dans l’arrêt Manitoba Métis, les juges majoritaires ont fait reposer leur conclusion sur la non applicabilité des lois relatives à la prescription sur l’objectif de réconciliation reconnu à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Manitoba Métis, aux paragraphes 140 et 141). Ils ont également souligné le fait que les appelants ne disposaient d’aucun autre recours et que « le jugement déclaratoire peut être le seul moyen de donner effet au principe de l’honneur de la Couronne » (Manitoba Métis, au paragraphe 143 [je souligne]). [par 59]

En l’espèce, il existe un autre recours efficace, donnant effet au principe de l’honneur de la Couronne et favorisant l’atteinte de l’objectif de la réconciliation. Ainsi, en suivant la procédure établie par la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, ch. 22, les appelants peuvent maintenant faire valoir leur revendication devant le Tribunal des revendications particulières, un tribunal indépendant constitué de juges des cours supérieures. Ce tribunal ne tient compte d’aucune règle ou doctrine qui aurait pour effet d’éteindre les revendications contre la Couronne ou les droits pouvant être exercés contre cette dernière en raison du temps écoulé ou d’un délai échu, et il peut accorder une compensation monétaire pouvant atteindre 150 millions de dollars en ce qui concerne une revendication particulière visée par l’article 14 de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières. [Je souligne; par 60]

Les revendications particulières visées par la Loi sur le Tribunal des revendications particulières peuvent notamment découler de : a) l’inexécution d’une obligation légale de Sa Majesté liée à la fourniture d’une terre ou de tout autre élément d’actif en vertu d’un traité; b) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la Loi sur les Indiens ou de tout autre texte législatif relatif aux Indiens ou aux terres réservées aux Indiens; c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par Sa Majesté de terres d’une réserve, ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif d’une première nation; d) la location ou la disposition, sans droit, par Sa Majesté, de terres d’une réserve; e) l’absence de compensation adéquate pour la prise ou l’endommagement, en vertu d’un pouvoir légal, de terres d’une réserve par Sa Majesté ou un organisme fédéral; f) la fraude, de la part d’un employé ou mandataire de Sa Majesté, relativement à l’acquisition, à la location ou à la disposition de terres d’une réserve.

[Je souligne; par 61]

[212]  La revendication dont nous sommes saisis est fondée sur l’al 14(1)b).

[213]  Les parties ont, à la demande du Tribunal et avant la publication de la décision dans l’arrêt Peepeekisis, fourni d’autres observations sur la question en cause. À ce stade-ci, il n’est pas nécessaire d’examiner davantage cette question puisque la revendication est jugée valide pour d’autres motifs.

[214]  Les circonstances dans lesquelles le principe de l’honneur de la Couronne peut donner naissance à des obligations fiduciaires ont été examinées plus haut. La question de l’application du droit des fiducies aux faits, tels qu’ils ont été établis, suit.

a)  Engagement unilatéral

[215]  Aux paragraphes 240 à 242 de ses observations écrites, la revendicatrice résume la preuve sur laquelle elle s’appuie pour affirmer que la colonie a manqué à ses obligations légales. Au paragraphe 242, elle renvoie à ses observations sur l’obligation fiduciaire de la Couronne après la Confédération. Elle prétend que ces observations [traduction] « s’appliquent également aux obligations qu’avait la Couronne à l’époque coloniale ».

[216]  Au paragraphe 292 de ses observations écrites, la revendicatrice soutient que les engagements unilatéraux sont le fondement des obligations fiduciaires.

[217]  Le principe de l’honneur de la Couronne peut, dans certaines circonstances, donner naissance à une obligation fiduciaire, notamment dans le cas d’un engagement unilatéral :

50   Une obligation fiduciaire peut également découler d’un engagement si les trois éléments suivants sont réunis :

(1) un engagement de la part du fiduciaire à agir au mieux des intérêts du bénéficiaire ou des bénéficiaires; (2) l’existence d’une personne ou d’un groupe de personnes définies vulnérables au contrôle du fiduciaire (le bénéficiaire ou les bénéficiaires); et (3) un intérêt juridique ou un intérêt pratique important du bénéficiaire ou des bénéficiaires sur lequel l’exercice, par le fiduciaire, de son pouvoir discrétionnaire ou de son contrôle pourrait avoir une incidence défavorable. [Manitoba Metis Federation, précité, par 50]

[218]  Aux termes de la politique coloniale, il fallait jalonner les établissements indiens pour attribuer des réserves. Cette pratique était nécessaire pour que l’arrivée des nouveaux arrivants dans la colonie se fasse paisiblement. Il était essentiel de permettre aux nouveaux arrivants d’acquérir des terres de la Couronne par préemption pour atteindre les objectifs fixés par la politique coloniale. Cependant, la Proclamation no 15 empêchait les établissements indiens d’être acquis par préemption. Pour atteindre efficacement les objectifs, il fallait donc préalablement délimiter les établissements indiens.

[219]  Comme les Indiens s’agitaient, le gouverneur Douglas a promis à un grand nombre d’entre eux, à Cayoosh et à Lytton, que des réserves seraient créées. C’est là la preuve de l’engagement, exprimé dans la politique coloniale et dans les lois, d’agir dans les meilleurs intérêts des Indiens en faisant respecter l’interdiction visant la préemption de terres situées à l’intérieur des limites de leurs établissements. 

[220]  Les bénéficiaires de l’engagement étaient les tribus indiennes de la région dont les établissements n’avaient pas été jalonnés. Les Indiens de Williams Lake constituaient une de ces tribus.

[221]  L’intérêt des Indiens de Williams Lake dans leurs établissements était un intérêt pratique important.

[222]  L’exercice du pouvoir discrétionnaire de la colonie a eu une incidence défavorable sur les intérêts des Indiens de Williams Lake. Le commissaire de l’Or Nind devait jalonner les établissements indiens et a demandé à recevoir des instructions sur l’établissement d’une réserve à Williams Lake, puisqu’il savait que des Indiens y étaient établis. Il savait que des préemptions avaient été enregistrées dans cette région et que les préemptions pouvaient être annulées. La Couronne n’a pas, dans le cas des Indiens de Williams Lake, pris les mesures les plus élémentaires pour éviter que les terres d’établissement soient préemptées ou pour annuler les préemptions contraires à la loi.

[223]  Les éléments énoncés dans l’arrêt Manitoba Metis Federation sont réunis. La Couronne devait, à titre de fiduciaire, privilégier les intérêts des Indiens sur leurs terres plutôt que les intérêts des nouveaux arrivants qui souhaitaient acheter des droits d’occupation des terres de la Couronne.

b)  Wewaykum : réserves provisoires et obligations fiduciaires

[224]  Dans l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême du Canada a conclu que, dans des circonstances où des terres ont été provisoirement réservées pendant les étapes nécessaires de la « création » d’une réserve, les obligations fiduciaires de la Couronne de « loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation » peuvent naître (Wewaykum, précité, par 93).

[225]  Le concept de réserve « provisoire » a été introduit dans l’arrêt Wewaykum. Les obligations fiduciaires susmentionnées entrent en jeu relativement aux réserves « provisoires » quand le présumé bénéficiaire peut établir l’existence d’un intérêt identifiable sur des terres sur lesquelles la Couronne exerçait un pouvoir discrétionnaire.

[226]  Les terres habituellement occupées par les communautés indiennes avaient été mises à part à titre de terres de réserve de façon concertée par le Canada et la Colombie Britannique après la constitution de la Commission mixte des réserves indiennes en 1876. Ces « réserves » étaient en fait administrées par le Canada sous le régime de la Loi des Indiens. L’affaire Wewaykum portait sur des réserves qui avaient ainsi été mises de côté. La Cour a conclu que ces mises de côté étaient provisoires puisque la Colombie Britannique devait ensuite céder la propriété des dites terres au Canada afin de compléter le processus de « création » des réserves, ce qui a eu lieu en 1938.

[227]  Dans l’arrêt Wewaykum, la thèse de la responsabilité de la Couronne avancée par les bandes reposait sur la prémisse que les « réserves » (chaque bande revendiquait la réserve occupée par l’autre bande) s’entendaient en droit des réserves au sens de la Loi sur les Indiens. Les deux bandes affirmaient donc que l’obligation de la Couronne était de nature fiduciaire, ce qu’a conclu la Cour suprême du Canada :

Le contenu de l’obligation fiduciaire change quelque peu après la création de la réserve, moment auquel la bande acquiert un « intérêt en common law » dans la réserve, même si celle-ci est créée sur des terres ne faisant pas l’objet de droits visés au par. 35(1). [Wewaykum, précité, par 98]

[228]  Dans l’arrêt Wewaykum, la Cour suprême du Canada a confirmé que, lors de la création d’une réserve, la portée de l’obligation fiduciaire de la Couronne s’élargit et vise la préservation de l’intérêt quasi propriétal de la bande dans la réserve et la protection de la bande contre l’exploitation à cet égard (Wewaykum, précité, par 98 à 100).

[229]  La Cour a conclu que les réserves en question n’avaient pas encore été « créées » au sens de la Loi sur les Indiens au moment des manquements allégués à l’obligation fiduciaire. L’obstacle juridique à la création des réserves par le Canada dans la province de la Colombie Britannique (jusqu’en juillet 1938) tenait au fait que le titre de la Couronne sur les terres situées à l’extérieur de la zone des chemins de fer appartenait toujours à la province. Les terres qui avaient été mises à part à titre de réserves ne pouvaient répondre à la définition de « réserve » prévue par la Loi sur les Indiens, puisque le titre appartenait toujours à la province. Par conséquent, les réserves qui avaient été attribuées n’avaient pas été « créées » en droit. Les réserves étaient « provisoires » jusqu'à ce que le titre de la Couronne soit transféré au Canada.

[230]  Malgré le fait que la Loi sur les Indiens ne s’appliquait pas aux réserves dont il est question dans l’arrêt Wewaykum, la Cour a conclu que les devoirs élémentaires de « [...] loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation » pouvaient exister.

c)  Les établissements indiens étaient-ils « provisoires » à l’époque coloniale?

[231]  La compétence de la colonie ne se limitait pas à la création de réserve. La colonie de la Colombie Britannique disposait du pouvoir de mettre de côté des réserves pour qu’elles soient occupées par les Indiens, qui découle de la souveraineté et du titre de la Couronne. 

[232]  L’adoption par la colonie de lois sur la préemption était un exercice de son pouvoir sur les terres à l’égard desquelles elle avait revendiqué un titre en vertu de la Proclamation no 13. La colonie a reconnu le droit à l’occupation des établissements indiens et a protégé ce droit en adoptant la Proclamation no 15. Pour ce faire, il n’était pas nécessaire de procéder au jalonnement des terres ni de respecter les formalités relatives à l’arpentage et à la « mise à part » des terres à titre de réserve. 

[233]  J’ai conclu que les établissements indiens avaient été « réservés » sur les terres pouvant être acquises par préemption afin d’éviter qu’ils ne soient préemptés. Cela devrait, à tout le moins, faire entrer en jeu les obligations fiduciaires qui existent lorsqu’un intérêt identifiable relève du pouvoir discrétionnaire de la Couronne. D’autres mesures auraient peut-être été nécessaires pour « créer », de manière définitive, des réserves à l’usage et au profit des communautés indiennes qui occupaient les établissements et pour faire intervenir des obligations plus exigeantes.

[234]  Les Indiens de Williams Lake étaient présents dans la région de Comer Glendale en 1860. Nind savait qu’ils « campaient » à cet endroit. Il y avait des « maisons indiennes » et d’autres indices de la présence d’un établissement. La prudence ordinaire imposait de s’assurer de l’étendue de l’établissement afin que les lois puissent effectivement protéger les terres contre la préemption.

[235]  La Couronne ne s’est pas acquittée de son devoir d’exercer la prudence ordinaire dans l’intérêt des Indiens de Williams Lake.

G.  La présente revendication vise-t-elle un titre ancestral du fait que la revendicatrice se fonde sur l’occupation des terres du village?

[236]  L’intimée soutient que la revendication de l’intérêt sur les terres du village de la revendicatrice est fondée sur le titre ancestral, une affaire ne relevant pas de la compétence du Tribunal (LTRP, al 15(1)f)).

[237]  La revendicatrice s’appuie sur une preuve d’occupation dans le même but que celui poursuivi dans l’affaire Première nation de Kitselas c SMR du chef du Canada, 2013 TRPC 1. Dans cette affaire, la preuve de l’occupation était nécessaire pour établir les faits sur lesquels était fondée la revendication en application de l’al 14(1)c) de la LTRP. Cette preuve était pertinente pour déterminer si les terres en question étaient habituellement utilisées, facteur que la CMRI devait prendre en considération dans l’exercice de son mandat d’établir des réserves en Colombie Britannique.

[238]  En l’espèce, la reconnaissance par la colonie du droit d’occupation des Indiens était fondée sur la présence d’Indiens à des endroits où il était dans l’intérêt de la colonie qu’ils restent.

[239]  La revendicatrice doit s’appuyer sur l’occupation pour établir les faits sur lesquels est fondée sa revendication, puisque les politiques et lois coloniales reconnaissaient que l’occupation était l’une des raisons de protéger les établissements indiens contre la préemption. C’est sur la violation des obligations de la colonie que repose la revendication. De plus, le fait que l’occupation soit l’un des nombreux éléments de preuve du titre ancestral ne signifie pas que la revendication est fondée sur le titre ancestral.

H.  Alinéa 14(1)b) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières et article premier des Conditions de l’adhésion

[240]  L’argument de la revendicatrice est fondé, dans une certaine mesure, sur le fait (incontesté) que le Canada n’a pas, après la Confédération, pris les mesures nécessaires pour faire annuler les préemptions. La revendicatrice invoque l’article premier des Conditions de l’adhésion de la Colombie Britannique, LRC 1985, App II, no 10 [Conditions de l’adhésion], pour établir l’existence d’une obligation constitutionnelle de mettre à part les terres à titre de réserves après que la colonie soit devenue une province du Canada. L’article premier des Conditions de l’adhésion, par lesquelles le Canada a assumé certaines dettes et obligations de la province lors de la Confédération, viserait la responsabilité découlant du défaut par la colonie d’appliquer et de faire respecter les proclamations.

[241]  Dans ses observations écrites initiales, l’intimée fait valoir que la LTRP n’impose pas de nouvelles obligations légales au Canada : [traduction] « La Loi est de nature procédurale; elle prévoit la façon dont le tribunal peut instruire et trancher une revendication, mais, à part le fait qu’elle supprime les moyens de défense fondés sur la prescription et sur la doctrine des laches, elle n’élargit pas la portée de la responsabilité de la Couronne de façon à englober les revendications historiques » (observations écrites du Canada, 18 janv. 2013, par 247). Cela répond au fait que la revendicatrice a invoqué l’article premier des Conditions de l’adhésion. Au paragraphe 253, l’intimée fait valoir que [traduction] « la question juridique de savoir si le Canada était responsable ou non après la Confédération est une question de droit constitutionnel, et non une question pouvant être déterminée par une déduction qui pourrait être tirée de l’article 14 ».

[242]  Si je comprends bien la position de l’intimée, le par 14(2) de la LTRP n’a pas pour effet d’élargir la signification d’« obligation légale » à l’al 14(1)b), de manière à s’appliquer aux obligations constitutionnelles du Canada lorsque la revendication est fondée sur la violation d’une obligation légale de la colonie. Que ce soit juste ou non, cela n’a aucune incidence sur la question de savoir si la revendicatrice, comme le dit l’intimée, [traduction] « peut déposer des revendications historiques, antérieures à la Confédération, en vertu de l’article 14 de la Loi, comme il était possible de le faire en vertu de la Politique sur les revendications particulières » (par 258).

[243]  Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’argument de la revendicatrice fondé sur l’article premier des Conditions de l’adhésion pour statuer sur la revendication.

VI.  revendicaitons postérieures à la confédération

A.  Revendication déposée en vertu de l’alinéa 14(1)c) de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières

[244]  La revendicatrice se fonde également sur la violation à une obligation fiduciaire que le Canada aurait commise après la Confédération. Il s’agit d’une revendication fondée sur l’al 14(1)c) de la LTRP :

14. (1) Sous réserve des articles 15 et 16, la première nation peut saisir le Tribunal d’une revendication fondée sur l’un ou l’autre des faits ci-après en vue d’être indemnisée des pertes en résultants :

c) la violation d’une obligation légale de Sa Majesté découlant de la fourniture ou de la non fourniture de terres d’une réserve — notamment un engagement unilatéral donnant lieu à une obligation fiduciaire légale — ou de l’administration par elle de l’argent des Indiens ou de tout autre élément d’actif de la première nation;

B.  La revendication fondée sur une violation postérieure à la Confédération est-elle théorique?

[245]  Aux termes de l’al 14(1)b) de la LTRP, le Canada est responsable de la violation par la colonie d’obligations fiduciaires et légales. Comme l’al 14(1)c) de la LTRP constitue une source distincte de responsabilité, il n’est pas strictement nécessaire de se demander si une violation a été établie.

[246]  Je vais tout de même examiner la revendication fondée sur des événements postérieurs à la Confédération.

C.  Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, 1871

1.  Article premier des Conditions de l’adhésion

[247]  La revendicatrice soutient que l’article premier des Conditions de l’adhésion établit la responsabilité du Canada à l’égard de l’obligation non exécutée de la colonie de protéger les terres du village contre la préemption. L’article premier des Conditions de l’adhésion dispose :

Le Canada sera responsable des dettes et obligations de la Colombie Britannique existantes à l’époque de l’Union.

[248]  Pour la raison mentionnée plus haut, il n’est pas nécessaire de trancher la question soulevée par le fait que la revendicatrice s’est appuyée sur l’article premier des Conditions de l’adhésion.

2.  Article 13 des Conditions de l’adhésion et compétence fédérale

[249]  La revendicatrice invoque également l’article 13 des Conditions de l’adhésion :

Le soin des Sauvages, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union.

Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local ou Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauvages, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les Colonies.

[250]  La revendicatrice ne prétend pas que les terres soustraites à la préemption parce qu’elles constituaient des établissements indiens étaient, par application de l’article 13 des Conditions de l’adhésion, « réservées » au sens de l’arrêt Wewaykum, c. à d. « créées » afin qu’elles répondent à la définition de « réserve » de la Loi sur les Indiens.

[251]   La revendicatrice ne dit pas que ce sont ces terres que la province voulait s’approprier pour l’usage et le bénéfice des Indiens et qu’elles étaient, en ce sens, « réservées ». Elle soutient que l’article 13 des Conditions de l’adhésion attribuait « la garde et l’administration » des terres au Gouvernement Fédéral, alors que le titre de la Couronne appartenait toujours à la province. Ainsi, selon la revendicatrice, les terres relèvent de la compétence fédérale puisque ce sont des terres « réservées pour les Indiens » aux termes du par 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[252]  L’arrêt Wewaykum reposait en partie sur la conclusion portant que les terres en question n’étaient pas des réserves au sens de la Loi sur les Indiens au moment où la cause d’action a pris naissance. La décision ne traite pas de l’argument invoqué par la revendicatrice en l’espèce, celui selon lequel les terres – sur lesquelles la colonie a reconnu que les Indiens possédaient des droits – relevaient de la compétence fédérale lors de la Confédération.

[253]  Il n’est pas nécessaire de trancher la question soulevée par la revendicatrice à propos de la compétence fédérale sur les terres en question pour se prononcer sur le motif sur lequel est fondée la revendication, soit la violation d’une obligation fiduciaire.

[254]  La conclusion selon laquelle l’article 13 des Conditions de l’adhésion assujettit les terres indiennes ne pouvant pas être acquises par préemption en vertu des lois coloniales à la compétence fédérale (par 91(24)) ne constitue pas une condition préalable à l’existence d’obligations fiduciaires. C’est la relation fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones qui, dans certaines circonstances, donnera lieu à des obligations fiduciaires. Il est question de l’origine de cette relation ci-dessus.

3.  Engagement unilatéral

[255]  Il est aussi allégué que [traduction] « [...] le Canada avait reconnu sa responsabilité à l’égard des Indiens et des terres indiennes dans les Conditions de l’adhésion et dans la Loi constitutionnelle de 1867 et qu’il a pris des engagements unilatéraux relativement à la protection des terres indiennes ».

[256]  Dans l’arrêt Guerin, le juge Dickson a conclu qu’une obligation fiduciaire de « loyauté absolue » peut reposer sur un engagement unilatéral :

Je ne me prononce pas sur la question de savoir si cette description est de portée assez large pour comprendre toutes les obligations de fiduciaire. J’estime toutefois que, lorsqu’une loi, un contrat ou peut être un engagement unilatéral impose à une partie l’obligation d’agir au profit d’une autre partie et que cette obligation est assortie d’un pouvoir discrétionnaire, la personne investie de ce pouvoir devient un fiduciaire. L’equity vient alors exercer un contrôle sur ce rapport en imposant à la personne en question l’obligation de satisfaire aux normes strictes de conduite auxquelles le fiduciaire est tenu de se conformer. [page 384]

[257]  Et, il a aussi conclu ceci, à la page 336 :

L’equity ne sanctionnera pas une conduite peu scrupuleuse de la part d’un fiduciaire qui doit faire preuve d’une loyauté absolue envers son commettant.

[258]  Je ne crois pas que la revendicatrice prétende que, après la Confédération, la Couronne ne pouvait respecter son devoir de loyauté absolue qu’en mettant de côté les terres du village à titre de réserve. Comme l’approbation de la province était nécessaire, le Canada ne pouvait pas, unilatéralement, établir une réserve et il ne pouvait donc pas être tenu de parvenir à ce résultat. La revendicatrice affirme qu’il aurait toutefois pu prendre des mesures pour faire annuler les préemptions, ce qui lui aurait permis d’attribuer les terres du village à titre de réserve. La question de savoir si le Canada était tenu de le faire dépend du sens attribué à l’expression « ligne de conduite libérale » qui se trouve à l’article 13 des Conditions de l’adhésion. 

[259]  La revendicatrice signale que l’article 13 des Conditions de l’adhésion et le par 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 sont des engagements unilatéraux qui imposent au Canada d’agir dans les limites de son pouvoir pour servir l’intérêt des Indiens, c’est à dire protéger leurs établissements, en tant qu’endroits habituellement utilisés, en tant que réserves. La revendicatrice invoque ces mêmes dispositions pour affirmer qu’en tant qu’intermédiaire exclusif le Canada dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans ses rapports avec la province.

4.  Pouvoir discrétionnaire

[260]  L’obligation fiduciaire que fait valoir la revendicatrice repose sur deux facteurs : le pouvoir discrétionnaire et le droit identifiable. La revendicatrice s’appuie sur l’arrêt Wewaykum, précité.

[261]  La revendicatrice fait valoir que, à la lumière de l’article 13 des Conditions de l’adhésion et du par 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, la Couronne (Canada) a assumé unilatéralement un pouvoir discrétionnaire sur les questions touchant aux peuples autochtones. Des obligations fiduciaires découleraient de ce pouvoir.

[262]  Dans l’affaire Wewaykum, les bandes rivales soutenaient que les terres en cause étaient des réserves au sens de la Loi sur les Indiens. Chacune d’elles affirmait qu’en raison d’une erreur de transcription, les réserves avaient été attribuées à tort à l’autre bande. Les réparations sollicitées étaient fondées sur la violation alléguée d’une obligation légale et, comme dans l’arrêt Guerin, sur les obligations fiduciaires qui découlent du pouvoir discrétionnaire dont dispose la Couronne dans l’application de la Loi. 

[263]  L’importance de l’article 13 des Conditions de l’adhésion pour déterminer si la Couronne peut être assujettie à des obligations fiduciaires est expliquée dans l’arrêt Wewaykum, précité :

La coopération fédérale provinciale était nécessaire dans le cadre du processus de création des réserves, étant donné que, si le gouvernement fédéral avait compétence à l’égard des « Indiens et [d]es terres réservées aux Indiens » aux termes du par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, les terres domaniales en Colombie Britannique, où serait nécessairement établie toute réserve, appartenaient à la province. Toute tentative unilatérale du gouvernement fédéral de créer une réserve sur des terres publiques de la province aurait été invalide : Ontario Mining Co. x. Seybold, [1903] A.C. 73 (C.P.). Par ailleurs, la province ne pouvait établir une réserve indienne au sens de la Loi sur les Indiens, car elle aurait alors empiété sur la compétence exclusive du fédéral sur « [l]es Indiens et les terres réservées aux Indiens ». [Je souligne; par 15.]

16  La mise en œuvre de l’article 13 requérait donc l’accomplissement de certaines démarches préalables à la mise en branle du processus fédéral provincial de création des réserves décrit dans l’arrêt Ross River. D’abord, des commissaires nommés par le gouvernement fédéral délimitaient et arpentaient les réserves proposées, puis, munis de ces plans, les gouvernements fédéral et provincial négociaient la taille, l’emplacement et le nombre de réserves. La maîtrise et l’administration de ces terres devaient ensuite être cédées (ou « transférées », suivant les termes de l’article 13) par la nouvelle province de la Colombie Britannique au gouvernement fédéral, lequel devait les mettre de côté à l’usage et au bénéfice d’une bande : L’Acte des Sauvages, 1876, S.C. 1876, ch. 18, par. 3(6); Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I 5, par. 2(1) « réserve ». [Je souligne; par 16.]

[264]  Vu son champ de compétence, la Couronne (Canada) agissait en tant qu’intermédiaire exclusif entre les peuples indiens et la province dans le processus de création des réserves et en tant que fiduciaire dont l’obligation, quoique restreinte, était définie :

En l’espèce, tout comme dans l’arrêt Ross River, la nature et l’importance du droit des bandes appelantes sur ces terres avant 1938, ainsi que l’intervention de la Couronne pour leur compte, en tant qu’intermédiaire exclusif auprès de tiers (y compris la province), ont imposé à la Couronne l’obligation de fiduciaire de faire montre de loyauté et de bonne foi, de communiquer l’information de façon complète, et égard aux circonstances, et d’agir avec la diligence « ordinaire » requise dans ce qu’elle considérait raisonnablement être l’intérêt des bénéficiaires de cette obligation. [Je souligne; Wewaykum, précité, par 97.]

[265]  Le contenu de l’obligation qu’avait la Couronne avant de « créer » une réserve a été défini de la façon suivante : 

Avant de créer une réserve, la Couronne accomplit une fonction de droit public prévue par la Loi sur les Indiens, laquelle fonction est assujettie au pouvoir de supervision des tribunaux compétents pour connaître des recours de droit public. Des rapports fiduciaires peuvent également naître à cette étape, mais l’obligation de la Couronne à cet égard se limite aux devoirs élémentaires de loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence ordinaire dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation. [Je souligne; Wewaykum, précité, par 86.]

[266]   La Cour suprême a conclu que, dans les circonstances, la Couronne avait une telle obligation envers le bénéficiaire qui n’avait aucun intérêt antérieur sur les terres en question :

Il est vrai que dans Guerin, p. 379, le juge Dickson a également fait l’observation suivante, relativement à la détermination de l’existence d’une obligation fiduciaire :

À mon avis, il est sans importance que la présente espèce concerne le droit d’une bande indienne sur une réserve plutôt qu’un titre aborigène non reconnu sur des terres tribales traditionnelles. Le droit des Indiens sur les terres est le même dans les deux cas [...]

Toutefois, il parlait dans cette affaire de l’aliénation de l’intérêt d’une bande indienne dans une réserve existante, dans le cadre d’une opération antérieure à la Loi constitutionnelle de 1982. En l’espèce, nous sommes en présence d’un programme gouvernemental qui visait à créer des réserves sur des terres ne faisant pas partie des « terres tribales traditionnelles ». [Wewaykum, précité, par 77]

[267]  Les éléments de preuve présentés en l’espèce montrent que les terres du village font partie des terres tribales traditionnelles des Indiens de Williams Lake. Toutefois, la présente revendication ne porte pas sur un titre ancestral. Si la preuve d’un droit identifiable est par ailleurs établie, les obligations de la Couronne relativement aux terres de village ne pourraient être moindres que celles établies dans l’arrêt Wewaykum.

D.  Honneur de la Couronne et obligation fiduciaire

[268]  Dans l’arrêt Manitoba Metis Federation, la Cour suprême du Canada a établi un rapport entre les obligations fiduciaires qu’a la Couronne envers les peuples autochtones et le principe primordial de l’honneur de la Couronne. Il en est question aux paragraphes 177 à 181 des présents motifs. 

[269]  L’affirmation de la souveraineté britannique a fait de l’honneur de la Couronne un principe juridique au Canada.

[270]  La norme selon laquelle la Couronne doit se conduire honorablement avec les peuples autochtones ne s’applique pas de façon uniforme à toutes les questions qui se posent dans le cadre de la relation entre la Couronne et les Autochtones. Elle varie selon les circonstances (Manitoba Metis Federation, précité, par 51 et 52).

[271]  Aux termes du par 91(24) et de l’article 13 des Conditions de l’adhésion, la Couronne (Canada) est le principal acteur dans sa relation fiduciaire avec les Autochtones. En l’espèce, il reste à savoir si, compte tenu des faits, le principe de l’honneur de la Couronne obligeait le Canada à prendre des mesures pour servir les intérêts des Indiens de Williams Lake sur les terres du village, et si cette obligation était de nature fiduciaire. La réponse à ces deux questions dépend du sens attribué à l’expression « ligne de conduite libérale » qui se trouve à l’article 13 des Conditions de l’adhésion.

1.  Ligne de conduite libérale

[272]  La revendicatrice soutient que les obligations que le Canada a assumées dans le cadre des Conditions de l’adhésion sont celles qui sont reflétées dans les politiques relatives aux réserves et aux établissements de l’ancienne colonie, notamment la politique qui vise à protéger les établissements contre la préemption et à reconnaître que ces établissements comprennent les étendues de terre qui sont occupées selon les saisons. En ce qui concerne le processus d’identification des terres d’établissements, la politique prévoyait la consultation des Indiens. Selon elle, cette politique éclaire le contenu des obligations de la Couronne.

[273]  L’intimée affirme que les politiques de la colonie ont changé pendant le mandat de Joseph Trutch, qui est devenu le CCTT lorsque Douglas a pris sa retraite, en avril 1864.

[274]  Le 28 août 1867, Trutch a donné au secrétaire intérimaire aux colonies son avis sur l’application de la politique pendant le mandat de Douglas :

[traduction] Il semble que, durant le mandat de Sir James Douglas, aucun système établi ne prévoyait la mise en réserve de terres pour l’usage des tribus indiennes. 

Le droit des Indiens de détenir des terres n’était pas du tout défini, et toute l’affaire semble avoir été laissée en suspens, en dépit du fait que les proclamations foncières interdisaient expressément la préemption de terres de réserves et d’établissements indiens. 

Aucune réserve destinée spécialement aux Indiens n’a fait l’objet d’un avis officiel dans la Gazette, et il semble que la création des réserves par voie officieuse était fondée uniquement sur des instructions verbales du gouverneur, puisque la correspondance conservée dans les archives du bureau ne contient aucune directive écrite à ce sujet.

Dans bien des cas, les terres que le gouverneur avait l’intention d’attribuer aux Indiens ont été mises de côté à cette fin et transférées aux Indiens par lui-même en personne, mais il s’agissait, pour la plupart, de petites parcelles, surtout des potagers de pommes de terre attenants aux divers villages.

Avant 1864, très peu de réserves indiennes avaient été jalonnées ou délimitées avec précision d’une quelconque façon.

[275]  Dans le même rapport, Trutch explique son point de vue sur les revendications des Indiens relatives aux réserves :

[traduction] Les Indiens considèrent ces vastes étendues de terre comme étant leur propriété, mais pour ce qui est de la majeure partie de ces terres, ils ne les utilisent pas et ils ne les utiliseront probablement pas; et par conséquent, les terres, dont une bonne partie est formée de riches pâturages ou de terres agricoles grandement désirées pour un établissement, demeurent improductives, n’ont aucune valeur véritable pour les Indiens et ne sont pas rentables eu égard aux considérations d’intérêt public [...] 

Les Indiens n’ont en réalité aucun droit sur les terres qu’ils revendiquent, et celles-ci ne leur sont d’aucune valeur ni utilité réelles. Je ne vois pas pourquoi ils pourraient conserver ces terres au préjudice des intérêts de l’ensemble de la colonie ou être autorisés à les vendre soit au gouvernement, soit à des particuliers.

[276]  Les mesures prises par Trutch étaient conformes aux opinions exprimées dans son rapport. L’année précédente, Trutch avait décidé d’abolir un certain nombre de réserves qui avaient été jalonnées pendant le mandat de Douglas.

[277]  Dans l’ouvrage Making Native Space, Harris observe qu’après la retraite de Douglas, Trutch contrôlait les politiques de la colonie en matière de propriété foncière, y compris les politiques relatives aux terres des Indiens (Harris, op.cit., p 45). Trutch ne rendait pas compte au bureau colonial et s’était écarté de « l’humanisme libéral » sur lequel reposaient les politiques élaborées par Douglas.

[278]   Au chapitre 3, [traduction] « Idéologie et politiques en matière de propriété foncière, 1864 1871 », Harris examine à fond les actions de la colonie jusqu’à la Confédération, alors que les préoccupations antérieurement exprimées par Herman Merivale, sous-secrétaire du bureau colonial à l’époque où les colonies de l’île de Vancouver et de la Colombie Britannique ont été créées, à savoir que le système deviendrait une [traduction] « politique autochtone gérée par des colons », se sont matérialisées (Harris, op. cit., p 69).

[279]  La politique rédigée par Douglas tenait compte des instructions qu’il avait reçues du bureau colonial. Lytton, secrétaire d’État aux colonies, et lord Carnarvon ont approuvé les mesures prises par Douglas pour donner effet à la politique reconnaissant que les terres habituellement occupées par les Indiens devaient être protégées. Trutch, bien qu’il ait été assez influent sur le terrain, n’était pas en mesure de modifier la politique coloniale. Quoi qu’il en soit, les événements ultérieurs ont démontré que la politique n’a pas été modifiée durant son mandat à titre de CCTT de la colonie.

[280]  Après la Confédération, un désaccord est survenu entre le Canada et la province : la province insistait pour que la taille des réserves soit fondée sur une formule selon laquelle 10 acres étaient accordés par famille. De hauts représentants du gouvernement fédéral, y compris le ministre de l’Intérieur, David Laird, et Powell, surintendant des Indiens dans la province, ont fait valoir que l’attribution des terres devait être plus libérale.

[281]  En 1874, Powell s’est informé de la politique coloniale élaborée pendant le mandat du gouverneur Douglas. Ce dernier a répondu le 14 octobre 1874.

[traduction] Le principe observé dans chaque cas consistait à laisser l’étendue et le choix des terres à l’entière discrétion des Indiens directement intéressés par une réserve. Les arpenteurs avaient pour mandat de répondre aux désirs des Indiens à tous égards et d’inclure dans chaque réserve les villages permanents, les campements de pêche, les cimetières, les terres cultivées et tous les lieux de villégiature favoris des tribus et, en somme, d’inclure tous les lopins de terre sur lesquels ils avaient acquis un titre équitable du fait de les avoir occupés de façon continue, de les avoir cultivés ou d’y avoir investi par leur travail [...].

[282]  En réponse à la question de savoir s’il y avait une superficie définie, Douglas a dit qu’il [traduction] « n’a jamais été question de limiter la superficie de ces terres à 10 acres par famille [...] ».

[283]  En 1874, le gouvernement fédéral a désavoué la Land Act nouvellement adoptée par la Colombie Britannique, parce qu’elle ne contenait aucune disposition sur la mise en réserve de terres destinées aux Indiens ou de terres de chemin de fer. Les gouvernements ont commencé à échanger leurs points de vue sur la politique relative aux réserves des Indiens.

[284]  Laird a exposé la position du Canada dans un mémoire daté du 2 novembre 1874, où il insistait sur la [traduction] « ligne de conduite libérale » en ce qui concerne les positions respectives du Canada et de la province sur la question de la superficie. Il y faisait aussi mention de la correspondance échangée entre Powell et des représentants du gouvernement provincial, et de la lettre rédigée par le père Grandidier en août 1874 et publiée dans le journal Standard, dans laquelle le père exposait les préoccupations des Indiens de Williams Lake. Il n’était pas question dans ces lettres de la superficie, mais plutôt de la préemption des terres d’établissements.

[285]  Laird a cité l’avis de Powell selon lequel [traduction] « [s’]il n’y a pas eu de guerre, ce n’est parce que les Indiens n’ont pas été victimes d’injustices, mais parce que les Indiens n’étaient pas suffisamment unis ». La principale plainte formulée par Laird était que les terres sur lesquelles les Indiens s’étaient établis et qu’ils avaient cultivées leur avaient été enlevées et avaient été acquises par préemption par les colons blancs.

[286]  Laird a demandé aux deux gouvernements de faire preuve d’un [traduction] « esprit de libéralité bien au-delà de ce qu’ils étaient tenus de faire par les stricts termes de l’entente ».

[287]  Dans un mémoire daté du 17 août 1875, pris par décret provincial no 1071 le 18 août 1875, George Walkem, procureur général de la Colombie Britannique, a rejeté la position de Laird selon qui la politique coloniale [traduction] « se moquait des revendications » des Indiens. Walkem affirmait que la politique coloniale relative aux réserves adoptée pendant le mandat de Trutch, entre 1858 et 1871, était celle exposée dans la réponse que Douglas a envoyée à Laird en 1874. Le politique régissant la mise en réserve des terres parmi celles qui étaient à la disposition des colons prévoyait ce qui suit :

[traduction] En règle générale, elles [réserves] comprennent les villages, les établissements et les terres cultivées par les Indiens [...]

Pour assurer aux Indiens la possession paisible de leur propriété, la législature coloniale a conféré aux magistrats de district de vastes pouvoirs (dont la Cour suprême ne jouissait même pas) leur permettant d’expulser toute personne qui « pénètre ou qui occupe » illégalement les réserves ou les établissements des Indiens ou qui cause des dommages aux « améliorations apportées par les Indiens, à leurs récoltes ou à leurs bovins » et de lui imposer une amende, une peine d’emprisonnement ou des dommages intérêts importants.

[288]  Walkem mentionnait que le devoir des magistrats consistait à protéger les Indiens [traduction] « dans tout ce qui a trait à leur bien-être » et qu’ils pouvaient, « si des terres cultivées leur avaient été injustement enlevées, leur assurer un règlement rapide [...] ».

[289]  Selon la correspondance entre Laird et Walkem, ces derniers estimaient que la politique coloniale adoptée par le Canada en vertu de l’article 13 des Conditions de l’adhésion assurait la protection des établissements indiens et conférait le pouvoir d’annuler les préemptions contraires à la loi. S’il ressort du dossier que la politique découle de l’article 13 des Conditions de l’adhésion, l’interprétation libérale des dispositions législatives touchant aux droits des Indiens préconisée par la Cour suprême du Canada vient étayer cette conclusion (Nowegijick c La Reine, [1983] 1 RCS 29, p 36, 144 DLR (3d) 193).

[290]  Le débat sur les conditions auxquelles les gouvernements régleraient la question des terres indiennes s’est terminé avec l’avènement de la CMRI et l’entente relative à son mandat. Voici un extrait de cette entente :

[traduction] Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues entre le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, lesquelles envisageaient l’application d’une ligne de conduite libérale envers les Indiens, et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération, d’une part, les habitudes, les souhaits et les activités de chacune, dans les limites du territoire disponible au sein de la région qu’ils occupent, et, d’autre part, des revendications des colons blancs.

[291]  La province a adopté la British Columbia Land Act, SBC 1875, c 3, art 50 [Land Act, 1875] qui, comme les lois coloniales, excluait les établissements indiens des terres pouvant être acquises par préemption et prévoyait les circonstances dans lesquelles les préemptions pouvaient être annulées.

[292]  Ce qui précède révèle que la politique coloniale relative à la protection des établissements indiens adoptée pendant le mandat de Douglas a continué de s’appliquer dans la colonie jusqu’à la Confédération. Trutch n’a pas modifié la politique; exerçant les pouvoirs dont il disposait en tant que CCTT, il ne l’a tout simplement pas appliquée. Cependant, la preuve tend plutôt à indiquer qu’il a contrevenu à la politique.

2.  Mesures exigées par l’article 13 des Conditions de l’adhésion

[293]  L’article 13 des Conditions de l’adhésion impose, pour l’avenir, des obligations au Canada et à la province. Cette dernière doit, de temps en temps, céder au Canada « des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet ». Les termes « cet objet » renvoient à la garde et à l’administration des terres réservées pour l’usage et bénéfice des Indiens qui incombent au Gouvernement Fédéral.

[294]  Les termes « ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie Britannique » s’appliquent aux politiques établies par la colonie pendant le mandat de Douglas.

[295]  Comme le titre de la Couronne appartenait toujours à la province, le Canada ne pouvait suivre la « ligne de conduite libérale » que si la province avait l’obligation concomitante d’affecter des étendues de terres comme elle l’avait toujours fait. La colonie avait l’habitude de réserver des établissements indiens sur les terres qui pouvaient être acquises par préemption pour l’occupation continue des Indiens.

[296]  Le conflit entre le Canada et la province à propos de la mise en œuvre de l’article 13 des Conditions de l’adhésion a été résolu grâce à l’entente de 1876 qui prévoyait l’établissement de la CMRI.

3.  Situation après la Confédération

[297]  La situation en Colombie Britannique après la Confédération était, à certains égards, la même que celle dans laquelle se trouvait la colonie. La menace de guerre subsistait, et on savait qu’elle planait sur le territoire des Indiens de Williams Lake, qui formaient un sous-groupe des Secwepmic (Shuswap).

[298]   Après la Confédération, huit années se sont écoulées avant que des représentants fédéraux s’intéressent à la situation des Indiens de Williams Lake, même si le père Grandidier avait défendu leur cause en 1871 et avait poussé les représentants à agir en 1874. La lettre du chef William a été publiée dans le British Colonist en 1879. Grandidier a écrit à John A. MacDonald, surintendant général des Affaires indiennes, en 1880.

[299]  Ce n’est qu’en 1876, avec l’établissement de la CMRI, que le Canada et la province se sont entendus sur la « question des terres indiennes ». Entre temps, les terres du village ont continué à être acquises par préemption.

[300]  Les deux gouvernements ont entériné, par décret, l’établissement de la CMRI. Le mémoire joint à l’approbation donnée le 10 novembre 1875 par le gouverneur en conseil prévoyait notamment ce qui suit :

[traduction] Que, dans le but de régler avec célérité ainsi que de manière définitive et satisfaisante la question des réserves indiennes en Colombie Britannique, toute l’affaire soit renvoyée à trois commissaires, l’un nommé par le gouvernement fédéral, le deuxième par le gouvernement de la Colombie Britannique et le troisième conjointement par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux.

Que lesdits commissaires, dès que possible après leur nomination, se réunissent à Victoria et prennent les dispositions nécessaires pour aller rencontrer dans les plus brefs délais, dans l’ordre qu’ils jugeront souhaitable, chaque nation indienne (c’est à dire toutes les tribus indiennes parlant une même langue) de la Colombie Britannique et que, après une étude complète, menée sur place, de tous les aspects ayant une incidence sur la question, ils déterminent, pour chaque nation séparément, le nombre, l’étendue et l’emplacement de la réserve ou des réserves à lui attribuer [...]

Que les commissaires soient guidés de façon générale par l’esprit des Conditions de l’adhésion conclues par le gouvernement fédéral et les gouvernements locaux, lesquelles envisagent l’application d’une « ligne de conduite libérale » envers les Indiens et, dans le cas de chaque nation particulière, qu’ils prennent en considération, d’une part, les habitudes, les souhaits et les activités de chacune, dans les limites du territoire disponible au sein de la région qu’ils occupent, et, d’autre part, des revendications des colons blancs. [Je souligne.]

[301]  En 1876, Gilbert Sproat a été nommé par les gouvernements de la province et du Canada. Alexander Anderson a été nommé par le Canada, et Archibald McKinley, par la province. Chaque membre a reçu instruction de mettre de côté des réserves là où vivaient les Indiens.

[302]  Sproat a reçu des instructions des deux gouvernements. Il communiquait avec certains représentants fédéraux, dont James Lenihan, surintendant des Indiens pour la Colombie Britannique, qui relevait du surintendant général adjoint des Affaires indiennes. Sproat communiquait aussi directement avec le surintendant général des Affaires indiennes.

[303]  Sproat était au courant que les Indiens de l’Okanagan et les Shuswap étaient mécontents de la lenteur avec laquelle les gouvernements procédaient à la mise de côté des terres de réserve. En octobre 1877, il a signalé au surintendant général que des terres de l’Okanagan avaient été acquises par préemption contrairement aux lois provinciales qui protégeaient les réserves et les établissements indiens. Cette préemption aurait eu lieu en 1867. La CMRI a déclaré que les terres étaient vacantes et les a remises aux Indiens de sorte que [traduction] « justice soit faite conformément à la loi ».

[304]  La CMRI a été dissoute en 1878. Sproat est resté seul commissaire en poste. Son pouvoir d’attribuer des réserves était assujetti à l’approbation du CCTT de la province. Les différends pouvaient être renvoyés à la Cour suprême de la Colombie Britannique.

[305]  Le 21 avril 1879, le juge de paix Laing Meason a écrit au commissaire Sproat au sujet des Indiens de Williams Lake :

[traduction] Le chef de cette tribu m’a demandé, de manière officielle, de vous écrire et vous informer :

4.  Qu’à moins que vous ne veniez et leur attribuiez des terres d’ici deux (2) mois, nous pouvons nous attendre à de l’agitation. 

5.  Que sa tribu n’a rien à manger parce qu’elle ne dispose d’aucune terre à cultiver. 

6.  Qu’un grand nombre de ses chevaux et de ses têtes de bétail ont péri cet hiver parce que la bande ne possédait aucune terre où elle aurait pu récolter du foin l’été dernier.

J’ai appris — de source sûre — que si aucune terre convenable n’est attribuée à la bande, elle prendra par la force les terres qu’elle possédait et cultivait autrefois, et qui lui ont été enlevées en vertu d’un droit de préemption exercé en 1861 (environ). Les terres en question se trouvent au pied du lac Williams et appartiennent aujourd’hui à M. Pinchbeck. On peut y voir des maisons indiennes encore aujourd’hui.

[306]  En novembre 1879, Lenihan a porté la lettre du chef William à l’attention du surintendant général Vankoughnet. Il a noté que les terres avaient été [traduction] « acquises par un colon blanc ».

[307]  Sproat a démissionné en mars 1880. Peter O’Reilly, le gendre de Trutch, a été nommé commissaire en juillet 1880.

[308]  O’Reilly a reçu instruction de s’inspirer de la ligne de conduite libérale qui sous-tend les Conditions de l’adhésion, et qui est énoncée dans l’entente de 1876 établissant la CMRI (l’« entente de 1876 ») :

[traduction] Lors de l’attribution de terres de réserve à une bande, vous devez généralement vous inspirer de l’esprit des conditions de l’union entre le Dominion et le gouvernement local, qui prévoient l’adoption d’une « ligne de conduite libérale » à l’égard des Indiens. Vous devez tenir particulièrement compte des habitudes, des besoins et des occupations de la bande, de l’étendue du territoire qu’elle fréquente à l’intérieur du pays, ainsi que des demandes des colons blancs (s’il en est).

[309]  Il a aussi été indiqué à O’Reilly de prendre en considération le rapport de situation rédigé par Sproat en 1878, dans lequel ce dernier déclare ce qui suit :

[traduction] La première condition est de laisser les Indiens dans les lieux anciens auxquels ils sont attachés. À l’heure actuelle, les Indiens d’ici tiennent à un tel point à ces lieux qu’aucun avantage découlant du fait de résider ailleurs ne leur ferait accepter ce changement. Il est une pure vérité qu’au cours de l’été dernier, des Indiens se sont agenouillés devant moi en se lamentant et en suppliant que si la Reine ne pouvait pas leur donner des terres, elle devait leur donner des pierres ou des roches provenant des anciennes localités qu’ils aimaient et qui sont aujourd’hui possédées, ou du moins occupées, par des hommes blancs. Le sentiment qu’éprouve un Indien de la Colombie Britannique, d’une certaine façon et jusqu’à un certain point, à l’égard d’une roche particulière d’où sa famille prend du poisson depuis des temps immémoriaux est le même que celui que ressent un Anglais quand il songe à la maison qui lui vient de ses ancêtres. À mon avis,, il serait injuste et imprudent de faire abstraction de ce profond sentiment, qui est bien connu, mais dont, jusqu’à cette année, je n’avais pas pris pleinement conscience de la force.

[310]  O’Reilly a rencontré le chef William et d’autres membres de la communauté en juin 1881. Il a reconnu que des erreurs avaient été commises relativement aux terres, mais leur a dit qu’ils ne pouvaient pas empiéter sur les droits des Blancs :

[traduction] [...] le gouvernement souhaite agir d’une façon juste à leurs yeux et les considère comme des sujets britanniques au même titre que les Blancs; au début, des erreurs ont été commises relativement aux terres, les Indiens avaient d’autres occupations et ne se souciaient pas des terres et, par conséquent, les Blancs les ont préemptées; le gouvernement souhaite corriger ces erreurs dans la mesure du possible et a acheté une vaste et précieuse bande de terre que le commissaire est sur le point de leur donner [...]

[...] à l’égard des droits des Blancs sur lesquels ils ne peuvent pas empiéter; ils ne doivent donc demander aucune des terres vendues par le gouvernement [...]

[311]  Selon le compte rendu d’une décision datée du 16 juin 1881, O’Reilly a attribué 14 réserves aux Indiens de Williams Lake. Parmi celles-ci, sept cimetières se trouvaient à l’emplacement de [traduction] « [...] la ferme que M. Pinchbeck a achetée au gouvernement provincial et qui, à un certain moment, était occupée par les Indiens comme le démontrent les restes de vieilles maisons d’hiver ».

[312]  Pinchbeck n’a pas obtenu de la Couronne la concession des blocs 71 et 72 qu’en 1885.

[313]  À l’exception des cimetières, les réserves attribuées se trouvaient dans la région à la tête du lac, à dix milles du village. Elles couvraient environ 4 100 acres.

4.  Honneur de la Couronne et obligation fiduciaire

[314]  Le principe de l’honneur de la Couronne s’applique en l’espèce. La relation fiduciaire s’est établie dès le début du processus de création des réserves (Ross River, précité; Wewaykum, précité). L’article 13 des Conditions de l’adhésion obligeait le Canada à suivre une ligne de conduite aussi libérale que celle qui était appliquée dans la colonie. La politique coloniale était de protéger les établissements indiens. En cas de préemption illégale, certaines mesures étaient prévues pour reprendre les terres sans indemnisation.

[315]  Dans l’arrêt Manitoba Metis Federation, le jugement déclaratoire prononcé par la Cour reposait sur un manquement à l’honneur de la Couronne, bien que les circonstances n’aient permis d’établir l’existence d’aucune obligation fiduciaire. Or, l’obligation fiduciaire est inextricablement liée à l’obligation de la Couronne d’agir honorablement :

L’honneur de la Couronne fait naître différentes obligations selon les circonstances. Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation de fiduciaire : Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, 2002 CSC 79, par. 79. [Haïda, précité, par 18]

[316]  La revendicatrice prétend que la situation qui régnait après la Confédération montre que le Canada était un fiduciaire.

[317]  L’intérêt des Indiens de Williams Lake était reconnu dans la politique coloniale. Cet intérêt était identifiable puisqu’il s’agissait de terres qu’ils occupaient, de terres qui leur permettaient de subvenir à leurs besoins, dans les environs immédiats de leurs lieux d’habitation. L’absence des Indiens sur ces terres après la Confédération s’explique par le fait qu’ils avaient été chassés par les colons, conformément aux lois coloniales. Les représentants fédéraux chargés de résoudre la question de l’attribution des réserves en vertu de l’article 13 des Conditions de l’adhésion ont reconnu leur occupation et leur expulsion illégale. Les Indiens ont été dépouillés de leurs droits, mais leur intérêt était toujours identifiable.

[318]  La Couronne (Canada) était l’intermédiaire exclusif des Indiens de Williams Lake dans leurs rapports avec la province et exerçait de fait un pouvoir discrétionnaire sur la promotion de leurs intérêts.

[319]  La Couronne avait, à tout le moins, des obligations fiduciaires de « [...] loyauté, de bonne foi dans l’exécution de son mandat, de communication complète de l’information, eu égard aux circonstances, et d’exercice de la prudence dans l’intérêt des bénéficiaires autochtones de l’obligation » (Wewaykum, précité, par 93).

[320]  Aux termes de l’article 13 des Conditions de l’adhésion, le Canada s’était engagé, au nom des Indiens, à adopter une politique relative aux réserves aussi libérale que celle de l’ancienne colonie. Ce faisant, il a assumé, dans une certaine mesure, l’engagement unilatéral pris antérieurement par la colonie. Cet engagement a eu des effets constitutionnels (R c Jack, [1980] 1 RCS 294, 100 DLR (3d) 193), et, par conséquent, il appartient clairement à la catégorie des obligations dont il est question dans l’arrêt Manitoba Metis Federation et qui permet d’invoquer le principe de l’honneur de la Couronne et d’établir l’existence d’obligations fiduciaires. Contrairement à l’ancienne colonie, le Canada n’avait pas le pouvoir d’attribuer unilatéralement des réserves. Il pouvait toutefois assurer l’efficacité de la politique en contestant les préemptions et il avait l’obligation d’agir diligemment dans l’intérêt des Indiens de Williams Lake. 

5.  La Couronne a-t-elle manqué son obligation?

[321]  L’obligation de la Couronne existait à l’égard des terres sur lesquelles les Indiens de Williams Lake étaient établis, c’est à dire les terres du village.

[322]  Le meilleur intérêt des Indiens de Williams Lake, en tant que bénéficiaires, était dans l’attribution des terres du village à titre de réserve.

[323]  En 1875, sachant que les Indiens avaient été expulsés de Williams Lake, Laird, qui était le ministre de l’Intérieur, a critiqué le procureur général Walkem à propos de la « ligne de conduite libérale » de la colonie. Walkem a réitéré la politique que Douglas avait mise en œuvre, laquelle empêchait les établissements indiens d’être acquis par préemption et [traduction] « assurait un règlement rapide » en cas de manquement à la Loi.

[324]  Le Canada était tenu, aux termes de l’article 13 des Conditions de l’adhésion, d’appliquer une politique aussi libérale que celle qui avait été établie par Douglas. Cette politique détermine la norme à laquelle doit satisfaire le Canada à titre de fiduciaire.

[325]  L’entente de 1876 n’empêchait pas le Canada d’agir indépendamment de la commission des réserves et de promouvoir les intérêts autochtones en établissant des réserves. C’est exactement ce que le Canada a finalement fait lorsqu’il a acquis le domaine de Bates en 1881. O’Reilly, dans le compte rendu de sa décision, a ensuite attribué ces terres à titre de réserve, ce qui a été confirmé par le CCTT.

[326]  Le Canada ne pouvait pas créer de réserve unilatéralement, mais il disposait de certains moyens de protéger les établissements indiens, comme Walkem l’avait dit à Laird.

[327]  Je le rappelle, Laird avait été expressément informé des circonstances ayant entouré la préemption des terres du village des Indiens de Williams Lake. Les représentants fédéraux savaient que Davidson avait occupé les terres avant de les acquérir par préemption. Le méfait de Nind aurait été évident même dans le cadre d’une enquête sommaire. Nind a donné priorité aux préemptions plutôt à la délimitation d’une réserve au bénéfice des Indiens alors présents.

[328]  Dans les circonstances, l’exercice de la prudence ordinaire dans la promotion de la « ligne de conduite libérale » aurait nécessité la prise de mesures visant à faire disparaître les obstacles à l’attribution d’une réserve sur les terres du village. C’est justement ce que prévoyait la Land Act, 1875. Si la prudence ordinaire n’exigeait pas la prise de ces mesures, l’obligation supérieure découlant d’un engagement unilatéral l’exigeait. Le Canada devait appliquer une politique consistant à réserver les terres d’établissement, ce qui l’obligeait à contester toute préemption illégale qui faisait obstacle à l’attribution des réserves.

6.  O’Reilly et l’attribution des réserves

[329]  À partir de 1878, l’attribution des réserves relevait de la discrétion d’O’Reilly.

[330]  Les attributions d’O’Reilly devaient être approuvées par le commissaire des Terres et des Travaux de la Colombie Britannique et par le surintendant des Indiens de la province. En cas de désaccord, l’affaire était renvoyée au lieutenant-gouverneur pour qu’il rende une décision définitive.

[331]  O’Reilly a été clair quand il a rencontré le chef William et les membres de la tribu. IL ne leur attribuerait pas les terres du village puisque cela entraverait l’exercice des [TRADUCTION] « droits des hommes blancs ». Ces « droits » étaient fondés sur les préemptions qu’O’Reilly a lui-même qualifiées d’« erreurs ». 

[332]  Si le Canada avait pris les mesures nécessaires pour faire annuler les préemptions et qu’il y était parvenu, les droits des hommes blancs, qu’O’Reilly considérait inviolables, n’auraient soulevé aucune difficulté.

7.  Obligation fiduciaire et Commission mixte des réserves indiennes

[333]  Avec l’avènement de la CMRI, il appartenait aux commissaires d’attribuer les réserves, puis au seul commissaire en poste, Sproat, suivi de O’Reilly. Leurs attributions, enregistrées dans les comptes rendus de leurs décisions, étaient assujetties à l’approbation du CCTT de la province et du surintendant des Indiens du Canada.

[334]  Il existe plusieurs exemples où les commissaires ont pris les mesures nécessaires pour faire annuler une préemption après avoir découvert qu’elle touchait un établissement indien. Cela vient confirmer le maintien de la politique coloniale après la Confédération et l’existence de l’obligation fédérale d’appliquer « une ligne de conduite libérale ».

[335]  Bien que la province et le Canada soient restés des acteurs indépendants, ils poursuivaient un objectif commun et leur conduite était régie par l’article 13 des Conditions de l’adhésion et par l’entente de 1876, aux termes de laquelle la CMRI a été constituée. Ils devaient donc respecter la directive de prendre en considération les [traduction] « habitudes, les souhaits et les activités » des Indiens lorsqu’ils attribuaient des terres.

[336]  Sproat était au courant de la situation des Indiens de Williams Lake et de leurs terres de village. Il a soumis l’affaire aux représentants provinciaux, sans trop insister puisqu’il supposait que la province refuserait d’indemniser Pinchbeck de la perte de son intérêt dans les terres. Rien n’indique que les représentants fédéraux ont pressé Sproat de prendre les mesures qu’il avait prises ailleurs pour faire annuler les préemptions illégales.

[337]  L’article 13 des Conditions de l’adhésion obligeait la province à transférer au Canada le titre sur les terres attribuées à titre de réserve. Les terres devaient être identifiées conformément aux politiques de l’ancienne colonie. Que ce soit la province qui ait agi contrairement à l’objet de l’article 13 des Conditions de l’adhésion et de l’entente de 1876, plutôt que le Canada, l’honneur de la Couronne n’en était pas moins atteint.

[338]  O’Reilly savait que l’établissement des Indiens de Williams Lake avait été illégalement acquis par préemption et que ces derniers voulaient que l’établissement soit réservé. Son refus de tolérer une atteinte aux « droits des hommes blancs » dans de telles circonstances constituait un manquement à l’obligation qui incombe aux personnes désignées par le Canada et la province d’agir de bonne foi dans la poursuite des objectifs de l’article 13 des et de l’entente de 1876. Conditions de l’adhésion

[339]  Les commissaires devaient prendre en considération les intérêts des colons quand ils choisissaient les terres qui devaient être attribuées à titre de réserve. Des colons étaient établis sur les terres du village en 1881. Les principes d’equity ne sauraient excuser l’acquisition illégale des intérêts des colons, qui faisaient obstacle à l’exécution de l’obligation fiduciaire.

[340]  Les commissaires Sproat et O’Reilly n’ont pas agi conformément au principe de l’honneur de la Couronne. Les représentants fédéraux, qui connaissaient très bien la situation, ne se sont pas, pour les raisons indiquées précédemment, acquittés des obligations fiduciaires de la Couronne.

8.  Les attributions d’O’Reilly ont-elles remédié au manquement?

[341]  O’Reilly a inscrit le compte rendu d’une décision par laquelle il attribuait les terres acquises par le Canada à titre de réserve. L’attribution a été confirmée par le CCTT.

[342]  Les obligations constatées ci-dessus, et le manquement à ces obligations, se rapportaient aux terres du village, soit les terres avec lesquelles les Indiens de Williams Lake avaient un lien tangible, pratique et culturel. Les politiques et lois coloniales, dont le Canada a assumé l’obligation de respecter lors de la Confédération, reconnaissaient le lien des Indiens de Williams Lake avec les terres qu’ils occupaient. L’octroi d’autres terres n’a pas remédié au manquement.

[343]  Les questions relatives aux conséquences de l’attribution des terres aux Indiens de Williams Lake en 1881 dans le cadre de la détermination de l’indemnité doivent être tranchées à l’étape de la revendication portant sur l’indemnisation.

HARRY SLADE

L’honorable Juge Harry Slade

Tribunal des revendications particulières Canada

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

 


TRIBUNAL DES REVENDICATIONS PARTICULIÈRES

SPECIFIC CLAIMS TRIBUNAL

Date : 20140228

Dossier : SCT-7004-11

OTTAWA (ONTARIO), le 28 février 2014

En présence de l’honorable Harry Slade

ENTRE :

BANDE INDIENNE DE WILLIAMS LAKE

Revendicatrice

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

AUX :

Avocates de la revendicatrice BANDE INDIENNE DE WILLIAMS LAKE

Représentée par Clarine Ostrove et Leah Pence

Mandell Pinder LLP

Avocats

ET AUX :

Avocats de l’intimée

Représentée par Brian McLaughlin et Shelan Miller

Ministère de la Justice

Bureau régional de la Colombie Britannique

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.